Stephen KING ET LE PARANORMAL : LA PERCEPTION EXTRASENSORIELLE.
"Voilà bien trois siècles que je n'ai tiré les cartes à personne,
et je
soupçonne ne l'avoir jamais fait pour y lire un avenir tel que
le tien. (...)
- Vas-y, fit le
pistolero, la voix âpre. Dis-moi la bonne aventure."
(Le Pistolero et l'Homme en noir )
La parapsychologie se propose d'étudier des phénomènes de la vie humaine, bien réels pour ses partisans, prétendus pour les sceptiques. Qualifiés de «paranormaux», ces phénomènes ne relèvent d'aucune définition objective, n'ont pas de problématique définie et ne peuvent donc être intégrés dans les acquis scientifiques (les partisans de la parapsychologie appellent la science"officielle" par dérision). La voyance qui ne demande pas de moyens matériels spéciaux et s'effectue uniquement par l'esprit a été examinée dans une première partie; la télépathie dans une seconde. Sans vouloir épuiser le sujet de la place de l'occulte chez Stephen King, cette troisième partie sera consacrée à d'autres dispositions extrasensorielles1 : certains moyens de divination (procédés mantiques2) utilisés par King et la bilocation, toujours spectaculaire. Dans des études ultérieures seront examinés d'autres aspects du paranormal, l'aura et l'énergie occulte; les dispositions extrasensorielles particulières du médium; les manifestations de la P.K. : l'action de la pensée sur la matière que permettent par exemple les dons de Carrie ou de Charlie dans les romans éponymes.
Cette étude fait partie d'une série de six, qu'il vaut mieux lire dans l'ordre suivant : 1. LA VOYANCE * 3. PROCÉDÉS MANTIQUES EN VOYANCE ET BILOCATION 4. L'IMPORTANCE DU MÉDIUM dans l'oeuvre de King 5. UNE EXCEPTIONNELLE MISE EN SCÈNE DE L'AURA 6. L'ÉNERGIE VITALE.. |
Aussi loin que l'on puisse remonter
dans leur histoire, les humains, ont toujours cherché à
savoir ce que leur destinait le sort. L'abondance de la
société de consommation n'a rien changé aux
mentalités par rapport aux périodes de
difficultés ou de disette : même besoin de savoir,
même peur de l'avenir. La pythie n'est plus sur son
trépied, elle habite un appartement tout confort avec
ascenseur, gardant cependant les accessoires indispensables à
ce qui est devenu une profession comme les autres. Les moyens se sont
structurés, l'appel est fait aux symboles et aux
archétypes. Plus instruits qu'autrefois, certains voyants ont
modernisé leur discours sur l'interprétation de la
lecture des cartes, des lignes de la main, de la boule de cristal, ou
d'autres moyens de divination.
Tous supposent que l'avenir est
prédéterminé, et que le grand livre de la
destinée peut nous être ouvert avec les moyens
appropriés. Dans ce cas, où sont notre liberté
et notre responsabilité? A quoi sert d'être averti si on
ne peut rien faire pour changer le cours des choses? C'est pourquoi
la plupart des divins nuancent : oui, l'avenir est écrit, mais
seulement dans ses grandes lignes. Plusieurs possibilités sont
prévues, ce qui laisse une marge d'initiative et la
possibilité de faire certains choix. La doctrine
chrétienne de la prédestination ne fait que dire la
même chose sous une autre forme : Dieu conduit l'univers dans
les voies qu'il a prévues, mais il a laissé une
certaine liberté aux hommes pour faire ou non leur salut.
La perspective d'un destin
écrit, mais mal déchiffrable, qui laisse les hommes
dans l'indécision quant à la voie à suivre, est
celle que certains romanciers comme King préfèrent. Un
roman ne se construit qu'avec une intrigue, et pour que son
héros ne soit pas un jouet sans personnalité, autant
feindre de croire que si une possibilité d'intervention reste
à l'homme, il doit l'utiliser. Il peut ainsi affronter sa
destinée sans avoir la tentation de jouer l'autruche et de se
cacher la tête dans le sable.
Si les diverses formes de divination prennent une bonne place dans l'oeuvre de King, les procédés techniques de divination sont peu utilisés. On y trouve la cristallomancie, divination à l'aide de miroirs ou de boules de cristal : la boule de cristal est utilisée dans deux romans, en liaison avec Flagg, l'homme noir, qui en possède un dans Les Yeux du Dragon et Magie et Cristal. La planchette Oui-ja, souvent citée, intervient peu longuement dans les récits, sauf dans Le Fléau. La cartomancie, avec l'utilisation de cartes ou du tarot n'est rencontrée que dans le premier tome de La Tour Sombre.
La boule de
cristal.
Symbole de clarté et de pureté, le cristal de roche se
caractérise par sa limpidité, et on peut voir au
travers : matériel mais paraissant immatériel. Cette
caractéristique le situe, dans l'imaginaire, aux confins du
monde visible et invisible, et, en tant que tel, il a toujours paru
être le support le plus adapté à la divination :
il évoque la lumière et l'intuition. Si la gemme de
cristal a une réputation très ancienne3, la boule est plus récente. La
légende raconte que le roi franc Chilpéric
possédait un petit globe de cristal pour interroger l'avenir,
et il est fait mention de boules de cristal dans les traités
à l'usage des Inquisiteurs. Ce n'est qu'à partir du
XVIème siècle que la boule de cristal se substitua aux
miroirs et aux surfaces de métal poli. Les boules de certaines
voyantes ne sont évidemment pas en cristal, mais en
verre.
À cette époque magicien à la cour du roi de
Delain, Flagg, l'homme noir de Le Fléau,
se sent inquiet :"Le temps
pressait, ça, il le sentait. Ce serait bientôt,
très bientôt.
Il prit son porte-clés et ouvrit le dernier tiroir de son
bureau. Il en sortit un écrin de bois de fer finement
gravé et en retira un sac de cuir. Il dénoua la
cordelette et libéra une pierre qui semblait luire de
l'intérieur, d'une couleur aussi laiteuse que les yeux d'un
aveugle. On aurait dit une vulgaire pierre à savon, mais
c'était du cristal : la boule de cristal magique de
Flagg. (...)
- Montre-moi, c'est un
ordre!
Au début, il ne se passa rien, puis, peu à peu, le
cristal se mit à scintiller de l'intérieur. Ce
n'était qu'une faible lueur, diffuse et pâle. Flagg
toucha encore la pierre, du bout des doigts cette fois.
La pierre devenait toute chaude.
- Montre-moi Peter! C'est un ordre! Montre-moi cet infâme qui
ose se mettre en travers de mon chemin, montre-moi ce qu'il veut
faire!
La lueur devenait de plus en plus brillante... brillante...
brillante... Les yeux étincelants, les lèvres minces
découvrant ses dents, Flagg se pencha sur la pierre.
(...)
Soudain, l'éclat
laiteux s'évanouit pour laisser la place à une
lumière vive. Flagg voyait au coeur de la pierre. Ses yeux
s'écarquillèrent... puis se plissèrent sous la
surprise." (349/50)
À cet endroit, King va placer
une scène burlesque dans le drame. Le lecteur sait bien que le
prince Peter a préparé son évasion de la tour,
patiemment, depuis des mois, et qu'il la met peut-être
actuellement à exécution. D'autre part, King a
écrit son roman d'abord pour sa fille Noami. Si bien que King
va jouer sur un suspense verbal : l'évasion du prince risque
d'être compromise par la voyance du cristal, mais la boule,
obéissante, est stupide : elle obéit strictement aux
ordres qui lui sont donnés. S'ils sont imprécis, elle
livre n'importe quelle information en rapport avec la question
posée, comme un serveur d'Internet. Les premières
questions, trop générales, l'amènent au lointain
passé de Peter. Flagg entre dans un état de crise
rageuse où il s'est trouvé à plusieurs reprises
dans Le
Fléau, crises qui
contrastent avec son sang-froid habituel : perdant du temps, il
interpelle la boule de cristal à plusieurs reprises,
précisant à chaque fois mieux sa question, jusqu'au
moment où il parvient à la formuler correctement
:"Qu'est-ce que c'est que ces
vieilleries insignifiantes? Je veux connaître son plan
d'évasion... et la date! C'est un ordre!" (340) Place à
un troisième élément dans le suspense : le
cristal, ainsi malmené, va-t-il tenir? La question est bien
précise. Mais le cristal, trop sollicité, fatigue :
"La pierre devenait de plus en
plus chaude. S'il ne la laissait pas se reposer, bientôt elle
éclaterait en mille morceaux. Et les boules de cristal
magiques n'étaient pas faciles à trouver. Il lui avait
fallu trente ans de recherches avant d'en dénicher une. Mais
Flagg préférait la voir éclater plutôt que
d'abandonner.
- C'est un ordre! répéta-t-il, et, pour la
troisième fois, l'apparence laiteuse disparut. Flagg se pencha
sur la pierre jusqu'à ce que la chaleur lui tire les larmes
des yeux. Il les plissa et, malgré la souffrance, les
écarquilla sous le choc et la fureur.
C'était Peter. Il descendait lentement le long de la paroi de
l'Aiguille. Il faisait sans doute appel à un quelconque tour
de magie, car il n'y avait pas de corde." (Les Yeux du
Dragon, 341)
Magie et Cristal est placé
sous son signe, le cristal de voyance jouant un grand rôle dans
le récit. Il a été confié à la
sorcière Rhéa du Coos, qui s'en sert pour ses
recherches ordinaires. Comme celui de Flagg, le cristal est
enfermé dans un coffret, à la serrure secrète
:"Le coffret contenait un
globe de cristal plein de cette lumière rosée; elle
ruisselait en pulsations douces, comme les battements d'un coeur
content. (...)
Soudain la couleur du globe
fonça jusqu'à l'écarlate. Elle le sentit vibrer
entre ses mains comme un moteur d'une puissance
énorme. (...)
