UNE OEUVRE DE JEUNESSE ANNONCIATRICE.

"Quand on quitte la grand-route, il faut s'attendre
à voir quelques maisons un peu bizarres."
(186)

En 1966, King achève sa terminale à la High School de Lisbon Falls, près de Durham. Il a 18 ans. Depuis le printemps, il a commencé à écrire le premier de ses romans1 (qui ne sera que bien plus tard2 l'objet d'une publication sous le nom de Richard Bachman3). Getting It On n'était pas achevé fin 19664 lors de son entrée à l'Université du Maine à Orono. Le roman ne sera repris et terminé que quelques années plus tard, en 19715 , alors qu'il vient de se marier et a derrière lui plusieurs manuscrits achevés ou non. Son titre a changé (l'ancien était le nom d'une chanson connue quelques années plus tôt) et il porte le nom de Rage.

.. du site ..

 King retire de la vente son roman Rage aux USA

On connaît le sujet de ce court roman d'un auteur à la fin de son adolescence. Il met en scène des élèves d'une classe de terminale de l'âge de King quand il s'y trouvait. Sur fond d'anxiété et de révolte adolescente, un élève, Charlie, prend en otage ses condisciples après avoir abattu deux professeurs avec son revolver. S'ensuit un psychodrame qui s'organise sous la direction de Charlie, où les lycéens sont conduits à remettre en question les valeurs sociales admises, puis à les renier symboliquement au cours d'un acte rituel d'élimination, pour rentrer dans le rang quand Charlie aura été interné dans un établissement spécialisé.

Quand on analyse la composition et le contenu du roman sans se soucier de l'intrigue et de son évolution, on voit apparaître bon nombre de thèmes qui continueront à inspirer King dans ses oeuvres jusqu'à ce jour. C'est un recensement de ces thèmes qui est l'objet de cette étude. Ils se rapportent successivement à l'individu, l'éducation, la collectivité, la culture et divers autres aspects de moindre importance.

Photo de couverture du Maine Campus du 15 janvier 1969 : King chevelu et barbu, avec un fusil à deux canons.

King y avait sa rubrique King's Garbage Truck (le camion-poubelle de King)

LA LIGNE TERMINATRICE.

Tout est logique, tout est sain.

On sait que King est profondément marqué par la dichotomie lumière/ténèbres. Il y a en chaque homme une part obscure, soigneusement dissimulée sous de plaisantes illusions. Écoutons l'adolescent King ironiser au sujet de la «vie saine»: "On peut passer sa vie entière à se dire que la vie est logique, prosaïque, saine. Saine, surtout. Je crois que c'est vrai. J'ai eu tout le temps d'y penser. Et je reviens toujours à la dernière déclaration de Mme Underwood, quelques secondes avant sa mort: «Vous comprenez donc bien que même si l'on augmente le nombre de variables, les axiomes eux-mêmes restent valides».

J'y crois dur comme fer.
Je pense, donc je suis. J'ai des poils sur le visage, donc je me rase. Ma femme et mes enfants ont été grièvement blessés dans un accident de voiture, donc je prie. Tout est logique, tout est sain. Nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, alors passez-moi une Kent pour ma main gauche, une bière Bud pour la droite, allumez Starsky et Hutch et écoutez cette note douce et harmonieuse de l'univers qui tourne gentiment sur son orbite céleste. C'est comme Coca-Cola, c'est ça."
(39)
Mais cela n'est qu'apparences, illusions mises en place par la publicité, la télévision et les magazines grand public. Si la publicité, par nécessité, ne montre que le meilleur des choses, comme la presse du coeur ou de mode, déjà la télévision se complaît bien à nous montrer autre chose: le saignant, qui attire le lecteur comme la charogne les mouches:
"Comme le savent si bien la Warner Brothers, John Mac-Donald et l'autoroute-tombeau de Long Island, il y a un Mister Hyde caché derrière tous les joyeux lurons de Docteurs Jekyll, un visage noir de l'autre côté du miroir. L'esprit qui se cache derrière ce visage n'a jamais entendu parler de rasoirs, de prières ou de la logique de l'univers. Il suffit de tourner le miroir sur le côté pour voir votre reflet se distordre de manière sinistre, d'un air mi-sain, mi-fou. Les astronomes appellent cette ligne de démarcation entre l'ombre et la lumière la ligne terminatrice."6 .
La distinction faite entre la face sociale de belle apparence du Dr Jekyll, qui dissimule le démoniaque Mister Hyde deviendra plus tard l'opposition entre l'Apollinien et le Dionysiaque, constamment reprise depuis
7. Et ce monde dionysiaque, destructeur a a propre logique, longuement développée dans ce roman (King y reviendra plus longuement encore dans son essai Anatomie de L'Horreur: "L'univers a la logique d'un gosse en costume de cow-boy le soir d'Halloween, avec les tripes et les bonbons qu'on lui a offerts répandus sur deux kilomètres le long de la nationale 95. Ça, c'est la logique du napalm, de la paranoïa, des valises piégées portées par des crétins d'Arabes, du cancer qui frappe au petit bonheur la chance. Cette logique-là se mord la queue. Elle dit que la vie c'est un singe sur des échasses, elle dit que la vie tourne aussi follement et aussi anarchiquement que la pièce que l'on lance en l'air pour tirer au sort celui qui payera le dîner.
Personne ne regarde de ce côté sans y être obligé et je le comprends facilement. On ne s'y intéresse que si on a été pris en stop par un chauffard ivre dans une grosse bagnole, qui roule à cent soixante-dix à l'heure et commence à bredouiller que sa femme l'a fichu dehors; on s'y intéresse quand un type décide de parcourir l'Indiana et de tirer à vue sur tous les gosses à bicyclette; on s'y intéresse si sa soeur vous dit: «Je vais faire des courses, j'en ai pour cinq minutes, mon grand» et qu'elle se fait tuer dans un hold-up. On s'y intéresse quand on entend son père parler de trancher le nez de sa
mère8."(46)
C'est une partie de roulette, mais si on se plaint que le jeu est truqué, ce sont des jérémiades, c'est tout. Peu importe le nombre de chiffres, le principe de cette petite boule blanche et sautillante ne change jamais. Ne dites pas que c'est dingue. C'est normal, normal et parfaitement sain".
(46)

La peur de la folie.

C'est que King a peur de la folie et on trouvera des traces de cette phobie dans une bonne partie de son oeuvre. Sa mère, abandonnée par son père alors que Steve avait quatre ans, a dû expliquer cette attitude par une conduite perturbée: "Ton père n'avait guère de suite dans les idées."Les Pillsbury, la famille maternelle, "comme il sied à des gens de souche anglo-normande, étaient doués de sens pratique. Mon père, lui, descendait apparemment d'une longue lignée d'excentriques; sa soeur Betty était sujette à des absences répétées (ma mère la considérait comme une maniaco-dépressive"9, et elle finit ses jours dans une maison de santé.
C'est avec
Rage qu'il commencera à chercher une explication à cette folie individuelle, qui a des conséquences sur la collectivité: "L'étrange, cela n'existe pas simplement à l'extérieur. C'est en vous, en ce moment, cela grandit dans le noir comme des champignons magiques. Appelez ça la Chose de la Cave. Appelez ça le Facteur de Dégueulis. Appelez ça, les Trompettes de la Folie. Moi, j'y pense comme à mon dinosaure personnel, une créature gigantesque, décharnée et stupide qui patauge dans les marais puants de mon subconscient et ne trouve jamais, de puits à fossiles assez grand pour s'y réfugier.
Mais ça, c'est moi, et j'ai commencé à vous parler d'eux, ces brillants étudiants liés à leur fac qui, métaphoriquement parlant, sont allés acheter du lait et ont fini au beau milieu d'une attaque à main armée."
(48)

