Stephen KING ET LE PARANORMAL : LA PERCEPTION EXTRASENSORIELLE.

3. PROCÉDÉS MANTIQUES EN VOYANCE ET BILOCATION

 

"Voilà bien trois siècles que je n'ai tiré les cartes à personne,

et je soupçonne ne l'avoir jamais fait pour y lire un avenir tel que le tien. (...)
- Vas-y, fit le pistolero, la voix âpre. Dis-moi la bonne aventure."

(Le Pistolero et l'Homme en noir )

La parapsychologie se propose d'étudier des phénomènes de la vie humaine, bien réels pour ses partisans, prétendus pour les sceptiques. Qualifiés de «paranormaux», ces phénomènes ne relèvent d'aucune définition objective, n'ont pas de problématique définie et ne peuvent donc être intégrés dans les acquis scientifiques (les partisans de la parapsychologie appellent la science"officielle" par dérision). La voyance qui ne demande pas de moyens matériels spéciaux et s'effectue uniquement par l'esprit a été examinée dans une première partie; la télépathie dans une seconde. Sans vouloir épuiser le sujet de la place de l'occulte chez Stephen King, cette troisième partie sera consacrée à d'autres dispositions extrasensorielles1 : certains moyens de divination (procédés mantiques2) utilisés par King et la bilocation, toujours spectaculaire. Dans des études ultérieures seront examinés d'autres aspects du paranormal, l'aura et l'énergie occulte; les dispositions extrasensorielles particulières du médium; les manifestations de la P.K. : l'action de la pensée sur la matière que permettent par exemple les dons de Carrie ou de Charlie dans les romans éponymes.

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Cette étude fait partie d'une série de six, qu'il vaut mieux lire dans l'ordre suivant :

1. LA VOYANCE

2. LA TÉLÉPATHIE

* 3. PROCÉDÉS MANTIQUES EN VOYANCE ET BILOCATION

4. L'IMPORTANCE DU MÉDIUM dans l'oeuvre de King

5. UNE EXCEPTIONNELLE MISE EN SCÈNE DE L'AURA

6. L'ÉNERGIE VITALE..

PROCÉDÉS MANTIQUES UTILISÉS PAR KING.

Aussi loin que l'on puisse remonter dans leur histoire, les humains, ont toujours cherché à savoir ce que leur destinait le sort. L'abondance de la société de consommation n'a rien changé aux mentalités par rapport aux périodes de difficultés ou de disette : même besoin de savoir, même peur de l'avenir. La pythie n'est plus sur son trépied, elle habite un appartement tout confort avec ascenseur, gardant cependant les accessoires indispensables à ce qui est devenu une profession comme les autres. Les moyens se sont structurés, l'appel est fait aux symboles et aux archétypes. Plus instruits qu'autrefois, certains voyants ont modernisé leur discours sur l'interprétation de la lecture des cartes, des lignes de la main, de la boule de cristal, ou d'autres moyens de divination.

Tous supposent que l'avenir est prédéterminé, et que le grand livre de la destinée peut nous être ouvert avec les moyens appropriés. Dans ce cas, où sont notre liberté et notre responsabilité? A quoi sert d'être averti si on ne peut rien faire pour changer le cours des choses? C'est pourquoi la plupart des divins nuancent : oui, l'avenir est écrit, mais seulement dans ses grandes lignes. Plusieurs possibilités sont prévues, ce qui laisse une marge d'initiative et la possibilité de faire certains choix. La doctrine chrétienne de la prédestination ne fait que dire la même chose sous une autre forme : Dieu conduit l'univers dans les voies qu'il a prévues, mais il a laissé une certaine liberté aux hommes pour faire ou non leur salut.

La perspective d'un destin écrit, mais mal déchiffrable, qui laisse les hommes dans l'indécision quant à la voie à suivre, est celle que certains romanciers comme King préfèrent. Un roman ne se construit qu'avec une intrigue, et pour que son héros ne soit pas un jouet sans personnalité, autant feindre de croire que si une possibilité d'intervention reste à l'homme, il doit l'utiliser. Il peut ainsi affronter sa destinée sans avoir la tentation de jouer l'autruche et de se cacher la tête dans le sable.

Si les diverses formes de divination prennent une bonne place dans l'oeuvre de King, les procédés techniques de divination sont peu utilisés. On y trouve la cristallomancie, divination à l'aide de miroirs ou de boules de cristal : la boule de cristal est utilisée dans deux romans, en liaison avec Flagg, l'homme noir, qui en possède un dans Les Yeux du Dragon et Magie et Cristal. La planchette Oui-ja, souvent citée, intervient peu longuement dans les récits, sauf dans Le Fléau. La cartomancie, avec l'utilisation de cartes ou du tarot n'est rencontrée que dans le premier tome de La Tour Sombre.

 La boule de cristal.

Symbole de clarté et de pureté, le cristal de roche se caractérise par sa limpidité, et on peut voir au travers : matériel mais paraissant immatériel. Cette caractéristique le situe, dans l'imaginaire, aux confins du monde visible et invisible, et, en tant que tel, il a toujours paru être le support le plus adapté à la divination : il évoque la lumière et l'intuition. Si la gemme de cristal a une réputation très ancienne
3, la boule est plus récente. La légende raconte que le roi franc Chilpéric possédait un petit globe de cristal pour interroger l'avenir, et il est fait mention de boules de cristal dans les traités à l'usage des Inquisiteurs. Ce n'est qu'à partir du XVIème siècle que la boule de cristal se substitua aux miroirs et aux surfaces de métal poli. Les boules de certaines voyantes ne sont évidemment pas en cristal, mais en verre.

À cette époque magicien à la cour du roi de Delain, Flagg, l'homme noir de
Le Fléau, se sent inquiet :"Le temps pressait, ça, il le sentait. Ce serait bientôt, très bientôt.
Il prit son porte-clés et ouvrit le dernier tiroir de son bureau. Il en sortit un écrin de bois de fer finement gravé et en retira un sac de cuir. Il dénoua la cordelette et libéra une pierre qui semblait luire de l'intérieur, d'une couleur aussi laiteuse que les yeux d'un aveugle. On aurait dit une vulgaire pierre à savon, mais c'était du cristal : la boule de cristal magique de Flagg
. (...)
- Montre-moi, c'est un ordre!
Au début, il ne se passa rien, puis, peu à peu, le cristal se mit à scintiller de l'intérieur. Ce n'était qu'une faible lueur, diffuse et pâle. Flagg toucha encore la pierre, du bout des doigts cette fois.
La pierre devenait toute chaude.
- Montre-moi Peter! C'est un ordre! Montre-moi cet infâme qui ose se mettre en travers de mon chemin, montre-moi ce qu'il veut faire!
La lueur devenait de plus en plus brillante... brillante... brillante... Les yeux étincelants, les lèvres minces découvrant ses dents, Flagg se pencha sur la pierre.
(...)
Soudain, l'éclat laiteux s'évanouit pour laisser la place à une lumière vive. Flagg voyait au coeur de la pierre. Ses yeux s'écarquillèrent... puis se plissèrent sous la surprise." (349/50)

À cet endroit, King va placer une scène burlesque dans le drame. Le lecteur sait bien que le prince Peter a préparé son évasion de la tour, patiemment, depuis des mois, et qu'il la met peut-être actuellement à exécution. D'autre part, King a écrit son roman d'abord pour sa fille Noami. Si bien que King va jouer sur un suspense verbal : l'évasion du prince risque d'être compromise par la voyance du cristal, mais la boule, obéissante, est stupide : elle obéit strictement aux ordres qui lui sont donnés. S'ils sont imprécis, elle livre n'importe quelle information en rapport avec la question posée, comme un serveur d'Internet. Les premières questions, trop générales, l'amènent au lointain passé de Peter. Flagg entre dans un état de crise rageuse où il s'est trouvé à plusieurs reprises dans Le Fléau, crises qui contrastent avec son sang-froid habituel : perdant du temps, il interpelle la boule de cristal à plusieurs reprises, précisant à chaque fois mieux sa question, jusqu'au moment où il parvient à la formuler correctement :"Qu'est-ce que c'est que ces vieilleries insignifiantes? Je veux connaître son plan d'évasion... et la date! C'est un ordre!" (340) Place à un troisième élément dans le suspense : le cristal, ainsi malmené, va-t-il tenir? La question est bien précise. Mais le cristal, trop sollicité, fatigue : "La pierre devenait de plus en plus chaude. S'il ne la laissait pas se reposer, bientôt elle éclaterait en mille morceaux. Et les boules de cristal magiques n'étaient pas faciles à trouver. Il lui avait fallu trente ans de recherches avant d'en dénicher une. Mais Flagg préférait la voir éclater plutôt que d'abandonner.
- C'est un ordre! répéta-t-il, et, pour la troisième fois, l'apparence laiteuse disparut. Flagg se pencha sur la pierre jusqu'à ce que la chaleur lui tire les larmes des yeux. Il les plissa et, malgré la souffrance, les écarquilla sous le choc et la fureur.
C'était Peter. Il descendait lentement le long de la paroi de l'Aiguille. Il faisait sans doute appel à un quelconque tour de magie, car il n'y avait pas de corde."
(Les Yeux du Dragon, 341)

Magie et Cristal
est placé sous son signe, le cristal de voyance jouant un grand rôle dans le récit. Il a été confié à la sorcière Rhéa du Coos, qui s'en sert pour ses recherches ordinaires. Comme celui de Flagg, le cristal est enfermé dans un coffret, à la serrure secrète :"Le coffret contenait un globe de cristal plein de cette lumière rosée; elle ruisselait en pulsations douces, comme les battements d'un coeur content. (...) Soudain la couleur du globe fonça jusqu'à l'écarlate. Elle le sentit vibrer entre ses mains comme un moteur d'une puissance énorme. (...)
Puis la vibration mourut et la lumière du globe parut se replier comme autant de pétales. Une pénombre rosâtre lui succéda... et trois cavaliers en sortirent." (131) Le miroir est magique, et, contrairement à celui, borné de Flagg, comprend les intentions de sa propriétaire :"Puis ce dernier [celui qui est à gauche] et celui de droite disparurent, comme effacés par le pouvoir de la boule de la boule de cristal, qui ne laissa visible que celui du milieu." (131) Suit sa description, qui le fait reconnaître comme un pistolero, arrivant probablement de Gilead vu son équipement. La boule vient de signaler la présence de Roland.

