KING ENFANT ET LE CINÉMA

DANS ÇA

 

"Un Américain de ma génération aurait dû être sourd et aveugle

pour ne pas être entré en contact avec un monstre quelconque avant l'âge de douze ans."

(Anatomie de l'horreur, 116)

 

Un chapitre entier d'Anatomie de l'Horreur (chap. 4, intitulé "un irritant intermède autobiographique") est consacré à narrer des épisodes de la vie de King qui ont pu jouer leur rôle dans le choix de ce qu'il écrit. Il précise bien qu'il ne s'agit pas de fournir des matériaux pour une analyse psychologique quelconque1. Son but avoué est d'exposer des origines possibles de son goût pour l'horreur, dans la mesure où écrire des histoires d'horreur a quelque chose de malsain et d'aberrant. Parmi ces diverses influences, on retiendra ici le rôle des médias, et plus particulièrement le cinéma, ce qui nous donnera l'occasion de découvrir l'affiche que King voyait en entrant dans la salle.

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L'INFLUENCE DES MÉDIAS.

La radio.

Simultanément à la lecture, il faut noter l'influence de la radio des années 50. King raconte dans Anatomie de l'horreur que la première expérience de la peur, bien avant vu L'Étrange Créature du lac noir, (premier film dont King se souvienne à sept ans), lui vient de la radio. Il avait alors quatre ans. Sa mère lui interdit d'écouter l'adaptation d'une nouvelle de Ray Bradbury2, dans le cadre de l'émission Dimension X, qu'elle même écoutait. Trop dérangeant. Il écouta derrière la porte : "Elle avait raison : c'était sacrément dérangeant. (...) Je n'ai pas dormi dans mon lit cette nuit-là; j'ai dormi sur le seuil de ma chambre, le visage baigné par la lueur rationnelle de l'ampoule de la salle de bains. Tel était le pouvoir de la radio à son apogée." (Anatomie de l'horreur, 141)

King fait partie du dernier carré de la génération à se souvenir de la radio comme d'un media de premier plan, une forme d'art dotée de sa propre conception de la réalité. Il a assisté à l'agonie de la radio en tant que media pourvoyeur de fictions.Pendant son enfance, la radio diffuse encore des dramatiques, que King écoutait avec son grand-père quand il est retourné à Durham à douze ans . La force théâtrale de la radio, sur certains plans, a été perdue3.

Le visuel fait désormais partie intégrante de notre conception de la réalité, alors qu'avec la radio, c'est l'imagination qui était sollicitée : "Entre 1930 et 1950, les auditeurs ne disposaient d'aucune image préconçue pour meubler leur conception de la réalité. (...) Ils avaient certes une conception de la réalité, mais celle-ci était malléable, quasiment vierge de toute idée préconçue. Quand ils imaginaient le monstre dans leur esprit, il n'y avait pas de fermeture Éclair sur son dos; c'était un monstre parfait." (Ana, 140)

De ces contacts avec la radio, il garde un souvenir nostalgique. La radio sollicitait l'esprit et l'imagination. Avec elle, l'impossible pouvait avoir sa représentation. King, qui utilise constamment le visuel, seul moyen d'être en phase avec le grand public, se rend compte que sa tâche est devenue plus difficile, avec les difficultés de la monstration : "Si la radio a réussi à faire l'impasse sur cette fichue porte, c'est à mon avis parce qu'elle faisait des dépôts plutôt que des retraits à la banque de l'imagination. (...) La radio rendait réel tout ce qu'elle touchait.4 " (Ana, 140)

Les Comics.

Gamin, King a "découvert l'horreur grâce aux EC Comics 5 de William M. Gaines - Weird Science, Tales From the Crypt, The Vault of Horror - et à tous leurs imitateurs (mais les revues de Gaines étaient souvent imitées mais jamais égalées). Ces BD des années 50 représentent toujours pour moi le comble de l'horreur." (Ana, 30)

 

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Parues entre 1950 et 1955, les bandes dessinées d'horreur (horror comics) s'étaient multipliées aux États-Unis. À la mort en 1947 de son fondateur, son successeur s'était tourné vers la bande dessinée d'horreur et de science-fiction, dont la vente était plus profitable. Il sut accepter le délire visuel de dessinateurs d'exception6 qui donnèrent à la bande dessinée quelques-unes des planches les plus terrifiantes de son histoire, dont certaines illustraient des nouvelles d'écrivains aussi prestigieux que Ray Bradbury. L'aspect grand-guignolesque et morbide des couvertures de ces magazines finit par attirer les foudres de la censure, et le Comics Code, instauré en 1955, mit fin à la parution de la plupart des titres de la firme. Leur lecture a marqué au fer rouge nombre d'écrivains - comme King - et metteurs en scène dans le fantastique ou l'épouvante. King en a gardé des souvenirs précis, au point de se rappeler des dialogues, dont il donne un exemple, celui d'un mort-vivant qui revient chez lui châtier son épouse infidèle : "J'arrive, Marie, mais j'arrive lentement... car il ne cesse de tomber des petits bouts de mon corps... " (Ana, 31)

King participa, comme auteur, scénariste ou acteur, à deux films à sketches : Creepshow (mise en scène de George Romero, 1982) et Creepshow 2 (mise en scène de Michael Gomick, 1987)

Creepshow est l'hommage qu'un écrivain alors connu de 35 ans rendra aux Comics des années cinquante qui ont modelé son imaginaire, et plus particulièrement à l'humour macabre qui imprégnait ces histoires. Ce recueil de bandes dessinées par Berni Wrighton - adaptées des scénarios du film à sketches écrits pour le film de George Romero - comporte cinq histoires (quatre inédites, la cinquième inspirée par une nouvelle), à l'humour macabre, à mi-chemin entre l'absurde et le gore. Mais ce qui était d'un accès si facile pour Steve l'est moins pour le jeune Billy, sur lequel pèse maintenant l'interdit. Il est surpris par son père en train de lire l'horrifiant album, qui finit à la poubelle. Heureusement, les éléments des Comics veillent : tonnerre, éclairs et tempête font tourner les pages de album, dont les histoires s'animent sous nos yeux.

