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L'action de Metallica se situe dans un futur proche, reliée à des événements arrivés dans les 2ème et 3ème romans de la série des Eymerich, et précisés dans Venom, qui y consacre un paragraphe (38) : les historiens ont appelé plus tard cette guerre raciale «la guerre métallique». Mais à l'époque, si on connaissait déjà le métal sensible, le problème d'une chair de remplacement imputrescible pour le corps humain ne s'envisageait pas. On a d'autres indications dans Le corps et le sang d'Eymerich, le roman du sang. Une épidémie s'est répandue, l'anémie falciforme (la falciformation est un mécanisme biologique médicalement connu, et ses liens avec la désoxygénation des globules rouges sont étudiés dans les traités médicaux). Inspiré sans doute par la propagation du sida, Evangelisti a utilisé cette donnée médicale. dans son récit, où certains Noirs sont porteurs du caractère falcémique. Evangelisti décrit complaisamment les effets horribles de la maladie mortelle - thromboses répétées de parties du corps, vaisseaux qui éclatent, nécrose des tissus. Des Noirs, la maladie s'est propagée aux autres races.
Dans Le mystère de l'inquisiteur
Eymerich, les États-Unis
se sont disloqués après l'hécatombe
causée par le fléau de l'anémie falciforme, et 3
nouvelles structures politiques se sont créées. Deux
d'entre elles sont mécontentes de la situation dans le Sud, la
Confédération de la Libre Amérique, capitale
Atlanta, où de nombreuses milices et armées
privées se sont partagé le contrôle militaire le
la Confédération. Le révérend Mallory,
devenu l'homme fort de l'état, s'est servi d'elles pour
rétablir l'ordre dans les états du Sud, et n'entend en
aucune manière s'en débarrasser. Tout en
réprimant, comme dans les autres pays, le sexe
considéré à l'origine de
l'épidémie falciforme, la Confédération,
marquée par une religion chrétienne intégriste,
est dominée par les préjugés raciaux et a
entrepris, sans le dire ouvertement, un véritable
génocide contre les Noirs, musulmans. L'idée que les
Noirs sont inférieurs est martelée, avec des arguments
chocs : aucun scientifique noir n'a jamais laissé une trace
dans l'histoire; et ce n'est pas par hasard si le Christ a
préféré naître blanc, tout en venant au
monde sur un continent où la plus grande partie des habitants
avaient la peau sombre.
Un passage de Le mystère de l'inquisiteur
Eymerich permet de situer plus
précisément le récit, avec cette indication que
l'Armée du Christ Guerrier, à l'uniforme vert
barré d'une grande croix noire, "avait accompli la conquête de La
Nouvelle-Orléans, la ville des Noirs, ramenée
après sa reddition à l'état d'un désert
peuplé de fantômes." (131) Le lecteur va assister à cette
destruction, plutôt qu'à la reddition d'Algiers,
faubourg de la Nouvelle-Orléans où les noirs survivants
se sont réfugiés, et luttent
désespérément contre
«Babylonia1 », au nom de la République de la
Nouvelle-Afrique, dirigée par un autre révérend
qui a échappé à deux massacres
précédents, celui de Détroit et d'Atlanta.
L'espoir des Noirs est mince et leur situation désespérée. Pour les blancs du Sud, il est temps de couper les ponts. Un siècle de coexistence entre les races n'a produit que des idéologies pleurnichardes, effacé la crainte de Dieu et propagé les maladies. Cette alliance contre nature avait, selon eux, provoqué l'effondrement des États-Unis. Que le Nord ait une autre politique, c'est son affaire. Au Sud, l'objectif est clair : récupérer l'identité blanche, son sang et ses valeurs morales et chrétiennes. Que le prix à payer soit le bain de sang impur est un acte de rédemption nécessaire.
Selon son habitude, Evangelisti va associer une prétendue découverte scientifique et une coïncidence habilement utilisée, qui permettra d'associer au métal des alliés animaux. Il y joindra une magie qu'il n'avait pas utilisée jusqu'à présent, la magie vaudoue.