Rhéa, en dépit de son âge, a repris goût au sexe depuis les quelques mois qu'elle possède le miroir maléfique en dépôt :"Le cristal était en train de la miner - de la boire comme un vampire suce le sang. (...) La boule de cristal absorbait tout son temps. Quand elle n'y regardait point, elle pensait y regarder ... Et oh! Quelles choses elle y avait déjà vues!" (294) Elle surprend ainsi Susan et Roland :"Elle se pencha encore sur la lueur rose poison du cristal, enchantée de ce qu'elle y voyait. (...) Elle [Susan] embrassait et tripotait ce garçon avec le mélange d'avidité et de timidité d'une vierge, mais elle ne le resterait plus longtemps, s'ils continuaient à ce train-là. (...) Oh, c'était trop bon! trop merveilleux!
Elle se pencha encore un peu plus, et ses orbites démesurément caves s'emplirent d'un feu rosé."
(295)

Ce cristal maléfique obsède Rhéa :"Rhéa adorait en bloc la boule de cristal, mais ce qu'elle aimait tout particulièrement, c'était la manière infaillible qu'elle avait de lui montrer autrui, au comble de la vilenie. Jamais, dans ses roses confins, elle n'avait vu d'enfant en consoler un autre après qu'il était tombé en jouant ou encore de mari, la tête dans le giron de sa femme, ni de vieilles personnes soupant paisiblement au soir tombant; ces choses-là ne présentaient pas plus d'intérêt pour le cristal que pour elle.
Au lieu de ça, elle avait assisté à des incestes, vu des mères battre leurs enfants et des maris, leurs femmes."
(377)

Le cristal a une histoire que King relie à la cosmogonie de la Tour, où il semble jouer un rôle essentiel, qui pourrait prendre davantage d'ampleur dans les prochains romans. Le père de Roland, le roi de Gilead, connaissait l'existence de ce cristal, qu'il avait eu un moment en sa possession :"Le père de Roland leur parla quand ils se mirent en selle avant de prendre la route de l'est, en direction de Mejis et de l'Arc Extérieur.
- Une dernière chose, leur dit-il alors qu'ils ajustaient les sangles de leurs selles. Je doute fort que vous voyiez quelque chose qui touche nos intérêts - pas à Mejis - , mais gardez l'oeil ouvert, et le bon, pour certaine couleur de l'arc-en-ciel. L'Arc-en-Ciel du Magicien, en fait.
(...) Le rose." (439) Pour certains, l'existence de l'Arc-en-Ciel du Magicien n'est rien qu'un conte de fées. Pour d'autres, c'est un fait avéré :"Si toutes les vieilles histoires ne sont pas vraies, je crois que celle de l'Arc-en-Ciel de Maerlyn l'est, répondit Steven. On raconte qu'autrefois, il comptait treize boules de cristal, une pour chacun des Douze Gardiens 4 et la treizième qui représentait le centre de connexion des Rayons.

- Une pour la Tour, dit Roland à voix basse, se sentant gagné par la chair de poule. Une pour la Tour Sombre. (...) On l'appelait la Treizième quand j'étais petit garçon. On se racontait des histoires à se faire peur et à dormir debout autour du feu, quelquefois, à propos de la boule noire... à moins que nos pères ne viennent nous mettre le holà. Mon propre pa disait que ce n'était pas prudent de parler de la Treizième, car en entendant prononcer son nom, elle pouvait rouler dans votre direction. Mais la Noire, la Treizième, n'est pas importante pour vous trois... pas encore, du moins. Non, pour vous, c'est la Rose. Le Pomélo de Maerlyn." (439)

La légende affirme que, si les autres boules de l'Arc-en-Ciel du Magicien ont existé un jour, la plupart sont brisées à l'heure actuelle. Il en reste peut-être trois ou quatre: la Bleue, détenue par les Lents Mutants du désert. On pense que la Verte et l'Orange se trouvent respectivement à Lud et à Dis. Il ne reste peut-être plus que la Rose :"Certaines couleurs de l'Arc-en-Ciel du Magicien permettent de jeter un coup d'oeil dans l'avenir, dit-on. D'autres, à regarder dans d'autres mondes - ceux où vivent les démons, ceux où le Vieux Peuple est censé être allé quand il a quitté notre monde. Elles peuvent aussi montrer l'endroit où se trouvent les portes secrètes par lesquelles on passe d'un monde à l'autre. D'autres couleurs, à ce qu'on raconte, peuvent voir loin dans notre propre monde et montrer des choses qu'autrui aimerait autant garder secrètes. Elles ne voient jamais le bien, seulement le mal. Quelle est la part du vrai et la part du mythe là-dedans, personne ne le sait avec certitude." (440)

Une dernière caractéristique de la boule de cristal est l'impossibilité pour son détenteur de la détenir sans danger :"
Il ne peut pas la garder avec lui tout le temps, tu vois. Même si ça lui tranquilliserait énormément le coeur et l'esprit, il ne pourrait pas. Personne ne le peut.
- Et pourquoi?
- Parce qu'elles sont vivantes et affamées
. (...) Celui qui les utilise finit par être utilisé par elles." (441)

Il faut noter que King donne à ses objets une importance qui dépasse le gadget, en les reliant en un ensemble cohérent. C'est ainsi que Roland vit une période de transe
5 en lisant dans le cristal, et que, dans un tourbillon rose, il y voit la ville de Tonnefoudre et divers personnages qui ont passé dans son existence. Le coffret qui contient le cristal possède non seulement l'inscription :"Qui m'ouvre, je le vois", mais le dessin de l'Oeil rouge de Flagg, cette partie de son esprit qu'il envoie en bilocation à la recherche d'informations dans Le Fléau. Ce même oeil rouge de Flagg se trouve parmi des graffiti sur l'autoroute de Topeka. De même que dans Les Yeux du dragon Flagg utilisait une boule de cristal, il la reprend dans Magie et Cristal, pour le perdre lorsque Roland fait feu sur lui. À son habitude, il disparaît dans un nuage de fumée verte en laissant derrière lui le cristal rose, peut-être le dernier vestige de l'Arc-en-ciel. Le cristal permet à Roland et son groupe de retrouver le chemin du rayon.

Les tarots.

Lié à l'ésotérisme, le jeu de cartes le plus ancien du monde6 a une signification symbolique que l'on n'a pas fini d'épuiser. Il comprend 56 cartes appelées «mineures», peu différentes des cartes à jouer habituelles, mais surtout 22 cartes «majeures», ou arcanes, qui constituent les figures du tarot. Alphabet ou langage secret pour ses adeptes, ces cartes (appelées «lames») propose une vision de l'univers condensée en des images chargées d'éléments à interpréter, avec lesquelles on peut établir quantité de relations et d'associations. Les combinaisons de ces cartes, dans lesquelles l'avenir peut se lire, sont considérables. Souvent la succession des lames est perçue comme le symbole d'un chemin initiatique, ce qui est le cas ici, puisque les cartes tirées pour le pistolero vont signifier les grandes lignes de son destin.

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Dans Le Pistolero et l'Homme en noir 7, Roland rejoint l'homme en noir, qui se révèle invulnérable aux balles de ses revolvers, et avec lequel il est bien obligé de composer. Ce dernier lui annonce son avenir :"L'homme en noir battit les cartes avec une dextérité d'illusionniste. Un jeu d'une rare épaisseur, les dos imprimés de circonvolutions complexes.
- Un tarot, expliquait l'homme en noir. Le jeu classique, augmenté de lames personnelles. Regarde bien, pistolero.
(...) Il faut en retourner sept, une par une, et les placer en conjonction avec les autres. Voilà bien trois siècles que je n'ai tiré les cartes à personne, et je soupçonne ne l'avoir jamais fait pour y lire un avenir tel que le tien. (...)
- Vas-y, fit le pistolero, la voix âpre. Dis-moi la bonne aventure.
Une première lame fut retournée.
- Le Pendu, dit l'homme en noir.
(...) En l'occurrence, hors de toute conjonction, cela signifie force et non mort. Le Pendu, c'est toi, pistolero, cheminant vers ton but, obstinément, par-dessus les puits de l'Hadès. Tu y as déjà lâché un compagnon de voyage, si je ne me trompe." L'interprétation de l'Homme en noir est celle, classique, de l'arcane XII du tarot dit «de Marseille» : le pendu, suspendu par les pieds la tête en bas, perdant l'argent qui se trouve dans ses bourses, symbolise l'homme prédestiné qui a renoncé aux illusions du monde et se soumet au sacrifice qui le fera accéder au niveau spirituel. Vu de façon philosophique, la négation de la matérialité et de l'inconfortpeut devenir sur un plan plus élevé une force spirituelle de don ou de sacrifice pour l'idéal, une préparation à la transmutation. Il manifeste un désintérêt pour les choses de ce monde, de la patience, de la prévoyance, de l'intuition, caractéristiques qui correspondent à celles de Roland. On trouve encore dans l'arcane un amour secret et romantique8, du dévouement pour une personne ou une chose, dans le cas de Roland évidemment la Tour. Et enfin l'épreuve, le calvaire et le châtiment : ce que Roland a déjà en partie vécu et vivra encore.