 

La télévision.

King fait partie des enfants de cette génération qui sont ont vécu simultanément la fin de la radio et les débuts de la télévision7. Il faut noter l'influence de la série télévisée La Quatrième Dimension, de Rod Serling8, diffusée d'octobre 1959 à l'été 1965, par la chaîne CBS, que le jeune King vit semaine après semaine. La Quatrième Dimension rendit familière à King la situation qu'il exploite dans la plupart de sesoeuvres, des gens ordinaires placés dans des situations extraordinaires, des gens qui ont apparemment fait un faux pas et franchi une lézarde dans la réalité : "C'est là un concept des plus puissants, sans doute la route la plus directe pour transporter dans le royaume du fantastique les lecteurs ou les spectateurs qui n'ont pas l'habitude de le visiter." (PN, 30)

Les influences sont ainsi multiples, et impressionnantes par leur intensité et leur impact;
Anatomie de l'horreur et Pages Noires, qui en font le bilan, constituent un ensemble si vaste qu'on ne peut guère noter qu'une influence plus importante du visuel. King fait lui-même la synthèse. Si l'impact de La Quatrième Dimension a été important, Serling n'a pas la paternité de cette situation : Bradbury avait entrepris de juxtaposer l'horrible et le quotidien dès les années 40, et Jack Finney9 a repris ensuite le flambeau de ses mains : "La plus grande réussite de Finney, à laquelle font écho les meilleurs écrivains de fantastique nourris au lait de cette série, c'est cette capacité «dalienne» de créer un univers fantastique sans chercher à l'expliquer ni à s'en excuser. Cet univers est là, fascinant et un peu inquiétant, un mirage trop réel pour être nié : une brique flottant au-dessus d'un réfrigérateur, un homme mangeant un plateau-repas couvert de globes oculaires, des enfants jouant avec leur dinosaure dans une chambre en désordre. Si le fantastique semble assez réel, insiste Finney, et Serling après lui, alors on n'aura pas besoin de ficelles ni de trucages optiques. Ce sont Jack Finney et Rod Serling qui, après H. P. Lovecraft, ont fait franchir au fantastique une nouvelle étape dans son évolution. Pour mes contemporains et moi-même, ce fut là une stupéfiante révélation qui nous ouvrait des horizons infinis." (Pages Noires, 31) Horizons que King n'a pas fini d'explorer.

Les livres.

Arrive enfin le choc du livre. À douze ou treize ans, il trouve une caisse de livres de son père dans le grenier d'une tante. Son père, qui a abandonné la maison familiale alors que Steve avait deux ans, aimait la littérature d'horreur et de science-fiction. La caisse "regorgeait de vieux livres de poche édités par Avon. En ce temps-là, Avon était le seul éditeur de poche à publier du fantastique et de la terreur." Dans cette caisse, il y avait notamment un livre de Lovecraft10 : "Le plus fabuleux de ces trésors était un recueil de H. P. Lovecraft. Le titre m'en échappe aujourd'hui, mais je n'ai jamais oublié son illustration de couverture : un cimetière (...), en pleine nuit, et surgissant de sous une pierre tombale, une répugnante créature verdâtre pourvue de longues griffes et d'yeux de braise. Derrière elle, à peine suggéré par le dessinateur, un tunnel conduisant aux entrailles de la terre. (...) Ce jour-là et le jour suivant, j'ai visité pour la première fois les plaines de Leng; j'ai fait la connaissance d'un étrange Arabe d'avant l'OPEP, Abdul Alhazred (auteur du Necronomicon) (...); et surtout, j'ai été transfiguré par la sinistre terreur insidieuse de La Couleur tombée du ciel." 11 (Ana, 115)
La lecture de ces comics spécialisés dans l'horreur avait, comme le cinéma, très tôt marqué l'enfance de King. mais ces livres sont une révélation : "
Si bien que ce livre, héritage d'un père absent, m'a fait découvrir un univers bien plus complexe que celui des films de série B que j'allais voir le samedi après-midi. (...) J'avais trouvé ma voie. Lovecraft - par l'entremise de mon père - l'avait ouverte pour moi, comme il l'avait fait pour bien d'autres écrivains avant moi." (Ana, 116)

L'INFLUENCE DU CINÉMA.

THE CREATURE WALKS AMONG US (La créature est parmi nous), USA, 1956, 78 mn., n.b. Réalisateur : John Sherwood. Interprètes : Jeff Morrow,Rex Reason, Leigh Snowden. Troisième volet des aventures de LA CRÉATURE DU LAC NOIR qui,. cette fois, est soumise à des opérations chirurgicales.

L'Étrange Créature du lac noir est le premier film dont King se souvienne avoir vu étant enfant (il devait avoir sept ans, dans un drive-in. Une seule scène lui en est restée en mémoire, et elle l'a marqué profondément, es celle où apparaît le monstrueux batracien du marécage : "J'ai su à ce moment-là que la Créature était devenue ma Créature. Elle était à moi. Cette Créature n'était guère convaincante, même pour un gamin de sept ans. (...) Je savais qu'il s'agissait d'un homme dans un costume de monstre... tout comme Je savais que, plus tard dans la nuit, la Créature me rendrait visite dans le lac noir de mon esprit et qu'elle serait beaucoup plus réaliste. Peut-être se serait-elle planquée dans les ténèbres de la salle de bains, empestant l'algue et le marais, impatiente de croquer le marmot." (Ana, 119)

Pour King enfant, le macabre et le monstre sont toujours présents. Il raconte qu'il économisait son argent de poche pour voir des films d'horreur, en «matinée», le samedi après-midi. Il faisait à pied les trois kilomètres du trajet, ses quelques pièces enveloppées dans un mouchoir afin de ne pas les perdre. Il détaille longuement et avec émotion dans Ça les séances de cinéma de son enfance, la queue avec les copains pour retirer son ticket à Godzilla, la dame "méchante" du guichet, qui voulait voir d'abord leur argent, pour avoir droit "à deux monstres pour vingt-cinq cents et, avec un quarter de plus, à tout le pop-corn qu'on était capable d'avaler." Avec le chahut, les dessins animés et les actualités. Puis le silence, les cris et les hurlements : les sauterelles géantes arrivaient et détruisaient Chicago ou Londres.

