"Quand le film a repris,

nous avons entendu le sinistre écho de la voix des extraterrestres :
"Surveillez votre ciel... un avertissement viendra du ciel... surveillez votre ciel." (Anatomie de l'horreur, 19)

Des rayons entiers de bibliothèques peuvent être remplis de romans ayant pour motif les extraterrestres, et de multiples films et séries ont été consacrés à ces créatures les plus filmées du cinéma de fiction et d'horreur. Sous les formes les plus variées, et avec des intentions très différentes, pacifistes ou belliqueuses, les extraterrestres ont une fonction philosophique¹ non négligeable : ils sont évidemment les doubles des hommes, comme eux anges ou démon, et sonts destinés à nous renvoyer à notre image. King n'a que peu utilisé les extraterrestres : présents psychiquement dans Les Tommyknockers ², mais absents du roman, ils manifestent leur présence changeante dans d'autres romans ou nouvelles de manière allusive : Ça³ est venu de l'espace dans une fusée il y a longtemps, plusieurs créatures indéterminables sont venues "d'ailleurs"(Le policier des bibliothèques ⁴ - Ardelia -, La tribu des dix plombes ⁵ - les batmen). Avec ce roman, Dreamcatcher ⁶, consacré entièrement à des extraterrestres, King apporte sa pierre au mythe compliqué de l'extraterrestre qu'il enrichit d'une variante, l'extraterrestre partagé entre sa mission et le désir de goûter aux "nourritures terrestres".

du site ..

Dans Anatomie de l'horreur ⁷, King raconte qu'en 1957, un samedi après midi au cinéma, la séance a été interrompue par le gérant, venu annoncer sur la scène que les Russes avaient envoyé un satellite (Spoutnik) en orbite dans l'espace (14) : "Quand le film a repris, nous avons entendu le sinistre écho de la voix des extraterrestres : "Surveillez votre ciel... un avertissement viendra du ciel... surveillez votre ciel." (19) À son habitude, ce grand amateur de films de SF et d'horreur dès sa plus tendre jeunessese lance dans des réflexions d'adulte bâties sur celles certainement moins nettement formulées alors par l'enfant : "Dans Le jour où la terre s'arrêta ⁸ ,

un extraterrestre nommé Klaatu (Michael Rennie dans un survêtement intergalactique d'un blanc étincelant) atterrit en plein centre de Washington à bord de sa soucoupe volante (...). Klaatu descend de sa passerelle et s'immobilise, fixé par plusieurs regards horrifiés et par une bonne centaine d'armes à feu. C'est une scène de tension mémorable, que le souvenir ne fait que rendre plus attachante - le genre de scène qui transforme les gens comme moi en mordus de cinéma. Klaatu commence à tripoter un genre de gadget - si mes souvenirs sont bons, ça ressemblait à une tondeuse à gazon miniature - et un soldat à l'index trop nerveux lui tire une balle dans le bras. Bien entendu, on apprendra par la suite que ce gadget était un cadeau destiné au président. Rien à voir avec un rayon de la mort; un simple communicateur interstellaire." (7) Les spécialistes ont appelé classé les films et les romans de cette nature dans la variante "recherche de contact", que l'on retrouvera plus loin.

Voir mon étude KING ENFANT ET LE CINÉMA dans Ça

Une autre variante est celle de l' "invasion", dans la version où la terre insouciante est brutalement envahie par des êtres venus de l'espace (l'autre version est celle des terriens envahissant d'autres mondes). King va donc comparer Le jour où la terre s'arrêta, film de contact, à une variante "invasion", Les soucoupes volantes attaquent ⁹ : "Les occupants des soucoupes volantes étaient nettement moins sympathiques. Là où Michael Rennie composait un Klaatu à la noblesse empreinte de tristesse, ces extraterrestres-là ressemblaient à des arbres vivants extrêmement maléfiques, avec un corps flétri et tortueux et un visage de vieillard irascible.
Plutôt que d'apporter un communicateur au président, comme un ambassadeur entrant dans ses fonctions qui souhaite témoigner de l'estime de sa patrie pour un pays ami, les occupants de ces soucoupes volantes apportent des rayons de la mort, des dégâts considérables et éventuellement la guerre totale. Le tout - et en particulier la destruction de Washington - rendu de façon merveilleusement réaliste par Ray Harryhausen, un technicien des effets spéciaux qui allait au cinéma avec un certain Ray Bradbury quand il était gamin."