L'Homme en noir tire ensuite quatre cartes, qui ne sont pas dans le tarot de Marseille et que je ne connais pas
9 : celle du marin, qui correspond à Jack; celle du prisonnier, qui renvoie à Eddy; Detta est représentée par la lame de La Dame d'Ombres :"Ne lui sens-tu pas deux visages, pistolero? A juste
titre. C'est un vrai Janus.
- Pourquoi me montres-tu ces cartes?)
- Pas de questions (Cinglant. Souriant aussi.) Tu regardes, c'est tout. Vois-y comme un rituel absurde, si ça peut te rassurer Comme à l'église."

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La cinquième carte est celle de la Mort, un squelette moissonneur qui ne suscite que ce bref commentaire :"Pas pour toi." Il correspond au pusher.

La sixième carte est celle de La Tour (encore appelée Maison-Dieu) , l'arcane XVI du tarot de Marseille. Ces détails ne sont pas précisés dans le texte, mais cette carte du tarot représente une tour frappée par la foudre, du haut de laquelle deux personnages tombent. Cette lame est interprétée comme le symbole de la présomption humaine, de l'égoïsme et de l'ambition, qui firent jadis construire la tour de Babel : dans
La Bible, la construction verticale de la Tour de Babel symbolise la volonté des hommes d'atteindre les cieux, le royaume de Dieu.. On sait que sa destruction par la colère divine provoqua la dispersion de l'humanité et l'apparition de la multitude des langages qui rendait impossible toute entreprise humaine collective. Sur un plan symbolique, la tour est liée au sentiment d'élévation. Signalons encore que sur la lame XVI, les briques de la tour sont couleur de de la peau humaine (du Blanc), couleur de l'organisme humain. Comme l'homme et tout ce qu'il fait, la Tour témoigne de certaines imperfections, telle que l'absence d'ouverture : pas de porte pour pénétrer à l'intérieur 9bis . La construction est décentrée, non équilibrée. Mircea Eliade explique, à ce propos, à quel point le centre est important, dans la construction, et significatif de sa solidité. Dans la mesure où la symbolique de la tour évoque aussi un axe du monde compris comme le lien unissant la terre et le ciel, cet axe vacille. Les boules multicolores tombant dans le désordre, (réparties en trois couleurs), confèrent à l'arcane une dimension chaotique. Les éléments sont déréglés, l'ordre des choses est bouleversé. Ce ne sont pas seulement ses constructions qui s'effondrent, c'est l'univers dans sa totalité.

Ce qui explique que le tirage de la Tour est l'occasion de propos ambigus : "La sixième à présent.
À sa vue, le pistolero sentit sourdre au fond des tripes un étrange pressentiment : horreur et joie mêlées, ensemble indescriptible. Il en retirait en même temps l'envie de vomir et de danser. La Tour, dit l'homme en noir presque en un souffle.
Le Pendu - carte du pistolero - était au centre du tirage, chacune de celles qui avaient suivi étant allée se poster à l'un des quatre angles. La figure évoquait le ballet des planètes autour de leur étoile.
- Et la sixième, où se place-t-elle? demanda le pistolero.
Pas de réponse.
- Qu'est-ce que ça veut dire? demanda le pistolero.
Pas de réponse.
- Va te faire foutre!
Toujours pas de réponse.

Quand la Maison-Dieu (la Tour) sort du jeu, la lame doit être vue comme une mise en garde. Elle concerne une personne traversant une période mouvementée, chaotique et déstabilisante.Sur la plan individuel, la sortie de la carte peut révéler une expérience pénible à vivre mais qui peut être salutaire. D'une rupture peut naître un nouveau départ, une évolution nouvelle, une autre perspective. Rien n´est achevé, tout se poursuit et doit être encore amélioré. Tout ceci donne à la tour une signification complexe, dont il est vain d'en tirer maintenant des conclusions alors que la saga n'est pas terminée.

article sur la Tour.


- Alors, quelle est la septième carte?
L'homme en noir le retourna. Un soleil qui montait dans la lumière d'un ciel d'azur semé d'amours et de lutins virevoltants.
- Vie, annonça l'homme en noir, toujours aussi bas. Mais pas pour toi.
- Où s'inscrit-elle dans la figure?
- Tu n'as pas à le savoir. Ni moi non plus d'ailleurs. (Il expédia négligemment la carte dans le feu déclinant."
10
Roland apprend qu'il doit gagner la mer, pour s'y trouver investi du pouvoir de"tirer les cartes"
(245) Le lecteur passera des années avant de savoir à quoi correspondent ces portes, qui sont des passages par lesquels l'esprit de Roland pourra accéder aux USA des années 60 à 80. Dans Les Trois Cartes, Roland découvre une porte magique qui le conduit par bilocation à une une époque, pour y tirer deux de ses compagnons futurs qui correspondent aux cartes tirées, Le Prisonnier et La Dame des Ombres, une schizophrène. Il doit mettre fin à la vie du Pusher qui peut seule mettre fin à la dualité entre Detta et Odetta.

La tablette oui-ja.

La doctrine spirite
11 se fonde sur la croyance dans les relations entre le monde matériel et le monde invisible, autrement dit entre les hommes et les esprits. Qui sont ces esprits? On commença à les recenser en demandant aux entités de répondre aux questions posées par des coups dans les murs, ou avec de petites tables qui frappaient les coups, en se soulevant d'un côté : un ou deux coups pour dire oui ou non. Les entités se définirent elles-mêmes comme des esprits lors de ces transmissions.

Les communications avec les esprits ne se révélèrent pas toujours faciles et ne donnèrent pas toujours des conclusions intéressantes. Les spirites ont avancé des explications. D'abord la rencontre entre deux dimensions différentes entraîne des difficultés. L'esprit vit ensuite dans l'atemporalité, ou au moins une temporalité différente de la nôtre, ce qui crée des carences en ce qui concerne les noms et les dates. Le choc de la mort a pu modifier l'esprit. Enfin, prétendent certains spirites, une sorte de censure supérieure les empêcherait de révéler aux vivants des informations qui doivent leur rester cachées.

Ces méthodes de communication ont évolué grâce, paraît-il, aux suggestions spontanées des «esprits» qui proposèrent d'utiliser un crayon et une planchette à la place du guéridon, afin de pouvoir s'exprimer plus rapidement12. La planchette oui-ja13 est un morceau de bois, triangulaire, monté sur roulettes pour faciliter son déplacement. Dans Le Fléau, à son habitude, King va mêler explications et mise en scène. Nadine s'est servie une fois d'une planchette à l'Université, dans une chambre d'étudiantes. L'une d'entre elles fait la démonstration :"C'est une planchette ouija, un instrument dont se servent les médiums. Les kinesthéologues... (...) Ils prétendent que la planchette réagit en fait à de petits mouvements des muscles, probablement guidés par le subconscient. Naturellement, les médiums prétendent que la planchette obéit aux esprits..." (784) Les étudiantes s'amusent, ne voyant rien de sérieux dans le jeu :"Elles jouent avec le feu, ces imbéciles, reprit la jument [l'étudiante, ainsi appelée par King] avec une moue dédaigneuse. Elles sont idiotes. Les médiums et les hommes de science sont d'accord pour dire que l'écriture automatique peut être très dangereuse.
- Tu crois que les esprits ne sont pas de bonne humeur ce soir? demanda Nadine.
- Les esprits ne sont peut-être jamais de bonne humeur, répondit la jument en lui lançant un regard sévère. Ou vous risquez de recevoir un message de votre subconscient que vous n'êtes absolument pas prête à assimiler. La littérature spécialisée parle de très nombreux cas d'expériences d'écriture automatique qui ont totalement dégénéré. Les gens sont devenus fous.
- Oh, c'est peut-être aller un peu loin, ce n'est qu'un jeu.
- Les jeux sont parfois terriblement sérieux. Un énorme éclat de rire collectif mit un point final à l'exposé de la jument avant que Nadine ait eu le temps de répondre."
(784)

King ne peut pas rater l'occasion de décrire une séance de spiritisme qui se corse quand Nadine essaie à son tour, avec ses doigts posés sur la planchette :"
La planchette donna un autre coup, si fort qu'elles faillirent la lâcher, et fila jusqu'à l'angle supérieur gauche de la feuille.
- Ouch ! dit Nadine. Vous avez senti...
Elles avaient toutes senti, même si ni Rachel ni Jane Fargood, dite Janey, ne voulurent lui en reparler plus tard. D'ailleurs, elle ne s'était jamais plus sentie la bienvenue dans la chambre de ces deux filles depuis cette soirée. Comme si toutes les deux avaient eu peur de la fréquenter de trop près après cette expérience.
Soudain, la planchette avait commencé à frémir sous leurs doigts, comme lorsqu'on effleure le pare-chocs d'une voiture qui tourne au ralenti. Une vibration très régulière, inquiétante. En aucun cas un mouvement qui puisse être provoqué par une personne sans qu'elle en ait parfaitement conscience.
Les jeunes filles étaient devenues très silencieuses. Leurs visages avaient pris une expression particulière, celle que l'on voit sur les visages de tous ceux qui ont assisté à une séance de spiritisme où il s'est véritablement passé quelque chose - quand la table commence à bouger, quand une main invisible frappe contre le mur, quand le médium se met à souffler par les narines la fumée grisâtre du téléplasme
14. Une expression d'attente, comme si l'on voulait que cette chose s'arrête, comme si l'on voulait qu'elle continue. Une expression d'excitation distraite, craintive... et, lorsqu'il prend cette expression, le visage humain ressemble beaucoup au crâne qui n'est jamais qu'à quelques millimètres sous la peau.
- Arrêtez ! hurla tout à coup la jument. Arrêtez tout de suite, ou vous allez le regretter!
Et Jayne Fargood avait hurlé d'une voix terrifiée : Je ne peux plus retirer les doigts!
Au même instant, Nadine s'était rendu compte que ses doigts étaient collés sur la planchette. Elle avait beau tirer de toutes ses forces, ils refusaient de bouger.
- Ça suffit, la plaisanterie est finie, dit Rachel d'une voix blanche. Qui...
Et, tout à coup, la planchette s'était mise à écrire.
Elle se déplaçait avec une rapidité fulgurante, entraînant leurs doigts dans sa course, entraînant leurs bras dans une danse qui aurait été drôle si elle n'avait pas été parfaitement involontaire. Nadine pensa plus tard qu'elle avait eu l'impression de se trouver aux prises avec une machine de conditionnement physique. Auparavant, sur les autres messages, l'écriture était très penchée, très lente - comme si les mots avaient été écrits par un enfant de sept ans. Mais maintenant, c'était une écriture déliée, puissante... en grosses majuscules qui s'étalaient sur toute la page. Il y avait dans cette écriture quelque chose d'implacable, de méchant.
NADINE, NADINE, NADINE, écrivait follement la planchette. COMME J'AIME NADINE MON AMOUR MA NADINE MA REINE SI TU SI TU SI TU RESTES PURE POUR MOI SI TU RESTES PROPRE POUR MOI SI TU SI TU MEURS POUR MOI TU ES
La planchette bascula, vira de bord et recommença à écrire, plus bas.
TU ES MORTE AVEC LES AUTRES TU ES DANS LE LIVRE DES MORTS AVEC LE RESTE DES AUTRES NADINE EST MORTE AVEC EUX NADINE POURRIT AVEC EUX À MOINS À MOINS
La planchette s'arrêta. Vibra. Nadine pensa, espéra - oh comme elle l'espérait - que c'était fini. Puis elle recommença à courir plus bas. Jane poussa un hurlement. Les autres étaient pâles, effrayées, épouvantées.
LE MONDE LE MONDE BIENTÔT LE MONDE MOURRA ET NOUS NOUS NOUS NADINE MOI MOI MOI NOUS NOUS NOUS SOMMES NOUS SOMMES NOUS
Et les lettres parurent hurler à travers la page:
NOUS SOMMES DANS LA MAISON DES MORTS NADINE
Le dernier mot courut en travers de la page en lettres de trois centimètres de haut, puis la planchette tournoya sur elle-même, quitta la feuille de papier, laissant derrière elle une longue trace noire de plombagine, avant de tomber par terre et de se casser en deux."
(787/8)