Quand après le cinéma, il rentre à la maison, le jeune Steve écrit des histoires basées sur les films qu'il vient de voir. Comme son double littéraire Richie, il adore et adorera toujours ce cinéma : "Dans la hiérarchie de ses goûts cinématographiques, il ne connaissait rien de mieux que deux films d'horreur dans un cinéma envahi par des jeunes criant à qui mieux mieux aux passages les plus sanglants." (Ça, 340)

THE BLACK SCORPION, USA, 1957, 78 mn., n.b. Réalisateur : Edward Ludwig. Interprètes : Richard Denning, Mara Corday, Carlos Rivas. Des survivants de la préhistoire.

"Étant enfant, le macabre était toujours là. J'aimais les comics d'horreur. J'économisais mon argent de poche pour voir des films d'horreur comme The Black Scorpion, The Creature from the black Lagoon, tout ce qui contenait des monstres, cela m'effrayait et m'excitait en même temps.

Le samedi après-midi, notre argent de poche enveloppé dans un mouchoir afin de ne pas le perdre, nous faisions la queue. J'ai d'ailleurs parlé de cela dans un livre appelé It. (...)
Debout, faisant la queue, avec un quart de dollar, comme la dame derrière le petit guichet en verre paraissait méchante! Elle voulait voir notre argent. Elle avait du rouge à lèvres très brillant et de vilaines rides partout sur le visage. Nous l'appellions Godzilla. Puis nous entrions dans le cinéma et nous transformions nos bottes de pop-corn en clairons. Il y avait les dessins animés et les actualités. Puis les sauterelles géantes arrivaient et détruisaient Chicago ou Londres; c'était formidable! Je me revois aller au cinéma. Il fallait marcher pendant environ deux miles. Je voyais des gosses devant leur cour et je me sentais triste pour eux parce qu'ils n'allaient pas au cinéma, parce que pour moi c'était important. Puis après le cinéma, je rentrais à la maison et j'écrivais des histoires basées sur les films que j'avais vus. (cité dans Martin Coenen, Phénix 2, éd. Lefrancq,
37)

Richie adore ce cinéma : "
Dans la hiérarchie de ses goûts cinématographiques, il ne connaissait rien de mieux que deux films d'horreur dans un cinéma envahi par des jeunes criant à qui mieux mieux aux passages les plus sanglants. Il ne faisait absolument pas le rapprochement entre les deux séries B d'American-International Pictures et ce qui se passait actuellement en ville... " (340)

Dans notre civilisation (quand elle reste fidèle au caractère qui la désigne historiquement), cette visée personnelle n'a aucune valeur culturelle et se trouve polémiquement niée : "
Ces choses-là ne sont jamais réelles, elles n'accèdent à l'existence qu'entre les pubs des programmes de nuit de la télé ou le samedi en matinée, au cinéma; là, avec un peu de chance, on avait droit à deux monstres pour vingt-cinq cents et, avec un quarter de plus, à tout le pop-corn qu'on était capable d'avaler." (227)

LA CRÉATURE EST PARMI NOUS, (La créature est parmi nous) USA, 1978, 78 mn, réalisateur : Wes Craven. Interprètes : Jeff Morrow, Rex Reason, Leigh Snowden, Gregg Pamer.

"Non, ils n'avaient aucune réalité. Les monstres de la télé, du cinéma et des BD n'étaient pas réels... du moins jusqu'au moment où on allait au lit sans pouvoir dormir; jusqu'au moment où étaient sucés jusqu'au dernier les quatre bonbons que l'on avait placés sous son oreiller contre les sortilèges de la nuit; jusqu'au moment où le lit lui-même se transformait en un lac de rêves méphitiques tandis qu'au-dehors hurlait le vent et que l'on redoutait de regarder vers la fenêtre de peur d'y voir un visage, un ancien visage ricanant qui n'aurait pas pourri mais se serait desséché comme une feuille, les yeux réduits à deux diamants enfoncés au plus creux d'orbites ténébreuses; jusqu'au moment où l'on voyait une main noueuse comme une patte de rapace tenant..." etc (222)

"
Ça descendait à toute allure le rideau arachnéen de sa toile, araignée de cauchemar venue d'au-delà du temps et de l'espace, d'au-delà de ce qu'aurait pu imaginer l'esprit enfiévré du dernier des pensionnaires de l'enfer. (...) Cette forme ne fait pas partie de celles que Ça a puisées dans nos esprits; c'est simplement la plus proche de celles que nos esprits peuvent concevoir comme étant celle des lumières-mortes, de Ça, sa vraie forme." L'Araignée est la forme qui cache celle inconcevable du Ça dissimulé.

TARANTULA, USA, 1955, 80 mn., n.b. Réalisateur : Jack Amold. Interprètes : Mara Corday, John Agar, Leo G. Carroll, Clint Eastwood. Un savant se Iivre à des expériences qui vont aboutir à la création d'un monstre.