Puis la vibration mourut et la
lumière du globe parut se replier comme autant de
pétales. Une pénombre rosâtre lui
succéda... et trois cavaliers en sortirent." (131) Le miroir est
magique, et, contrairement à celui, borné de Flagg,
comprend les intentions de sa propriétaire :"Puis ce dernier [celui qui est à gauche] et celui de droite disparurent, comme
effacés par le pouvoir de la boule de la boule de cristal, qui
ne laissa visible que celui du milieu." (131) Suit sa description, qui le fait
reconnaître comme un pistolero, arrivant probablement de Gilead
vu son équipement. La boule vient de signaler la
présence de Roland.
Rhéa, en dépit de son
âge, a repris goût au sexe depuis les quelques mois
qu'elle possède le miroir maléfique en
dépôt :"Le
cristal était en train de la miner - de la boire comme un
vampire suce le sang.
(...) La boule de
cristal absorbait tout son temps. Quand elle n'y regardait point,
elle pensait y regarder ... Et oh! Quelles choses elle y avait
déjà vues!"
(294) Elle surprend ainsi Susan et Roland :"Elle se pencha encore sur la lueur rose poison
du cristal, enchantée de ce qu'elle y voyait. (...)
Elle [Susan]
embrassait et tripotait ce garçon avec le mélange
d'avidité et de timidité d'une vierge, mais elle ne le
resterait plus longtemps, s'ils continuaient à ce
train-là. (...)
Oh, c'était trop bon!
trop merveilleux!
Elle se pencha encore un peu plus, et ses orbites
démesurément caves s'emplirent d'un feu
rosé." (295)
Ce cristal maléfique
obsède Rhéa :"Rhéa adorait en bloc la boule de cristal, mais ce
qu'elle aimait tout particulièrement, c'était la
manière infaillible qu'elle avait de lui montrer autrui, au
comble de la vilenie. Jamais, dans ses roses confins, elle n'avait vu
d'enfant en consoler un autre après qu'il était
tombé en jouant ou encore de mari, la tête dans le giron
de sa femme, ni de vieilles personnes soupant paisiblement au soir
tombant; ces choses-là ne présentaient pas plus
d'intérêt pour le cristal que pour elle.
Au lieu de ça, elle avait assisté à des
incestes, vu des mères battre leurs enfants et des maris,
leurs femmes." (377)
Le cristal a une histoire que King
relie à la cosmogonie de la Tour, où il semble jouer un
rôle essentiel, qui pourrait prendre davantage d'ampleur dans
les prochains romans. Le père de Roland, le roi de Gilead,
connaissait l'existence de ce cristal, qu'il avait eu un moment en sa
possession :"Le père de
Roland leur parla quand ils se mirent en selle avant de prendre la
route de l'est, en direction de Mejis et de l'Arc
Extérieur.
- Une dernière chose, leur dit-il alors qu'ils ajustaient les
sangles de leurs selles. Je doute fort que vous voyiez quelque chose
qui touche nos intérêts - pas à Mejis - , mais
gardez l'oeil ouvert, et le bon, pour certaine couleur de
l'arc-en-ciel. L'Arc-en-Ciel du Magicien, en fait. (...) Le
rose." (439) Pour certains,
l'existence de l'Arc-en-Ciel du Magicien n'est rien qu'un conte de
fées. Pour d'autres, c'est un fait avéré
:"Si toutes les vieilles
histoires ne sont pas vraies, je crois que celle de l'Arc-en-Ciel de
Maerlyn l'est, répondit Steven. On raconte qu'autrefois, il
comptait treize boules de cristal, une pour chacun des Douze Gardiens
4 et la treizième qui
représentait le centre de connexion des Rayons.
- Une pour la Tour, dit Roland
à voix basse, se sentant gagné par la chair de poule.
Une pour la Tour Sombre.
(...) On l'appelait la
Treizième quand j'étais petit garçon. On se
racontait des histoires à se faire peur et à dormir
debout autour du feu, quelquefois, à propos de la boule
noire... à moins que nos pères ne viennent nous mettre
le holà. Mon propre pa disait que ce n'était pas
prudent de parler de la Treizième, car en entendant prononcer
son nom, elle pouvait rouler dans votre direction. Mais la Noire, la
Treizième, n'est pas importante pour vous trois... pas encore,
du moins. Non, pour vous, c'est la Rose. Le Pomélo de
Maerlyn." (439)
La légende affirme que, si les
autres boules de l'Arc-en-Ciel du Magicien ont existé un jour,
la plupart sont brisées à l'heure actuelle. Il en reste
peut-être trois ou quatre: la Bleue, détenue par les
Lents Mutants du désert. On pense que la Verte et l'Orange se
trouvent respectivement à Lud et à Dis. Il ne reste
peut-être plus que la Rose :"Certaines couleurs de l'Arc-en-Ciel du Magicien
permettent de jeter un coup d'oeil dans l'avenir, dit-on. D'autres,
à regarder dans d'autres mondes - ceux où vivent les
démons, ceux où le Vieux Peuple est censé
être allé quand il a quitté notre monde. Elles
peuvent aussi montrer l'endroit où se trouvent les portes
secrètes par lesquelles on passe d'un monde à l'autre.
D'autres couleurs, à ce qu'on raconte, peuvent voir loin dans
notre propre monde et montrer des choses qu'autrui aimerait autant
garder secrètes. Elles ne voient jamais le bien, seulement le
mal. Quelle est la part du vrai et la part du mythe là-dedans,
personne ne le sait avec certitude." (440)
Une dernière caractéristique de la boule de cristal est
l'impossibilité pour son détenteur de la détenir
sans danger :"Il ne peut pas
la garder avec lui tout le temps, tu vois. Même si ça
lui tranquilliserait énormément le coeur et l'esprit,
il ne pourrait pas. Personne ne le peut.
- Et pourquoi?
- Parce qu'elles sont vivantes et affamées. (...)
Celui qui les utilise finit
par être utilisé par elles." (441)
Il faut noter que King donne à ses objets une importance qui
dépasse le gadget, en les reliant en un ensemble
cohérent. C'est ainsi que Roland vit une période de
transe5 en lisant dans le cristal, et que, dans un tourbillon
rose, il y voit la ville de Tonnefoudre et divers personnages qui ont
passé dans son existence. Le coffret qui contient le cristal
possède non seulement l'inscription :"Qui m'ouvre, je le
vois", mais le dessin de l'Oeil rouge de
Flagg, cette partie de son esprit qu'il envoie en bilocation
à la recherche d'informations dans Le Fléau. Ce même oeil rouge de Flagg se trouve parmi des
graffiti sur l'autoroute de Topeka. De même que dans Les Yeux
du dragon Flagg utilisait une boule de cristal, il la reprend dans
Magie et Cristal, pour le perdre lorsque Roland fait feu sur lui.
À son habitude, il disparaît dans un nuage de
fumée verte en laissant derrière lui le cristal rose,
peut-être le dernier vestige de l'Arc-en-ciel. Le cristal
permet à Roland et son groupe de retrouver le chemin du
rayon.
Les
tarots.
Lié à l'ésotérisme, le jeu de cartes le plus ancien du monde6 a une signification symbolique que l'on n'a pas fini d'épuiser. Il comprend 56 cartes appelées «mineures», peu différentes des cartes à jouer habituelles, mais surtout 22 cartes «majeures», ou arcanes, qui constituent les figures du tarot. Alphabet ou langage secret pour ses adeptes, ces cartes (appelées «lames») propose une vision de l'univers condensée en des images chargées d'éléments à interpréter, avec lesquelles on peut établir quantité de relations et d'associations. Les combinaisons de ces cartes, dans lesquelles l'avenir peut se lire, sont considérables. Souvent la succession des lames est perçue comme le symbole d'un chemin initiatique, ce qui est le cas ici, puisque les cartes tirées pour le pistolero vont signifier les grandes lignes de son destin.
Dans Le Pistolero et l'Homme en
noir 7, Roland rejoint l'homme en noir, qui se
révèle invulnérable aux balles de ses revolvers,
et avec lequel il est bien obligé de composer. Ce dernier lui
annonce son avenir :"L'homme
en noir battit les cartes avec une dextérité
d'illusionniste. Un jeu d'une rare épaisseur, les dos
imprimés de circonvolutions complexes.
- Un tarot, expliquait l'homme en noir. Le jeu classique,
augmenté de lames personnelles. Regarde bien,
pistolero. (...)
Il faut en retourner sept, une
par une, et les placer en conjonction avec les autres. Voilà
bien trois siècles que je n'ai tiré les cartes à
personne, et je soupçonne ne l'avoir jamais fait pour y lire
un avenir tel que le tien.
(...)
- Vas-y, fit le pistolero, la
voix âpre. Dis-moi la bonne aventure.
Une première lame fut retournée.
- Le Pendu, dit l'homme en noir. (...) En
l'occurrence, hors de toute conjonction, cela signifie force et non
mort. Le Pendu, c'est toi, pistolero, cheminant vers ton but,
obstinément, par-dessus les puits de l'Hadès. Tu y as
déjà lâché un compagnon de voyage, si je
ne me trompe."
L'interprétation de l'Homme en noir est celle, classique, de
l'arcane XII du tarot dit «de Marseille» : le pendu,
suspendu par les pieds la tête en bas, perdant l'argent qui se
trouve dans ses bourses, symbolise l'homme prédestiné
qui a renoncé aux illusions du monde et se soumet au sacrifice
qui le fera accéder au niveau spirituel. Vu de façon
philosophique, la négation de la matérialité et
de l'inconfortpeut devenir sur un plan plus élevé une
force spirituelle de don ou de sacrifice pour l'idéal, une
préparation à la transmutation. Il manifeste un
désintérêt pour les choses de ce monde, de la
patience, de la prévoyance, de l'intuition,
caractéristiques qui correspondent à celles de Roland.
On trouve encore dans l'arcane un amour secret et
romantique8, du dévouement pour une personne ou une chose,
dans le cas de Roland évidemment la Tour. Et enfin
l'épreuve, le calvaire et le châtiment : ce que Roland a
déjà en partie vécu et vivra encore.
L'Homme en noir tire ensuite quatre cartes, qui ne sont pas dans le
tarot de Marseille et que je ne connais pas9 : celle du marin, qui correspond à
Jack; celle du prisonnier, qui renvoie à Eddy; Detta est
représentée par la lame de La Dame d'Ombres
:"Ne lui sens-tu pas deux
visages, pistolero? A juste
titre. C'est un vrai Janus.
