Stephen KING ET LE PARANORMAL : LA PERCEPTION EXTRASENSORIELLE.
"C'est quand on comprend certaines choses,
ou quand on sait des choses que les autres ne savent pas,
ou qu'on voit des choses que les autres ne voient pas." (Danny, 5 ans, dans Shining, 245)
Le recensement des faits psychologiques paranormaux dans l'oeuvre de King occuperait tout un volume. Dès son premier roman paru, Carrie 1, King fait intervenir voyance et télépathie, d''une façon limitée, comme dans le récit suivant, Salem 2. Ces facultés prendront ensuite la première place dans Shining 3, avec le don de voyance du jeune Danny. Jusqu'à son dernier roman Dreamcatcher 4 (paru en France en avril 2002), King n'a cessé d'utiliser ces dispositions mentales particulières, dans lesquelles il trouvait non seulement des possibilités d'exploitation monstrative, mais encore souvent la solution de problèmes techniques insolubles sans l'appel à la voyance et la transmission de pensée. Et, avantage littéraire non négligeable, ces diverses particularités mentales lui permettaient des effets littéraires renouvelés et souvent intéressants.
Cette étude fait partie d'une série de six, qu'il vaut mieux lire dans l'ordre suivant : * 1. LA VOYANCE 3. PROCÉDÉS MANTIQUES EN VOYANCE ET BILOCATION 4. L'IMPORTANCE DU MÉDIUM dans l'oeuvre de King 5. UNE EXCEPTIONNELLE MISE EN SCÈNE DE L'AURA 6. L'ÉNERGIE VITALE.. |
La parapsychologie (ce qu'on appelait
au début du siècle la
métapsychique5) s'intéresse à des possibilités du
psychisme à ce jour hypothétiques, concernant des
phénomènes psychiques inexpliqués. Elle comprend
:
1. les perceptions extra-sensorielles, appelées encore ESP (Extra-Sensory Perception), c'est à dire la voyance et les visions, la télépathie et le dédoublement ou l'OBE (Out of the Body Experience).
2. la psychokinésie, ou le PK (Psycho-Kinesis), action de la pensée sur la matière : déplacement d'objets, incendie, poltergeists (esprits frappeurs), la lévitation, les guérisons miraculeuses, etc.
Des parapsychologues essaient d'expliquer des phénomènes extrasensoriels en laboratoire, mais pour l'instant leurs justifications ne sont pas acceptées par les scientifiques. Ces phénomènes restent ambigus et chargés de mystère pour le grand public, notamment parce qu'on les classe traditionnellement parmi les faits surnaturels, avec des explications généralement occultes. Les adeptes de ces doctrines se servent en effet de ces faits pour justifier d'autres perspectives, que les principes rationnels actuels6.
Comme en la magie, la croyance dans
le paranormal est aussi ancienne que l'humanité. La plupart
des techniques divinatoires sont très vieilles, l'astrologie
étant celle qui a laissé le plus de traces historiques.
Diverses pratiques mantiques7 sont aussi fort anciennes, et toujours en relation avec
des modes de pensée magique. Ces pouvoirs
«surnaturels» ont été supposés
détenus et reconnus socialement par des hommes au statut
spécial : chamanes8, mages, prophètes, voyants, médiums. Dans
La
Bible, la voyance intervient
fréquemment : un «voyant», Hallorann, le rappelle
dans Shining :
"J'ai lu un tas de livres sur
ce don; j'ai bien pioché le sujet. Dans la Bible, cela
s'appelle le pouvoir des prophètes; aujourd'hui, on parle de
voyance. Appelle-le comme tu veux, ça revient au même :
il s'agit toujours de prévoir l'avenir. Tu sais ce que
ça veut dire?"
(86) Les empereurs, les rois, les nobles les plus puissants
ont toujours eu un astrologue dans leur cour, de même qu'il
n'était un secret pour personne que le président
Mitterrand ne dédaignait pas consulter une voyante...
Si le surnaturel continue à être un filon abondamment
exploité par les auteurs qui s'en sont fait une
spécialité, dans la pratique le langage a
changé. En Occident, tant que le sentiment du sacré a
été puissant, les voyants se situaient entre les deux
pôles des références religieuses, l'intervention
divine ou la possession démoniaque. Le sorcière diseuse
de bonne aventure a tenu longtemps un rôle important. Avec la
régression du sacré, on parle plus volontiers
d'extrasensorialité, de «facultés psi», de
paranormal9 et de parapsychologie.
Dans cette logique d'un besoin de lecteurs désireux de percer
ce qui leur paraît mystérieux, la plupart des librairies
ont un rayon particulier, plus ou moins garni suivant leur surface,
de livres sur le paranormal et l'occulte, proportionnellement plus
étendu que celui consacré aux autres ouvrages. Ces
livres se vendent bien, et ont des lecteurs passionnés. C'est
que les hommes ont toujours eu peur de leur avenir, qui leur
paraît touours incertain : quand ils sont dans un état
de prospérité, ils craignent de le voir cesser; quand
ils sont dans une situation de malheur, ils souhaitent sortir au plus
vite. Aussi se plaisent-ils à imaginer des êtres
différents, des «voyants», aux pouvoirs
acceptés comme exceptionnels ou supérieurs, pour
lesquels l'espace et le temps n'existeraient pas, qui verraient
l'avenir comme le présent ou l'avenir. Ils les consultent pour
connaître les éléments du passé, qui leur
permettraient de mieux comprendre leur présent; ou le plus
souvent, pour que le devin lise un avenir supposé
évidemment ÉCRIT quelque part, tout en supposant ipso facto
qu'une révélation à son sujet permettrait de
l'éviter ou de changer sa gravité. Ce qui
entraînerait (si cela était possible) logiquement deux
conséquences : l'existence d'une trame du destin
particulièrement compliquée, puisque chaque
élément modifié à un instant donné
pour éviter la destinée prévue doit
nécessairement changer en cascade de multiples autres destins
parallèles : chaque destin individuel se ferait ou se
déferait ainsi à chaque instant, en fonction des
comportements des uns et des autres pour le modifier, ce qui ne
permettrait théoriquement de ne prévoir au mieux qu'un
avenir quasi immédiat... Ensuite, supposer un avenir
écrit quelque part postule l'existence d'un monde
parallèle, ou tout au moins un monde invisible coexistant avec
notre monde visible.
Il existe d'innombrables ouvrages, de toutes les époques, relatant des prémonitions spontanées «vérifiées» ou des rêves prophétiques, la plupart se compilant sans vergogne les uns les autres, la plupart du temps chacun apportant ses fantaisies... Prenant une grande place parmi les autres phénomènes paranormaux, objets de l'attention des nombreuses sociétés - non scientifiques - de métapsychique ou de parapsychologie, ou associations spirites, la croyance en la voyance en l'avenir excite les esprits parce qu'elle déconcerte la part de raisonnable mise par l'éducation en chacun de nous, part modeste ou importante suivant notre formation. Elle subvertit une constatation constamment faite et répétée au cours des temps : l'inconnaissabilité du futur. Les scientifiques sont, par définition, jugés par les partisans des phénomènes paranormaux comme incapables de comprendre ces phénomènes, parce qu'ils font intervenir des éléments individuels, donc subjectifs, que la science, fonctionnant à partir de l'objectif, de données mesurables et de reproductibilité, n'est pas capable de prendre en charge10 : la croyance dans le paranormal postule que les lois physiques reconnues peuvent être bafouées par l'intervention de volontés humaines qui n'en tiendraient pas compte. En laboratoire (où les travaux de J. B. Rhine aux USA se sont prolongés plusieurs années durant la décennie trente), les recherches n'ont donné aucun résultat concluant.
Sans utiliser les moyens connus et
les canaux habituels de communication, la voyance mettrait un
individu en relation avec la pensée d'autrui, des
événements ou des connaissances cachées. Comme
l'explique avec ses mots Danny, le jeune voyant de Shining : "C'est quand
on comprend certaines choses, ou quand on sait des choses que les
autres ne savent pas, ou qu'on voit des choses que les autres ne
voient pas." (245)
Appelée aussi voyance spontanée dans les écrits
qui lui sont consacrés, elle y est définie comme une
vision indépendante de l'usage des sens, donc par des voies
extra-sensorielles. Ces voies permettent de percevoir des faits
objectifs ou des objets cachés, sorte de "sixième sens"
: "Toi, mon petit, tu as le
Don. Un pouvoir exceptionnel. Je n'en ai jamais vu de pareil dans ma
vie et j'ai bientôt soixante ans. (...)
Une sorte de sixième
sens, dit Hallorann, se tournant vers Danny. Ma grand-mère
l'avait, elle aussi; c'est elle qui me l'a transmis." (82) La
télépathie est souvent utilisée dans le contact
de voyance avec un humain qui transmet les informations et un autre
qui les reçoit. Mais les entités ne se privent pas
d'utliser aussi la télépathie pour communiquer des
informations que leur permet de détenir leur puissance
surnaturelle (voir l'étude sur
LA
TÉLÉPATHIE)
Le phénomène de
clairvoyance se produit dans des conditions variées : pendant
les rêves du sommeil, , en état de veille, mais aussi
sous hypnose ou en phase de transe, spontanée ou induite
(fixation de billes de verre, de miroirs) et amenant l'état de
transe. La transe correspond à une phénomène
psychophysiologique mal connu, qui se caractérise par une
perte plus ou moins totale de la conscience et par divers
symptômes : modifications du pouls, refroidissement des
extrémités, hyperesthésie, modification de la
voix, propos insolites, une sorte d'état second qui est
souvent perçu et décrit par le sujet. Le
phénomène de voyance s'accompagne souvent d'une
migraine, d'un mal de tête passager ou de troubles psychiques
comme la transe ou l'évanouissement (cas de Johnny dans
L'Accident).
Enfin les faits de voyance se
produisent le plus souvent sous la forme de «flashes»,
d'intuitions ou d'illuminations soudaines. La plupart des faits de
clairvoyance ne sont pas faciles à classer, car ils ont
souvent une forme complexe, où voyance du présent, du
passé ou de l'avenir et des formes de transmission comme la
télépathie peuvent intervenir partiellement. Pour les
théoriciens de la voyance, les perspectives concernant le
temps délaissent cependant les catégories habituelles
entre passé, présent et avenir. Pour la
commodité de la compréhension du
phénomène de voyance, on considérera à
part la rétrocognition, connaissance du passé, et la
précognition, qui se rapporte à l'avenir.
La voyance
dans le présent.
Phénomène de voyance,
la clairvoyance intervient dans le présent, selon certaines
classifications. King l'a utilisée, sous diverses formes. Dans
Dreamcatcher,
Pete, vendeur de voitures, reçoit une cliente qui a perdu ses
clés : "Il sent que le
petit déclic ne demande qu'à se faire. Il l'aime bien,
ce petit déclic. Oh, ce n'est pas une grande affaire, il ne
fera jamais fortune avec, mais il l'aime bien." (23) Et
effectivement, il trouve les clés perdues dans le caniveau de
la rue : "Et même si un
peu de la joie que lui ont procuré ces quelques moments
commence à se dissiper, il en reste encore comme un
arrière-goût; il a vu la ligne 11 et il se sent
toujours bien ensuite. Ce n'est qu'un petit tour de force mental,
mais il est bien agréable de savoir qu'on peut encore le
faire." (28) Ce
phénomène de connaissance paranormale des objets
cachés est appelé «cryptotiscopie» dans
certains écrits spécialisés. Toujours dans
Dreamcatcher,
Jonesy devine qu'un de ses élèves a triché lors
d'un examen : "S'il a
deviné c'est que, parfois... il devine. C'est la
vérité. il n'y en a pas d'autre. (...)
Parfois des choses traversent
son esprit comme des éclairs." (44)
La perception d'événements (télesthésie)
concerne souvent des individus proches, et se rapporte
généralement à des événements
douloureux ou négatifs. Dans Salem, une femme est ainsi informée de l'assassinat de
sa soeur : "Elle m'a dit que
le jour où Hubie a tué sa soeur elle était
à Cape Cod, à quatre cent cinquante kilomètres
de là... Elle était en train de préparer une
vinaigrette dans un grand bol en bois. Il était deux heures et
quart de l'après-midi. Un éclair de douleur,
«comme un coup de foudre», m'a-t-elle dit, lui avait
traversé la tête et elle avait entendu un coup de feu.
