"Quelque chose n'allait pas", L'homme qu'il vous faut 2 (300)
"Jim respecta les rites
ancestraux." Cours, Jimmy, cours
3 (225)
"Mieux vaut ne pas
songer à ce qui se passerait si on avait affaire à
quelque chose de ce genre."
La presseuse 4 (129)
La croyance en la sorcellerie, qui semblait mourir de langueur et appartenir à une époque dépassée, se porte en fait toujours bien de nos jours. Le recours aux forces occultes ne diminue pas vraiment. Les librairies possèdent des rayons ésotériques bien fournis, des pages entières de publicité sont consacrées dans la presse aux annonces des devins, des mages et de marabouts, les sectes prospèrent depuis le déclin amorcé des religions officielles 5. Selon Dominique Camus, dans La Sorcellerie en France aujourd'hui 6, les prêtres exorcistes sont maintenant une centaine, alors que leur nombre était tombé à vingt il y a quelques dizaines d'années : "la croyance au pouvoir sorcier touche les couches les plus profondes et les plus obscures de notre personnalité." (123) Les sorciers contemporains ont gardé le système magique comme grille de lecture, et ont repris des traditions remontant aux époques païennes.
J. G. Frazer
7 a développé cette théorie que les
hommes archaïques ont d'abord traversé une phase
intellectuelle pendant laquelle ils ont cherché à
dominer les forces naturelles qui les écrasaient. Ils ont
d'abord essayé, avec les moyens dont ils disposaient. En plus
de leurs techniques rudimentaires, ils disposaient de la parole,
à propos de laquelle on oublie trop souvent que l'ordre
donné grâce à elle est un moyen de soumettre les
autres à sa volonté, les enfants surtout, mais aussi
les adultes. Les enfants acquièrent tôt ce comportement
puisque, dans leurs premières années, c'est la parole
qui leur permet d'obtenir satisfaction auprès des adultes,
comportement identique à celui utilisé dans les
pratiques magiques. Les primitifs ont inventé les rituels,
grâce auxquels ils pensaient pouvoir soumettre les forces qui
les contrariaient. Par la magie, les hommes espéraient
augmenter leurs forces et conquérir le monde par des moyens
autres que scientifiques ou techniques, qu'ils ne possédaient
pas, mais apparemment semblables dans leur déterminisme. Ce
n'est que plus tard qu'ils auraient, avec l'invention des Dieux,
cherché à s'attirer leurs faveurs par des offrandes et
des prières. L'âge de la religion succédait alors
à celle de la magie 8 dans une coexistence souvent tourmentée. King a
repris cette distinction entre l'esprit magique et l'esprit
religieux, en utilisant souvent dans ses romans le Dieu des religions
judéo-chrétiennes opposée aux pratiques mettant
en action des êtres surnaturels. Il pense ainsi cultiver le
suspense, en introduisant dans le récit romanesque
l'arbitraire, puisque l'omnipotence divine peut répondre ou
non aux pratiques rituelles, modifier à son gré ses
propres lois 9. Ce qui n'est pas possible dans le monde magique, qui
repose avant tout sur l'idée de forces obéissant aux
directives imposées, dans des limites souvent floues.
Cette théorie a été reprise par de nombreux
sociologues. Elle explique pourquoi la magie et la sorcellerie ont
été des pratiques dénoncées par les
religions qui les ont suivies. Un exemple, celui du miracle,
permettra mieux de comprendre pourquoi. Le miracle oppose les
pratiques magiques à une nouveauté religieuse, celui du
"miracle" divin. Dans Le livre de l'Exode, Aaron est reçu par le pharaon qu'il doit
impressionner, selon une directive de Yahvé, en jetant son
bâton 10 par terre. Le bâton se transforme en serpent
menaçant. Mais Pharaon appelle ses magiciens, qui sont
capables d'en faire autant 11. Pour la magie, les serpents égyptiens sont le
produit magique d'un enchantement. Pour l'élu de Yahvé,
le serpent est nécessairement un miracle, puisque, sans l'aide
du dieu, Aaron aurait été incapable de transformer
lui-même son bâton 12. Cette opposition entre les rites magiques
(déclarés par la nouvelle religion comme antisociaux),
et les rites chrétiens licites 13 ne sont en fait que les deux approches
différentes possibles du fait apparemment miraculeux. Il est
devenu de nos jours difficile de séparer magie et religion
depuis qu'Arnold Van
Gennep 14 a montré que le
phénomène magico-religieux forme depuis longtemps un
ensemble indivisible.
La caractéristique de ces trois nouvelles, écrites
à un intervalle de deux années, de 1972 à 1976,
est de nous proposer trois situations différentes de pratiques
de la théurgie (ou Haute Magie), qui permettent l'utilisation
de "forces", ou la convocation des esprits et des démons pour
un usage personnel. Le phénomène magique est
vécu dans une vie quotidienne perturbée par l'intrusion
du surnaturel. Dans le premier récit, l'exorcisme religieux
est opposé au démon. Dans le second, il est fait appel
au démon pour résoudre un problème apparemment
insoluble. Enfin le troisième propose une solution à
l'envoûtement.
La
Presseuse est le premier texte
où l'occulte prend une place importante, où le
surnaturel et l'occulte se trouvent associés. Avec cette
nouvelle, King utilise deux thèmes appliqués au
même objet. D'abord celui de l'animation de la matière,
ressemblant à une métamorphose animale avec
l'utilisation de symboles thériomorphes 15 : une machine acquiert son autonomie et un
comportement humain (point de vue développé
dans LE SURNATUREL DANS LES
PREMIÈRES NOUVELLES), où le lecteur trouvera une autre approche de
ce récit). Ensuite celui de la possession de l'objet maudit,
quand une conjonction de circonstances a éveillé un
esprit sanguinaire, un démon, que seules des pratiques
rituelles magiques appropriées pourront maîtriser,
aspect qui nous intéresse aujourd'hui.
Une machine
possédée.
Alors que la machine
était apparemment en bon état, sont survenus
successivement plusieurs accidents, dont un mortel, une femme
déchiquetée par la presseuse; puis des
brûlés; un bras arraché. Comme dans les
récits précédents, lors de la tentative
d'explication des faits incompréhensibles se produit un moment
d'hésitation entre le réel et le surréel. Les
ouvriers parlent vite d'un
"endroit maudit" (125),
l'apparence de la machine inquiète, les spécialistes
chargés de l'enquête ne trouvent pas d'explications
à cette situation insolite. Pour l'inspecteur du travail, et
son ami professeur d'anglais averti des questions occultes qui se
penchent sur la question, un seul diagnostic est possible : la
presseuse est hantée. La machine est devenue un objet
métamorphosé, habité par un démon
sanguinaire, vampirique, ce qui lui donne des caractères
humains. Il lui faut sa ration de sang, comme un carnassier :
"La presseuse engloutit ce
qu'on lui avait abandonné en pâture... puis
s'arrêta." (125)
L'animation de la matière est un défi et
l'anthropomorphisme de la machine cannibale apparaît sans cesse
: "On aurait presque dit...
qu'elle nous narguait."
(117); "Exactement
comme si la machine avait pris le goût du
sang." (121);
"Hunton se dit que la machine
semblait bel et bien vivante - une machine respirant à grandes
goulées brûlantes, puis émettant pour
elle-même des chuchotements sardoniques et
sifflants." (133)
"La machine les
attendait." (131)
"La machine leur avait fait
abattre leurs cartes pour leur montrer qu'elle était la plus
forte." (132)
Acceptant rapidement le surnaturel, les deux amis pensent
maîtriser la situation et basculent dans un monde fantastique,
où une logique de l'irrationnalité se dégage si
on se place dans la perspective de l'objet maudit, de la possession,
et de l'exorcisme, qui sont du domaine de l'occulte. L'occultisme en
effet a été défini comme "l'ensemble des pratiques sexualo-magiques
reposant sur l'analogie, la loi de sympathie et les rapports de
causalité, visant à forcer la nature et le destin avec
une intention d'amour ou de haine." 16 La méthode de recherche des informations sur le
sujet à la bibliothèque par les protagonistes annonce
celle, superficielle, de leurs homologues de Salem 17 : "J'ai
annulé mes cours, lui annonça Jackson, pour pouvoir
passer la journée à consulter les livres les plus
diaboliques que tu puisses imaginer 18. Cet après-midi, j'ai introduit plus
de trente formules d'invocation dans l'ordinateur. J'ai
dégagé un certain nombre d'éléments
récurrents. Étonnamment peu.
