UNE OEUVRE DE
JEUNESSE ANNONCIATRICE.
"Quand on quitte la grand-route, il faut
s'attendre
à voir quelques maisons un peu bizarres." (186)
En 1966, King achève sa
terminale à la High School de Lisbon Falls, près de
Durham. Il a 18 ans. Depuis le printemps, il a commencé
à écrire le premier de ses romans1 (qui ne sera que bien plus
tard2 l'objet d'une publication sous le nom de Richard
Bachman3). Getting It
On n'était pas
achevé fin 19664 lors de son entrée à l'Université
du Maine à Orono. Le roman ne sera repris et terminé
que quelques années plus tard, en 19715 , alors qu'il vient de se marier et a
derrière lui plusieurs manuscrits achevés ou non. Son
titre a changé (l'ancien était le nom d'une chanson
connue quelques années plus tôt) et il porte le nom de
Rage.
.. du site ..
King retire de la
vente son roman Rage aux USA
On connaît le sujet de ce court
roman d'un auteur à la fin de son adolescence. Il met en
scène des élèves d'une classe de terminale de
l'âge de King quand il s'y trouvait. Sur fond
d'anxiété et de révolte adolescente, un
élève, Charlie, prend en otage ses condisciples
après avoir abattu deux professeurs avec son revolver.
S'ensuit un psychodrame qui s'organise sous la direction de Charlie,
où les lycéens sont conduits à remettre en
question les valeurs sociales admises, puis à les renier
symboliquement au cours d'un acte rituel d'élimination, pour
rentrer dans le rang quand Charlie aura été
interné dans un établissement
spécialisé.
Quand on analyse la composition et le
contenu du roman sans se soucier de l'intrigue et de son
évolution, on voit apparaître bon nombre de
thèmes qui continueront à inspirer King dans ses
oeuvres jusqu'à ce jour. C'est un recensement de ces
thèmes qui est l'objet de cette étude. Ils se
rapportent successivement à l'individu, l'éducation, la
collectivité, la culture et divers autres aspects de moindre
importance.
Photo de couverture du
Maine
Campus du 15 janvier 1969 :
King chevelu et barbu, avec un fusil à deux
canons.
King y avait sa rubrique
King's Garbage
Truck (le camion-poubelle de
King)
|
LA LIGNE
TERMINATRICE.
Tout
est logique, tout est sain.
On sait que King est
profondément marqué par la dichotomie
lumière/ténèbres. Il y a en chaque homme une
part obscure, soigneusement dissimulée sous de plaisantes
illusions. Écoutons l'adolescent King ironiser au sujet de la
«vie saine»: "On
peut passer sa vie entière à se dire que la vie est
logique, prosaïque, saine. Saine, surtout. Je crois que c'est
vrai. J'ai eu tout le temps d'y penser. Et je reviens toujours
à la dernière déclaration de Mme Underwood,
quelques secondes avant sa mort: «Vous comprenez donc bien que
même si l'on augmente le nombre de variables, les axiomes
eux-mêmes restent valides».
J'y crois dur comme fer.
Je pense, donc je suis. J'ai des poils sur le visage, donc je me
rase. Ma femme et mes enfants ont été grièvement
blessés dans un accident de voiture, donc je prie. Tout est
logique, tout est sain. Nous vivons dans le meilleur des mondes
possibles, alors passez-moi une Kent pour ma main gauche, une
bière Bud pour la droite, allumez Starsky et Hutch et
écoutez cette note douce et harmonieuse de l'univers qui
tourne gentiment sur son orbite céleste. C'est comme
Coca-Cola, c'est ça."(39)
Mais cela n'est qu'apparences, illusions mises en place par la
publicité, la télévision et les magazines grand
public. Si la publicité, par nécessité, ne
montre que le meilleur des choses, comme la presse du coeur ou de
mode, déjà la télévision se
complaît bien à nous montrer autre chose: le saignant,
qui attire le lecteur comme la charogne les mouches: "Comme le savent si bien la Warner Brothers,
John Mac-Donald et l'autoroute-tombeau de Long Island, il y a un
Mister Hyde caché derrière tous les joyeux lurons de
Docteurs Jekyll, un visage noir de l'autre côté du
miroir. L'esprit qui se cache derrière ce visage n'a jamais
entendu parler de rasoirs, de prières ou de la logique de
l'univers. Il suffit de tourner le miroir sur le côté
pour voir votre reflet se distordre de manière sinistre, d'un
air mi-sain, mi-fou. Les astronomes appellent cette ligne de
démarcation entre l'ombre et la lumière la ligne
terminatrice."6 .
La distinction faite entre la face sociale de belle apparence du Dr
Jekyll, qui dissimule le démoniaque Mister Hyde deviendra plus
tard l'opposition entre l'Apollinien et le Dionysiaque, constamment
reprise depuis7. Et ce monde dionysiaque, destructeur a a propre
logique, longuement développée dans ce roman (King y
reviendra plus longuement encore dans son essai Anatomie de
L'Horreur:
"L'univers a la logique d'un
gosse en costume de cow-boy le soir d'Halloween, avec les tripes et
les bonbons qu'on lui a offerts répandus sur deux
kilomètres le long de la nationale 95. Ça, c'est la
logique du napalm, de la paranoïa, des valises
piégées portées par des crétins d'Arabes,
du cancer qui frappe au petit bonheur la chance. Cette
logique-là se mord la queue. Elle dit que la vie c'est un
singe sur des échasses, elle dit que la vie tourne aussi
follement et aussi anarchiquement que la pièce que l'on lance
en l'air pour tirer au sort celui qui payera le dîner.
Personne ne regarde de ce côté sans y être
obligé et je le comprends facilement. On ne s'y
intéresse que si on a été pris en stop par un
chauffard ivre dans une grosse bagnole, qui roule à cent
soixante-dix à l'heure et commence à bredouiller que sa
femme l'a fichu dehors; on s'y intéresse quand un type
décide de parcourir l'Indiana et de tirer à vue sur
tous les gosses à bicyclette; on s'y intéresse si sa
soeur vous dit: «Je vais faire des courses, j'en ai pour cinq
minutes, mon grand» et qu'elle se fait tuer dans un hold-up. On
s'y intéresse quand on entend son père parler de
trancher le nez de sa mère8."(46)
C'est une partie de roulette, mais si on se plaint que le jeu est
truqué, ce sont des jérémiades, c'est tout. Peu
importe le nombre de chiffres, le principe de cette petite boule
blanche et sautillante ne change jamais. Ne dites pas que c'est
dingue. C'est normal, normal et parfaitement sain". (46)
La peur
de la folie.
C'est que King a peur de la folie et
on trouvera des traces de cette phobie dans une bonne partie de son
oeuvre. Sa mère, abandonnée par son père alors
que Steve avait quatre ans, a dû expliquer cette attitude par
une conduite perturbée: "Ton père n'avait guère de suite dans les
idées."Les Pillsbury,
la famille maternelle, "comme
il sied à des gens de souche anglo-normande, étaient
doués de sens pratique. Mon père, lui, descendait
apparemment d'une longue lignée d'excentriques; sa soeur Betty
était sujette à des absences
répétées (ma mère la considérait
comme une maniaco-dépressive"9, et elle finit ses jours dans une maison de
santé.
C'est avec
Rage qu'il
commencera à chercher une explication à cette folie
individuelle, qui a des conséquences sur la
collectivité: "L'étrange, cela n'existe pas simplement à
l'extérieur. C'est en vous, en ce moment, cela grandit dans le
noir comme des champignons magiques. Appelez ça la Chose de la
Cave. Appelez ça le Facteur de Dégueulis. Appelez
ça, les Trompettes de la Folie. Moi, j'y pense comme à
mon dinosaure personnel, une créature gigantesque,
décharnée et stupide qui patauge dans les marais puants
de mon subconscient et ne trouve jamais, de puits à fossiles
assez grand pour s'y réfugier.
Mais ça, c'est moi, et j'ai commencé à vous
parler d'eux, ces brillants étudiants liés à
leur fac qui, métaphoriquement parlant, sont allés
acheter du lait et ont fini au beau milieu d'une attaque à
main armée."(48)
Mourir en allant chercher du lait: cette obsession le travaille.