Toujours selon ses dires, elle était tombée par terre.
Quand elle s'était relevée - elle était seule
dans la maison - vingt minutes s'étaient
écoulées. Elle avait regardé dans le bol et
avait poussé un cri. Il lui avait semble être plein de
sang 12... Un instant plus tard, tout était
redevenu normal. Plus de mal de tête et rien dans le saladier
que de la vinaigrette. Mais elle m'a dit qu'elle savait - elle savait
- que sa soeur était morte, qu'on l'avait tuée d'un
coup de fusil." (122)
Même voyance négative.
dans Dreamcatcher.
Henri, le psychanalyste, «voit» qu'un de ses patients a
laisser sa mère mourir : "Henry ne sait rien des parents de Barry, ne sait en tout
cas certainement rien de la manière dont les choses se sont
passées le jour où la mère de Barry est morte,
tombant du lit, pissant sur la moquette, continuant d'appeler,
d'appeler, cent vingt kilos, un écoeurant tas de graisse,
appelant, appelant. Il ne peut rien savoir de tout ça, car
personne ne le lui a raconté, mais il le sait
néanmoins. Et Barry était beaucoup moins gros, à
l'époque. Dix-neuf ans, et relativement svelte.
Telle est la manière dont se présente la ligne pour
Henry. Dont il la voit. Cela fait peut-être cinq ans qu'il ne
l'a pas vue (à moins que cela ne lui arrive parfois en
rêve), au point qu'il croyait que c'était fini, et
voilà qu'elle est de retour. « Vous étiez assis en
face de votre télé, et vous l'entendiez qui criait,
reprend-il. Vous étiez en train de regarder Ricki Lake et de
manger... Quoi? Un gâteau au fromage Sara Lee? Un bol de
crème glacée ? Je ne sais pas. Mais vous l'avez
laissée crier.
- Arrêtez !
- Vous l'avez laissée crier, et au fond, pourquoi pas? Elle n
'avait pas arrêté de crier au loup toute sa vie. Vous
n'êtes pas idiot, vous le savez très bien. C'est le
genre de choses qui arrivent. Je crois que vous devez le savoir,
ça aussi. Vous vous êtes monté votre petit
scénario à la Tennessee Williams simplement parce que
vous aimez manger."
(34) Henry pourrait continuer ainsi, incapable de
s'arrêter : "Il voit la
ligne, et quand on voit la ligne, on ne peut que la
suivre." (35) Son
patient préfère fuir.
D'autres cas de télesthésie concernent des
événements se déroulant à grande
distance. Dans Shining, un homme
est dans une cuisine quand il a "une sorte d'éblouissement. La cuisine tout
entière a disparu, tout d'un coup, vlan, comme ça.
(...) D'abord, ce fut le noir, comme si je
m'étais évanoui. Puis j'ai entendu une explosion et vu
jaillir des flammes. Une sirène donna l'alerte et les gens se
mirent à hurler. Remarquant un sifflement de vapeur, je me
dirigeai dans sa direction et découvris un train qui avait
déraillé. J'ai pu déchiffrer, sur le flanc d'un
des wagons renversés, le nom de la compagnie : Georgia and
South Caroline Railrood 13. J'ai compris instantanément qu'un des
passagers était mon frère, Carl, et qu'il était
mort. C'était clair comme de l'eau de roche. Puis la vision
s'est brouillée.
(...) Mon frère
venait de mourir dans un accident de train, en Georgie. Quand j'ai
réussi à joindre ma mère au
téléphone, elle m'a confirmé la nouvelle.
(...) Mais vois-tu, petit, elle ne m'a rien appris
que je ne savais déjà." (87)
Dans Dreamcatcher, Duddits, déficient mental, leucémique et
presque mourant dans son lit, pousse brusquement un hurlement :
"Le hurlement fut suivi de
sanglots suraigus, hystériques, des sanglots d'enfant.
C'était ça, avec Duddits : il avait à
présent trente ans, mais il allait mourir enfant, bien avant
d'avoir atteint la quarantaine." Sa mère accourt, le berce : "Ce qu'il dit lui fit dresser les cheveux sur
la tête et hérissa toute sa peau d'une chair de poule
agaçante. «Iver é-or! O, mama, Iver é-or!
Iver é-or!» Nul besoin pour elle de lui demander de
répéter ou de le dire plus clairement; elle l'avait
écouté toute sa vie, et le Duddits n'avait plus de
secret pour elle :
Beaver est mort, Oh, maman, Beaver est mort!" (211) Beaver est un
de ses copains d'école, qu'il n'a plus vu depuis
longtemps.
Tiré du Fléau, un
exemple de clairvoyance lié à la prescience qu'un objet
dangereux y a été dissimulé. Nick (muet de
naissance), debout au milieu du salon, «sent» qu'un danger
menace : "Il ne pouvait pas
parler, mais il avait compris. Il savait. Une certitude venue de
nulle part, de partout.
Il y avait quelque chose dans le placard.
Nick repoussa Frannie avec une violence extrême.
- Nick... !
VA-T'EN! - il lui faisait signe de s'en aller.
Elle sortit. Nick se retourna vers le placard, ouvrit la porte,
commença à écarter tout ce fouillis qui
l'empêchait de s'avancer à l'intérieur, priant
Dieu qu'il ne soit pas trop tard." (925) Trop tard malheureusement : l'engin explosif,
caché dans la placard, explose et le tue.
Carrie, qui a le don paranormal de télékinésie,
n'a pas fait preuve dans le roman de don de voyance particulier. Mais
quand elle déclenche la catastrophe de l'incendie de son
collège, dans lequel ses dons atteignent leur expression
maximale, elle se met à «voir» des scènes
dans l'établissement alors qu'elle est au dehors. Et King
utilise alors pour la première fois l'appel à "l'oeil
mental", l'équivalent du troisième oeil
hindou14 : "Son oeil
mental perdit de vue les portes du gymnase et plusieurs personnes
réussirent presque à sortir. Non, non. Pas de quartier.
Elle les referma brutalement, coinçant la main d'un des
prisonniers (...)
entre l'un des battants, et
lui sectionnant même un doigt." (217)
De façon inopinée, pendant ces événements
auxquels elle n'assiste pas, son amie Sue pense brusquement que
"Carrie était
retournée chez elle pour tuer sa mère. (...)
Elle ignorait comment elle
pouvait le savoir.
(...) Morte? Comment
pouvait-elle l'affirmer? À quoi rimait ce genre de conviction
qui ne se fondait sur rien?"
(253)
Le diagnostic clairvoyant, lié à l'état de
santé, permet de percevoir la maladie et éventuellement
les meilleurs moyens de la guérir. Si certains doivent entrer
en contact avec la personne sur laquelle s'effectue le diagnostic,
d'autres peuvent agir à distance.
La clairvoyance
tactile.
Le médium doit toucher un
objet donné pour en tirer des informations que ne permettrait
pas un examen ordinaire et la simple déduction logique (par
exemple, lire un écrit enfermé dans une enveloppe en la
prenant simplement dans ses mains)
Johnny, le voyant tactile de L'Accident, est
informé sur le propriétaire d'un vêtement rien
qu'en le touchant dans un vestiaire de restaurant : "Un manteau de femme, avec un col de fourrure
se trouvait là. Elle avait une liaison avec un des partenaires
de jeu de poker de son mari; elle en avait assez, mais ne savait pas
comment rompre. Un blouson de jean doublé de peau de mouton.
Ce type aussi se faisait du souci au sujet de son frère
blessé sur un chantier une semaine auparavant. La parka d'un
petit garçon, sa grand-mère de Durham lui avait offert
un transistor 15 et il était furieux parce que son
père n'avait pas voulu qu'il l'emporte dans la salle à
manger. Et puis un autre, un simple pardessus noir, l'avait
glacé d'effroi et lui avait coupé l'appétit. Le
propriétaire de ce vêtement était en train de
devenir fou." (189) Son
don peut s'étendre au delà du présent. Son
médecin a perdu sa mère pendant la guerre : il lui
affirme qu'elle est encore vivante, après avoir
été renversée par un camion et être
devenue amnésique. Elle a eu quatre enfants avec son nouveau
mari : "Le couple prit la
nationalité américaine. Le mari est mort, un des
enfants également. Les autres ont réussi leur vie.
Elle, elle pense toujours à vous, sans même le savoir.
Elle ne se souvient pas de votre nom. Elle vous avait confié
à une nourrice juste avant l'entrée des nazis à
Varsovie. Vous étiez en sécurité. Elle pouvait
fuir... Elle vit en Californie..." (106). Le médecin vérifie ces
renseignements, qui sont exacts.
Son don a cependant des limites,
d'abord en étendue. Chargé par le Shérif de
résoudre l'affaire d'un tueur en série , Johnny lui
précise les limites de son pouvoir, après lui avoir dit
ce qu'il a appris en lui serrant la main : "George, tout ce que j'ignore de vous remplirait cinq
volumes. J'ignore où vous avez grandi, qui sont vos amis,
où vous habitez. Je sais que vous avez une petite fille qui
s'appelle Cathy. Mais j'ignore ce que vous avez fait la semaine
dernière, votre marque de bière favorite ou le
programme T.V. que vous préférez." (203). En outre, la
capacité de voyance n'est pas permanente : "C'était comme ça parfois. En
d'autres circonstances, il aurait pu tenir entre ses mains ces
vêtements vingt minutes, sans rien ressentir du
tout." (189)
Par simple contact (en tapotant la main d'une serveuse dans un
restaurant), Ralph comme Loïs connaissent des informations
vitales sur sa santé ou importantes pour sa vie. En payant
l'addition Ralph laisse un mot sur la table : "Madame, Vous souffrez d'un problème
d'atrophie des fonctions hépatiques et devriez consulter
immédiatement un médecin. Je vous conseille aussi
très vivement de ne pas approcher du Centre Municipal, ce soir
16 .
«C'est stupide, je sais.»" (Insomnie,
492) Loïs ajoute un
post-scriptum : "En 1989, vous
avez mis au monde un enfant que vous avez donné pour adoption.
Hôpital Sainte-Anne, Providence, Rhode Island. Allez voir votre
médecin avant qu'il ne soit trop tard, Zoë. Ce n'est ni
une blague ni un canular. Nous savons de quoi nous parlons.
«Bon Dieu, dit Ralph lorsqu'il la rejoignit. Ça va lui
ficher une peur bleue.
- Si elle va voir un toubib avant que son foie ne déclare
forfait, je m'en fiche.»" (494)
Vision interne du
corps.
La clairvoyance permet également la connaissance des organes
internes du corps ou des organes des autres
(hétéroscopie). Dès Carrie, King explore ce type de disposition extra-sensorielle
quand Sue participe à la mort de l'héroïne
éponyme : "Un instant,
Sue eut l'impression qu'elle regardait la flamme d'une bougie
disparaître au fond d'un tunnel sans fin à une allure
vertigineuse.
(elle va mourir ô mon dieu je sens qu'elle meurt)
Et puis la lumière s'effaça avec la dernière
pensée consciente (maman je te demande pardon où) et
Sue ne perçut plus que la fréquence inepte et
mécanique des terminaisons nerveuses qui allaient mettre des
heures à mourir."
(264)
Dans Carrie encore, un
second exemple a été choisi parce qu'il montre comment
le même sujet, repris à 25 ans d'intervalle, a subi des
modifications certes, mais demeure le même dans son principe.
Carrie explore le cerveau de Sue pour savoir si elle a
contribué à la scène du bal sanglant :
"Ce fut pour Sue une sensation
terrifiante. Sa tête et son système nerveux
étaient devenus une bibliothèque. Dans l'affolement, un
être la parcourait en tous sens, effleurant du bout des doigts
les étagères couvertes de livres, en sortant
quelques-uns qu'elle parcourait avec fébrilité, les
remettant en place, faisant tomber certains, laissant les pages
voleter." (262)
Dans Dreamcatcher, l'idée est reprise dans le principe, le
changement apporté consistant à remplacer les
données stockées dans le cerveau de Sue
symbolisées par des livres, par des cartons remplis de
dossiers, contenant les souvenirs de Jonesy. Pour y rechercher les
informations dont il a besoin, l'extraterrestre qui occupe le corps
de Jonesy explore son cerveau de manière identique à
Carrie fouillant celui de Sue : "Mr Gray consulta les dossiers. Les connaissances en
matière de communications militaires de Jonesy étaient
rudimentaires, glanées pour l'essentiel dans des livres et
dans quelque chose qu'ils appelaient des films, mais ça
pourrait faire l'affaire.