King va prendre appui sur la comparaison de ces films pour différencier ces deux approches de la science-fiction, la science-fiction pure et la science-fiction d'horreur : "Klaatu est venu tendre la main de l'amitié et de la fraternité. Il propose aux peuples de la Terre d'adhérer à un genre d'ONU interstellaire - à condition que nous puissions renoncer à la fâcheuse habitude que nous avons de nous exterminer les uns les autres. Les extraterrestres des Soucoupes volantes attaquent n'ont qu'un seul but : la conquête; ils forment la dernière armada d'une planète mourante, incroyablement vieille et avide, et ils ne sont pas en quête de paix mais de pillage. Le jour où la terre s'arrêta est un oiseau rare : c'est un authentique film de science-fiction. Les créatures millénaires des Soucoupes volantes attaquent sont les émissaires d'une espèce cinématographique bien plus répandue : le film d'horreur. Pas question pour eux de proférer des stupidités du genre : «C'était un cadeau pour votre président»; ces types-là descendent sur Cap Canaveral où Hugh Marlowe dirige le Projet Slyhook et commencent à foutre la merde.
Je pense que c'est dans le fossé séparant ces deux philosophies qu'a été semée la graine de la terreur. S'il existe une ligne de force entre ces idées diamétralement opposées, c'est presque certainement là que la terreur a germé." (8/9)

Un autre remarque de King porte sur les causes politiques de ce qui n'apparaît que comme un divertissement : "Revenons une dernière fois à ce mois d'octobre 1957. Aussi absurde que cela puisse paraître, Les soucoupes volantes attaquent ont bel et bien acquis une signification politique. Derrière cette histoire mélodramatique d'invasion spatiale, nous trouvons un avant-goût de la guerre ultime. Les monstres avides et flétris qui pilotent ces soucoupes sont en réalité les Russes; la destruction du Monument de Washington, du Dôme du Capitole et de la Cour suprême - rendue crédible par les extraordinaires effets spéciaux de Ray Harryhausen - est exactement identique à celle que nous nous attendons à contempler le jour où les bombes A nous tomberont sur la tête.
Puis arrive la fin du film. La dernière soucoupe a été abattue par l'arme secrète de Hugh Marlowe, un fusil à ultrasons qui dérègle les moteurs électromagnétiques des astronefs, ou une stupidité attendrissante de ce genre. Dans toutes les rues de Washington, des haut-parleurs beuglent le message suivant : «Tout danger est écarté... pour le moment. Tout danger est écarté... pour le moment. Tout danger est écarté pour le moment.» La caméra nous montre un ciel dégagé. Les monstres millénaires au rictus sinistre et au visage de vieillard ont été vaincus. Cut sur une plage californienne, déserte comme par magie, où se promènent Hugh Marlowe et sa toute nouvelle épouse (bien entendu, il s'agit de la fille du Vieux Militaire Bougon Mort pour la Patrie); ils sont en pleine lune de miel.
«Russ, lui demande-t-elle, est-ce qu'ils reviendront un jour?»
Marlowe contemple sagement le ciel, puis se tourne vers sa femme. «Pas par une aussi belle journée, dit-il d'une voix apaisante. Et pas dans un monde aussi beau.»
Main dans la main, ils courent vers les vagues, et apparaît le générique de fin." (21)

La situation des hommes face aux extraterrestres n'est donc pas simple : pour eux, les extraterrestres peuvent être aussi bien une menace qu'une espérance.

Nous ignorons si nous sommes seuls dans l'univers. On peut trouver des traces d'OVNIS ¹⁰ ou de leurs créatures tout au long de l'histoire, dans les folklores de bon nombre de pays. L'imaginaire ancestral a souvent associé le savoir des chamanes, ou les prédictions des prophètes à des contacts avec des créatures étrangères à notre monde : nos dieux seraient d'anciens extra-terrestres qui nous auraient donné une partie de leur savoir et que nous aurions jadis transformés en mythes. Les extraterrestres seraient des entités (appelées "elementals" par les occultistes, qui occupent l' "astral". Les univers sont complexes et comportent des plans parallèles, qu'il est possible de franchir par des moyens techniques que nous n'avons pas, mais que d'autres peuvent avoir. Il y a de tout dans l'ufologie, l'étude des OVNIS, des recherches sérieuses venant d'organismes sérieux comme comme le SETI, comme des élucubrations les plus farfelues.

