Rien n'est plus dangereux qu'un fan blessé. Il y a
trois ans, nous brandissions crocs et sabres-laser contre
George Lucas,
le seul homme au monde a avoir créé de
lui-même un véritable mythe fondateur pour
ensuite réussir, le temps d'un film, à le tuer
dans le coeur de millions de spectateurs
désespérés... (j'en rajoute un peu,
mais ça fait plus tragique.)
La
Menace Fantôme? Un film totalement creux, surchargé
d'effets numériques certes impressionnants mais
inutiles, à la narration décousue indigne d'un
film d'une telle importance... et la liste est longue. Lucas
semblait avoir abandonné toute la puissance de sa
mythologie au profit des Bisounours et du côté
obscur de l'argent.
Il faut croire que la force de Star Wars, comme pour ses héros, est de
se relever de toutes les épreuves. L'Attaque des
Clones, formidable
spectacle démesuré, dégage (presque)
autant de puissance, de passion et de génie que la
trilogie d'origine. Que tous les Jedi répandent la
bonne parole : la Guerre des Etoiles contre-attaque ! En
revenant à la source de ce qui rendait uniques et
intemporels les films précédents, Lucas
réalise une oeuvre de grande maturité, sombre
et souvent drôle, aux accents de tragédie
antique, et dont chaque élément renvoie aux
connaissances que nous avons du monde à venir.
L'Attaque des Clones traite de la colère et de la
perte de contrôle. Les événement
échappent totalement aux héros jusqu'alors
habitués à tout prévoir, à tout
diriger. Le crépuscule des Jedï s'annonce. Les
chevaliers s'égarent en luttant sans cesse contre le
mauvais ennemi : alors que le Côté Obscur prend
possession des coeurs les plus braves, ils mènent un
combat dérisoire contre des leurres qui les
aveuglent, ce que suggère le titre. Des clones, des
marionnettes, dont le véritable rôle ne sera
révélé que lors du final
époustouflant.
La crise principale dans laquelle se trouve la fragile
République fait curieusement écho à
certaines élections présidentielles : mise en
péril par une menace (fantôme !) que les
Jedï ne parviennent pas à cerner, la paix joue
une partie truquée d'avance contre les forces
extrémistes qui gangrènent le Sénat
Galactique. L'avènement de l'Empire est proche, et
les vaisseaux de guerre décollant sous l'oeil
ironique du Seigneur Noir, avec en fond l'immortelle Marche
Impériale de John Williams, vous feront frémir. Le lien avec la
trilogie existante est enfin marqué, et le film
remplit son rôle de fondation : pierre angulaire de
l'univers Star Wars, il donne sa raison d'être à la
nouvelle trilogie.
Au-delà des enjeux politiques, en marge de ceux qui
veulent pendre le pouvoir et de ceux qui souhaiteraient bien
le garder, le véritable combat se joue
intérieurement. La lutte du jeune Skywalker contre la
haine et la colère menant au Côté Obscur
est véritablement bien rendue, crédible et
passionnante. Lucas s'est soudain rappelé que le
chemin de la Force est un parcours personnel, qui doit
être mené par le coeur et l'esprit, et non sous
l'influence d'une quelconque tentation matérielle.
C'est en luttant contre lui-même, contre sa peur et
son amour, que l'apprenti peut acquérir la sagesse
des Maîtres Jedï. La Menace Fantôme avait totalement
négligé cet aspect pourtant fondamentale de la
philosophie, en réduisant de façon absurde la
concept de la Force à une sécrétion
naturelle, plus ou moins forte selon les individus.
N'importe quoi... L'Episode II marque le retour aux
sources.