Il tendit la liste à Hunton : le sang d'une vierge
19, de la poussière
prélevée dans un cimetière, la mandragore, le
sang de chauve-souris, de la mousse cueillie de nuit, le sabot d'un
cheval et l'oeil d'un crapaud." (128)
Écartant la mandragore, difficile à trouver, il en
conclut que ces ingrédients lui font penser que la puissance
démoniaque "se rattache
à l'Amérique du Sud et se ramifie dans les
Caraïbes. Elle est apparentée au vaudou
20. Dans la littérature que j'ai
consultée à ce sujet, les divinités sont
considérées comme plutôt minables
comparées aux super-grands que sont Saddath
21 ou
Celui-Qui-Ne-Peut-Être-Nommé 22. On va faire déguerpir ce qui hante
cette machine comme le premier malfrat venu.
Un peu d'eau bénite et un fragment d'hostie consacrée
devraient suffire. Nous pourrons lire aussi quelques passages du
Lévitique. De la magie blanche à caractère
typiquement chrétien." (129)
Évidemment, il ne peut sortir de ces recherches aucune
interprétation rationnelle à caractère
scientifique, dans la mesure où l'approche des praticiens de
l'occultisme n'utilise pas les méthodes scientifiques. Leur
explication est dans la réunion d'un certain nombre
d'ingrédients, ceux d'une potion magique ou d'un philtre. Ils
pensent en effet qu'un démon est apparu, dans la perspective
du vaudou un "loa" (les démons vaudous sont appelés
"loa"), suscité par la conjonction de divers
éléments qui, réunis, doivent
nécessairement apparaître. "Un démon s'était emparé de la masse
d'acier de la presseuse, de ses rouages et de ses leviers, et lui
avait insufflé une vie propre," (126), dans un cas de possession spontanée.
Démon sanguinaire, d'où l'importance du sang et de ses
corollaires, avec des notations presque à chaque page
: "Comme si la machine avait
pris le goût du sang."
(121) "débris
humains"; "loque sanglante"; "filets de
sang"; "lambeaux de chair"; "sang bleu
giclant par saccades."
(125); "On se serait
cru au milieu d'un abattoir."
(124); "Une odeur
d'ozone flotta dans l'air, semblable au parfum cuivré du sang
chaud." (133) Le
seul moyen approprié est de forcer le démon à
sortir de la machine, par le rituel magique approprié :
"Toutes ces formules magiques,
souvent très ambiguës, peuvent être
interprétées de différentes
manières."
(128)
Le principe fondamental de la magie est que le fait de suivre un
certain nombre de comportements ou de rites dans l'espoir d'obtenir
un résultat provoque l'effet attendu, nécessairement
obtenu quand les formes de l'action magique ont été
rigoureusement respectées. Elle consiste en formules,
invocations, rituels récités ou chantés, les
mots pouvant changer la réalité, agir sur les choses
avec un moyen surnaturel, les mots magiques chargés de
pouvoirs. Conviction contre laquelle James Frazer met en garde :
"Les hommes ont pris par
erreur l'ordre de leurs idées pour l'ordre de la nature et se
sont imaginé que, puisqu'ils étaient capables d'exercer
un contrôle sur leurs idées, ils doivent être en
mesure de contrôler l'ordre des choses." 23 Dans le cas particulier du texte, seule la
démonologie peut résoudre la difficulté.
Le
démon.
Dans les légendes
inspirées de La Bible, le
diable chassé du royaume des cieux a entraîné
dans sa chute les démons 24, qui ont un corps subtil capable de prendre, comme leur
maître, les apparences les plus diverses, et de posséder
aussi bien les humains que les objets. L'âge des démons
varie : les estimations anciennes leur donnaient 4.444 ans, âge
de la création divine. On en est maintenant à plusieurs
millions d'années... Leur nombre varie
considérablement, selon les comptes établis surtout au
XVIe siècle. Le démonologue Jean Wier les avait estimés, à cette époque,
à plusieurs millions 25, dans un système hiérarchique semblable
à celui de la noblesse (rois, princes, ducs, etc.). C'est
à cette époque que furent précisés, pour
les membres du petit clergé (de niveau d'instruction
médiocre, qui partageaient bien des superstitions populaires)
les rites des exorcismes, lors de la vague d'obsession sataniste,
liée à une époque troublée (guerres,
famines, épidémies de peste et troubles religieux)
26."Il existe
toutes sortes de démons. Celui auquel nous avons affaire
appartient-il au cercle de Bubastis 27 ou de Pan 28 ? Ou bien de
Baal 29 ? Ou bien est-ce
l'ange déchu que les chrétiens appellent Satan
30? Nous l'ignorons." (127)
Depuis plusieurs siècles, l'exorcisme est l'opération
qui permet d'expulser les démons d'un corps, d'un objet ou
d'un lieu, par des paroles invocatoires accompagnées de signes
sacrés (mélange de magie ancienne et de religion
chrétienne). L'exorcisme est une pratique très
ancienne, exécutée dans tous les pays du monde. Les
chamanes de jadis guérissaient les maladies en chassant les
esprits qui paraissaient en être la cause. Avec le
christianisme, des esprits sont devenus des démons.
Jésus et ses disciples étaient donc des chamanes,
faisant sortir les démons des corps des malades
31. L'Église a eu très tôt ses
exorciseurs.
La possession fait partie des
rites anciens, beaucoup utilisés chez les peuples primitifs,
ou actuellement encore dans le Vaudou. Pour faire cesser
l'état de possession, il faut que l'esprit ou le démon
quitte le corps ou la chose qu'il occupe. L'exorciste ordonne aux
démons de quitter leur victime : "Le rite est l'expression d'une volonté forte,
affirmée par chaque détail du rituel, tendant à
la subjugation d'êtres surnaturels ou à la domination de
forces naturelles habituellement soustraites à l'emprise de
l'homme." 32. Le face à face entre l'exorciste et
le démon est souvent difficile, car le démon ne
lâche pas si facilement une victime. Un exorcisme
chrétien actuel comporte des prières diverses, des
adjurations, aspersions d'eau bénite, des lectures de passages
de La
Bible, des signes de croix
33. Ce qu'on appelle la goétie est un autre nom de
la magie noire, une sorcellerie faisant appel à la
manifestation des forces infernales.
L'exorcisme.
Chaque exorcisme est la
répétition d'un combat qui contribue, contrairement aux
dogmes chrétiens qui affirment la suprématie divine,
à établir en fait un dualisme entre Dieu et le diable
devenus interdépendants. Si certains chrétiens nient le
diable, invention des hommes, ce n'est pas le cas des
méthodistes, branche religieuse chrétienne à
laquelle appartient King, dans laquelle il a été
élevé. John Wesley, son
fondateur, disait : "Pas de
diable, pas de Dieu", ce qui
fait de Dieu et du Diable un couple inséparable.
Si les paroles n'ont pas de pouvoir magique par elles-mêmes (ce
ne sont que des mots), elles peuvent avoir un pouvoir secret en
certaines circonstances, qui vient de la conjonction entre un cadre
ritualisé et les forces surnaturelles. Tout exorcisme comporte
des paroles obligatoires à prononcer : "Je vais lire, expliqua Jackson, et, quand je
te ferai signe, avec tes doigts tu aspergeras la machine d'eau
bénite. Et tu diras : «Au nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit, ô présence impure, sors de cet endroit,
je te l'ordonne.» Compris? - À mon second signe, romps
l'hostie puis répète le même exorcisme."
(132)
L'hostie, le crucifix, l'eau
bénite et le signe de croix sont les éléments
indispensables de l'exorcisme chrétien : "Sa voix résonna dans la blanchisserie
déserte. - Ne tourne pas tes regards vers les idoles ni
n'adore tes propres dieux. Je suis le Seigneur ton Dieu..."
(132)
Dans le monde occidental, et
encore fortement aux USA, la religion, liée au monde dont elle
présente un aspect positif, garantit l'ordre des choses. Alors
que la magie noire, contrairement au sacré religieux, est
condamnée puisqu'elle tourne souvent à la transgression
et à la profanation 34 : Les mots
tombèrent comme des pierres dans le silence sépulcral
et glacé. Quoique toujours inerte sous la lumière des
néons, la presseuse semblait les narguer.
- ... et, pour l'avoir souillée, la terre te vomira de ses
entrailles, comme elle a vomi des peuples avant toi.