Un chercheur noir, La Croix (au nom bien inspiré, puisque son
fils est tué par un camp et lui-même le sera par
l'autre), a inventé un nouvel acier, le STZ, acier
titano-zirconique, capable de réagir à des charges
électriques. Ce métal est un «actuateur», ses
cristaux ont la propriété de se dilater et se
contracter comme celui des métaux, mais ils ont
été enrichis de couches de senseurs au quartz qui leur
donnent l'équivalent des cellules sensibles animales de
perception. Le métal qui en résulte est vivant et aussi
sensible qu'un épiderme humain. Evangelisti a su tirer des
effets originaux de ces prémisses. Le métal de La Croix
a permis la construction et l'édification d'un barrage de
tours qui empêchent tous projectiles ou missiles de
pénétrer l'espace aérien d'Algiers. Les tours
réagissent aux projectiles et peuvent les intercepter
grâce à leurs mouvements. Ensuite des armures de ce
métal ont été fabriquées pour les
combattants et les chevaux, seul moyen de déplacement qui leur
reste, les transformant en hommes de guerre moyenâgeux. Enfin,
plus original, des alligators sont de la partie. Les alligators en
groupe communiqueraient entre eux, paraît-il, en
émettant une vibration semblable à celle du quartz.
Leurs crêtes dorsales contiendraient du sélénium
et du carbone, leur permettant de fonctionner dans certaines
conditions comme des supraconducteurs organiques, créant des
champs magnétiques internes et réfractant ceux de
l'extérieur. Avec l'actuateur STZ s'exerce une certaine
symbiose, et le métal des tours les guide.
Mais La Croix a cessé de croire aux "superstitions
scientifiques". Il est retourné aux anciennes croyances
vaudoues, et à un de ses dieux, Ogou Ferraille, dit encore
Ogou Fer. C'est lui qui fait vivre le métal, et peut aussi
exercer son pouvoir sur les alligators, pour lui des
«bakas», des esprits. Sur un mur de la maison de La Croix,
est pendue une étole rouge représentant le dieu
fantôme Ogou, représenté par des triangles, des
spirales et des astérisques grossièrement
dessinés. La Croix communique avec son dieu par des
cérémonies rituelles et des incantations. Contre un
tribut, le «mangé», il obtient ce qu'il lui
demande.
Le camp adverse possède la force mécanique. Aux chevaux est opposé le matériel coûteux des armées modernes, les véhicules blindés, les chars, l'artillerie et les missiles, un porte-avions. S'y ajoute en particulier un projectile testé lors de la guerre de l'Irak, une bombe fuel-air, qui détruit tout ce qui est vivant dans sa zone d'action en supprimant l'oxygène, et produira ici des effets dévastateurs.
L'autre camp va utiliser les possibilités de la magie. Pour La
Croix, l'inventeur du nouveau métal, la religion
chrétienne, séparant la matière de l'esprit, et
la science n'ont rien compris. La matière n'a pas que des
lois, elle a aussi ses «loas», ses esprits, comme Ogou
Ferraille. Les éléments matériels
obéissent aux esprits qui leur correspondent. Evangelisti
utilise les effets autorisés par ce postulat. Le détail
de la maison de La Croix, où se trouve le culte du dieu Ogou,
restée intacte et éclairée en dépit de la
destruction générale fait partie des effets du genre et
a été repris maintes fois ailleurs. Plus originales
sont les images qu'Evangelisti tirera d'un métal qui ne veut
pas mourir. Tous les Noirs morts asphyxiés par les bombes
fuel-air, comme dans une guerre normale, les vainqueurs triomphent
bruyamment. Mais le métal, utilisé jusqu'ici pour la
défense, se met lui aussi à se battre. Les tours
s'effondrent lentement, se desquament, éparpillant dans la
ville occupée par les vainqueurs des morceaux de métal
vivants. Les armures font d'abord gigoter combattants et chevaux,
avant de leur permettre de se lever. Ce qui donne quelques
scènes puissantes, celle d'une armée de morts en marche
au pas cadencé, soutenus par les derniers souffles de la vie
du métal. Ou ces quatre chevaux courant comme les chevaux de
l'Apocalypse. L'évocation finale de l'éclair
zébrant le ciel dans le gémissement des cadavres et la
rigidification du métal pour se scinder en une broderie faite
de triangles, d'astérisques et de gribouillis évoquant
les spirales, marque l'esprit des lecteurs. On n'a d'ailleurs pas
assez fait la remarque que de nombreuses évocations
littéraires d'Evangelisti pourraient faire l'objet d'effets
spéciaux cinématographiques remarquables.