Mourir en allant chercher du lait: cette obsession le travaille. Charlie a tué deux professeurs et garde ses condisciples en otages sans trop savoir pourquoi: "
Si je savais ce qui me pousse à faire ça, je ne serais sans doute pas obligé de le faire."(68).Alors qu'il rédige son roman, il est marqué par la tuerie du Campus d'Austin10, qui vient de se dérouler au Texas. Cette image de l'extrêmiste qui fait peur, c'est l'impression qu'il veut donner plus tard sur la célèbre première page du journal de l'UMO, Maine Campus: "Il avait les cheveux longs, jusqu'aux épaules et une barbe imposante. C'était à peu près à la même époque que la sortie du film DELIVRANCE et il devait s'agir d'une parodie. Steve avait un fusil à la main sur cette photo et le pointait vers l'appareil de façon à ce que les deux canons du fusil soit au premier plan. Et il vous regardait avec un regard «sauvage». Sous la photo, on pouvait lire les mots «Study, damn it!» (NdT: Étudiez, bon Dieu!). Cette photo a été réutilisée en diverses occasions."11
Il cherche l'explication: "La Folie, c'est simplement une histoire de degrés et en plus de moi, il y a pas mal de gens qui auraient bien envie de couper des têtes. Ils vont voir des courses de stock-cars, des films d'horreur et des matches de catch à Portland."(110) Et il assiste, impuissant, à ses troubles: "Des images tourbillonnaient devant mes yeux, des centaines d'images, des fragments de rêves, des fragments de réalité. Il était impossible de les séparer les uns des autres. La Folie, c'est quand on ne voit plus les coutures qui font tenir les différentes parties du monde ensemble."(212)
D'où sa conclusion: "
Il doit y avoir une ligne de démarcation en chacun de nous, une limite très précise, comme la ligne qui sépare la face éclairée d'une planète de la Face sombre. C'est bien trouvé, comme expression, parce qu'à un moment, je perdais complètement la boule, et une seconde plus tard, j'étais froid comme un iceberg."(216)
Charlie a donné la parole aux élèves de la classe et leur a permis d'exprimer leur mal être. Lui-même y va de ses confidences: la folie certes dévastatrice, mais aussi libératrice. On se rend d'ailleurs compte qu'à la fin du psychodrame qui se produit dans la classe, Charlie n'est pas le seul élève à se trouver aux limites de l'équilibre mental et que beaucoup basculeront dans la suppression physique symbolique de celui qui les gêne. La préoccupation de cette limite, celle qui sépare l'individu considéré comme «normal» du monstre, occupera dans l'oeuvre de King une place fondamentale
12 .

Le sexe.

Pour diverses raisons, Charlie vit un maelström d'émotions venues de l'enfance, où parents et école semblent tenir une place primordiale. Il a des problèmes qu'il prétend somatiques et vomit souvent. Mais la véritable explication, sa misère sexuelle, ne viendra que plus tard, et il ne la donnera qu'en dernière instance: il a peur du sexe et ne peut plus supporter l'image qu'il a de lui-même.
Car son problème, c'est qu'il n'y arrive pas avec les filles (comme King d'ailleurs à la même époque). Il faut bien «y aller»
13! Sandra lui plaît: "Un jour, j'avais eu envie de l'inviter au Wonderland, mais je me suis dégonflé. Joe, qui avait toutes les petites amies qu'il voulait, me demandait pourquoi j'y arrivais pas; ça me rendait de plus en plus nerveux et je lui disais d'aller se faire foutre. Finalement, j'ai eu le cran de l'appeler, mais il a fallu que je raccroche après la première sonnerie pour aller vomir aux toilettes. Je vous l'ai déjà dit, j'ai l'estomac fragile."(180)
Dans une boom, où il est allé avec son copain Pete, il s'est drogué. Il rencontre une fille, Dana, qui le drague: "
Elle s'attaquait aux boutons de mon jean. Mais mon sexe était toujours à la pause-café. Elle m'a touché, en glissant la main dans mon caleçon, et les muscles ont tressauté, pas de plaisir, ni de dégoût, mais de terreur en quelque sorte. Sa main me faisait penser à du caoutchouc froid, impersonnel, aseptisé.
- Allez, elle a murmuré, allez...
J'ai essayé de penser à quelque chose de sexy, à n'importe quoi. À regarder sous les jupes de Darleen Andreissen à l'étude, qu'elle s'en rende compte et qu'elle me laisse faire. Au jeu de cartes françaises cochonnes de Maynard Quinn. J'ai pensé à Sandy Cross dans des sous-vêtements noirs, et ça a commencé à faire bouger quelque chose par là... et tout d'un coup, de toutes les choses qui sortaient de mon imagination, j'ai vu mon père avec son couteau de chasse qui parlait du nez tranché des femmes Cherokees.
Ça a suffi. Tout est retombé en chiffe molle."
(198). Malgré leurs efforts conjugués, il n'arrive à aucun résultat.
Charlie rentre chez lui déprimé: "
Je me sentais complètement abattu, mais c'était une sensation froide, sans profondeur. La froide certitude que j'étais pédé s'insinuait en moi, comme une marée montante. J'avais lu quelque part que ce n'était pas la peine d'avoir eu de véritables expériences homosexuelles pour être pédé; on pouvait juste être comme ça et ne jamais s'en apercevoir, jusqu'à ce que le démon caché dans votre placard vous saute dessus, comme la maman de Norman Bates dans Psychose, clown grotesque qui surgit pour vous passer à la moulinette, avec le maquillage de môman et les pantoufles de môman."(200).

La sexe et la mort.

À son mal de vivre, Charlie a trouvé une explication, qu'il livre à la classe: "Tout ce que je voulais, c'est qu'on me reconnaisse."(36). L'agressivité envers son père et ses professeurs vient de cette quête éperdue de reconnaissance: "Les petits garçons grandissent et se souviennent du moindre coup, de la moindre réflexion méprisante, et (...) ensuite, ils ont envie de bouffer leur père tout cru."(212). Pas seulement le père, mais aussi toute autorité qui le représente. Mais cette explication n'est pas complète. Les difficultés familiales et scolaires sont des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes.
Ce n'est qu'à la fin de la prise d'otages que Charlie, pris par le déballage de secrets sexuels de certains élèves de la classe, révèle sa vérité profonde, celle qui l'a conduit à la prise d'otages et au meurtre de deux de ses professeurs. Il est obsédé par le sexe, mais en a pathologiquement peur. Déjà instable, il se trouve complètement déséquilibré par son impuissance. La mort lui paraît la seule issue. Cette corrélation entre le sexe et la mort durera une dizaine d'années et
Marche ou Crève, avec son cortège d'associations entre le sexe et la mort, la foule qui tire une jouissance quasi-sexuelle de la mort des participants, en est l'exemple le plus proche. Mais l'intérêt pour le sexe demeurera une constante chez King14, qui se manifestera par des allusions sexuelles à propos des choses les plus inattendues. Dans Rage, les plus nombreuses concernent la masturbation: "- C'est le pied... de se branler... dans la boue... du Mississippi, j'ai chantonné, en tapant en mesure sur le tableau."(217), et de plusieurs à la masturbation en groupe (32, 145, 213, 217, 229)). Aussi les petites culottes (16/7; 33/35; 139, etc) ou le pantalon qui tombe ou la braguette ouverte, deux obsessions kingiennes vivaces, comme ici: "Ça ressemblait pas mal à la gueule d'un mec qui se rend compte tout d'un coup que sa braguette est ouverte et qui essaye de la remonter discrètement pour faire croire à une intervention divine."(88)
Les comparaisons sexuelles sont généralement disqualifiantes. Charlie commente ainsi les propos d'un flic qui entre à plusieurs reprises en communication interphonique avec lui: "
Mon père est pareil au téléphone. Un souffle lourd dans vos oreilles, on a l'impression de sentir I'odeur du scotch et des Pall Mall. Ça me paraît malsain, ça a quelque chose d'homosexuel."(159). Ou : "Même à la télé, il faisait penser à un taureau qui se prépare à monter la vache du fermier Brown dans la cour de derrière."(160). Ou encore: "Tu souffles dans les oreilles des gens. On croirait un étalon en rut, Philbrick. C'est vraiment une sale manie."(162)

Il en est de même en ce qui concerne la méfiance à l'égard des femmes, qui a fait dire à un critique que King était incapable d'en donner une image positive. Ainsi Irma, qui déclare à la classe: "
Je ne suis pas belle. Personne ne m'aime.Je n'ai jamais eu de petit ami.(...) - Arrange-toi un peu, a dit Tanis. Puis, l'air embarrassé mais toujours déterminée, elle a ajouté: Lave-toi, rase-toi les jambes, euh... et les dessous de bras. Aie l'air plus mignonne. Je ne suis pas une beauté, moi non plus, mais je ne reste pas à la maison tous les week-ends. Tu peux y arriver aussi.
- Et comment?
Quelques-uns des garçons semblaient gênés, mais les filles se penchaient en avant. Elles paraissaient compatissantes maintenant, toutes. C'étaient les confidences en pyjama que tous les mâles connaissent bien et redoutent."
(122)
Il faut bien dire que certaines éducations maternelles n'arrangent pas les choses. Un élève se plaint: "
Une fois, j'ai essayé d'avoir une tournée de journaux, mais elle [ma mère] m'a obligé à arrêter. Elle m'a dit qu'il y avait des femmes de petite vertu qui n' attendaient rien de mieux que de sauter sur les jeunes garçons quand leurs maris étaient partis!"130

Les psy et le calibrage comportemental.