Le visage crispé, Jackson leva les yeux et fit signe à
Hunton qui aspergea d'eau bénite les tapis roulants. Il y eut
un grincement de métal torturé. Là où
l'eau bénite était tombée, sur la toile fumante,
apparurent de curieuses formes rougeâtres. Et la presseuse
s'anima. Il se remit à lire, sa voix luttant contre le vacarme
mécanique. Obéissant à un second signe, Hunton
éparpilla quelques fragments d'hostie 35. Au même
instant, une soudaine terreur lui glaça les sangs, et il sut
qu'ils s'étaient trompés, que la machine leur avait
fait abattre leurs cartes pour leur montrer qu'elle était la
plus forte." (132)
Une opération de
désenvoûtement peut échouer car le
résultat dépend de la force mise en oeuvre par chacune
des parties en présence. L'adversaire peut se
révéler plus puissant que supposé. Il peut y
avoir erreur dans l'emploi ou le dosage des matériaux d'un
philtre ou d'une potion. Dans la pratique de la sorcellerie, l'emploi
des matériaux, souvent bizarres 36 et nombreux, est rigoureusement codifié. Le
professeur s'y attendait : "Procéder à un exorcisme est terriblement
dangereux. C'est comme provoquer la fission nucléaire, d'une
certaine façon. La moindre erreur pourrait nous
anéantir. Le démon est prisonnier de cette machine.
Mais donnons-nous lui une chance et... - Il pourrait
s'échapper? - Il ne demande que ça, répondit
Jackson d'un air lugubre. Et il se plaît à
tuer." (127) Mais ils ont
commis une erreur. Ce démon-ci est présent dans la
presseuse parce que divers ingrédients combinés l'ont
forcé à s'y trouver, et au moment du récit, il y
est toujours emprisonné. La mandragore (belladone), qui a
été écartée lors du diagnostic, en
faisait malheureusement partie, dans un médicament
utilisé par une ouvrière accidentellement tombé
dans la machine 37. Tous les éléments étant
réunis, le démon est venu là où il
était appelé. Mais ce n'est pas celui attendu :
"Celui qui l'utilise
détient des pouvoirs considérables. - Et l'eau
bénite n'y suffirait plus? - Un démon invoqué en
conjonction avec la mandragore pourrait se taper une pile de bibles
au petit déjeuner. Mieux vaut ne pas songer à ce qui se
passerait si on avait affaire à quelque chose de ce
genre." (129)
C'est précisément le moment que King attendait pour
déployer la puissance de son démon.
Le déterminisme qui s'applique dans les sciences (les
conditions nécessaires pour l'apparition d'un
phénomène étant réunies, le
phénomène attendu doit nécessairement
s'ensuivre) le fait de manière plus fantaisiste dans
l'occulte, et les manifestations occultes ne se produisent pas
toujours de la manière espérée :
"L'occulte a de ces
bizarreries : neuf fois sur dix il marche à merveille; et puis
la dixième, peut-être la plus significative, il
échappe inexplicablement comme s'il voulait tout remettre en
question." 38. Malheureusement pour les personnages de la
nouvelle, l'occulte ne manifeste ici aucune bizarrerie. La machine
échappe à leur contrôle.
Marqué par son expérience d'une laverie industrielle
dans laquelle il a travaillé quelque temps, King a
été incité à faire de la machine,
auxiliaire de notre vie quotidienne, une mécanique rebelle,
qui se dresse dans une vie singulière contre les hommes. Elle
est devenue, comme le remarque Laurent Bourdier, "vecteur de manifestations surnaturelles et
maléfiques"
39, agissant comme un démon avec les moyens
magiques d'un autre âge, symbolisant l'horreur technologique
qui habite King. La nouvelle est une intéressante
réussite littéraire, preuve du talent de l'auteur
à faire accepter au lecteur les pires invraisemblances,
grâce à des notations successives et cumulatives qui
rendent le surnaturel crédible.
Jimmy est un professeur qui n'arrive
pas à se débarrasser du souvenir de son frère
aîné Wayne, douze ans alors qu'il en a neuf, tué
en sa présence par des loubards. Avec ce récit, King
propose pour la troisième fois le cadre qu'il reprendra
souvent par la suite : le milieu scolaire 40. De singuliers élèves (Vinnie, Garcia et
Lawson) arrivent successivement dans sa classe, qu'il reconnaît
peu à peu comme étant des revenants, les jeunes qui ont
fait périr son frère d'un coup de couteau sous un pont,
et qui sont morts ensuite dans un accident de voiture. Ces
élèves se montrent insolents, menacent de s'en prendre
à sa femme : "Si tu
touches un seul cheveu de ma femme, je te tuerai. Le sourire de
Vinnie s'élargit. - Me tuer? Eh! mec, je croyais que t'avais
compris. Mort, je le suis déjà." (220)
Un rituel
démoniaque.
Le rite, ensemble des gestes,
règles et rituels 41 d'une cérémonie, a joué au cours
de l'histoire de l'humanité un rôle considérable,
en permettant l'actualisation et la refondation des mythes, et en
contribuant plus généralement au maintien de l'ordre
des choses dans les esprits. Les rites, qui s'articulent sur les
différents mouvements de la vie humaine (naissance,
initiation, mariage, funérailles) assurent la cohésion
et la stabilité sociale. D'autres rites sont aussi un vieux
moyen de se préserver des forces de l'anormal, comme les rites
de purification. Les rites peuvent avoir pour but de susciter ou
d'orienter des forces occultes vers une action
déterminée.
À bout de nerfs, dormant mal, Jimmy convoque ses
élèves après avoir lu un traité de
démonologie :
"Au collège
42, cette nuit,
Vinnie. Salle 33. Je laisserai toutes les lumières
éteintes. Tu verras, ce sera comme dans le tunnel, ce
jour-là. Je crois même que je pourrai fournir le
train." (223)
Comme dans la nouvelle précédente (ce sera encore le
cas dans Salem), il est
nécessaire pour les personnages mêlés à
l'occulte de trouver un praticien spécialisé, ou de
rechercher de la documentation permettant de trouver des moyens pour
atteindre les forces mauvaises. Jimmy lit le traité de
démonologie (King n'en donne pas les références)
et rassemble son matériel. Pour les occultistes, le monde est
un tissu de relations, où tout influe sur tout et où
rien n'est laissé au hasard : "Rien n'est fortuit dans l'immense mosaïque du
cosmos, chaque chose a son lieu propre, son temps propre, son
objectif propre. Tout est causé par quelque chose et devient
à son tour la cause d'autre chose." 43 Si Jimmy évoque la nuit du tunnel et le train,
c'est qu'il a l'intention d'utiliser un rituel approprié. La
magie est faite de rites, d'utilisation de symboles, de nombres, de
lettres, de noms, de figures géométriques
44. En jouant sur le principe de similitude et de
correspondance analogique, l'opérateur pourra catalyser les
énergies cosmiques qui renforceront son efficacité. La
répétition est la caractéristique du rite. La
puissance de l'opérateur se manifestera par sa
fidélité au respect des règles, qui vont
renforcer son mana 45.
Jimmy a trouvé un disque
reproduisant les bruits d'un train : "Les yeux fermés, il aurait pu se croire sous le
petit pont de la Grand-Rue, à genoux tandis que devant lui le
drame allait vers son inévitable conclusion." (224) Il a
rassemblé d'autres éléments indispensables :
"D'abord, une vieille photo
46 jaunie de lui et de son frère", qui lui permet de symboliser son
frère (d'autres éléments du corps remplissent le
même office : cheveux, sang, objets touchés);
"une bande de tissu
arrachée au rembourrage d'une casquette de base-ball. Celle de
Wayne. Jim l'avait conservée.".Ensuite ceux qui symbolisent l'assassinat :
"Il avait attrapé un
chat de gouttière et lui avait tranché la gorge avec un
couteau de poche."
(224) Il y ajoute nécessairement le couteau qui a servi
au meurtre et le sang du chat recueilli dans une petite bouteille. Ce
ne sont pas les éléments originaux, mais cela n'a
aucune importance : dans l'occulte, ce sont les symboles qui
agissent. L'emplacement où se fait l'invocation doit
être vide : Jimmy pousse toutes les tables contre les murs.
Il a choisi dans le manuel de démonologie le
cérémonial adapté : "Il prit une craie dans le tiroir de son bureau et,
suivant scrupuleusement le diagramme du livre, à l'aide d'une
règle, il traça un pentacle sur le
sol." La signification du
pantacle a été longuement développée dans
l'étude du pantacle
ancestral au pantacle électronique, et seuls quelques points seront rappelés ici.
La pantacle assure une puissance d'enfermement ou de protection. Par
exemple, dans cette nouvelle, le pantacle tracé
empêchera le démon d'en sortir. L'opérateur peut
aussi s'enfermer dans un pantacle qui le protège, dressant une
muraille infranchissable aux forces de l'invisible.