Dans un camp comme dans l'autre, on
ne s'aime pas, pour diverses raisons de conviction, d'appartenance
à une ethnie, ou d'uniforme différent. Dans un groupe,
on ne se supporte que parce que la survie de chacun en dépend.
La hiérarchie est devenue toute relative, et repose sur des
chefs charismatiques convoquant leurs guerriers par une cloche,
équivalent de l'appel d'un iman du haut de la tour de la
mosquée pour un camp, ou par la radio pour l'autre. Tous ont
l'impression qu'ils combattent depuis toujours, et ils
méprisent les non combattants, tuent sans sommation les
déserteurs. Les deux camps se valent, sans discussion. Ils se
montrent les uns comme les autres imbus de leurs
préjugés religieux ou raciaux, indifférents
à la vie humaine des adversaires, et même des neutres,
tués comme les autres pour n'avoir pas choisi leur camp.
Chacun évoque son dieu, Allah ou le Seigneur, dans la
même exclusion de l'autre. La Croix est seul à faire
figure à part, qui explique aux croyants musulmans noirs venus
le chercher qu'ils ont mal choisi leur divinité, Allah
n'étant que le dieu des marchands qui vendaient leurs
frères comme esclaves aux blancs. Pour son compte,
retourné à la religion vaudoue, il pense que, quand les
démons sont déchaînés, il faut choisir le
moins pervers. Ce qui ne l'empêche pas d'inciter ses
interlocuteurs à se mettre à genoux devant
l'étole d'Ogou Ferraille...
Le résultat que les uns comme les autres recherchent, c'est la solution finale, la mort de l'adversaire et l'élimination de sa cause et de son idéologie. Evangelisti est particulièrement net à ce sujet. Une statue a été décapitée sur une place publique, celle d'une bienfaitrice, une femme qui a combattu pour l'égalité raciale. L'inscription «pute» barre son corps. Réflexion de l'auteur : "Cela pouvait être l'oeuvre de n'importe quel camp."
Comme il était
prévisible, le métal, sans autre vie que
mécanique, moteur a conduit vers la destruction des
«adversaires» les guerriers porte-drapeaux des valeurs
blanches et chrétiennes. Il est significatif qu'une des
cohortes du révérend Mallory s'appelle l'Armée
du Christ Guerrier. Le mépris de ses partisans à
l'égard des Noirs est sans limite, et ils forment une sorte de
nouveau ku-klux-klan. Les Noirs ne sont pas seulement responsables de
l'anémie falciforme et de l'épidémie de la mort
rouge, coupables d'adorer un faux dieu, mais surtout biologiquement
ils sont des primitifs, sorte de chaînon manquant entre les
alligators et les enfants, conduisant la race à
l'impureté2. Pas un ne pense que La Croix a pu inventer la formule
du nouvel acier, qui pour eux a été volée
à l'un des leurs.
Dans un camp comme dans l'autre, les sentiments n'ont
déjà plus cours dans cet avenir proche, où la
foi n'est vécue que comme un prétexte. Le mot d'ordre
qui se transmet dans les forces blanches, c'est «jamais de
remords». Pour l'emporter, il faut tendre à ressembler au
métal, comme le prêche le révérend Mallory
: "Pour combattre Satan et ses
turpitudes, nous devons devenir semblables à du métal.
Des soldats de fer et d'acier, armés par la foi et conscients
de combattre dans le camp du Seigneur. De vraies machines de guerre,
comme l'étaient Josué, Moïse et David. Parce que
notre victoire ouvrira les portes d'un monde nouveau."
1 Dans l'Ancien Testament, Babylone est l'antithèse de la Jérusalem céleste et du Paradis. Elle est le symbole de la perdition et du vice.
2 Sur ce thème du pur et de l'impur, au centre de la pensée d'Evangelisti, voir l'étude qui y est consacrée dans ce dossier.
Roland Ernould © août 2001
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Revue Phénix #57, mai 2002. Le dessin de couverture est de Sophie Klesen |