- Pourquoi me montres-tu ces cartes?)
- Pas de questions (Cinglant. Souriant aussi.) Tu regardes, c'est
tout. Vois-y comme un rituel absurde, si ça peut te rassurer
Comme à l'église."
La cinquième carte est celle
de la Mort, un squelette moissonneur qui ne suscite que ce bref
commentaire :"Pas pour
toi." Il correspond au
pusher.
La sixième carte est celle de La Tour (encore appelée
Maison-Dieu) , l'arcane XVI du tarot de Marseille. Ces détails
ne sont pas précisés dans le texte, mais cette carte du
tarot représente une tour frappée par la foudre, du
haut de laquelle deux personnages tombent. Cette lame est
interprétée comme le symbole de la présomption
humaine, de l'égoïsme et de l'ambition, qui firent jadis
construire la tour de Babel : dans La Bible, la construction verticale de la Tour de Babel
symbolise la volonté des hommes d'atteindre les cieux, le
royaume de Dieu.. On sait que sa destruction par la colère
divine provoqua la dispersion de l'humanité et l'apparition de
la multitude des langages qui rendait impossible toute entreprise
humaine collective. Sur un plan symbolique, la tour est liée
au sentiment d'élévation. Signalons encore que sur la
lame XVI, les briques de la tour sont couleur de de la peau humaine
(du Blanc), couleur de l'organisme humain. Comme l'homme et tout ce
qu'il fait, la Tour témoigne de certaines imperfections, telle
que l'absence d'ouverture : pas de porte pour pénétrer
à l'intérieur 9bis . La
construction est décentrée, non
équilibrée. Mircea Eliade explique, à ce propos,
à quel point le centre est important, dans la construction, et
significatif de sa solidité. Dans la mesure où la
symbolique de la tour évoque aussi un axe du monde compris
comme le lien unissant la terre et le ciel, cet axe vacille. Les
boules multicolores tombant dans le désordre,
(réparties en trois couleurs), confèrent à
l'arcane une dimension chaotique. Les éléments sont
déréglés, l'ordre des choses est
bouleversé. Ce ne sont pas seulement ses constructions qui
s'effondrent, c'est l'univers dans sa totalité.
Ce qui explique que le tirage de la
Tour est l'occasion de propos ambigus : "La sixième à présent.
À sa vue, le pistolero sentit sourdre au fond des tripes un
étrange pressentiment : horreur et joie mêlées,
ensemble indescriptible. Il en retirait en même temps l'envie
de vomir et de danser. La Tour, dit l'homme en noir presque en un
souffle.
Le Pendu - carte du pistolero - était au centre du tirage,
chacune de celles qui avaient suivi étant allée se
poster à l'un des quatre angles. La figure évoquait le
ballet des planètes autour de leur étoile.
- Et la sixième, où se place-t-elle? demanda le
pistolero.
Pas de réponse.
- Qu'est-ce que ça veut dire? demanda le pistolero.
Pas de réponse.
- Va te faire foutre!
Toujours pas de réponse.
Quand la Maison-Dieu (la Tour) sort du jeu, la lame doit être vue comme une mise en garde. Elle concerne une personne traversant une période mouvementée, chaotique et déstabilisante.Sur la plan individuel, la sortie de la carte peut révéler une expérience pénible à vivre mais qui peut être salutaire. D'une rupture peut naître un nouveau départ, une évolution nouvelle, une autre perspective. Rien n´est achevé, tout se poursuit et doit être encore amélioré. Tout ceci donne à la tour une signification complexe, dont il est vain d'en tirer maintenant des conclusions alors que la saga n'est pas terminée.
- Alors, quelle est la septième carte?
L'homme en noir le retourna. Un soleil qui montait dans la
lumière d'un ciel d'azur semé d'amours et de lutins
virevoltants.
- Vie, annonça l'homme en noir, toujours aussi bas. Mais pas
pour toi.
- Où s'inscrit-elle dans la figure?
- Tu n'as pas à le savoir. Ni moi non plus d'ailleurs. (Il
expédia négligemment la carte dans le feu
déclinant."
10
Roland apprend qu'il doit gagner la mer, pour s'y trouver investi du
pouvoir de"tirer les cartes" (245) Le lecteur
passera des années avant de savoir à quoi correspondent
ces portes, qui sont des passages par lesquels l'esprit de Roland
pourra accéder aux USA des années 60 à 80. Dans
Les Trois
Cartes, Roland découvre
une porte magique qui le conduit par bilocation à une une
époque, pour y tirer deux de ses compagnons futurs qui
correspondent aux cartes tirées, Le Prisonnier et La Dame des
Ombres, une schizophrène. Il doit mettre fin à la vie
du Pusher qui peut seule mettre fin à la dualité entre
Detta et Odetta.
La tablette
oui-ja.
La doctrine spirite11 se fonde sur la croyance dans les relations entre le
monde matériel et le monde invisible, autrement dit entre les
hommes et les esprits. Qui sont ces esprits? On commença
à les recenser en demandant aux entités de
répondre aux questions posées par des coups dans les
murs, ou avec de petites tables qui frappaient les coups, en se
soulevant d'un côté : un ou deux coups pour dire oui ou
non. Les entités se définirent elles-mêmes comme
des esprits lors de ces transmissions.
Les communications avec les esprits
ne se révélèrent pas toujours faciles et ne
donnèrent pas toujours des conclusions intéressantes.
Les spirites ont avancé des explications. D'abord la rencontre
entre deux dimensions différentes entraîne des
difficultés. L'esprit vit ensuite dans l'atemporalité,
ou au moins une temporalité différente de la
nôtre, ce qui crée des carences en ce qui concerne les
noms et les dates. Le choc de la mort a pu modifier l'esprit. Enfin,
prétendent certains spirites, une sorte de censure
supérieure les empêcherait de révéler aux
vivants des informations qui doivent leur rester cachées.
Ces méthodes de communication
ont évolué grâce, paraît-il, aux
suggestions spontanées des «esprits» qui
proposèrent d'utiliser un crayon et une planchette à la
place du guéridon, afin de pouvoir s'exprimer plus
rapidement12. La planchette oui-ja13 est un morceau de bois, triangulaire, monté sur
roulettes pour faciliter son déplacement. Dans Le Fléau, à son habitude, King va mêler
explications et mise en scène. Nadine s'est servie une fois
d'une planchette à l'Université, dans une chambre
d'étudiantes. L'une d'entre elles fait la démonstration
:"C'est une planchette ouija,
un instrument dont se servent les médiums. Les
kinesthéologues...
(...) Ils
prétendent que la planchette réagit en fait à de
petits mouvements des muscles, probablement guidés par le
subconscient. Naturellement, les médiums prétendent que
la planchette obéit aux esprits..." (784) Les
étudiantes s'amusent, ne voyant rien de sérieux dans le
jeu :"Elles jouent avec le
feu, ces imbéciles, reprit la jument [l'étudiante, ainsi
appelée par King]
avec une moue
dédaigneuse. Elles sont idiotes. Les médiums et les
hommes de science sont d'accord pour dire que l'écriture
automatique peut être très dangereuse.
- Tu crois que les esprits ne sont pas de bonne humeur ce soir?
demanda Nadine.
- Les esprits ne sont peut-être jamais de bonne humeur,
répondit la jument en lui lançant un regard
sévère. Ou vous risquez de recevoir un message de votre
subconscient que vous n'êtes absolument pas prête
à assimiler. La littérature spécialisée
parle de très nombreux cas d'expériences
d'écriture automatique qui ont totalement
dégénéré. Les gens sont devenus fous.
- Oh, c'est peut-être aller un peu loin, ce n'est qu'un
jeu.
- Les jeux sont parfois terriblement sérieux. Un énorme
éclat de rire collectif mit un point final à
l'exposé de la jument avant que Nadine ait eu le temps de
répondre."
(784)
King ne peut pas rater l'occasion de décrire une séance
de spiritisme qui se corse quand Nadine essaie à son tour,
avec ses doigts posés sur la planchette :"La planchette donna un autre coup, si fort
qu'elles faillirent la lâcher, et fila jusqu'à l'angle
supérieur gauche de la feuille.
- Ouch ! dit Nadine. Vous avez senti...
Elles avaient toutes senti, même si ni Rachel ni Jane Fargood,
dite Janey, ne voulurent lui en reparler plus tard. D'ailleurs, elle
ne s'était jamais plus sentie la bienvenue dans la chambre de
ces deux filles depuis cette soirée. Comme si toutes les deux
avaient eu peur de la fréquenter de trop près
après cette expérience.
Soudain, la planchette avait commencé à frémir
sous leurs doigts, comme lorsqu'on effleure le pare-chocs d'une
voiture qui tourne au ralenti. Une vibration très
régulière, inquiétante. En aucun cas un
mouvement qui puisse être provoqué par une personne sans
qu'elle en ait parfaitement conscience.
Les jeunes filles étaient devenues très silencieuses.
Leurs visages avaient pris une expression particulière, celle
que l'on voit sur les visages de tous ceux qui ont assisté
à une séance de spiritisme où il s'est
véritablement passé quelque chose - quand la table
commence à bouger, quand une main invisible frappe contre le
mur, quand le médium se met à souffler par les narines
la fumée grisâtre du
téléplasme14. Une expression d'attente, comme si l'on voulait que
cette chose s'arrête, comme si l'on voulait qu'elle continue.
Une expression d'excitation distraite, craintive... et, lorsqu'il
prend cette expression, le visage humain ressemble beaucoup au
crâne qui n'est jamais qu'à quelques millimètres
sous la peau.
- Arrêtez ! hurla tout à coup la jument. Arrêtez
tout de suite, ou vous allez le regretter!
Et Jayne Fargood avait hurlé d'une voix terrifiée : Je
ne peux plus retirer les doigts!
Au même instant, Nadine s'était rendu compte que ses
doigts étaient collés sur la planchette. Elle avait
beau tirer de toutes ses forces, ils refusaient de bouger.
- Ça suffit, la plaisanterie est finie, dit Rachel d'une voix
blanche. Qui...