(...) Il
vérifia les dossiers de Jonesy (qu'il voyait à
présent comme Jonesy lui-même, à savoir sous la
forme de cartons dans une salle immense) (...) Pour
une créature aux ressources réflexives aussi
limitées, Jonesy disposait de capacités d'archivage
exceptionnelles. (...)
«Guerre... famine...
nettoyage ethnique... tuer pour faire la paix... massacrer les
païens au nom de Jésus... Les homosexuels battus à
mort... des microbes dans des conteneurs, ces conteneurs
placés au sommet de missiles pointés sur toutes les
grandes villes y du monde..."
(379)
À de nombreuses reprises, l'extraterrestre peut ainsi
consulter, à la vitesse d'un ordinateur, les données
stockées dans le cerveau d'un humain pour y trouver des
renseignements précis indispensables à sa vie
terrestre. Ils lui permettent d'avoir une conduite adaptée
à son nouvel environnement, sur lequel il ne possédait
antérieurement qu'une documentation
générale.
Les songes sont un moyen de communication que King utilise
constamment. Les visions, apparaissant dans le sommeil, au cours d'un
évanouissement ou dans une sorte de rêve
éveillé, permettent d'apporter
révélations et prescriptions. Des messages sont
généralement joints. Véhicules des intentions
des puissances, les rêves peuvent ainsi franchir la
barrière mentale des occupations volontaires quotidiennes
absorbantes17. Le songe apporte un message à l'individu, sans
que les souvenirs de son cerveau en aient pu fournir les
éléments et sans qu'apparaisse une liaison causale avec
la vie quotidienne.
Ces manifestations oniriques remplissent plusieurs fonctions. Le
message peut concerner un événement se produisant en
temps réel: ainsi Abigaël à Nick: "Viens me voir quand tu veux. On m'appelle
mère Abigaël. Je suis sans doute la plus vieille femme de
ce coin du monde, mais je fais encore mes crêpes
moi-même. Viens me voir quand tu veux, petit, et amène
tes amis." (Le
Fléau,
371).
L'information peut aussi se rapporter à un
événement devant se réaliser
ultérieurement, comme dans le rêve où Stu vit un
futur révélé avec une incroyable
précision:"Il n'avait
jamais fait un rêve comme celui-là. Il se trouvait sur
une route de campagne, à l'endroit précis où
l'asphalte noir cédait la place à des gravillons
blancs. (...)
Des deux côtés de
la route s'étendaient des champs de maïs vert, à
perte de vue. (...).
C'est là que je dois
aller, pensait Stu dans son rêve. Oui, c'est vraiment
là, c'est bien là. (...)
Un nuage masqua le soleil. Et
Stu commença à avoir peur. Il sentait quelque chose de
terrible, pire que la peste, qu'un incendie, qu'un tremblement de
terre. Quelque chose au milieu du maïs observait. Quelque chose
de noir se cachait au milieu du maïs. Il regarda et vit deux
yeux étincelants, très loin dans
l'ombre. (...)
Lui, pensa-il, l'homme sans
visage." (110) Il y
a dans ces songes une anticipation sur l'avenir, qui ne se
prête pas pour l'instant à une interprétation
logique. Ces songes ont un caractère
prémonitoire.
Ils peuvent également apporter
des informations qui se révèleront être des
facteurs importants dans les décisions à prendre :
"Les autres faisaient deux
rêves opposés; l'homme noir et la vieille femme. La
vieille femme paraissait représenter une force
élémentaire, comme l'homme noir. la vieille femme
était un pôle d'attraction autour duquel les autres peu
à peu se regroupaient." (Le Fléau, 642).
Les songes fournissent ainsi des incitations, des avis, des images,
qui apparaissent comme des stimulations ou des avertissements
favorisant l'action future souhaitée par les puissances
antagonistes des ordres. Ainsi Flagg essaie de tenter successivement
en songe les partisans d'Abigaël. Par exemple à Nick,
sourd-muet, il propose la parole et l'audition, et lui donne un
échantillon de ce qu'il n'a jamais vécu :
"Il entendait des sons. Il
savait ce qu'était chacun de ces sons sans qu'on le lui ait
jamais dit. De jolis sons."
Seule condition: "Si tu tombes
à genoux pour m'adorer." (Le Fléau, 369).
Vision d'êtres
incorporels ou venant de l'au-delà.
La voyance permet la relation
avec des êtres qui ne sont plus vraiment des humains,
revenants, entités, etc. Dans Simetierre, Ellie, huit ans, fait un rêve
prémonitoire. Son frère Gage, deux ans, vient
d'être tué par un camion sur la route et elle le revoit
dans son sommeil : elle "s'éveilla en hurlant d'un cauchemar peuplé
de créatures aux mains crochues qui la fixaient de leurs yeux
vides et impitoyables."
Réveillée, la fillette répète sans
arrêt : "C'est Gage!
Maman, c'est Gage! Gage est revenu! Il est vivant! Il a pris le
couteau dans la trousse de papa! Empêche-le de me tuer!
Empêche-le de tuer papa!" (361).
Elle donne ensuite des détails sur son rêve :
"J'ai rêvé que
j'étais dans le Simetierre des animaux, dit la fillette.
C'était Paxcow qui m'y avait conduite. Il m'a conduite au
Simetierre des animaux, et puis il m'a dit que papa allait y venir
aussi et qu'il arriverait quelque chose
d'épouvantable.(...) Il m'a
dit qu'on l'avait envoyé nous mettre en garde, mais qu'il ne
pouvait pas intervenir. Il m'a dit aussi que... qu'il était...
je ne sais plus... qu'il était près de papa parce
qu'ils étaient ensemble au moment où son âme
s'est dé... désin... dés... je ne me souviens
pas du mot! gémit-elle."
Il m'a dit qu'il s'appelait Victor!" (363)
Son père, médecin, se
demande comment sa fille peut connaître le nom qu'elle a
cité, celui d'un étudiant indien renversé par
une voiture, mort alors qu'il le soignait. Il pense qu'il avait
dû prononcer ce nom en présence d'Ellie :
"Il s'est inscrit
automatiquement dans ses circuits mémoriels. Et même ce
mot qu'elle n'arrivait pas à prononcer -
«désincarné»,
«désincorporé» ou un autre terme casse-gueule
du même genre - ne prouve absolument rien, sinon que le
subconscient attrape tout au vol à la façon d'un
rouleau de papier tue-mouche, pour user du genre d'images que l'on
trouve couramment dans les articles de vulgarisation des journaux du
dimanche." (367)
Comment pourrait-il expliquer autrement l'incident, sinon par la
voyance?
Autre cas de revenant. Dans
Le
Fléau, Tom, un
débile mental, se trouve dans la rue en rêve, pour y
«voir» son ami Nick, qui est mort, mais revient du monde
des disparus pour lui transmettre un message. Son ami Stu s'est
fracturé une jambe et son état s'est aggravé
d'une infection pulmonaire. Ils sont isolés et Tom est
incapable de le soigner. Le fantôme de Nick lui apparaît
pour lui donner des instructions (tout fantôme voit ce qui se
passe dans ce monde...). Il lui explique patiemment que
lui-même a été blessé, que sa blessure -
il la montre - s'est aussi infectée, et qu'il l'a
soignée avec des antibiotiques : "J'ai failli mourir, tu sais, dit Nick.
Tom et lui marchaient sur le trottoir désert. (...)
Ce n'était pas profond,
mais la plaie s'est infectée.(...) Stu a une
infection en ce moment.
(...) Il fait une
pneumonie double, une maladie qui attaque ses deux poumons. Il a
dormi dehors pendant près de quinze jours. Il faut que tu
fasses certaines choses pour lui. Et même comme ça, il
va presque certainement mourir. Il faut t'y
préparer. (...)
Il y a des pilules contre les
infections." (133/4) Il
le conduit dans une pharmacie et lui donne les flacons de capsules
salvatrices.
Les entités se servent de la
voyance pour se manifester. Encore dans Le Fléau, l'être surnaturel Flagg apparaît, au cours
de leur sommeil, à de nombreuses personnes, dont certaines,
plus tard, lutteront contre lui : "Harold, Stu et moi avions tous rêvé de
«l'homme noir», comme je l'appelle. Stu et moi, on le
voyait comme un homme habillé d'une robe de moine, sans traits
visibles - son visage est toujours dans l'ombre. Pour Harold, il
était toujours debout dans une entrée sombre et il lui
faisait signe de venir. (...) Stu et Glen
avaient fait à peu près les mêmes rêves
à propos de la vieille femme. Les ressemblances sont trop
nombreuses pour que j'en parle (...).
De toute façon, ils
sont tous les deux d'accord pour affirmer qu'elle habite dans le
comté de Polk, au Nebraska, même s'ils n'ont pas pu
s'entendre sur le nom de l'endroit." (530) Leur conclusion est qu'ils sont en
présence d'un phénomène étonnant et
qu'ils vivent une expérience psychique commune
incompréhensible.
Une entité peut se manifester
sous des formes diverses. Flagg, dans Le Fléau, envoie son troisième Oeil dans l'espace quand
il veut pratiquer la voyance. Tom, débile et voyant
occasionnel, fuit de Las Vegas à bicyclette. Il roule la nuit,
pour ne pas être repéré par les
hélicoptères de Flagg, mais «voit» son Oeil
dans la nuit : "Tom crut
voir/sentir un Oeil s'ouvrir dans la pénombre du petit matin.
Un terrible Oeil rouge encore un peu hébété par
le sommeil. Il regardait dans le noir. Cherchait. Le cherchait, lui.
Il savait que Tom Cullen était là, mais il ne savait
pas exactement où.
Ses pieds engourdis retrouvèrent les pédales et il
s'élança, de plus en plus vite, couché sur le
guidon pour offrir moins de résistance au vent,
accélérant sans cesse au point de presque s'envoler.
S'il avait rencontré une voiture, il serait entré
dedans à toute allure et peut-être se serait
tué.
Peu à peu, il sentit que cette présence noire et chaude
s'éloignait derrière lui. Et la plus grande merveille
était que cet horrible Oeil rouge avait regardé dans sa
direction, était passé au-dessus de lui sans le voir
(peut-être parce je suis couché sur mon guidon, pensa
Tom Cullen)... puis s'était refermé.
L'homme noir s'était rendormi." (1020)
D'autres types de clairvoyance sont plus complexes, supposent des
moyens (cristal, planchette Oui-ja), l'emploi de techniques, comme
l'hypnose, ou des dons particuliers comme celui de bilocation.
Compte-tenu de leur particularité et du développement
nécessaire pour leur intelligence, ils sont
étudiés dans un autre chapitre PROCÉDÉS
MANTIQUES EN VOYANCE.
Si la clairvoyance concerne le
présent, le phénomène paranormal de voyance, de
nature spirituelle, serait d'une autre dimension, qui ignorerait le
temps de nos montres, et ne ferait pas de distinction entre hier,
aujourd'hui et demain, catégories qui, pour leurs partisans,
n'auraient de sens que pour les humains ordinaires.
La
prémonition.
Ordinairement appelée pressentiment, la prémonition est
la forme minimale de la précognition. Ce sentiment
inopiné, plus ou moins vague, annonce un fait en dehors de
toute déduction rationnelle. Il se produit aussi dans le
rêve. Dans le cas où un événement
malencontreux est signalé, il est possible dans certains cas
d'en tenir compte et d'éviter le danger annoncé. Mais
l'information reçue n'est pas toujours claire. Dans le cas
d'un message difficile à décoder, c'est la connaissance
de sa réalisation qui permet de le vérifier et d'en
apprécier le symbolisme. Certains hommes n'ont que peu de
pressentiments, d'autres en éprouvent souvent, sans toujours
s'en rendre compte comme le remarque
Hallorann, un voyant, dans
Shining. Leur
capacité n'est pas le don de voyance : "J'en ai rencontré de temps à
autre. Le plus souvent, leur pouvoir passe inaperçu. Ils n'en
sont pas conscients eux-mêmes. Ils trouvent tout naturel
arriver avec des fleurs juste le jour où leur femme a le
cafard parce qu'elle est indisposée, ou de réussir
à des examens qu'ils n'ont même pas
préparés.
