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La quatrième de couverture :
Quand le métal supplantera la chair...
Quatre visages de la peur, quatre rencontres avec l'indicible placées sous le signe de l'enfer et inspirées par la musique Heavy Metal, bande sonore rêvée du gothique moderne.
Venom, 1353., le grand inquisiteur Nicolas Eymerich mène l'enquête sur une étrange maladie qui sévit à Barcelone, et ouvre le bal des maudits.
Pantera. Une horde sauvage sème la destruction et la mort dans une ville-frontière de l'Ouest sauvage. Le seul à pouvoir l'affronter est un pistolero métis rejeté par tous et détenteur de secrets vaudous effrayants.
Sepultura. Dans l'univers carcéral extrême d'une prison expérimentale perdue en pleine jungle du Brésil, la terreur règne en maître car, ici, les hommes font corps avec leur geôle.
Metallica. Tandis qu'une guerre raciale dévaste le sud des Etats-Unis, le métal s'anime, se propage, tente de soumettre à sa volonté l'espèce humaine. Peut-on réussir à le vaincre? Et surtout... est-ce vraiment souhaitable?
Evangelisti connaît ses classiques et a notamment écrit une étude sur H. P. Lovecraft. Il y remarque que l'auteur du mythe de Cthulhu lie l'horreur au froid, le destin de ses personnages n'étant pas la mort, mais la plongée dans l'inconnu, une autre dimension incompréhensible, qui demande de se préparer à une vie différente. Ce qui nous arrive, puisque nous plongeons dans un avenir qui nous échappe, coupés peu à peu de nos racines et de la chaleur des communautés villageoises d'hier, pour tomber dans un monde administratif et scientifisé froid, dont nous sommes incapables de prévoir l'évolution. Or la seule chaleur est celle du vivant, et on comprend l'intérêt particulier qu'Evangelisti voue à la psychologie et à la diversité des comportements humains. L'historien Evangelisti se souvient aussi que le Moyen-Âge croyait que l'homme faisait partie d'un ensemble naturel, et qu'on essayait de vivre et de guérir en accord avec la nature. La science, qui a changé tout cela, a créé peu à peu un monde froid, de plus en plus éloigné de ses racines, et perdant toute chaleur humaine. L'hôpital moderne est techniquement à un haut niveau, on y pratique hygiène et diététique, mais l'humanité en a pratiquement disparu. Les relations humaines y ont été remplacées par des actes techniques neutres. Les progrès des sciences et des techniques nous font vivre dans un monde de confort impensable jadis, mais au prix de la déshumanisation. Notre imaginaire même devient de plus en plus contrôlé par des moyens techniques ou chimiques. Evangelisti a choisi le métal comme le symbole de la société de demain, et la description imaginaire, mais possible, d'une destinée terrifiante que nous ne voulons pas voir.
À propos de ce recueil de 4 nouvelles portant chacune le titre d'un groupe musical, il serait possible, de se limiter à évoquer les groupes du courant désigné sous le titre très général de heavy metal, qui existe depuis 30 ans (le nom viendrait du groupe américain Steppenwolf, révélé par le film Easy Rider en 1968, où l'on entend l'expression «heavy metal thunder»). De multiples évolutions n'ont cessé d'apparaître dans ce courant, le thrash metal, le speed metal, le hard rock, le black metal, le metal progressif, le metal fusion, le neo metal, et j'en oublie, qui en montrent la vitalité. Sans idéologie commune, heavy metal est marqué par des climats divers, propres à chacun des sous-courants ou des groupes : dans l'ensemble, un climat désespéré, misanthropique, dénonçant les hommes aliénés, une société de consommation devenue névrotique, un monde rationalisé, calculé, organisé comme une gigantesque machine. Et, pour certains, un goût nihiliste pour la destruction, ou un esprit morbide, tourné vers la possession et le satanisme. Evangelisti, passionné dans sa jeunesse pour le punk, choisit maintenant dans la musique métal celle qui ressemble le plus à ce qu'il écoutait naguère. Evangelisti aime certains groupes de ce courant (Sepultura, Panthera, Napalm Death), et a eu l'idée de reprendre des noms de groupes métal pour donner une coloration opportune à des nouvelles vouées au métal.
On pourrait aussi se contenter de rapprocher le titre de ce recueil
du mensuel Métal Hurlant1, un magazine atypique apparu en 1975 chez
Les Humanoïdes
Associés, mêlant
des bandes dessinées de science-fiction, ou modernes au sens
large, à des articles de rock ou de cinéma .
Lu par une majorité de lecteurs cultivés ayant entre 18 et 35 ans, qui aimaient cet univers délirant, Métal Hurlant publia des numéros spéciaux construits autour d'un thème : Spécial Lovecraft, Spécial Fin du Monde, Spécial Rock, Spécial Alien, et chercha à s'adapter à toutes les modes : underground, punk, nouveau romantisme. Les Américains reprirent la formule avec une version américaine éditée sous le nom de Heavy Metal. Le magazine eut du succès et fit naître l'idée de créer un dessin-animé composé de plusieurs sketches, dont Moebius, O'Bannon, Wrightson, Corben ont conçu les histoires. Le film traduit convenablement la conception du magazine, composé d'histoires courtes ou longues à suivre, chacune changeant d'ambiance, d'aspect visuel, d'univers, et de mode narratif .