Une première fois, Charlie a agressé un professeur: "Mon esprit s'en remettait totalement au niveau sonore, pour ainsi dire; le petit bonhomme qui portait le bicorne de Napoléon à l'intérieur jetait les dés et prenait les paris."(43) Le premier souci de l'administration est réussir à façonner la conscience des élèves en fonction de schémas de pensée et de modèles comportementaux socialement corrects. Et quand le produit est insuffisant, de le «recalibrer», comme elle le fait pour Charlie en lui octroyant conseils appropriés et aide psychiatrique. (32) Charlie refusera cette aide, et, de Rage à la récente nouvelle Déjeuner au Gotham Café, l'opinion de King n'a pas changé sur ce sujet: "En ce siècle de lumières, où tout le monde pense que la psychologie est un don de Dieu pour la pauvre vieille race humaine immobilisée au stade anal, et que même le président des Etats-Unis se bourre de tranquillisants avant le dîner, c'est un bon moyen de se libérer des vieilles culpabilités .judéo-chrétiennes qui nous serrent la gorge comme l'arrière-goût d'un mauvais plat dont on s' est goinfré. Si on dit que son père vous déteste depuis qu'on est gosse, on peut s' exhiber dans tout le quartier, violer, ou incendier le bureau de paris du Knights of Pythias et obtenir les circonstances atténuantes."(77)
Car le seul souci des psy, c'est la normalisation des esprits: "
Un fouilleur d'esprit, un bourreur de crâne. C'est à ça que servent les psy, mes chers voisins et amis: ils sont là pour baiser les malades mentaux et les engrosser de normalité. C'est un boulot de taureau, et ils vont à l' école pour apprendre leur métier et tous les cours sont une variation sur le thème: comment baiser les névrosés, pour le plaisir et pour le fric, pour le fric, surtout. Et si jamais vous vous retrouvez sur un de ces divans d'analyste où des milliers de personnes se sont couchées avant vous, il y a une chose que je vous conseille de ne pas oublier: quand on vous enfonce la santé mentale à coups de marteau, le fils ressemble toujours au père."(97)
Et Charlie, qui sait qu'il a "
un petit vélo quelque part là-haut, mais à part ça, tout va à merveille, merci beaucoup"(47), implore directement la divinité psy: "Allez, lis dans mes pensées, Sigmund. Arrose-les du sperme des symboles et fais-les grandir. Montre-moi que je suis différent, disons d'un chien enrage ou d'un tigre assoiffé de sang. Montre-moi l'homme qui se cache derrière mes rêves érotiques. (...) Au sens symbolique, M. Grace était le Découvreur de la Route de l'Ouest. Un taureau muni d'une boussole."(101)
Lors d'une longue discussion, et en utilisant la dissuasion armée, Charlie viendra à bout du psy et le piégera: "
M. Grace avait l'air d'un petit enfant malheureux et désespéré. Par ma faute, il s'était fait enculer avec son propre instrument, comme dans l' une de ces étranges expériences qu'on relate dans le Courrier de Penthouse. J'avais fait tomber son masque de sorcier, et il devenait humain."(107)

L'ÉDUCATION.

C'est forcément tes parents.

Des explications à la situation, Charlie -ou le jeune King?- en a et il va habilement les suggérer. Dans les propos des élèves, on trouve la dénonciation des déficiences parentales et éducatives. En utilisant les théories psychanalytiques alors à la mode, King va d'abord développer la thèse de la responsabilité parentale, l'évolution affective de l'enfant gâchée par des conditions familiales mauvaises, carence des parents, espoirs placés trop haut, éducation castratrice comme on en a vu un exemple avec l'interdiction de la tournée de journaux: "C'est tes parents. C'est forcément tes parents (...). C'est ce qu'on dit toujours dans les livres de psychologie", dit une élève "avec une joyeuse insouciance."(69) Officier de marine15, souvent absent, le père de Charlie est du genre à croire de bonne foi qu'il est de son devoir d'imposer comme modèle à son fils un type d'adulte pur et dur, à la voie toute tracée. Un jour, il l'a emmené à la chasse pour l'endurcir: "Un épisode de plus dans l'infatigable campagne de mon paternel pour Faire De Son Fils Un Homme."(20) Il vomit quand son père dépèce un cerf tué: "Il me regardait, il n'a rien dit, mais je pouvais lire le mépris et la déception dans ses yeux."(27).

Leurs relations ne seront jamais bonnes: "C'est mon père qui avait monté la tente, et tout ce qu'il faisait était trop tendu, pas de jeu, nulle part..."(74). La devise de son père, "c'est «Que tout soit propre, que tout marche». Si un oiseau chie sur le pare-brise, il faut nettoyer ça avant que ça ait eu le temps de sécher. Voilà comment mon père voyait la vie, et moi, j'étais la merde de l'oiseau sur le pare-brise."(78).
Son père le traite de "
fils à maman"(79) et il y a du vrai: sa mère est protectrice, prend sa défense contre son père, lui donne du chocolat alors qu'il a cassé des carreaux et devrait être puni, le cajole, partage son lit avec lui en l'absence du père. Elle est à l'antithèse de son époux. Elle ne prend malheureusement pas en charge ses problèmes éducatifs. King suggère le complexe d'Oedipe...(73/74; 201) Adolescent, Charlie en viendra aux mains avec son père (220 sv )

Pour d'autres, dont le père n'est pas là, ce n'est guère mieux, comme l'indique la longue plainte de Cra-Cra à l'égard de sa mère: "
Vous savez ce que c'est son truc? A côté de ses dîners de merde où on vous donne des hamburgers et une barquette en carton de carottes râpées en gelée? Hein? Elle fait des concours. C'est sa passion. Des centaines de concours. À longueur de temps. Elle s'abonne à tous les magazines féminins et c'est le grand jeu. Pourquoi elle aime Rinso pour ses lavages délicats en vingt-cinq mots ou moins. Ma soeur a eu un petit chat une fois, mais maman ne l'a pas laissée le garder. (...) Elle l'a noyé dans la baignoire parce que personne voulait le prendre. Lilly l'a suppliée de l'emmener chez le vétérinaire pour qu'on lui fasse une piqûre, mais maman a dit que quarante balles pour une piqûre ça valait pas le coup pour un petit chat de merde. (...)
Vous croyez qu'elle m'achèterait une nouvelle chemise? Pour mon anniversaire peut- être. Je lui ai dit: « M'man, tu devrais entendre comment les autres me traitent, pour l'amour du ciel! » J'ai même pas d' argent de poche. Elle dit qu'elle en a besoin pour les timbres de ses concours à la con. (...) Elle m'a forcé à vendre ma voiture. La vieille Dodge que mon oncle m'avait donnée quand j'ai eu mon permis. J'ai refusé, j'ai dit que c'était tonton Fred qui me l'avait offerte et que je la garderais. Elle m'a répondu que si je voulais pas la vendre, c'est elle qui le ferait. Elle avait signé tous les papiers, officiellement, c'était elle. Elle voulait pas que je colle une fille enceinte sur le siège arrière. Moi! Mettre une fille enceinte sur le siège arrière! C'est ça qu'elle a dit. (...) Moi ! Ah, ah! Mon dernier rencart avec une fille, ça remonte au pique-nique de la quatrième. Je lui avais dit que je voulais pas vendre la Dodge. Elle m'a dit que de toute façon, j'obéirais. Et j'ai fini par la vendre. J'étais sûr qu'elle finirait par m'avoir. Impossible de se battre avec elle. Elle a toujours le dernier mot.(...) - Elle vous écrabouille, vous écrabouille, vous écrabouille, et elle gagne à tous les coups."(129/31)
Le déballage prend parfois un caractère terrifiant, annonçant la formule: les monstres, ce sont les hommes
16. Ainsi un fils traite sa mère devenue alcoolique de "sale pocharde", parce qu'elle a contrarié sa carrière sportive (92). La seule qui a une opinion positive de sa mère est la fille que l'on accuse d'être une fille de «pute» parce que sa mère a mauvaise réputation: "Ma mère est une baiseuse, elle a dit, et je l'aime."(120)

Les copains? Ce n'est gère mieux. En avoir un vrai est déjà remarquable: "
J'étais plus fort que Joe pour ce qui touchait à la matière grise, mais lui, il était plus fort que moi pour se faire des amis. La plupart des gosses se fichent pas mal de vos facultés intellectuelles; ils en donneraient pas cent sous, et le type avec un gros Q.I. qui ne sait pas jouer au base-ball ou alors qui arrive troisième au concours de masturbation entre potes, c'est la cinquième roue de la charrette pour tout le monde. Mais Joe appréciait ma matière grise, lui."(144)

La toile d'araignée gluante de Notre Mère Éducation.

