"Pourquoi les
deux mondes adjacents ne se rencontreraient-ils pas de temps à
autre?
Et si le monde qui venait à lui n'était pas celui de
Jack?"
(Les Territoires, 191)
...........................
"Un seul petit
tour dans les Territoires suffit à ébranler la
confiance
que l'on a dans l'omniscience des savants." (id., 80)
La notion d'espace est celle dont les
transformations au cours du temps ont eu le plus d'incidence sur la
conception que les hommes se font de leur place dans l'univers. La
"révolution copernicienne" 1 du XVIe
siècle, a placé pour la première fois les hommes
dans un univers dont ils n'ont pas depuis cessé de reculer les
limites. Il y a dans ce désir d'aller au-delà des
limites connues une part importante de rêve, et nombreux sont
les accomplissements qui ont eu à l'origine une part de
rêve. Mais nos désirs ne peuvent être satisfaits,
et nos rêveries devenir fructueuses, que si elles
débouchent sur des réalités soumises au
contrôle de la raison. La nouvelle conception de l'espace qui
en est résultée a non seulement bouleversé
l'assurance que les religions avaient donnée aux hommes quant
à leur statut privilégié dans leur univers,
mais, en les remettant les théologies établies en
cause, a ouvert un champ nouveau aux spéculations humaines,
aussi bien dans le domaine scientifique que dans le domaine
littéraire.
L'espace humain.
On aurait tendance à penser naïvement que nos conceptions concernant le temps et l'espace se rapportent à un réel objectif, tel que tous les humains le perçoivent. Mais il n'en est rien, et ces notions sont apprises. Ces acquisitions de l'éducation nécessitent un long apprentissage. À partir de la naissance, la première approche du temps est liée à des rythmes biologiques, à celui des tensions liées au besoin de se nourrir, à ceux de l'attente de la satisfaction des désirs. La notion d'espace, qui est l'objet de cette étude, dépend des mêmes découvertes, dont la première est celle d'une zone propre à l'enfant, et d'une autre propre à la mère et aux soignants, différenciations que l'enfant ne fait pas d'abord. Puis l'acquisition de la notion d'espace est liée à l'apprentissage des mouvements, des déplacements. La différenciation que l'enfant doit faire, se représenter, lui, mais aussi se représenter l'autre, ailleurs, dans un autre endroit que celui où il se trouve, où il ne peut pas le voir, mais seulement l'imaginer, n'est permise que par le fonctionnement psychique et le développement de la pensée. Le célèbre psychologue Jean Piaget l'a remarqué : "La perception de l'espace implique une construction graduelle et ne saurait être donnée au début du développement mental."·2 La notion d'espace est ainsi marquée par l'imaginaire, et lui est liée 3. Ses perturbations sont d'ailleurs explorées par la psychopathologie dans la mesure où la notion d'identité est souvent troublée par une conception altérée de l'espace et du temps 4.
Indispensable à notre identité et à notre insertion dans le réel, la notion d'espace, comme celle du temps, se trouve ainsi au coeur de notre expérience quotidienne. Elle est balisée par diverses conceptions sociologiques qui la marquent de l'empreinte d'une collectivité, lui donnent des significations humaines. Le comptage du temps se fait en référence à des cycles lunaires, ou solaires. Pour estimer le temps qui s'écoule, on a utilisé divers moyens : le cadran solaire, la clepsydre, avant d'en arriver à l'horloge. On utilise la base numérique douze (et ses multiples, dont soixante), ou décimale. De même, la maîtrise de l'espace s'est faite d'abord par des mesures rudimentaires, d'organes humains comme le pouce, la coudée, le pied, ou par des opérations connues : l'arpent (la portée d'une flèche) ou le journal, (espace labourable en une journée). La géométrie se met en place à partir d'éléments simples, arpentages de la vallée du Nil recouverte par les crues : faire un angle droit, en construisant un triangle de 3, 4, et 5 pas, dont les sommets se joignent 5. Suivant les recherches mathématiques, l'enseignement de la notion d'espace se complique peu à peu, à mesure que le niveau d'instruction s'élève. De l'espace euclidien à trois dimensions, le seul connu sur la terre entière, dont on explore les propriétés, on passe à des conceptions plus subtiles, appelées collectivement non-euclidiennes, où les dimensions deviennent variables. Inutile de dire que les notions complexes ne peuvent être appréhendées que par des cerveaux spécialement éduqués.
L'espace divin.
Survivance des anciens cultes solaires, le Ciel était considéré jadis comme le siège d'ordres et d'entités supérieurs au monde quotidien des hommes. Là se tenaient des puissances invisibles, bienveillantes ou redoutables. À une époque où on pensait que la terre était plate, le ciel, représenté comme une sorte de cloche, de coupe renversée, de dôme, de coupole, cachait, pensait-on, des êtres transcendants. Les événements célestes étaient l'émanation de leur puissance, comme le remarque Mircea Eliade : "La transcendance divine se révèle directement dans l'inaccessibilité, l'infinité, l'éternité et la force créatrice du ciel. (...) Tout ce qui se passe dans les espaces sidéraux et dans les régions supérieures de l'atmosphère - la révolution rythmique des astres, la poursuite des nuages, les tempêtes, la foudre, les météores, l'arc-en-ciel - sont des moments de cette hiérophanie." 6 Dans cette perspective, l'empereur de Chine, par exemple, sera fils du ciel, dans une correspondance classique solidement établie entre la souveraineté du ciel et la souveraineté sur terre.7
On pourrait consacrer des pages aux diverses représentations que des hommes se sont faites des royaumes du ciel ou des cieux : des sept ciels chrétiens du Moyen-Age, aux douze cieux des Algonquins aux treize cieux des Aztèques. De ce rappel des conceptions du passé, retenons simplement que l'idée d'un espace-autre existe depuis très longtemps et fait partie des archétypes humains 8. À noter que l'emplacement du Paradis, qui a longtemps intéressé les humains, soucieux de leur destinée, a été situé à un endroit inconnu de la terre, avant d'être placé au ciel dans La Bible : irrigué par quatre fleuves, il constituait alors le centre du cosmos, l'axe du monde. 9 (Genèse 2. 8-17).
Depuis une dizaine d'années, les moyens d'investigation des astronomes ont progressé considérablement. Des planètes géantes nouvelles ont été découvertes, qui paraissent impropres à permettre les formes de vie que nous connaissons. Mais on suppose que d'autres planètes plus petites existent, avec des formes de vie comparables aux nôtres. Des astronomes évoquent des millions de planètes possibles dans notre galaxie. Comme on le sait, on n'a trouvé à ce jour ni traces, ni espérance de vie.
Les hommes et les autres mondes.