Charlie a tué deux professeurs et garde ses condisciples en
otages sans trop savoir pourquoi: "Si je savais ce qui me pousse à faire ça,
je ne serais sans doute pas obligé de le
faire."(68).Alors qu'il
rédige son roman, il est marqué par la tuerie du Campus
d'Austin10, qui vient de se dérouler au Texas. Cette image
de l'extrêmiste qui fait peur, c'est l'impression qu'il veut
donner plus tard sur la célèbre première page du
journal de l'UMO, Maine
Campus: "Il avait les cheveux longs, jusqu'aux
épaules et une barbe imposante. C'était à peu
près à la même époque que la sortie du
film DELIVRANCE et il devait s'agir d'une parodie. Steve avait un fusil
à la main sur cette photo et le pointait vers l'appareil de
façon à ce que les deux canons du fusil soit au premier
plan. Et il vous regardait avec un regard «sauvage». Sous
la photo, on pouvait lire les mots «Study, damn it!»
(NdT: Étudiez, bon
Dieu!). Cette photo a
été réutilisée en diverses
occasions."11
Il cherche l'explication:
"La Folie, c'est simplement
une histoire de degrés et en plus de moi, il y a pas mal de
gens qui auraient bien envie de couper des têtes. Ils vont voir
des courses de stock-cars, des films d'horreur et des matches de
catch à Portland."(110) Et il assiste, impuissant, à ses troubles:
"Des images tourbillonnaient
devant mes yeux, des centaines d'images, des fragments de
rêves, des fragments de réalité. Il était
impossible de les séparer les uns des autres. La Folie, c'est
quand on ne voit plus les coutures qui font tenir les
différentes parties du monde ensemble."(212)
D'où sa conclusion: "Il
doit y avoir une ligne de démarcation en chacun de nous, une
limite très précise, comme la ligne qui sépare
la face éclairée d'une planète de la Face
sombre. C'est bien trouvé, comme expression, parce qu'à
un moment, je perdais complètement la boule, et une seconde
plus tard, j'étais froid comme un iceberg."(216)
Charlie a donné la parole aux élèves de la
classe et leur a permis d'exprimer leur mal être.
Lui-même y va de ses confidences: la folie certes
dévastatrice, mais aussi libératrice. On se rend
d'ailleurs compte qu'à la fin du psychodrame qui se produit
dans la classe, Charlie n'est pas le seul élève
à se trouver aux limites de l'équilibre mental et que
beaucoup basculeront dans la suppression physique symbolique de celui
qui les gêne. La préoccupation de cette limite, celle
qui sépare l'individu considéré comme
«normal» du monstre, occupera dans l'oeuvre de King une
place fondamentale12 .
Le
sexe.
Pour diverses raisons, Charlie vit un
maelström d'émotions venues de l'enfance, où
parents et école semblent tenir une place primordiale. Il a
des problèmes qu'il prétend somatiques et vomit
souvent. Mais la véritable explication, sa misère
sexuelle, ne viendra que plus tard, et il ne la donnera qu'en
dernière instance: il a peur du sexe et ne peut plus supporter
l'image qu'il a de lui-même.
Car son problème, c'est qu'il n'y arrive pas avec les filles
(comme King d'ailleurs à la même époque). Il faut
bien «y aller»13! Sandra lui plaît: "Un jour, j'avais eu envie de l'inviter au Wonderland,
mais je me suis dégonflé. Joe, qui avait toutes les
petites amies qu'il voulait, me demandait pourquoi j'y arrivais pas;
ça me rendait de plus en plus nerveux et je lui disais d'aller
se faire foutre. Finalement, j'ai eu le cran de l'appeler, mais il a
fallu que je raccroche après la première sonnerie pour
aller vomir aux toilettes. Je vous l'ai déjà dit, j'ai
l'estomac fragile."(180)
Dans une boom, où il est allé avec son copain Pete, il
s'est drogué. Il rencontre une fille, Dana, qui le drague:
"Elle s'attaquait aux boutons
de mon jean. Mais mon sexe était toujours à la
pause-café. Elle m'a touché, en glissant la main dans
mon caleçon, et les muscles ont tressauté, pas de
plaisir, ni de dégoût, mais de terreur en quelque sorte.
Sa main me faisait penser à du caoutchouc froid, impersonnel,
aseptisé.
- Allez, elle a murmuré, allez...
J'ai essayé de penser à quelque chose de sexy, à
n'importe quoi. À regarder sous les jupes de Darleen
Andreissen à l'étude, qu'elle s'en rende compte et
qu'elle me laisse faire. Au jeu de cartes françaises cochonnes
de Maynard Quinn. J'ai pensé à Sandy Cross dans des
sous-vêtements noirs, et ça a commencé à
faire bouger quelque chose par là... et tout d'un coup, de
toutes les choses qui sortaient de mon imagination, j'ai vu mon
père avec son couteau de chasse qui parlait du nez
tranché des femmes Cherokees.
Ça a suffi. Tout est retombé en chiffe
molle."(198). Malgré
leurs efforts conjugués, il n'arrive à aucun
résultat.
Charlie rentre chez lui déprimé: "Je me sentais complètement abattu, mais
c'était une sensation froide, sans profondeur. La froide
certitude que j'étais pédé s'insinuait en moi,
comme une marée montante. J'avais lu quelque part que ce
n'était pas la peine d'avoir eu de véritables
expériences homosexuelles pour être pédé;
on pouvait juste être comme ça et ne jamais s'en
apercevoir, jusqu'à ce que le démon caché dans
votre placard vous saute dessus, comme la maman de Norman Bates dans
Psychose, clown grotesque qui surgit pour vous passer à la
moulinette, avec le maquillage de môman et les pantoufles de
môman."(200).
La sexe
et la mort.
À son mal de vivre, Charlie a
trouvé une explication, qu'il livre à la classe:
"Tout ce que je voulais, c'est
qu'on me reconnaisse."(36).
L'agressivité envers son père et ses professeurs vient
de cette quête éperdue de reconnaissance:
"Les petits garçons
grandissent et se souviennent du moindre coup, de la moindre
réflexion méprisante, et (...) ensuite,
ils ont envie de bouffer leur père tout cru."(212). Pas seulement le père, mais
aussi toute autorité qui le représente. Mais cette
explication n'est pas complète. Les difficultés
familiales et scolaires sont des conditions nécessaires, mais
elles ne sont pas suffisantes.
Ce n'est qu'à la fin de la prise d'otages que Charlie, pris
par le déballage de secrets sexuels de certains
élèves de la classe, révèle sa
vérité profonde, celle qui l'a conduit à la
prise d'otages et au meurtre de deux de ses professeurs. Il est
obsédé par le sexe, mais en a pathologiquement peur.
Déjà instable, il se trouve complètement
déséquilibré par son impuissance. La mort lui
paraît la seule issue. Cette corrélation entre le sexe
et la mort durera une dizaine d'années et Marche ou
Crève, avec son
cortège d'associations entre le sexe et la mort, la foule qui
tire une jouissance quasi-sexuelle de la mort des participants, en
est l'exemple le plus proche. Mais l'intérêt pour le
sexe demeurera une constante chez King14, qui se manifestera par des allusions sexuelles
à propos des choses les plus inattendues. Dans Rage,
les plus nombreuses concernent la masturbation: "- C'est le pied... de se branler... dans la
boue... du Mississippi, j'ai chantonné, en tapant en mesure
sur le tableau."(217), et de
plusieurs à la masturbation en groupe (32, 145, 213, 217,
229)). Aussi les petites culottes (16/7; 33/35; 139, etc) ou le
pantalon qui tombe ou la braguette ouverte, deux obsessions
kingiennes vivaces, comme ici: "Ça ressemblait pas mal à la gueule d'un
mec qui se rend compte tout d'un coup que sa braguette est ouverte et
qui essaye de la remonter discrètement pour faire croire
à une intervention divine."(88)
Les comparaisons sexuelles sont généralement
disqualifiantes. Charlie commente ainsi les propos d'un flic qui
entre à plusieurs reprises en communication interphonique avec
lui: "Mon père est
pareil au téléphone. Un souffle lourd dans vos
oreilles, on a l'impression de sentir I'odeur du scotch et des Pall
Mall. Ça me paraît malsain, ça a quelque chose
d'homosexuel."(159). Ou :
"Même à la
télé, il faisait penser à un taureau qui se
prépare à monter la vache du fermier Brown dans la cour
de derrière."(160). Ou
encore: "Tu souffles dans les
oreilles des gens. On croirait un étalon en rut, Philbrick.