Et, tout à coup, la planchette s'était mise à
écrire.
Elle se déplaçait avec une rapidité fulgurante,
entraînant leurs doigts dans sa course, entraînant leurs
bras dans une danse qui aurait été drôle si elle
n'avait pas été parfaitement involontaire. Nadine pensa
plus tard qu'elle avait eu l'impression de se trouver aux prises avec
une machine de conditionnement physique. Auparavant, sur les autres
messages, l'écriture était très penchée,
très lente - comme si les mots avaient été
écrits par un enfant de sept ans. Mais maintenant,
c'était une écriture déliée, puissante...
en grosses majuscules qui s'étalaient sur toute la page. Il y
avait dans cette écriture quelque chose d'implacable, de
méchant.
NADINE, NADINE, NADINE, écrivait follement la planchette.
COMME J'AIME NADINE MON AMOUR MA NADINE MA
REINE SI TU SI TU SI TU RESTES PURE POUR MOI SI TU RESTES PROPRE POUR
MOI SI TU SI TU MEURS POUR MOI TU ES
La planchette bascula, vira de bord et recommença à
écrire, plus bas.
TU ES MORTE AVEC LES AUTRES TU ES DANS LE
LIVRE DES MORTS AVEC LE RESTE DES AUTRES NADINE EST MORTE AVEC EUX
NADINE POURRIT AVEC EUX À MOINS À MOINS
La planchette s'arrêta. Vibra. Nadine pensa, espéra - oh
comme elle l'espérait - que c'était fini. Puis elle
recommença à courir plus bas. Jane poussa un hurlement.
Les autres étaient pâles, effrayées,
épouvantées.
LE MONDE LE MONDE BIENTÔT LE MONDE
MOURRA ET NOUS NOUS NOUS NADINE MOI MOI MOI NOUS NOUS NOUS SOMMES
NOUS SOMMES NOUS
Et les lettres parurent hurler à travers la page:
NOUS SOMMES DANS LA MAISON DES MORTS
NADINE
Le dernier mot courut en travers de la page en lettres de trois
centimètres de haut, puis la planchette tournoya sur
elle-même, quitta la feuille de papier, laissant
derrière elle une longue trace noire de plombagine, avant de
tomber par terre et de se casser en deux." (787/8)
Nadine se souviendra de cette expérience quand, basculant du
côté des forces des ténèbres, elle aura
besoin des instructions de Flagg. Elle se procure dans un magasin une
planchette :"Elle sortit une
boîte de couleurs vives dont le couvercle était
décoré d'une photo représentant des adultes en
train de rire, en train de jouer. Un jeu vieux d'au moins trois mille
ans.
Elle avait trouvé sa planchette ouija dans un
bazar (...)
elle n'avait pas encore
osé l'utiliser... pas jusqu'à maintenant. Quelque chose
l'avait poussée à entrer dans ce magasin et,
lorsqu'elle avait vu la planchette dans sa jolie petite boîte,
elle s'était sentie écartelée,
entraînée dans un terrible combat - la sorte de combat
que les psychologues appellent aversion/compulsion. Elle avait
abondamment transpiré, comme elle transpirait maintenant,
partagée entre deux désirs : sortir à toute
vitesse de ce magasin sans regarder derrière elle, s'emparer
de la boîte, de cette si jolie boîte, pour la rapporter
chez elle. Amusez-vous, étonnez vos amis avec la planchette
oui-ja, disait la boîte." (779) Nadine n'a pas alors l'impression d'exercer
alors sa volonté. Plus tard, perdue et
désespérée, elle sent qu'elle est au bord de la
frontière :"Elle
sentait sa présence venir de derrière, l'écraser
de tout son poids, l'attirer vers le fond comme des blocs de ciment
attachés aux pieds d'un cadavre : la présence de Flagg,
une présence sombre qui arrivait en vagues
régulières, inexorables.
Quelque part, l'homme noir errait dans la nuit et elle
prononça deux mots, comme une incantation à tous les
mauvais esprits qui ont jamais été, comme une
incantation, comme une invitation :
- Dis-moi.
Et, sous les doigts de Nadine, la planchette se met à
écrire." (788)
D'autres types de communications
avec les esprits se trouvent dans Sac d'os,
où nombreuses sont les communications entre l'écrivain
et son épouse défunte, à laquelle il faut
ajouter celles de son adversaire de l'au-delà.
L'écrivain y pratique notamment l'écriture automatique.
D'autres cas de mantiques se retrouvent ici et là,
comme la cérémonie de la petite fumée
dans Ça.
Certains Indiens, quand ils avaient à prendre une
décision importante, creusaient un trou, le recouvraient de
branches, se rassemblaient dans le trou, allumaient un feu et
attendaient que la fumée du feu leur inspire des visions.
Presque toujours, la bonne décision était prise. Ben
vient de trouver ces informations"dans un livre de la bibliothèque , la semaine
dernière" (706) Ce
rituel permet de prévoir et d'organiser l'avenir
:"«Ces Indiens avaient
des cérémonies spéciales. (...)
A chaque fois qu'ils avaient
des décisions importantes à prendre (...),
ils creusaient un grand trou,
qu'ils recouvraient de branches en laissant juste un petit passage
pour la fumée. Quand l'installation était
terminée, ils allumaient un feu dans la fosse. Ils se
servaient de bois vert pour qu'il y ait beaucoup de
fumée.»" Les guerriers les plus braves étaient
choisis pour avoir des visions :"«En principe, ces visions expliquaient à la
tribu ce qu'elle devait faire, reprit Ben. Et je ne sais pas si c'est
vrai ou non, mais d'après le livre, elles faisaient presque
toujours prendre la bonne décision.»
L'histoire de la petite
fumée de Ben était quelque chose de plus qu'un exemple
qu'on prend dans un livre pour ensuite jouer soi-même à
l'apprenti chimiste ou magicien. Il le savait, tous le savaient.
C'était quelque chose qu'ils étaient censés
faire." (707) Dans le cas
présent, le rituel permettra aux deux enfants les plus
résistants d'avoir la vision cosmique de Ça venant sur
terre - et donc une information cruciale sur sa nature.
Un problème de vocabulaire se
pose d'abord à propos de ce que les spécialistes
appellent l'O. B. E., suivant les initiales anglaises,"out of body",
que l'on peut traduire par"décorporation". Mais les mots
français les plus utilisés sont :"bilocation" (qui ne
précise pas que le corps reste en place),
le"dédoublement", mot qui a d'autres sens, notamment en
psychiatrie. On parle encore d'ubiquité. La bilocation est un
rite chamanique très ancien15, au cours duquel le chamane quitterait provisoirement
son corps, qui devient immobile, prenant les apparences du sommeil,
de la transe ou de la mort.
L'imaginaire fabule beaucoup à propos de la
bilocation16. Les hommes souffrent d'être limités par
leur monde à trois dimensions, et souhaitent trouver des
extensions supplémentaires, dont le mythe d'Icare est un bon
exemple. On imagine les sensations qu'on peut éprouver quand,
évadé de son corps physique, on peut aller voir ce qui
se passe à distance, éprouver des sensations inconnues,
entrer dans le corps des autres, contacter des personnes disparues ou
des entités aux multiples pouvoirs. Les sensations virtuelles,
qui permettront d'obtenir bientôt l'équivalent, sont
promises à un bel avenir.
Commentaires
généraux sur la bilocation.
La bilocation est un sujet porteur. Nombreux sont nos contemporains
intéressés par tout ce qui se rapproche de ce que les
Anglais appellent la"Near Death experience", l'expérience
proche de la mort. Plusieurs expériences d'après vie
ont été racontées par des comateux, ou des
personnes déclarées en état de mort
clinique17 et c'est souvent d'après leurs dires qu'on a
remis au jour des idées fort anciennes et jamais
vérifiées.
Les mots pour définir cette
partie du corps qui peut ainsi s'en éloigner
momentanément sont nombreux : âme, conscience, esprit,
ka, qui ont des caractéristiques très
proches18. Des occultistes l'appellent le corps
astral19. Le corps astral serait le siège des sentiments
et du désir, et posséderait une aura20. Dans une optique différente, mais
analogue à l'âme chrétienne, le corps astral est
supposé pouvoir abandonner l'enveloppe physique pour se
déplacer là où il veut. Le mode d'interaction
entre le corps physique et le corps astral n'est pas connu, il est
décrit comme une force occulte. En occultisme, l'acceptation
du dogme de l'esprit, d'une partie immatérielle du corps, est
essentielle. Comme l'âme chrétienne, le corps astral
serait fait d'une matière «plus
éthérée»21 que celle du corps physique auquel il appartient et ses
atomes seraient «très éloignés» les
uns des autres (?). Le corps astral pourrait quitter le corps
physique, mais y reviendrait nécessairement.
L'éloignement définitif du corps astral ne ne se ferait
qu'à la mort22. La bilocation, (que les occultistes appellent le
voyage astral)23 , consiste à se trouver temporairement en deux
lieux à la fois simultanément, grâce à
l'extériorisation du corps astral24. L'impression ressentie serait de pouvoir se
déplacer librement dans l'espace. Il existe une bilocation
spontanée, qui surgit généralement pendant le
sommeil, dans un rêve, ou sous l'effet de la drogue. Le dormeur
a l'impression de se réveiller hors de son corps. Il lui
arrive de s'affoler inutilement, de craindre d'être mort. Sa
conscience lui paraît fonctionner normalement, tout en ayant
l'impression d'être en dehors de son corps. Cela cesse
inopinément, ou quand une autre personne éveille le
corps : certains, qui décrivent cette expérience, ont
senti littéralement leur conscience réintégrer
leur corps...
Cette bilocation permet une expérience extracorporelle, qui
peut aller de la simple visite d'un autre esprit, jusqu'à une
incorporation permettant d'agir en utilisant le corps
emprunté25. Le corps physique d'où est parti le corps
astral ne bouge pas : inconscient, il paraît
libéré de la pesanteur, comme en état de sommeil
cataleptique, expérience parfois décrite comme une
situation de narcose, de transe ou de coma. La conscience en
décorporation peut être en sommeil, ou rester aussi vive
dans le corps habituel que dans le second corps physique. La
bilocation peut aussi s'accompagner d'une attention neutre,
permettant de capter les informations nécessaires sans
ressentir d'émotions. On voit ainsi que les mots
dédoublement ou double sont
ambigus, puisqu'il n'y a pas division de l'individu en deux
êtres physiques équivalents. Manifestation temporaire,
sujet aux variations psychologiques du sujet qui le produit, le
double n'est en aucune façon de la même nature que le
corps physique.