Ces mondes intéressent les hommes depuis longtemps, sans qu'on puisse encore utiliser à leur propos le terme de mondes "parallèles", expression qui n'a de sens que depuis peu. On cite souvent comme première représentation d'un de ces mondes la célèbre vision du prophète Ezechiel dans La Bible, texte dont le sens, il faut bien le dire, reste confus : Ezechiel voit en rêve quatre "Vivants" ailés, anthropomorphes, chacun aux quatre faces d'homme, de lion, de boeuf et d'aigle. À leurs côtés, quatre roues, aux jantes "pleines d'yeux", animées du "souffle de vie", qui ont fait l'objet de la fascination de multiples générations 10.
Si l'on considère qu'une oeuvre de fiction du domaine de l'Imaginaire consiste à partir d'une idée (d'un "postulat") pour en tirer ses conséquences, on en trouve des témoignages anciens dans le domaine du monde-ailleurs. On cite un auteur qui date de 1800 ans, Lucien de Samosate 11, qui décrit l'équipage d'un bateau emmené sur la lune par une tempête exceptionnelle. Après sept jours de voyage, ils abordent une vaste île circulaire éclairée, la Lune et y rencontrent des Sélénites aux apparences humaines. 12.
Quand, dans la seconde moitié du XVIIe, à la suite de Copernic 13, de Kepler 14 et de Galilée·15, même les théologiens admettent que la Terre, planète d'un système solaire, est ronde, les esprits commencent à s'exciter sur les antipodes et la pluralité des mondes. Un roman de l'astronome Kepler, Somnium (Le sommeil), publié après sa mort (1634), est à figurer parmi les ancêtres de la science-fiction et la découverte de monde d'ailleurs. Dans ce divertissement, des personnages sont transportés par des «esprits» jusque sur la Lune, pendant la très courte période d'une éclipse, lorsque l'ombre comble le gouffre qui sépare la terre de son satellite... Alors que jusqu'à présent, les hommes avaient satisfaits leurs rêves avec la mythologie (le mythe d'Icare 16), ils vont les réaliser maintenant par la littérature. La part de la fantaisie dans l'invention a été importante. Quelques années plus tard, l'évêque Francis Godwin publia L'Homme dans la Lune, où des hommes partent partent vers notre satellite emmenés par un génie. Il inspira directement Cyrano de Bergerac, peu après, envoya également des personnages non seulement sur la Lune, mais également sur le Soleil par des moyens techniques cette fois 17. Un de ses voyages se fait grâce à un procédé rudimentaire : des fioles de rosée attachées à sa ceinture, soulevées par la chaleur du soleil qui la fait évaporer... L'autre voyage se fait grâce à une machine munie d'ailes qui casse malheureusement, mais, complément intéressant, le personnage parvient quand même sur la Lune grâce d'une part à la moelle de boeuf dont il a enduit ses blessures, occasionnées par l'accident (une superstition affirmait que la Lune à son dernier quartier absorbait la moelle des animaux) à un gros effort de volonté aidé par la puissance de son esprit.
Vingt ans plus tard, dans Entretiens sur la pluralité des mondes, Fontenelle envisage la possibilité d'autres mondes, habités par des êtres différents : "L'art de voler ne fait que de naître, écrit-il ; il se perfectionnera et, quelque jour, on ira jusqu'à la lune." 18 Dans une autre perspective, celle des terres inexplorées et mystérieuses, plusieurs récits situent des personnages dans une géographie fictive qui est prétexte à une satire de la société du temps. Jonathan Swift 19 utilise, dans un pamphlet politique, la découverte de mondes différents, des îles, Lilliput, Brodingmag, l'île volante de Laputa, qui sont des mondes parallèles avant la lettre 20. On pourrait citer d'autres auteurs, qui sont tombés dans l'oubli 21. Ces ouvrages, un témoignage sur la vanité des spéculations sur les progrès techniques, sont significatifs de cette idée que notre savoir et notre connaissance, loin d'épuiser la réalité dans sa totalité, restent toujours relatifs.
De l'espace à 3 dimensions aux espaces à n dimensions.
Mathématicien grec du - IIIe siècle, Euclide a théorisé les connaissances sur l'espace de son époque et a créé la géométrie avec laquelle nos ancêtres vivront pendant deux mille ans. En accord avec la conception que les hommes se font d'un espace clos et limité (l'espace d'une terre plane, en accord avec l'expérience quotidienne), sa géométrie repose sur le postulat bien connu, considéré comme intangible : "Par un point d'un plan, on ne peut mener qu'une parallèle à une droite." Une de ses conséquences est que la somme des angles d'un triangle est ÉGALE à deux angles droits. |
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Ce postulat n'est devenu que
bien plus tard un axiome quand, au XIXe,
l'allemand Gauss
22 fit des recherches sur les courbures
des surfaces, et fut un des premiers à
découvrir la géométrie non-euclidienne
hyperbolique. De nouvelles géométries ont pu
être alors élaborées à partir
d'un autre axiome : "Par un point extérieur à une
droite, on peut mener plusieurs parallèles à
cette droite", qui
faisait de la géométrie euclidienne un cas
particulier d'une métagéométrie. |
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Durant le même temps, le russe Lobatchewski 23 retrouva les résultats de Gauss et prit une voie différente de celle de Riemann. Il supposa que si, par un point, on peut mener plusieurs parallèles à une droite donnée, une infinité de "non-sécantes", la conséquence en est que, dans une de ses perspectives, la somme des angles d'un triangle est PLUS PETITE que deux angles droits. L'espace présente, dans ce cas, une COURBURE NÉGATIVE. Ces résultats mirent du temps avant d'être assimilés, mais l'abandon du postulat d'Euclide ouvrait des perspectives nouvelles, non seulement pour les mathématiciens, mais aussi pour les physiciens et les astronomes. En examinant la géométrie d'Euclide à partir de cette perspective, elle devient la géomètrie d'un espace à COURBURE NULLE. |
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À cela il faut ajouter les trouvailles de topologues comme Möbius ou Klein. Le ruban (ou bande) de Möbius 24 se présente comme une surface, facile à réaliser, mais qui pose des aspects surprenants : cette bande ne possède qu'une surface et un seul bord! |
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En rapport avec cet espace particulier, Klein 25 proposa une curieuse bouteille, ne possédant qu'une face externe, qu'un artisan verrier peut aisément fabriquer avec un tube étiré qui traverse la bouteille et rejoint le goulot. Cette bouteille, qui ne présente qu'un trou, se traverse donc de part en part (on l'appelle un tel objet "tessaract"). |
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Enfin la géométrie fractale, inventée par Benoît Mandelbrot en 1965 propose une géométrie pour décrire la géométrie de la nature, dont les formes complexes et irrégulières échappent à la géométrie classique. Cette géométrie des objets fractals 26 cherche les règles de la fragmentation dans les irrégularités de la nature, d'apparence chaotique. Ces objets fractals sont en fait l'expression d'une géométrie très complexe de l'infiniment petit où la notion de dimension fractionnaire se substitue à celle de dimension euclidienne (forme des nuages, d'un arbre, feuille de fougère : flocons de neige, ramification des bronches ou bronchioles, réseaux hydrographiques, etc.) |
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Une particularité des fractales est, comme dans la nature, la répétition de formes similaires à différentes échelles d'observation : une forme typiquement fractale est celle du chou-fleur, ou du brocoli, dont les parties sont exactement à l'image du tout. Ainsi, une partie d'un nuage ressemble au nuage tout entier. |
De Newton à Einstein.