(...) J'en ai
rencontré cinquante ou soixante comme ça. Mais il ne
doit pas y en avoir plus d'une douzaine, y compris ma
grand-mère, qui savaient qu'ils avaient le
Don." (82) Le
pressentiment peut ainsi ne concerner que des
événements très ordinaires. Dans L'Accident, Johnny, qui a fait une chute étant
enfant, n'établit pas de lien entre ses pressentiments et la
voyance : "Les années
s'écoulèrent. De temps à autre, Johnny avait
d'étranges pressentiments. Il savait par exemple quel disque
serait programmé à la radio avant même que le
présentateur en eût fait l'annonce. Des trucs dans ce
goût-là. Mais il n'établissait aucun lien entre
ces «trucs» et sa chute sur l'étang gelé. Il
n'y pensait jamais. Ces prémonitions, relativement peu
fréquentes, n'avaient rien
d'inquiétant."
(10)
Certains pressentiments
mériteraient d'être pris en compte, ce que ne fait pas
Jonesy, dans Dreamcatcher, mis
en garde par son mai Henry, qui a eu une intuition
prémonitoire : "Fais
attention à toi"
(40), sans préciser le danger. Jonesy oublie sa
recommandation, décide brusquement de changer son emploi du
temps, de ne pas manger dans son bureau comme prévu, mais
dehors, dans un parc, sur un banc au soleil : "C'est la plus mauvaise inspiration qu'il aura
de toute sa vie, mais bien entendu Jonesy l'ignore." (44) Jonesy est
renversé par une voiture en sortant de son Collège :
"Il s'en était sorti
avec une fracture du crâne, deux côtes cassées et
une hanche en capilotade qu'il avait fallu remplacer par une
combinaison exotique de Teflon et de métal" (50)
18 Il ne franchira plus la porte de son bureau avant deux
mois, agenda ouvert à la même page. "C'est ainsi qu'une vie peut changer pour
toujours." (45)
Ce qui ne veut pas dire que tous les pressentiments se
révèlent exacts, ou possèdent un
caractère tragique. Hallorann, à nouveau professeur,
explique la différence, après avoir raconté que
ses actes de voyance s'accompagnent d'une odeur d'orange,
élément pittoresque qui n'a rien à voir avec la
voyance, mais qui est ajouté par King à son habitude :
"Les pressentiments ne sont
pas toujours confirmés par les faits. Tiens, par exemple,
celui que j'ai eu il y a quatre ans, dans un aéroport. J'avais
obtenu un poste de cuisinier dans une colonie de vacances à
Long Lake, dans le Maine. J'étais assis à
côté d'une des portes d'embarquement de
l'aéroport Logan, à Boston, et j'attendais de monter
dans l'avion. Tout à coup, j'ai senti une odeur d'oranges,
pour la première fois depuis cinq ans
peut-être. (...)
J'ai été envahi
par le pressentiment que mon avion allait s'écraser.
Après un moment, ce sentiment s'est atténué,
l'odeur d'oranges aussi et j'ai pu reprendre mes
esprits." Il annule son vol :
"Tu sais ce qui est
arrivé?
- Non, chuchota Danny.
- Rien! s'exclama Hallorann en éclatant de rire.
(...) Rien du tout!
L'avion qui devait s'écraser a atterri à l'heure, sans
une égratignure. Alors, tu vois..., quelquefois ces
pressentiments ne veulent rien dire. Personne ne prévoit tout,
sauf peut-être le bon Dieu là-haut dans son
paradis." (Shining, 88)
La
précognition, connaissance
paranormale de l'avenir, perception extrasensorielle
d'événements futurs (de certains
événements tout au moins) fait penser au voyant
Nostradamus ou ses équivalents. Elle permet d'être
informé des événements avant qu'ils ne se
produisent dans la réalité ou de connaître les
endroits et les personnes avant de les percevoir physiquement. Quand
elle est spontanée, elle concerne tantôt des faits
généraux, souvent des événements de
grande portée, touchant à la fois
l'intérêt particulier et l'intérêt
général, des catastrophes le plus souvent, ou les
événements qui s'accompagnent d'une intensité
émotionnelle importante. C'est une sensation étrange et
généralement bouleversante, qui intervient souvent sous
forme d'images très vives, de clichés, ou
«flashes». Elle peut être provoquée par divers
moyens. La précognition est complémentaire de la
rétrocognition, la faculté de voir dans le
passé, qui permet de mieux comprendre le présent.
La précognition peut prendre plusieurs formes : des
rêves ou des visions à l'état de veille, des voix
intérieures, des intuitions, des sensations dont les contenus
vont des faits les plus anodins aux plus tragiques. Il va de soi que,
dans des romans de terreur, ce sont les faits porteurs d'angoisse et
de peur qui sont retenus avant tout, comme ce fait dramatique pour
les conséquences politiques qu'il peut avoir sur la politique
mondiale : Johnny, le voyant tactile de L'Accident, serre la main de Stillson, le politicien fasciste et
véreux dont la politique au niveau de son état est
avant tout sécuritaire en anticulturelle, un dictateur
dangereux pour la paix mondiale. Il le voit devenant président
des USA, tout son pouvoir de malfaisance s'appuyant sur la plus forte
nation du monde : "Jamais il
ne pourrait oublier cette image : Voilà... Greg Stillson
prêtant serment.
(...) Une des mains de
Stillson se posa sur La Bible, l'autre s'éleva. C'était
loin dans le futur, parce que Stillson avait perdu ses cheveux."
(273)
Certains rêves
prémonitoires se déroulent avec un grand luxe de
détails. Dans Le Fléau,
un long rêve (4 pages,
368/71) détaille de
nombreux éléments objectifs, certains originaux, comme
celui de Nick qui entend la vieille Abigaël jouer de la guitare,
et en perçoit les sons dans le ravissement alors qu'il est
sourd-muet de naissance... Menace pour la collectivité, les
intentions de conquête celle de Flagg, l'homme noir, dont sont
«vues» par Nick : "Cette nuit-là, il rêva de l'homme sans
visage, debout sur la terrasse, les mains tendues vers l'est, puis du
maïs - du maïs qui montait plus haut que sa tête - et
du son de la musique. Mais cette fois, il savait que c'était
de la musique; cette fois, il savait que c'était une guitare.
Quand une furieuse envie d'uriner le réveilla avant l'aube,
les mots de la vieille femme résonnaient encore dans sa
tête : On m'appelle mère Abigaël... viens me voir
quand tu veux." (416).
Dans ce rêve se sont associées les deux forces en
présence, celles des Ténèbres et celle de la
Lumière, la prophète mère Abigaël.
Mais les phénomènes de voyance ne concernent pas que
des faits collectifs. Dans Shining, Danny a
un informateur avec son double Tony, qui l'informe par des visions ou
par des rêves précognitifs : "Je savais que cet hôtel était mauvais, dit
Danny à voix basse. Je le savais dès notre
arrivée à Boulder parce que Tony m'a envoyé des
rêves pour me prévenir. (...) Il m'a
montré l'Overlook la nuit, avec une tête de mort sur la
façade. Et il y avait un bruit de coups. Quelque chose... - je
ne me rappelle pas quoi... - me poursuivait. C'était un
monstre. Et Tony m'a mis en garde contre TROMAL." (245) . Il ne sait
pas ce que veut dire le mot TROMAL, dont les
lettres inversées donnent : LA
MORT19. De même il ne sait pas ce que signifie cette
vision d'un maillet qu'il a souvent : "Là, sur le siège avant de la voiture, il y
avait un maillet à manche court dont la tête
était barbouillée de sang et de touffes de
cheveux" (43), le
manche du maillet que brandira plus tard le monstre à sa
poursuite.
La forme supérieure de la précognition est la
prophétie, prédiction d'événements sous
la conduite et l'inspiration divine. La prophétie a une plus
grande portée que la précognition, tant sur le plan des
messages que de la durée. Le prophète est
l'intermédiaire entre l'homme et Dieu, l'interprète de
la volonté divine : "J'ai commencé à faire ces rêves il y
a deux ans. La prophétie est un don de Dieu et tout le monde
est un peu prophète. Dans mes rêves, j'allais vers
l'Ouest. d'abord avec quelques personnes, puis avec d'autres, et
d'autres encore. À l'Ouest, toujours à l'Ouest, je
voyais un jour les montagnes Rocheuses", dit
Abigaël (Le Fléau, 511). Elle «voit» même le panneau indicateur
de la ville, Boulder... En effet, la prophétie ne concerne pas
exclusivement des événements futurs, mais elle exprime
des vérités religieuses, elle réprimande,
exhorte, juge. Sa place n'est qu'évoquée ici : le
sujet, important chez King, fera l'objet d'une étude
ultérieure.
La rétrocognition,
connaissance des événements du passé, fonctionne
de manière identique à la précognition, mais,
pôle opposé, la rétrocognition représente
"l'autre face" du temps. Elle se manifeste chez King plus souvent que
dans la vie réelle, où les hommes s'intéressent
davantage à l'exploration du futur qu'à celle du
passé, pourtant riche d'expériences et de souvenirs,
précieuses graines pour l'avenir.
Les croyants en la rétrocognition pensent que le passé
laisse des traces diverses, inscrites nécessairement quelque
part. Tout ce avec quoi nous avons été en contact porte
notre empreinte, s'imprègne de nos vibrations. Ces traces sont
perçues par le sensitif qui, en touchant un objet ou en
pénétrant dans un lieu, arrive à reconstruire
leur histoire. Il entre alors dans une autre dimension, où le
présent, le passé et le futur s'entrecroisent,
coïncident et se poursuivent en un jeu magique et
étrange; le réservoir qui contient "quelque chose" de
chaque personne ou animal ayant existé.
C'est le cas à Salem de la
maison Marsten, un lieu maléfique, qui a été
habité par le pire des assassins : "Il leva les yeux vers Marsten House et dit d'une voix
lente : Je pense que cette maison pourrait être le monument au
mal d'Hubert Marsten, une sorte de plaque de résonance
psychique. Un phare supranaturel si tu préfères.
Dressé là depuis cette époque funeste et
retenant peut-être dans ses plâtres poussiéreux
l'essence même du mal d'Hubert Marsten. Et maintenant elle est
habitée de nouveau. Et voilà qu'il y a eu une nouvelle
disparition. (...)
Peut-être que la maison
a attiré une autre incarnation du mal." (122/3) Tout le
récit est ainsi ponctué de remarques occultistes sur la
maison maudite : "La maison se
dresse là, sur cette colline qui domine la ville, comme...
euh... comme une sorte d'idole maléfique." (128) Ceux qui pénètrent dans la
maison Marsten «voient» des éléments du drame
qui s'y est déroulé.
Les occultistes affirment que les
choses possèderaient une empreinte psychique, une sorte de
mémoire cachée. Chaque événement
laisserait en effet des «traces» immatérielles ou
semi-matérielles liées à des choses et à
des personnes ayant joué un rôle important dans leur
histoire. Hallorann a mal vécu ses deux années
passées à l'hôtel Overlook, ses et rêves
ses cauchemars : "Ce qu'il
avait vu dans la salle de bains de la chambre 217 avait
été si horrible qu'il avait décidé de ne
pas revenir l'an prochain. Ç'avait été pire que
la pire des images dans le plus terrifiant des livres. Et, vu d'ici,
l'enfant qui courait vers sa mère paraissait si
petit..." (90) Il
l'explique au jeune Danny : "Je ne sais comment te l'expliquer, mais on dirait que le
mal hante cet endroit. On en relève encore les traces,
pareilles à des rognures d'ongles ou des croûtes de
morve que quelque dégoûtant aurait essuyée sous
le siège d'une chaise. Je sais qu'il se passe de vilaines
choses dans tous les hôtels du monde (...) Et pourtant
il n'y a qu'ici que j'ai eu cette impression
là.". (Shining, 89)
Le passé pourrait ainsi continuer à exister dans le
présent, en imprégnant aussi bien les choses que
l'esprit humain capable d'entrer en relation avec elles. Les
explications pseudo-scientifiques font appel au
phénomène de rémanence, utilisé en
physique, ou à l'hystérésis et le champ
magnétique de l'aimant, ou à des effluves, des ondes
émanant des traces. La rétrocognition s'effectue par
les mêmes moyens que la clairvoyance : spontanément, par
contact ou par procédés mantiques.
Voyance et temporalité.