On assiste à la
marche du Destin qui écrase le futur Dark Vador, et
l'on comprend que son passage vers le Côté
Obscur résultera justement du choix qu'il jugera le
meilleur possible pour défendre ses valeurs de
justice et de liberté. Anakin manifestement ne
rejoindra pas le mauvais côté par simple
cruauté personnelle. Il est victime de son manque de
contrôle, de son désir de puissance qui lui
permettrait de régner, pense-t-il, de façon
équitable et de maintenir la paix. Sa passion pour la
jeune Padmée, interprétée avec autant
de classe que Carrie Fisher par Nathalie Portman, lui fait
découvrir que malgré tout son pouvoir, un vrai
Jedï se sert de la Force par sagesse et non par
intérêt : le jeune apprenti au contraire joue
à plusieurs reprises avec elle, en s'amusant à
déplacer les objets pour impressionner sa
princesse.
Les relations Maître-Apprenti prennent une nouvelle
dimension. Luke Skywalker se révèle être
le descendant de tout un enseignement Jedï qui remonte
jusque Maître Yoda. Le conflit entre Obi-Wan et Anakin
se développe de façon intelligente, petit
à petit, et chacun de leurs échanges
possède un sens supérieur au regard des films
existants. Si Obi-Wan incarne le Jedï le plus droit, le
plus noble (tel Alec Guiness
dans le premier film de 1977), son enseignement est
perçu comme un carcan par Anakin qui cherche à
accélérer sa formation. Or nous savons que le
Côte Obscur est "plus rapide, plus facile, plus...
séduisant."
Le film fonctionne aussi bien grâce à un
principe de base des plus simples : le tout numérique
doit être mis au service de l'histoire. Qu'importe les
techniques prodigieuses employées, qu'importe tout
l'argent investi et l'esthétisme des décors ou
des créatures, il faut avant tout que le
scénario soit solide, compréhensible par tous
mais aussi en adressant aux fans des clins d'oeil qui
flattent leur patience et leur fidélité. Dans
chaque recoin d'image, les programmeurs de LucasFilms ont
inséré, parfois même à l'insu de
George Lucas, des vaisseaux, des extra-terrestres ou des
décors présents dans la trilogie d'origine. Et
Lucas n'est pas en reste, puisqu'il nous offre la
genèse de Boba Fett, le chasseur de primes le plus
célèbre des galaxies qui pourtant ne
prononçait que deux répliques dans
L'Empire Contre-Attaque !
Il participe au nombre
jouissif de références et d'auto-citations qui
jalonnent le film. Vous verrez en action tout un
régiment de Jedï lors d'une bataille que
personne n'oubliera, et qui démontre de la meilleure
des façons que le numérique est l'outil
d'avenir quand on le manie intelligemment. De toutes parts,
des soldats et des vaisseaux jaillissent au coeur du combat
du Bien contre le Mal. Des personnages tels que Yoda et Mace
Windu, quasiment absents de La Menace
Fantôme,
dévoilent leurs capacités et leur charisme
sans égal. Et au beau milieu de la
mêlée, le duo mythique formé par C3-PO
et R2-D2 fait un retour fracassant, sans rien perdre de leur
humour et de leur regard décalé sur les
tragédies qui se jouent autour d'eux. Ils apportent
la touche de naïveté indispensable qui, loin de
la désamorcer, renforce la tragédie qui se met
en place.
La fin de L'Attaque des Clones laisse libre cours aux fantasmes des
fans, qui ne manqueront pas d'écrire dans leur
tête le scénario idéal pour le
troisième et dernier film. Imaginez un terrible duel
au cours duquel Obi-Wan, sur le point d'achever son
disciple, épargne sa vie mais le laisse
défiguré ? Imaginez un final où l'on
verrait Anakin se coiffer du casque de Vador et, tandis que
résonne la Marche Impériale, deux vaisseaux
porteurs d'espoir se séparent, l'un en direction
d'Alderand et l'autre vers Tatooine ? Plus que trois ans
à attendre. D'ici là, vous aurez compris que
L'Attaque des Clones est fantastique et qu'il serait
dommage de s'en priver. Que la Force soit avec nous... et
avec ceux qui restent.
article de "Sylvain Tavernier" <syltavernier@wanadoo.fr> -© mai 2002
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