C'est vraiment une sale manie."(162)
Il en est de même en ce qui concerne la méfiance
à l'égard des femmes, qui a fait dire à un
critique que King était incapable d'en donner une image
positive. Ainsi Irma, qui déclare à la classe:
"Je ne suis pas belle.
Personne ne m'aime.Je n'ai jamais eu de petit ami.(...) - Arrange-toi un peu, a dit Tanis. Puis, l'air
embarrassé mais toujours déterminée, elle a
ajouté: Lave-toi, rase-toi les jambes, euh... et les dessous
de bras. Aie l'air plus mignonne. Je ne suis pas une beauté,
moi non plus, mais je ne reste pas à la maison tous les
week-ends. Tu peux y arriver aussi.
- Et comment?
Quelques-uns des garçons semblaient gênés, mais
les filles se penchaient en avant. Elles paraissaient compatissantes
maintenant, toutes. C'étaient les confidences en pyjama que
tous les mâles connaissent bien et redoutent."(122)
Il faut bien dire que certaines éducations maternelles
n'arrangent pas les choses. Un élève se plaint:
"Une fois, j'ai essayé
d'avoir une tournée de journaux, mais elle [ma mère]
m'a obligé à
arrêter. Elle m'a dit qu'il y avait des femmes de petite vertu
qui n' attendaient rien de mieux que de sauter sur les jeunes
garçons quand leurs maris étaient
partis!"130
Les psy
et le calibrage comportemental.
Une première fois, Charlie a
agressé un professeur: "Mon esprit s'en remettait totalement au niveau sonore,
pour ainsi dire; le petit bonhomme qui portait le bicorne de
Napoléon à l'intérieur jetait les dés et
prenait les paris."(43) Le
premier souci de l'administration est réussir à
façonner la conscience des élèves en fonction de
schémas de pensée et de modèles comportementaux
socialement corrects. Et quand le produit est insuffisant, de le
«recalibrer», comme elle le fait pour Charlie en lui
octroyant conseils appropriés et aide psychiatrique. (32)
Charlie refusera cette aide, et, de Rage à
la récente nouvelle Déjeuner au Gotham Café, l'opinion de King n'a pas changé sur
ce sujet: "En ce siècle
de lumières, où tout le monde pense que la psychologie
est un don de Dieu pour la pauvre vieille race humaine
immobilisée au stade anal, et que même le
président des Etats-Unis se bourre de tranquillisants avant le
dîner, c'est un bon moyen de se libérer des vieilles
culpabilités .judéo-chrétiennes qui nous serrent
la gorge comme l'arrière-goût d'un mauvais plat dont on
s' est goinfré. Si on dit que son père vous
déteste depuis qu'on est gosse, on peut s' exhiber dans tout
le quartier, violer, ou incendier le bureau de paris du Knights of
Pythias et obtenir les circonstances
atténuantes."(77)
Car le seul souci des psy, c'est la normalisation des esprits:
"Un fouilleur d'esprit, un
bourreur de crâne. C'est à ça que servent les
psy, mes chers voisins et amis: ils sont là pour baiser les
malades mentaux et les engrosser de normalité. C'est un boulot
de taureau, et ils vont à l' école pour apprendre leur
métier et tous les cours sont une variation sur le
thème: comment baiser les névrosés, pour le
plaisir et pour le fric, pour le fric, surtout. Et si jamais vous
vous retrouvez sur un de ces divans d'analyste où des milliers
de personnes se sont couchées avant vous, il y a une chose que
je vous conseille de ne pas oublier: quand on vous enfonce la
santé mentale à coups de marteau, le fils ressemble
toujours au père."(97)
Et Charlie, qui sait qu'il a "un petit vélo quelque part là-haut, mais
à part ça, tout va à merveille, merci
beaucoup"(47), implore
directement la divinité psy: "Allez, lis dans mes pensées, Sigmund. Arrose-les
du sperme des symboles et fais-les grandir. Montre-moi que je suis
différent, disons d'un chien enrage ou d'un tigre
assoiffé de sang. Montre-moi l'homme qui se cache
derrière mes rêves érotiques. (...) Au sens symbolique, M. Grace était le
Découvreur de la Route de l'Ouest. Un taureau muni d'une
boussole."(101)
Lors d'une longue discussion, et en utilisant la dissuasion
armée, Charlie viendra à bout du psy et le
piégera: "M. Grace
avait l'air d'un petit enfant malheureux et
désespéré. Par ma faute, il s'était fait
enculer avec son propre instrument, comme dans l' une de ces
étranges expériences qu'on relate dans le Courrier de
Penthouse. J'avais fait tomber son masque de sorcier, et il devenait
humain."(107)
L'ÉDUCATION.
C'est
forcément tes parents.
Des explications à la
situation, Charlie -ou le jeune King?- en a et il va habilement les
suggérer. Dans les propos des élèves, on trouve
la dénonciation des déficiences parentales et
éducatives. En utilisant les théories psychanalytiques
alors à la mode, King va d'abord développer la
thèse de la responsabilité parentale,
l'évolution affective de l'enfant gâchée par des
conditions familiales mauvaises, carence des parents, espoirs
placés trop haut, éducation castratrice comme on en a
vu un exemple avec l'interdiction de la tournée de
journaux: "C'est tes parents.
C'est forcément tes parents (...). C'est ce
qu'on dit toujours dans les livres de psychologie", dit une élève "avec une joyeuse insouciance."(69) Officier de marine15, souvent absent, le père de Charlie
est du genre à croire de bonne foi qu'il est de son devoir
d'imposer comme modèle à son fils un type d'adulte pur
et dur, à la voie toute tracée. Un jour, il l'a
emmené à la chasse pour l'endurcir: "Un épisode de plus dans l'infatigable
campagne de mon paternel pour Faire De Son Fils Un
Homme."(20) Il vomit quand
son père dépèce un cerf tué:
"Il me regardait, il n'a rien
dit, mais je pouvais lire le mépris et la déception
dans ses yeux."(27).
Leurs relations ne seront jamais
bonnes: "C'est mon père
qui avait monté la tente, et tout ce qu'il faisait
était trop tendu, pas de jeu, nulle part..."(74). La devise de son père,
"c'est «Que tout soit
propre, que tout marche». Si un oiseau chie sur le pare-brise,
il faut nettoyer ça avant que ça ait eu le temps de
sécher. Voilà comment mon père voyait la vie, et
moi, j'étais la merde de l'oiseau sur le
pare-brise."(78).
Son père le traite de "fils à maman"(79) et il y a du vrai: sa mère est protectrice,
prend sa défense contre son père, lui donne du chocolat
alors qu'il a cassé des carreaux et devrait être puni,
le cajole, partage son lit avec lui en l'absence du père. Elle
est à l'antithèse de son époux. Elle ne prend
malheureusement pas en charge ses problèmes éducatifs.
King suggère le complexe d'Oedipe...(73/74; 201) Adolescent,
Charlie en viendra aux mains avec son père (220 sv )
Pour d'autres, dont le père n'est pas là, ce n'est
guère mieux, comme l'indique la longue plainte de Cra-Cra
à l'égard de sa mère: "Vous savez ce que c'est son truc? A côté de
ses dîners de merde où on vous donne des hamburgers et
une barquette en carton de carottes râpées en
gelée? Hein? Elle fait des concours. C'est sa passion. Des
centaines de concours. À longueur de temps. Elle s'abonne
à tous les magazines féminins et c'est le grand jeu.
Pourquoi elle aime Rinso pour ses lavages délicats en
vingt-cinq mots ou moins. Ma soeur a eu un petit chat une fois, mais
maman ne l'a pas laissée le garder. (...) Elle l'a
noyé dans la baignoire parce que personne voulait le prendre.
Lilly l'a suppliée de l'emmener chez le
vétérinaire pour qu'on lui fasse une piqûre, mais
maman a dit que quarante balles pour une piqûre ça
valait pas le coup pour un petit chat de merde. (...)