"Ça avait peut-être cinq mètres de haut et était aussi noir qu'une cuisse de culturiste. Ses yeux étaient des rubis à la lueur malveillante, dépassant d'orbites remplies d'un fluide couleur de chrome. Ses mandibules en cisailles s'ouvraient et se refermaient, s'ouvraient et se refermaient, bavant de longs rubans rubans d'écume. Pétrifié d'extase et de terreur, oscillant aux limites de la plus complète démence, Ben observa avec un calme d'oeil au milieu du cyclone que cette écume était vivante; elle heurta les dalles crasseuses du sol et se mit à progresser dans les fissures avec un tortillement de protozoaire. (...)
Son corps était recouvert d'une épaisse toison et Ben vit que Ça possédait un dard assez long pour empaler un homme. Un fluide clair en dégoulinait, fluide également vivant; comme la salive, le poison du dard s'infiltrait dans les fissures du sol en se tortillant. Son dard, oui... mais en dessous, son ventre faisait un renflement grotesque, traînait presque sur le sol que Ça venait de gagner." (1025)

Comme le jeune Eddie assassiné par Ça, qui s'est transformé en créature du Lagon Noir
: "La chose avait un groin allongé et plissé ; un liquide verdâtre s'écoulait d'entailles noires qui dessinaient des sortes de bouches verticales dans ses joues. Elle avait des yeux blancs gélifiés et des mains palmées dont les doigts se terminaient par des griffes comme des rasoirs. Elle produisait un bruit de respiration pétillant de bulles. Quand elle vit qu'Eddie la regardait, ses lèvres d'un vert noirâtre se retroussèrent sur d'énormes crocs en un sourire mort et vide.
Elle se dandinait derrière lui, dégoulinante, et brutalement, Eddie comprit. Son intention était de l'amener dans le canal, de l'emporter dans les ténèbres humides du passage souterrain du canal. Et là, de le manger.
(...)
Il regarda derrière lui et vit la Créature s'incliner, ses yeux comme des oeufs pochés luisants, ses écailles laissant couler une bave couleur d'algue, ses ouïes s'ouvrant et se refermant au rythme du gonflement de son cou et de ses joues." (264/5)

"Dans la seconde qui précéda l'instant où les mains cornées de la créature empestant le poisson se refermèrent sur sa gorge, il lui vint une pensée réconfortante : ce n'est qu'un rêve; la Créature n'existe pas, Le Lagon noir n'existe pas non plus, c'est une invention du cinéma, et puis même, c'est en Amérique du Sud ou en Floride, un coin comme ça. (...) «Tu... n'es pas... réel», souffla Eddie en s'étouffant; mais les nuages crépusculaires se refermaient sur lui, maintenant, et il se rendit vaguement compte que la Créature était bel et bien réelle. Après tout, elle était en train de le tuer.

Et cependant, il lui resta jusqu'à la fin un fond de rationalité : tandis que la Créature enfonçait ses griffes dans la chair tendre de son cou et que sa carotide laissait jaillir, sans douleur, un jet chaud qui alla arroser les plaques écailleuses, les mains d'Eddie continuèrent de chercher à tâtons, dans le dos du monstre, la fermeture à glissière. Elles ne retombèrent que lorsque la Créature arracha la tête au tronc avec un grognement de satisfaction." (265/6) La recherche de la fermeture Éclair dans le dos du monstre qui tue rejoint la rationalité inefficace submergée par une réalité autre.

CREATURE FROM THE BLACK LAGOON (L'étrange créature du lac noir), 1954, 79 mn., film en relief n.b. Réalisateur : Jack Amold. Interprètes :Richard Carlson, Julia Adams, Ricou Browning. Richard Denning. Par leurs recherches, des explorateurs provoquent la colère d'un monstre préhistorique caché dans les eaux amazoniennes.

L'expression est utilisée par King dans Anatomie de l'horreur. King enfant regardait le film de Jack Arnold de 1954 L'Étrange Créature du lac noir, créature guère convaincante, jouée par Ricou Browning, cascadeur aquatique réputé, vêtu d'une tenue en latex à l'allure du monstre. Ce jour-là, l'emprise a été totale et le jeune Steve, captivé par l'action, n'a trouvé aucune imperfection. Mais ce n'est pas toujours le cas: "Quand on regarde un film d'horreur, le seul processus mental qui suffit à rompre le charme, c'est quand un copain vous murmure à l'oreille : «T'as vu la fermeture Éclair sur le dos du monstre?»" (Ana, 119).

"
Il faisait une agréable journée ensoleillée avec une légère brise. Claquant des doigts, Richie descendait Center Street en direction de l'Aladdin tout en chantonnant Rockin' Robin. Il se sentait bien. Il se sentait toujours bien quand il allait au cinéma; il aimait ce monde magique de rêves." (345)

 

Le cinéma l'Aladdin.

La caissière et l'horreur.

"Les gosses faisaient la queue au guichet de l'Aladdin, leur pièce de vingt cents à la main, puis entraient dans la salle. Regardant à travers les portes vitrées, Richie vit une foule de jeunes agglutinés autour du comptoir à friandises. La machine à pop-corn était en sur-régime et débitait cornet sur cornet. Pas de Ben.
«Peut-être est-il déjà entré, suggéra Beverly.
- Il a dit qu'il n'avait pas d'argent. Et c'est pas
la Fille de Frankenstein, là, qui le laisserait entrer sans billet», répondit Richie avec un geste du pouce en direction de Mrs. Cole, qui avait commencé à vendre des billets à l'Aladdin au temps du muet. Ses cheveux, teints en rouge éclatant, étaient tellement clairsemés que l'on voyait la peau de son crâne; elle avait d'énormes lèvres pendantes qu'elle barbouillait d'un rouge à lèvres violacé; de féroces taches rouges recouvraient ses joues, et ses sourcils étaient passés au crayon noir." (350)

FRANKENSTEIN'S DAUGHTER, (La Fille de Frankenstein) USA. 1959, 85 mn. Réalisateur : Richard Cunha. Interprètes : John Ashley, Sandra Knight, Harold Lloyd Jr. Frankenstein transforme une jeune fille en robot qui devient un monstre la nuit.