Le film sortit en France, son titre américain redevenant celui du magazine d'origine. Ceci pour l'anecdote. Evangelisti a aimé le film, qui rencontra un vif succès en Italie. Mais en donnant ce titre à son recueil, il a évidemment des intentions bien plus profondes.
Car quand Moebius,
Philippe
Druillet et Jean-Pierre
Dionnet ont fondé Métal Hurlant, ils n'ont certainement pas songé
à l'importante symbolique qu'ils mettaient en oeuvre, et dont
Evangelisti, qui en est nourri, a pu apprécier la richesse.
L'âge du métal, dès son utilisation il y a 3.000
ans, a commencé par l'exploitation des minerais les plus
faciles à travailler, le cuivre, puis le bronze, dont la
nouveauté et la supériorité ont
profondément marqué les civilisations du bassin
méditerranéen. Chez les anciens Grecs, qui ne
connaissaient pas encore le fer que forgeaient déjà les
Hittites, l'airain (mélange de cuivre et d'étain)
était le métal noble par excellence, et certains
historiens ont émis la thèse que l'Odyssée, d'Homère,
véritable hymne à l'airain, était la plus
ancienne publicité destinée à soutenir un
matériau en perdition, voué à être
supplanté par le fer.
Difficile à mettre en oeuvre,
le métal ne peut être travaillé que par des
spécialistes, qui utilisent le feu2, associé à la forge, donc aux flammes des
enfers. Les forgerons ont eu longtemps une réputation
ambiguë, partiellement exclus de la communauté parce que
pratiquant une activité d'ordre infernal, ou au contraire
dotés d'un rôle social ou associés à des
cultes. Car on n'y pense ordinairement pas, le métal est
obligatoirement lié à la pureté : un
métal impur, donc mauvais, n'est pas en mesure de remplir le
rôle qu'on voulait lui donner. Le métal n'a de valeur
que purifié, et la transmutation des métaux en or a
été une des activités des alchimistes durant des
siècles. Dans la religion juive, l'utilisation du métal
a d'abord fait l'objet d'interdiction dans la fabrication des autels,
ou dans la construction du premier temple de Salomon3. Plus généralement, le fer, qui
a permis de fabriquer les armes les plus mortifères n'a pas
bonne réputation dans l'inconscient collectif. Il est
associé à Mars, le dieu de la guerre, et ce que les
historiens appellent l'âge du fer évoque les
brutalités et la tyrannie présentes dans les luttes
entre peuples qui ont permis la constitution des grands empires
antiques.
Evangelisti s'appuie ainsi sur un fond symbolique puissant quand, en
1996, il écrit Metallica, la
première de ses nouvelles sur le thème du métal,
la plus réussie avec Venom, où
le métal qui se substitue à la chair. Les nouvelles du
recueil (Venom,
Pantera, Sepultura, Metallica)
composent ensemble une sorte de roman,.dominé par cette
inspiration particulière que rappelle Evangelisti :
"Cela de façon
symbolique : avec le métal, ce qui progresse avec le temps est
le froid dans les relations humaines, jusqu'au moment où
personne ne reconnaît plus son proche comme faisant partie du
même genre humain. Le danger le plus grand que je vois dans
notre présent." 4
La nouvelle Venom, qui ouvre
le recueil, et la dernière Metallica, sont
entièrement dominées par ce thème du
métal. Les deux nouvelles centrales ne l'utilisent
qu'incidemment, mais leurs personnages ou situations ont quelques
correspondances avec la première. Toutes allient, à des
degrés divers, des pratiques magiques ancestrales à des
hypothèses scientifiques ou des découvertes plus ou
moins récentes.
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Mélange de science et de magie
quant au fond, de science-fiction et de fantastique pour la forme,
ces nouvelles brutales, enlevées, divisées en courts
chapitres titrés comme les plages d'un disque, comportent de
nombreuses images-chocs d'un monde où la force, la
cruauté et le meurtre sont devenus des moyens d'action
ordinaires. Les hommes se montrent imbus de leurs
préjugés religieux ou raciaux, indifférents
à la vie humaine, chacun évoquant son dieu dans la
même exclusion de l'autre. Le résultat que tous
recherchent, c'est la solution finale, la mort de l'adversaire et
l'élimination de sa cause et de son idéologie.
Cet homme déshumanisé
qu'Evangelisti nous promet, froid comme l'acier, vivant dans un monde
d'objets et de serviteurs mécaniques, a été
décrit pour 3001 dans sa nouvelle Paradi 5. Dans ce monde de folie, devenu hôpital
psychiatrique généralisé, où les notions
de cruauté et de barbarie ont disparu les schizos
(abréviation de schizophrènes) dominent les autres, en
bêtes sauvages, rusés, agissant avec froideur et
détermination. Leur seule façon d'entrer en contact
avec les autres est de les torturer ou les tuer pour le plaisir. La
plupart des schizos ont des comportements cannibalesques. Les
sentiments sont maîtrisés, considérés
comme une faiblesse, ou ont disparu. L'amour-sentiment n'existe plus,
ne restent que la violence, la torture et la mort.