Nadine se souviendra de cette expérience quand, basculant du côté des forces des ténèbres, elle aura besoin des instructions de Flagg. Elle se procure dans un magasin une planchette :"
Elle sortit une boîte de couleurs vives dont le couvercle était décoré d'une photo représentant des adultes en train de rire, en train de jouer. Un jeu vieux d'au moins trois mille ans.
Elle avait trouvé sa planchette ouija dans un bazar
(...) elle n'avait pas encore osé l'utiliser... pas jusqu'à maintenant. Quelque chose l'avait poussée à entrer dans ce magasin et, lorsqu'elle avait vu la planchette dans sa jolie petite boîte, elle s'était sentie écartelée, entraînée dans un terrible combat - la sorte de combat que les psychologues appellent aversion/compulsion. Elle avait abondamment transpiré, comme elle transpirait maintenant, partagée entre deux désirs : sortir à toute vitesse de ce magasin sans regarder derrière elle, s'emparer de la boîte, de cette si jolie boîte, pour la rapporter chez elle. Amusez-vous, étonnez vos amis avec la planchette oui-ja, disait la boîte." (779) Nadine n'a pas alors l'impression d'exercer alors sa volonté. Plus tard, perdue et désespérée, elle sent qu'elle est au bord de la frontière :"Elle sentait sa présence venir de derrière, l'écraser de tout son poids, l'attirer vers le fond comme des blocs de ciment attachés aux pieds d'un cadavre : la présence de Flagg, une présence sombre qui arrivait en vagues régulières, inexorables.
Quelque part, l'homme noir errait dans la nuit et elle prononça deux mots, comme une incantation à tous les mauvais esprits qui ont jamais été, comme une incantation, comme une invitation :
- Dis-moi.
Et, sous les doigts de Nadine, la planchette se met à écrire."
(788)

D'autres types de communications avec les esprits se trouvent dans Sac d'os, où nombreuses sont les communications entre l'écrivain et son épouse défunte, à laquelle il faut ajouter celles de son adversaire de l'au-delà. L'écrivain y pratique notamment l'écriture automatique. D'autres cas de mantiques se retrouvent ici et là, comme la cérémonie de la petite fumée dans Ça. Certains Indiens, quand ils avaient à prendre une décision importante, creusaient un trou, le recouvraient de branches, se rassemblaient dans le trou, allumaient un feu et attendaient que la fumée du feu leur inspire des visions. Presque toujours, la bonne décision était prise. Ben vient de trouver ces informations"dans un livre de la bibliothèque , la semaine dernière" (706) Ce rituel permet de prévoir et d'organiser l'avenir :"«Ces Indiens avaient des cérémonies spéciales. (...) A chaque fois qu'ils avaient des décisions importantes à prendre (...), ils creusaient un grand trou, qu'ils recouvraient de branches en laissant juste un petit passage pour la fumée. Quand l'installation était terminée, ils allumaient un feu dans la fosse. Ils se servaient de bois vert pour qu'il y ait beaucoup de fumée.»" Les guerriers les plus braves étaient choisis pour avoir des visions :"«En principe, ces visions expliquaient à la tribu ce qu'elle devait faire, reprit Ben. Et je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais d'après le livre, elles faisaient presque toujours prendre la bonne décision.»
L'histoire de la petite fumée de Ben était quelque chose de plus qu'un exemple qu'on prend dans un livre pour ensuite jouer soi-même à l'apprenti chimiste ou magicien. Il le savait, tous le savaient. C'était quelque chose qu'ils étaient censés faire." (707) Dans le cas présent, le rituel permettra aux deux enfants les plus résistants d'avoir la vision cosmique de Ça venant sur terre - et donc une information cruciale sur sa nature.

LA BILOCATION.

Un problème de vocabulaire se pose d'abord à propos de ce que les spécialistes appellent l'O. B. E., suivant les initiales anglaises,"out of body", que l'on peut traduire par"décorporation". Mais les mots français les plus utilisés sont :"bilocation" (qui ne précise pas que le corps reste en place), le"dédoublement", mot qui a d'autres sens, notamment en psychiatrie. On parle encore d'ubiquité. La bilocation est un rite chamanique très ancien15, au cours duquel le chamane quitterait provisoirement son corps, qui devient immobile, prenant les apparences du sommeil, de la transe ou de la mort.
L'imaginaire fabule beaucoup à propos de la bilocation
16. Les hommes souffrent d'être limités par leur monde à trois dimensions, et souhaitent trouver des extensions supplémentaires, dont le mythe d'Icare est un bon exemple. On imagine les sensations qu'on peut éprouver quand, évadé de son corps physique, on peut aller voir ce qui se passe à distance, éprouver des sensations inconnues, entrer dans le corps des autres, contacter des personnes disparues ou des entités aux multiples pouvoirs. Les sensations virtuelles, qui permettront d'obtenir bientôt l'équivalent, sont promises à un bel avenir.

Commentaires généraux sur la bilocation.

La bilocation est un sujet porteur. Nombreux sont nos contemporains intéressés par tout ce qui se rapproche de ce que les Anglais appellent la"Near Death experience", l'expérience proche de la mort. Plusieurs expériences d'après vie ont été racontées par des comateux, ou des personnes déclarées en état de mort clinique
17 et c'est souvent d'après leurs dires qu'on a remis au jour des idées fort anciennes et jamais vérifiées.

Les mots pour définir cette partie du corps qui peut ainsi s'en éloigner momentanément sont nombreux : âme, conscience, esprit, ka, qui ont des caractéristiques très proches18. Des occultistes l'appellent le corps astral19. Le corps astral serait le siège des sentiments et du désir, et posséderait une aura20. Dans une optique différente, mais analogue à l'âme chrétienne, le corps astral est supposé pouvoir abandonner l'enveloppe physique pour se déplacer là où il veut. Le mode d'interaction entre le corps physique et le corps astral n'est pas connu, il est décrit comme une force occulte. En occultisme, l'acceptation du dogme de l'esprit, d'une partie immatérielle du corps, est essentielle. Comme l'âme chrétienne, le corps astral serait fait d'une matière «plus éthérée»21 que celle du corps physique auquel il appartient et ses atomes seraient «très éloignés» les uns des autres (?). Le corps astral pourrait quitter le corps physique, mais y reviendrait nécessairement. L'éloignement définitif du corps astral ne ne se ferait qu'à la mort22. La bilocation, (que les occultistes appellent le voyage astral)23 , consiste à se trouver temporairement en deux lieux à la fois simultanément, grâce à l'extériorisation du corps astral24. L'impression ressentie serait de pouvoir se déplacer librement dans l'espace. Il existe une bilocation spontanée, qui surgit généralement pendant le sommeil, dans un rêve, ou sous l'effet de la drogue. Le dormeur a l'impression de se réveiller hors de son corps. Il lui arrive de s'affoler inutilement, de craindre d'être mort. Sa conscience lui paraît fonctionner normalement, tout en ayant l'impression d'être en dehors de son corps. Cela cesse inopinément, ou quand une autre personne éveille le corps : certains, qui décrivent cette expérience, ont senti littéralement leur conscience réintégrer leur corps...