La cérémonie peut alors commencer : "Plaçant les objets dans une même
main, les lumières éteintes, Jim commença de
réciter. - Ô prince des Ténèbres, pour le
salut de mon âme, écoute-moi. Écoute-moi, car je
te promets un sacrifice. Écoute-moi, car en échange de
ce sacrifice j'implore une funeste faveur. Écoute-moi, car par
le mal je cherche à tirer vengeance du mal. Dis-moi ta
volonté, Ô prince des Ténèbres, car pour
toi je répands le sang." (224) Il répand alors le sang dans le
pantacle. Il ne faut pas s'étonner de voir ainsi mêler
un comportement chrétien ("pour le salut de mon âme"), à un comportement païen, pire,
hérétique : dans La Bible,
Jahvé a interdit la magie et les cérémonies
magiques, dont les hommes de l'époque étaient friands,
pour les remplacer par son culte exclusif 47. Le procédé se révèle
efficace : "Quelque chose se
produisit dans la salle de classe obscure." (225) Quand une
force maléfique se manifeste, sa venue s'accompagne de
diverses modifications physiques : courants d'air glacé dans
les pièces, coups, arrêt des lumières ou plus
forte intensité, lampes qui éclatent, et même,
chez King, de phénomènes plus modernes comme la
suppression de la tonalité téléphonique...
"Il avait de plus en plus de
mal à respirer. L'air semblait devenu plus dense. Il lui
plombait le ventre et les poumons. (...) Jim
respecta les rites ancestraux. La sensation lui rappela une visite
qu'il avait effectuée avec sa classe dans une énorme
centrale électrique - la sensation que l'air vibrait, comme
saturé d'électricité." (225)
Le salaire du
démon.
Quand des esprits ou
démons se manifestent pour se placer sous les ordres d'un
opérateur, il doit offrir quelque chose en échange des
services à venir, un sacrifice réel, ou une
compensation symbolique, une pièce de monnaie, de la
nourriture : pain, riz. Jimmy devra donc offrir au démon son
offrande quand il se présentera : "Quelque chose d'indéfinissable, si une invisible
présence paraissait engloutir tous les sons. (...)
Puis, étrangement basse
et désagréable, une voix lui parla. - Que
désires-tu? Jim n'aurait su dire si les mots avaient
réellement été prononcés ou s'ils avaient
seulement résonné dans sa tête." (225) La croyance
établie est que les échanges se font le plus souvent
par télépathie.
Jimmy présente sa requête : "Ce n'est pas une bien grande faveur. Que m'offres-tu en
échange ? En deux mots, il le dit. - Je veux les deux, murmura
la voix. Le droit et le gauche. Acceptes-tu? - Alors, donne-moi ce
qui me revient. (...)
Jim ouvrit son couteau de
poche, posa la main droite bien à plat sur le bureau, et, s'y
reprenant à quatre fois, en trancha l'index. Le sang forma de
sombres arabesques sur le buvard. Il ne sentit pas la douleur. Jim
plaça le couteau dans sa main droite. Il eut beaucoup plus de
mal à couper l'index gauche. (...) Finalement, avec un grognement d'impatience, il
lança le couteau loin de lui, brisa l'os puis arracha le
doigt. Jim jeta les deux index coupés au centre du pentacle.
Il y eut un éclair éblouissant" (225)
Le démon est présent, invisible, sans les
éléments spectaculaires habituels : pas de
fumée, pas d'odeur de soufre, mais avec l'insatiabilité
qui est le propre du diable : "Qu'as-tu apporté? - Une photographie. Une bande
d'étoffe que sa sueur a mouillée. - La sueur a un fort
pouvoir, observa la voix avec une avidité qui fit frissonner
Jim 48. Donne-les-moi." (225) Jim les lance dans le pantacle, geste qui
produit un nouvel éclair : "Jim se pencha au-dessus du pentacle. La photo s'y
trouvait toujours, mais noircie, presque en cendres. Le bandeau avait
disparu." (226)
La scène du passé se répète, point par
point : "Le train de
marchandises se rapprochait. Ils avaient l'impression que les murs en
tremblaient. Le vacarme ne semblait plus sortir des haut-parleurs
mais de bien plus bas, comme si un tram fantôme circulait sous
le plancher.
- Allez, môme, combien t'as? demanda brusquement Garcia. -
Quatre cents, répondit Jim. Et c'était la
vérité. Il les avait pris dans la tirelire de la
chambre. La pièce la plus récente était
datée de 1956.
- Tu te fous de notre gueule?" (227) L'aspect de la salle se modifie, pour que la
répétition ressemble le plus possible à la
scène originale sous le tunnel : "Les murs étaient devenus brumeux, intangibles.
Le train hurla. La lumière qui émanait du lampadaire du
parking avait rougi, soudain pareille à l'enseigne au
néon de la Barrets se découpant sur un ciel
crépusculaire.
Quelque chose sortait du pentacle, quelque chose qui avait le visage
d'un petit garçon d'environ douze ans aux cheveux
coupés en brosse."
Tout rituel est une dramaturgie qui met en scène des forces
cosmiques, y compris sous leurs aspects les plus triviaux, ceux qui
plaisent le plus aux démons : "Vinnie, il pisse dans sa culotte! s'écria
Lawson." (227) Le
démon intervient d'ailleurs durant la scène, pour
modérer les antagonistes, faisant en sorte que la scène
se répète exactement comme dans le passé. "
Quelque chose est apparu dans le pantacle, représentant Wayne,
son frère qui a été tué, et qui lui
répète son adjuration lors de l'altercation :
"Cours, Jimmy! Cours! Cours!
Cours! Jim tomba à genoux. Une main dérapa sur son dos,
cherchant, mais en vain, à agripper sa proie. Il leva les yeux
et aperçut Vinnie, le visage déformé par la
haine, qui plongeait son couteau juste sous le sternum du
démon-Wayne... Vinnie hurla et son visage se tordit, se
consuma, se calcina, se désintégra. Il avait disparu.
À leur tour, Garcia et Lawson attaquèrent l'apparition;
ils se contorsionnèrent, flambèrent,
s'évaporèrent. Jim gisait sur le sol, respirant avec
peine. Le bruit du train s'évanouit. Son frère
était penché sur lui. - Wayne? souffla Jim. Le visage
se métamorphosa. Il sembla fondre. Les yeux devinrent jaunes.
La face grimaçante du démon le contemplait. - Je
reviendrai, Jim, murmura la voix avide." (228)
Quiconque commande les esprits
mauvais court de grands dangers. Les esprits sont menteurs, utilisent
de faux noms, répondent par la ruse, suscitent des images
illusoires dans le cas où l'opérateur serait
enfermé dans le cercle d'un pantacle protecteur. En magie, les
rapports de domination et de soumission, de création et de
destruction sont toujours provisoires. Chaque chose revêtant
une signification précise, si la pratique du rituel a
été correcte, produite avec la force nécessaire,
l'opérateur obtient la réalisation de son souhait. Mais
les procédés utilisés qui comportent l'abandon
d'une partie de soi sont à utiliser avec prudence. Donner une
partie de soi-même crée des liens indissolubles,
équivaut à s'offrir soi-même. Dans le cas
présent, son frère/le démon s'est
"penché sur
lui." Jimmy est-il
tombé dans le pantacle? Généralement, lors de
l'invocation d'un démon, le praticien se protège en
s'enfermant lui-même dans un cercle, ou en utilisant une
amulette bienfaitrice. En sortant, il a l'impression que quelque
chose le suit : " Une
invisible présence parut reculer d'un bond. Jim se rappela
l'avertissement du Traité de démonologie - le danger
encouru. Peut-être réussirez-vous à les invoquer,
peut-être respecteront-ils votre volonté.
Peut-être même pourrez-vous vous en débarrasser.
Mais peut-être ne pourrez-vous les empêcher de
revenir." (228)
On ne joue pas impunément avec les forces de
l'invisible.
Il y a dans l'attitude de ceux qui
croient en l'occultisme, ou qui l'utilisent, une sorte d'attente de
revanche sur la vie médiocre qu'ils pensent avoir. Ils
souhaiteraient la forcer, par des moyens particuliers, voire
désespérés, quand ils n'ont su ou pu parvenir au
statut qu'ils espéraient. Quand on cesse de croire aux dieux
familiers officiels, chargés ordinairement de suppléer
aux infortunes du sort, il reste la possibilité d'obtenir des
dérogations et faveurs par des moyens détournés,
cachés, dont on ne parle pas ou qu'on n'évoque
qu'à mots couverts, les forces occultes.
Un
devin.