Les premières manifestations d'opposition ont visé le père, mais elles débordent ensuite de ce cadre. Tout ce qui est institutionnalisé -école et société- est mis en cause et rejeté. Aller en classe, c'est passer "une nouvelle journée dans la merveilleuse toile d'araignée gluante de Notre Mère Éducation."(18) Sa sécurité intérieure mal assurée, doutant de soi, Charlie a la réaction de beaucoup d'élèves: la soumission et la peur. Et puis un jour, il éclate. Le professeur de chimie17 l'interroge et se moque de lui: il lui tient tête et l'agresse. (216)
Dès lors cette peur est toujours ressentie, mais Charlie éprouve maintenant le besoin d'aller jusqu'au bout de lui-même, de s'affirmer sans hypocrisie. Et quand il a pu assumer cette peur, il devient capable de dominer à son tour sans état d'âme. Et au directeur du lycée, qui l'a convoqué, il tient tête: "
Je n'ai plus envie d'écouter de sermons. C'est de la merde. (...) J'en ai marre de vous, de Mr Grace [le psy] et de tous les autres. Avant, vous me faisiez peur. Maintenant, vous me fatiguez en plus. Et j'ai décidé que je n'avais aucune raison de vous supporter. Je suis comme ça. Je ne supporte pas, c'est tout."(30/2) Charlie, qui se sent rejeté, fait preuve d'une agressivité proportionnelle à l'incompréhension dont il se croit l'objet.
Il refuse d'être un nom dans un système bureaucratique où, comme pour son père, rien ne doit dépasser. Il trouve l'audace de s'exprimer sans fard au principal: "
Je t'aime pas beaucoup, Tom, tu t'en es sûrement déjà aperçu, mais jusqu'à présent, tu ne t'es guère intéressé à ce que je ressentais, pas vrai? Mais maintenant, je suis sorti de tes dossiers, Tom, t'as pigé? Je ne suis plus un dossier que tu peux classer à trois heures de l'après-midi. Compris? (...) Avant que la journée soit terminée, nous allons tous comprendre la différence entre des gens et une liasse de papiers dans un dossier, la différence entre être un faux-cul et se faire enculer. Qu'est-ce que tu penses de ça, mon gros Tommy?"(63/4) De persécuté, il devient persécuteur.
Former des élèves soumis, cet objectif atteint peut-être plus encore les meilleurs, comme cette fille, la meilleure élève de la classe: "
Elle a ouvert la bouche comme pour protester, mais se souvenant peut-être de ses responsabilités de prix d'excellence et d'Eclaireur du Monde occidental, elle a aussitôt refermé la bouche."(162) Au cours de sa détention d'otages, Charlie, -bien qu'il ne voit pas clair dans ses motivations-, va péniblement essayer de faire comprendre à ses condisciples que derrière la façade respectable de l'institution scolaire, il y a des forces puissantes qui ne cherchent qu'à ôter le libre-arbitre de chacun.

Le conformisme.

Fabriquer à la chaîne des citoyens modèles. D'abord par la retenue et le contrôle strict de la sexualité. On vient de le voir, même les élèves les plus brillants sont mus par des valeurs officielles et préétablies. La bonne élève qui s'était tue tout à l'heure se décide à parler: "Oh... ça fait rien, a répondu Carol. Je vais vous le dire.
C'était à mon tour d'être surpris. Toute la classe attendait impatiemment. Je me demandais ce qu'ils espéraient: un cas de nymphomanie exacerbée ou alors le récit des « Dix nuits à la chandelle». Ils allaient sûrement être déçus, quelle que soit leur attente. Pas de fouets, pas de chaînes, pas de sueurs nocturnes. Une pucelle de province, insolente, intelligente, jolie, qui quitterait peut-être un jour Placerville pour vivre sa vie. Parfois, ce genre de filles changent à l'université. Certaines découvrent l'existentialisme, l'anomie et le haschisch. Parfois, elles se contentent d'adhérer à une sororité et poursuivent le rêve qu'elles ont commencé au lycée, un rêve si banal pour les jeunes pucelles de province qu'on le croirait découpé dans un patron de Modes et Travaux, comme une robe chasuble ou votre ravissant chemisier pour l'été ou encore la jupe campagnarde. Il y a une sorte de malédiction sur les filles et les garçons brillants. S'ils ont un seul fil de travers, ça se voit tout de suite. Sinon, ils sont aussi facilement prévisibles que le résultat d'une racine carrée. Les filles du genre de Carol ont un petit ami régulier et aiment bien flirter un peu (mais, comme le chantent les tubes «Ne me touche pas là»), rien d'enthousiasmant. Ce n'est pas grave, je suppose. On s'attend à plus, mais désolé, c'est inutile. Les gosses brillants, c' est un peu comme les sandwiches devant la télé. C'est comestible. En fait, je m'en fiche un peu. Les filles intelligentes sont un peu bébêtes, c'est tout."
(165)

D'autres sont destinées au conformisme tranquille et sans histoires: "
Susan Brooks était le genre de fille qui ne dit jamais rien sauf quand on l'interroge, à qui les profs sont toujours obligés de demander de parler plus fort, s'il vous plaît. Une nana sérieuse, consciencieuse. Assez jolie, mais pas très futée, de celles qu'on ne laisse pas se réfugier dans une filière commerciale parce qu'elle a un frère ou une soeur aîné très brillants et qu'on s' attend à la voir obtenir les mêmes résultats. En fin de compte, une fille qui pige rien mais avec toute l'élégance et toute la politesse dont elle est capable. En général, elles épousent des chauffeurs de camion et vont s'installer sur la côte ouest où elles ont des kitchenettes avec comptoir en formica - et elles écrivent à leurs vieux parents à l'Est aussi rarement que possible. Elles mènent des petites vies heureuses et bien tranquilles et deviennent de plus en plus jolies au fur et à mesure que l'ombre du frère ou de la soeur aîné s' estompe."(68)

Ou celles qui veulent réussir en épousant un type riche: "
Je l'imaginais mariée à un pauvre type avec cinq costumes croisés, et avec du papier hygiénique double épaisseur pastel dans les toilettes. Ça me faisait mal au ventre, tellement c'était inévitable. Elles finissent toutes par s'apercevoir à quel point ça manque de classe de perdre ses boutons pendant la danse du balai ou de se terrer dans le coffre de la voiture pour rentrer gratis au drive-in. Elles cessent de manger des pizzas et de mettre des sous dans le juke-box chez Fat Sammy. Elles cessent d'embrasser les garçons dans les carrés de myrtilles. Et elles finissent toutes par ressembler aux poupées Barbie qu'on découpe dans Jack and Jill. Pliez selon les lignes A, B et C."(139)

Dans
Carrie, ces idées seront reprises et brillamment développées avec la lycéenne Sue Ellen, qui prend conscience de sa situation. Et cette idée du conformisme féminin régulateur restera présente dans toute l'oeuvre de King.

POLITIQUE.