"« Bonjour-bonjour, chère madame, fit Richie (voix du baron Trouduc). Je souhaiterais procéder à l'achat de trois billets pour ce spectacle si typiquement américain.
- Pas de baratin et dis -moi ce que tu veux, petit!» aboya Tranches-de-Foie à travers le rond découpé dans la vitre. Quelque chose dans la façon qu'elle avait d'abaisser et de soulever ses sourcils mit Richie tellement mal à l'aise qu'il se contenta de pousser un billet tout froissé d'un dollar dans le guichet et de grommeler : « Eh bien, trois places.
- Ne faites pas les idiots, ne jetez pas les cornets de pop-corn, ne criez pas, ne courez pas dans le hall et les allées, dit-elle en lui rendant vingt-cinq cents, tandis que les billets jaillissaient de la fente."
(25)

"Le balcon était parfait. Pendant la première bobine de Frankenstein Junior, Richie repéra Henry Bowers et sa bande de tordus, juste au deuxième rang, comme il l'avait prévu. Ils étaient cinq ou six en tout, (...) leurs bottes de moto sur les dossiers de la première rangée. Foxy venait, leur disait de les mettre à terre; ils obtempéraient. Dès qu'il avait tourné le dos, les bottes réapparaissaient. Dix minutes plus tard, la comédie recommençait. Foxy n'avait pas le courage de les vider, et ils le savaient.
Les films étaient vraiment bien, le
Jeune Frankenstein était convenablement balourd. Le loup-garou adolescent faisait davantage peur... peut-être parce qu'il avait quelque chose de triste. Certes il avait été victime de l'hypnotiseur, mais c'était à cause de la rage et des mauvais sentiments qu'il avait en lui qu'il s'était transformé en loup- garou. Richie se demanda s'il y avait beaucoup de personnes comme ça, dissimulant d'ignobles sentiments. Bowers débordait de tels sentiments, mais ne se souciait guère de les cacher.
Beverly était assise entre les garçons, mangeait du pop-corn dans leurs cornets, criait, se cachait les yeux, riait parfois. Quand le loup- garou se mit à poursuivre la jeune fille, elle enfouit son visage dans le bras de Ben, et Richie entendit distinctement le hoquet de surprise qu'il eut, en dépit des hurlements des deux cents gosses du parterre.
Finalement, le loup-garou fut tué. Dans la dernière scène, un flic déclarait solennellement à un autre flic, que cet exemple devrait montrer aux gens qu'il il ne vaut mieux pas jouer avec ce qui relève de Dieu. Le rideau tomba, les lumières s'allumèrent. Il y eut des applaudissements. Richie goûtait un bonheur sans mélange, si ce n'était un léger mal de tête ; il allait de nouveau falloir rendre visite au toubib-pour-les-yeux et changer de verres. Quand il entrerait au lycée, c'est des culs de bouteille qu'il allait avoir devant les mirettes, pensa-t-il, morose."
(354)

 

THE REVENGE OF FRANKENSTEIN (La Revanche de Frankenstein), GB, 1958, 91 mn. Réalisateur : Terence Fisher. lnterprètes : Peter Cushing, Francis Matthews, Lionel Jeffries. Frankenstein échappe à la guillotine et ouvre un cabinet médical. Il est démasqué par son assistant...

Une autre séance.

"Richie, Ben et Beverly Marsh se trouvèrent face à face non pas avec un monstre, mais avec deux, un samedi. Ils payèrent même pour cela (Richie, du moins, paya). Ces deux monstres étaient certes effrayants, mais nullement dangereux, car ils poursuivaient leurs victimes sur l'écran du cinéma Aladdin tandis que Richie, Ben et Beverly assistaient à leurs exploits depuis le balcon.
L'un des monstres était un loup-garou, joué par Michael Landon. Il était chouette, car même quand il devenait le loup-garou, il conservait sa coupe de cheveux en catogan. L' autre était cette espèce d'affreux branleur, joué par Gary Conway, ramené à la vie par un descendant de Frankenstein, qui jetait en pâture tout ce qu'il ne gardait pas à des alligators installés dans son sous-sol. Également au programme : des actualités avec les dernières modes de Paris et la plus récente explosion au décollage d'une fusée Vanguard à Cape Carnaveral, deux dessins animés, et
BIENTÔT SUR NOS ÉCRANS. Avec entre autres
J'ai épousé un monstre venu de l'espace et The Blob, que Richie inscrivit immédiatement sur ses tablettes." (340)

40 ans plus tard, Aladdin est toujours debout. Mais on veut le détruire : "«Pour faire encore une banque?» demanda Bill, moitié amusé, moitié stupéfait à cette idée. Il n'arrivait pas à imaginer que quelqu'un de bon sens ait pu envisager la destruction de ce dôme majestueux avec son grand lustre de verre, son escalier à double révolution conduisant au balcon, et son rideau de scène titanesque, qui, au lieu de s'ouvrir en deux au début du spectacle, s'élevait en plis magiques allant s'empilant, tandis que des projecteurs le paraient d'en-dessous de toutes les couleurs et que les poulies, dans les coulisses, cliquetaient et grinçaient. Non, pas l'Aladdin! protesta-t-il en lui-même. Comment pouvait-on envisager une seconde de détruire l'Aladdin pour construire une BANQUE à la place?" "Ils avaient tous les papelards du conseil municipal, les autorisations, tout. Mais une bande de types a formé un comité - des gens qui vivaient à Derry depuis longtemps - pour préparer des pétitions, organiser des marches et faire un tel raffut, qu'il a fallu organiser une séance publique du conseil." (466) C'est Mike Hanlon, bibliothécaire, ancien du Club des Ratés qui a organisé la protestation.

DRACULA, USA. 1935. 75 mn, nb. Réalisateur : Tod Browning. Interprètes : Bela Lugosi, Helen Chandler, David Manners, Dwight Frye, Frances Dade, Edward Van Sloan D'après le roman de Bram Stoker. Un jeune homme se rend en Transylvanie pour rencontrer le comte Dracula qui veut acquérir une demeure en Angleterre. Le comte va s'éprendre de la fiancée du voyageur.