Il en résulte qu'une majorité d'Occidentaux "croient" aux OVNIS, et aux extraterrestres ¹¹. La plupart des scientifiques affirment qu'il y a des raisons de penser que la vie (mais sous quelle forme?) existe dans l'univers, et que la terre n'en a pas le monopole. Il est cependant notable que l'anthropomorphisme millénaire a tendance à imaginer la vie ailleurs sous la forme d'êtres assez proches des apparences humaines, alors qu'il n'y a aucune raison de penser ainsi.

Bref historique.

Certains ont cru reconnaître la référence à un OVNI dans La Bible avec le char de feu décrit par le prophète Ezechiel ¹². D'autres témoignages d'objets ou de créatures étrangères ont fait le bonheur d'auteurs de dizaines de livres sur le sujet.
Du Moyen-Âge au XVIIIème, on fait état de phénomènes extraordinaires, de chasses infernales, d'apparitions en forme de cercle, de croix, etc et dont les rationalistes disent que leur prétendue existence est due à l'imagination collective devant des phénomènes atmosphériques mal interprétés (aurores boréales, par ex.) Avec les progrès des machines, on voit des poissons, chars ou navires volants (des tableaux du peintre flamand Jérôme Bosch (vers 1500) en sont remplis). À la fin du XVIIème, Fontenelle met l'astronomie à la portée du grand public dans plusieurs entretiens sur l'astronomie, dans l'esprit des Encyclopédistes. La Pluralité des mondes (1686) envisage rationnellement la perspective qu'il y ait d'autres créatures dans le monde.
Au XIXème, les progrès intégrés avec l'idée du progrès technique, tout retombe sur terre et on s'intéresse davantage à la magie, aux médiums aux manifestations physiques, de Mesmer à Cagliostro. Marqués par La Guerre des Mondes, de H.G. Wells (1898), le prototype des romans d'invasion, les romans spécialisés font un usage intensif de ces créatures.

Les extraterrestres reviennent dans la grande actualité populaire avec d'autres apparitions après la seconde guerre mondiale, et surtout à partir de 1947. Certains remarquent alors que, curieusement, dans les pays protestants on voit des OVNIs et des extraterrestres, alors que dans les pays catholiques on en est resté aux apparitions mariales (La Salette, Fatima)...

Le véritable début du phénomène «soucoupe volante» est, comme souvent avec l'imagination humaine, visionnaire et anticipe à partir de deux caractéristiques :
- le fait que la technologie permet la conquête de l'espace (esprit pionnier)
- le fait qu'elle permet aussi des modes d'espionnage et de surveillance nouveaux, dont la «guerre froide» donne de multiples exemples.

Les interprétations.

Plusieurs interprétations seront successivement données :

1. psychologique : rumeurs ou hallucinations

2. interprétation par l'égregore : l'hallucination collective est produite par l'exhalaison magique des foules, l'égregore. Ce phénomène relève suivant les versions d'une communication sur le "plan astral par un groupe humain qui peut susciter des apparitions diverses (dont l'image d'une soucoupe volante). La version des parapsychologues l'explique par l'existence de facultés "psi". Le religieux Marc Oraison pensait que les apparitions mariales et celles des OVNIS appartenaient au même phénomène, les croyances qui excitent l'imaginaire des peuples.

3. Les OVNIS existent, pour l'instant inexpliqués, mais ils ne sont pas liés à la venue d'êtres intelligents venus du cosmos.

4. Les OVNIS sont des vaisseaux interstellaires habités par des êtres intelligents.

5. Les OVNIS viendraient d'une "autre dimension", ayant bénéficié d'une "porte" cosmique entre les dimensions.

6. Le phénomène OVNIS ne pouvant être expliqué par la science "officielle", peut l'être par une "science ouverte" par la "théorie du paradoxe". Il faut dépasser la distinction entre objectif et subjectif, et accepter de penser que le phénomène OVNI, comme d'autres, participe à la fois du mythe et de la réalité physique.

Représentations des OVNIS et des extraterrestres.