Dans le domaine de la physique, Newton 27 avait, entre autres, énoncé les lois de la gravitation universelle. Elles expliquaient les découvertes de Kepler sur les planètes (leur orbite elliptique, alors que pour Copernic, dans la tradition de l'Antiquité, elles étaient circulaires), comme le régime de la Lune, soumise à l'attraction terrestre. Deux cents ans plus tard 28, Einstein 29 publia sa relativité généralisée, qui remettait en cause les concepts de Newton. L'abstraction de sa découverte était telle qu'il fallut une dizaine d'années aux meilleurs mathématiciens pour se la représenter. La théorie d'Einstein montre que la présence de la matière déforme l'espace, et lui donne une courbure. Ce qui suppose l'utilisation d'une géométrie sans ligne droite, et à de multiples dimensions.
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Les outils mathématiques inventés par Gauss et Riemann se montraient aptes à être utilisés pour un espace présentant cette courbure. En mettant en équation la présence de la matière par rapport à la COURBURE DE L'ESPACE, Einstein réécrivit les lois physiques en termes non- euclidiens. Il constata que, sous cette forme, elles présentaient des évaluations différentes de celles obtenues par la théorie de Newton.
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L'observation a prouvé
l'exactitude des prévisions d'Einstein et ses équations
décrivent plus exactement la réalité que celles
de Newton. Sur le plan littéraire; la science-fiction a
largement exploité une conséquence de la théorie
d'Einstein. En effet, un astronaute qui voyagerait à la
vitesse de la lumière arrêterait pratiquement la marche
du temps 30. Si, par exemple, il effectuait l'aller et retour
Terre-Andromède, l'astronaute vieillirait de 56 ans tandis que
durant ce temps la planète vieillirait de 4 millions
d'années. Ce paradoxe a été
démontré expérimentalement sur certaines
particules de la matière, les mesons.
De la
mécanique quantique à
l'antimatière.
D'autres découvertes ont modifié notre perception du monde le siècle dernier. Alors que dans la mécanique classique la connaissance de la position et de la vitesse d'un mobile à un temps donné permet de calculer la position de ce mobile à un temps +1, les découvertes en mécanique quantique modifient ces perspectives. Dans ce domaine de la microphysique, une particule élémentaire est à la fois onde et matière (le corpuscule de matière est porté sur une onde) et le physicien est incapable de déterminer la trajectoire des corpuscules particuliers. Il ne peut préciser la position d'un corpuscule qu'en augmentant l'imprécision sur la quantité de mouvement. De ce qu'on appelle les "incertitudes de Heisenberg" 31, on a tiré des conséquences hors proportion. Certains physiciens, invoquant le "libre-arbitre" de l'électron, ont donné de multiples idées aux auteurs de science-fiction pour broder à l'envi sur la fin du déterminisme scientifique. La mécanique ondulatoire (ou mécanique quantique) est devenue de nos jours un secteur scientifique comme un autre, donnant des résultats de la même rigueur que dans les autres branches de la science.
Il faut ajouter à cela les spéculations sur l'antimatière, formée d'antiparticules comme les positons, les antiprotons, les antineutrons, etc., de masse égale mais de propriétés opposées à celles de la particule correspondante. Cette antimatière est étudiée et par des physiciens qui provoquent leur collision dans les accélérateurs à particules. Il faut ajouter des découvertes astronomiques comme les trous noirs, régions de l'espace où le champ de gravitation est si intense que rien ne peut en sortir, même pas la lumière (d'où leur nom) 32, des puits gravitationnels où le temps et l'espace s'inverseraient brusquement.
Au terme de ce bref résumé de l'histoire de l'évolution de la notion d'espace, on se rend compte que la réalité est transcrite par les hommes au moyen d'opérations mentales, de constructions psycho-sociologiques (l'espace, le temps, la matière, l'univers physique). Elle n'est donc pas l'objet d'une intuition sensible immédiate, mais perçue au travers de concepts. À côté de l'espace donné par nos sens, par nos perceptions, existe un univers intelligible, aux propriétés variables, perçu au travers d'un apprentissage qui n'est fait que par un très petit nombre de spécialistes. Les théories scientifiques, révisées au fur et à mesure des progrès, donnent des outils qui permettent la construction psychique de systèmes de relations organisées. Sans les géométries non-euclidiennes, la conquête de l'espace n'aurait pas été possible. La géométrie euclidienne, considérée pendant des millénaires comme un absolu, n'apparaît plus que comme un cas particulier de la géométrie, un espace à courbure nulle, bien suffisant heureusement pour la vie terrestre quotidienne. Mais, contrairement à ce qu'affirmait Kant 33, elle est déjà une forme de construction mentale particulière, adaptée à une expérience certes millénaire, mais limitée, non universelle. Avec l'ouverture autorisée par les géométries non-euclidiennes, de nouvelles perspectives se sont offertes, dans lesquelles ses sont engouffrées les littératures de l'imaginaire.
Littérairement, le concept
d'un espace jouant sur les dimensions est apparu en 1884, avec le roman Fatland d'Edwin A. Abbott
34, une sorte de jeu d'esprit qui prend tout son sens
à la suite des découvertes mathématiques
résumées plus haut. Le narrateur vit dans un monde
à deux dimensions, où la hauteur n'a pas cours : seules
existent la longueur et la largeur. Chacun est
déterminé par sa forme : les femmes sont de simples
droites, les bourgeois des triangles, les ecclésiastiques des
cercles, les soldats des triangles isocèles. À partir
de ces bases originales, Abbott met à nu les lois implacables
qui la régissent : que se passe-t-il quand un ouvrier
isocèle heurte de son angle pointu un noble polygone? Ce texte
très ludique est évidemment physiquement
irréaliste et Abbott s'en sort souvent par la fuite
humoristique. Il vaut mieux considérer ce livre, riche en
imagination comme une ouverture d'esprit, dans la tradition du
XVIIIe, mêlant la satire de Swift et
à l'ingéniosité de Lewis Carroll (qui vient de faire paraître Alice au pays des
merveilles, 1865), utilise des
considérations mathématiques pour se livrer à
des considérations sociales 35, la démonstration que le comportement de chacun
suit la devise de toute société se réduit
à ces termes : "conforme-toi à ta configuration".