"Le clown avait disparu. A sa place se tenait Dracula, mais pas le Dracula du film - ni Bela Lugosi, ni Christopher Lee, ni Frank Langella ou aucun autre. Une chose vaguement humaine à la figure tordue comme une racine, mortellement pâle, les yeux rouge-mauve comme des grumeaux de sang, le regardait du palier de l'escalier de gauche. Sa bouche s'ouvrit toute grande et révéla une double rangée de lames Gillette enfoncées dans les gencives sous des angles divers; on avait l'impression d'être en face d'un labyrinthe de miroirs dans lequel le moindre faux pas pouvait être mortel.
La chose poussa un cri strident et referma brusquement ses mâchoires. Du sang noirâtre se mit à couler de sa bouche, des fragments de ses lèvres entaillées tombèrent sur la soie blanche étincelante de sa chemise de soirée et laissèrent en glissant des traînées d'escargot sanguinolentes."
(529)

HORROR OF DRACULA (Le cauchemar de Dracula), 1958. 82 mn. Réalisateur : Terence Fisher Interprètes : Christopher Lee, Peler Cushing, Michael Gough. Melissa Stribling.

Ainsi Mike, qui a vu la veille au soir à la télé le film Rodan12 (276) se voit agressé par un oiseau gigantesque : "L'oiseau ne ressemblait pas à Rodan, mais il sentait que c'était le même esprit qui venait de jaillir de la fosse." (280) Et, preuve qu'il s'agit bien d'un avatar de Ça, sur la langue de l'oiseau "étaient posés un certain nombre de pompons orange." (283) En fait, la peur de Mike ne vient pas seulement du film de la veille : "Il ne s'en souvenait pas consciemment, mais sa mère aurait pu lui dire d'où venait l'oiseau qu'il avait vu aux aciéries. Alors qu'il n'avait que six mois, elle l'avait laissé endormi dans son berceau, d'un côté de la cour, pendant qu'elle étendait draps et couches sur le fil à linge. Elle avait accouru à ses cris. Un gros corbeau s'était posé sur le rebord du berceau et picorait le bébé comme une créature diabolique dans un conte de fées. Il hurlait de souffrance et de terreur, incapable de chasser l'oiseau qui avait senti la faiblesse de sa proie. (...) Le souvenir était resté enfoui dans la mémoire profonde de l'enfant - bébé minuscule, oiseau gigantesque - et lorsque Ça l'avait attaqué, Mike avait vu de nouveau le monstre d'autrefois." (991)

"
Et soudain lui revint à l'esprit le seul film d'horreur qui lui eût jamais réellement fait peur quand il était gosse, peut-être à cause de tous les emmerdements que lui valaient ses lunettes et du temps passé à s'occuper de ses yeux. Il s'agissait de L'oeil qui rampe, avec Forrest Tucker. Pas fameux. Les autres gosses avaient hurlé de rire, mais lui n'avait même pas souri. Il était resté de marbre et muet, pour une fois incapable de faire appel à l'une de ses voix, tandis qu'un oeil gélatineux bardé de tentacules surgissait du brouillard synthétique d'un studio de cinéma anglais. La confrontation avec cet oeil avait été catastrophique; il incarnait de multiples peurs et angoisses pour Richie. Peu de temps après, une nuit, il avait rêvé qu'il se regardait dans un miroir et enfonçait une grosse aiguille dans l'iris de son oeil, lentement, sentant un écoulement aqueux et paralysant au fond de son orbite remplie de sang. Il se rappelait (oui, il se le rappelait, maintenant) s'être réveillé pour découvrir qu'il avait mouillé son lit. Qu'il se soit senti soulagé et non pas honteux devant son incontinence nocturne prouve à quel point le cauchemar avait été épouvantable pour lui; il s'était accroché au drap mouillé de tout son corps, bénissant la réalité de ce qu'il voyait."

THE MUMMY (La malédiction des Pharaons), GB,1959, 88 mn. Réalisateur : Terence Fisher. Interprètes : Christopher Lee, Yvonne Furneaux. Peter Cushing. Malgré de nombreuses mises en garde, des archéologues violent la sépulture sacrée de Ia princesse Ananka.

"La momie! Oh, mon Dieu, c'est la momie! fut sa première pensée, accompagnée d'un tel sentiment d'horreur qu'il dut étreindre le parapet du pont pour ne pas s'évanouir. Bien sûr, ce n'était pas la momie, ce ne pouvait pas être la momie. Des momies égyptiennes, il en avait tant qu'on voulait, il le savait, mais sa première pensée avait été qu'il s'agissait de la momie, le monstre poussiéreux joué par Boris Karloff dans ce vieux film qu'il avait vu le mois dernier à la télé - il s'était même couché très tard pour ça.
Non, ça ne pouvait être cette momie-là, les monstres de cinéma n'existent pas, tout le monde sait cela, même les petits enfants."
(220)

Ça se transforme ainsi successivement en lépreux, en momie, "
avec des effluves de cannelle et d'épices, de suaires pourrissants imprégnés de drogues étranges, de sable et d'un sang si vieux qu'il s'était desséché en granules de rouille..." (220), en Créature du Lagon Noir qui assassine le jeune Eddie.