L'imaginaire humain a pu se donner libre cours dans l'invention de représentations d'engins très différentes par leur taille et leur forme. Les dessins et les photos-montage de la presse à grand tirage, des magazines, BD et couvertures de romans de SF, surtout les films ont conduit à une iconographie remarquable, ce qui explique la diversité des "témoignages" de ceux qui croient avoir vu un OVNI (plusieurs millions aux USA!). L'aspect le plus souvent évoqué est celui d'un grand disque (plusieurs centaines de mètres). D'autres formes souvent citées sont les cigares et les triangles. Les OVNIS ne se posent que dans des endroits isolés. Les pannes de systèmes électriques (notamment des voitures) sont souvent signalées.
Les extraterrestres ont des représentations tout aussi variées.

- L'illustration caricaturale est celle du "petit homme vert", que l'on représente presque toujours sous une forme humoristique.

- Des extraterrestres ont une forme générale et une taille qui les différencie peu des êtres humains, avec lesquels ils peuvent se confondre. Ils ne s'en distinguent que par des différences de détail ou le plus souvent de facultés exceptionnelles ou particulières.

- Des extraterrestres à apparence humaine, démoniaques, sont appelés généralement les "hommes en noir". Ils sont une métaphore de la 5ème colonne nazie ou des espions russes, l'obsession des Américains des années cinquante.

- Les "Gris" sont des humanoïdes à la peau grise ou terne, parfois fripée. Ils ont un corps malingre, des membres fragiles, une bouche étroite, des yeux en forme d'amande, des orbites enfoncées dans la tête qui ressemble à celle d'un foetus.

- Des formes animales sont également données, qui vont de l'apparence de la peluche à diverses créatures animales. Parmi lesquelles les avatars du serpent biblique, sous la forme d'amphibiens ou de reptiles.

- Diverses formes de crustacés et d'insectes.

- Et enfin le dernier apparu, l'extraterrestre polymorphe, une créature qui se métamorphose d'humain en insecte, et d'insecte en animal. L'extraterrestre polymorphe a été rendu possible par l'imagerie assistée par ordinateur.

- À noter aussi la tendance des extraterrestres à être de plus en plus visqueux, avec des fluides dégoulinants.

Des «témoignages» font état d'humains enlevés, ayant subi des tests dans les soucoupes, ou devenus porteurs d'implants. La presse populaire (2 millions d'Américains "auraient vu" des OVNIS), et l'édition spécialisée dans les livres d'insolite exploitent systématiquement le sujet.

Les extraterrestres font partie de la mythologie contemporaine ¹³ où le merveilleux s'est coloré de technologie et de science. Le «ciel» des religions est devenu l' «espace», en conservant, dans l'imaginaire collectif sa puissance d'évocation antérieure. À ce titre, ils sont un objet important de croyance pour l'imaginaire contemporain, et particulièrement favorable à diverses interprétations sociologiques. Les sociologues classent ces croyances en fonction des raisons historiques qui ont pu leur donner naissance.

La période de la guerre froide.

Cette période a été marquée par la rivalité militaire et la conquête de l'espace, où les premiers à avoir mis en orbite un engin dans l'espace étaient les Russes, avec l'envoi du Spoutnik dans l'espace. À cette époque, marquée par la phobie de l'espionnage, circulent de nombreuses histoires d'armes secrètes envoyées par les Russes. Les premiers débris d'un objet volant seront ramassés à Roswell, au Nouveau Mexique, en juillet 1947 ¹⁴.

Dès lors, les extraterrestres serviront à assouvir craintes et espoirs.

1. Crainte d'être vaincu par l'URSS : les Américains imaginent que les extraterrestres viennent pour les asservir ou les détruire. De cette époque datent les films représentant les extraterrestres comme des monstres, aux formes variées, avides de destruction et tuant sans hésiter les humains. La science-fiction sert à traduire les hantises anticommunistes et devient aussi efficace que la «chasse aux sorcières», nom donné à la virulente campagne du sénateur McCarthy dans les années cinquante.

2. Crainte de voir les puissances en arriver à l'apocalypse planétaire : les rencontres ne sont plus agressives, les extraterrestres viennent pour empêcher USA et URSS de s'entredétruire. Inquiets devant la menace que présente l'utilisation des armes atomiques depuis l'explosion d'Hiroshima en 1945, les extraterrestres veulent établir un contact et nous avertir que nous sommes sur le point de nous suicider collectivement et souhaiteraient nous sauver de cette perspective en nous faisant profiter de leurs connaissances scientifiques. Les oeuvres résultant de ce courant joueront sur l'attente messianique d'êtres supérieurs, plus évolués techniquement, qui auront sagesse et volonté de paix entre les créatures.

