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METALLICA

nouvelle du recueil Métal hurlant

Rivages/Fantasy éditeur , 8/2001

Première partion Françaie : Galaxies, #11, hiver 1998/99.

L'action de Metallica se situe dans un futur proche, reliée à des événements arrivés dans les 2ème et 3ème romans de la série des Eymerich, et précisés dans Venom, qui y consacre un paragraphe (38) : les historiens ont appelé plus tard cette guerre raciale «la guerre métallique». Mais à l'époque, si on connaissait déjà le métal sensible, le problème d'une chair de remplacement imputrescible pour le corps humain ne s'envisageait pas. On a d'autres indications dans Le corps et le sang d'Eymerich, le roman du sang. Une épidémie s'est répandue, l'anémie falciforme (la falciformation est un mécanisme biologique médicalement connu, et ses liens avec la désoxygénation des globules rouges sont étudiés dans les traités médicaux). Inspiré sans doute par la propagation du sida, Evangelisti a utilisé cette donnée médicale. dans son récit, où certains Noirs sont porteurs du caractère falcémique. Evangelisti décrit complaisamment les effets horribles de la maladie mortelle - thromboses répétées de parties du corps, vaisseaux qui éclatent, nécrose des tissus. Des Noirs, la maladie s'est propagée aux autres races.

Un conflit raciste qui affirme ses intentions.

Dans Le mystère de l'inquisiteur Eymerich, les États-Unis se sont disloqués après l'hécatombe causée par le fléau de l'anémie falciforme, et 3 nouvelles structures politiques se sont créées. Deux d'entre elles sont mécontentes de la situation dans le Sud, la Confédération de la Libre Amérique, capitale Atlanta, où de nombreuses milices et armées privées se sont partagé le contrôle militaire le la Confédération. Le révérend Mallory, devenu l'homme fort de l'état, s'est servi d'elles pour rétablir l'ordre dans les états du Sud, et n'entend en aucune manière s'en débarrasser. Tout en réprimant, comme dans les autres pays, le sexe considéré à l'origine de l'épidémie falciforme, la Confédération, marquée par une religion chrétienne intégriste, est dominée par les préjugés raciaux et a entrepris, sans le dire ouvertement, un véritable génocide contre les Noirs, musulmans. L'idée que les Noirs sont inférieurs est martelée, avec des arguments chocs : aucun scientifique noir n'a jamais laissé une trace dans l'histoire; et ce n'est pas par hasard si le Christ a préféré naître blanc, tout en venant au monde sur un continent où la plus grande partie des habitants avaient la peau sombre.

Un passage de Le mystère de l'inquisiteur Eymerich permet de situer plus précisément le récit, avec cette indication que l'Armée du Christ Guerrier, à l'uniforme vert barré d'une grande croix noire, "avait accompli la conquête de La Nouvelle-Orléans, la ville des Noirs, ramenée après sa reddition à l'état d'un désert peuplé de fantômes." (131) Le lecteur va assister à cette destruction, plutôt qu'à la reddition d'Algiers, faubourg de la Nouvelle-Orléans où les noirs survivants se sont réfugiés, et luttent désespérément contre «Babylonia1 », au nom de la République de la Nouvelle-Afrique, dirigée par un autre révérend qui a échappé à deux massacres précédents, celui de Détroit et d'Atlanta.

L'espoir des Noirs est mince et leur situation désespérée. Pour les blancs du Sud, il est temps de couper les ponts. Un siècle de coexistence entre les races n'a produit que des idéologies pleurnichardes, effacé la crainte de Dieu et propagé les maladies. Cette alliance contre nature avait, selon eux, provoqué l'effondrement des États-Unis. Que le Nord ait une autre politique, c'est son affaire. Au Sud, l'objectif est clair : récupérer l'identité blanche, son sang et ses valeurs morales et chrétiennes. Que le prix à payer soit le bain de sang impur est un acte de rédemption nécessaire.

Le métal vivant.

Selon son habitude, Evangelisti va associer une prétendue découverte scientifique et une coïncidence habilement utilisée, qui permettra d'associer au métal des alliés animaux. Il y joindra une magie qu'il n'avait pas utilisée jusqu'à présent, la magie vaudoue.