Un certain nombre de réflexions annoncent un King qui est prêt à évoluer avec les événements des années 68/70 où il aura une activité politique à l'université, et certains romans comme Le Fléau, l'Accident en sont des dérivés directs. King a beaucoup de méfiance à l'égard des hommes politiques, préférant la paix à la guerre: "C'était peut-être à cause de Ted, le beau courageux, imbu du machisme qui fait que les guerres remportent un tel succès."(89)
L'homme politique n'est pas sûr: "
Ted était pour mes camarades de classe ce qu'Eisenhower devait représenter pour les démocrates sincères des années cinquante - on était bien forcé de l'aimer, de la classe, un sourire, un passé, bourré de bonnes intentions, mais en même temps il y avait quelque chose d'exaspérant et de visqueux chez lui."(132) L'homme politique est un imposteur qui exerce son autorité dans la plus totale hypocrisie: "Ted me souriait étrangement, mais je crois pas qu'il s'en apercevait. J'observais son visage, les plans d'une beauté conventionnelle des joues, le front qui barricadait tous ces souvenirs de soirées en boîte, de bistrots, de voitures, des seins de Sandy, de maîtrise de soi, d'idéaux. Soudain, j'ai su quelle était la dernière étape. D'ailleurs, c'était peut-être la seule chose qui avait jamais eu de l'importance, et surtout, je savais qu'il avait des yeux de faucon et des mains de pierre. Ça aurait pu être mon propre père, mais cela n' avait pas d'importance. Lui et Ted étaient relégués très loin sur l'Olympe: des dieux. Mais mon bras était trop fatigué pour détruire des temples. Et puis, je n'ai jamais eu la trempe d'un Samson. (...) Ses yeux étaient si clairs et si droits, si terriblement sûrs de leur but: c'étaient les yeux d'un politicien."(205/6) Un élève le résumera en trois mots: "«Tueur d'âmes!» a soudain sifflé Cra-Cra."(228)

Charlie finit par comprendre que celui qui détient la force a, du même coup, la puissance politique, ce qu'il éprouve à deux reprises, avec le principal du collège et son père: il suffit d'en imposer. "
J'étais sur le point de me rendre compte comme il était facile de trouver les combinaisons secrètes de qui on voulait, à condition d' avoir une trique assez grosse."(217) ou : "J'oublie rarement une leçon que j'ai bien apprise. Et je n'avais pas oublié comment on pouvait obtenir la combinaison secrète de quelqu'un si on avait une trique assez grosse."(224) Face à une société lâche, il suffit d'employer le bon moyen pour fausser le jeu et casser la routine. Dans ce même domaine, il faudrait regarder de plus près la situation de l'officier de police Philbrick (158,170,208) qui inaugure une importante série de shérifs ou de flics
Des incidentes apparaissent, comme elles se manifesteront dans toute l'oeuvre. Rassemblées, elles doivent constituer un véritable historique des présidents des USA ou des postulants à la présidence depuis une trentaine d'années, comme celle-ci: "
Ils sont même allés ensemble à une manif quand Robert Dole est venu à Portland pour sa campagne présidentielle. Ils se sont fait arrêter, mais on les a relâchés après le départ de Dole.(...) Tu t'imagines Irma essayant de défoncer la tête de Robert Dole avec une pancarte en faveur de Gus Hall."(242)

Dans l'ensemble, c'est moins à l'autorité elle-même que s'en prend King qu'à son opacité, à son arbitraire, à sa suffisance et à l'habileté avec laquelle les responsables éludent leurs obligations: "
La responsabilité! j'ai crié. Mon Dieu! vous prenez des responsabilités depuis le jour où ils vous ont laissé sortir de l'université! Et maintenant vous voulez vous débiner la première fois que vous avez les fesses à l'air!"(100)
L'évolution du jeune King est amorcée. L'année suivante, à l'Université, il passera du conservatisme
18 de Nixon à un radicalisme militant et engagé, luttant pour les droits des étudiants, une société démocratique, contre la guerre du Vietnam. Cette évolution le conduira ultérieurement à des convictions proches de celles des démocrates.

AUTRES ASPECTS.

Il faut aussi citer divers aspects qui n'ont pas donné lieu à des développements importants, mais qui se retrouveront partout. Les voici en vrac:

Utilisation d'un pseudonyme.

Alors que King n'avait pas utilisé de pseudonyme quand il envoyait le manuscrit de Rage à ses éditeurs dans sa période de galère, il y fait intervenir un romancier «double»: "[Mon père] lit les romans de Richard Stark sur Parker, vous savez, le truand. Ça a toujours fait rigoler ma mère. Un jour elle a craqué et elle lui a dit que Richard Stark, c'était en fait Donald Westlake qui écrit des romans policiers comiques sous son vrai nom. Alors mon père a essayé de lire un Westlake un jour, et ça lui a pas plu du tout. Après, il se conduisait comme le toutou de Westlake, Stark, qui s'est retourné un jour contre son maître et lui a sauté à la gorge."(72/3) Plusieurs indications précieuses nous sont ainsi données: King songeait peut-être à vingt ans à se créer un «double». Mais surtout, ce passage annonce la place que ce thème prendra chez lui, avec au moins trois oeuvres (une novella et deux romans) qui en sont directement inspirées: Vue imprenable sur un jardin secret, Misery et surtout La Part des Ténèbres, ou le «double» de l'écrivain Thad Beaumont s'appelle... Georges Stark19 .

La place du fantastique.


Il n'y a pratiquement pas de notations sur les thèmes du fantastique, domaine que King n'abordera que plus tard, encore que toute son enfance ait été animée par les films du genre (. Les deux relevées concernent les vampires. Une allusion: "
Dracula avait bien des pieds d'argile, après tout."(118) Un développement plus long concernant un rêve: "Il y en avait un où je marchais dans les sous-sols d'un château moyenâgeux qui ressemblait au décor d'un vieux film de l'Universal. Il y avait un cercueil avec le couvercle relevé et quand je regardais dedans, je voyais mon père, les mains croisées sur sa poitrine. Il était pomponné dans son uniforme de marin -le jeu de mots est intentionnel, je suppose- et il avait un pieu enfoncé dans le bas-ventre. Il ouvrait les yeux et il me souriait. Il avait des crocs à la place de dents."(213) On trouve une citation du cabinet de docteur Claigari (224), des monstres japonais (Godzilla et d'autres, 147).

La musique pop.


Elle est omniprésente, comme elle le sera dans toute l'oeuvre. Apparaissent les Beatles (147, 188), les Clinch Mountain Boys, Flatt et Scruggs (192), les frères Adreizi, Bobby Sherman (147). Conversation sur le sujet: "
Au lieu de Ravi Shankar et de son incroyable cithare, il avait toute une collection de disques country et folk. Quand j'ai vu son album des Greenbriar Boys, je lui ai demandé s'il avait déjà entendu les Tarr Brothers. J'ai toujours été un fana de country et de folk."(192) Souvent les titres des chansons sont donnés, ce qui permet de faire des rapprochements intéressants. Ainsi cette chanson des Beach Boys: "Quand j'entends les Beach Boys chanter Help me, Rhonda, je revis durant une ou deux secondes d'enchantement la honte et l'extase de mon premier pelotage (et un simple calcul mental vous permettra de constater que j'ai abordé cette activité avec un certain retard)"20, déclare t-il dans Anatomie de l'horreur (p. 126) vers 1980. Or il y a des analogies frappantes avec Rage quand Charlie sort avec un copain et des filles: "J'ai toujours eu un estomac pourri. Des fois, j'avais des nausées avant d'aller à l'école le matin, ou en sortant avec une fille pour la première fois. Un jour, Joe et moi, on a emmené des nanas au parc de Harrison. (...) On a pris la route 1 vers Bath, avec la radio allumée qui passait du rock. Brian Wilson, ça je m'en souviens, Brian Wilson et les Beach Boys. Ils parlaient de surf, ce qui allait drôlement bien avec les Beach Boys à la radio. Elle était mignonne. Elle s'appelait Rosalynn. C'était la soeur d'Annmarie... J'ai ouvert la bouche pour dire que je ne me sentais pas bien et j'ai tout vomi par terre. Il y en a un peu qui est tombé sur la jambe d'Annmarie. Si vous aviez vu sa tête!"(135)
Dans un domaine très différent se trouve aussi cité Bach (80): mais les auteurs de musique classique n'apparaîtront dans l'oeuvre que de façon très limitée.

Les auteurs.


"
J'ai lu trop de livres"déclare Charlie. Le texte de King est parsemé de noms d'auteurs divers: Tolkien, Herman Hesse (194); Henry James (157); James Cain (241); Ernest Hemingway (134) Cette attitude particulière consistant à parsemer ses livres de noms d'auteurs deviendra permanente.

Références bibliques.