Cette bilocation permet une expérience extracorporelle, qui peut aller de la simple visite d'un autre esprit, jusqu'à une incorporation permettant d'agir en utilisant le corps emprunté
25. Le corps physique d'où est parti le corps astral ne bouge pas : inconscient, il paraît libéré de la pesanteur, comme en état de sommeil cataleptique, expérience parfois décrite comme une situation de narcose, de transe ou de coma. La conscience en décorporation peut être en sommeil, ou rester aussi vive dans le corps habituel que dans le second corps physique. La bilocation peut aussi s'accompagner d'une attention neutre, permettant de capter les informations nécessaires sans ressentir d'émotions. On voit ainsi que les mots dédoublement ou double sont ambigus, puisqu'il n'y a pas division de l'individu en deux êtres physiques équivalents. Manifestation temporaire, sujet aux variations psychologiques du sujet qui le produit, le double n'est en aucune façon de la même nature que le corps physique.
Enfin la distance, pour les tenants de la bilocation, ne semble pas être un obstacle. On a rapporté des cas de bilocation à plusieurs milliers de kilomètres. On prétend que le corps astral est lié au corps physique par un lien, sorte de fil très fin appelé le «cordon d'argent», qui lui permettrait de continuer d'être relié à son corps physique et de retrouver son enveloppe matérielle. Ce ne serait qu'à la mort que le corps astral abandonnerait définitivement le corps et que le«cordon d'argent» serait rompu.

Le contrôle du cerveau du double en bilocation.

Dans
Carrie, son premier roman édité, King utilise la bilocation dans une scène où Carrie, moribonde, explore le cerveau de Sue pour savoir si elle a contribué à la scène du bal sanglant :"Ce fut pour Sue une sensation terrifiante. Sa tête et son système nerveux étaient devenus une bibliothèque. Dans l'affolement, un être la parcourait en tous sens." (262). Dans Shining, grâce à son don de voyance, Danny est en mesure de pratiquer la bilocation, en envoyant sa conscience dans l'espace. Il peut, par le même moyen, communiquer avec les puissances invisibles : il"laissa partir son esprit à la recherche de son père et le localisa dans le bal. Il essaya de pénétrer un peu plus avant dans ses pensées." (320) L'hôtel réagit avec violence :"(ARRÊTE DE LIRE SES PENSÉES, PETIT MORVEUX!)
Cette semonce mentale lui donna la chair de poule."
(321)

Dans d'autres romans, la bilocation est un des éléments constitutifs du récit.
Le tome 2 de la saga de
La Tour Sombre 26 est bâti sur la bilocation répétée de Roland de Gilead, blessé, qui va, selon l'oracle, aller chercher les compagnons qui l'aideront dans son entreprise. De son monde, il a ouvert une porte cosmique par laquelle il voit la terre. Sans avoir rien fait, il se trouve projeté dans un autre monde, qu'il voit avec des yeux qui ne sont pas les siens :"Le pistolero oscilla, saisi de vertige, vaguement nauséeux. Images et mots descendirent, et il découvrit une allée avec, par-delà, deux files de sièges. Quelques-uns vides, mais la plupart occupés... par des hommes vêtus d'une étrange manière." (Le Prisonnier, 1.6) Il se trouve dans un avion, bilocalisé dans un passager, Eddie, qu'il possède en partie en occupant son cerveau. Le cas est proche de la possession, sans l'être. Roland ne connaît pas ce monde et laisse son corps d'emprunt momentané régir une bonne partie des problèmes qui se posent.

Roland est capable de voir son corps qui l'attend dans son espace, en mauvais état :"La porte était toujours là, dans son dos, ouverte sur son monde. (...) Et lui aussi était là, lui, Roland, le dernier pistolero, couché sur le côté, sa main bandée plaquée sur l'estomac.
Je respire toujours, constata-t-il. Je vais y retourner et me déplacer."
(Le Prisonnier, 2.3) Son corps est resté abandonné sur une plage, à la portée des homards géants, qui l'ont déjà blessé. Il y retourne, pour trouver son corps"dans un sommeil si profond qu'il le crut un moment déjà entré dans le coma 27 ... dans un état où les fonctions vitales s'étaient à ce point raréfiées qu'il n'allait pas manqué de voir sa conscience entamer d'une seconde à l'autre une longue glissade dans les ténèbres." (Le Prisonnier, 4.6)

King se souvient que dans les cultures chamaniques, les futurs chamanes sont choisis parmi les enfants qui ont naturellement des pertes de conscience28 et qu'il en est de même pour certaines peuplades archaïques, comme celles des Indiens d'Amazonie29. D'autres méthodes sont utilisées par des esprits religieux pour obtenir l'extase, comme le jeûne, la souffrance continue (cilice, flagellation) ou la privation de sommeil.

Dans le cas de la bilocation, plusieurs situations ont été décrites, à partir d'expériences personnelles évidemment incontrôlables. La conscience peut en effet soit demeurer intégralement dans le corps physique, soit passer entièrement dans le «double». Quand elle reste dans le corps physique, on se trouve dans le cas d'un phénomène de voyance itinérante par bilocation, que King a utilisé ailleurs. Elle peut, comme ici dans le cas de Roland, passer dans le «double», le corps d'origine étant alors déserté. Elle peut aussi rester dans les deux à la fois, avec une conscience diminuée de part et d'autre.
King a fait le choix d'une situation où l'esprit de Roland quitte complètement son corps abandonné, pour y revenir ensuite. Dans les cas de bilocations classiques repris dans les ouvrages spécialisés à partir de témoignages, le retour dans le corps est déclaré perçu physiquement par celui qui y revient, des sensations de renversement et de confusion. Ce que ressent Roland réintégrant son corps :"
À l'inverse, il força donc ce corps à l'éveil, le bouscula hors de sa tanière de pénombre où il s'était terré. Il accéléra son coeur, fit réaccepter à ses nerfs la souffrance qui grésillait à fleur de peau, rendit sa chair à la douloureuse réalité." (Le Prisonnier, 4.6)

Sur la nature de cette conscience, qui reste, intacte ou diminuée, ou bien qui s'en va pour revenir, toutes sortes d'hypothèses ont été formulées, de l'âme qui survit au corps à la croyance ancienne des Égyptiens dans le ka, King semble avoir repris l'existence du Ka sous la forme que des occultistes ont appelé le «corps astral». Les Égyptiens pensaient que le
ka est en l'homme son support vital, l'"énergie motrice de l'être, qui donne l'élan de la vie. Chaque homme, chaque dieu possédait un ka particulier, parcelle de la grande force divine diffuse dans l'univers." 30. Le corps était ainsi habité par le ka, une sorte de double, et aussi une âme qui se comportait dans le corps comme un oiseau dans un arbre. Ces trois éléments - le corps, le ka et l'âme -, survivaient à la mort apparente. Les Égyptiens pouvaient échapper à la mort si la chair se conservait et s'ils pouvaient se présenter devant Osiris purs de tout péché. Les Égyptiens pensaient en effet, comme beaucoup de religions l'admettent, y compris la religion chrétienne, que le double ne meurt pas avec la vie terrestre31, qu'il est capable de lui survivre longtemps, enfoui dans une sorte de rêve-souvenir de son double physique.

King utilise le mot"ka" égyptien quand la force vitale de Roland, effectuant un transfert psychique, il se projette dans l'esprit d'un autre,"Un ka détaché dans le cerveau d'Eddie." (Le Prisonnier, 3.17). Il s'y interroge d'ailleurs :"Il se demandait comment l'homme dans l'esprit duquel son ka de pistolero avait élu domicile pouvait être aussi bête." (Le Prisonnier, 3.8)32. Ensuite le ka prend un sens différent, celui de cerveau coordinateur :"Divorcé d'un corps diminué, son esprit -son ka- retrouvait son acuité foncière" (Le Pusher, 1.4). Ou:"Physiquement présent plutôt que ka désincarné, il n'eût pas manqué de se tenir sur la pointe des pieds, prêt à reprendre les choses en mains au moindre signe de mutinerie" (Le Pusher, 4.8).
Il assiste, effaré, à la vie quotidienne de notre temps, si éloignée de son Moyen-Âge du futur , où des véhicules magiques se déplacent à une vitesse vertigineuse alors que les chevaux ont disparu :"
Le pistolero, quelque part dans l'esprit de cet homme (...) assistait à tout cela comme à ces pièces de théâtre qu'on voyait jadis, avant que le monde n'eût changé... ou pensait ainsi regarder les choses car c'était le seul spectacle dont il eût l'expérience. Eût-il connu le cinéma que la comparaison se fût instantanément imposée." (Le Prisonnier, 2.8)
Quand Roland transporte ses compagnons d'une autre époque ou des objets (procédé que King a mis au point avec Peter Straub dans
Le Talisman), il ne pratique plus la bilocation, mais la télétransportation, procédé qui appartient au domaine de la P. K.33 et non plus des facultés extrasensorielles.

Dans le dernier roman de King,
Dreamcatcher, la bilocation de Jonesy est continuelle, encore que s'effectuant selon des conditions particulières. Son corps et la plus grande partie de sont esprit sont"possédés" par l'extraterrestre Mr Gray. Sauf la partie de sa mémoire qui concerne son enfance, Derry et ses intentions à l'égard du grisâtre, qui s'est réfugiée dans un lieu symbolique, le bureau d'un entrepôt :"Cette pièce-ci est plus sûre, peut-être. Elle est son dernier refuge, et il l'a décorée avec l'image qu'ils avaient tous espérer voir" quand ils étaient enfants, qu'ils y étaient venus et avaient délivré Dudds torturé par des voyous :"Excepté pour la partie de moi-même enfermée dans cette pièce poussiéreuse (...), je suis entièrement Mr Gray." (320) Jonesy"instrument impuissant d'une mission incompréhensible pour lui, tira un peu de consolation de deux choses. La première était que Mr Gray ne savait pas comment atteindre le dernier petit noyau dur restant de lui, ce fragment qui n'existait que dans le souvenir qu'il avait du bureau des frères Tracker." (329)

Voyance et bilocation.

Lors d'une manifestation de clairvoyance itinérante, en revanche, le sujet se trouve au centre de l'événement lointain dont il parle et sa conscience est aussi vive et attentive dans son corps physique que dans son «double». En pratique, la personne placée au coeur de l'expérience est en mesure de la décrire et d'obéir à des ordres formulés par les expérimentateurs qui l'entourent et, simultanément, d'agir, d'observer et d'évoluer dans le cadre de la scène qui se déroule loin d'elle. Ce phénomène se produit spontanément pendant le rêve, ou bien à titre expérimental, auquel cas il a lieu sous hypnose, soit provoquée par un facteur extérieur, soit auto-induite.