Les psychologues qui classent
certains de ces adeptes parmi les névrotiques ont
décelé chez ces occultistes une enfance solitaire, une
existence difficile, une vie faite de problèmes mal
surmontés à résoudre. Ed, dans L'homme... en est
un bon exemple : "Ça a
toujours été facile pour toi. Tu es jolie. Il ne t'a
jamais rien manqué, tu n'as jamais eu à souffrir de la
solitude. Tu n'as pas jamais eu à chercher... d'autres
façons d'obtenir ce dont tu avais besoin. Il y a toujours eu
un Tony pour combler tes désirs, et tout ce qu'il te restait
à faire, était de sourire et de dire
merci.." (318)
L'individu suffisamment épanoui et qui a su donner un sens
à sa vie porte peu d'intérêt à l'occulte.
Pour se sentir attiré par les forces obscures, être
mené par le désir d'être capable de dominer les
astres, forcer le destin, ou au moins l'influencer, il faut
connaître dans sa vie l'inquiétude et l'angoisse.
Sans être ce qui s'appelle un défavorisé, le
personnage masculin du récit aurait pu être, à
son goût, plus favorisé par la nature. Edward Jackson
Hamner Junior est petit, maigre, distrait, ne payant pas de mine :
"Il n'a pas dû se laver
la tête depuis la Saint-Glinglin. Il porte une chaussure noire
et l'autre marron." Il dit
être en troisième cycle. À la bibliothèque
de la fac, il a abordé Elisabeth. Il lui a raconté
qu'il avait eu Branner, le professeur de sociologie d'Elisabeth en
sociologie l'année dernière. Or Elisabeth est en
difficulté : "J'ai eu
dix au contrôle continu. Sans un douze, on me retirera ma
bourse. Cela signifie donc qu'il ne faut un quatorze à l'exam.
Eh bien, d'après ce Ed Hamner, Branner donne les mêmes
sujets pratiquement tous les ans. De plus, Ed est
eidétique",
(297) a une mémoire photographique. Il lui a
donné des notes, qui contiennent les sujets de Branner. Lors
de l'examen, Elisabeth est tombé presque mot pour mot sur les
sujets prévus, a obtenu la meilleure note de la promotion et
sauvé sa bourse d'études. Elle se disculpe de cette
tricherie particulière à sa manière :
"Ce n'était pas plus
scandaleux que de se livrer à un bachotage
effréné dans la bibliothèque de l'Association.
Bachoter et se cultiver étaient deux choses
différentes. Cet exercice de mémoire stérile
vous laissait aussi ignorant qu'avant, une fois passés les
examens." (299)
Elle a une liaison avec un
autre étudiant, Tony, mais continue à voir Ed
épisodiquement. Alors que Tony souhaite l'épouser, elle
tergiverse, est mal à l'aise : "Quelque chose n'allait pas". (300) Elle a fait notamment un cauchemar effrayant
où Ed est son sauveur alors qu'elle se voyait enterrée
vivante : "Elle lui prit la
main, baissant les yeux. Lorsqu'elle les releva, elle tenait la patte
d'un énorme loup gris à gueule écumante, aux
dents acérées, prêtes à mordre, et aux
yeux de braise." (301)
Tony meurt, dans un accident de chantier, un job de vacances. Une
auto rouge l'a renversé, de la "pure malchance."
Ed vient la voir, lui paraissant "étrangement vulnérable" (303), dans un
modèle de voiture cher. Elle n'a pas faim, mais Ed lui choisit
les plats qu'elle aime. Il sait dire la phrase qui convient :
"Après toutes ces
épreuves, tu as prendre des forces. C'est un peu comme
être malade." Il
connaît ses cigarettes préférées :
"Il avait commandé
exactement ce qu'elle aurait choisi elle-même. Sans doute la
seule chose figurant au menu dont elle eu une quantité
suffisante pour se rendre compte qu'elle avait vraiment faim. Les
cigarettes mentholées, la façon dont il l'avait
embrassée en la quittant - exactement comme elle avait
désiré qu'il l'embrassât - et... Tu as un avion
à prendre demain. Il savait qu'elle devait rentrer chez elle
car elle le lui avait annoncé. Mais comment avait-il appris
qu'elle comptait prendre l'avion? Tout cela la préoccupait.
Oui, cela la gênait car elle n'était pas loin
d'être amoureuse d'Ed Hamner. Je sais ce qu'il te
faut." (305) Au fil des
jours, il apparaît à Elisabeth qu'elle n'avait jamais
rencontré quelqu'un qui fût à ce point capable de
comprendre ses désirs et ses besoins, sans même qu'un
mot fût prononcé.
Son amie, qui partage sa chambre à l'université est
plus méfiante, et fait faire une enquête par une agence
privée. Elle apprend à Elisabeth qu'elle a connu jadis
Ed à l'école communale, qu'elle a oublié. La vie
les a séparés. Voyant, Ed est devenu le "porte-bonheur" d'un
père joueur à la roulette dans les casinos ou en bourse
: il a la capacité de deviner à l'avance les
numéros qui vont sortir ou les mouvements des actions. Sa
mère est rendue malade par le comportement de son fils,
promenée d'une maison de santé à l'autre :
"Officiellement pour troubles
nerveux mais, en fait, un infirmier a confié au
détective qu'elle était quasiment psychotique. Elle
affirmait que son fils était un diable. En 1964, elle a
essayé de le tuer avec une paire de ciseaux." (303) Ed avait
raconté à Liz qu'il était tombé sur un
piquet de clôture quand il était petit... Le père
et la mère d'Ed ont été aussi tués dans
un accident de voiture : "Ed
Hamner a le pouvoir de faire des choses que nous ne pouvons imaginer
qu'en rêve. Il a fait gagner son père à la
roulette et lui a permis de s'enrichir en jouant en bourse. On dirait
qu'il peut forcer la chance. Peut-être a-t-il des
facultés parapsychiques? Peut-être a-t-il le don de lire
dans l'avenir? Je ne sais pas. Cela existe. Liz, ne t'est-il jamais
venu à l'esprit qu'Ed t'a forcée à
l'aimer?" (314) De
plus, Ed ne s'est jamais inscrit à aucun cours de socio et il
lui a fait obtenir son examen de sociologie de la même
façon qu'il indiquait à son père le bon
numéro à la roulette : "Tu l'aimes parce qu'il est capable de déchiffrer
tes besoins et tes désirs les plus secrets, mais ça n'a
rien à voir avec l'amour; c'est du viol." (314)
Les lois
occultes.
Chaque élément de
l'univers est à l'unisson des autres éléments,
par des réseaux de relations qui restent secrètes,
selon les tenants des explications occultes, même pour les
scientifiques. La conception du cosmos qui en résulte est
particulière, puisque le mot ou le symbole peut signifier une
chose, et réciproquement. Des ondes particulières du
cerveau (non décelées actuellement sur les
électroencéphalogrammmes) serviraient de support aux
manifestations paranormales. Elisabeth réfléchit
à la situation d'Ed, et rejoint l'analyse de sa
collègue : "N'était-il qu'une sorte de miroir psychique ne
reflétant que ce qu'elle souhaitait voir? Il ne s'était
jamais trompé en lui faisant un cadeau. Ça n'a rien
à voir avec l'amour; c'est du viol." (315) La tentation de celui qui utilise les forces
occultes est de les utiliser à son profit. Là est le
grand danger couru par les victimes, quand la pratique occulte sert
à empiéter sur ses droits, dans la vie privée
comme dans la vie publique. C'est qu'en soi l'occultisme est
dépourvu de toute connotation morale. Il peut être
à la fois instrument négatif de pouvoir, ou positif,
d'aide et d'assistance.
Elle se rend dans la chambre en désordre d'Ed, la fouille, et
trouve ce qu'elle cherche dans un placard : "Elle pensa à la femme de Barbe-Bleue et
à ce qu'elle avait découvert en ouvrant la porte
interdite. Mais elle ne pouvait plus reculer; elle devait chasser le
doute de son esprit. Elizabeth ouvrit le placard. (...)
Elle prit l'un des livres et
cilla en lisant le titre. The Golden Bough, de Frazer. Un autre :
Rites ancestraux et mystères de notre temps. Un autre : le
Vaudou 49 à Haïti. Et un dernier,
relié de vieux cuir craquelé, au titre presque
effacé par l'usure du temps et d'où émanait une
vague odeur de poisson pourri : le Necronomicon 50. Elizabeth l'ouvrit au hasard, hoqueta et le
jeta loin d'elle, le regard encore hanté par la vision
obscène." (316)
Sur le dessus se trouvait une petite figurine. Une figurine qui la
représentait, elle, Elizabeth : "La figurine était vêtue d'un lambeau de
nylon rouge arraché à une écharpe qu'elle avait
perdue au cinéma, avec Ed, deux ou trois mois auparavant. Les
bras étaient constitués de cure-pipe recouverts d'une
matière qui ressemblait à de la mousse. De la mousse
cueillie dans un cimetière, sans doute." (317) Une des
techniques de l'envoûtement, utilisée aussi pour les
sortilèges, consiste en la confection d'une poupée
représentant une personne (poupée, cire, argile) et
à la percer d'épines, d'épingles ou d'aiguilles
aux endroits à atteindre pour lui nuire. De nombreux textes de
l'Antiquité (de Platon, Ovide, Virgile) les décrivent,
tels que les rites étaient pratiqués à
l'époque (ils n'ont pas changé pour l'essentiel).