Mort-vivant
"C'était le Roteur mais aussi le lépreux, une créature hideuse sortie de son tombeau humide après des années. La chair de son lourd visage pendait en lambeaux putréfiés. Une de ses orbites était vide. Des choses grouillaient dans sa chevelure. Il tenait à la main un gant de base-ball couvert de mousse. Il passa les doigts pourrissants de son autre main à travers les trous de la grille de métal, et quand il les replia, Eddie entendit un ignoble bruit de liquide qui giclait, le tendant presque fou. (...)
Le visage du Roteur se transforma. Le nez bulbeux et gélatineux s'effondra, révélant les deux conduits sanguinolents qu'Eddie avait vus dans ses rêves. Ses cheveux s' épaissirent et reculèrent sur ses tempes, prenant une couleur de toile d'araignée. La peau en couverte d'une membrane muqueuse, comme le verre trouble d'une lampe-torche." (539)

 

THE CURSE OF THE WEREWOLF, (La nuit du loup-garou), GB, 1961, 91 mn. Réalisateur Terence Fisher. Interprètes Clifford Evans. Oliver Reed, Yvonne Romain, Catherine Feller, Anthony Dawson. Un homme, qui a du sang de loup, lutte pour maîtriser le monstre qu'il sent naître en lui.

Ça apparaît sous la forme d'un loup-garou parce que Richie, dans sa peur, l'a vu ainsi : "C'était comme dans un film d'horreur et pourtant pas vraiment. La momie lui avait paru différente, à certains points de vue... des points de vue qui confirmaient sa réalité fondamentale. Il en allait de même avec le loup-garou : de cela il pouvait en témoigner. (...) Il avait plongé les mains dans les crins ébouriffés de son pelage, il avait aperçu une petite lueur orange maléfique (comme un pompon!) briller dans l'un de ses yeux verts. Ces choses étaient... comment dire? des rêves concrétisés. Et une fois que de tels rêves accédaient à la réalité, ils échappaient à la maîtrise du rêveur et acquéraient une autonomie mortelle leur permettant d'agir indépendamment." (844/5) Les émotions humaines ont une force telle que la peur peut, par participation, revêtir une réalité en dehors de l'esprit humain qui l'a éprouvée. Certains ont peur des fantômes, et leurs fantômes imaginaires deviennent réels. L'enfant, qui regarde la nuit le vêtement accroché à la porte de son placard, peut trouver que sa forme ressemble à celle d'un monstre. Et tant qu'il pense cela, il y a un monstre à la porte du placard. Quand il s'imagine entendre le bruit d'une respiration dans le noir, la respiration devient réelle, avec l'image particulière qu'elle évoque, et tant qu'il en a peur, l'objet évoqué par l'image conservera une existence réelle.

Parfois ces transformations auraient un aspect risible si elles n'étaient pas terrifiantes. Richie a vu un loup-garou le samedi précédent, sur l'écran du cinéma Aladdin. "
Sauf que ce n'était pas Michael Landon13, le visage grimé, le corps couvert d'une fausse fourrure. C'était bien réel." (373) Le loup-garou a la veste d'écolier de Landon; mais elle ne comporte aucun système de fermeture : "Au lieu de cela, il y avait ces espèces de gros boutons orange, duveteux comme des pompons. Le deuxième détail était encore pire; il fut sur le point de lui faire perdre connaissance, ou du moins, il faillit s'abandonner au monstre et se laisser tuer. Un nom, cousu avec du fil d'or, apparaissait sur le revers de la veste - le genre de truc qu'on peut se faire faire chez Machen's pour un dollar si la fantaisie vous en prend.
Sur la partie gauche et ensanglantée de la veste, tachés mais lisibles, figuraient les mots RICHIE TOZIER."
Son nom. (376)

Savoir.
Certains objets tirent leur vertu de la tradition du genre, comme des moyens connus de lutte contre certains monstres : "
Que faire pour se débarrasser d'un monstre?
D'après les films, lui tirer dessus une balle d'argent était une solution radicale."
(684) Que les balles d'argent soient efficaces est une conviction bien ancrée : "Pour tout ce qui est loups-garous, vampires et autres entités qui ne rôdent qu'à la lumière des étoiles, c'est de l'argent qu'il faut, du bon argent. Il faut de l'argent pour arrêter un monstre." (174) Mais est-on bien certain que le truc fonctionne toujours? "Les gosses qui fondent des balles d'argent, c'est des trucs romanesques, des trucs de BD, même... en un mot, que c'était que dale. Bien sûr, ils pouvaient toujours essayer. Dans un film, ça marcherait, ouais. Mais..." (704) Au delà du doute, ils y croient et fondent eux-mêmes les balles. Qui obtiennent le résultat voulu : "La bille d'argent avait été efficace parce qu'ils partageaient tous les sept la conviction absolue qu'elle le serait. Mais elle n'avait pas tué Ça. Et la prochaine fois, Ça se présenterait sous une autre forme, sur laquelle les billes d'argent seraient sans aucun pouvoir." (844/5) Procédé efficace, mais puissance redoutable. Il faudra essayer autre chose.

 

"Ben eut l'impression qu'il pouvait devenir fou; il s'imaginait un grillon géant tapi derrière la porte, comme dans ces films où la radioactivité transforme les insectes en animaux géants - The Beginning of the End, peut-être, ou The Black Scorpion, ou encore celui sur les fourmis qui envahissent les égouts de Los Angeles. Il aurait été incapable de courir." (833)

Imagination.
Ces divers faits sont l'oeuvre de Ça, qui «hante» la petite ville de Derry, apparu la première fois dans le roman sous la forme d'un clown : "
George se pencha et regarda de nouveau. Il n'en croyait pas ses yeux; c'était comme dans un conte de fées, ou comme dans ces films où les animaux parlent et dansent. Il aurait eu dix ans de plus, il serait resté incrédule : mais il avait six ans, et non seize.
Un clown se tenait dans l'égout.
(...) Un clown, comme au cirque, ou à la télé. (...) Le visage du clown était tout blanc; il avait deux touffes marrantes de cheveux rouges de chaque côté de son crâne chauve et un énorme sourire clownesque peint par-dessus sa propre bouche.
Il tenait d'une main un assortiment complet de ballons de toutes les couleurs, comme une corne d'abondance pleine de fruits mûrs."
(23/4) Le clown est habillé d'un ample vêtement avec des gros pompons orange en guise de boutons, et porte des gants de dessins animés.