Vous croyez qu'elle
m'achèterait une nouvelle chemise? Pour mon anniversaire peut-
être. Je lui ai dit: « M'man, tu devrais entendre comment
les autres me traitent, pour l'amour du ciel! » J'ai même
pas d' argent de poche. Elle dit qu'elle en a besoin pour les timbres
de ses concours à la con. (...) Elle m'a
forcé à vendre ma voiture. La vieille Dodge que mon
oncle m'avait donnée quand j'ai eu mon permis. J'ai
refusé, j'ai dit que c'était tonton Fred qui me l'avait
offerte et que je la garderais. Elle m'a répondu que si je
voulais pas la vendre, c'est elle qui le ferait. Elle avait
signé tous les papiers, officiellement, c'était elle.
Elle voulait pas que je colle une fille enceinte sur le siège
arrière. Moi! Mettre une fille enceinte sur le siège
arrière! C'est ça qu'elle a dit. (...) Moi ! Ah, ah! Mon dernier rencart avec une fille,
ça remonte au pique-nique de la quatrième. Je lui avais
dit que je voulais pas vendre la Dodge. Elle m'a dit que de toute
façon, j'obéirais. Et j'ai fini par la vendre.
J'étais sûr qu'elle finirait par m'avoir. Impossible de
se battre avec elle. Elle a toujours le dernier mot.(...) - Elle vous écrabouille, vous écrabouille,
vous écrabouille, et elle gagne à tous les
coups."(129/31)
Le déballage prend parfois un caractère terrifiant,
annonçant la formule: les monstres, ce sont les
hommes16. Ainsi un fils traite sa mère devenue alcoolique
de "sale
pocharde", parce qu'elle a
contrarié sa carrière sportive (92). La seule qui a une
opinion positive de sa mère est la fille que l'on accuse
d'être une fille de «pute» parce que sa mère a
mauvaise réputation: "Ma mère est une baiseuse, elle a dit, et je
l'aime."(120)
Les copains? Ce n'est gère mieux. En avoir un vrai est
déjà remarquable: "J'étais plus fort que Joe pour ce qui touchait
à la matière grise, mais lui, il était plus fort
que moi pour se faire des amis. La plupart des gosses se fichent pas
mal de vos facultés intellectuelles; ils en donneraient pas
cent sous, et le type avec un gros Q.I. qui ne sait pas jouer au
base-ball ou alors qui arrive troisième au concours de
masturbation entre potes, c'est la cinquième roue de la
charrette pour tout le monde. Mais Joe appréciait ma
matière grise, lui."(144)
La
toile d'araignée gluante de Notre Mère
Éducation.
Les premières manifestations
d'opposition ont visé le père, mais elles
débordent ensuite de ce cadre. Tout ce qui est
institutionnalisé -école et société- est
mis en cause et rejeté. Aller en classe, c'est passer
"une nouvelle journée
dans la merveilleuse toile d'araignée gluante de Notre
Mère Éducation."(18) Sa sécurité intérieure mal
assurée, doutant de soi, Charlie a la réaction de
beaucoup d'élèves: la soumission et la peur. Et puis un
jour, il éclate. Le professeur de chimie17 l'interroge et se moque de lui: il lui tient
tête et l'agresse. (216)
Dès lors cette peur est toujours ressentie, mais Charlie
éprouve maintenant le besoin d'aller jusqu'au bout de
lui-même, de s'affirmer sans hypocrisie. Et quand il a pu
assumer cette peur, il devient capable de dominer à son tour
sans état d'âme. Et au directeur du lycée, qui
l'a convoqué, il tient tête: "Je n'ai plus envie d'écouter de sermons. C'est de
la merde. (...)
J'en ai marre de vous, de Mr
Grace [le psy] et de tous les
autres. Avant, vous me faisiez peur. Maintenant, vous me fatiguez en
plus. Et j'ai décidé que je n'avais aucune raison de
vous supporter. Je suis comme ça. Je ne supporte pas, c'est
tout."(30/2) Charlie, qui se
sent rejeté, fait preuve d'une agressivité
proportionnelle à l'incompréhension dont il se croit
l'objet.
Il refuse d'être un nom dans un système bureaucratique
où, comme pour son père, rien ne doit dépasser.
Il trouve l'audace de s'exprimer sans fard au principal:
"Je t'aime pas beaucoup, Tom,
tu t'en es sûrement déjà aperçu, mais
jusqu'à présent, tu ne t'es guère
intéressé à ce que je ressentais, pas vrai? Mais
maintenant, je suis sorti de tes dossiers, Tom, t'as pigé? Je
ne suis plus un dossier que tu peux classer à trois heures de
l'après-midi. Compris?
(...) Avant que la
journée soit terminée, nous allons tous comprendre la
différence entre des gens et une liasse de papiers dans un
dossier, la différence entre être un faux-cul et se
faire enculer. Qu'est-ce que tu penses de ça, mon gros
Tommy?"(63/4) De
persécuté, il devient persécuteur.
Former des élèves soumis, cet objectif atteint
peut-être plus encore les meilleurs, comme cette fille, la
meilleure élève de la classe: "Elle a ouvert la bouche comme pour protester,
mais se souvenant peut-être de ses responsabilités de
prix d'excellence et d'Eclaireur du Monde occidental, elle a
aussitôt refermé la bouche."(162) Au cours de sa détention d'otages, Charlie,
-bien qu'il ne voit pas clair dans ses motivations-, va
péniblement essayer de faire comprendre à ses
condisciples que derrière la façade respectable de
l'institution scolaire, il y a des forces puissantes qui ne cherchent
qu'à ôter le libre-arbitre de chacun.
Le
conformisme.
Fabriquer à la chaîne
des citoyens modèles. D'abord par la retenue et le
contrôle strict de la sexualité. On vient de le voir,
même les élèves les plus brillants sont mus par
des valeurs officielles et préétablies. La bonne
élève qui s'était tue tout à l'heure se
décide à parler: "Oh... ça fait rien, a répondu Carol. Je
vais vous le dire.
C'était à mon tour d'être surpris. Toute la
classe attendait impatiemment. Je me demandais ce qu'ils
espéraient: un cas de nymphomanie exacerbée ou alors le
récit des « Dix nuits à la chandelle». Ils
allaient sûrement être déçus, quelle que
soit leur attente. Pas de fouets, pas de chaînes, pas de sueurs
nocturnes. Une pucelle de province, insolente, intelligente, jolie,
qui quitterait peut-être un jour Placerville pour vivre sa vie.
Parfois, ce genre de filles changent à l'université.
Certaines découvrent l'existentialisme, l'anomie et le
haschisch. Parfois, elles se contentent d'adhérer à une
sororité et poursuivent le rêve qu'elles ont
commencé au lycée, un rêve si banal pour les
jeunes pucelles de province qu'on le croirait découpé
dans un patron de Modes et Travaux, comme une robe chasuble ou votre
ravissant chemisier pour l'été ou encore la jupe
campagnarde. Il y a une sorte de malédiction sur les filles et
les garçons brillants. S'ils ont un seul fil de travers,
ça se voit tout de suite. Sinon, ils sont aussi facilement
prévisibles que le résultat d'une racine carrée.
Les filles du genre de Carol ont un petit ami régulier et
aiment bien flirter un peu (mais, comme le chantent les tubes
«Ne me touche pas là»), rien d'enthousiasmant. Ce
n'est pas grave, je suppose. On s'attend à plus, mais
désolé, c'est inutile. Les gosses brillants, c' est un
peu comme les sandwiches devant la télé. C'est
comestible. En fait, je m'en fiche un peu. Les filles intelligentes
sont un peu bébêtes, c'est tout."(165)
D'autres sont destinées au conformisme tranquille et sans
histoires: "Susan Brooks
était le genre de fille qui ne dit jamais rien sauf quand on
l'interroge, à qui les profs sont toujours obligés de
demander de parler plus fort, s'il vous plaît. Une nana
sérieuse, consciencieuse. Assez jolie, mais pas très
futée, de celles qu'on ne laisse pas se réfugier dans
une filière commerciale parce qu'elle a un frère ou une
soeur aîné très brillants et qu'on s' attend
à la voir obtenir les mêmes résultats. En fin de
compte, une fille qui pige rien mais avec toute
l'élégance et toute la politesse dont elle est capable.