King nous en donne un magnifique exemple dans Le Fléau avec le diabolique Homme Noir, Flagg. Flagg possède l'Oeil rouge, dérivé du troisième oeil hindou34. Pour être renseigné sur ce qui se passe, Flagg envoie, la nuit, l'Oeil effectuer une tâche semblable à celle d'un satellite espion :"Il le sentit se séparer de lui avec une petite secousse indolore. Et l'Oeil s'envola, silencieux comme un faucon, porté par de noirs courants ascendants. (...) Il volait haut, d'un vol large et silencieux, au-dessus d'un monde de cimetières. En bas, le désert s'étendait comme un sépulcre blanchi entaillé par le ruban noir de l'autoroute. Il vola en direction de l'est, franchit la frontière de l'État, son corps loin derrière lui, ses yeux brûlants renversés en arrière, découvrant leur blanc aveuglant." Ce détail semble indiquer que Flagg, le corps d'origine, est en état de transe.

Un long voyage commence, avec de nombreux détails pittoresques sur un paysage nocturne changeant, d'autres qui se rapportent directement au sujet qui nous intéresse. Corps astral ou de nature autre, l'Oeil maléfique est perçu par les animaux :"Un aigle, perché sur la plus haute fourche d'un très vieux pin éventré par la foudre (...), sentit quelque chose passer près de lui, une chose douce d'une vision mortelle qui sifflait dans la nuit, et l'aigle prit son vol, intrépide, pour être aussitôt repoussé par une sensation de froid mortel. Le grand oiseau tomba presque jusqu'à terre, stupéfait, avant de se reprendre.
L 'Oeil
de l'homme noir allait à l'est." (1056)

Un chien le détecte également :"Un grognement sourd, et ll'Oeilse tourna dans une autre direction. Il y avait un chien de l'autre côté du feu de camp, la tête baissée, la queue recourbée sur ses parties génitales. Ses yeux brillaient comme de sinistres joyaux d'ambre. Son grondement ne s'arrêtait pas, comme un tissu qui se serait déchiré sans cesse. L' Oeil le fixa et le chien ne baissa pas les yeux. Ses babines se retroussèrent et il montra les dents." (1057) Les animaux remarqueraient l'insolite plus facilement que les hommes. Les hommes ne voient pas l'Oeil, comme le fait le chien, ils ne sentent que confusément sa présence :"L'une des silhouettes s'assit (...), regarda autour de lui, soudain mal à l'aise.
- Qu'est-ce qu'il y a, mon vieux ? murmura-t-il au chien. Tu sens quelque chose?"
(1057)

L' Oeil est guidé par la volonté de Flagg, qui dirige sa course en fonction de ses besoins d'informations. Dans son corps en état de transe, Flagg les décode et peut focaliser l'Oeil sur ce qui l'intéresse :"
L 'Oeil descendit en décrivant une spirale.
Le feu était en train de mourir. Quatre silhouettes dormaient à côté.
C'était donc vrai.
L'Oeil es jaugea froidement. Ils arrivaient. Pour des raisons qu'il ne pouvait comprendre, ils arrivaient vraiment. Nadine avait dit la vérité."
(1057) La lucidité de Flagg n'est pas touchée par son état de transe, alors que le corps de Roland sur le bord de la plage n'avait plus aucune fonction intellectuelle.
Quand l'Oeil réintègre son corps, il se reconnaît avant de se fondre en lui :
"Plus tard, combien de temps plus tard, il s'arrêta au-dessus du désert et il se regarda. Puis il descendit lentement, s'approcha du corps, plongea en lui-même." King y ajoute les impressions de"renversement" invoquées par ceux qui auraient fait une expérience de bilocation :"Un moment, il eut une curieuse sensation de vertige, comme si deux choses fusionnaient en une seule. Puis l'Oeil disparut et il n'y eut plus que ses yeux qui regardaient l'éclat froid des étoiles." (1057) King voit dans la bilocation comme l'envoi d'une substance qui est son double, ici matérialisée par l'Oeil, à la fois lui-même et un élément de lui-même dont il peut se séparer à volonté.

La bilocation est une disposition dont disposent les êtres surnaturels, que possède Flagg, créature du diable35. L 'Oeil peut revêtir l'apparence d'êtres maléfiques :"Il avait maintenant rejoint la nuit. Il était l'oeil du corbeau, l'oeil du loup, l'oeil de la belette, l'oeil du chat. Il était le scorpion, l'araignée aux longues pattes velues."(1056). Ces êtres envoyés partout lui permettent d'être parfaitement informés :"Peut-être irait-il là-bas, déguisé en corbeau par exemple, ou en loup, ou en insecte - une mante religieuse par exemple, quelque chose d'assez petit pour se faufiler dans une prise d'air soigneusement camouflée au milieu des hautes herbes sèches du désert. Il avancerait en rampant ou en sautant dans des conduits noirs pour se glisser finalement à travers la grille d'un climatiseur ou d'un ventilateur d'aération.
Cet endroit se trouvait sous la terre. Juste à l'entrée de la Californie.
Il s'y trouvait des éprouvettes, des rangées et des rangées d'éprouvettes, chacune avec sa petite étiquette Dymo pour l'identifier : super-choléra, super-anthrax, nouvelle version améliorée de la peste bubonique, toutes des souches mutantes comme cette super-grippe qui avait été presque si universellement mortelle. Il y en avait des centaines dans cet endroit, assortiment complet pour tous les goûts, de toutes les couleurs."
(1002)

Des agents de la Lumière sont envoyés par Abigaël pour lutter contre Flagg. L'un d'entre eux se sent espionné par un corbeau, occasion pour King de préciser la nature de cet Oeil :"Ce qu'il voyait devant lui était l'homme noir, son âme, son ka incarné dans ce corbeau grimaçant. (...) Si c'était lui, pourrais-je le tuer? Emprisonner son ka - si cette chose existe - dans le cadavre de ce corbeau?" (954).

Quand le sujet se dédouble, il devrait pouvoir être vu par un tiers. Le fait ne se produit que rarement. Le «corps astral» ou son équivalent, est généralement perçu de manière vague, comme une forme scintillante, sans matérialité véritable. Si une forme matérielle est entrevue, c'est de manière fugitive.

Bilocation et téléportation.

Dans Insomnie, Ralph, puis Loïs vivent une curieuse expérience. Perdant de plus en plus le sommeil, Ralph commence à voir des auras autour des gens et des objets. On sait que la privation de sommeil est, pour certains religieux, le moyen d'arriver jusqu'à l'extase, sorte de bilocation religieuse. Ralph voit aussi de curieuses créatures dans une réalité parallèle, et se trouve pris dans un jeu d'importance cosmique entre des entités et des intentions transcendantes rivales. Il acquiert, avec Loïs qui a subi les mêmes transformations, de curieuses propriétés, parmi lesquelles la bilocation, curieusement utilisée à nouveau par King dans un avion, comme dans Les Trois Cartes. S'agit-il de bilocation ou de téléportation? À son habitude, King joue avec les distinctions claires. Ralph se trouve dans une sanisette quand il est déplacé dans une autre dimension. À la fin de l'épisode, il se retrouve à nouveau dans la sanisette. Son corps y est-il resté? Dans ce cas, ce serait de la bilocation. Aurait-il transporté son corps avec lui, ce qui serait de la téléportation? Voici quelques passages se rapportant à cette situation plutôt curieuse. d'abord le passage :" Il hésita un instant devant le siège des toilettes puis se souvint de la civière de l'hôpital qui lui était passée sur la tête sans l'écrabouiller, et se dirigea sans hésitation vers le fond de la cabine. Il serra les dents, s'attendant à s'écorcher les tibias (...) et passa à travers l'objet comme s'il était en fumée (ou comme si lui-même était en fumée.)" (639) Corps physique ou corps astral, éthérique?

Dans les phrases suivantes, King évoque la téléportation, tout en précisant qu'il s'agit"d'une forme" :"Il eut une inquiétante sensation de vertige et d'absence de poids et crut pendant un instant qu'il allait vomir. Sensation accompagnée de l'impression de se vider, comme si une grande partie du pouvoir qu'il avait pris à Lois venait de se volatiliser 36. C'était sans doute le cas; il venait de pratiquer une forme de téléportation, après tout, un vrai truc de science-fiction qui devait forcément consommer d'énormes quantités d'énergie.
La sensation de vertige passa, remplacée par une autre encore pire, celle d'avoir été plus ou moins fendu à hauteur du cou. Il avait devant lui toute une portion de la planète, et sa vue n'était limitée par rien"
(639) Sous quelle forme est-il passé dans l'espace? Un corps, mais de quelle nature? Éthéré?

"Juste au-dessous de lui s'allongeait le pare-brise de l'appareil. (...) Il plia les genoux, et sa tête glissa sans peine à travers le toit de la carlingue. Un instant, il eut un goût d'huile dans la bouche et les poils minuscules de son nez lui firent l'impression de se hérisser comme sous l'effet d'un courant électrique. Puis il se retrouva agenouillé entre les sièges du pilote et du copilote." (640) Une certaine forme du corps est présente : Ralph a plié les genoux, dans l'avion il s'est "agenouillé", ce qui peut s'appliquer à un corps. Mais ce corps, transparent, n'est qu'un ectoplasme puisque ni la tête, ni le corps ne sont visibles pour le pilote, Ed :"Ed tourna la tête et regarda directement vers Ralph. Il avait l'oeil agrandi, avec quelque chose d'insensé et de prudent à la fois dans l'expression (...) Ralph eut un mouvement de recul, certain d'avoir été vu, mais Ed ne réagit pas, se contentant de jeter un regard soupçonneux sur les trois autres sièges de la cabine, comme s'il avait entendu le déplacement furtif d'un passager clandestin. En même temps, passant le bras à travers Ralph, il alla toucher un carton maintenu par la ceinture de sécurité sur le siège du copilote. Sa main caressa la boîte, et revint à son front pour réajuster le foulard qui le ceignait." (641)

Les détails qui suivent montrent que Ralph est bien dans son corps, invisible, mais curieusement habillé et équipé comme il l'était sur terre :"Ralph glissa une main dans son chandail..." (648)

Des manifestations de bilocation ont été relatées dans toutes les civilisations et à toutes les époques. La croyance est bien ancrée, et n'a pas disparu. La bilocation fait partie aussi bien de l'imaginaire ancien que de l'imaginaire chrétien. Des croyants reprennent des anecdotes à propos d'un certain nombre de bilocations de saints : le pape Clément, saint François, saint Alphonse de Luguori, plus récemment le padre Pio
auraient été aperçus en des lieux différents au même moment. Bon nombre de cas ont été relatés dans des recueils religieux spécialisés37.