Parmi les auteurs ayant utilisé les figures topologiques,
Jacques Baudou 36 cite l'utilisation du ruban de Möbius par Theodor Sturgeon, dans
sa nouvelle What
Dead Men Tell, et la mise en
pratique du tessaract par
Robert Heinlein dans
La maison
biscornue 37. La maison décrite par Heinlein est un
tessaract à quatre dimensions, bâtie par un architecte
californien. Celui-ci a entrepris de construire une maison qui serait
la projection à trois dimensions d'un cube à quatre
dimensions, avec des conséquences curieuses pour les
habitants. Dès le début du siècle, les mondes
parallèles sont apparus dans la littérature de
science-fiction. Par exemple, Hodgson fait
coexister deux mondes parallèles dans La maison au bord du monde 38 (1908) : le personnage vit dans une maison à
cheval aux limites de deux univers parallèles et y mène
d'abord une vie vraisemblable. Mais un déplacement
l'entraîne aux confins de l'espace et du temps, et il y assiste
à la mort du soleil. Dans The Haunted Woman, David Lindsay
39 présente un escalier qui conduit à des
dimensions différentes, notamment à une pièce
où le temps est aboli.
H. P. Lovecraft et Abraham Merrit ont aussi utilisé simultanément les mêmes modèles littéraires. ressemblances davantage dues à un phénomène d'osmose collective que d'une volonté claire de plagiat. Par exemple, dans Les habitants du mirage, Merrit 40 écrit trois ans après Lovecraft (qui interprétait alors très librement les découvertes d'Einstein et prétendait même, par jeu, qu'il s'était trompé!41 ) :"Einstein (...) a osé bousculer toutes les conceptions de l'espace et du temps avec son espace quadri-dimensionnel dans lequel le temps aussi est une dimension, et (...) a fait suivre cela de la preuve de l'existence d'un espace à cinq dimensions au lieu de quatre, qui sont tout ce que nos sens sont capables de comprendre... La possibilité d'une douzaine de mondes évoluant entremêlés à celui-ci... dans le même espace... l'énergie que nous appelons matière, de chacun d'eux accordée à une vibration différente - et chacun totalement ignorant des autres... bouleversant de fond en comble le vieil axiome que deux corps ne peuvent pas occuper la même place au même moment. Et je me disais - qui sait si dans des temps très, très reculés, un savant de cette époque-là (...) n'avait pas découvert tout cela? (...) Et, découvrant cette dimension ou ce monde avait trouvé le moyen pour que les habitants de cette dimension ou de ce monde puissent à la fois connaître ceux de notre monde et se manifester à eux." 42
Dans La maison de sorcière, Lovecraft, qui explore depuis plus de dix ans le mythe ce Cthulhu, le justifie rétrospectivement en faisant longuement appel aux récentes découvertes scientifiques. Un étudiant est allé habiter une chambre dans une maison qui a mauvaise réputation pour avoir jadis hébergé une sorcière. Passionné de mathématiques, il s'est découvert un don intuitif pour résoudre les équations riemanniennes, et stupéfie le professeur Upham par "sa compréhension des problèmes de la quatrième dimension et d'autres qui laissaient sans voix tout le reste de la classe. Un après-midi il y eut une discussion sur l'existence possible de courbures insolites de l'espace, et de points théoriques d'approche ou même de contact entre notre partie du cosmos et diverses autres régions aussi éloignées que les étoiles les plus lointaines ou les abîmes transgalactiques eux-mêmes - ou même aussi fabuleusement distantes que les unités cosmiques expérimentalement concevables au-delà du continuum espace-temps einsteinien. Gilman traita ce thème avec une aisance qui remplit d'admiration toute l'assistance." 43
L'étudiant, poussé par son succès, en tire alors des conséquences qui peuvent paraître aux autres étudiants des hypothèses, mais qui sont présentées comme des faits. D'abord, les connaissances mathématiques humaines sont insuffisantes, ce qui ne permet pas d'exlorer toutes les possibilités humaines : "Un homme - doué de connaissances mathématiques dépassant de l'avis général toutes les probabilités d'acquisition humaine - pourrait passer volontairement de la terre à tout autre corps céleste situé à l'un d'une infinité de points précis du modèle cosmique." Il ne subirait pas de dommages majeurs : "Les habitants de certaines planètes pouvaient vivre sur certaines autres - même si celles-ci appartenaient à des galaxies différentes, ou à des phases dimensionnellement similaires à d'autres continuums espace-temps - bien que naturellement il doive exister des quantités considérables de corps ou de zones d'espace inhabitables les uns pour les autres, même s'ils sont mathématiquement juxtaposés."
On sait maintenant que, contrairement à ce que certains ont affirmé il y a une quarantaine d'années quand il a été connu en France, que Lovecraft n'est pas un auteur ésotérique. Dégagé de toute superstition ou religion, il n'a jamais cru en ses monstres, dont il se moque dans sa correspondance, pleine de facéties "où interviennent ces joyeux drilles cosmiques que sont Nyarlathotep, Azathoth, et autres Yog-Sothoth", ce qu'il appelle ses "Yog-Sothoteries" L'apport de Lovecraft à la littérature de l'imaginaire n'est pas de chercher des pseudo-mythes avec ses monstres et ses divinités "aussi hétéroclites que carnavalesques", mais de créer les fictions ambiguës qu'il souhaitait. L'occasion est belle pour lui, lors d'un cours de mathématiques de haut niveau, de faire intervenir un professeur ouvert et cultivé : "Le professeur Upham goûta particulièrement sa démonstration de la parenté des mathématiques supérieures avec certains moments du savoir magique transmis à travers les âges depuis une indicible antiquité - humaine ou préhumaine - où la connaissance du cosmos et de ses lois était plus vaste que la nôtre." 44 Lovecraft peut ainsi, après avoir utilisé les découvertes récentes en géométrie, se débarrasser des limitations que la théorie d'Einstein lui imposait. Trois ans avant Merrit, dans Celui qui chuchotait dans les ténèbres, Lovecraft 45 à interprétant librement comme d'autres la théorie de la relativité : "Savez-vous qu'Einstein s'est trompé et que certains objets, certaines forces peuvent se déplacer plus vite que la lumière? Avec l'aide qui convient, je compte remonter et devancer le temps, voir et toucher la Terre du passé lointain et des époques à venir. Vous ne sauriez imaginer quels sommets ces êtres ont porté la science. (...) Le premier voyage sera sur Yuggoth (...) C'est un étrange globe obscur à l'extrême limite de notre système solaire, encore inconnu des astronomes terriens (...). Le moment venu, ces êtres dirigeront sur nous des courants de pensée pour nous faire découvrir leur planète, à moins qu'ils n'autorisent un de leurs alliés humains à le suggérer à nos savants." 46
Simultanément Merrit développe les mêmes perspectives. Le héros de Les Habitants du mirage accepte l'idée d'une "douzaine de mondes évoluant entremêlés à celui-ci, dans le même espace" 47 Dans Le Gouffre de la lune, les êtres qui y vivent ont accès à "des images de l'espace, leur ouvrant mille fenêtres par où ils examinaient la vie de milliers et de milliers de mondes en mouvement" 48 Ces mondes "entremêlés" sont ceux des espaces parallèles, autre thème de la science-fiction avec la conquête de l'espace. Les auteurs en ont inventé de nombreux : Denis Guiot distingue des "univers simultanés, intercalés, imbriqués, décalés, alternatifs, gigognes ou arborescents" 49, grille qui peut s'appliquer aux espaces parallèles de Stephen King.