En général, elles épousent des chauffeurs de
camion et vont s'installer sur la côte ouest où elles
ont des kitchenettes avec comptoir en formica - et elles
écrivent à leurs vieux parents à l'Est aussi
rarement que possible. Elles mènent des petites vies heureuses
et bien tranquilles et deviennent de plus en plus jolies au fur et
à mesure que l'ombre du frère ou de la soeur
aîné s' estompe."(68)
Ou celles qui veulent réussir en épousant un type
riche: "Je l'imaginais
mariée à un pauvre type avec cinq costumes
croisés, et avec du papier hygiénique double
épaisseur pastel dans les toilettes. Ça me faisait mal
au ventre, tellement c'était inévitable. Elles
finissent toutes par s'apercevoir à quel point ça
manque de classe de perdre ses boutons pendant la danse du balai ou
de se terrer dans le coffre de la voiture pour rentrer gratis au
drive-in. Elles cessent de manger des pizzas et de mettre des sous
dans le juke-box chez Fat Sammy. Elles cessent d'embrasser les
garçons dans les carrés de myrtilles. Et elles
finissent toutes par ressembler aux poupées Barbie qu'on
découpe dans Jack and Jill. Pliez selon les lignes A, B et
C."(139)
Dans Carrie, ces
idées seront reprises et brillamment développées
avec la lycéenne Sue Ellen, qui prend conscience de sa
situation. Et cette idée du conformisme féminin
régulateur restera présente dans toute l'oeuvre de
King.
POLITIQUE.
Un certain nombre de
réflexions annoncent un King qui est prêt à
évoluer avec les événements des années
68/70 où il aura une activité politique à
l'université, et certains romans comme Le
Fléau, l'Accident en sont des dérivés directs. King a
beaucoup de méfiance à l'égard des hommes
politiques, préférant la paix à la guerre:
"C'était
peut-être à cause de Ted, le beau courageux, imbu du
machisme qui fait que les guerres remportent un tel
succès."(89)
L'homme politique n'est pas sûr: "Ted était pour mes camarades de classe ce
qu'Eisenhower devait représenter pour les démocrates
sincères des années cinquante - on était bien
forcé de l'aimer, de la classe, un sourire, un passé,
bourré de bonnes intentions, mais en même temps il y
avait quelque chose d'exaspérant et de visqueux chez
lui."(132) L'homme politique
est un imposteur qui exerce son autorité dans la plus totale
hypocrisie: "Ted me souriait
étrangement, mais je crois pas qu'il s'en apercevait.
J'observais son visage, les plans d'une beauté conventionnelle
des joues, le front qui barricadait tous ces souvenirs de
soirées en boîte, de bistrots, de voitures, des seins de
Sandy, de maîtrise de soi, d'idéaux. Soudain, j'ai su
quelle était la dernière étape. D'ailleurs,
c'était peut-être la seule chose qui avait jamais eu de
l'importance, et surtout, je savais qu'il avait des yeux de faucon et
des mains de pierre. Ça aurait pu être mon propre
père, mais cela n' avait pas d'importance. Lui et Ted
étaient relégués très loin sur l'Olympe:
des dieux. Mais mon bras était trop fatigué pour
détruire des temples. Et puis, je n'ai jamais eu la trempe
d'un Samson. (...)
Ses yeux étaient si
clairs et si droits, si terriblement sûrs de leur but:
c'étaient les yeux d'un politicien."(205/6) Un élève le résumera en
trois mots: "«Tueur
d'âmes!» a soudain sifflé Cra-Cra."(228)
Charlie finit par comprendre que celui qui détient la force a,
du même coup, la puissance politique, ce qu'il éprouve
à deux reprises, avec le principal du collège et son
père: il suffit d'en imposer. "J'étais sur le point de me rendre compte comme il
était facile de trouver les combinaisons secrètes de
qui on voulait, à condition d' avoir une trique assez
grosse."(217) ou :
"J'oublie rarement une
leçon que j'ai bien apprise. Et je n'avais pas oublié
comment on pouvait obtenir la combinaison secrète de quelqu'un
si on avait une trique assez grosse."(224) Face à une société
lâche, il suffit d'employer le bon moyen pour fausser le jeu et
casser la routine. Dans ce même domaine, il faudrait regarder
de plus près la situation de l'officier de police Philbrick
(158,170,208) qui inaugure une importante série de
shérifs ou de flics
Des incidentes apparaissent, comme elles se manifesteront dans toute
l'oeuvre. Rassemblées, elles doivent constituer un
véritable historique des présidents des USA ou des
postulants à la présidence depuis une trentaine
d'années, comme celle-ci: "Ils sont même allés ensemble à une
manif quand Robert Dole est venu à Portland pour sa campagne
présidentielle. Ils se sont fait arrêter, mais on les a
relâchés après le départ de
Dole.(...) Tu t'imagines Irma essayant de défoncer
la tête de Robert Dole avec une pancarte en faveur de Gus
Hall."(242)
Dans l'ensemble, c'est moins à l'autorité
elle-même que s'en prend King qu'à son opacité,
à son arbitraire, à sa suffisance et à
l'habileté avec laquelle les responsables éludent leurs
obligations: "La
responsabilité! j'ai crié. Mon Dieu! vous prenez des
responsabilités depuis le jour où ils vous ont
laissé sortir de l'université! Et maintenant vous
voulez vous débiner la première fois que vous avez les
fesses à l'air!"(100)
L'évolution du jeune King est amorcée. L'année
suivante, à l'Université, il passera du
conservatisme18 de Nixon à un radicalisme militant et
engagé, luttant pour les droits des étudiants, une
société démocratique, contre la guerre du
Vietnam. Cette évolution le conduira ultérieurement
à des convictions proches de celles des
démocrates.
AUTRES
ASPECTS.
Il faut aussi citer divers aspects
qui n'ont pas donné lieu à des développements
importants, mais qui se retrouveront partout. Les voici en
vrac:
Utilisation d'un
pseudonyme.
Alors que King n'avait pas
utilisé de pseudonyme quand il envoyait le manuscrit de
Rage à ses
éditeurs dans sa période de galère, il y fait
intervenir un romancier «double»: "[Mon père]
lit les romans de Richard
Stark sur Parker, vous savez, le truand. Ça a toujours fait
rigoler ma mère. Un jour elle a craqué et elle lui a
dit que Richard Stark, c'était en fait Donald Westlake qui
écrit des romans policiers comiques sous son vrai nom. Alors
mon père a essayé de lire un Westlake un jour, et
ça lui a pas plu du tout. Après, il se conduisait comme
le toutou de Westlake, Stark, qui s'est retourné un jour
contre son maître et lui a sauté à la
gorge."(72/3) Plusieurs
indications précieuses nous sont ainsi données: King
songeait peut-être à vingt ans à se créer
un «double». Mais surtout, ce passage annonce la place que
ce thème prendra chez lui, avec au moins trois oeuvres (une
novella et deux romans) qui en sont directement
inspirées:
Vue imprenable
sur un jardin secret,
Misery et
surtout
La
Part des Ténèbres, ou
le «double» de l'écrivain Thad Beaumont s'appelle...
Georges Stark19 .
La place du
fantastique.
Il n'y a pratiquement pas de notations sur les thèmes du
fantastique, domaine que King n'abordera que plus tard, encore que
toute son enfance ait été animée par les films
du genre (. Les deux relevées concernent les vampires. Une
allusion: "Dracula avait bien
des pieds d'argile, après tout."(118) Un développement plus long concernant un
rêve: "Il y en avait un
où je marchais dans les sous-sols d'un château
moyenâgeux qui ressemblait au décor d'un vieux film de
l'Universal. Il y avait un cercueil avec le couvercle relevé
et quand je regardais dedans, je voyais mon père, les mains
croisées sur sa poitrine. Il était pomponné dans
son uniforme de marin -le jeu de mots est intentionnel, je suppose-
et il avait un pieu enfoncé dans le bas-ventre. Il ouvrait les
yeux et il me souriait. Il avait des crocs à la place de
dents."(213) On trouve une
citation du cabinet de docteur Claigari (224), des monstres japonais
(Godzilla et d'autres, 147).
La musique
pop.
Elle est omniprésente, comme elle le sera dans toute l'oeuvre.
Apparaissent les Beatles (147, 188), les Clinch Mountain Boys, Flatt
et Scruggs (192), les frères Adreizi, Bobby Sherman (147).