Les sorciers qui utilisent la magie
noire se servent pour leurs maléfices de portraits, de
photographies, et de poupées ou statuettes comportant des
parties du corps de leur victime : sang, rognures d'ongles
51, cheveux. Ces représentations permettent
l'établissement d'un lien magique entre la personne et son
image 52. Certains de nos contemporains, croyant fermement en
ces superstitions magiques (cas des Africains et de certains arabes)
répugnent à se faire photographier de peur qu'on ne
prenne leur énergie vitale. Les cheveux sont un important
signe de force vitale 53. Même s'ils sont détachés du corps,
les cheveux gardent leur pouvoir.
Dans la magie, le principe de vie d'un être est réparti
dans tout le corps, dont la moindre parcelle : cheveux ou rognures
d'ongles, appréciées particulièrement, donnent
la possibilité de recréer l'équivalent magique
du corps. Les sécrétions comme l'urine, les
excréments, le sperme, la sueur, le sang sont aussi des
matériaux de choix. Procédant de la vie du porteur, ce
dernier pourra être animé par la volonté de
l'opérateur : "Il y
avait bien des cheveux sur la tête de la poupée mais
quelque chose n'allait pas. C'était de la filasse blanche
collée sur la gomme en caoutchouc lui faisait office de
visage. Ses propres cheveux étaient blond doré et bien
plus épais que ceux-là. Cette chevelure évoquait
davantage... La sienne, lorsqu'elle était petite
fille." (317) La
mèche de cheveux a des vertus supérieures aux cheveux
en vrac... On comprend que les pays ayant conservé ces
superstitions, pratiquent une habitude qui se perd dans la nuit des
temps, brûler ou enterrer les cheveux 54. La pratique a été
littérairement décrite par Apulée
55 dans ses Métamorphoses. Ainsi envoûté, l'être humain perd
en partie son libre-arbitre, devient un pion sur l'échiquier
des forces mises en oeuvre par son envoûteur, forces qu'il ne
soupçonne pas et ne maîtrise pas.
Ed est aussi un assassin
à distance, utilisant des forces occultes :"Il y avait un jeton de poker bleu sur lequel
avait été dessinée à l'encre rouge une
étrange figure à six côtés. Un avis de
décès découpé dans un journal- concernant
Mr. et Mrs. Edward Ramner. Et une photo l'accompagnait, sur laquelle
tous deux souriaient d'une façon un peu stupide, et Liz
remarqua que le même dessin avait été
tracé sur leur visage, cette fois à l'encre
noire." À ce jeton
révélateur s'ajoutent deux figurines du couple, comme
celle qui a été utilisée pour Elisabeth. Sur le
capot d'une voiture pour enfants, une maquette de voiture Fiat rouge,
identique à celle qui a tué Tony, a été
fixé "un lambeau de ce
qui avait dû être une chemise à
Tony." (318) Le dessous de
la voiture a été défoncé à coups
de marteau. Autant d'actes magiques qui créent une syntonie
entre le magicien et sa victime, par des processus vibratoires,
affirment les tenants des phénomènes occultes.
L'envoûteur se place, prétendent-ils, à la
même longueur d'onde que son objectif, ce qui apparaît
facile en occultisme dans la mesure où, en magie, il n'y a pas
de différence entre une chose et sa représentation.
Elisabeth utilise intuitivement le seul moyen de se libérer en
posant le pied sur la figurine qui la représentait et en la
broyant : "Quelque chose en
elle parut se consumer puis elle se sentit libérée.
Elle n'avait plus peur de lui maintenant. Ed n'était plus pour
elle qu'un petit garçon vulnérable dans le corps d'un
jeune homme. (...)
Je ne crois pas que tu aies
encore le moindre pouvoir sur moi désormais, Ed, dit-elle.
C'est terminé maintenant." (319)
Il faut noter que, dans cette nouvelle, King n'a pas fait appel
à Dieu, sous forme de prière ou de demande
d'intercession, alors que l'influence chrétienne est
présente dans les deux récits précédents.
Avec discrétion cependant : ce n'est qu'à partir du
Fléau que
la place prise par Dieu sera de plus en plus grande.
Conclusion.
La pratique magique
correspondrait ainsi à la notion d'un pouvoir prétendu
inné pour le magicien/sorcier ou acquis par l'adepte
occasionnel, qui serait indépendant de la volonté des
puissances de l'Invisible. Dès l'instant où le rituel a
été respecté, le démon ou l'esprit
concerné est contraint de respecter l'ordre magique nouveau
ainsi établi. La pratique religieuse par contre s'adresserait
à la bonne volonté possible d'un pouvoir, d'une
puissance supérieure, qui serait éventuellement
sensible à la supplication ou aux sacrifices. Dans les deux
cas vit la croyance dans le pouvoir magique du rite, dont
l'aboutissement correspond à une forme de déterminisme
pour la magie, à l'arbitraire de la divinité dans les
religions.
On constate ainsi que la perspective ouverte sur le démon
n'est pas la même pour la magie et la religion. Le démon
de la magie fait partie, comme les hommes, d'une nature qui comporte
divers aspects. Dans la relation magique n'existent que les rapports
entre l'homme et le démon. Ces rapports existent toujours avec
le démon qui fait partie d'une théogonie : dans cette
perspective, le démon est le tentateur admis par Dieu pour
éprouver la solidité de la religiosité humaine,
optique rejetée par certains croyants modernes :
"Une grande partie de la
démonologie élaborée sous le nom d'enseignement
chrétien n'est pas autre chose que le résultat d'une
légèreté indigne de la
théologie.
(...) Cette croyance a
été malfaisante, car le fait d'attribuer toutes
espèces d'infortunes à des créatures invisibles
en guerre avec le monde humain a souvent empêché ou
retardé chez les hommes un diagnostic correct et un traitement
approprié des maux qui les affligent."
56 Dominique Camus a mis
l'accent (signalé dans l'introduction) sur le renouveau du
phénomène social des prêtres exorcistes, ce qui
prouve bien que les vieilles croyances concernant la possession ou
l'envoûtement démoniaque ont toujours cours. Comme pour
beaucoup de choses, on pratique l'euphémisme : on ne va certes
plus voir le sorcier, mais le "magnétiseur"...
Au siècle dernier le sociologue Marcel Mauss
57, se plaçant dans les perspectives d'Auguste
Comte 58 voyait dans les sociétés une
évolution qui part de la magie, pour arriver à la
science : "a magie constitue
toute la vie mystique du primitif. Elle est le premier étage
de l'évolution mentale qu'il nous soit possible de constater.
La religion est sortie des échecs et des erreurs de la
magie. (...)
Parti de la religion, l'esprit
humain s'achemine vers la science; devenu capable de constater les
erreurs de la religion, il revient à la simple application de
la causalité. Mais dorénavant, il s'agit de
causalité universelle et non plus de causalité
magique." On se rend compte
que dans la pratique, l'évolution n'est pas aussi
évidente; des scientifiques continuent, à
côté de la pratique scientifique de leur
spécialité, de pratiquer des formes de pensée
magique. Beaucoup croient qu'il existe des forces qui resteront
à jamais ignorées des scientifiques, qui touche des
zones inconnues de notre mental qui restant secrètes, et
permettant la réalisation d'activités occultes :
télépathie, clairvoyance, médiumnité,
communication avec le monde invisible. En 1990, selon une
enquête de Valeurs européennes, 19 % des Français affirmaient croire au diable,
pourcentage qui grimpe à 49 % chez les catholiques
59. On comprend dès lors que les démons et
le diable continuent à être aussi populaires dans la
littérature et le cinéma. La vogue des formes
irrationnelles de pensée propagées par les
médias, donne une vie nouvelle à des groupes sataniques
heureusement encore minoritaire. Quand le président de la plus
grande nation du monde fait la guerre au nom des forces du Bien
contre le Mal, des élus de Dieu contre Satan, approuvé
par la moitié du monde, on peut légitimement si ce
siècle ne sera pas, l'énorme influence des
médias y contribuant puissamment, celui de la
régression de la pensée rationnelle et si l'homme, oui,
décidément, n'est pas qu'un pauvre diable...