Dans les faits, disent les partisans de la voyance, les
classifications sont à prendre avec beaucoup de souplesse.
Elles correspondent à notre temps humain, celui de nos
horloges. Or dans la voyance, le temps n'est plus celui de notre
monde cartésien et rationnel. L'espace se contracte ou se
dilate, le temps fait des bonds en arrière ou en avant, la
personnalité du voyant se dédouble pour ne plus faire
qu'un avec la personnalité avec laquelle il est en contact
sans pour autant cesser à l'observer. La clairvoyance ainsi
analysée est certainement, disent ses défenseurs, le
sentiment qui est le plus éloigné de la conception
actuelle du monde20, la vision rationnelle qui est enseignée dans
les écoles et les universités, dominante en Occident
depuis le XIXème siècle. Ainsi dans L'Accident, Johnny a le don de voyance par contact
après un accident, et 55 mois de coma dà
l'hôpital. À son réveil, la main d'une
infirmière le touche : "Elle était fraîche et réconfortante
et Johnny sut qu'elle avait trois enfants, et que le plus jeune avait
perdu l'usage d'un oeil en faisant éclater un pétard le
4 juillet dernier. Il se prénommait Marc." (89) Ces faits se
sont produits dans le passé. Puis Johnny saute du passé
dans l'avenir, disant à l'infirmière que
"tout ira bien quand ils
auront opéré la cornée." (91)
Comme les autres motifs d'ordre
paranormal ou surnaturel qu'il utilise, King consacre plusieurs pages
à des explications ou des justifications, qui opposent
crédules et sceptiques, souvent la victime, qui pour l'avoir
vécu croit au fait étrange et un
«scientifique» (souvent un médecin ou un professeur)
qui cherche la neutralisation du fait insolite en essayant de lui
donner une explication rationnelle.
Voyance et
rationalité.
Quand un phénomène
surnaturel ou paranormal se produit, il oppose toujours une
hypothèses rationaliste au phénomène qu'il a mis
en scène. Le degré le plus simple d'explication est
celui de l'homme d'expérience, qui doute, sans avoir de
connaissances particulières ou de théories
scientifiques à laquelle se référer. C'est le
cas, dans L'Accident, du
riche employeur de Johnny, devenu précepteur de son fils en
fin d'études. Johnny incite son élève à
ne pas participer au repas de fin d'année donné dans un
restaurant de la ville parce qu'il a «vu» qu'un incendie
allait s'y déclencher. Le père, industriel,
réagit : "Johnny,
reprit Roger Chatsworth, calmement et très gentiment, vous ne
pouvez pas prévoir une chose de cette nature. (...)
Ma conviction personnelle est
qu'il n'y a pas de différence entre un bon et un mauvais
médium, parce que je ne crois pas à toutes ces
histoires, c'est aussi simple que ça. Je n'y crois pas.
- Je suis un menteur alors?
- Pas du tout, reprit Roger de sa même voix unie et calme. J'ai
un contremaître à l'usine qui se refuse d'allumer trois
cigarettes avec la même allumette, il n'est pas mauvais
contremaître pour autant. J'ai des amis extrêmement
croyants, et, bien que je ne fréquente pas l'église
moi-même, ils sont toujours mes amis. Vous croyez que vous
êtes capable de prévoir des événements
à venir ou à distance, je n'en ai pas tenu compte quand
il fut question de vous engager. Non, ce n'est pas exactement
ça. Je n'en ai jamais tenu compte quand j'ai été
convaincu que ça ne vous empêcherait pas de faire du bon
travail avec Chuck. Mais je ne crois pas davantage à un
incendie chez Cathy ce soir qu'à l'existence des soucoupes
volantes."
À l'hôpital, où il a passé cinq ans dans
le coma, deux médecins constatent ses dons de voyance. Un les
nie, l'autre les accepte. Il explique ce qui va se passer :
"Brown est furieux,
après vous, après moi, furieux après lui je
suppose. Furieux d'avoir eu également à tenir compte de
phénomènes que jusqu'à présent il
considérait comme délirants, comme des foutaises selon
ses propres paroles. L'infirmière ne se taira pas. Elle est en
train de tout raconter à son mari à la minute
même où je vous parle. Il en parlera à ses
collègues. Demain ce sera la presse avec gros titres :
«Un miraculé sorti d'un coma de quatre ans qui se
réveille avec le don de seconde vue »!
- Seconde vue, c'est comme ça que vous appelleriez la
chose?
- On s'en fout de l'appellation contrôlée. On glisse une
photo sur votre poitrine et vous voilà à même de
dévoiler l'identité de la personne figurant sur le
cliché. Où elle habite, ce qu'elle fait. Vous pouvez
peut-être aussi lire dans les pensées pendant que nous y
sommes. Bref vous êtes pourvu de tous les accessoires
surnaturels du médium de music-hall. Une grande
carrière de charlatan vous attend, mon vieux. Le
mystère du devin, Madame Soleil, tout ce qui faisait rire
Brown. Rire n'est plus le mot. Depuis aujourd'hui, il ne rit plus.
Plus du tout. Il méprise cette quincaillerie. Il vous
méprise." (112)
Le don de voyance de Danny est
également contesté par le médecin,
consulté par ses parents : "Quelquefois ce qu'il raconte me fait peur. C'est comme
si...
- Comme s'il avait le don de seconde vue? interrogea Edmonds,
souriant.
- Vous savez qu'il avait une coiffe à la naissance, dit Wendy
d'une voix presque inaudible
Le sourire d'Edmonds se transforma en un gros rire franc. - Soyons
sérieux. Ce n'est pas la perception extra-sensorielle qui est
à l'origine de ces phénomènes. C'est tout
simplement notre bonne vieille perception humaine, que Danny
possède au plus haut point. Mr. Torrance, Danny savait que
votre malle se trouvait sous l'escalier de la cave
21 parce que vous aviez sans doute
regardé partout ailleurs. Il est arrivé à cette
conclusion par voie d'élimination, tout
bêtement." (149)22
Danny a raconté au docteur
Edmonds ses rapports avec Tony, le compagnon irréel qui lui
apparaît de temps en temps lors de ses moments de voyance. Ici
encore le docteur ne se montre pas surpris : "L'imagination créatrice de Danny fait
de Tony un ami invisible exceptionnellement intéressant. Ce
que Tony apprend à Danny est souvent utile ou agréable,
parfois même étonnant. Naturellement Danny en est venu
à attendre ses visites avec la plus grande
impatience." (148) Le docteur ne
pense d'ailleurs pas qu'on doive se laisser impressionner par les
prétendues révélations de Tony :
"Danny reconnaît
lui-même que toutes les prévisions de Tony ne se
réalisent pas. Celles qui n'ont pas de suite étaient
fondées sur une perception erronée des choses, c'est
tout. Danny fait inconsciemment ce que tous les soi-disant mystiques
et voyants font consciemment ou cyniquement." (150)
L'explication la plus simple est de
faire appel à une notion fourre-tout, l'inconscient (que tout
le monde évoque, sans qu'on sache ce que ce mot recouvre
exactement) : "Le subconscient
attrape tout au vol à la façon d'un rouleau de papier
tue-mouche, pour user du genre d'images que l'on trouve couramment
dans les articles de vulgarisation des journaux du
dimanche." (367)
Ailleurs King prend l'exemple
d'un ordinateur disposant d'une quantité invraisemblable de
«puces» mémorielles, comparées à notre
mémoire : "Personne
n'était capable d'évaluer avec précision la
quantité d'information exacte que chacune de ces
«puces» organiques était susceptible
d'engranger." (Simetierre, 369)
Une autre explication est une modification chimique de notre
organisme, susceptible de se produire avec des substances
appropriées. Dans Charlie, un
produit spécial a été inoculé à
Andy, étudiant, qui le rend soudainement voyant, comme il le
constate avec un des contrôleurs de l'épreuve :
"Soudain, une foule
d'informations sur Ralph Baxter lui tombèrent dessus. Des
tonnes de choses : il avait trente-cinq ans, travaillait pour la
Boîte depuis six ans. Auparavant, il était resté
deux ans avec le FBI. Il avait tué quatre personnes durant sa
carrière, trois hommes et une femme. Il avait violé la
femme après l'avoir flinguée. C'était une
correspondante de l'Associated Press qui était au courant.
Cette partie-là n'était pas très claire.
Ça n'avait pas d'importance. Soudain, Andy n'avait plus envie
de savoir. Le sourire s'effaça de ses lèvres et il se
sentit envahi par une sombre paranoïa, celle qu'il avait
déjà connue au cours de ses deux
précédents trips de LSD. Sauf qu'aujourd'hui,
c'était plus profond et plus effrayant. Il n'avait pas la
moindre idée de la façon dont il pouvait être au
courant de la vie de Ralph Baxter - ni même de son nom.
(...) Peut-être s'agissait-il vraiment d'une
hallucination. Ça ne semblait plus très réel
à présent. Ralph l'observait toujours. Peu à
peu, un sourire apparut sur son visage.
«Vous voyez? fit-il doucement. Avec le Lot Six, il se passe tout
un tas de choses bizarres."
(46)
On sait que King adolescent a lu avec fascination les recueils de
faits et anecdotes étranges publiés en livres de poche
: Ripley's
Believe It or Not 23 (Incroyable, mais
vrai), où il trouve
d'innombrables curiosités, des faits merveilleux, mais aussi
des monstres animaux ou humains, ces aberrations
tératologiques qui écoeurent ou effraient les hommes
depuis toujours : "C'est dans
le Ripley's Believe It or No que j'ai commencé à voir
pour la première fois à quel point pouvait être
ténue la ligne qui sépare le fabuleux de l'ordinaire,
aussi que la juxtaposition des deux faisait autant pour jeter une
lueur nouvelle sur les aspects ordinaires de la vie que pour
éclairer ses manifestations les plus
aberrantes." (Rêves &Cauchemars, 11) Il continue toujours à vivre dans ce monde de
l'extraordinaire en correspondance avec son oeuvre : "L'univers entier pullule de faits bizarres et
inexplicables. Il y a même des journalistes qui passent leur
vie à en dresser l'inventaire dans des recueils du
type La
Réalité
dépasse la
fiction." 24
D'autre part, King, élevé dans la croyance religieuse
chrétienne, a été marqué par le courant
New Age. On ne peut en effet négliger chez
King, entre d'autres emprises, l'influence de ce mouvement
diversifié et peu structuré de ce qu'on appelle le New
Age, dont la caractéristique commune est le rejet de la
science, de la technique et même de la raison au profit du
sentiment. Le New Age met l'accent sur les phénomènes
psychiques comme fondements des relations entre les hommes et le
cosmos. Ce retour archaïque du sacré se veut remonter aux
sources de l'humanité, aux principes gnostiques de l'Occident
et du bassin méditerranéen antiques.
Au fond de lui-même, King croit
à une réalité extrasensorielle, et son point de
vue est peut-être exposé dans Salem par le romancier Ben, à propos du
phénomène de voyance attribué à la
belle-soeur de Marsten, qui aurait eu la vision de sa soeur
assassinée : "Le
dossier de la perception extra-sensorielle est suffisamment important
à présent pour que même un rationaliste à
tout-crin ne puisse plus en rire impunément. L'idée que
Birdie aurait transmis les circonstances de sa mort à quatre
cent cinquante kilomètres de là, par une sorte de
télégraphie psychique, me paraît infiniment moins
difficile à admettre que celle d'une présence
réelle du mal, de ce mal dont je crois parfois entrevoir le
visage monstrueux derrière les murs de cette maison. Tu m'as
demandé ce que je pense. Je vais te le dire. Je pense qu'il
est relativement facile pour les gens de reconnaître
l'existence de phénomènes tels que la
télépathie ou la voyance parce que ça ne leur
coûte rien. Ce n'est pas ça qui les empêchera de
dormir. Mais l'idée que le mal que font les hommes continue
à vivre après eux est beaucoup plus
troublante."
(122) Effectivement, King a
l'habileté de rattacher les phénomènes de
voyance qu'il relate à l'existence d'un mal conquérant
qui cherche à s'imposer.
Le point de vue du sociologue Glen,
dans Le
Fléau, doit
refléter à peu près le point de vue de King sur
le phénomène de la voyance, qui est le reflet
d'études au caractère non scientifique malgré
les apparences : "Ce don est
si profondément enraciné en nous que nous ne le
remarquons que rarement. Un don qui est essentiellement
préventif, ce qui nous empêche aussi de
l'observer. (...)