Conversation sur le sujet: "Au
lieu de Ravi Shankar et de son incroyable cithare, il avait toute une
collection de disques country et folk. Quand j'ai vu son album des
Greenbriar Boys, je lui ai demandé s'il avait
déjà entendu les Tarr Brothers. J'ai toujours
été un fana de country et de folk."(192) Souvent les titres des chansons sont
donnés, ce qui permet de faire des rapprochements
intéressants. Ainsi cette chanson des Beach Boys:
"Quand j'entends les Beach
Boys chanter Help me, Rhonda, je revis durant une ou deux secondes
d'enchantement la honte et l'extase de mon premier pelotage (et un
simple calcul mental vous permettra de constater que j'ai
abordé cette activité avec un certain
retard)"20, déclare t-il dans Anatomie de l'horreur (p.
126) vers 1980. Or il y a des analogies frappantes avec
Rage
quand Charlie sort avec un
copain et des filles: "J'ai
toujours eu un estomac pourri. Des fois, j'avais des nausées
avant d'aller à l'école le matin, ou en sortant avec
une fille pour la première fois. Un jour, Joe et moi, on a
emmené des nanas au parc de Harrison. (...) On a pris la route 1 vers Bath, avec la radio
allumée qui passait du rock. Brian Wilson, ça je m'en
souviens, Brian Wilson et les Beach Boys. Ils parlaient de surf, ce
qui allait drôlement bien avec les Beach Boys à la
radio. Elle était mignonne. Elle s'appelait Rosalynn.
C'était la soeur d'Annmarie... J'ai ouvert la bouche pour dire
que je ne me sentais pas bien et j'ai tout vomi par terre. Il y en a
un peu qui est tombé sur la jambe d'Annmarie. Si vous aviez vu
sa tête!"(135)
Dans un domaine très différent se trouve aussi
cité Bach (80): mais les auteurs de musique classique
n'apparaîtront dans l'oeuvre que de façon très
limitée.
Les
auteurs.
"J'ai lu trop de
livres"déclare
Charlie. Le texte de King est parsemé de noms d'auteurs
divers: Tolkien, Herman Hesse (194); Henry James (157); James Cain
(241); Ernest Hemingway (134) Cette attitude particulière
consistant à parsemer ses livres de noms d'auteurs deviendra
permanente.
Références bibliques.
Il y en a quelques-unes: "Je
me souvenais du passage de la Bible sur Jacob qui se bat avec un
ange, et j'ai assaisonné la figure de Dicky d'une belle
façon."(151); ou :
"Mais mon bras était
trop fatigué pour détruire des temples. Et puis, je
n'ai jamais eu la trempe d'un Samson."(205/6) Ces références iront augmentant et
certaines romans seront farcis d'allusions bibliques ou
mythologiques.
Écologie.
Une petite place donnée à l'écologie, qui ira
par la suite en augmentant (dès Marche ..., la pollution des rivières du Maine sera
systématiquement dénoncée). La chasse sera
toujours considérée avec suspicion par un King
volontiers ironique à ce propos: "Lui et mon père, c'étaient deux grands
chasseurs. Exterminateurs des abominables cerfs aux dents pointues et
des perdrix meurtrières."(20)
Paysages &
saisons.
Une des constantes de King est d'introduire rarement, mais de
manière systématique, des descriptions de paysage ou de
climat, qui sont plus ou moins réussies. Comme cet exemple:
"Il y avait un soupçon
de lune et un fantôme de brise. La scène était
d'une beauté si renversante que pendant un instant, j'ai cru
marcher dans une carte postale en noir et blanc. Derrière moi,
en haut, la baraque se perdait dans le flou. Des arbres grimpaient de
chaque côté, des pins et des épicéas qui
penchaient au-dessus de la pointe des rochers nus -des
épicéas jumeaux qui encadraient la plage en demi-lune
balayée par les vagues. Devant moi, s'étendait l'
Atlantique, parsemé d'une myriade de vagues reflets lunaires.
Au loin, à gauche, j'apercevais la courbe à peine
visible d' une île et je me demandais qui, à part le
vent, osait s'y aventurer la nuit."(197)
L'utilisation
du nom des produits.
de marques déposées, qui vont des vêtements:
(Wrangler, 16); Levi's, 52), d'un cadenas (Titus 39), de bière
Bud,45) ou de cigarettes (Kent,45; Camel, 59) au produit de lessive
(Rinso, 129) etc. Certains ne sont pas cités incidemment, mais
font l'objet d'une mise en forme: "J'ai mis le chewing-gum dans ma bouche. Un Black Jack.
J'en connais pas de meilleurs."(144) ou : "Tous
les ans, au mois de septembre, depuis que je suis entré
à l'école primaire, ma mère revient du Mammouth
avec deux cents crayons Be-Bop dans une boîte de
plastique". Ces crayons ne
valent rien: "Il a
cassé le crayon entre ses doigts et l'a regardé
fixement. Pour dire la vérité, ça m'avait
vraiment l'air de la camelote. Pour moi, je me sers toujours
d'Eberhard Faber."(129) Mais
c'est l'intérêt pour les marques de voiture qui
l'emporte: Dodge, Mustang, Pontiac, Mercury... A propos des voitures,
on peut noter des incidentes qui rappellent des situations que l'on
retrouvera ultérieurement: "On ne peut pas enlever l'odeur de vomi de la tapisserie
d'une Mercury bleue. Ça reste pendant des semaines, des mois,
des années peut-être. Et ça puait autant que je
le craignais. Tout le monde a fait semblant de rien, mais l'odeur
était là."(135), situation qui suggère un rapprochement
avec l'odeur de cadavre dans la Plymouth Fury 58 d'Arnie dans
Christine. Ou la voiture
de l'ado qui s'est tué: "Il avait une Pontiac 1966. Il a refait toute la
carrosserie lui-même. Il l'a repeinte en vert bouteille avec un
as de pique sur la porte du passager."(156), qui annonce le carré d'as de la voiture de
Cours, Jimmy,
Cours.
L'utilisation du nom des marques deviendra obsessionnelle et on se
moquera souvent de cet engouement particulier qui pousse souvent King
à glisser son propre nom de manière inattendue. King
produit de marque?
Notions
philosophiques diverses reprises
ultérieurement:
L'Étranger.
De par sa jeunesse difficile
psychologiquement, King a toujours été marqué
par la situation de l'étranger, qu'il appellera dans
Anatomie de
l'Horreur: le mutant.
L'idée est bien précisée dès
Rage:
"Une bande écarte
toujours l'étranger, le marginal, le mutant."(89) On peut même considérer le
récit comme l'analyse de la manière dont évolue,
dans un groupe, le statut de «mutant». Au début du
récit, c'est Charlie qui apparaît comme le mutant. Un
seul ami, distant avec la classe, il a agressé un professeur
et a des ennuis avec l'administration. Mais lors du psychodrame qu'il
organise, ses condisciples remarquent qu'ils ne sont pas, dans le
fond, avec leurs problèmes particuliers, si différents
de lui. Le mutant devient dès lors l'élève qui
paraît brillant, mais se dissimule par son hypocrisie. Ils
l'accablent de diverses observations, qui le mettent à jour,
et sur lesquelles Charlie s'interroge "De la simple jalousie, alors. Le besoin de voir tout le
monde réduit au même niveau à se gargariser dans
le même concert de rats, pour paraphraser Dylan. Enlève
ton masque, Ted, et assieds-toi avec nous, les gars
ordinaires."(89) Le
psychodrame se termine avec la destruction symbolique par la classe
de l'esprit d'un élève qui représentait pourtant
l'idéal du bon élément dans la
société, mais dont le statut protecteur s'est
effondré.
Le
fonctionnement de l'esprit humain.
Rares sont les oeuvres où
n'interviennent pas des remarques sur le rationnel, le fonctionnement
de l'esprit humain. On peut en relever quelques-unes. Sur la
difficulté de la réflexion pour l'esprit humain:
"Ils avaient tous compris. La
compréhension, ce n'est pas pareil que l'entendement, mais
cela suffisait. Quand on prend la peine d'y penser, l'idée
même d'entendement a une nuance un peu archaïque, comme le
son d'une langue oubliée ou un coup d'oeil dans une camera
obscura victorienne. Nous, les Américains, on est plus forts
pour la compréhension simple. Cela permet de lire plus
facilement les tableaux horaires quand on descend en ville par
l'express de cinquante-cinq. Pour l'entendement, les mâchoires
mentales doivent s'ouvrir à en faire craquer les tendons. La
compréhension, on peut se la procurer sur n'importe quelle
étagère de livres de poche des États-
Unis."(114/5)
Sur le rationnel et l'absurde. L'épigraphe déjà
citée plus haut, une phrase du professeur de
mathématiques met bien en évidence les
différences entre l'essence et l'existence: "Vous comprenez donc d'abord bien que si l'on
augmente le nombre de variables, les axiomes eux-mêmes restent
valides."Vouloir
réduire les êtres humains à des
caractéristiques bien définies à l'avance a
toujours gêné King. La réalité est plus
complexe, et les hommes sont définis par leurs conditions
d'existence davantage que par leur essence. Vouloir réduire
l'homme à des postulats de principe (il faut, on doit, il
n'est pas admissible de...) est une entreprise réductrice qui
ne tient pas compte des réalités humaines. Il en est de
même en ce qui concerne le rationnel et l'irrationnel.