Enfin la distance, pour les tenants de la bilocation, ne semble pas
être un obstacle. On a rapporté des cas de bilocation
à plusieurs milliers de kilomètres. On prétend
que le corps astral est lié au corps physique par un lien,
sorte de fil très fin appelé le «cordon
d'argent», qui lui permettrait de continuer d'être
relié à son corps physique et de retrouver son
enveloppe matérielle. Ce ne serait qu'à la mort que le
corps astral abandonnerait définitivement le corps et que
le«cordon d'argent» serait rompu.
Le contrôle
du cerveau du double en bilocation.
Dans Carrie, son
premier roman édité, King utilise la bilocation dans
une scène où Carrie, moribonde, explore le cerveau de
Sue pour savoir si elle a contribué à la scène
du bal sanglant :"Ce fut pour
Sue une sensation terrifiante. Sa tête et son système
nerveux étaient devenus une bibliothèque. Dans
l'affolement, un être la parcourait en tous sens."
(262). Dans Shining,
grâce à son don de voyance, Danny est en mesure de
pratiquer la bilocation, en envoyant sa conscience dans l'espace. Il
peut, par le même moyen, communiquer avec les puissances
invisibles : il"laissa partir
son esprit à la recherche de son père et le localisa
dans le bal. Il essaya de pénétrer un peu plus avant
dans ses pensées."
(320) L'hôtel réagit avec violence
:"(ARRÊTE DE LIRE SES
PENSÉES, PETIT MORVEUX!)
Cette semonce mentale lui donna la chair de poule." (321)
Dans d'autres romans, la bilocation
est un des éléments constitutifs du récit.
Le tome 2 de la saga de La Tour Sombre
26 est bâti sur la bilocation
répétée de Roland de Gilead, blessé, qui
va, selon l'oracle, aller chercher les compagnons qui l'aideront dans
son entreprise. De son monde, il a ouvert une porte cosmique par
laquelle il voit la terre. Sans avoir rien fait, il se trouve
projeté dans un autre monde, qu'il voit avec des yeux qui ne
sont pas les siens :"Le
pistolero oscilla, saisi de vertige, vaguement nauséeux.
Images et mots descendirent, et il découvrit une allée
avec, par-delà, deux files de sièges. Quelques-uns
vides, mais la plupart occupés... par des hommes vêtus
d'une étrange manière." (Le Prisonnier,
1.6) Il se trouve dans un avion,
bilocalisé dans un passager, Eddie, qu'il possède en
partie en occupant son cerveau. Le cas est proche de la possession,
sans l'être. Roland ne connaît pas ce monde et laisse son
corps d'emprunt momentané régir une bonne partie des
problèmes qui se posent.
Roland est capable de voir son corps
qui l'attend dans son espace, en mauvais état
:"La porte était
toujours là, dans son dos, ouverte sur son
monde. (...) Et lui aussi était là, lui,
Roland, le dernier pistolero, couché sur le côté,
sa main bandée plaquée sur l'estomac.
Je respire toujours, constata-t-il. Je vais y retourner et me
déplacer."
(Le Prisonnier, 2.3) Son corps est resté abandonné
sur une plage, à la portée des homards géants,
qui l'ont déjà blessé. Il y retourne, pour
trouver son corps"dans un
sommeil si profond qu'il le crut un moment déjà
entré dans le coma
27 ... dans un
état où les fonctions vitales s'étaient à
ce point raréfiées qu'il n'allait pas manqué de
voir sa conscience entamer d'une seconde à l'autre une longue
glissade dans les ténèbres." (Le Prisonnier, 4.6)
King se souvient que dans les
cultures chamaniques, les futurs chamanes sont choisis parmi les
enfants qui ont naturellement des pertes de
conscience28 et qu'il en est de même pour certaines peuplades
archaïques, comme celles des Indiens d'Amazonie29. D'autres méthodes sont
utilisées par des esprits religieux pour obtenir l'extase,
comme le jeûne, la souffrance continue (cilice, flagellation)
ou la privation de sommeil.
Dans le cas de la bilocation,
plusieurs situations ont été décrites, à
partir d'expériences personnelles évidemment
incontrôlables. La conscience peut en effet soit demeurer
intégralement dans le corps physique, soit passer
entièrement dans le «double». Quand elle reste dans
le corps physique, on se trouve dans le cas d'un
phénomène de voyance itinérante par bilocation,
que King a utilisé ailleurs. Elle peut, comme ici dans le cas
de Roland, passer dans le «double», le corps d'origine
étant alors déserté. Elle peut aussi rester dans
les deux à la fois, avec une conscience diminuée de
part et d'autre.
King a fait le choix d'une situation où l'esprit de Roland
quitte complètement son corps abandonné, pour y revenir
ensuite. Dans les cas de bilocations classiques repris dans les
ouvrages spécialisés à partir de
témoignages, le retour dans le corps est déclaré
perçu physiquement par celui qui y revient, des sensations de
renversement et de confusion. Ce que ressent Roland
réintégrant son corps :"À l'inverse, il força donc ce corps
à l'éveil, le bouscula hors de sa tanière de
pénombre où il s'était terré. Il
accéléra son coeur, fit réaccepter à ses
nerfs la souffrance qui grésillait à fleur de peau,
rendit sa chair à la douloureuse
réalité."
(Le Prisonnier, 4.6)
Sur la nature de cette conscience, qui reste, intacte ou
diminuée, ou bien qui s'en va pour revenir, toutes sortes
d'hypothèses ont été formulées, de
l'âme qui survit au corps à la croyance ancienne des
Égyptiens dans le ka, King semble avoir repris l'existence du
Ka sous la forme que des occultistes ont appelé le «corps
astral». Les Égyptiens pensaient que le ka est
en l'homme son support vital, l'"énergie motrice de l'être, qui donne
l'élan de la vie. Chaque homme, chaque dieu possédait
un ka particulier, parcelle de la grande force divine diffuse dans
l'univers." 30. Le corps était ainsi habité par le
ka, une sorte de double, et aussi une âme qui se
comportait dans le corps comme un oiseau dans un arbre. Ces trois
éléments - le corps, le ka et
l'âme -, survivaient à la mort apparente. Les
Égyptiens pouvaient échapper à la mort si la
chair se conservait et s'ils pouvaient se présenter devant
Osiris purs de tout péché. Les Égyptiens
pensaient en effet, comme beaucoup de religions l'admettent, y
compris la religion chrétienne, que le double ne meurt pas
avec la vie terrestre31, qu'il est capable de lui survivre longtemps, enfoui
dans une sorte de rêve-souvenir de son double physique.
King utilise le mot"ka"
égyptien quand la force vitale de Roland, effectuant un
transfert psychique, il se projette dans l'esprit d'un
autre,"Un ka
détaché dans le cerveau d'Eddie." (Le
Prisonnier, 3.17). Il s'y
interroge d'ailleurs :"Il se
demandait comment l'homme dans l'esprit duquel son ka de
pistolero avait élu domicile pouvait être aussi
bête." (Le Prisonnier, 3.8)32. Ensuite le ka prend un sens
différent, celui de cerveau coordinateur :"Divorcé d'un corps diminué, son
esprit -son ka- retrouvait
son acuité foncière" (Le Pusher,
1.4). Ou:"Physiquement présent plutôt que
ka désincarné, il n'eût pas
manqué de se tenir sur la pointe des pieds, prêt
à reprendre les choses en mains au moindre signe de
mutinerie" (Le Pusher, 4.8).
Il assiste, effaré, à la vie quotidienne de notre
temps, si éloignée de son Moyen-Âge du futur ,
où des véhicules magiques se déplacent à
une vitesse vertigineuse alors que les chevaux ont disparu
:"Le pistolero, quelque part
dans l'esprit de cet homme
(...) assistait
à tout cela comme à ces pièces de
théâtre qu'on voyait jadis, avant que le monde
n'eût changé... ou pensait ainsi regarder les choses car
c'était le seul spectacle dont il eût
l'expérience. Eût-il connu le cinéma que la
comparaison se fût instantanément
imposée." (Le Prisonnier, 2.8)
Quand Roland transporte ses compagnons d'une autre époque ou
des objets (procédé que King a mis au point avec Peter
Straub dans Le
Talisman), il ne pratique plus la
bilocation, mais la télétransportation,
procédé qui appartient au domaine de la P.
K.33 et non plus des facultés extrasensorielles.
Dans le dernier roman de King, Dreamcatcher, la
bilocation de Jonesy est continuelle, encore que s'effectuant selon
des conditions particulières. Son corps et la plus grande
partie de sont esprit sont"possédés" par
l'extraterrestre Mr Gray. Sauf la partie de sa mémoire qui
concerne son enfance, Derry et ses intentions à l'égard
du grisâtre, qui s'est réfugiée dans un lieu
symbolique, le bureau d'un entrepôt :"Cette pièce-ci est plus sûre,
peut-être. Elle est son dernier refuge, et il l'a
décorée avec l'image qu'ils avaient tous espérer
voir" quand ils
étaient enfants, qu'ils y étaient venus et avaient
délivré Dudds torturé par des voyous
:"Excepté pour la
partie de moi-même enfermée dans cette pièce
poussiéreuse
(...),
je suis entièrement Mr
Gray." (320)
Jonesy"instrument impuissant
d'une mission incompréhensible pour lui, tira un peu de
consolation de deux choses. La première était que Mr
Gray ne savait pas comment atteindre le dernier petit noyau dur
restant de lui, ce fragment qui n'existait que dans le souvenir qu'il
avait du bureau des frères Tracker." (329)
Voyance et
bilocation.