Période de la décolonisation.

Les Occidentaux réfléchissent sur les problèmes politiques et moraux posés par la colonisation, jusqu'ici laissés dans l'ombre. Vis-à-vis des extraterrestres, ils se situent dans des perspectives où les êtres venus de l'espace se montrent supérieurs aux terriens qu'ils dominent. Ces types de domination (protection, aide, observation, ou surveillance et contrôle) sont transposés dans le comportement des extraterrestres, dans la mesure où ils reprennent les caractères connus d'une colonisation, dont on a pris conscience. Déjà on avait supposé qu'H.G. Wells avait pu transposer dans La guerre des mondes certains génocides africains dont il avait eu connaissance, notamment en Tasmanie par les colonisateurs anglais. L'extraterrestre apparaît aux futurs colonisés, les humains, comme le colon jadis aux indigènes : comment est cet envahisseur? comment va-t-il se comporter à notre égard? que deviendra notre mode de vie? Et de s'imaginer des Martiens venus nous imposer leurs religions et leurs coutumes, leur style de vie et leurs comportements alimentaires, comme nous avons procédé avec les Indiens ou les Africains...

Deuxième perspective, toujours avec cette idée que les extraterrestres ne peuvent que nous être supérieurs (ce qui en dit long sur l'idée que nos contemporains se font de leur civilisation et de leur crise d'identité). Les Terriens ne seraient que des inférieurs par rapport aux extraterrestres, dont ils auraient beaucoup à apprendre. Cette attitude serait inspirée par la même superstition que celle du culte-cargo des Mélanésiens analysée par Worsley en 1957 ¹⁵. Faute de pouvoir instaurer sur leur terre l'ère de paix et de prospérité à laquelle ils aspirent, les terriens attendent des extraterrestres une sagesse qu'ils n'ont pas, avec une idéologie scientifico-religieuse appropriée.

État des lieux.

Les témoignages abondent, et leurs contrôles s'avérent décevants. Le problème de la vie en dehors de la terre demeure entier. Dans la mesure où les recherches sérieuses demanderaient un effort financier important (officiellement, les gouvernements des USA et de l'URSS, longtemps intéressés, ne financeraient plus de vastes projets d'état), il ne reste que des organismes financés par des fondations ou des subsides divers pour poursuivre la recherche, dont le plus connu est le SETI (Search for Extra-Territorial Intelligence, Recherche sur l'intelligence extraterrestre). La NASA, organisme étatique, a son bureau de sciences spatiales et un programme d'exobiologie. Ces organismes ont un site internet ¹⁶). CONTACT, organisation professionnelle et scientifique soutenant des actions d'information et d'enseignement, regroupant des exobiologistes, des chercheurs SETI, des cryptographes, des sociologues et des anthropologues, ainsi que des auteurs de science-fiction) organise tous les ans un colloque et spécule sur les extraterrestres et les modalités de contact avec d'autres formes de vie.
De telles recherches sont peut-être destinées à demeurer vaines, mais elles peuvent aussi se révéler fort utiles en cas de besoin. Faute de prévoyance, les hommes ont réussi à rendre leur planète presque invivable. En resteront-ils au même stade d'imprévoyance quand l'«autre» se montrera à la porte?

Car si, dans l'état actuel de notre savoir, les probabilités de succès de ces recherches sont faibles, mieux vaut prévoir que subir dans l'improvisation, car de nombreuses questions restent en suspens :

- que ferions-nous si un signal de vie ou d'intelligence était détecté à distance? Comment communiquer? (les formes d'intelligences et les outils intellectuels dont elles se servent peuvent être fort dissemblables).
- Si une forme de vie réussissait à aborder notre planète, plusieurs problèmes seraient à résoudre :
quel serait le comportement des populations, globalement hostiles à toute intrusion?
les incertitudes de la communication ne risquent-elles pas de dégénérer en conflit?
les possibilités de coexistence biologiques rendent-elles souhaitables les contacts avec d'autres espèces?
si les extraterrestres se révélaient plus avancés que nous dans le processus de l'évolution, accepterions-nous de nous soumettre à leurs directives - même positives - dès l'instant où elles remettraient en cause les plaisirs auxquels nous sommes habitués?