Prétexte à de multiples péripéties vécues par les personnages, le motif des univers parallèles permet des considérations psychologiques et sociologiques nouvelles. Un bon exemple d'exploitation psychologique est donné dans Transitoires, où Sylvie Renard met en scène une femme ordinaire, la Cécile de notre quotidien, avec d'autres Cécile : une voleuse, une ivrogne et d'autres encore qui suivent des chemins parallèles 50. King n'a pas exploité ces aspects psychologiques, qu'il a délaissés au profit des aspects sociologiques (surtout écologiques) et mythiques. On connaît aussi l'utilisation parodique de l'espace parallèle avec le célèbre L'Univers en folie de Frederic Brown 51, qui expose d'abord des notions géométriques connues depuis un siècle, mais qui sont toujours aussi mal intégrées au bagage culturel commun : "Il existe un nombre infini de points sur la tête d'une épingle. Il existe donc autant de points sur la tête d'une épingle qu'il y en a dans un univers infini... Il existe donc un nombre infini d'univers existants. Ils sont tous réels et également vrais... Cela veut dire que tous les univers concevables coexistent." 52 Et il nous conte l'histoire singulière du rédacteur en chef de la revue SF Sciences extraordinaires, qui, conséquence de l'écrasement d'une fusée sur le sol lunaire, bascule dans un univers parallèle. Il y trouve non seulement son double qui occupe à la fois son appartement et sa fiancée, mais aussi une nouvelle vie quotidienne où les idées les plus saugrenues de la science-fiction se trouvent réalisées, telles qu'il les trouvent racontées dans les pages de sa revue... Ce livre ironique annonce une orientation littéraire nouvelle, où la distanciation et le jeu visible avec les conventions rend le lecteur complice.
Enfin, concernant l'espace, on ne peut passer sous silence des formes d'espaces qui n'ont aucun sens pour les scientifiques. La notion d'hyperespace fut, d'après Jacques Baudou, probablement imaginée par John W. Campbell 53 dans sa nouvelle Islands of Space, et fut aussitôt utilisée par d'autres auteurs qui virent tout le profit qu'ils pouvaient en tirer : "Le terme désignait une dimension de l'espace, différente de celle de notre expérience ordinaire, ce qui permettait d'accomplir un voyage d'un point à un autre de l'espace par des sortes de «raccourcis». Grâce à cette convention, qui est une pure invention romanesque 54, la science-fiction se donnait les moyens et la liberté d'aller plus vite que la lumière." 55
Une autre invention littéraire est la téléportation, soit spontanément, soit par l'intermédiaire d'un "transmetteur de matière, d'une cabine de téléportation", ou d'un quelconque procédé littéraire tout aussi inventé inventés). La téléportation est décrite comme la dématérialisation de la personne dont la reconstruction s'effectue à partir d'atomes qui se trouvent déjà au lieu de la téléportation. En conséquence, aucune matière ne voyagerait, seulement de l'information et la personne qui en résulterait une copie. Dans certains cas, des auteurs proposent l'envoi de la matière composant la personne sous forme de faisceau d'atomes vers la destination choisie, puis la reconstruction de la personne avec les mêmes atomes. Clifford D. Simak 56 a ainsi décrit dans Au carrefour des étoiles une civilisation galactique fondée sur la téléportation. Dans le cycle Hypérion 57, Dan Simmons utilise pour ce faire des portes spéciales qu'il appelle "portails distrans".
L'idée d'autres espaces est bien intégrée dans l'imaginaire de nos contemporains, avec cependant beaucoup d'approximations et de fantaisie, que les médias et les ouvrages spécialisés dans l'étrange reprennent sans se soucier de ce qui s'étudie dans les travaux des scientifiques. Ils n'en retiennent généralement que ce qui cadre avec la pensée commune, laissant de côté tous les sujets qui ne peuvent pas «passer», trop ardus à comprendre, ou difficiles d'approche sans un bagage minimum. Selon les sociologues, les témoignages sur les extraterrestres par exemple, ou sur les passages dans d'autres espaces sont le reflet des croyances et des attentes des témoins. Ils ne correspondent pas à ce qui pourrait provenir d'une réelle civilisation extraterrestre.
La première "preuve" 58 viendrait de l'existence des "extraterrestres", largement popularisée par des témoignages de toutes sortes, y compris des atterrissages et des décollages d'objets volants non identifiés (OVNIS) ou de soucoupes volantes. Depuis la fin du XIXe, l'existence des "Martiens" ou autres êtres venus d'autres mondes a été popularisée par les romans et le cinéma. L'existence d'extraterrestres non visiteurs est acceptée comme une réalité, au moins comme une possibilité 59.
Dans cette logique, on a cité plusieurs témoignages de personnes qui prétendent avoir été "enlevées" et emmenées ailleurs par des êtres comme il n'en existe pas sur terre. Les extraterrestres sont généralement décrits comme des êtres de petite taille (1 m, 1,20 m) avec une grosse tête et de grands yeux noirs. Calqués sur les personnages vus au cinéma, ils ont pris la forme d'archétypes qui fait que ceux qui s'imaginent rencontrer un extraterrestre le voient nécessairement ainsi.
On rappelle à ce sujet que, dans le passé, les hommes ont vu des anges descendre du ciel, et que les Grecs ont relaté avoir aperçu certains de leurs dieux dans le ciel... On rattache les "Men in Black" à ce phénomène de croyance collective, et à la conviction que la C.I.A. américaine cache au public le phénomène OVNI, et l'existence de tractations secrètes avec des E-T.