Il y en a quelques-unes: "
Je me souvenais du passage de la Bible sur Jacob qui se bat avec un ange, et j'ai assaisonné la figure de Dicky d'une belle façon."(151); ou : "Mais mon bras était trop fatigué pour détruire des temples. Et puis, je n'ai jamais eu la trempe d'un Samson."(205/6) Ces références iront augmentant et certaines romans seront farcis d'allusions bibliques ou mythologiques.

Écologie.


Une petite place donnée à l'écologie, qui ira par la suite en augmentant (dès
Marche ..., la pollution des rivières du Maine sera systématiquement dénoncée). La chasse sera toujours considérée avec suspicion par un King volontiers ironique à ce propos: "Lui et mon père, c'étaient deux grands chasseurs. Exterminateurs des abominables cerfs aux dents pointues et des perdrix meurtrières."(20)

Paysages & saisons.


Une des constantes de King est d'introduire rarement, mais de manière systématique, des descriptions de paysage ou de climat, qui sont plus ou moins réussies. Comme cet exemple: "
Il y avait un soupçon de lune et un fantôme de brise. La scène était d'une beauté si renversante que pendant un instant, j'ai cru marcher dans une carte postale en noir et blanc. Derrière moi, en haut, la baraque se perdait dans le flou. Des arbres grimpaient de chaque côté, des pins et des épicéas qui penchaient au-dessus de la pointe des rochers nus -des épicéas jumeaux qui encadraient la plage en demi-lune balayée par les vagues. Devant moi, s'étendait l' Atlantique, parsemé d'une myriade de vagues reflets lunaires. Au loin, à gauche, j'apercevais la courbe à peine visible d' une île et je me demandais qui, à part le vent, osait s'y aventurer la nuit."(197)

L'utilisation du nom des produits.


de marques déposées, qui vont des vêtements: (Wrangler, 16); Levi's, 52), d'un cadenas (Titus 39), de bière Bud,45) ou de cigarettes (Kent,45; Camel, 59) au produit de lessive (Rinso, 129) etc. Certains ne sont pas cités incidemment, mais font l'objet d'une mise en forme: "
J'ai mis le chewing-gum dans ma bouche. Un Black Jack. J'en connais pas de meilleurs."(144) ou : "Tous les ans, au mois de septembre, depuis que je suis entré à l'école primaire, ma mère revient du Mammouth avec deux cents crayons Be-Bop dans une boîte de plastique". Ces crayons ne valent rien: "Il a cassé le crayon entre ses doigts et l'a regardé fixement. Pour dire la vérité, ça m'avait vraiment l'air de la camelote. Pour moi, je me sers toujours d'Eberhard Faber."(129) Mais c'est l'intérêt pour les marques de voiture qui l'emporte: Dodge, Mustang, Pontiac, Mercury... A propos des voitures, on peut noter des incidentes qui rappellent des situations que l'on retrouvera ultérieurement: "On ne peut pas enlever l'odeur de vomi de la tapisserie d'une Mercury bleue. Ça reste pendant des semaines, des mois, des années peut-être. Et ça puait autant que je le craignais. Tout le monde a fait semblant de rien, mais l'odeur était là."(135), situation qui suggère un rapprochement avec l'odeur de cadavre dans la Plymouth Fury 58 d'Arnie dans Christine. Ou la voiture de l'ado qui s'est tué: "Il avait une Pontiac 1966. Il a refait toute la carrosserie lui-même. Il l'a repeinte en vert bouteille avec un as de pique sur la porte du passager."(156), qui annonce le carré d'as de la voiture de Cours, Jimmy, Cours.
L'utilisation du nom des marques deviendra obsessionnelle et on se moquera souvent de cet engouement particulier qui pousse souvent King à glisser son propre nom de manière inattendue. King produit de marque?

Notions philosophiques diverses reprises ultérieurement:

L'Étranger.

De par sa jeunesse difficile psychologiquement, King a toujours été marqué par la situation de l'étranger, qu'il appellera dans Anatomie de l'Horreur: le mutant. L'idée est bien précisée dès Rage: "Une bande écarte toujours l'étranger, le marginal, le mutant."(89) On peut même considérer le récit comme l'analyse de la manière dont évolue, dans un groupe, le statut de «mutant». Au début du récit, c'est Charlie qui apparaît comme le mutant. Un seul ami, distant avec la classe, il a agressé un professeur et a des ennuis avec l'administration. Mais lors du psychodrame qu'il organise, ses condisciples remarquent qu'ils ne sont pas, dans le fond, avec leurs problèmes particuliers, si différents de lui. Le mutant devient dès lors l'élève qui paraît brillant, mais se dissimule par son hypocrisie. Ils l'accablent de diverses observations, qui le mettent à jour, et sur lesquelles Charlie s'interroge "De la simple jalousie, alors. Le besoin de voir tout le monde réduit au même niveau à se gargariser dans le même concert de rats, pour paraphraser Dylan. Enlève ton masque, Ted, et assieds-toi avec nous, les gars ordinaires."(89) Le psychodrame se termine avec la destruction symbolique par la classe de l'esprit d'un élève qui représentait pourtant l'idéal du bon élément dans la société, mais dont le statut protecteur s'est effondré.

Le fonctionnement de l'esprit humain.

Rares sont les oeuvres où n'interviennent pas des remarques sur le rationnel, le fonctionnement de l'esprit humain. On peut en relever quelques-unes. Sur la difficulté de la réflexion pour l'esprit humain: "Ils avaient tous compris. La compréhension, ce n'est pas pareil que l'entendement, mais cela suffisait. Quand on prend la peine d'y penser, l'idée même d'entendement a une nuance un peu archaïque, comme le son d'une langue oubliée ou un coup d'oeil dans une camera obscura victorienne. Nous, les Américains, on est plus forts pour la compréhension simple. Cela permet de lire plus facilement les tableaux horaires quand on descend en ville par l'express de cinquante-cinq. Pour l'entendement, les mâchoires mentales doivent s'ouvrir à en faire craquer les tendons. La compréhension, on peut se la procurer sur n'importe quelle étagère de livres de poche des États- Unis."(114/5)
Sur le rationnel et l'absurde. L'épigraphe déjà citée plus haut, une phrase du professeur de mathématiques met bien en évidence les différences entre l'essence et l'existence: "
Vous comprenez donc d'abord bien que si l'on augmente le nombre de variables, les axiomes eux-mêmes restent valides."Vouloir réduire les êtres humains à des caractéristiques bien définies à l'avance a toujours gêné King. La réalité est plus complexe, et les hommes sont définis par leurs conditions d'existence davantage que par leur essence. Vouloir réduire l'homme à des postulats de principe (il faut, on doit, il n'est pas admissible de...) est une entreprise réductrice qui ne tient pas compte des réalités humaines. Il en est de même en ce qui concerne le rationnel et l'irrationnel. L'éducation ne veut qu'exalter le rationnel, au mépris des autres réalités, comme le principal de Charlie: "ll ne s'attendait pas à une conduite irrationnelle. Ces choses-là, c'était pour les chiottes, bien rangé à côté des magazines cochons qu'on ne montre jamais à sa femme."(36)
Se manifeste aussi le sentiment d'une absurdité semblable à celle de
L'Étranger de Camus, quand Charlie tire sur son prof: "Il n'y a aucune unité de temps qui puisse exprimer l'essence de la vie; le temps entre l'explosion du plomb à la sortie du canon et l'impact net et précis; le temps entre l'impact et les ténèbres. On peut simplement faire redéfiler des images vides qui ne montrent rien de nouveau."(48) Ou quand il casse les vitres: "C'était une très belle journée. J'avais quatre ans. C'était une journée d'octobre absolument splendide pour casser les vitres."etc (81)

L'aléatoire.


Quelques mots encore sur les rapports entre la nécessité et l'aléatoire, à propos de l'épisode du cadenas. Au vestiaire, l'armoire de Charlie est fermée par son cadenas: "
Je suis Titus, le précieux cadenas."(39/40) Charlie jette le cadenas à la poubelle, puis quelque temps après le ramasse. Le lecteur oublie cet incident. Plus tard, un flic tire sur Charlie: "Il a tiré et a planté sa balle exactement où il pensait et espérait la mettre: dans ma poche de poitrine en plein sur le mécanisme de mon coeur... Où elle a heurté l'acier dur de Titus, le Précieux Cadenas."(171, 176) Cette façon de jeter un peu partout dans le récit des éléments les plus variés deviendra une constante, et leur fréquence ultérieure dans la même oeuvre témoignera d'un talent magistral de composition.