Ces questions ne sont pas nouvelles : mais elles n'ont toujours pas eu de réponse...

Parmi les innombrables romans ayant pour sujet les extraterrestres, trois oeuvres me viennent à l'esprit qui me paraissent susceptibles d'être directement à l'origine des mises en scène de King. Il est certain que d'autres romans ou films ont, avant King, utilisé les premiers les idées qu'il utilise.

Pour la mousse, le byrus :

Dans La semence de Mars, Clark Ashton Smith¹⁷, un des épigones du mythe de Cthulhu ¹⁸, imagine une plante-animale martienne qui envahit la Terre. Seul être vivant de Mars, l'extraterrestre propose un échange : de l'eau contre la vie éternelle et une énergie inépuisable. Les hommes se divisent en deux blocs, les pro-Martiens, bâtissant une cité utopique sous les directives de l'extraterrestre et les anti-Martiens. Peut-on accepter d'être envahi? Smith propose également un choix aux terriens entre soumission profitable ou liberté menacée, choix qui n'intervient pas dans Dreamcatcher pour deux raisons : le problème de l'échange télépathie contre l'hébergement d'un saprophyte n'est pas posé,; ensuite les extraterrestres ne peuvent survivre dans le froid terrestre de l'hiver et la gestation ne s'opère pas suivant l'évolution biologique normale..

Pour la possession des humains :

Marionnettes humaines ¹⁹, de Robert Heinlein ²⁰, est la chronique d'une région américaine paralysée par des extra-terrestres, des boules de protoplasme, gélatineuses, animées de mouvements amiboïdes. Ils arrivent par astronef de la planète Titan. Ils se collent sur la nuque des hommes et s'emparent de la volonté de leur hôte. Ceux-ci deviennent immédiatement des esclaves , des marionnettes soumises complètement à la volonté de ces choses innommables , de ces "maîtres" à la fois malfaisants , despotiques et diaboliquement habiles. Ce roman est assez proche de L'invasion des profanateurs, de Jack Finney·Jack Finney ²¹.

Pour l'utilisation du retardé mental :

Dans la nouvelle de Clifford D. Simak ²², La croisade de l'idiot ²³, un brocanteur de village, découvre l'existence d'un tunnel établi dans la quatrième dimension, qui relie sa maison à un autre monde. Il permet de communiquer avec les extraterrestres. Mais pour que la communication puisse s'établir, il faut l'aide de l'idiot du village, télépathe, mais méprisé de tout le monde.

Tous ces auteurs sont abondamment cités dans Anatomie de l'horreur ou Pages noires, et font partie de ses références littéraires.

Comme dans Les Tommyknockers, King ne s'intéresse pas aux extraterrestres possédant des armes matérielles, pour se concentrer sur la domination de l'esprit. Probablement la peur de perdre son libre-arbitre et de continuer à contrôler son esprit.

Roland Ernould © mars 2002.

Notes :

¹ David Dubois, Dieu et les extraterrestres, éd. Naturellement, coll. Témoins, 2002. Voir aussi : Jean-Bruno Renard, Les extraterrestres, une nouvelle croyance religieuse?, Cerf/Fides, Coll. Bref no 7, 1988.

² Les Tommyknockers (The Tommyknockers). Première publication : 1987. Édition fr. Albin Michel 1989.

³ Ça (It). Première publication : 1986. Édition fr. Albin Michel 1988.

⁴ Le policier des bibliothèques (The Library Policeman); novella. Première publication : 1990. Dans le recueil Minuit 2, Minuit 4 (Four Past Midnight). 4 novellas, édition fr. Albin Michel 1991.

⁵ La tribu des dix plombes (The Ten O'Clock People). Première publication : 1993. Dans le recueil Rêves et Cauchemars.(Nightmares and Dreamscapes). Première publication : 1993. Édition fr. Albin Michel 1994.

⁶ Dreamcatcher (Dreamcatcher). Première publication : 2001. Édition fr. Albin Michel 2002.

⁷ Anatomie de l'horreur (Stephen's King Danse Macabre). Première publication : 1981. Édition fr. du Rocher, tome 1, 1995. (tome 2. PAGES NOIRES. Édition fr. du Rocher 1996).

⁸ Le jour où la terre s'arrêta, réalisateur Robert Wise, 1951.