Avez-vous lu l'étude
publiée en 1958 par James D. L. Staunton sur les accidents
d'avions et de chemins de fer? Elle a d'abord paru dans une revue de
sociologie, mais la presse à sensation en reparle de temps en
temps quand les journalistes ont du mal à pisser de la
copie. (...)
James Staunton avait ce que
mes étudiants d'il y a vingt ans auraient appelé
«une tête bien faite» - un sociologue tout à
fait bien, très tranquille, qui s'intéressait à
l'occulte, son violon d'Ingres si on veut. Il a d'abord écrit
une série d'articles, puis il a sauté la
barrière pour étudier le sujet par
lui-même.
(...). Staunton a
recueilli des statistiques sur plus de cinquante accidents d'avions
depuis 1925 et sur plus de deux cents accidents ferroviaires depuis
1900. Il a fourré tout ca dans un ordinateur. En
résumé, il cherchait une corrélation entre trois
facteurs: ceux qui étaient présents à bord du
véhicule accidenté, ceux qui ont été
tués, et la capacité du
véhicule. (...).
Il avait également
donné une deuxième série de statistiques
à son ordinateur - cette fois un nombre équivalent
d'avions et de trains qui n'avaient pas eu d'accident.
Mark avait compris.
- Un groupe expérimental et un groupe témoin. Ça
paraît logique.
- Et ce qu'il a découvert est extrêmement simple, mais
plutôt gênant sur le plan des conséquences.
Dommage qu'il faille se taper seize tableaux de statistiques pour
arriver à la conclusion. (...) Les
avions et les trains pleins ont rarement des
accidents.(...)
C'était la
théorie de Staunton, et l'ordinateur lui donnait raison. Quand
il y a accident d'avion ou de train, les véhicules sont
remplis à soixante et un pour cent. Lorsqu'il n'y a pas
d'accident, ils sont remplis à soixante-seize pour cent. Une
différence de quinze pour cent sur un échantillon
représentatif, on peut donc parler d'un écart
significatif. Staunton fait observer que, du point de vue
statistique, un écart de trois pour cent donnerait
déjà à réfléchir, et il a raison.
L'anomalie est énorme. Staunton en déduit que les gens
savent quand un avion ou un train va avoir un accident... qu'ils
prévoient l'avenir, inconsciemment." (548/9)
Quand on pose la question à
Glen de savoir comment il explique qu'il en soit ainsi, il propose
une théorie liée à l'évolution. Jadis les
sens humains étaient beaucoup plus aiguisés qu'ils ne
le sont aujourd'hui. Ils sont atrophiés quand leur exercice
n'a plus été nécessaire. On n'en a plus besoin.
Peut-être, conclut-il "sommes-nous comme ces gens qui vont prendre l'avion...
et qui tout à coup ont mal au ventre. Peut-être nous
donne-t-on le moyen d'orienter notre avenir. Une sorte de libre
arbitre dans la quatrième dimension : la possibilité de
choisir, avant les événements.
- Mais nous ne savons pas ce que ces rêves signifient.
- Non, mais nous allons peut-être le découvrir. J'ignore
si posséder une parcelle de dons psychiques signifie que nous
sommes divins; bien des gens acceptent le miracle de la vue sans
croire que la vue prouve l'existence de Dieu, et je suis de
ceux-là; mais je crois que ces rêves sont une force
constructive, même s'ils peuvent nous faire
peur. (549)
Il n'y a pas de romans de King qui ne
contiennent ainsi, en même temps que l'utilisation de la
voyance, des considérations dont il faut bien dire qu'elles
n'ont qu'une apparence scientifique. Alors que Peter Straub, par
exemple, utilise des motifs semblables, il n'éprouve pas le
besoin de les justifier ainsi. Encore faudrait-il
référencer le vocabulaire de King, qui utilise des mots
chargés d'un sens qu'ils n'ont pas, et dans le but de faire
admettre une idée uniquement par analogie, qui n'est pas un
moyen de prouver scientifiquement quoi que ce soit. Ainsi il parle de
«traces» laissées par les crimes commis dans la
Maison Marsten. L'habileté avec laquelle King utilise le
conditionnel et la ressemblance, dans les propos du professeur Matt,
est remarquable : "Et
j'imagine qu'il fonde sa théorie sur les vieilles notions
chères à la parapsychologie : l'homme
sécréterait le mal comme il secrète la sueur ou
le mucus. Un mal qui ne disparaîtrait jamais. Et, dans ce cas
particulier, Marsten House pourrait être
considérée comme un conservateur, ou, mieux, comme un
accumulateur de mal."
(Salem, 207) Ben reprend en romancier une analogie
semblable : "Cette maison
pourrait être le monument au mal d'Hubert Marsten, une sorte de
plaque de résonance psychique. Un phare supranaturel si tu
préfères. Dressé là depuis cette
époque funeste et retenant l'essence même du mal
d'Hubert Marsten."
(122) On remarque ainsi l'usage qui est fait du terme
technique (ou scientifique ailleurs) à apparence d'objet
indiscutable (accumulateur), aux propriétés connues, ou
à une comparaison concrète (plaques) suivi d'un mot qui
a une réalité physique (résonance) pour faire
passer des notions insolites comme la résonance psychique ou
l'accumulation du mal, alors que le mal, notion sociologique
essentiellement humaine, n'a d'autre valeur que par le
conditionnement exercé par les sociétés. Que
peut bien être un "accumulateur de mal"? Le lecteur, pris par
le récit, n'enregistre que le concept familier d'accumulateur
et accepte, sans plus se poser de questions. Ben et Matt ont tous
deux employé le conditionnel : mais ils feront ensuite comme
si le temps qu'ils avait employé était un
présent...
Effets
littéraires
Effets
pittoresques
:
Le récit des conditions dans
lesquelles la voyance s'exerce permet toutes les fantaisies. Si
Danny, dans Shining, voit ses
faits de voyance associés à son double Danny, on a vu
que ceux d'Hollorann sont liés à l'odeur d'orange :
"Tu dis qu'avant de faire tes
rêves tu vois ce Tony ?
Danny acquiesça d'un signe de tête.
Hallorann passa son bras autour de l'épaule de Danny.
- C'est une odeur d'oranges qui m'annonce les miens. Or, cet
après-midi-là, j'avais bien remarqué une odeur
d'oranges, mais je n'y avais guère prêté
attention. Il y avait des oranges au menu du soir et nous en avions
trente caisses dans la réserve. Toute la cuisine empestait
l'orange et n'importe qui aurait senti leur odeur." (87)
Si certaines visions sont accompagnées de détails
accessoires, comme ce parfum d'orange, d'autres sont associées
à des éléments plus importants, comme le double
de Danny, son «camarade invisible» (37) qui accompagne
toujours ses visions, lui parle et lui montre : "Il aimait se concentrer parce que quelquefois
Tony venait. Le plus souvent, il ne se passait rien; sa vue se
brouillait, la tête lui tournait et ça s'arrêtait
là. Mais, d'autres fois, Tony paraissait à la
lisière de son champ de vision, lui faisait signe de venir et
l'appelait de sa voix lointaine." (Shining,
38) La voyance prend alors les
apparences d'un ami, avec des sentiments qui enrichissent la
coloration du récit. Danny, cinq ans, a
déménagé avec ses parents, et constate que le
phénomène sur lequel il met de nom de Tony (le double
«voyant» de lui-même) l'a suivi : "Il se rappelait la surprise et le plaisir
qu'il avait ressentis en voyant que Tony avait fait tout ce chemin
depuis le Vermont pour le rejoindre. Ses amis ne l'avaient pas tous
laissé tomber.
(...) Tony
était apparu et lui avait fait signe de venir. Le noir l'avait
aussitôt englouti et quelques instants plus tard il
était revenu à lui. Il ne gardait de cette rencontre
que quelques souvenirs fragmentaires et brouillés comme ceux
d'un rêve. Mais, il y avait deux semaines, Tony avait
réapparu dans une cour voisine et, comme d'habitude, lui avait
fait signe de venir : «Danny, viens voir». Danny avait eu
l'impression de s'être levé pour aller voir, puis
d'être tombé, comme Alice au pays des merveilles, au
fond d'un trou profond. "
(38)
Danny est capable de «voir» les pensées de ses
parents : "Il y avait entrevu,
le temps d'un éclair, un mot inconnu, incompréhensible,
bien plus effrayant encore que le mot DIVORCE, le mot
SUICIDE. Depuis, Danny n'avait plus croisé ce
mot-là dans l'esprit de son papa et il ne tenait pas à
le rencontrer. Il n'avait même pas envie de savoir exactement
ce qu'il signifiait." King a
alors l'habileté de colorer les impressions de l'enfant, qui
ne connait pas exactement le sens des mots, par les sentiments qui
les accompagnent : "Il n'en
déchiffrait que les grandes lignes; dès qu'il voulait
saisir l'idée dans sa complexité, elle se
dérobait. Ses multiples ramifications étaient
incompréhensibles pour lui en tant qu'idées, mais il
pouvait les appréhender sous forme de couleurs, sentiments,
états d'âme.
(...) Les
pensées de DIVORCE de Papa étaient d'une couleur sombre,
inquiétante, du violet foncé veiné de noir. Il
semblait croire qu'il valait mieux pour Maman et lui qu'il s'en
allât, qu'ainsi ils ne souffriraient plus." (37)
La voyance chez King s'accompagne ainsi d'effets variés. Dans
L'Accident, King
pourrait se contenter de dire que lorsque Johnny serre la main d'un
politicien, il y lit son avenir de président. Mais King
éprouve le besoin de compléter le fait d'une
description qui le dramatise considérablement :
"L'instant s'éternisa.
Temps suspendu tandis qu'ils ne se quittaient pas des yeux. Johnny
prisonnier d'un corridor sans fin. (...) Tout
arrivait en même temps : le bruit infernal d'un train
lancé à toute vitesse dans un étroit tunnel, un
projecteur dérisoire à l'avant, mais pas d'issue, et la
parfaite conscience de ce qui allait se passer le plaquait contre un
mur tandis que le train des ténèbres fonçait sur
lui." (273)
Autre particularité de King :
il exploite, souvent longuement, la voyance interne (les organes du
corps), quand des personnages doués ont besoin de savoir ce
qui se trouve dans le cerveau d'un autre. Ainsi des sensations de
Sue, mentalement explorée par Carrie : " Ce fut pour Sue une sensation terrifiante. Sa
tête et son système nerveux étaient devenus une
bibliothèque. Dans l'affolement, un être la parcourait
en tous sens, effleurant du bout des doigts les
étagères couvertes de livres, en sortant quelques-uns
qu'elle parcourait avec fébrilité, les remettant en
place, faisant tomber certains, laissant les pages voleter; follement
(aperçus fugitifs ça c'est moi petite je le
déteste papa oh maman les grosses lèvres les dents
bobby m'a poussée oh mon genou veux monter dans la voiture on
va voir tante Cécile maman viens vite j'ai fait pipi) dans le
vent du souvenir, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle
atteignît enfin une étagère marquée
TOMMY
avec en sous-titre BAL
DE.PRINTEMPS. Livres
feuilletés, expériences survolées, notes
marginales dans tous ces hiéroglyphes de l'émotion,
plus complexes que ceux de la pierre de Rosette.
Continuant à chercher. Découvrant plus que Sue en
personne ne le soupçonnait - amour pour Tommy, jalousie,
égoïsme, besoin de le soumettre à sa
volonté, de l'obliger à accompagner Carrie,
dégoût pour Carrie elle-même, (elle pourrait bien
essayer de s'arranger un peu mieux elle a vraiment l'air d'un
CRAPAUD)
haine à l'égard de Miss Desjardin, à
l'égard d'elle-même. Mais pas de mauvaises intentions
arrêtées vis-à-vis de Carrie, aucun plan pour la
ridiculiser devant les autres.
L'impression cuisante d'être violée dans ses plus
secrets réduits commença à s'estomper. Elle
sentit Carrie se retirer, affaiblie,
épuisée."
(262/3)
La même opération se
produit à plusieurs reprises dans Dreamcatcher, l'extraterrestre qui occupe le corps de Jonesy
explorant son cerveau de manière identique pour y rechercher
les informations dont il a besoin. La situation y est encore plus
complexe, Jonesy (comme Seth dans Les Régulateurs) parvenant à lui dissimuler certaines
informations dans son cerveau symbolisé par un entrepôt
d'entreprise, où il s'est retiré dans le bureau
où l'extraterrestre ne peut pas pénétrer, avec
ses informations préservées, alors que les autres
données courantes sont accessibles dans l'entrepôt.