Lors d'une manifestation de clairvoyance itinérante, en
revanche, le sujet se trouve au centre de l'événement
lointain dont il parle et sa conscience est aussi vive et attentive
dans son corps physique que dans son «double». En pratique,
la personne placée au coeur de l'expérience est en
mesure de la décrire et d'obéir à des ordres
formulés par les expérimentateurs qui l'entourent et,
simultanément, d'agir, d'observer et d'évoluer dans le
cadre de la scène qui se déroule loin d'elle. Ce
phénomène se produit spontanément pendant le
rêve, ou bien à titre expérimental, auquel cas il
a lieu sous hypnose, soit provoquée par un facteur
extérieur, soit auto-induite.
King nous en donne
un magnifique exemple dans Le Fléau
avec le diabolique Homme Noir, Flagg. Flagg possède l'Oeil
rouge, dérivé du troisième oeil
hindou34. Pour être renseigné sur ce qui se passe,
Flagg envoie, la nuit, l'Oeil effectuer une tâche semblable
à celle d'un satellite espion :"Il le sentit se séparer de lui avec une petite
secousse indolore. Et l'Oeil s'envola, silencieux comme un faucon,
porté par de noirs courants ascendants. (...) Il volait
haut, d'un vol large et silencieux, au-dessus d'un monde de
cimetières. En bas, le désert s'étendait comme
un sépulcre blanchi entaillé par le ruban noir de
l'autoroute. Il vola en direction de l'est, franchit la
frontière de l'État, son corps loin derrière
lui, ses yeux brûlants renversés en arrière,
découvrant leur blanc aveuglant." Ce détail semble indiquer que Flagg, le corps
d'origine, est en état de transe.
Un long voyage commence, avec de
nombreux détails pittoresques sur un paysage nocturne
changeant, d'autres qui se rapportent directement au sujet qui nous
intéresse. Corps astral ou de nature autre, l'Oeil
maléfique est perçu par les animaux :"Un aigle, perché sur la plus haute
fourche d'un très vieux pin éventré par la
foudre (...), sentit quelque chose passer près de
lui, une chose douce d'une vision mortelle qui sifflait dans la nuit,
et l'aigle prit son vol, intrépide, pour être
aussitôt repoussé par une sensation de froid mortel. Le
grand oiseau tomba presque jusqu'à terre, stupéfait,
avant de se reprendre.
L 'Oeil de l'homme noir allait à
l'est." (1056)
Un chien le détecte
également :"Un
grognement sourd, et ll'Oeilse tourna
dans une autre direction. Il y avait un chien de l'autre
côté du feu de camp, la tête baissée, la
queue recourbée sur ses parties génitales. Ses yeux
brillaient comme de sinistres joyaux d'ambre. Son grondement ne
s'arrêtait pas, comme un tissu qui se serait
déchiré sans cesse. L' Oeil le fixa et le chien ne
baissa pas les yeux. Ses babines se retroussèrent et il montra
les dents." (1057) Les
animaux remarqueraient l'insolite plus facilement que les hommes. Les
hommes ne voient pas l'Oeil, comme le fait le chien, ils ne sentent
que confusément sa présence :"L'une des silhouettes s'assit (...), regarda
autour de lui, soudain mal à l'aise.
- Qu'est-ce qu'il y a, mon vieux ? murmura-t-il au chien. Tu sens
quelque chose?" (1057)
L' Oeil est guidé par la volonté de Flagg, qui dirige
sa course en fonction de ses besoins d'informations. Dans son corps
en état de transe, Flagg les décode et peut focaliser
l'Oeil sur ce qui l'intéresse :"L 'Oeil descendit en décrivant une spirale.
Le feu était en train de mourir. Quatre silhouettes dormaient
à côté.
C'était donc vrai.
L'Oeil es jaugea froidement. Ils arrivaient. Pour des raisons qu'il
ne pouvait comprendre, ils arrivaient vraiment. Nadine avait dit la
vérité."
(1057) La lucidité de Flagg n'est pas touchée
par son état de transe, alors que le corps de Roland sur le
bord de la plage n'avait plus aucune fonction intellectuelle.
Quand l'Oeil réintègre son corps, il se reconnaît
avant de se fondre en lui :"Plus tard, combien de temps plus tard, il
s'arrêta au-dessus du désert et il se regarda. Puis il
descendit lentement, s'approcha du corps, plongea en lui-même."
King y ajoute les impressions
de"renversement" invoquées par ceux qui auraient fait une
expérience de bilocation :"Un moment, il eut une curieuse sensation de vertige,
comme si deux choses fusionnaient en une seule. Puis l'Oeil disparut
et il n'y eut plus que ses yeux qui regardaient l'éclat froid
des étoiles."
(1057) King voit dans la bilocation comme l'envoi d'une
substance qui est son double, ici matérialisée par
l'Oeil, à la fois lui-même et un élément
de lui-même dont il peut se séparer à
volonté.
La bilocation est une disposition
dont disposent les êtres surnaturels, que possède Flagg,
créature du diable35. L 'Oeil peut revêtir l'apparence d'êtres
maléfiques :"Il avait
maintenant rejoint la nuit. Il était l'oeil du corbeau, l'oeil
du loup, l'oeil de la belette, l'oeil du chat. Il était le
scorpion, l'araignée aux longues pattes
velues."(1056). Ces êtres envoyés partout lui
permettent d'être parfaitement informés
:"Peut-être irait-il
là-bas, déguisé en corbeau par exemple, ou en
loup, ou en insecte - une mante religieuse par exemple, quelque chose
d'assez petit pour se faufiler dans une prise d'air soigneusement
camouflée au milieu des hautes herbes sèches du
désert. Il avancerait en rampant ou en sautant dans des
conduits noirs pour se glisser finalement à travers la grille
d'un climatiseur ou d'un ventilateur d'aération.
Cet endroit se trouvait sous la terre. Juste à l'entrée
de la Californie.
Il s'y trouvait des éprouvettes, des rangées et des
rangées d'éprouvettes, chacune avec sa petite
étiquette Dymo pour l'identifier : super-choléra,
super-anthrax, nouvelle version améliorée de la peste
bubonique, toutes des souches mutantes comme cette super-grippe qui
avait été presque si universellement mortelle. Il y en
avait des centaines dans cet endroit, assortiment complet pour tous
les goûts, de toutes les couleurs." (1002)
Des agents de la Lumière sont
envoyés par Abigaël pour lutter contre Flagg. L'un
d'entre eux se sent espionné par un corbeau, occasion pour
King de préciser la nature de cet Oeil :"Ce qu'il voyait devant lui était l'homme noir, son âme, son ka
incarné dans ce corbeau grimaçant. (...)
Si c'était lui,
pourrais-je le tuer? Emprisonner son ka - si cette
chose existe - dans le cadavre de ce corbeau?" (954).
Quand le sujet se dédouble, il devrait pouvoir être vu
par un tiers. Le fait ne se produit que rarement. Le «corps
astral» ou son équivalent, est généralement
perçu de manière vague, comme une forme scintillante,
sans matérialité véritable. Si une forme
matérielle est entrevue, c'est de manière fugitive.
Bilocation et
téléportation.
Dans Insomnie, Ralph, puis Loïs vivent une curieuse
expérience. Perdant de plus en plus le sommeil, Ralph commence
à voir des auras autour des gens et des objets. On sait que la
privation de sommeil est, pour certains religieux, le moyen d'arriver
jusqu'à l'extase, sorte de bilocation religieuse. Ralph voit
aussi de curieuses créatures dans une réalité
parallèle, et se trouve pris dans un jeu d'importance cosmique
entre des entités et des intentions transcendantes rivales. Il
acquiert, avec Loïs qui a subi les mêmes transformations,
de curieuses propriétés, parmi lesquelles la
bilocation, curieusement utilisée à nouveau par King
dans un avion, comme dans Les Trois Cartes.
S'agit-il de bilocation ou de téléportation? À
son habitude, King joue avec les distinctions claires. Ralph se
trouve dans une sanisette quand il est déplacé dans une
autre dimension. À la fin de l'épisode, il se retrouve
à nouveau dans la sanisette. Son corps y est-il resté?
Dans ce cas, ce serait de la bilocation. Aurait-il transporté
son corps avec lui, ce qui serait de la téléportation?
Voici quelques passages se rapportant à cette situation
plutôt curieuse. d'abord le passage :" Il hésita un instant devant le siège des
toilettes puis se souvint de la civière de l'hôpital qui
lui était passée sur la tête sans
l'écrabouiller, et se dirigea sans hésitation vers le
fond de la cabine. Il serra les dents, s'attendant à
s'écorcher les tibias
(...) et passa à travers l'objet comme s'il
était en fumée (ou comme si lui-même était
en fumée.)"
(639) Corps physique ou corps astral,
éthérique?
Dans les phrases suivantes, King
évoque la téléportation, tout en
précisant qu'il s'agit"d'une forme" :"Il eut une inquiétante sensation de
vertige et d'absence de poids et crut pendant un instant qu'il allait
vomir. Sensation accompagnée de l'impression de se vider,
comme si une grande partie du pouvoir qu'il avait pris à Lois
venait de se volatiliser 36. C'était sans doute le cas; il venait
de pratiquer une forme de téléportation, après
tout, un vrai truc de science-fiction qui devait forcément
consommer d'énormes quantités d'énergie.
La sensation de vertige passa, remplacée par une autre encore
pire, celle d'avoir été plus ou moins fendu à
hauteur du cou. Il avait devant lui toute une portion de la
planète, et sa vue n'était limitée par
rien" (639) Sous quelle
forme est-il passé dans l'espace? Un corps, mais de quelle
nature? Éthéré?
"Juste au-dessous de lui
s'allongeait le pare-brise de l'appareil. (...) Il
plia les genoux, et sa tête glissa sans peine à travers
le toit de la carlingue. Un instant, il eut un goût d'huile
dans la bouche et les poils minuscules de son nez lui firent
l'impression de se hérisser comme sous l'effet d'un courant
électrique. Puis il se retrouva agenouillé entre les
sièges du pilote et du copilote." (640) Une certaine forme du corps est
présente : Ralph a plié les genoux, dans l'avion il
s'est "agenouillé", ce qui peut s'appliquer à un corps.
