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SEPULTURA

nouvelle du recueil Métal hurlant

Rivages/Fantasy éditeur , 8/2001

Première parution française : Le Monde du 24 juillet 1999 (supplément vacances).

 

Le Brésil est réputé pour la beauté de ses plages et le carnaval de Rio de Janeiro. Depuis le milieu des années 80, il est aussi connu chez les amateurs d'Heavy Metal pour avoir enfanté Sepultura (la tombe, en portugais), groupe nourri par la douleur et la pauvreté du pays, qui parle d'assassinats, de terrorisme et de guerre. Car le Brésil est aussi honni, pour les défenseurs des droits de l'homme, pour être le pays des massacres des Indiens d'Amazonie, l'endroit des parties de chasse contre les enfants errants, des tortures inadmissibles et des détentions abusives. Officiellement, les droits de l'homme sont respectés au Brésil, et la communauté internationale ne s'en préoccupe pas. Seuls les intéressent les pays qui troublent l'ordre du monde.

Dans ce récit qui se passe à Sao Paulo, Evangelisti raconte l'action d'un groupe d'opposants pour sauver les prisonniers politiques d'une prison construite spécialement pour eux, au nom évocateur, Sepultura. Selon l'habitude d'Eymerich, l'histoire repose sur un mélange d'éléments scientifiques et de données magiques qui viennent bouleverser le déroulement prévu.

Les éléments scientifiques.

Deux types de pratiques biologiques interviennent, normalement utilisées à des fins différentes, mais qui se rejoindront dans le récit pour un résultat imprévu. Un sadique a eu l'idée, pour éviter les évasions, d'enfermer ensemble les politiques dans un puits, au fond duquel a été coulé de l'«Ectoplasme» pour qu'ils ne puissent plus bouger.Cette colle cyanocrylique1 fait partie d'un procédé utilisé par les chirurgiens pour aider à la cicatrisation des blessures. Mélangée à de l'élastine, elle adhère, à bonne température, aux tissus humains dont elle devient une sorte d'extension. Les prisonniers ont les jambes collés par cet Ectoplasme, qui est devenu l'expansion transpirante de leurs propres tissus. Mais dans la froideur du puits, l'Ectoplasme se fige, contrairement à ce qui se produit à la température du corps humain, et tous les prisonniers sont soudés ensemble sans jamais pouvoir bouger jusqu'à leur mort.

D'autres tortionnaires traitent les militants arrêtés au «disloqueur», pour les faire avouer. On injecte dans les veines du prisonnier un acide aminé spécial et un autre produit qui le fait agir. Les tissus musculaires se distendent alors, pour se contracter aussi rapidement. La souffrance est inimaginable, et après un certain temps, le cerveau est atteint et le torturé meurt. Mais entre temps, il a tout avoué. Le disloqueur agit sur l'élastine de l'Ectoplasme. On devine que les révolutionnaires vont chercher à utiliser le «disloqueur» pour essayer de dissoudre la colle qui les emprisonne.

Les éléments magiques.

Quelques-uns des révolutionnaires, dont leur commandant, sont des Indiens Kayovas, dont les membres de la tribu ont préféré se donner la mort plutôt que de subir l'invasion de leur territoire. Restés superstitieux, ils contactent un sorcier indien d'une autre tribu pour qu'il appelle les egum,les esprits des morts. Ces esprits du bien sont sollicités à se manifester dans Sepultura, pour aider l'entreprise. Inconvénient : les esprits des deux tribus ne sont pas les mêmes, et on doit évoquer ceux qui ressemblent le plus aux entités des Kayovas. L'esprit Exu se manifeste, bon, mais capricieux, réputé aimant jouer des tours. Il fait descendre Oshumare, le dieu serpent, dans le puits.