Un chercheur noir, La Croix (au nom bien inspiré, puisque son fils est tué par un camp et lui-même le sera par l'autre), a inventé un nouvel acier, le STZ, acier titano-zirconique, capable de réagir à des charges électriques. Ce métal est un «actuateur», ses cristaux ont la propriété de se dilater et se contracter comme celui des métaux, mais ils ont été enrichis de couches de senseurs au quartz qui leur donnent l'équivalent des cellules sensibles animales de perception. Le métal qui en résulte est vivant et aussi sensible qu'un épiderme humain. Evangelisti a su tirer des effets originaux de ces prémisses. Le métal de La Croix a permis la construction et l'édification d'un barrage de tours qui empêchent tous projectiles ou missiles de pénétrer l'espace aérien d'Algiers. Les tours réagissent aux projectiles et peuvent les intercepter grâce à leurs mouvements. Ensuite des armures de ce métal ont été fabriquées pour les combattants et les chevaux, seul moyen de déplacement qui leur reste, les transformant en hommes de guerre moyenâgeux. Enfin, plus original, des alligators sont de la partie. Les alligators en groupe communiqueraient entre eux, paraît-il, en émettant une vibration semblable à celle du quartz. Leurs crêtes dorsales contiendraient du sélénium et du carbone, leur permettant de fonctionner dans certaines conditions comme des supraconducteurs organiques, créant des champs magnétiques internes et réfractant ceux de l'extérieur. Avec l'actuateur STZ s'exerce une certaine symbiose, et le métal des tours les guide.


Mais La Croix a cessé de croire aux "superstitions scientifiques". Il est retourné aux anciennes croyances vaudoues, et à un de ses dieux, Ogou Ferraille, dit encore Ogou Fer. C'est lui qui fait vivre le métal, et peut aussi exercer son pouvoir sur les alligators, pour lui des «bakas», des esprits. Sur un mur de la maison de La Croix, est pendue une étole rouge représentant le dieu fantôme Ogou, représenté par des triangles, des spirales et des astérisques grossièrement dessinés. La Croix communique avec son dieu par des cérémonies rituelles et des incantations. Contre un tribut, le «mangé», il obtient ce qu'il lui demande.

Le métal mécanique contre le métal vivant.

Le camp adverse possède la force mécanique. Aux chevaux est opposé le matériel coûteux des armées modernes, les véhicules blindés, les chars, l'artillerie et les missiles, un porte-avions. S'y ajoute en particulier un projectile testé lors de la guerre de l'Irak, une bombe fuel-air, qui détruit tout ce qui est vivant dans sa zone d'action en supprimant l'oxygène, et produira ici des effets dévastateurs.


L'autre camp va utiliser les possibilités de la magie. Pour La Croix, l'inventeur du nouveau métal, la religion chrétienne, séparant la matière de l'esprit, et la science n'ont rien compris. La matière n'a pas que des lois, elle a aussi ses «loas», ses esprits, comme Ogou Ferraille. Les éléments matériels obéissent aux esprits qui leur correspondent. Evangelisti utilise les effets autorisés par ce postulat. Le détail de la maison de La Croix, où se trouve le culte du dieu Ogou, restée intacte et éclairée en dépit de la destruction générale fait partie des effets du genre et a été repris maintes fois ailleurs. Plus originales sont les images qu'Evangelisti tirera d'un métal qui ne veut pas mourir. Tous les Noirs morts asphyxiés par les bombes fuel-air, comme dans une guerre normale, les vainqueurs triomphent bruyamment. Mais le métal, utilisé jusqu'ici pour la défense, se met lui aussi à se battre. Les tours s'effondrent lentement, se desquament, éparpillant dans la ville occupée par les vainqueurs des morceaux de métal vivants. Les armures font d'abord gigoter combattants et chevaux, avant de leur permettre de se lever. Ce qui donne quelques scènes puissantes, celle d'une armée de morts en marche au pas cadencé, soutenus par les derniers souffles de la vie du métal. Ou ces quatre chevaux courant comme les chevaux de l'Apocalypse. L'évocation finale de l'éclair zébrant le ciel dans le gémissement des cadavres et la rigidification du métal pour se scinder en une broderie faite de triangles, d'astérisques et de gribouillis évoquant les spirales, marque l'esprit des lecteurs. On n'a d'ailleurs pas assez fait la remarque que de nombreuses évocations littéraires d'Evangelisti pourraient faire l'objet d'effets spéciaux cinématographiques remarquables.

Les guerres des hommes.