Roland Ernould © mai 2003
Notes :
1 Gravure anonyme du XVIIIe siècle, représentant une jeune sorcière s'apprêtant à se rendre au sabbat et y quémander une faveur du diable. À noter les divers symboles : le chat, animal maléfique; la croix brisée, recouverte d'une sorte de suaire; la bougie allumée fichée dans la brosse du balai, symbole phallique évident. Pour ce siècle des Lumières, la sorcellerie était devenu prétexte à divertissements profanes, comme ces gravures galantes, polissonnes et sans intention moralisatrice. Le fantastique en tant que genre littéraire s'est constitué quand le sorcier a cessé d'être craint, mais a continué à jouer sur l'ambiguïté de croyances encore vivaces. Au XVIIIe, on condamnait les sorciers à la prison ou à une amende comme escrocs dans les pays les plus ouverts aux Lumières. Ailleurs en Europe, on les brûlait encore.
2 I Know What You Need, 1976. Dans le recueil Danse Macabre.
3 Sometimes they Come back, 1974. Dans le recueil Danse Macabre.
4 The Mangler, 1972. Dans le recueil Danse Macabre
5 Voir mon livre Quatre approches de la magie, du Rond des sorciers à Harry Potter, où ce sujet est examiné.
6 Dominique Camus, La sorcellerie en France aujourd'hui, Éd. Ouest-France, 2001. Note de lecture.Mes remerciements pour les photographies © reproduites ici.
7 James George Frazer, anthropologue britannique (1854-1941) a exposé dans Le Rameau d'Or (The Golden Bough) Laffont, Bouquins, 4 vol., 1981, l'idée selon laquelle l'humanité passe par trois stades successifs de pensée : magique, religieux et enfin scientifique.De nombreux anthropologues ont repris sa distinction entre magie et religion. Ses ouvrages s'appliquent à découvrir dans le folklore universel les bases fondamentales des religions primitives et des croyances évoluées.
8 James G. Frazer, Le Rameau d'or, op. cit., introduction au volume 1 de la troisième édition, 1911.
9 La magie apparaît comme une technique et elle suppose des forces surnaturelles immanentes subies, mais modifiables, tandis que la religion chrétienne postule, au moins implicitement, une certaine transcendance du sacré, et l'arbitraire de ce sacré par rapport aux lois établies. Seul Dieu peut modifier ce qui aurait dû se produire selon ses propres lois, qu'il va lui-même transgresser. La religion est une relation avec un esprit qui doit être supplié ou flatté. Par rapport à la magie, elle est prise de conscience d'une impuissance humaine.
10 Le bâton était l'instrument dont se servaient les bergers dans les traditions pastorales, comme celles du Moyen-Orient. Il a été conservé dans la tradition magique, devenant épée ou baguette.
12 La suprématie de la magie de Jahvé sur celle des prêtres égyptiens se montre par le fait que le serpent hébreu avale les serpents égyptiens, pouvoir de Dieu et non celui d'Aaron...
13 Point de vue dépassé, dans la mesure où de plus en plus les religions judéo-chrétiennes sont, comme d'autres, classées au rang des superstitions. Il était impossible d'imaginer que l'on puisse trouver dans les livres d'histoires de ma jeunesse un chapitre consacré aux mythologies chrétiennes, à côté des mythologies gréco-romaines. Le premier livre paru me semble avoir été celui de Jacqueline Marchand, Légendes Juives et Chrétiennes, paru aux éd. Rationalistes en 1968 . Le phénomène s'amplifie maintenant, avec le recul du catholicisme dans les pays occidentaux. Voir par exemple le livre de Philippe Walter, sur la mythologie chrétienne à un moment de son plein développement, Mythologie chrétienne, Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge, Imago éd., 2e éd., 2003. Note de lecture.
14 Expression empruntée à Arnold Van Gennep, anthropologue français (1873-1957). Van Gennep distingue la mentalité logique (la connaissance scientifique établie) et la mentalité prélogique (oui, «mais quand même», il y a «peut-être» quelque chose d'autre) comme caractéristiques de deux catégories distinctes d'êtres humains. En fait ces deux formes de pensée coexistent à des degrés variés et rares doivent être les hommes rationnels ayant éliminé de leur esprit toute trace magique. Manuel de folklore contemporain, éd. Picard, 9 vol.1937-58, tome 1, réédité sous le titre Le folklore français, Laffont Poche, 4 tomes, 1998.
15 Les symboles thériomorphes sont liés à la croyance universelle d'une puissance maléfique de certains animaux, ou à leur valorisation.
16 Julien Tondriau & Roland Villeneuve, Dictionnaire du diable et de la démonologie, éd. Gérard, 1968.
17 Avec des remarques identiques sur la peur de passer pour un esprit dérangé : "Devons-nous trouver un prêtre pour l'exorciser? Jackson grogna : - Tu vas en passer pas mal en revue avant d'en trouver un qui ne te collera pas un opuscule entre les mains le temps d'aller téléphoner à l'asile le plus proche." (126)
18 Procédé lovecraftien : on ne dit pas, on suggère.
19 Le sang est évidemment LE symbole de vie. Les pantacles médiévaux étaient écrits avec du sang. Les pactes diaboliques sont nécessairement écrits avec le sang du signataire. Logiquement, la sorcellerie a utilisé le pouvoir du sang, liquide magique, pour les envoûtements.
20 Originaire des côtes du Bénin, cette religion a été transplantée par les esclaves noirs aux Antilles et au Brésil. Ses rites, où tiennent une grande place les cérémonies de possession, cherchent à entrer en contact avec des dieux plus proches des hommes que le dieu chrétien.
21 Probablement pour Sabaoth, mot qui signifie en hébreu "armée". Ce terme s'applique en particulier à Jahvé, dieu des armées dans La Bible.
22 Comme Jahvé, il est celui qui n'est pas nommé. Dieu ne veut pas dire son nom, pour ne pas donner prise aux adversaires. À Moïse qui le lui demande, il répond «èhyèh aser èhyèh»: "Dieu dit à Moïse : «Je suis qui Je suis». Il dit : «Tu parleras ainsi aux fils d'Israël; Je Suis m'a envoyé vers vous»" . Les Hébreux diront naturellement : «Il Est», soit en hébreu yahavèh, ou Yahvé, pour désigner Dieu.
23 James George Frazer, op. cit., 1, 41.
24 Il faut ici distinguer les esprits des démons. Les esprits peuvent être bénéfiques, les démons sont nécessairement maléfiques.
25 Jean Wier (12515-1588) donne des chiffres précis. L'armée des démons est constituée de 6 armées de 66 cohortes de 666 compagnies, de chacune 6.666 démons. Le nombre 666 est annoncé dans Le livre de L'Apocalypse comme étant celui de l'Antéchrist, de Satan (13, 17-18).
26 Léon impose à l'église le rituel d'Alberto Castellani (Liber Sacerdotalis de 1523), modifié dans le Rituel Romain de 1614, et ensuite en 1926 et 1952.
27 Je ne connais pas de démon de ce nom. Bubastis est une ville égyptienne du delta du Nil, dévolue jadis au culte de Bastet, déesse chatte. Un esprit, Barbetos, fait partie des 72 recensés dans Clavicula Salominis, La Clavicule de Salomon (encore appelé le Lemegeton), recueil de recettes magiques, attribué au roi juif Salomon [troisième roi des Hébreux -Xème siècle- qui passait pour un mage très puissant] ou à un inconnu, Rabbi Salomon. L'ouvrage contient un rituel de magie noire et les moyens de convoquer et d'utiliser les démons. Le titre complet d'un grimoire édité vers 1700 : "Le Grand Grimoire avec la grande clavicule de Salomon. Et la magie noire ou les forces infernales du grand Agrippa, pour découvrir tous les trésors cachés et se faire obéir à tous les esprits; suivi de tous les arts magiques." Agrippa est un érudit allemand (1486-153?), qui a pratiqué l'alchimie, l'astrologie et toutes les sciences occultes connues de son temps, dont il fait la synthèse dans un ouvrage De occulta philosophia, 1533. Ces grimoires sont souvent écrits avec des termes censés être kabbalistiques, propres, croyait-on à l'époque, à susciter la curiosité.
28 Pan (ne pas confondre avec la divinité gréco-romaine, dont il est cependant inspiré) est le prince des incubes, les démons mâles qui forniquent avec les femmes.
29 Baal est l'ancien dieu des peuples du Proche-Orient, cité de nombreuses fois dans la Bible parce que son culte concurrençait celui de Yahvé, plus récent. Les Phéniciens et les Carthaginois lui offraient des sacrifices humains propiatoires (Gustave Flaubert en fait longuement état dans Salammbô, où il décrit un de ces sacrifices pendant la première guerre punique). Dans la mythologie démoniaque, Baal est le général en chef des armées infernales, Prince des Mouches.