L'éducation ne veut qu'exalter le rationnel, au mépris
des autres réalités, comme le principal de Charlie:
"ll ne s'attendait pas
à une conduite irrationnelle. Ces choses-là,
c'était pour les chiottes, bien rangé à
côté des magazines cochons qu'on ne montre jamais
à sa femme."(36)
Se manifeste aussi le sentiment d'une absurdité semblable
à celle de L'Étranger de
Camus, quand Charlie tire sur son prof: "Il n'y a aucune unité de temps qui puisse
exprimer l'essence de la vie; le temps entre l'explosion du plomb
à la sortie du canon et l'impact net et précis; le
temps entre l'impact et les ténèbres. On peut
simplement faire redéfiler des images vides qui ne montrent
rien de nouveau."(48) Ou
quand il casse les vitres: "C'était une très belle journée.
J'avais quatre ans. C'était une journée d'octobre
absolument splendide pour casser les vitres."etc (81)
L'aléatoire.
Quelques mots encore sur les rapports entre la
nécessité et l'aléatoire, à propos de
l'épisode du cadenas. Au vestiaire, l'armoire de Charlie est
fermée par son cadenas: "Je suis Titus, le précieux
cadenas."(39/40) Charlie
jette le cadenas à la poubelle, puis quelque temps
après le ramasse. Le lecteur oublie cet incident. Plus tard,
un flic tire sur Charlie: "Il
a tiré et a planté sa balle exactement où il
pensait et espérait la mettre: dans ma poche de poitrine en
plein sur le mécanisme de mon coeur... Où elle a
heurté l'acier dur de Titus, le Précieux
Cadenas."(171, 176) Cette
façon de jeter un peu partout dans le récit des
éléments les plus variés deviendra une
constante, et leur fréquence ultérieure dans la
même oeuvre témoignera d'un talent magistral de
composition.
Technique
littéraire.
Il faut enfin noter, dans le domaine de technique littéraire
divers procédés qui, par la suite, deviendront
constants: intrusion de compte-rendus, de documents et de lettres,
dans une veine qui ira de Carrie aux
Régulateurs; la
rupture d'un paragraphe en milieu de phrase; progression du suspense
avec des coups de théâtre bien amenés. Et aussi,
avec un solide réalisme, la finesse des descriptions
psychologiques.
CE QUE LE
ROMAN N'ANNONCE PAS.
Les personnages de Rage n'annoncent en rien les personnages principaux des deux
autres orientations romanesques que King exploitera par la suite: les
récits écrits dans l'esprit du fantastique ou les
romans cosmiques. On ne rencontre pas ici l'individu possesseur d'un
«don», utilisé pour un bon ou un mauvais usage. On
ne trouve pas davantage l'archétype mythique de la lutte du
bien contre le mal, où les personnages qui ont notre sympathie
sont des agents des forces de la lumière. Quand arrive la fin
du récit, la victoire a été le plus souvent
acquise, par un individu seul ou par un groupe, au prix d'importantes
souffrances, qui ont un caractère rédempteur.
Dans Rage, on
ne peut pas dire que le personnage de Charlie soit
particulièrement sympathique. Il éveille notre
intérêt, plutôt que notre sympathie. Comme chez
ses camarades de classe, il suscite en nous une sorte de
«syndrome de Stockholm», qu'on trouve dans les prises
d'otages, et qui font que le ou les tueurs ne sont plus horrifiants
dès qu'ils ont commencé à converser avec les
victimes. C'est le type de personnages qui seront
représentatifs de «l'aspect Bachman», ces
héros qui luttent à la fois contre eux-mêmes et
contre la société qui ne leur a pas donné ce
qu'ils en espéraient. Leur déception se traduit par une
sorte de dérélection négative augmentant
plutôt le désordre protestataire sans aucun désir
d'améliorer les choses
Son héros est un
individualiste, qui n'a pas su encore se forger son système de
valeurs et en cherche un. Mais il ne le trouve pas dans une
société où les valeurs sont conventionnelles ou
convenues, hypocritement affichées, mais non suivies pour
certains. Confortables intellectuellement parce qu'elles
évitent de penser pour les autres. Charlie se trouve
prisonnier d'un engrenage qu'il ne sait comment arrêter. Sans
prise sur les réalités pour les modifier, amené
à utiliser faute d'autres des moyens destructeurs, il n'a
d'autre ressource que d'affronter la mort. Ce sera également
le thème des deux autres romans de jeunesse, Marche ou Crève et Running Man21, où les perspectives sont
généralement pessimistes. Rien à voir avec le
combat des personnages de la lumière soutenus par un projet ou
une cause qui les dépasse.
Ensuite ce roman, comme quelques-uns
qui paraîtront sous le nom de Bachman (ou d'autres, comme
Cujo, Misery ou Jessie qui
auraient pu être des Bachman) s'inscrit dans le moule de la
fiction classique, où ce que l'auteur cherche à donner,
c'est «l'illusion d'une réalité», le
réel auquel est habitué le lecteur ou qu'il admet comme
réalistement possible. On retrouvera ce fond de
réalisme constamment, même dans les récits
fantastiques ou de science-fiction. Ce qui donne à la partie
fantastique de son oeuvre cet aspect curieux d'un imaginaire
irréaliste installé dans le réel le plus
prosaïque.
Conclusion.
Il serait futile de prétendre
que Getting it
on
contient en condensé
l'oeuvre à venir de King. Mais il porte en son sein
d'intéressants germes qui grandiront et feront l'objet, avec
des fortunes diverses, de développements et de situations
variées. À ce titre, au-delà de la faiblesse
relative de ce roman d'un jeune auteur, on peut considérer
qu'il a constitué pour King une première occasion de
mettre au point une technique qui consiste à mettre une partie
de soi dans une oeuvre qui se veut entièrement tournée
vers l'imaginaire.
Il est difficile à quelqu'un
qui a vécu ce que King a éprouvé dans son
enfance, d'avoir une vision idyllique de la société.
Quand on suit attentivement le parcours de Steve, depuis qu'il a
commencé à écrire à douze ans
jusqu'à l'Université, on ne peut manquer d'être
frappé par une dominante, qui ne quittera jamais son oeuvre:
la dérision. Une dérision moins cynique que celle que
l'on trouve dans des oeuvres de Céline, mais qui traduit le
refus d'embellir une réalité qui a des aspects
jugés inacceptables. Avec, en plus, la moralisation des
choses: quand il a écrit ce pamphlet qui vitriole les valeurs
établies que l'on veut inculquer au lieu de développer
esprit critique et libérer les esprits, il ne faisait
qu'anticiper sur une constante spriritualiste de son oeuvre. Ce que
certains critiques appelleront son côté
prêchi-prêcha. Mais qui, pour les inconditionnels de
King, ne seront que la traduction d'un homme qui s'engage dans son
oeuvre.
Roland Ernould © Armentières, mai
1999.
Les jeunes
années de King et ses rapports avec le sexe ont
été étudiés dans les premiers chapitres
de mon livre:
janvier 2000, aux
éditions Naturellement, Table des
matières.
Notes.
1 Ce n'est pas son premier essai dans le roman.
The Aftermath, écrit en 1965/6, n'avait jamais
été édité avant sa parution en 1998 dans
le recueil de textes kingiens inaccessibles établi par Stephen
Spignesi The Lost Work of
Stephen King. Il en est de
même pour son quatrième roman, Sword in the Darkness (1968/70) et son cinquième Blaze
(1970/3). Le troisième roman The Long Walk, Marche ou
Crève, n'a
été édité qu'en 1979, encore sous le nom
de Bachman. Le lecteur curieux trouvera une analyse de ces premiers
romans et un commentaire dans un article de George Beahm, paru dans
Phénix Dossier n°2 Stephen King,
19975, p. 355. Ou, à défaut, dans la section oeuvres
non publiées du livre d'Hugues Morin, Trente Ans de Terreur, éd. Alire, 1997.