Cette exploration par un extraterrestre, apprentissage en un minimum
de temps d'une vie terrestre, s'accompagne de nombreuses
réflexions et constatations, parfois dérangeantes,
parfois humoristiques comme cette interprétation et
utilisation du christianisme à partir des souvenirs de Jonesy.
Mr. Gray doit transporter un chien infecté pour empoisonner le
réservoir d'eau et contaminer de nombreux habitants, alors que
le corps de Jonesy, qu'il occupe, est hors d'état de
fonctionner convenablement : "Petit tour dans les archives de Jonesy Pendant un moment
il ne trouva rien... puis lui vint une image de 1'«école
du dimanche» que Jonesy avait fréquentée, enfant,
pour s'y instruire sur «Dieu et son Fils unique»,
apparemment une sorte de byrum créateur d'une culture de byrus
qui était simultanément identifié, dans l'esprit
de Jonesy, comme étant le «christianisme» et
«un tas de conneries». L'image était très
claire et provenait d'un livre appelé la «Sainte
Bible». On y voyait le Fils unique de Dieu transportant un
agneau, presque comme si c'était un vêtement. Les pattes
de l'animal pendaient de part et d'autre de son cou.
Voilà qui ferait l'affaire.
Mr Gray prit le chien endormi et se l'enroula autour du cou. Il
était déjà lourd - sans compter la stupide et
irritante faiblesse des muscles de Jonesy - et ce serait encore pire,
le temps qu'ils arrivent là où il voulait aller... mais
ils y arriveraient."
(620)
Effets
fantastiques.
Dans Le Fléau, Flagg est capable d'envoyer des messages et de
créer des visions, que des partisans ou adversaires voyants
sont capables de recevoir. Il essaie de tenter successivement en
songe les partisans d'Abigaël, la seule adversaire capable de
lui tenir tête. Par exemple à Nick, sourd-muet, il
propose la parole et l'audition, et lui donne un échantillon
de ce qu'il n'a jamais vécu : "Il était quelque part, très haut. Un
paysage s'étendait devant lui, comme une carte en relief.
C'était un désert. Et dans le ciel, les étoiles
avaient cet éclat brutal qu'on leur voit en altitude. Un homme
était debout à côté de lui... Non pas un
homme, mais la forme d'un homme. Comme si l'on avait
découpé sa silhouette dans le tissu de la
réalité et que ce qui se trouvait à
côté de Nick fût en fait le négatif d'un
homme, d'un trou noir avec la forme d'un homme. Et la voix de cette
forme murmurait : Tout ce que tu vois sera à toi si tu tombes
à genoux pour m'adorer. (...) Il
entendait des sons. Il savait ce qu'était chacun de ces sons
sans qu'on le lui ait jamais dit. De jolis sons." (368). C'est un
rappel, remarquablement enrichi (la scène fait près de
deux pages) de la tentation de Jésus par le diable dans le
désert (une des innombrables scènes fantastiques de
La
Bible) : "De nouveau le diable le prend avec lui dans
une montagne très élevée et lui
montre tous les royaumes du monde et leur gloire, et
il lui dit : «Tout cela je te le donnerai, si tu tombes,
prosterné devant moi»". 25
Autre mise en scène
recherchée : quand le fantôme de Nick vient expliquer
à l'idiot Tom Cullen ce qu'est une infection, en lui montrant
une blessure sur sa jambe, et lui indique qu'il doit prendre des
médicaments appropriés, la voyance s'adapte au
psychisme limité de Tom : "Je t'ai montré ma jambe pour une bonne raison. Il
y a des pilules contre les infections. Comme ici.
Tom regarda autour de lui et fut surpris de voir qu'il n'était
plus dans la rue. Ils étaient dans un magasin plongé
dans le noir. Une pharmacie. Un fauteuil roulant était
accroché au plafond, comme un étrange cadavre
mécanique. Une pancarte à droite de Tom
annonçait : ARTICLES POUR LES
ÉNURÉTIQUES.
- Oui, monsieur? Vous désirez? Tom se retourna. Nick
était derrière le comptoir, en blouse blanche.
- Nick?
- Certainement, monsieur, répondit Nick en alignant une
série de petits flacons devant Tom. Voici de la
pénicilline. Excellent contre la pneumonie. Ceci est de
l'ampicilline, et ici nous avons de l'amoxicilline. Excellent
également. Voici de la V-cilline, administrée surtout
aux enfants. Elle peut donner des résultats si les autres ne
sont pas efficaces. Le malade devrait boire beaucoup d'eau et de jus
de fruits, mais la chose n'est peut-être pas possible. En ce
cas, donnez-lui donc ceci. Ce sont des pastilles de vitamine C. Il
faut également le faire marcher...
- Je vais pas pouvoir me souvenir de tout ça! gémit
Tom.
- J'ai bien peur d'être obligé de vous demander de faire
un effort, car il n'y a personne d'autre. Vous êtes tout
seul.
Tom se mit à pleurer.
Nick se pencha en avant. Son bras se précipitait sur lui. Il
ne sentit pas le coup - à nouveau, Nick était comme de
la fumée qui passait à côté de lui,
peut-être même à travers lui mais Tom sentit sa
tête basculer en arrière : quand même. Et quelque
chose dans sa tête parut se briser.
- Arrête ça! Tu ne peux plus être un
bébé, Tom ! Sois un homme ! Pour l'amour de Dieu, sois
un homme! (...)
Tom se réveilla et se retrouva debout dans la pharmacie
déserte, devant le comptoir. Quatre flacons remplis de
capsules étaient alignés sur la tablette de verre. Tom
les regarda un long moment, puis les mit dans un sac."
(1134/5)
Dans la perspective choisie par King, de longues scènes
peuvent ainsi se dérouler, dans des circonstances et avec le
luxe de détails réalistes qu'on pourrait trouver dans
une description d'événements qui se passeraient dans la
vie ordinaire. Notamment le «voyant» n'est pas passif, mais
participe à l'action comme s'il s'y trouvait. Cela permet
à King des scènes monstrative, quasi
cinématographiques, où la vision n'est plus distincte
de la réalité.
Effets
dramatiques.
Dans L'Accident, le voyant (par contact) Johnny enquête dans un
square sous la neige, avec le shérif Bannerman, pour trouver
des indices sur un crime commis. Quand Johnny est en état de
voyance, il entre en transe et change momentanément de
personnalité : "Johnny
retira ses gants, les mit dans sa poche, puis s'agenouilla et creusa
la neige pour dégager le siège du banc. Bannerman fut
à nouveau frappé par la pâleur de son visage.
À genoux, il avait l'air d'un pénitent.
(...)
- Habile, murmura Johnny, je
suis habile, si adroit...
Bannerman s'approcha, incapable de saisir les paroles dans le
hurlement du vent.
- Quoi ?
- Habile, répéta Johnny, levant les veux vers
Bannerman. Le shérif recula : les veux de Johnny
étaient froids et lointains. Ses cheveux sombres,
agités par le vent, étaient rabattus sur son visage, il
avait les mains rivées au banc.
- Putain, je suis si habile, dit-il distinctement. Un sourire
triomphant étirait ses lèvres. Son regard
transperçait Bannerman. Personne n'était capable
d'inventer cela, de produire une telle mise en scène, et le
plus terrible c'est que cela lui rappelait quelqu'un, le sourire,
I'intonation de la voix... Johnny Smith avait disparu,
remplacé par un autre. Dissimulé derrière les
traits de Johnny, un autre visage apparaissait: le visage du tueur.
Un visage que, lui,Bannerman connaissait.
- Vous ne me prendrez jamais parce que je suis trop habile pour vous.
Un petit rire lui échappa. Je mets ça chaque fois, et
si elles griffent ou si elles mordent... elles n'emportent rien de
moi, parce que je suis le plus habile. Sa voix s'éleva en un
cri de triomphe qui rivalisa de fureur avec le vent, et de nouveau
Bannerman recula d'un pas.
«Assez, pensait-il. Arrêtons maintenant.»
Johnny se pencha sur le banc, de la neige fondue coulant entre ses
doigts (neige, neige silencieuse et secrète).
- Elle m'a mis une pince à linge pour que je sache ce que
ça fait quand on attrape une maladie. Une maladie de ces
salopes, toutes des salopes, et il faut les arrêter, les
arrêter, arrêter... Oh mon Dieu !... Il était
redevenu enfant, s'en allait à l'école en marchant dans
la neige. Et un homme apparaissait dans toute cette blancheur, un
homme terrible, un homme noir, riant aux éclats avec des yeux
aussi brillants que des pièces neuves. Il tenait un panneau
Stop dans une main gantée, lui!... Iui!... Iui!...
- Oh ! ne le laissez pas m'emporter maman, ne le laissez pas...
Johnny hurla et s'écarta du banc, pressant ses mains sur ses
joues. Il regarda Bannerman douloureusement. Il voyait toujours cette
forme noire émergeant de la neige, avec ses yeux brillants,
I'entrejambes meurtri par la pince à linge que la mère
du tueur y avait placée. Il n'était pas un assassin,
alors, ni une bête, ni une ordure, il n'était qu'un
petit garçon affolé avec une pince sur son... son
(...) 26
La force abandonna ses bras,
les images s'évanouirent, il glissa en avant. Il gisait
maintenant, secoué de sanglots, sur
l'estrade." (213/4)
La scène est plus longue, et son intensité est telle
qu'il m'a été difficile de la couper. Ceux qui doutent
du talent de King à être capable d'évoquer de
simples sentiments humains, au profit de scènes d'horreur
parfois discutables, en trouveront beaucoup de semblables dans son
oeuvre, qui les porteront peut-être à réviser
leur jugement.
La connaissance, par la voyance, de la réelle situation des
autres est souvent éprouvante. Dans Insomnie, Ralph et Loïs rencontrent une mère et son
petit enfant à l'hôpital. L'enfant a le cerveau atteint
par un traumatisme dû à un choc, dont Ralph et Loïs
savent qui est le responsable27 : "[«C'est
le père, n'est-ce pas? Il l'a jeté contre le
mur?»] [Oui. Le bébé n'arrêtait pas de
pleurer »] [«Et elle le sait. Elle le sait, mais elle ne
l'a dit à personne.»] [« Non... mais il se peut
qu'elle le fasse. Elle y pense.»] [«Elle risque aussi
d'attendre qu'il recommence. Et la prochaine fois, il
l'achèvera peut-être.»]
Une idée terrible lui vint à l'esprit; elle le traversa
comme un météore qui allume brièvement un
incendie dans un ciel nocturne, l'été: il valait
peut-être mieux qu'il l'achevât, en effet. Le panache du
bébé foudroyé se réduisait à un
chicot, mais un chicot sain. L'enfant pouvait vivre des
années, sans savoir qui il était ni où il
était - encore moins pourquoi il vivait - à regarder
aller et venir les gens, simples silhouettes comme des arbres dans la
brume...
Lois se tenait les épaules voûtées, les yeux
fixés sur le plancher de la cabine. Il émanait d'elle
une tristesse qui serra le coeur de Ralph. Il passa un doigt sous le
menton de sa compagne et vit une rose d'un bleu délicat
naître à l'endroit où il l'avait touchée.
Il l'obligea à relever la tête et ne fut pas surpris de
voir des larmes dans ses yeux.