30 La mythologie chrétienne enseigne que Dieu a créé ses anges purs et bons, chantant ses louanges et accomplissant ses missions. Mais certains, mis à l'épreuve, résistèrent à Dieu, qui les condamna au supplice de l'enfer. À la tête des anges damnés fut Lucifer, le porteur de lumière, quand il était un archange supérieur de Dieu avant d'être déchu pour avoir voulu rivaliser avec le Très Haut. Déchu, on l'appela alors de noms divers, le Satan (en hébreu l'adversaire), le tentateur, le mauvais, le Diable, le Prince des démons. Il est présenté comme la cause de la chute et de la ruine de l'humanité. À l'imitation de Dieu, il se constitua une cour et une hiérarchie. Tous ces démons ont conservé une partie des dons divins (restes de leur ancienne nature angélique, supérieure à la nature humaine). Ils sont capables d'exercer leur puissance dans ce monde en tentant les hommes et en s'efforçant de les pousser au mal ou au blasphème. Ils suscitent l'obsession des biens matériels et sensuels. Ils ont un pouvoir sur les lois de la nature et peuvent produire des prodiges. Le protestantisme orthodoxe, doctrine dans laquelle King a été élevé, a maintenu la doctrine de l'existence de Satan (Luther croyait au diable). Pour les protestants libéraux, Satan n'est qu'un symbole, la projection de nos tendances jugées mauvaises, ce qui nous permet de diminuer notre responsabilité...
31 Les exorcismes sont nombreux dans Le Nouveau Testament, le plus célèbre étant celui grâce auquel Jésus fit sortir du corps d'un possédé un troupeau de démons qui s'incarnèrent dans des pourceaux (Luc, 8. 28-33)
32 Jean Maxwell, La Magie, Flammarion éd., 1923.
33 Les cas de possession ont été recensés par Maximilien Van Eymatten dans un livre de 1232 pages, le Thesaurus Exorcisorum (XVIe) . Une encyclique papale de Paul V a approuvé l'ouvrage. Certains exorcismes se divisent en onze parties, dont l'exécution demande du temps, parfois plusieurs séances, dont certaines avec des patients humains sont spectaculaires. Une remarque intéressante de l'ouvrage valable pour Ça, et d'autres romans : on ne voit pas toujours le diable ou le démon sous la forme qu'il a réellement, mais sous celle de l'image mentale que le possédé se fait de lui.
34 La magie a un caractère clandestin et il n'y a pas d'Église magique. Mais il y a des confréries de magiciens, de sorciers, à l'intérieur desquelles se transmettent des traditions et se font les initiations.
35 Le signe de croix fait généralement partie de la plupart de ces cérémonies, pas seulement parce qu'il est pratiqué dans diverses religions comme la religion chrétienne. Ces dernières n'ont fait que reprendre des croyances anciennes, dans lesquelles la croix a une symbolique extrêmement puissante.
36 Ils sont non seulement insolites, mais répugnants. Je relève au hasard : sang de crapaud, foetus humains, fientes diverses, sanies de toutes sortes, bile de musaraigne, pellicules de la tête d'un mort, sang de tique capturée sur un chien noir (authentique!), grains d'orge enterrés dans le tombeau d'un homme mort, ingrédients souvent savamment concoctés dans un brouet. L'utilisation de produits rares ou difficiles à trouver augmente la croyance aux pouvoirs et aux possibilités du sorcier (qui les a, ou peut les trouver, contre rémunération, bien entendu).
37 Un produit pour favoriser la digestion, qui contenant de la belladone "qu'on assimilait autrefois dans certains pays européens à la mandragore." (130)
38 Laura Tuan, Le grand livre des sciences occultes, éd. De Vecchi, 1989, 12. Aucun scientifique n'oserait utiliser un tel argument pour expliquer un dysfonctionnement dans ce qui est établi, ou utiliserait le fait pour entreprendre la révision de ses connaissances...
39 Laurent Bourdier, Stephen King, Parcours d'une oeuvre, Encrage Références, 1998, 39.
40 En ces lieux les tigres (Here There Be Tiggers 1968), dans le recueil Brume. et Laissez venir à moi les petits enfants (Suffer the little Children 1972). Dans le recueil Rêves et Cauchemars.
41 Le rituel est précisément le livre liturgique contenant l'ordre d'un rite d'une cérémonie, avec les prières qui doivent l'accompagner. Le rituel est donc l'ordonnancement d'un rite. Par extension, le nom ."rituel" a pris abusivement le sens de "rite".
42 Équivalent du lycée français.
43 Laura Tuan, Le grand livre des sciences occultes, op. cit., 48
44 "Il y a un rite pour la magie, le spiritisme, la divination, l'alchimie. Il y a un temps pour observer le rythme du mouvement des astres, car quand la planète invoquée réalise toute sa puissance, toutes les énergies sont favorables. Il y a une saison, un mois, un jour, une heure pour chaque événement. Il y a une couleur, un parfum, une plante, un symbole pour soutenir le rite." Laura Tuan, Le grand livre des sciences occultes, op. cit., 48.
45 J'ai déjà précisé plusieurs fois le sens de cette notion fort ancienne, énergie liée au monde du surnaturel. Voir mon livre : King et le surnaturel, éd. Naturellement, 2003.
46 La photo est couramment utilisée ouvertement par des guérisseurs ou les magnétiseurs pour repérer à distance les maux de leurs patients. L'utilisation par des radiesthésistes de cartes pour chercher à distance un objet perdu participe du même principe.
47 Yahvé (un des noms hébreux du Dieu chrétien) est opposé à la pratique de la divination et de la magie : "Qu'on ne trouve chez toi (...) personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue, de magicien, de sorcier, d'enchanteur, d'évocateur de spectres et d'esprits", etc. Deutéronome, traduction Osty, éd. du Seuil, 1973 18.10. Yahvé est la seule source de bénédictions ou de malédictions.
48 Les excrétions (excréments, urine, sueur, sang) sont considérés comme des réceptacles de forces vitales, tenant leur puissance de l'homme qui les a évacués. Urine et excréments ont été longtemps utilisés en pharmacopée.
49 Vaudou, Frazer : voir les notes précédentes.
50 Necronomicon, livre "abominable" apparaissant constamment dans l'oeuvre de H. P. Lovecraft. Il aurait été écrit par un Arabe fou Abdul Alhazred, et il n'en resterait plus que cinq exemplaires. Sur l'histoire - inventée par Lovecraft - du Necronomicon, livre maudit, recueil de connaissances secrètes, de prières maléfiques et d'incantations abominables, voir Lovecraft, Oeuvres complètes, édition en 3 volumes, présentée (introduction remarquable) et établie par Francis Lacassin, Laffont, édition de 1995, tome 1, p. 597. Ce livre est plusieurs fois utilisé par King, grand amateur de Lovecraft. Voir LOVECRAFT ET KING
51 La rognure d'ongle, que King n'a pas utilisée a de nombreux points communs avec les cheveux dans la pratique des envoûtements. Dans les croyances germano-scandinaves, des esprits les ramassent pour prendre possession de leurs propriétaires. L'ongle sert également à des opérations de voyance (onychomancie).
52 De même nature que le pantacle électronique avec le nom de l'être vivant à atteindre dans la novella Tout est fatal.
53 Dans La Bible, Samson perd sa force légendaire parce que Dalila lui a coupé les cheveux.
54 Parmi les croyances particulières touchant les cheveux abandonnés : si un oiseau se sert de vos cheveux pour faire son nid, vous souffrirez de migraines, de vertiges ou de maux de dents...
55 Apulée, écrivain latin (125-180), curieux de coutumes rares et de mystères religieux. Il est l'auteur connu des Métamorphoses, récit souvent appelé L'Âne d'Or, un conte magique.
56 H. A. Kelly, The devil, demonology and Witchcraft, 1968, cité par Georges Minois, Le diable, PUF, 1998, 111.
57 Marcel Mauss (1872-1950), précurseur de l'ethnologie, qui a étudié à partir du don les formes d'échanges des sociétés dites "primitives" et a étendu ensuite ses analyses à d'autres aspects. Théorie Générale de la magie, 5.
58 Auguste Comte, philosophe français (1798-1857), a procédé à un classement des sciences selon un ordre de complexité croissante et a formulé la "loi" de l'histoire de l'esprit humain par son passage par trois étapes successives : l'âge théologique, l'âge métaphysique et l'âge positif ("loi des trois états"). Comte donna naissance à un courant de pensée appelé "positivisme".
59 Voir Georges Minois, Le diable, op. cit., 121.
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