Ces récits sont allégorisés par les Cavaliers de
l'Apocalypse, représentants modernes des mortifères
cavaliers de saint Jean de La Bible, et
porteurs des mêmes maux. Dans Metallica, les groupes se déplacent par quatre, que ce
soit à cheval, à l'image du symbole ancien, mais dans
le métal d'une armure; ou en jeep, dans le métal
motorisé. Les surnoms donnés aux hommes sont les
mêmes que dans La Bible : : la
Guerre, la Mort, la Peste et la Famine, les maux qui entraînent
la mort de l'humanité. Les cavaliers de pierre de Pantera, plus nombreux, sont de la même famille. De
nombreuses images spectaculaires, surréalistes,
parsèment le recueil : le métal vivant qui ne veut pas
mourir ou le métal devenu fou, compactant les guerriers en une
sphère collective monstrueuse. Ou celle d'une armée de
morts en marche au pas cadencé, soutenus par les derniers
souffles de la vie du métal. Ou ces quatre chevaux morts
courant ensemble.
Témoignage des obsessions d'Evangelisti, ce monde
scientifisé symbolisé par le métal et le
mécanique, froid, devenu irresponsablement
téméraire, détruit, sans rien apporter, la
chaleur des relations humaines. Le moyen qu'Evangelisti a
trouvé personnellement pour échapper aux contraintes,
c'est l'imaginaire, qui permet non seulement de se créer un
espace de pensée personnelle, donc de vie, mais d'essayer de
comprendre ce monde qui maintenant dépasse l'humanité
ordinaire. Son oeuvre correspond bien à cette
déclaration qui est aussi un programme : "Je crois que récupérer la
dimension de l'imaginaire de façon forte, en y mettant des
êtres humains et en essayant de souligner les
ambiguïtés, c'est d'une certaine façon une
attitude révolutionnaire. Ou au moins réformiste,
peut-être."
6 Peut-être aussi le seul moyen d'éviter
l'Apocalypse.
Prendre Valerio Evangelisti pour un auteur de science-fiction
limité à son genre serait une erreur, bien qu'il ait
établi sa réputation en obtenant le prix de SF italien
Urania, qu'il passe pour le leader de la SF italienne et qu'il ait
composé une anthologie des auteurs de SF de ce pays. La SF
présente dans ses romans est loin de constituer l'essentiel.
Evangelisti est un auteur riche, complexe, polyvalent, ayant de
nombreuses cordes à son arc. Il joue de tous les registres de
l'imaginaire pour composer une oeuvre qui n'a pas
d'équivalent, touchant au passé, au présent
comme à l'avenir, impulsée par des convictions sociales
puissantes. Toutes ses oeuvres sont inspirées par sa certitude
que la science-fiction est le seul moyen du point de vue
littéraire pour décrire de façon adéquate
le monde actuel et les dangers qu'il court7. Une puissante symbolique soutient l'oeuvre qui, si
elle est pas comprise, fait perdre à sa production une
importante partie de son sens.
Notes :
1 Destiné à un public plutôt adulte, le magazine mêlait rock, cinéma et BD. Une version américaine en a été tirée, sous le nom de Heavy Metal, qui a inspiré le long métrage d'animation du même nom (redevenu Métal Hurlant pour sa version française), sorti en 1981, réalisé par Ivan Reitman, musique de Black Sabbath, Blue Oyster Cutl, Cheap Trick. Paru en 1975, le magazine dura douze ans (août 1987, n°133).
2 La transformation du métal par le forgeron passe par la destruction du minerai pour parvenir au métal pur, c'est à dire l'instauration d'un état supérieur. On comprend que pour certains l'instauration d'un état social ou ethnique supérieur puisse passer par une opération semblable, associant le feu et le métal.
3 Il existe un rite franc maçonnique qui s'appelle«le dépouillement des métaux», rite initiatique très ancien, qui consiste pour le nouvel arrivant à se dépouiller au cours d'une cérémonie de ses métaux, bagues, montre, monnaie, etc, pour marquer son détachement de tout bien matériel et son désir de retrouver l'innocence originelle.
4 Galaxies #11, hiver 1998/99, Spécial Evangelisti, entretien avec Jean Vial, Jean-Claude Dunyach, Jean-Daniel Brèque et Roland C. Wagner, Utopia Poitiers 1998, p. 151.
5 Dans Robert Siverberg, Destination 3001, anthologie internationale de textes inédits, Flammarion Imagine, 2000.
6 Galaxies #11, hiver 1998/99, Spécial Evangelisti, entretien avec Jean Vial, Jean-Claude Dunyach, Jean-Daniel Brèque et Roland C. Wagner, Utopia Poitiers 1998, p. 151.
7 Voir son important article : Une littérature des étages inférieurs, la science-fiction en prise avec le monde, Le Monde Diplomatique, août 2000.
Roland Ernould © août 2001
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Revue Phénix #57, mai 2002. Le dessin de couverture est de Sophie Klesen |