- Alors, tu trouves toujours que c'est un monde merveilleux,
Lois?» demanda-t-il doucement. Mais à cette question, ni
ses oreilles ni son esprit ne reçurent de
réponse." (405/6)
King utilisera surtout la voyance
dans les romans où les forces de la Lumière luttent
contre celles des Ténèbres, et la voyance qu'il mettra
en scène sera celle que l'on trouve dans La Bible ou les écrits religieux. dans Le Fléau, son premier roman cosmique, il ne s'en cache
pas : "En présence d'un
phénomène manifestement paranormal, a continué
Glen, la seule explication possible, la seule qui ait sa logique
interne, est l'explication théologique. C'est pourquoi la
métapsychique et la religion se sont toujours très bien
entendues, jusqu'aux guérisseurs de notre
époque." (546)
Par contre, les explications de type psychiatrique (que King a en
horreur28), si elles sont effectivement présentées,
sont minimisées, comme c'est le cas dans Shining : "J'ai
l'impression que Danny était bien parti pour faire une
véritable psychose. Tous les ingrédients y
étaient : milieu familial compromis, imagination
débordante, ami imaginaire si réel pour lui qu'il finit
par le devenir pour vous. Au lieu de «passer avec
l'âge», sa schizophrénie enfantine aurait pu
croître et embellir." Maintenant que les liens familiaux se resserrent, les
conditions pourraient avoir changé : "À mon avis, Danny se trouve dans des
circonstances idéales pour guérir. Et je pense que le
fait qu'il distingue si bien le monde de Tony du monde réel en
dit long sur sa santé mentale. Il m'a dit que vous ne songiez
plus au divorce et je crois qu'il a raison, n'est-ce
pas? (...) Il n'a plus
besoin de Tony et il est en train de l'éliminer de son
organisme. (...)
Pendant une période difficile de sa vie, il s'est
laissé totalement envahir par Tony et Tony ne va pas se
laisser évincer facilement. Mais il n'en a plus pour
longtemps. Votre fils est comme un petit drogué qui se
désintoxique."
(151)
En résume, Danny est un psychotique potentiel ordinaire qui,
par chance, n'a pas sombré dans la maladie, mais sans don
particulier. On a assisté, avec cette démonstration, au
fait qu'une particularité surprenante devient banale quand un
esprit rationnel croit pouvoir la rattacher à des composantes
connues du psychisme humain. Chez King, ce sont le plus souvent des
médecins qui donneront l'interprétation de la
«science officielle» à un fait étrange et
rationaliseront ainsi le surnaturel. Ainsi s'établit, comme le
remarque Guy Astic, une "polarité représentation
mimétique/affirmation d'une réalité non
mimétique qui engage la fiction sur la voie de
l'irrésolution et de l'expérience de
l'impossible."
29 Mais en fait, la suite du roman montrera que le
médecin s'est trompé complètement sur la nature
du don de Danny. C'est donc sans vergogne que King utilise le
paranormal, auquel, comme beaucoup de nos contemporains, il croit
sans croire...
On comprend que les écrivains à succès, dans des
genres populaires comme le fantastique, utilisent la croyance qui est
un phénomène social très répandu, au
marché prospère (on estime à 40.000 le nombre
des voyants ou cartomanciennes et 8 millions le nombre de
consultants, occasionnels ou réguliers. Rejeté par les
scientifiques, déconsidérée par les sciences
humaines qui n'y voient le plus souvent qu'un signe de la "crise de
la raison en Occident" datant des dernières décennies
du XXème siècle. Ce domaine est abandonné aux
élucubrations d'éditeurs peu scrupuleux,
désireux de se faire un argent facile avec les mêmes
idées répétées sous des titres et des
couvertures renouvelés tous les dix ans. Bon nombre de revues
s'abandonnent à des élucubrations qui n'ont pas
changé depuis un siècle, et les journaux ne se privent
pas, quoique plus insidieusement, à utiliser le bon filon,
celui qui émeut et fait vendre. La voyance a encore un bel
avenir.
Roland Ernould © juin 2002
Adolescent, King a lu avec fascination les recueils de faits et anecdotes étranges publiés en livre de poche : Ripley's Believe It or Not (Incroyable, mais vrai), où il trouve d'innombrables curiosités, des faits merveilleux, mais aussi des monstres animaux ou humains, ces aberrations tératologiques qui écÏurent ou effraient les hommes depuis toujours : "C'est dans le Ripley's Believe It or Not que j'ai commencé à voir pour la première fois à quel point pouvait être ténue la ligne qui sépare le fabuleux de l'ordinaire, aussi que la juxtaposition des deux faisait autant pour jeter une lueur nouvelle sur les aspects ordinaires de la vie que pour éclairer ses manifestations les plus aberrantes." (Rêves et Cauchemars, 11) King continue toujours à vivre dans ce monde de l'extraordinaire en correspondance avec son Ïuvre : "L'univers entier pullule de faits bizarres et inexplicables. Il y a même des journalistes qui passent leur vie à en dresser l'inventaire dans des recueils du type La Réalité dépasse la fiction." Pour le rationaliste, ces recueils sont des compilations sans esprit critique, rassemblant des récits d'expériences individuelles non vérifiées car non vérifiables. Il se demande quel intérêt peuvent avoir ces relations qui trahissent une méconnaissance des méthodes scientifiques d'investigation, dont les auteurs comme les lecteurs ignorent les exigences les plus élémentaires (impersonnalité, objectivité, contrôle, cohérence). Il est significatif que de tels recueils, qui existent depuis longtemps, se sont révélés stériles aussi bien pour la science que pour la technique. Ils n'ont jamais permis de provoquer ou de favoriser des découvertes scientifiques. Le bilan de ces traditions orales, rassemblées en anthologies dès les débuts de l'imprimerie, est entièrement négatif. Bien sûr, dira King, mais ce n'est pas étonnant, quand on constate l'esprit obtus et bloqué des savants... |
1 Carrie 1974, trad. fr. Albin Michel 1994.
2 'Salem's Lot 1975, trad. fr. Salem, Lattés 1981.
3 The Shining 1977, trad. fr. Shining L'Enfant-Lumière, Lattés 1979
4 Dreamcatcher 2001, trad. fr. Dreamcatcher, Albin Michel 2002.
5 Du grec méta et psyché (= esprit, âme) : qui dépasse le monde psychique, au-delà de ce monde. Le mot a été inventé en 1912 par Charles Richet, le principal artisan pour faire entrer les phénomènes spirites dans la science et créateur d'un Institut Métapsychique.
6 Le vocable «occulte» s'applique aux faits qui échappent à l'explication rationnelle. L'occultisme se présente à la fois comme une philosophie et un ensemble de pratiques, postulant une seconde réalité derrière la réalité observable, échappant à nos sens et à nos moyens d'investigation scientifiques. Il s'appuie sur des croyances, fondées sur l'analogie, l'établissement de correspondances entre les êtres et les choses, et présentant souvent un caractère ésotérique (alchimie, astrologie, cabale, divination, magie, mantique, métapsychique, nécromancie, etc, en font partie). Certains occultistes croient en une très ancienne synthèse absolue du savoir, se targuent de conserver des traditions remontant aux temps les plus lointains de l'humanité, ou liées à des extraterrestres venus sur notre planète apporter leur message.
7 La mantique est la connaissance du passé ou du futur par une divination réalisée par des pratiques particulières, appelées «manties» par leurs partisans : l'interprétation des rêves (oniromancie), des chiffres (numérologie ou arithmologie), de la lecture des lignes de la main (chiromancie), des tarots, du marc de café (caféomancie), du thé (thédomancie), de la boule de cristal (cristallomancie ou art béryllique), du miroir (catoptromancie), de la terre et les cailloux (géomancie), des épingles et aiguilles (acutomancie), des taches d'encre (encromancie), etc. La liste pourrait être très longue, tant les exploiteurs des superstitions sont ingénieux à inventer de nouveaux procédés, prétendus meilleurs que ceux existant...
8 Chez les peuples archaïques, le chamane a la réputation de pouvoir entrer en communication avec d'autres chamanes ou avec des individus ordinaires. Il pratique la lecture de la pensée, communication à distance, direction autosuggestive des rêves et extase. Il a des pouvoirs paranormaux de connaissance : précognition, vision à distance, prévision exacte du temps, ouverture de certaines portes surnaturelles. Le pouvoir paragnomique semble parfois aller de pair avec la compréhension de langues étrangères inconnues. Il utilise d'étranges pouvoirs «physiques» sur la matière ou suspend les lois naturelles connues. Il a le privilège de ne pas se brûler qui lui a été transmis par son ancêtre mythique, etc. Voir Michel Perrin, Le Chamanisme, 1995, PUF Que Sais-Je?
9 Amalgame d'expériences extraordinaires, avec souvent des témoignages extravagants recueillis sans précaution et sans respect des règles élémentaires de la vérification des témoignages, ces livres utilisent un amalgame de doctrines non fondées scientifiquement pour les «expliquer», inspirées de l'astrologie, du spiritisme, de l'occultisme, de la radiesthésie, de l'ésotérisme, de la théosophie et bien d'autres.
10 D'après eux, les facultés extra-sensorielles seraient complexes et difficilement reproductibles à la demande. Elles se prêteraient mal aux méthodes d'observation et d'expérimentation utilisées par les sciences de la nature, ces conditions détruisant, selon leurs affirmations, le phénomène qu'on cherche à étudier. Ce phénomène serait, par nature, incompréhensible si on n'y introduit pas le contexte affectif dans lequel il se produit et le cadre social dans lequel il s'exerce, avant tout subjectif. En clair, cela revient à détruire les fondements de l'esprit scientifique qui repose sur l'objectivité et la reproductivité.
11 Cette allusion fait partie de la mise en scène littéraire du don, selon l'habitude de King : dans Dreamcatcher, le don est rattaché à une "ligne jaune", commune à plusieurs anciens copains d'école et liée au don de voyance d'un déficient mental qui en fait partie.
12 Je consacrerai plus loin une partie de cette étude à montrer l'illustration littéraire que fait King de la voyance, dans une perspective monstrative ou horrifique.
13 La situation n'est pas suffisamment nette pour que l'on puisse évoquer la bilocation, qui sera étudiée plus loin.
14 Dans plusieurs croyances religieuses hindoues, l'oeil droit correspondrait au soleil, à l'activité et au futur. L'oeil gauche s'accorderait avec la lune, la passivité et le passé. Le troisième oeil, invisible et situé juste au-dessous et entre les sourcils, représenterait la synthèse des perceptions des yeux normaux. Il serait ainsi non seulement le symbole de la vision intérieure, mais signifierait la connaissance parfaite, où se trouve le siège du pouvoir occulte. Le troisième oeil de Shiva, tout-puissant dieu de l'Inde, aurait le pouvoir de détruire par le feu. Dans les légendes, il l'utilise contre ses adversaires. Il serait capable de détruire l'univers entier s'il le voulait. L'utilisation du «troisième oeil» sera approfondie plus loin.
15 Le roman a été écrit à la fin des années soixante-dix, le transistor était alors une nouveauté.
16 Il doit s'y produire un accident grave.
17 Le point de vue du sociologue attitré du Fléau, Glen: "En présence d'un phénomène manifestement paranormal, (...), la seule explication possible, la seule qui ait sa logique interne, est l'explication théologique. C'est pourquoi la métapsychique et la religion se sont toujours très bien entendues, jusqu'aux guérisseurs de notre époque", 546.
18 Allusion évidente au type d'accident dont King a été victime en 1999.
19 King a utilisé le mot EXTRUEM (anagramme de MURDER), plus mystérieux que le mot français, trop évocateur.
20 Plus que les guérisons par des guérisseurs qui n'ont pas fait de médecine, leurs guérisons pouvant être attribuées à la nature psychomatique des maladies traitées et à la suggestibilité du client.
21 Danny a indiqué à son père où se trouvait cette malle, qui contient les manuscrits de son père, perdue lors d'un déménagement.
22 Aucune innovation dans le procédé utilisé par King, démonté au chapitre précédent : le «scientifique» ramène l'inconnu au connu, en le niant.
23 D'où le nom "Ripley" donné au byrum, la moisissure rouge des extraterrestres de Dreamcatcher.
24 La peau sur les os (Thinner, 1984), Richard Bachman, trad. fr. Albin Michel 1987, 72.
25 "Alors Jésus lui dit : «Va-t-en, Satan.»" (en latin : Vade retro, Satanas.", Évangile selon Saint Mathieu, 4, 8, trad. Osty, Le Seuil 1973, 2095.
26 Pour le sanctionner d'avoir tripoté son sexe, sa mère lui avait fixé une pince à linge comme sanction...
27 Les [ ] signifient qu'ils communiquent alors par télépathie.
28 King a toujours eu peur de la folie et craint les psychiatres. Voir sur ce sujet le chap. 23 de King et le sexe, éd. Naturellement, 2000.
29 Guy Astic, Le fantastique, op. cit., 6. Alors que, continue Guy Astic, "l'autre forme de cohérence («logique secrète ou inconnue », «lois [...] mystérieuses») qui vient concurrencer et ébrécher l'ordre familier ne se laisse que pressentir, pas saisir." Id., 12.
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