Un autre type de preuve est apporté par ceux qui ont vécu ce qui est appelé "l'état de mort imminente", et qui prétendent avoir franchi les frontières de notre monde. Ils y auraient rencontré des êtres chers, des connaissances, des personnages connus, voire des personnes décédées dont ils ignoraient le décès ou... parlé à Jésus. À leur "retour", certains ont même décrit les paysages qu'ils avaient vus dans ces mondes parallèles. Ces relations ne sont que la modernisation des très anciennes croyances concernant les chamanes 60, toujours vivaces dans les croyances orientales, notamment celles des bouddhistes tibétains. Ces derniers relatent les rencontres qu'ils font avec les morts dans le monde "au-delà" où ils voyagent en état de transe. Certains "voyageurs", qui prétendent avoir vécu de telles expériences mais les ont oubliées, demandent à les revivre sous hypnose.
Quant aux "croyances" des
scientifiques sur le sujet (je dois ici utiliser ce terme
"croyances", puisque l'existence des mondes parallèles n'est
pas démontrée), selon un sondage réalisé
par le chercheur américain David Raub en 1995
auprès de 72 physiciens :
58 % des physiciens pensent qu'il existe des univers multiples (dont
Stephen Hawking).
18 % n'acceptent pas cette théorie (dont Roger Penrose).
13 % admettent la possibilité, mais n'en sont pas
convaincus.
et 11 % sont sans opinion (publié dans Sciences et Avenir, # janvier 1998).
Conclusion.
On voit ainsi les conséquences des découvertes
mathématiques et des nouvelles conceptions physiques sur
l'invention littéraire, qui témoigne d'une
insatisfaction profonde des hommes concernant leur monde quotidien.
Le monde vécu, celui des qualités sensibles, est delui
des impressions et des sentiments, et donne lieu à des
états de conscience dont la recherche scientifique et l'avenir
en prospective ne tient pas compte. Les hommes, se sentant
abandonnés dans ce monde incompréhensible, sans
perspectives, et, à la dérive souffrent. Le rôle
du chercheur critique est certes de situer les choses à leur
place, le monde de la vérité et des sciences,
école de rigueur, mais leur travail de compréhension ne
peut combler les aspirations d'une vie humaine définie par des
systèmes de culture ancestraux, qu'on ne peut pas brutalement
exclure de nos mémoires.
Roland Ernould © février 2003.
Notes :
1 Du nom de Copernic, dont il sera question plus loin.
2 Jean Piaget et Bärbel Inhelder, La notion de géométrie chez l'enfant, PUF, 1996. Psychologue et épistémologue suisse (1896-1980) Piaget a, en de nombreux ouvrages, analysé les structures successives du savoir. Il a montré que sa construction est orientée de l'ontogénèse des notions vers une conceptualisation toujours plus abstraite et générale.
3 Voir Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, PUF, 1957. Le philosophe Bachelard (1884-1962) a dressé un inventaire de l'imaginaire dans plusieurs autres ouvrages : Psychanalyse du feu, Gallimard, 1938; L'Eau et les rêves, Corti, 1942; L'Air et les songes, Corti, 1943; La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948; La Poétique de la rêverie, P.U.F., 1960. Des rééditions existent dans diverses collections de poche
4 Le « double» plusieurs fois mis en scène par Stephen King se rattache à la notion perturbée de l'espace.
5 J'ai encore vu des maçons locaux utiliser cette pratique il n'y a pas longtemps.
6 Apparition, manifestation du sacré. Mircea Eliade, Histoire des religions, 1964, 47/8.
7 Plus tard, dans des perspectives différentes, le roi de France était le représentant de Dieu sur terre.
8 On peut d'ailleurs être surpris de cette survivance dans les pays occidentaux relativement rationalisés. Pour certains croyants, le Dieu du ciel continue nécessairement à être "vu" comme étant au-dessus de la tête de ceux qui se le représentent mentalement toujours comme jadis, alors que tous les corps de l'espace sont en mouvement, sans dessus ni dessous..
9 Expression utilisée plusieurs fois dans Le Talisman et Les Territoires.
10 La Bible, Livre d'Ezechiel, 1,4. La description est longue et comprend des éléments fantastiques intéressants, comme : "L'esprit du Vivant était dans les roues. (...) Quand ils [les "Vivants"] avançaient, elles avançaient; quand ils s'arrêtaient, elles s'arrêtaient; quand ils s'élevaient de dessus terre, s'élevaient les roues en même temps qu'eux, car l'esprit du Vivant était dans les roues." Dans ce court passage on trouve par exemple la puissance de l'esprit sur la matière et la lévitation.
11 Dans L'Histoire véritable. Il ne s'agit évidemment pas de science-fiction au sens où on l'entend maintenant. Écrivain grec (125-192) qui nous a laissé plus de quatre-vingt récits divers (dont une trentaine d'attribution douteuse), Samosate est un esprit libre et sceptique, à la façon de Voltaire. Dans certains de ses écrits, il s'est attaqué à la mythologie et aux anciennes croyances, aux sectes, aux préjugés.
12 Les Solaires, coureurs de vent qui vont au combat avec de larges chemises comme voiles, contre les Lunaires. On trouve quantité de détails pittoresques ou bizarres dans cette oeuvre, des cavaliers lunaires montés sur des oiseaux (des buses à à trois têtes), des archers montés sur des puces douze fois plus grosses que des éléphants, des tireurs de petits pois, des oiseaux-salades dont les plumes sont faites de feuilles de laitue, etc.
13 Astronome polonais, Nicolas Copernic (1473-1543) n'est pas l'inventeur de l'héliocentrisme, connu depuis l'antiquité. Mais son ouvrage De revolutionibus orbium coelestium libri VI (1543), premier traité moderne d'astronomie héliocentrique, eut un succès considérable. Le fonctionnement du système solaire y était décrit de façon satisfaisante, compte-tenu des connaissances du temps, avec l'erreur d'un mouvement de déplacement circulaire des planètes uniforme, erreur corrigée ensuite par Kepler.
14 Astronome allemand, Johannes Kepler (1571-1630) découvrit que le mouvement des planètes était elliptique et ouvrit la voie à l'astronomie moderne (Astronomica Nova, Harmonia Mundi, 1619). À noter que Képler signale avec justesse, dans son roman, les nombreux problèmes inhérents à un vol lunaire. Mais, n'ayant pas trouvé de moyens techniques satisfaisants pour le réaliser, il tourna la difficulté en se plaçant dans le domaine du rêve. Ses créatures lunaires sont moins fantaisistes que celle de Samosate, elles ont la peau très dure et séjournent dans des grottes pour éviter l'ardeur des rayons solaires.