Mais ce corps, transparent, n'est qu'un ectoplasme puisque ni la
tête, ni le corps ne sont visibles pour le pilote, Ed
:"Ed tourna la tête et
regarda directement vers Ralph. Il avait l'oeil agrandi, avec quelque
chose d'insensé et de prudent à la fois dans
l'expression (...)
Ralph eut un mouvement de
recul, certain d'avoir été vu, mais Ed ne réagit
pas, se contentant de jeter un regard soupçonneux sur les
trois autres sièges de la cabine, comme s'il avait entendu le
déplacement furtif d'un passager clandestin. En même
temps, passant le bras à travers Ralph, il alla toucher un
carton maintenu par la ceinture de sécurité sur le
siège du copilote. Sa main caressa la boîte, et revint
à son front pour réajuster le foulard qui le
ceignait." (641)
Les détails qui suivent
montrent que Ralph est bien dans son corps, invisible, mais
curieusement habillé et équipé comme il
l'était sur terre :"Ralph glissa une main dans son
chandail..." (648)
Des manifestations de bilocation ont été
relatées dans toutes les civilisations et à toutes les
époques. La croyance est bien ancrée, et n'a pas
disparu. La bilocation fait partie aussi bien de l'imaginaire ancien
que de l'imaginaire chrétien. Des croyants reprennent des
anecdotes à propos d'un certain nombre de bilocations de
saints : le pape Clément, saint François, saint
Alphonse de Luguori, plus récemment le padre
Pio auraient été aperçus en
des lieux différents au même moment. Bon nombre de cas
ont été relatés dans des recueils religieux
spécialisés37.
Phénomène onirique, hallucination, dissociation de la personnalité, fabulation ou illusion collective, la bilocation représente, pour les humains limités à un monde tridimensionnel, un rêve extraordinaire, une possibilité de connaître une dimension supplémentaire, où ils peuvent espérer découvrir de nouvelles sensations, éprouver d'autres réalités, entrer dans l'esprit des autres ou leur corps. On comprend le succès qu'elle rencontre. La bilocation est pourtant un bon exemple de la confusion qui règne au niveau de la problématique des sujets paranormaux : définitions confuses, hypothèses multiples, toutes invérifiables, absence totale de vérification expérimentale satisfaisante, la plupart des faits rapportés ne reposant que sur un seul témoignage38. Il semble y avoir chez les tenants actuels de l'esprit magique un double mouvement : d'une part, ils semblent réclamer leur reconnaissance officielle par les scientifiques, ou du moins vouloir que ceux-ci s'intéressent à leurs recherches, ce qui ne se révèle pas possible compte-teuu des mméthodes scientifiques qui reposent sur l'objectivité, alors les croyances sur les faits paranormalux sont subjectives. Ce qui contraint leurs partisans à une position ambiguë. Ils postulent d'abord leur spécificité, leur différence radicale avec la science, résultat de l'incompatibilité de nature entre les deux formes de pensée. Cependant, en même temps, ils s'appuient volontiers sur une documentation39 rationnelle (astronomique, physique, chimique etc), mais qui n'est utilisée que pour des conclusions auxquelles ils désirent aboutir a priori et avant tout examen. Ils exploitent systématiquement les découvertes scientifiques impliquant des incertitudes momentanées pour les scientifiques. C'est que les tenants de ce qui est de la même famille que la magie postulent à l'avance tel principe, et cherchent après coup tout ce qui peut plus ou moins le justifier, dans une forme de faux raisonnement que les psychologues appellent"affectif", avec la conclusion posée à l'avance40. Car la croyance dans le paranormal ne peut vivre qu'en dehors de la science, puisque, si elle pouvait se soumettre à ses méthodes, elle ne pourrait plus avoir d'existence en tant que telle, étant nécessairement absorbée.41 Les illusions psychologiques, les spécialistes le savent, tiennent une grande place dans les manières de penser humaines et c'est toujours avec difficulté que les hommes consentent à s'en débarrasser.
Mais quel magnifique terrain de jeux que ce support à partir duquel un auteur pourra tirer des effets spectaculaires en même temps que des variations inépuisables. Le première lame du tarot est celle du Bateleur, un camelot qui vendait jadis de tout sur les places de marchés et les foires, un hâbleur bluffeur qui animait ses tréteaux par des jeux de dés et de lames du tarot. Prestidigitateur maître de ses jeux, de par la magie des cartes ou des dés, il faisait les destinées des badauds qui avaient recours à ses douteux services. C'est l'arcane que Marie-Charlotte Delmas a retenu pour le titre d'un ouvrage consacré à Claude Seignolle 42. Ce titre pourrait convenir également à Stephen King. Comme le Bateleur, les personnages de King interpellent le destin. Romancier, alchimiste de la vie, King libère les potentiels qui se trouvent dans les hommes, allant infatigablement de livre en livre, découvrant ce qui est en lui en même temps qu'il le communique aux autres. Il accumule ainsi, dans le délire imaginatif, ses personnages à la fois hors norme et si représentatifs des hommes d'aujourd'hui, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, en véritable magicien dans son genre.
Roland Ernould © juin
2002
Notes
:
1 Rappel de définitions. La parapsychologie
s'intéresse à des possibilités du psychisme
à ce jour hypothétiques, concernant des
phénomènes psychiques inexpliqués. Elle comprend
:
a. les perceptions extra-sensorielles, appelées encore ESP
(Extra-Sensory Perception), c'est à dire la voyance et les
visions, la télépathie et le dédoublement ou
l'OBE (Out of the Body Experience).
b. la psychokinésie, ou le PK (Psycho-Kinesis), action de la
pensée sur la matière : déplacement d'objets,
incendie, poltergeists (esprits frappeurs), la lévitation, les
guérisons miraculeuses, etc.
2 La mantique est la connaissance du passé ou du futur par une divination réalisée par des pratiques particulières, appelées «manties» par leurs partisans : l'interprétation des rêves (oniromancie), des chiffres (numérologie ou arithmologie), de la lecture des lignes de la main (chiromancie), des tarots, du marc de café (caféomancie), du thé (thédomancie), de la boule de cristal (cristallomancie ou art béryllique), du miroir (catoptromancie), de la terre et les cailloux (géomancie), des épingles et aiguilles (acutomancie), des taches d'encre (encromancie), etc. La liste pourrait être très longue, tant les exploiteurs des superstitions sont ingénieux à inventer de nouveaux procédés, prétendus meilleurs que ceux existant...
3 Les Anciens recommandaient de porter un cristal dans les mains aux fidèles allant solliciter au temple une faveur des dieux. Les Égyptiens plaçaient sur le front de leur mort un troisième oeil en cristal, censé aider le ka du mort à trouver son chemin dans l'au-delà. Dans plusieurs contes existent des Palais de cristal, qui ont une signification symbolique : celle de notre mémoire où est gravée notre histoire. Le Palais de cristal enregistre des informations et devient détenteur de la mémoire du monde.
4 La Tour Sombre, centre de l'univers, est entourée par douze portails. Un gardien surveille chaque entrée. Dans Terres Perdues, Roland a expliqué que "Lorsque tout était neuf, les Grands Anciens - ce n'était pas des dieux, mais des gens dont le savoir était quasi divin - créèrent douze gardiens pour surveiller les douze portails qui permettent d'entrer et de sortir du monde." L'emprunt à Lovecraft est évident (voir mon texte Lovecraft et King) : Yog-Sothoth possède treize globes, équivalents des treize boules de cristal de l'Arc-en-ciel, ce qui permet au douze gardiens de posséder un moyen de voyance (Yog-Sothoth, Maître de Nyarlathotep, ressemble beaucoup à la Bête, Maître de l'Étranger-Sans-Âge et Gardien de la Tour).
5 La transe correspond à une phénomène psychophysiologique mal connu, qui se caractérise par une perte plus ou moins totale de la conscience et par divers symptômes : modifications du pouls, refroidissement des extrémités, hyperesthésie, modification de la voix, une sorte d'état second qui est souvent perçu et décrit par le sujet.
6 On ne connait pas son origine (Chine, Inde, Égypte?), ni évidemment qui est son ou ses auteurs. Telles qu'elles se présentent actuellement, sous leur forme traditionnelle du Tarot de Marseille, les cartes ont des dessins moyenâgeux vivement coloriés, et comportent des symboles chrétiens. Il existe bien sûr d'autres jeux. Les interprétations sont complexes, car de nombreux archétypes essentiels sont représentés dans les cartes du tarot.
7 Le Pistolero, La Tour Sombre I (The Gunslinger).(idée en (1970). 5 nouvelles, écrites de 1972 à 1981. Première publication en volume: 1982. Édition. fr. J'ai lu 1991.1- Le Pistolero (The Gunslinger), octobre 1978. 2- Le Relais (The Way Station), avril 1980. 3- L'Oracle et les Montagnes (The Oracle and the Mountains), février 1981. 4- Les Lents Mutants (The Slow Mutants), juillet 1981. 5- Le Pistolero et l'Homme en Noir (The Gunslinger and the Dark Man), novembre 81. Éd. de la Seine, pp. 228/30.
8 Voir dans Magie et cristal ses amours de jeunesse avec Susan, jamais oubliée.
9 Plusieurs types de tarots existent dans le monde, celui de Marseille (de Paul Grimaud, 1819-1899) étant le plus pratiqué en Occident. Les cartes ont des dessins moyenâgeux vivement coloriés, et comportent des symboles chrétiens. Il existe bien sûr d'autres jeux (La Bibliothèque Nationale possède notamment dix-sept tarots, provenant d'un jeu du XVe siècle, dit de Charles VI, illuminures qui sont d'une grande valeur artistique. On ne sait rien, en revanche, du procédé employé pour la confection des cartes qui, dès la fin du XIVe siècle, étaient en usage dans le peuple. Dans le cas présent, l'Homme en noir a suggéré que des lames"personnelles" se trouvaient dans le jeu.
9bis À noter que la Tour Sombre a des fenêtres, du moins c'est ce que voit Ralph dans Insomnie : "Une tour gigantesque, construite dans une pierre fuligineuse, noire de suie, au milieu d'un champ de roses rouges. Des fenêtres étroites, mélancoliques, semblables à des meurtrières, l'escaladaient en spirale." Ralph y voit encore "un escalier festonné de toiles d'araignées avec des portes donnant Dieu sait où." 418.