***

Phénomène onirique, hallucination, dissociation de la personnalité, fabulation ou illusion collective, la bilocation représente, pour les humains limités à un monde tridimensionnel, un rêve extraordinaire, une possibilité de connaître une dimension supplémentaire, où ils peuvent espérer découvrir de nouvelles sensations, éprouver d'autres réalités, entrer dans l'esprit des autres ou leur corps. On comprend le succès qu'elle rencontre. La bilocation est pourtant un bon exemple de la confusion qui règne au niveau de la problématique des sujets paranormaux : définitions confuses, hypothèses multiples, toutes invérifiables, absence totale de vérification expérimentale satisfaisante, la plupart des faits rapportés ne reposant que sur un seul témoignage38. Il semble y avoir chez les tenants actuels de l'esprit magique un double mouvement : d'une part, ils semblent réclamer leur reconnaissance officielle par les scientifiques, ou du moins vouloir que ceux-ci s'intéressent à leurs recherches, ce qui ne se révèle pas possible compte-teuu des mméthodes scientifiques qui reposent sur l'objectivité, alors les croyances sur les faits paranormalux sont subjectives. Ce qui contraint leurs partisans à une position ambiguë. Ils postulent d'abord leur spécificité, leur différence radicale avec la science, résultat de l'incompatibilité de nature entre les deux formes de pensée. Cependant, en même temps, ils s'appuient volontiers sur une documentation39 rationnelle (astronomique, physique, chimique etc), mais qui n'est utilisée que pour des conclusions auxquelles ils désirent aboutir a priori et avant tout examen. Ils exploitent systématiquement les découvertes scientifiques impliquant des incertitudes momentanées pour les scientifiques. C'est que les tenants de ce qui est de la même famille que la magie postulent à l'avance tel principe, et cherchent après coup tout ce qui peut plus ou moins le justifier, dans une forme de faux raisonnement que les psychologues appellent"affectif", avec la conclusion posée à l'avance40. Car la croyance dans le paranormal ne peut vivre qu'en dehors de la science, puisque, si elle pouvait se soumettre à ses méthodes, elle ne pourrait plus avoir d'existence en tant que telle, étant nécessairement absorbée.41 Les illusions psychologiques, les spécialistes le savent, tiennent une grande place dans les manières de penser humaines et c'est toujours avec difficulté que les hommes consentent à s'en débarrasser.

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Mais quel magnifique terrain de jeux que ce support à partir duquel un auteur pourra tirer des effets spectaculaires en même temps que des variations inépuisables. Le première lame du tarot est celle du Bateleur, un camelot qui vendait jadis de tout sur les places de marchés et les foires, un hâbleur bluffeur qui animait ses tréteaux par des jeux de dés et de lames du tarot. Prestidigitateur maître de ses jeux, de par la magie des cartes ou des dés, il faisait les destinées des badauds qui avaient recours à ses douteux services. C'est l'arcane que Marie-Charlotte Delmas a retenu pour le titre d'un ouvrage consacré à Claude Seignolle 42. Ce titre pourrait convenir également à Stephen King. Comme le Bateleur, les personnages de King interpellent le destin. Romancier, alchimiste de la vie, King libère les potentiels qui se trouvent dans les hommes, allant infatigablement de livre en livre, découvrant ce qui est en lui en même temps qu'il le communique aux autres. Il accumule ainsi, dans le délire imaginatif, ses personnages à la fois hors norme et si représentatifs des hommes d'aujourd'hui, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, en véritable magicien dans son genre.



Roland Ernould © juin 2002

Notes :

1 Rappel de définitions. La parapsychologie s'intéresse à des possibilités du psychisme à ce jour hypothétiques, concernant des phénomènes psychiques inexpliqués. Elle comprend :
a. les perceptions extra-sensorielles, appelées encore ESP (Extra-Sensory Perception), c'est à dire la voyance et les visions, la télépathie et le dédoublement ou l'OBE (Out of the Body Experience).
b. la psychokinésie, ou le PK (Psycho-Kinesis), action de la pensée sur la matière : déplacement d'objets, incendie, poltergeists (esprits frappeurs), la lévitation, les guérisons miraculeuses, etc.

2 La mantique est la connaissance du passé ou du futur par une divination réalisée par des pratiques particulières, appelées «manties» par leurs partisans : l'interprétation des rêves (oniromancie), des chiffres (numérologie ou arithmologie), de la lecture des lignes de la main (chiromancie), des tarots, du marc de café (caféomancie), du thé (thédomancie), de la boule de cristal (cristallomancie ou art béryllique), du miroir (catoptromancie), de la terre et les cailloux (géomancie), des épingles et aiguilles (acutomancie), des taches d'encre (encromancie), etc. La liste pourrait être très longue, tant les exploiteurs des superstitions sont ingénieux à inventer de nouveaux procédés, prétendus meilleurs que ceux existant...

3 Les Anciens recommandaient de porter un cristal dans les mains aux fidèles allant solliciter au temple une faveur des dieux. Les Égyptiens plaçaient sur le front de leur mort un troisième oeil en cristal, censé aider le ka du mort à trouver son chemin dans l'au-delà. Dans plusieurs contes existent des Palais de cristal, qui ont une signification symbolique : celle de notre mémoire où est gravée notre histoire. Le Palais de cristal enregistre des informations et devient détenteur de la mémoire du monde.

4 La Tour Sombre, centre de l'univers, est entourée par douze portails. Un gardien surveille chaque entrée. Dans Terres Perdues, Roland a expliqué que "Lorsque tout était neuf, les Grands Anciens - ce n'était pas des dieux, mais des gens dont le savoir était quasi divin - créèrent douze gardiens pour surveiller les douze portails qui permettent d'entrer et de sortir du monde." L'emprunt à Lovecraft est évident (voir mon texte Lovecraft et King) : Yog-Sothoth possède treize globes, équivalents des treize boules de cristal de l'Arc-en-ciel, ce qui permet au douze gardiens de posséder un moyen de voyance (Yog-Sothoth, Maître de Nyarlathotep, ressemble beaucoup à la Bête, Maître de l'Étranger-Sans-Âge et Gardien de la Tour).

5 La transe correspond à une phénomène psychophysiologique mal connu, qui se caractérise par une perte plus ou moins totale de la conscience et par divers symptômes : modifications du pouls, refroidissement des extrémités, hyperesthésie, modification de la voix, une sorte d'état second qui est souvent perçu et décrit par le sujet.

6 On ne connait pas son origine (Chine, Inde, Égypte?), ni évidemment qui est son ou ses auteurs. Telles qu'elles se présentent actuellement, sous leur forme traditionnelle du Tarot de Marseille, les cartes ont des dessins moyenâgeux vivement coloriés, et comportent des symboles chrétiens. Il existe bien sûr d'autres jeux. Les interprétations sont complexes, car de nombreux archétypes essentiels sont représentés dans les cartes du tarot.

7 Le Pistolero, La Tour Sombre I (The Gunslinger).(idée en (1970). 5 nouvelles, écrites de 1972 à 1981. Première publication en volume: 1982. Édition. fr. J'ai lu 1991.1- Le Pistolero (The Gunslinger), octobre 1978. 2- Le Relais (The Way Station), avril 1980. 3- L'Oracle et les Montagnes (The Oracle and the Mountains), février 1981. 4- Les Lents Mutants (The Slow Mutants), juillet 1981. 5- Le Pistolero et l'Homme en Noir (The Gunslinger and the Dark Man), novembre 81. Éd. de la Seine, pp. 228/30.

8 Voir dans Magie et cristal ses amours de jeunesse avec Susan, jamais oubliée.

9 Plusieurs types de tarots existent dans le monde, celui de Marseille (de Paul Grimaud, 1819-1899) étant le plus pratiqué en Occident. Les cartes ont des dessins moyenâgeux vivement coloriés, et comportent des symboles chrétiens. Il existe bien sûr d'autres jeux (La Bibliothèque Nationale possède notamment dix-sept tarots, provenant d'un jeu du XVe siècle, dit de Charles VI, illuminures qui sont d'une grande valeur artistique. On ne sait rien, en revanche, du procédé employé pour la confection des cartes qui, dès la fin du XIVe siècle, étaient en usage dans le peuple. Dans le cas présent, l'Homme en noir a suggéré que des lames"personnelles" se trouvaient dans le jeu.

autre carte de tarotavec des ouverures

9bis À noter que la Tour Sombre a des fenêtres, du moins c'est ce que voit Ralph dans Insomnie : "Une tour gigantesque, construite dans une pierre fuligineuse, noire de suie, au milieu d'un champ de roses rouges. Des fenêtres étroites, mélancoliques, semblables à des meurtrières, l'escaladaient en spirale." Ralph y voit encore "un escalier festonné de toiles d'araignées avec des portes donnant Dieu sait où." 418.

10 5- Le Pistolero, op. cit. , 5- Le Pistolero et l'Homme en Noir, Éd. de la Seine, p. 230.