Dans la nouvelle, ces événements se déroulent en simultanéité, mixant deux scènes étonnantes ; le rituel magique et son déroulement, avec la participation nécessaire de la tribu; et dans le puits de Sepultura, les prisonniers voient se dérouler la cérémonie comme un film dans leur esprit, tout en vivant les transformations subies par l'Ectoplasme. Ces scènes déjà prenantes s'achèvent par une vision étonnante. Les prisonniers, contrairement à ce qu'ils prévoyaient, ne savent pas s'extraire de l'Ectoplasme, dont ils font définitivement partie. Mais l'affreux mélange sort du puits, magma informe hérissé de corps humains se formant petit à petit en une chenille monstrueuse, obéissant à l'esprit de la vengeance, balayant tout sur son passage sur la route de Sao Paulo. Et l'un des prisonniers indiens en mourant voit l'image d'une tribu unie, jetant symboliquement des lances contre les ennemis à détruire, pendant qu'une divinité, tapie dans la forêt, bénit cette guerre sacro-sainte.

 

Les révolutionnaires scientifisés.

Il est intéressant de signaler les positions des révolutionnaires du groupe. Si les anciens Indiens sont restés proches de leurs traditions, par contre les plus jeunes utilisent les ordinateurs et des codes secrets pour communiquer par le web. Certains souhaiteraient même poursuivre le combat révolutionnaire par d'autres moyens, devenir des hackers, en désorganisant leurs adversaires par le piratage informatique et la désorganisation de leurs réseaux. Les plus anciens sont rétifs aux nouvelles technologies et préfèrent utiliser les anciens moyens, qui ont fait leurs preuves (!) pendant des millénaires.

Il faut aussi noter que, si des révolutionnaires ne voient que leur cause, comme leur commandant, prêt à tuer son frère qui sert le camp adverse, les plus jeunes ont déjà des comportements plus souples. Le frère du commandant, entré dans la police, est maintenant devenu un des Exterminateurs de Mauvaises Herbes qui pourchassent les jeunes errants. Mais, par affection pour un ami d'enfance qui vient d'être enfermé à Sepultura, et pour la tribu, il vient en aide aux révolutionnaires et leur fournit le produit censé favoriser leur libération. À son habitude, Evangelisti n'hésite pas à nous montrer les insuffisances des camps adverses, mais cependant ici avec une charge particulièrement lourde contre la répression politique au Brésil.

Sur le plan littéraire, c'est la deuxième fois qu'Evangelisti utilise un motif vieux comme le monde, celui du serpent, le maître-ver, le plus répandu des monstres marécageux des mythologies préexistantes aux événements de
La Bible, où il est plusieurs fois décrit. Parmi les maîtres du fantastique, Lovecraft a constamment évoqué de tels monstres dans le mythe de Cthulhu. Un autre ver se trouve dans le volume 4, Le Mystère de l'Inquisiteur Eymerich, où il a donné aussi prétexte à une évocation inoubliable. Ce ver, qui est la somme des cadavres et de leurs ténias lancés dans un lac, continuant à vivre, se transforme en une unique, énorme vésicule à l'horrible vitalité, dans un développement irrésistible. Cette vision par un adolescent d'un ver immense, diabolique et les contorsions de ce titanesque protozoaire vermiforme, amas qui n'a ni intelligence ni mémoire, mais porte un nom très ancien, celui de Tanit, est vraiment originale, et la ressemblance avec le ver suscité par le dieu-serpent Oshumare est évidente.

Cette nouvelle brutale, concise, comporte de nombreuses images-chocs d'un monde où la force, la cruauté et le meurtre sont devenus des moyens d'action ordinaires, tolérés sinon pratiqués par les états. On comprend qu'Evangelisti ait associé son récit au groupe
Sepultura, qui crie comme lui, mais dans une apocalyptique recherche du bruit et de la fureur, la douleur et l'asservissement du pays, et la destruction de la culture indienne.

1 La même colle est appelée cyanoacrylique dans Venom et cyanocrylique ici.

Roland Ernould © 2001

 

 

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Revue Phénix #57, mai 2002.
Numéro spécial Valerio Evangelisti, avec un chapitre inédit des Chaînes d'Eymerich, une interview inédite et de nomreux articles de Roland Ernould, l'auteur de ce site. Ce copieux dossier de 140 pages comprend également un article de Delphine Grépilloux et une bibliographie d'Alain Sprauel.

Le dessin de couverture est de Sophie Klesen

En librairie : 13 ¤. La revue Phénix est éditée par la SARL Éditions Naturellement, 1, place Henri Barbusse, 69700 Givors. Directeur : Alain Pelosato.