Technique littéraire.


Il faut enfin noter, dans le domaine de technique littéraire divers procédés qui, par la suite, deviendront constants: intrusion de compte-rendus, de documents et de lettres, dans une veine qui ira de
Carrie aux Régulateurs; la rupture d'un paragraphe en milieu de phrase; progression du suspense avec des coups de théâtre bien amenés. Et aussi, avec un solide réalisme, la finesse des descriptions psychologiques.

CE QUE LE ROMAN N'ANNONCE PAS.

Les personnages de Rage n'annoncent en rien les personnages principaux des deux autres orientations romanesques que King exploitera par la suite: les récits écrits dans l'esprit du fantastique ou les romans cosmiques. On ne rencontre pas ici l'individu possesseur d'un «don», utilisé pour un bon ou un mauvais usage. On ne trouve pas davantage l'archétype mythique de la lutte du bien contre le mal, où les personnages qui ont notre sympathie sont des agents des forces de la lumière. Quand arrive la fin du récit, la victoire a été le plus souvent acquise, par un individu seul ou par un groupe, au prix d'importantes souffrances, qui ont un caractère rédempteur.

Dans Rage, on ne peut pas dire que le personnage de Charlie soit particulièrement sympathique. Il éveille notre intérêt, plutôt que notre sympathie. Comme chez ses camarades de classe, il suscite en nous une sorte de «syndrome de Stockholm», qu'on trouve dans les prises d'otages, et qui font que le ou les tueurs ne sont plus horrifiants dès qu'ils ont commencé à converser avec les victimes. C'est le type de personnages qui seront représentatifs de «l'aspect Bachman», ces héros qui luttent à la fois contre eux-mêmes et contre la société qui ne leur a pas donné ce qu'ils en espéraient. Leur déception se traduit par une sorte de dérélection négative augmentant plutôt le désordre protestataire sans aucun désir d'améliorer les choses

Son héros est un individualiste, qui n'a pas su encore se forger son système de valeurs et en cherche un. Mais il ne le trouve pas dans une société où les valeurs sont conventionnelles ou convenues, hypocritement affichées, mais non suivies pour certains. Confortables intellectuellement parce qu'elles évitent de penser pour les autres. Charlie se trouve prisonnier d'un engrenage qu'il ne sait comment arrêter. Sans prise sur les réalités pour les modifier, amené à utiliser faute d'autres des moyens destructeurs, il n'a d'autre ressource que d'affronter la mort. Ce sera également le thème des deux autres romans de jeunesse, Marche ou Crève et Running Man21, où les perspectives sont généralement pessimistes. Rien à voir avec le combat des personnages de la lumière soutenus par un projet ou une cause qui les dépasse.

Ensuite ce roman, comme quelques-uns qui paraîtront sous le nom de Bachman (ou d'autres, comme Cujo, Misery ou Jessie qui auraient pu être des Bachman) s'inscrit dans le moule de la fiction classique, où ce que l'auteur cherche à donner, c'est «l'illusion d'une réalité», le réel auquel est habitué le lecteur ou qu'il admet comme réalistement possible. On retrouvera ce fond de réalisme constamment, même dans les récits fantastiques ou de science-fiction. Ce qui donne à la partie fantastique de son oeuvre cet aspect curieux d'un imaginaire irréaliste installé dans le réel le plus prosaïque.

Conclusion.

Il serait futile de prétendre que Getting it on contient en condensé l'oeuvre à venir de King. Mais il porte en son sein d'intéressants germes qui grandiront et feront l'objet, avec des fortunes diverses, de développements et de situations variées. À ce titre, au-delà de la faiblesse relative de ce roman d'un jeune auteur, on peut considérer qu'il a constitué pour King une première occasion de mettre au point une technique qui consiste à mettre une partie de soi dans une oeuvre qui se veut entièrement tournée vers l'imaginaire.

Il est difficile à quelqu'un qui a vécu ce que King a éprouvé dans son enfance, d'avoir une vision idyllique de la société. Quand on suit attentivement le parcours de Steve, depuis qu'il a commencé à écrire à douze ans jusqu'à l'Université, on ne peut manquer d'être frappé par une dominante, qui ne quittera jamais son oeuvre: la dérision. Une dérision moins cynique que celle que l'on trouve dans des oeuvres de Céline, mais qui traduit le refus d'embellir une réalité qui a des aspects jugés inacceptables. Avec, en plus, la moralisation des choses: quand il a écrit ce pamphlet qui vitriole les valeurs établies que l'on veut inculquer au lieu de développer esprit critique et libérer les esprits, il ne faisait qu'anticiper sur une constante spriritualiste de son oeuvre. Ce que certains critiques appelleront son côté prêchi-prêcha. Mais qui, pour les inconditionnels de King, ne seront que la traduction d'un homme qui s'engage dans son oeuvre.

Roland Ernould © Armentières, mai 1999.

Les jeunes années de King et ses rapports avec le sexe ont été étudiés dans les premiers chapitres de mon livre:

janvier 2000, aux éditions Naturellement, Table des matières.

 Notes.
1 Ce n'est pas son premier essai dans le roman. The Aftermath, écrit en 1965/6, n'avait jamais été édité avant sa parution en 1998 dans le recueil de textes kingiens inaccessibles établi par Stephen Spignesi The Lost Work of Stephen King. Il en est de même pour son quatrième roman, Sword in the Darkness (1968/70) et son cinquième Blaze (1970/3). Le troisième roman The Long Walk, Marche ou Crève, n'a été édité qu'en 1979, encore sous le nom de Bachman. Le lecteur curieux trouvera une analyse de ces premiers romans et un commentaire dans un article de George Beahm, paru dans Phénix Dossier n°2 Stephen King, 19975, p. 355. Ou, à défaut, dans la section oeuvres non publiées du livre d'Hugues Morin, Trente Ans de Terreur, éd. Alire, 1997.
Tous ces romans furent refusés par les éditeurs et certains n'étaient connus que par les manuscrits déposés à la Bibliothèque Universitaire du Maine.

2 King a écrit et publié Carrie, Shining et Salem quand il pense éditer ce roman de jeunesse. Bien que présentant un intérêt certain, Getting It On, devenu Rage, n'est évidemment pas au même niveau de qualité, de construction et d'imagination que les suivants. Mais surtout King a maintenant une réputation d'auteur fantastique, que les éditeurs lui demandent de soutenir, et Rage ne présente absolument pas ce genre. C'est pour cette raison qu'il l'éditera, comme Marche et Crève, écrit l'année suivante à l'Université, sous un pseudonyme.

3 King pensait d'abord publier son roman sous le pseudonyme de Guy Pillsbury, nom de son grand-père paternel, quand ce nom fut éventé et l'objet d'échos dans la presse. King choisit alors le nom de Richard Bachman, pour lequel il inventa une biographie et trouva une photo.

4 "L'été suivant l'obtention de son diplôme, King commença, mais ne termina pas, ce qui serait sa première oeuvre achevée, Getting it on qui tire son titre de la chanson des T-Rex Bang the Gong (Get it On). Une étude psychologique, l'histoire d'un lycéen qui prend ses camarades de classe en otages. Getting it on exploite les peurs de ne pas s'adapter de King adolescent." Beahm, Stephen King Story, p. 49 (livre non traduit en français). C'est le groupe Tyrannosaurus-Rex, devenu T-Rex en 1970, qui interprétait cette chanson.

5 Il a du réviser et à coup sûr actualiser son manuscrit lors de la publication de 1977: par exemple, quand il compare le sourire du professeur de mathématiques à celui du "requin des Dents de la mer"(14) Jaws, (titre français: les dents de la mer), film de Steven Spielberg, est en effet sorti aux USA en 1975. Le titre est à nouveau cité p. 225.

6 Plus exactement le «terminateur», la ligne de séparation des parties obscures et éclairées du disque lunaire.

7 J'ai déjà signalé cette distinction fondamentale à plusieurs reprises et notamment dans une étude récente de Déjeuner au Gotham Café, une nouvelle dionysiaque.

8 Citation directe d'une phrase prononcée par le père au cours d'une soirée d'ivrognes qui a terrorisé Charlie de manière durable. Son père prétendait qu'il trancherait le nez de sa mère si elle le trompait.