10 5- Le Pistolero, op. cit. , 5- Le Pistolero et l'Homme en Noir, Éd. de la Seine, p. 230.
11 Mise à la mode aux États-Unis à la suite des mésaventures arrivées à la famille Fox dans les années 1840 (bruits et coups dans le murs et chocs de meubles). On eut l'idée de demander à l'auteur des bruits qui il était : l'esprit d'un individu assassiné naguère, fut la réponse. Publicité aidant, des membres de la famille Fox s'installèrent à la ville et se prétendirent voyants. Le succès fut extraordinaire, et le spiritisme arriva en France en 1853, sous l'Empire : on se mit à faire tourner partout tables, guéridons etc. Les esprits «frappeurs» prédirent l'avenir et évoquèrent le passé, parlèrent des langues étrangères, firent de la poésie... Jeanne d'Arc, Napoléon, Rousseau, Pascal, Voltaire, Mozart et bien d'autres devinrent des habitués des salons... De grands esprits comme Victor Hugo furent séduits par le spiritisme. La théorie fut mise au point par Allan Kardec en 1857 dans Le Livre des Esprits : il soutenait que l'homme comprenait trois éléments, le corps, l'âme et le «périsprit astral», qui après la mort flotte dans l'espace d'où il peut se faire connaître des vivants. Kardec fonda en 1869 La Revue Spirite, qui rencontra un vif succès. sa tombe au Père-Lachaise continue à être très fréquentée.
12 On peut se demander pourquoi, si leur temporalité est différente de la nôtre... Serait-on si impatient dans ce monde-autre?
13 Association de deux vocables, le premier français (oui), le second allemand (ja) (pourquoi?). La planchette oui-ja, sous une forme différente, serait utilisée depuis l'Antiquité.
14 Synonyme d'ectoplasme, substance mystérieuse qui se dégagerait du corps de certains médiums et qui, à quelque distance, se matérialiserait pour former des visages ou des corps, humains ou animaux, ou même des objets divers. Inventé sans preuve par Claude Richet, l'ectoplasme expliquerait les phénomènes physiques tels que coups frappés, télékinésie, apparitions, maisons hantées. Les conditions dans lesquelles ces phénomènes se sont produits rendent leur existence plus que suspecte. Les documents photographiques qui existent sont des trucages ou douteux. Quelques expériences ont été faites par des savants connus (Langevin, Rabaud, Piéron, etc) et n'ont donné que des résultats négatifs.
15 Sorcier/guérisseur des sociétés sibériennes et américano-indiennes archaïques, le chamane (le"medecine-man" des Américains) peut entrer en communication avec d'autres chamanes ou avec des individus ordinaires. Il pratique la lecture de la pensée, communication à distance, direction autosuggestive des rêves et extase. Il a des pouvoirs paranormaux de connaissance : précognition, vision à distance, prévision exacte du temps, ouverture de certaines portes surnaturelles. Le pouvoir paragnomique semble parfois aller de pair avec la compréhension de langues étrangères inconnues. Il utilise d'étranges pouvoirs «physiques» sur la matière ou suspend les lois naturelles connues. Il a le privilège de ne pas se brûler qui lui a été transmis par son ancêtre mythique, etc. Voir Michel Perrin, Le Chamanisme, 1995, PUF Que Sais-Je?
16 De nombreuses expressions familières évoquent la bilocation : depuis la formule en langage châtié"être hors de soi", jusqu'à l'expression plus populaire"être à côté de ses pompes." Le mot"extase" renvoie au latin"extasis", le fait d'être hors de soi.
17 R. Moody, La Vie après la mort, Laffont, 1977.Charles Hardy, L'Après-vie à l'épreuve de la science, éd. du Rocher, 1986; La science et les états frontières, éd. du Rocher, 1988.
18 Le double serait un corps éthérique, un corps spirituel, un périsprit, un fantôme odique, etc.
19 Les croyances occultistes et ésotériques
admettent, dans la tradition hindoue, l'existence de plusieurs corps
«subtils» (jusqu'à 7!) dont l'un est le corps
astral. Les Hindous et les Bouddhistes ont des hiérarchies
compliquées de corps
subtils. Ce corps astral serait parcouru (tradition hindoue, dont on
trouve des équivalents dans la médecine chinoise :
acupuncture) par des courants où circulerait un certain type
d'énergie «universelle».
20 Une aura, selon la métaphysique du New Age ð, est un contour coloré, ou un ensemble de contours colorés, émanant de la surface d'un objet.
21 Ce seraient ces «corps éthérés» qui composeraient les entités ou les formes ou restes de vie avec pensées et sentiments qui erreraient dans une autre dimension, avec lesquels un médium pourrait entrer en relation...
22 Le corps astral (ou l'âme) est supposée abandonner l'enveloppe physique, libre d'aller vers les endroits que la foi ou la pensée du mort lui ont fait espérer...
23 Ou encore bicorporéité, dédoublement fluidique, extériorisation du corps astral, expérience extra-corporelle.
24 S. Muldon, H. Carington, La projection du corps astral, Le Rocher éd., 1980.
25 En principe, d'après les adeptes, le double n'a pas la faculté d'agir sur les éléments, mais il lui arrive d'atteindre un degré de matérialisation perceptible à la vue ou au toucher par certaines personnes.
26 Les trois cartes, La Tour Sombre 2 (The Drawing of the Three) , 1987. Édition fr. J'ai lu 1991. Mes références sont celles des Éditions de la Seine, 1994.
27 Comment Roland peut-il bien savoir ce qu'est le"coma", dans son monde retourné au Moyen-Âge et qui a perdu le savoir scientifique?
28 Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, Payot, 1968.
29"Le jeune qui montre des dispositions pour tomber facilement en transe et qui parle avec les esprits est formé par le sorcier-guérisseur pour lui succéder." D. Saint-Clair, Magie brésilienne, J'ai Lu, 1973, 22. Ces"absences" sont aussi provoquées par les chamanes avec des drogues, suivant leur pharmacopée à base de plantes. La ciguë, plante mortelle, provoque à petite dose un état proche de la mort. La mescaline et le peyoltl sont utilisés dans les cultures indiennes.
30 Claire Lalouette, L'Empire de Ramsès, Fayard, 1985, (480).
31 Ils croyaient que la survivance plus ou moins prolongée du ka dépendait de la façon dont la chair du corps serait protégée contre la destruction (momification), la ruine ou la faim (les tombeaux, avec nourriture, mobilier et même des toilettes!).
32 Ou dans d'autres circonstances:"Roland ferma les yeux et se concentra tout entier sur Jake. Il pensa aux yeux du garçon et expédia son ka à leur recherche", Terres Perdues, II.V.29.
33 Voir la définition en début d'article.
34 Dans plusieurs croyances religieuses hindoues, l'oeil droit correspondrait au soleil, à l'activité et au futur. L'oeil gauche s'accorderait avec la lune, la passivité et le passé. Le troisième oeil, invisible et situé juste au-dessous et entre les sourcils, représenterait la synthèse des perceptions des yeux normaux. Il serait ainsi non seulement le symbole de la vision intérieure, mais signifierait la connaissance parfaite, où se trouve le siège du pouvoir occulte. Le troisième oeil de Shiva, tout-puissant dieu de l'Inde, aurait le pouvoir de détruire par le feu. Dans les légendes, il l'utilise contre ses adversaires. Il serait capable de détruire l'univers entier s'il le voulait.
35 Le diable a le pouvoir de domination sur certains animaux sauvages, qui ont eu longtemps mauvaise réputation chez les hommes : loup belette, corbeau, scorpion, araignée, etc. Cette tradition, très ancienne, apparaît déjà dans l'Avesta:"Il [Ahriman, le diable iranien]couvrit le sol de sa vermine, de ses bêtes mordantes, venimeuses, de serpents, de scorpions (...), si bien qu'il n'y eut point d'espace de la taille d'une pointe d'aiguille où ne grouillât sa vermine. Il frappa les plantes et soudain les plantes se desséchèrent... Il fondit sur la flamme [note: Ormuzd/Mazdâ, le dieu bon, est adoré sous la forme d'une flamme, et le culte du feu, qui brûle sur une tour, un ziggourat, ne doit jamais s'éteindre, sauf à la mort d'un roi : le successeur rallumera la flamme pour être intronisé] et y mêla fumée et obscurité. Les planètes et des milliers de démons choquèrent la voûte céleste, firent la guerre aux étoiles,et l'univers s'enténébra comme un espace que le feu assombrit de sa fumée." Flagg et Tak, dans Désolation, utiliseront de même la «vermine» d'Arhiman.
36 Ralph et Loïs savent emprunter l'énergie psychique des gens, et éventuellement se la communiquer.
37 Les prodiges chrétiens sont relatés depuis des siècles à partir de La Légende Dorée, recueil de textes pieux du XIIIème siècle.Mais padre Pio a vécu dans la première moitié du XXème. L'Église officielle, d'abord très réservée sur son cas, l'a canonisé le 16 juin 2002 à saint-Pierre de Rome, le consacrant comme le "capucin aux stigmates."
38 Le témoignage seul n'a aucune valeur scientifique.
39 Les écoles de magiciens de l'Antiquité ont tenté de systématiser leurs connaissances et d'en trouver les principes, premier effort de coordination scientifique. Mais leurs résultats n'ont qu'un caractère historique.
40 Objet de ce que les psychologues appellent la rationalisation, les justifications fausses consciemment ou le plus souvent inconscientes que les hommes donnent de leurs croyances et de leurs actes. Tout chercheur sait qu'il peut être lui-même victime d'illusion ou être influencé, et qu'il doit se méfier de l'endoctrinement.
41 À noter l'impuissance historique de la magie à réaliser quoi que ce soit d'important quand jadis elle était la seule pensée explicative - avec les mythes et les religions - , ce qui s'explique par l'incapacité où elle s'est trouvée d'inventer les outils rationnels adéquats.
42 Marie-Charlotte Delmas a retenu pour le titre d'un ouvrage consacré à Claude Seignolle1 .(Seignolle, Le Bateleur de Chimères, Hesse, 1998)
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