15 Physicien et astronome italien, Galileo Galilei (1564-1642) se rallia au système du monde proposé par Copernic, dénoncé alors comme hérétique. Il en précisa plusieurs caractéristiques dans un traité, mais dut l'abjurer devant l'Inquisition.
16 L'astronaute de la mythologie, Icare, se construisit des ailes avec des plumes et de la cire, et ainsi put voler. Mais, négligeant les conseils de son père Dédale (le constructeur de labyrinthes), il alla trop près du soleil et la cire fondit. Il tomba dans la mer, première victime de la conquête spatiale...
17 Cyrano de Bergerac (1619-1655), fut disciple de Gassendi, dont il reprit les vues matérialistes sur la nature et la politique. Il les romança dans des récits imaginaires : Histoire comique des États et des Empires de la Lune (1657) et Histoire comique des États et des Empires du Soleil (1662).
18 Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), second soir. Croyant pessimiste au progrès, Fontenelle (Bernard Le Bovier de F., 1657-1757) envisage la possibilité d'autres mondes habités par d'autres êtres. Un bel acte de foi, la première montgolfière ne prendra en effet l'air qu'en 1783, cent ans plus tard.
19 Irlandais (1667-1745), auteur des Voyages de Gulliver (1726). Cette oeuvre annonce la fantasy, avec par exemple, dans le pays des Houyhnhnms, des chevaux vertueux et bons tiennent sous leur dépendance les Yahoo, des êtres humains dégénérés.
20 Il manque une histoire approfondie de l'apparition des motifs utilisés en science-fiction et en fantasy. Par exemple, l'île d'Avalon, pour rester dans le domaine des îles, semble appartenir à un monde parallèle. Dans ce domaine de la fée Morgane, la maladie, la vieillesse et la mort sont inconnues (idée empruntée aux légendes celtiques liées au mythe du paradis), les arbres portent des fruits toujours mûrs, etc.
21 On pourrait en citer d'autres, comme le Voyage de Nicolas Klimius dans le monde souterrain du danois Louis de Holberg (1684-1754) un auteur de pièces de théâtre. Dans son roman humoristique (1741), le héros tombe dans un puits et disparaît pendant douze ans dans d'autres mondes : la planète Nazar, où les habitants ont l'aspect d'arbres, puis dans la planète Martinia, où les habitants ressemblent à des singes... Ou comme : L'Isle enchantée, épisode de la Lusiade (1572), par Luis de Camoens ; Voyage de l'isle d'amour (1663), par l'abbé Paul Tallemant; Relation de l'ïle imaginaire et histoire de la Princesse de Paphlagonie (1659), par Segrais; Voyage merveilleux du prince Fan-férédin dans la Romancie, par le père Bougeant (1735); Les Hommes volants ou les aventures de Pierre Wilkins (1750), par Robert Paltock L'Isle taciturne et l'Isle enjouée, ou Voyage du génie Alaciel dans ces deux îles (1759), par Nicolas Bricaire de la Dixmerie ;Voyage de Milord Céton dans les sept planètes, ou le nouveau Mentor, par Marie-Anne de Roumier-Robert (1787).
22 1777-1855. Il a publié de nombreux travaux mathématiques et physiques (il est surtout connu pour ses découvertes sur le magnétisme), mais rien sur la nouvelle conception de l'espace, qu'il traitait cependant durant ses cours. C'est son élève Riemann qui a repris ses travaux et donné son nom aux géométries dites "riemanniennes" par opposition à la géométrie euclidienne.
23 Nikolaï Lobatechevski, 1792-1856. En même temps que lui, le hongrois Janos Bolyai (1802-1860) parvient à des résultats semblables dans La Vraie science de l'espace (1832).
24 Le mathématicien allemand August Ferdinand Möbius (1790-1866) développa les premiers aspects du calcul vectoriel, mais il est surtout devenu célèbre par la singularité topologique qui porte son nom. La topologie est la partie des mathématiques qui étudie les notions de continuité et de limite.
25 Le mathématicien allemand Felix Klein (1949-1925) travailla sur la notion de groupe en géométrie.
26 Du latin frangere, briser et fractus, irrégulier, morcelé. Benoît Mandelbrot est né en 1924.
27 Isaac Newton (1642-1727), physicien, mathématicien et astronome. Dans Principes mathématiques de philosophie naturelle, il énonça les concepts fondamentaux de la mécanique (force, masse, accélération), la loi fondamentale de la dynamique ("la force qui meut un corps est égale au produit de sa masse par l'accélération des son mouvement"), et son explication du monde. Entre autres, il énonçait les lois du choc, les mouvements des fluides, la théorie des marées, etc.
28 L'idée était dans l'air. Hermann Minkowski , dont les travaux portaient sur les espaces vectoriels réels normés et les parties convexes de Rn, fut, à Zürich, un des professeurs d'Albert Einstein, qu'il incita à formuler les bases de la relativité restreinte dans un espace vectoriel réel de dimension 4 (espace temps).
29 Albert Einstein (1879-1955) la publia en 1916.
30 300.000 kms/seconde, soit 1.080 millions de kilomètres/heure... Inutile de comparer la vitesse de nos fusées actuelles.
31 Le physicien allemand Werner Heisenberg est l'un des fondateurs de la théorie quantique (Prix Nobel 1932). Comme autres fondateurs, l'allemand Max Planck (1858-1947) qui émit l'hypothèses selon laquelle les échanges d'énergie s'effectuent de manière discontinue, par "grains" d'énergie (Prix Nobel 1918), et le français Louis de Broglie (1892-1987) qui a fait progresser la mécanique ondulatoire (prix Nobel 1929)
32 Domaine en pleine recherche. Certains trous noirs représenteraient, selon les hypothèses, le stade ultime d'évolution d'étoiles. Les galaxies actives et les quasars abriteraient en leur centre un trou noir dont la masse atteindrait 100 millions de fois celle du soleil (les quasars sont des astres plus petits que des galaxies, mais plus lumineux. L'origine de leur extraordinaire luminosité est attribuée à) du gaz tombant dans un "trou noir" situé en leur centre).
33 Emmanuel Kant, philosophe allemand (1724-1804). dans Critique de la raison pure (1781), Kant faisait des "catégories" de l'espace et du temps des principes a-priori. Pour Kant, la structure de l'espace constitue un cadre de notre perception, antérieure à l'expérience des choses. L'espace euclidien ferait partie de même de la structure de notre esprit, et Kant déclarait impossible la conception d'un espace différent. L'espace euclidien aurait ainsi un caractère de nécessité absolu. En moins d'un siècle, Kant était démenti par la mise au point des géométries non-euclidiennes.