9 Anatomie de l'Horreur, 112, 115 et 111.

10 King a été profondément marqué par un événement qui s'est produit pendant ses vacances scolaires avant d'entrer à l'Université. Fin juillet 1966, à Austin (Texas), un étudiant en architecture, Charles Joseph Whitman, âgé de 24 ans, grimpe au 26è étage de la tour centrale de l'Université et ouvre le feu. Avec deux fusils de chasse, une carabine à canon scié et un pistolet, il tire sur tout ce qui bouge. La tuerie dure plus d'une heure. Bilan: 15 morts et 33 blessés.
Whitman est abattu par la police. Il avait fait son service militaire dans le corps des
marines et c'était un tireur d'élite. A son domicile, on découvre les corps de sa mère et de sa jeune femme. Les policiers découvrent également plusieurs notes manuscrites. Whitman écrivait qu'il ressentait "un besoin de dépression et un besoin de violence." À l'université, Whitman était apprécié tant par ses professeurs que par les étudiants, d'après Le Journal de l'année, 1966/67, Larousse, 126.

11 Interview de Lou Van Hille, Burton Hatlen, Professeur, Guide, Ami, Steve's Rag #11, nov. 1996, 21.

12 Cet événement préoccupe un King lui-même déstabilisé, qui se demande s'il n'est pas aussi à la merci d'un tel geste . "Peut-être êtes-vous bourré un mardi après-midi. Vous pouvez développer une nette animosité en classe. Vous pouvez laisser tomber. Vous pouvez aussi commencer à regarder la tour de Steven's Hall et vous demander -juste vous demander- à quel point ce serait agréable d'y grimper et d'abattre quelques personnes."Plus tard, en 1983, réfléchissant sur cet épisode, et la tentation qu'il a éveillée en lui, il dira dans une interview: "Peut-être aurais-je été un professeur de lycée moyen et aigri, faisant semblant d'agir selon les règles et s'affaiblissant en glissant vers les années crépusculaires. D'un autre côté, j'aurais pu faire une fin dans une tour du Texas, libérant mes démons comme un robot, avec un puissant fusil à lunette. Je veux dire, je connais ce type Whitman. Mon écriture m'a sauvé de la tour."George Beahm, The Stephen King Companion, 55. Livre non traduit en français)

13 La traduction littérale de Getting It On est: «En y allant», à comprendre comme l'expression française: «Quand faut y aller, faut y aller». «Y aller», c'est ce que demande Charlie à ses condisciples en les invitant à parler de leurs frustrations et de leurs peurs. Les élèves, peu à peu pris dans une séance de défoulement individuel, puis collectif, «y vont» effectivement, révélant leur part obscure, inconnue aux autres et souvent d'eux-mêmes. Mais en argot, la même expression signifie: «en s'envoyant en l'air», «en faisant l'amour». La connaissance de ce double sens prend ici un intérêt particulier.

14 Je viens de terminer un livre sur Stephen King et le sexe, actuellement proposé aux éditeurs (mai 1999)

15 Comme le père de King.

16 "Nous avons rencontré le monstre, et comme Peter Straub le fait remarquer dans Ghost Story, le monstre, c'est nous-mêmes."Anatomie de l'Horreur, p. 59.

17 King a toujours eu de mauvais résultats scolaires dans les matières scientifiques, et notamment en... chimie..

18 La famille de King était globalement conservatrice et votait républicain.

19 Les Régulateurs est le dernier roman à avoir été publié sous le nom de Bachman, après des années d'abandon, depuis qu'on a su qui se cachait derrière ce pseudonyme. King a d'ailleurs feint que la «veuve» de Bachman, Claudia Inès, avait retrouvé ce manuscrit inédit. King a insisté de manière curieuse lors d'une interview: il a affirmé que c'est une «voix» qui lui a ordonné d'écrire ce roman, de "remettre le chapeau de Bachman"et... "d'y aller" (Interview publiée dans The Publisher Weekly, 5/9/96, cité dans un article de Daniel Conrad: Sous le masque de Bachman, publié dans le livre d'Hugues Morin Trente ans de terreur, éd. Alire 1997. Cet article fourmille de remarques pertinentes sur l'auteur Bachman/King.

20 Help me, Rhonda, composé par Brian Wilson pour le groupe les Beach Boys a été enregistré le 24/02/1965, par Capitols Records. La sortie du disque se fit le 05/05/1965, et ce fut un tube pendant les mois qui suivirent. On peut donc situer avec une exactitude suffisante ce «pelotage»: Steve va avoir ou a 18 ans comme Charlie, et on doit noter la correspondance exacte entre la biographie (Anatomie) et la fiction (Rage)

21 Avec Carrie et les oeuvres suivantes, King débouche sur d'autres perspectives: la place du différent ou du mutant dans la société, mais avec les mêmes perspectives sur la mort. C'est à partir du Fléau que les forces de la Lumière, nettement définies, l'emporteront sur les forces des Ténèbres, dans un combat sans cesse repris, mais dans des perspectives plus optimistes.

Lire aussi :

Les premiers romans : RAGE, RÉVOLTE et DÉSESPOIR.

Les premiers romans que King a écrits entre 19 et 24 ans Rage et Running Man présentent un grand intérêt pour la formation de sa sensibilité et pour la compréhension de la genèse de sa pensée sociale. Le rapprochement de ces deux oeuvres paraît donc légitime et le but de cette étude est de poser des jalons pour l'analyse du passage d'un King étudiant à un King chargé de famille, dont la vie n'est pas facile. Charlie a vécu une scolarité lycéenne terne et peu heureuse, puis a connu le bouillonnement universitaire de la fin des années soixante. Ben est passé d'une indifférence vis-à-vis du social (comme Charlie) à une prise de conscience plus grande des réalités politiques du moment. Les situations sont étudiées sous un éclairage littéraire en les rapportant au vécu de King adolescent. S'agit-il d'une révolte réelle qui a existé chez King? En famille, au lycée ou à l'université? Jusqu'où est-elle allée?

(King vient de demander aux éditions Penguin de ne pas refaire de retirage de son roman Rage: raison invoquée: le massacre de Littleton. Infos)

1ère partie : ...KING CONTRE LA GUERRE DU VIETNAM : l'homme et le conflit.

King a vécu la guerre du Vietnam alors qu'il était à l'université. Les allusions au Vietnam sont fréquentes jusqu'à la période allant jusqu'aux Tommyknockers. Elles sont apparu de moins en moins nombreuses, alors qu'elles sont très courantes dans les oeuvres jusque Simetierre. Ensuite elles disparaissent complètement pendant dix ans, pour réapparaître avec Désolation, en 1996 et plus récemment, le Vietnam concerne trois des cinq textes de Coeurs perdus en Atlantide. Il semble ainsi que les notations concernant le Vietnam ont été abondantes dans l'oeuvre de King tant que le conflit était récent, pour être délaissées quand le souvenir s'en est estompé dans les esprits. Les limites des prises de position de King contre une guerre qui l'a mobilisé plusieurs années de jeunesse se révèlent un peu décevantes. King semble avoir quitté l'université avec le seul souci de se faire un destin personnel, et en ayant oublié les luttes collectives, auxquelles il avait cependant participé dans la générosité de sa jeunesse. King n'est pas un politique.

 2ème partie : KING ET LA GUERRE DU VIETNAM : l'utilisation littéraire du Vietnam. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. dans Désolation et Coeurs perdus en Atlantide. ..

Le Vietnam réapparaît maintenant avec l'âge de la maturité et le retour sur les années soixante, années de jeunesse de King. Surtout, à l'imitation de Straub, le Vietnam devient l'objet d'une exploitation littéraire. On peut comprendre ainsi pourquoi il n'y a pas, dans l'oeuvre de King, de déclaration fracassante contre la guerre du Vietnam, ou les autres conflits qui ont suivi. Il n'y a pas, chez lui, un état d'esprit propice à la rupture avec les institutions présentes. Ses valeurs sont des valeurs traditionnelles. Après avoir participé aux luttes politiques et sociales de son temps, qui ont marqué ce descendant de républicains, devenu hostile au conservatisme et à l'étroitesse d'esprit de ce parti, King donne l'impression de fuir l'engagement direct et de trouver dans son oeuvre un exutoire aux tensions qu'il a accumulées pendant sa jeunesse. Exutoire, parce que l'écriture le libère de ses tensions. Attitude politique plus passive qu'active.

voir mon autre étude :

Les premiers romans : RAGE, RÉVOLTE et DÉSESPOIR.

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 4 - été 1999.

 

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