Pas de magie ni de sortilège
dans cette nouvelle, mais l'utilisation de traditions ancestrales
pour résoudre une énigme posée par du
matériel de technologie moderne, pour ouvrir les trois portes
qui permettent d'accéder à la mystérieuse Veine
souterraine, où se trouve un joyau de la technologie dont on
ignore la nature, mais dont on connaît la puissance. La
solution ne peut être trouvée qu'en utilisant des
connaissances religieuses mythiques japonaises, que le groupe de
guérilleros péruvien qui doit les utiliser ne
connaît pas. L'astuce a été de mixer l'action
simultanée de deux groupes de militant, l'un au Pérou,
l'autre au Japon, en jouant sur la connaissance de l'informatique et
des données pour trouver la solution par les Japonais, la
ténacité et la rusticité des moyens par les
Péruviens, le câble téléphonique
constituant leur seul lien.
Le groupe péruvien, du
Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (ce mouvement existe
effectivement, et, entre autres actions,a retenu plusieurs centaines
d'otages à l'ambassade du Japon au Pérou en 1996,
demandant en échange la libération de leurs
prisonniers. Attaqués par les militaires, ils sont tous
tués, sans avoir eux-mêmes touché à leurs
otages) prend le contrôle d'un centre de recherche japonais
installé à Lima, au Pérou (à
l'époque, le président péruvien est Alberto
Fujimori, d'ascendance japonaise), sur lequel il ne sait pas grand
chose. Simultanément, l'ambassade du Pérou à
Tokyo est investie par un commando de l'Armée
Révolutionnaire Kansai. Par communication
téléphonique via Internet, les Japonais indiqueront
phase par phase ce que les Péruviens doivent faire pour
réussir, alors que, dans les deux pays, les forces de l'ordre
investissent le lieu des ambassades.
Pour arriver à ce que cache la
Veine, il faut répondre à trois questions (le nom de la
multinationale qui gère le Centre de recherches s'appelle la
San Mitsu, les trois mystères). Le commandant japonais du
commando a participé à la restructuration informatique
des chemins de fer avant d'être licencié. Passé
dans le camp des révolutionnaires, il a rapidement
grimpé dans la hiérarchie par sa connaissance des
ordinateurs. Mais les ordinateurs continuent à susciter chez
lui un certain trouble. Ce sont des ordinateurs spécialement
programmés qui jouent le rôle de Sésame, et des
bandeaux spéciaux posés sur le front permettent la
communication. Les choses sont plus compliquées qu'avec la
porte de la caverne d'Ali Baba, qui ne s'ouvrait qu'à la voix,
avec la formule magique. Les portes de la Veine ne s'ouvrent
successivement qu'à la pensée, la voix et le geste.
La moitié du récit narre les tâtonnements des
responsables des deux commandos pour parvenir aux trois solutions,
dans un jeu de devinettes d'autant plus urgent que le temps est
compté, ce qui nous est plusieurs fois rappelé.
L'âme japonaise est un mélange d'ancien et de moderne,
et il faut avoir conservé une bonne connaissance du
passé pour retrouver les méandres de la pensée
de celui qui a posé les énigmes. Le noeud Kappa tire
ainsi son nom de créatures légendaires de la mythologie
japonaise et sont de petits monstres à tête de singe.
Mais les têtes de singe appartiennent à la mythologie
péruvienne. Les singes étaient
vénérés par les Précolombiens, qui,
gardant en secret leurs vielles croyances, utilisèrent des
pierres taillées en tête de singe pour construire
certaines églises. Or la Veine a été bâtie
sur une grotte ou une catacombe renfermant de telles pierres, qui ont
été d'ailleurs utilisées dans la construction du
bâtiment. Tout ceci, joint à des particularités
de la religion bouddhiste, permettra à des partenaires aux
patrimoines mythologiques différents de les mettre en commun
pour trouver la solution.
L'intrigue est habilement menée, avec son alternance de
scènes péruviennes et japonaises. Evangelisti se situe
ici dans le droit fil de ses convictions gauchistes, et les
mouvements sont présentés avec sympathie. Le groupe
péruvien ne recherche pas la mort d'homme, et prend même
soin des animaux, malheureux partenaires d'actions qui les
dépassent. Les chiens qui gardent le fort où ils
doivent pénétrer sont anesthésiés au
somnifère avant d'être empoisonnés. Et la Veine?
je n'en parlerai pas, pas davantage que des péripéties
du récit. Mais an centre de la puissance informatique des
multinationales, il y aurait des complexes d'ordinateurs
coordonnés par un cerveau animal, en attendant probablement
qu'on trouve le moyen de le faire avec un cerveau humain. Ici encore,
mais sur un plan anthropologique cette fois, Evangelisti met en
symbiose les moyens modernes et une ancienne invention de la vie, le
matériel cérébral qui a permis à la
pensée humaine de se développer. Dans la scène
finale, le révolutionnaire sensible à la mort des
chiens de garde regarde avec compassion le petit singe vivant au
crâne criblé d'électrodes, le noeud Kappa, et ne
le tuera qu'avec réticence. Inversement, les fonctionnaires de
l'état sont discrédités. Quand l'action
commence, l'ambassadeur du Pérou est chevauché par une
jeune Japonaise.
Roland Ernould © 2001
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Revue Phénix #57, mai 2002. Le dessin de couverture est de Sophie Klesen |