⁹ Les soucoupes volantes attaquent, réalisateur Fred F. Sears, 1956.

¹⁰ La première expression était celle, plus populaire, de soucoupe volante (flying saucer) utilisée en 1947 par le journaliste américain Kenneth Arnold, rendant compte du témoignage d'un aviateur amateur qui avait vu ou cru voir neuf objets volants, accompagnés d'éclairs. Voir La rumeur de Roswell, de Pierre Lagrange, La Découverte, Enquêtes, 1996 et L'invention des soucoupes volantes, 1997..

¹¹ Il faut noter des singularités : beaucoup plus d'Américains - X-files et cinéma aidant - croient aux extraterrestres, mais continuent à refuser les théories de l'évolution des espèces et croient l'homme, créature à l'image de Dieu, unique, et non pas descendant d'un animal...

¹² Michael Lieb, Children of Ezekiel. Aliens, UFOs, the Crisis of Race, and the Advent of End Time, Durham, Duke University Press, 1998. Dans la vision du prophète de la Bible (premier chapitre du Livre d'Ézéchiel) , Lieb voit le germe de la technicisation du phénomène religieux en y lisant une vision céleste transcrite avec un vocabulaire aux accents techniques. Cette vision inaugurerait une évolution présentant le sacré en des termes technologiques. Symbole par excellence de la mythologie moderne, la soucoupe volante incarnera aussi un autre aspect de l'héritage d'Ézéchiel : la notion d'apocalypse.

¹³ Voir l'article de Jean-Bruno Renard, Dictionnaire des mythes d'aujourd'hui, sous la direction de Pierre Brunel, éd. du Rocher, 1999, pp. 267 à 275. Professeur à l'Université de Montpellier, Jean-Bruno Renard est l'auteur de Les Extraterrestres, une nouvelle croyance religieuse?, éd. du Cerf, 1988.

¹⁴ Ce qui conduira à une véritable légende, et à un faux film montrant la prétendue autopsie d'un petit homme vert... Voir La rumeur de Roswell, de Pierre Lagrange, La Découverte, Enquêtes, 1996

¹⁵ Peter Worsley, Elle sonnera, la trompette, le culte du cargo en Mélanésie, Payot, 1977. Les Mélanésiens ont cru à l'origine divine des biens américains apportés par avions et bateaux lors de la Seconde Guerre Mondiale.

¹⁶ SETI Institute, http://www.seti-inst.edu/ - NASA : http://www.exobiology.nasa.gov/Exobiology Program/ - CONTACT : http://www.cabrillo.cc.ca.us/contact/

¹⁷ Clark Ashton Smith (1893-1961) poète et écrivain, est surtout connu des lecteurs francophones en tant qu'auteur de contes et nouvelles fantastiques. Il en écrivit 110, dont une quarantaine tourne autour du monde imaginaire de Zoothique. Une bonne partie de son oeuvre a été traduite en français et publiée aux éditions Né vers 1980 en plusieurs recueils : La Gorgone, Le Dieu carnivore, et Morthylla, qui contient La semence de Mars.

¹⁸ Pilier de Weird Tales, il y publia plusieurs nouvelles d'inspiration lovecraftiennes, dont certaines ont été reprises dans Légendes du Mythe de Cthulhu, nouvelles rassemblées par Auguste Derleth : Talion et Ubbo Sathla, réédité par La Clef d'Argent, 2001.

¹⁹ Marionnettes humaines (The poupée masters, 1951), collection Le rayon fantastique, 1954, réédition collection "Présence du futur", 1972.

²⁰ Robert Heinlein (1907-1988) est un ancien officier de l'US Davy, qui a aussi bien écrit des romans jugés réactionnaires (Étoiles, garde-à-vous, Starship Troopers), que d'autres plus ouverts comme En terre étrangère (Stranger in a Strange Land), promu livre-culte par la génération contestataire de la fin des années soixante).

²¹ Jack Finney, L'Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers, 1955) Folio SF, n°27.

²² Clifford D. Simak (1904-1988) a écrit des nouvelles et une trentaine de romans, dont les réussites : Dans le torrent des siècles, Demain les chiens ou Le carrefour des étoiles.

²³ La croisade de l'idiot, recueil de 7 nouvelles, Denoël, Présence du futur, 52.

 

 .. du site Imaginaire

.. ... .

 .. du site Stephen King