Dans un camp comme dans l'autre, on ne s'aime pas, pour diverses raisons de conviction, d'appartenance à une ethnie, ou d'uniforme différent. Dans un groupe, on ne se supporte que parce que la survie de chacun en dépend. La hiérarchie est devenue toute relative, et repose sur des chefs charismatiques convoquant leurs guerriers par une cloche, équivalent de l'appel d'un iman du haut de la tour de la mosquée pour un camp, ou par la radio pour l'autre. Tous ont l'impression qu'ils combattent depuis toujours, et ils méprisent les non combattants, tuent sans sommation les déserteurs. Les deux camps se valent, sans discussion. Ils se montrent les uns comme les autres imbus de leurs préjugés religieux ou raciaux, indifférents à la vie humaine des adversaires, et même des neutres, tués comme les autres pour n'avoir pas choisi leur camp. Chacun évoque son dieu, Allah ou le Seigneur, dans la même exclusion de l'autre. La Croix est seul à faire figure à part, qui explique aux croyants musulmans noirs venus le chercher qu'ils ont mal choisi leur divinité, Allah n'étant que le dieu des marchands qui vendaient leurs frères comme esclaves aux blancs. Pour son compte, retourné à la religion vaudoue, il pense que, quand les démons sont déchaînés, il faut choisir le moins pervers. Ce qui ne l'empêche pas d'inciter ses interlocuteurs à se mettre à genoux devant l'étole d'Ogou Ferraille...

Le résultat que les uns comme les autres recherchent, c'est la solution finale, la mort de l'adversaire et l'élimination de sa cause et de son idéologie. Evangelisti est particulièrement net à ce sujet. Une statue a été décapitée sur une place publique, celle d'une bienfaitrice, une femme qui a combattu pour l'égalité raciale. L'inscription «pute» barre son corps. Réflexion de l'auteur : "Cela pouvait être l'oeuvre de n'importe quel camp."

affiche du film

 

Vers l'homme-métal.

Comme il était prévisible, le métal, sans autre vie que mécanique, moteur a conduit vers la destruction des «adversaires» les guerriers porte-drapeaux des valeurs blanches et chrétiennes. Il est significatif qu'une des cohortes du révérend Mallory s'appelle l'Armée du Christ Guerrier. Le mépris de ses partisans à l'égard des Noirs est sans limite, et ils forment une sorte de nouveau ku-klux-klan. Les Noirs ne sont pas seulement responsables de l'anémie falciforme et de l'épidémie de la mort rouge, coupables d'adorer un faux dieu, mais surtout biologiquement ils sont des primitifs, sorte de chaînon manquant entre les alligators et les enfants, conduisant la race à l'impureté2. Pas un ne pense que La Croix a pu inventer la formule du nouvel acier, qui pour eux a été volée à l'un des leurs.

Dans un camp comme dans l'autre, les sentiments n'ont déjà plus cours dans cet avenir proche, où la foi n'est vécue que comme un prétexte. Le mot d'ordre qui se transmet dans les forces blanches, c'est «jamais de remords». Pour l'emporter, il faut tendre à ressembler au métal, comme le prêche le révérend Mallory : "
Pour combattre Satan et ses turpitudes, nous devons devenir semblables à du métal. Des soldats de fer et d'acier, armés par la foi et conscients de combattre dans le camp du Seigneur. De vraies machines de guerre, comme l'étaient Josué, Moïse et David. Parce que notre victoire ouvrira les portes d'un monde nouveau."

1 Dans l'Ancien Testament, Babylone est l'antithèse de la Jérusalem céleste et du Paradis. Elle est le symbole de la perdition et du vice.

2 Sur ce thème du pur et de l'impur, au centre de la pensée d'Evangelisti, voir l'étude qui y est consacrée dans ce dossier.

Roland Ernould © août 2001

 

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Revue Phénix #57, mai 2002.
Numéro spécial Valerio Evangelisti, avec un chapitre inédit des Chaînes d'Eymerich, une interview inédite et de nomreux articles de Roland Ernould, l'auteur de ce site. Ce copieux dossier de 140 pages comprend également un article de Delphine Grépilloux et une bibliographie d'Alain Sprauel.

Le dessin de couverture est de Sophie Klesen

En librairie : 13 ¤. La revue Phénix est éditée par la SARL Éditions Naturellement, 1, place Henri Barbusse, 69700 Givors. Directeur : Alain Pelosato.