11 Mise à la mode aux États-Unis à la suite des mésaventures arrivées à la famille Fox dans les années 1840 (bruits et coups dans le murs et chocs de meubles). On eut l'idée de demander à l'auteur des bruits qui il était : l'esprit d'un individu assassiné naguère, fut la réponse. Publicité aidant, des membres de la famille Fox s'installèrent à la ville et se prétendirent voyants. Le succès fut extraordinaire, et le spiritisme arriva en France en 1853, sous l'Empire : on se mit à faire tourner partout tables, guéridons etc. Les esprits «frappeurs» prédirent l'avenir et évoquèrent le passé, parlèrent des langues étrangères, firent de la poésie... Jeanne d'Arc, Napoléon, Rousseau, Pascal, Voltaire, Mozart et bien d'autres devinrent des habitués des salons... De grands esprits comme Victor Hugo furent séduits par le spiritisme. La théorie fut mise au point par Allan Kardec en 1857 dans Le Livre des Esprits : il soutenait que l'homme comprenait trois éléments, le corps, l'âme et le «périsprit astral», qui après la mort flotte dans l'espace d'où il peut se faire connaître des vivants. Kardec fonda en 1869 La Revue Spirite, qui rencontra un vif succès. sa tombe au Père-Lachaise continue à être très fréquentée.

12 On peut se demander pourquoi, si leur temporalité est différente de la nôtre... Serait-on si impatient dans ce monde-autre?

13 Association de deux vocables, le premier français (oui), le second allemand (ja) (pourquoi?). La planchette oui-ja, sous une forme différente, serait utilisée depuis l'Antiquité.

14 Synonyme d'ectoplasme, substance mystérieuse qui se dégagerait du corps de certains médiums et qui, à quelque distance, se matérialiserait pour former des visages ou des corps, humains ou animaux, ou même des objets divers. Inventé sans preuve par Claude Richet, l'ectoplasme expliquerait les phénomènes physiques tels que coups frappés, télékinésie, apparitions, maisons hantées. Les conditions dans lesquelles ces phénomènes se sont produits rendent leur existence plus que suspecte. Les documents photographiques qui existent sont des trucages ou douteux. Quelques expériences ont été faites par des savants connus (Langevin, Rabaud, Piéron, etc) et n'ont donné que des résultats négatifs.

15 Sorcier/guérisseur des sociétés sibériennes et américano-indiennes archaïques, le chamane (le"medecine-man" des Américains) peut entrer en communication avec d'autres chamanes ou avec des individus ordinaires. Il pratique la lecture de la pensée, communication à distance, direction autosuggestive des rêves et extase. Il a des pouvoirs paranormaux de connaissance : précognition, vision à distance, prévision exacte du temps, ouverture de certaines portes surnaturelles. Le pouvoir paragnomique semble parfois aller de pair avec la compréhension de langues étrangères inconnues. Il utilise d'étranges pouvoirs «physiques» sur la matière ou suspend les lois naturelles connues. Il a le privilège de ne pas se brûler qui lui a été transmis par son ancêtre mythique, etc. Voir Michel Perrin, Le Chamanisme, 1995, PUF Que Sais-Je?

16 De nombreuses expressions familières évoquent la bilocation : depuis la formule en langage châtié"être hors de soi", jusqu'à l'expression plus populaire"être à côté de ses pompes." Le mot"extase" renvoie au latin"extasis", le fait d'être hors de soi.

17 R. Moody, La Vie après la mort, Laffont, 1977.Charles Hardy, L'Après-vie à l'épreuve de la science, éd. du Rocher, 1986; La science et les états frontières, éd. du Rocher, 1988.

18 Le double serait un corps éthérique, un corps spirituel, un périsprit, un fantôme odique, etc.

19 Les croyances occultistes et ésotériques admettent, dans la tradition hindoue, l'existence de plusieurs corps «subtils» (jusqu'à 7!) dont l'un est le corps astral. Les Hindous et les Bouddhistes ont des hiérarchies compliquées de corps
subtils. Ce corps astral serait parcouru (tradition hindoue, dont on trouve des équivalents dans la médecine chinoise : acupuncture) par des courants où circulerait un certain type d'énergie «universelle».

20 Une aura, selon la métaphysique du New Age ð, est un contour coloré, ou un ensemble de contours colorés, émanant de la surface d'un objet.

21 Ce seraient ces «corps éthérés» qui composeraient les entités ou les formes ou restes de vie avec pensées et sentiments qui erreraient dans une autre dimension, avec lesquels un médium pourrait entrer en relation...

22 Le corps astral (ou l'âme) est supposée abandonner l'enveloppe physique, libre d'aller vers les endroits que la foi ou la pensée du mort lui ont fait espérer...

23 Ou encore bicorporéité, dédoublement fluidique, extériorisation du corps astral, expérience extra-corporelle.

24 S. Muldon, H. Carington, La projection du corps astral, Le Rocher éd., 1980.

25 En principe, d'après les adeptes, le double n'a pas la faculté d'agir sur les éléments, mais il lui arrive d'atteindre un degré de matérialisation perceptible à la vue ou au toucher par certaines personnes.

26 Les trois cartes, La Tour Sombre 2 (The Drawing of the Three) , 1987. Édition fr. J'ai lu 1991. Mes références sont celles des Éditions de la Seine, 1994.

27 Comment Roland peut-il bien savoir ce qu'est le"coma", dans son monde retourné au Moyen-Âge et qui a perdu le savoir scientifique?

28 Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, Payot, 1968.

29"Le jeune qui montre des dispositions pour tomber facilement en transe et qui parle avec les esprits est formé par le sorcier-guérisseur pour lui succéder." D. Saint-Clair, Magie brésilienne, J'ai Lu, 1973, 22. Ces"absences" sont aussi provoquées par les chamanes avec des drogues, suivant leur pharmacopée à base de plantes. La ciguë, plante mortelle, provoque à petite dose un état proche de la mort. La mescaline et le peyoltl sont utilisés dans les cultures indiennes.

30 Claire Lalouette, L'Empire de Ramsès, Fayard, 1985, (480).

31 Ils croyaient que la survivance plus ou moins prolongée du ka dépendait de la façon dont la chair du corps serait protégée contre la destruction (momification), la ruine ou la faim (les tombeaux, avec nourriture, mobilier et même des toilettes!).

32 Ou dans d'autres circonstances:"Roland ferma les yeux et se concentra tout entier sur Jake. Il pensa aux yeux du garçon et expédia son ka à leur recherche", Terres Perdues, II.V.29.

33 Voir la définition en début d'article.

34 Dans plusieurs croyances religieuses hindoues, l'oeil droit correspondrait au soleil, à l'activité et au futur. L'oeil gauche s'accorderait avec la lune, la passivité et le passé. Le troisième oeil, invisible et situé juste au-dessous et entre les sourcils, représenterait la synthèse des perceptions des yeux normaux. Il serait ainsi non seulement le symbole de la vision intérieure, mais signifierait la connaissance parfaite, où se trouve le siège du pouvoir occulte. Le troisième oeil de Shiva, tout-puissant dieu de l'Inde, aurait le pouvoir de détruire par le feu. Dans les légendes, il l'utilise contre ses adversaires. Il serait capable de détruire l'univers entier s'il le voulait.

35 Le diable a le pouvoir de domination sur certains animaux sauvages, qui ont eu longtemps mauvaise réputation chez les hommes : loup belette, corbeau, scorpion, araignée, etc. Cette tradition, très ancienne, apparaît déjà dans l'Avesta:"Il [Ahriman, le diable iranien]couvrit le sol de sa vermine, de ses bêtes mordantes, venimeuses, de serpents, de scorpions (...), si bien qu'il n'y eut point d'espace de la taille d'une pointe d'aiguille où ne grouillât sa vermine. Il frappa les plantes et soudain les plantes se desséchèrent... Il fondit sur la flamme [note: Ormuzd/Mazdâ, le dieu bon, est adoré sous la forme d'une flamme, et le culte du feu, qui brûle sur une tour, un ziggourat, ne doit jamais s'éteindre, sauf à la mort d'un roi : le successeur rallumera la flamme pour être intronisé] et y mêla fumée et obscurité. Les planètes et des milliers de démons choquèrent la voûte céleste, firent la guerre aux étoiles,et l'univers s'enténébra comme un espace que le feu assombrit de sa fumée." Flagg et Tak, dans Désolation, utiliseront de même la «vermine» d'Arhiman.

36 Ralph et Loïs savent emprunter l'énergie psychique des gens, et éventuellement se la communiquer.

37 Les prodiges chrétiens sont relatés depuis des siècles à partir de La Légende Dorée, recueil de textes pieux du XIIIème siècle.Mais padre Pio a vécu dans la première moitié du XXème. L'Église officielle, d'abord très réservée sur son cas, l'a canonisé le 16 juin 2002 à saint-Pierre de Rome, le consacrant comme le "capucin aux stigmates."

38 Le témoignage seul n'a aucune valeur scientifique.

39 Les écoles de magiciens de l'Antiquité ont tenté de systématiser leurs connaissances et d'en trouver les principes, premier effort de coordination scientifique. Mais leurs résultats n'ont qu'un caractère historique.

40 Objet de ce que les psychologues appellent la rationalisation, les justifications fausses consciemment ou le plus souvent inconscientes que les hommes donnent de leurs croyances et de leurs actes. Tout chercheur sait qu'il peut être lui-même victime d'illusion ou être influencé, et qu'il doit se méfier de l'endoctrinement.

41 À noter l'impuissance historique de la magie à réaliser quoi que ce soit d'important quand jadis elle était la seule pensée explicative - avec les mythes et les religions - , ce qui s'explique par l'incapacité où elle s'est trouvée d'inventer les outils rationnels adéquats.

42 Marie-Charlotte Delmas a retenu pour le titre d'un ouvrage consacré à Claude Seignolle1 .(Seignolle, Le Bateleur de Chimères, Hesse, 1998)

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 16 - été 2002.

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