34 Flatland, a romance of many dimensions, 1884 Traduit de l'anglais, éd. 10/18.
35 Un épisode est consacré à la description de Pointland, un pays à zéro dimension, et à la psychologie de l'habitant : "Il est lui-même son propre Monde, son propre Univers ; il est incapable d'imaginer autre chose que lui-même ; (...) il n'a pas la moindre idée de la Pluralité ; car il est pour lui-même l'Unique et le Tout, bien qu'il ne soit rien en réalité. Observez cependant combien il est content de lui ; cela doit vous apprendre que la satisfaction de soi-même trahit un être vil et ignorant.".
36 Jacques Baudou, La science-fiction, PUF Que Sais-Je, 2003, 106. Voir note de lecture.
37 Robert Heinlein (USA, 1907-1988) est un écrivain difficile à saisir, à la fois méprisé et admiré (pour En terre étrangère (1968).
38 William Hope Hodgson (USA, 1877-1918) fut un des premiers à fantasmer sur les mystères des profondeurs (c'est un ancien marin) et fut un des ancêtres de Lovecraft. La Maison du bord du monde (The House on the Bordeland, 1908), Livre de poche 7002.
39 Écrivain anglais (1878-1945), auteur A Voyage to Arcturus (1920) et Sphinx (1923).
40 Abraham Merritt (USA, 1884-1943). Ce journaliste devenu écrivain s'attache principalement à la découverte des civilisations inconnues qui peuplèrent autrefois le passé de la Terre. Mais il a choisi de traiter ses sujets comme des aventures épiques, avec un schéma identique : ses héros vivent des aventures fantastiques en s'opposant aux forces gigantesques des divinités antiques. Abondante production, dont on peut retenir : Le Gouffre de la Lune (1918), Le Visage dans l'abîme (1923), La Nef d'Isthar (1924) et Les Habitants du mirage (1932).
41 Celui qui chuchotait dans les ténèbres, (The Wisperer in Darkness, 1930), in Oeuvres Complètes, édition en 3 volumes, établie et présentée par Francis Lacassin, Laffont Bouquins éd., I, 301.
42 Les habitants du mirage (Dwellers in the Mirage, 1932), J'ai Lu 557.
43 La maison de la sorcière (The Dreams in the Witch-House, 1932), in Oeuvres Complètes, I, 468.
44 Idem, 469. Lovecraft en profite pour glisser cette remarque de l'étudiant évaluant les dimensions bizarres de la pièce : "On ne sait quelle circonstance avait donné, plus ou moins soudainement, à une vieille femme quelconque du XVIIe siècle l'intuition mathématique qui dépassait peut-être les recherches modernes plus poussées de Planck, de Heisenberg, d'Einstein et de Sitter." Idem, 463. Allusion à Wilhelm de Sitter, astronome hollandais (1872-1934), connu pour son modèle d'univers vide à densité nulle, physiquement inacceptable.
45 Howard Lovecraft (USA, 1890-1937) tenta, dans ses nouvelles fantastiques de fondre les acquisitions scientifiques de son époque avec ses fantasmes oniriques, dans la lignée d'Edgar Poe et d'Arthur Machen. Il est connu par l'invention d'un livre maudit, Le Necronomicon, qui apparaît dans de nombreuses oeuvres. Voir : LOVECRAFT ET KING - DU NÉCRONOMICON AU LIVRE
46 Celui qui chuchotait dans les ténèbres,op. cit., I, 301.
47 Les Habitants du mirage (Dwellers in the Mirage, 1932), J'ai Lu, 293.
48 Le Gouffre de la lune (The Moon Pool, 1918), J'ai Lu, (296).
49 Denis Guiot, Dictionnaire de la Science-fiction, Livre de poche Jeunesse, 1998, 206.
50 Christine Renard, À la croisée des parallèles, 1981, recueil qui comporte aussi des oeuvres de Claude Cheinisse.
51 Auteur de romans policiers passé à la science-fiction (USA, 1906-1972), célèbre pour son roman Martiens go home (Martiens Go Home!, 1955)
52 L'Univers en folie (What Mad Universe, 1949), Denoël.
53 Rédacteur en chef de la célèbre revue de SF américaine Astounding de 1937 à sa mort, John Campbell Jr (1910-1971) eut une influence considérable sur les milieux de la science-fiction.
54 Les physiciens ont calculé des «univers» comprenant plus que les quatre dimensions d'espace-temps habituelles. Ils ont imaginé des modèles mathématiques où notre Univers en posséderait 10 et davantage au lieu des quatre dimensions familières. Toutefois, ils s'entendent pour considérer que ces dimensions additionnelles - ou hyperespaces - sont des milliards de fois plus petits que le noyau d'un atome. Seules des particules subatomiques pourraient y entrer et en ressortir. Ce qui n'empêche pas les auteurs de science-fiction de se délecter des possibilités offertes par un Univers à multiples dimensions.
55 Jacques Baudou, La science-fiction, op. cit., 69.
56 Clifford D. Simak (USA, 1904-1988), auteur optimiste et plein de sagesse, a abordé tous les thèmes de la science-fiction dans ses romans : Demain les chiens (City, 1952), J'ai Lu; Au carrefour des étoiles (Way Station, 1963), J'ai Lu; et des nouvelles : La croisade de l'idiot (The Worlds of Simak, 1960).
57 Dan Simmons (USA, 1948-.), auteur de L'échiquier du mal (Carrion Comfort, 1989) et le cycle Hypérion (Hypérion, 1989; The Fall of Hypérion, 1990).
58 Voir mes études : LES EXTRATERRESTRES dans l'oeuvre de King avant Dreamcatcher et Dreamcatcher : SÉDUCTIONS ET FAIBLESSES DU TERRIEN .
59 Voir ma note de lecture : David Dubois, Dieu et les extraterrestres, éd. Naturellement, coll. Témoins, 2002.
60 Dans les sociétés archaïques, le chamane peut entrer en communication avec d'autres chamanes ou avec des individus ordinaires. Il pratique la lecture de la pensée, la communication à distance, la direction autosuggestive des rêves et extase. Il a des pouvoirs paranormaux de connaissance : précognition, vision à distance, prévision exacte du temps, ouverture de certaines portes surnaturelles. Il se déplace dans des espaces-autres et y rencontre les "esprits" Le pouvoir paragnomique semble parfois aller de pair avec la compréhension de langues étrangères inconnues. Il utilise d'étranges pouvoirs «physiques» sur la matière ou suspend les lois naturelles connues. Il a le privilège de ne pas se brûler qui lui a été transmis par son ancêtre mythique, etc. Voir Michel Perrin, Le Chamanisme, 1995, PUF Que Sais-Je?, 1995.
La Fantasy dans Le Talisman et Les Territoires. Les mondes parallèles de la Tour Sombre |
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