Sentiments éprouvés
"
«Nom d'une pipe, Meule de Foin, j'ai bien cru que tu t'étais dégonflé. Tu vas voir, mon vieux, ces films vont bien te faire perdre cinq kilos et à la fin t'auras les cheveux tout blancs! Et tu vas tellement trembler de frousse qu'il faudra une civière pour te sortir." (351)

"George s'imaginait maintenant que son bateau était une vedette lance-torpilles comme celles qu'il voyait dans les films de guerre au cinéma de Derry le samedi en matinée, avec son frère. John Wayne contre les Japs." (17)

"Bill était bon. Stupide de penser une chose pareille (il la sentait d'ailleurs davantage qu'il ne la pensait), mais le fait était là. Bonté et force semblaient émaner de Bill. Il était comme le chevalier d'un de ces vieux films." (360)

Films également cités dans Ça :
Godzilla (558)
Golem (998)
Dents de la mer (574)
Graine de violence (231, 914)
Alien (1021)

Roland Ernould, © août 2000.

Ces opinions n'engagent que leur auteur, qui reçoit avec reconnaissance toutes les remarques qui pourraient lui être faites.

Références des films : Cinéguide, 20.000 films de A à Z, par Eric Leguèbe, édition 1997, © Omnibus.
Mes plus vifs remerciements à Gérard
Mangin, auteur du livre : Affiches du cinéma fantastique, 1990 et à son éditeur © Henri Veyrier.

notes :

 1 "Je considère cette idée comme totalement spécieuse - de tels jugements psychologiques à l'emporte-pièce sont aussi sérieux à mes yeux que l'horoscope des quotidiens." (Ana, 102)

2 La troisième expédition (Mars is Heaven), nouvelle des Chroniques Martiennes (The Martian Chronicles, 1951), Denoël, 1960.

3 "La radio, bien entendu, est le media «aveugle» par excellence, et on sut exploiter cette cécité pour en tirer le maximum d'effets." King raconte la célèbre émission de La guerre des mondes d'Orson Welles, diffusée en 1938, soir de Halloween, de 20 h à 21 h, et la panique qui s'ensuivit. "Nos oreilles modernes, bien entendu, ont vite fait de repérer les conventions nécessaires de ce media qui ont fini par devenir obsolètes (...), mais ce sont là des conventions que le public de l' époque acceptait sans problème. (...) Parmi les conventions figure l'utilisation de la narration dans l'agencement de l'intrigue. Ainsi que la description dialoguée, une technique nécessaire à la radio mais que le cinéma et la télé ont rendue caduque."

4 King cite un extrait de narration radiophonique et le commente : "A la télé, un tel dialogue serait considéré comme risible et redondant; voire kitsch. Mais si on l'écoute dans l'obscurité, il est redoutablement efficace." (Ana, 149)

5 La firme EC (Educational Comics) s'était cantonnée à des ouvrages édifiants, comme des récits tirés de La Bible, jusqu'à la mort en 1947 de son fondateur Max C. Gaines. Son successeur se tourna alors avec succès vers la bande dessinée d'horreur et de science-fiction.

6 Harvey Kurtzman, Frank Frazetta, Wallace Wood, Al Williamson et Graham Ingels.

7"Après le départ de mon père, ma mère s'est débrouillée comme elle pouvait pour joindre les deux bouts (...). On n'a jamais eu de voiture (et on n'a eu une télé qu'en 1956), mais jamais on ne sautait un repas." (Ana, 112). Steve avait neuf ans.

8 Rod Serling, le créateur de The Twilight Line, a écrit soixante-deux épisodes sur les quatre-vingt-douze premiers et son influence a été déterminante sur l'ensemble de la série. La série compte 156 épisodes et fait figure aujourd'hui de série-culte.

9 Jack Finney, L'Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers, 1955), Le Voyage de Simon Morley (Time and Again, 1970), Denoël, Présence du Futur, nos 546) est un auteur que King a longuement médité et auquel il a emprunté un certain nombre de procédés techniques. Auteur hanté par le voyage dans le temps et les univers parallèles, il joint l'humour et la poésie à la maîtrise de la progression dramatique.

10 King cite d'autres auteurs : des nouvelles signées Frank Belknap Long (Les Chiens de Tindalos), Zelia Bishop (La Malédiction de Zig), ainsi que des textes provenant des premiers temps de la revue Weird Tales. Et deux romans d'Abraham Merritt, Brûle, sorcière, brûle! et Le Monstre de métal. F. B. Long (1903-I994), disciple et ami de Lovecraft, est un des six dédicataires de l'Anthologie de l'horreur. Lovecraft corrigea des textes de Z. Bishop (1895-?) pour la revue populaire bon marché Weird Tales imprimée sur du papier de mauvaise qualité (pulps) consacrée à la littérature fantastique et d'horreur, le légendaire Weird Tales publia de nombreux d'auteurs de premier plan, parmi lesquels H. E Lovecraft et Robert Bloch.

11 Oeuvres complètes, tome 1, Robert Laffont, collection Bouquins, ou. Denoël, Présence du Futur.

12 RODAN, Japon, 1957, n.b. 79 mn Réalisateur : Inoshiro Honda. Interprètes : Kenji Sahara, Akihro Hirata. Yumi Shirakawa. Au fond d une mine, un jour, surgit un monstre sous la forme d'une chenille géante que la police détruit. Dans les jours qui suivent, de curieux phénomènes se produisent dans le ciel.

13 I Was a Teenage Werewolf, suivi de The Curse of the Werewolf (1960), inspira à King en 1965 I Was a Teenage Robber, sa première nouvelle publiée (dans un fanzine). On notera l'importance prise par ces films d'épouvante dans l'imaginaire de King, qui les a vus quand il avait l'âge des préadolescents de Ça.

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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 # 9  : automne 2000.

 

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