Tous ces romans furent refusés par les éditeurs et
certains n'étaient connus que par les manuscrits
déposés à la Bibliothèque Universitaire
du Maine.
2 King a écrit et publié Carrie, Shining et
Salem quand il pense éditer ce roman de
jeunesse. Bien que présentant un intérêt certain,
Getting It On, devenu Rage, n'est
évidemment pas au même niveau de qualité, de
construction et d'imagination que les suivants. Mais surtout King a
maintenant une réputation d'auteur fantastique, que les
éditeurs lui demandent de soutenir, et Rage
ne présente absolument pas ce genre. C'est pour cette raison
qu'il l'éditera, comme Marche et Crève, écrit l'année suivante à
l'Université, sous un pseudonyme.
3 King pensait d'abord publier son roman sous le
pseudonyme de Guy Pillsbury, nom de son grand-père paternel,
quand ce nom fut éventé et l'objet d'échos dans
la presse. King choisit alors le nom de Richard Bachman, pour lequel
il inventa une biographie et trouva une photo.
4 "L'été suivant l'obtention de son
diplôme, King commença, mais ne termina pas, ce qui
serait sa première oeuvre achevée, Getting it on qui
tire son titre de la chanson des T-Rex Bang the Gong (Get it On). Une
étude psychologique, l'histoire d'un lycéen qui prend
ses camarades de classe en otages. Getting it on exploite les peurs
de ne pas s'adapter de King adolescent." Beahm, Stephen
King Story, p. 49 (livre non
traduit en français). C'est le groupe Tyrannosaurus-Rex,
devenu T-Rex en 1970, qui interprétait cette chanson.
5 Il a du réviser et à coup sûr
actualiser son manuscrit lors de la publication de 1977: par exemple,
quand il compare le sourire du professeur de mathématiques
à celui du "requin des
Dents de la mer"(14)
Jaws, (titre français: les dents de la mer), film de Steven Spielberg, est en effet sorti aux USA
en 1975. Le titre est à nouveau cité p. 225.
6 Plus exactement le «terminateur», la ligne de
séparation des parties obscures et éclairées du
disque lunaire.
7 J'ai déjà signalé cette
distinction fondamentale à plusieurs reprises et notamment
dans une étude récente de Déjeuner au Gotham Café, une nouvelle dionysiaque.
8 Citation directe d'une phrase prononcée par le
père au cours d'une soirée d'ivrognes qui a
terrorisé Charlie de manière durable. Son père
prétendait qu'il trancherait le nez de sa mère si elle
le trompait.
9 Anatomie de
l'Horreur, 112, 115 et 111.
10 King a été profondément
marqué par un événement qui s'est produit
pendant ses vacances scolaires avant d'entrer à
l'Université. Fin juillet 1966, à Austin (Texas), un
étudiant en architecture, Charles Joseph Whitman,
âgé de 24 ans, grimpe au 26è étage de la
tour centrale de l'Université et ouvre le feu. Avec deux
fusils de chasse, une carabine à canon scié et un
pistolet, il tire sur tout ce qui bouge. La tuerie dure plus d'une
heure. Bilan: 15 morts et 33 blessés.
Whitman est abattu par la police. Il avait fait son service militaire
dans le corps des
marines et c'était un
tireur d'élite. A son domicile, on découvre les corps
de sa mère et de sa jeune femme. Les policiers
découvrent également plusieurs notes manuscrites.
Whitman écrivait qu'il ressentait "un besoin de dépression et un besoin de
violence." À
l'université, Whitman était apprécié tant
par ses professeurs que par les étudiants,
d'après Le Journal de
l'année, 1966/67,
Larousse, 126.
11 Interview de Lou Van Hille, Burton Hatlen, Professeur, Guide, Ami, Steve's Rag #11,
nov. 1996, 21.
12 Cet événement préoccupe un King
lui-même déstabilisé, qui se demande s'il n'est
pas aussi à la merci d'un tel geste .
"Peut-être
êtes-vous bourré un mardi après-midi. Vous pouvez
développer une nette animosité en classe. Vous pouvez
laisser tomber. Vous pouvez aussi commencer à regarder la tour
de Steven's Hall et vous demander -juste vous demander- à quel
point ce serait agréable d'y grimper et d'abattre quelques
personnes."Plus tard, en
1983, réfléchissant sur cet épisode, et la
tentation qu'il a éveillée en lui, il dira dans une
interview: "Peut-être
aurais-je été un professeur de lycée moyen et
aigri, faisant semblant d'agir selon les règles et
s'affaiblissant en glissant vers les années
crépusculaires. D'un autre côté, j'aurais pu
faire une fin dans une tour du Texas, libérant mes
démons comme un robot, avec un puissant fusil à
lunette. Je veux dire, je connais ce type Whitman. Mon
écriture m'a sauvé de la tour."George Beahm, The
Stephen King Companion,
55.
Livre non traduit en français)
13 La traduction littérale de Getting It On est: «En y allant», à comprendre comme
l'expression française: «Quand faut y aller, faut y
aller». «Y aller», c'est ce que demande Charlie
à ses condisciples en les invitant à parler de leurs
frustrations et de leurs peurs. Les élèves, peu
à peu pris dans une séance de défoulement
individuel, puis collectif, «y vont» effectivement,
révélant leur part obscure, inconnue aux autres et
souvent d'eux-mêmes. Mais en argot, la même expression
signifie: «en s'envoyant en l'air», «en faisant
l'amour». La connaissance de ce double sens prend ici un
intérêt particulier.
14 Je viens de terminer un livre sur Stephen King et le sexe, actuellement proposé aux
éditeurs (mai 1999)
15 Comme le père de King.
16 "Nous avons rencontré le monstre, et
comme Peter Straub le fait remarquer dans Ghost Story, le monstre,
c'est nous-mêmes."Anatomie de l'Horreur, p. 59.
17 King a toujours eu de mauvais résultats
scolaires dans les matières scientifiques, et notamment en...
chimie..
18 La famille de King était globalement
conservatrice et votait républicain.
19 Les Régulateurs est le dernier roman à avoir
été publié sous le nom de Bachman, après
des années d'abandon, depuis qu'on a su qui se cachait
derrière ce pseudonyme. King a d'ailleurs feint que la
«veuve» de Bachman, Claudia Inès, avait
retrouvé ce manuscrit inédit. King a insisté de
manière curieuse lors d'une interview: il a affirmé que
c'est une «voix» qui lui a ordonné d'écrire
ce roman, de "remettre le
chapeau de Bachman"et...
"d'y aller" (Interview publiée dans
The Publisher
Weekly, 5/9/96, cité
dans un article de Daniel Conrad: Sous le masque de Bachman, publié dans le livre d'Hugues Morin
Trente ans de
terreur, éd. Alire
1997. Cet article fourmille de remarques pertinentes sur l'auteur
Bachman/King.
20 Help me, Rhonda,
composé par Brian
Wilson pour le groupe les
Beach Boys a
été enregistré le 24/02/1965, par Capitols
Records. La sortie du disque se fit le 05/05/1965, et ce fut un tube
pendant les mois qui suivirent. On peut donc situer avec une
exactitude suffisante ce «pelotage»: Steve va avoir ou a 18
ans comme Charlie, et on doit noter la correspondance exacte entre la
biographie (Anatomie) et la
fiction (Rage)
21 Avec Carrie et les
oeuvres suivantes, King débouche sur d'autres perspectives: la
place du différent ou du mutant dans la société,
mais avec les mêmes perspectives sur la mort. C'est à
partir du Fléau que
les forces de la Lumière, nettement définies,
l'emporteront sur les forces des Ténèbres, dans un
combat sans cesse repris, mais dans des perspectives plus
optimistes.
Lire aussi
:
Les premiers romans
: RAGE, RÉVOLTE et
DÉSESPOIR.
Les premiers romans que King
a écrits entre 19 et 24 ans Rage et Running Man présentent un grand intérêt
pour la formation de sa sensibilité et pour la
compréhension de la genèse de sa pensée
sociale. Le rapprochement de ces deux oeuvres paraît
donc légitime et le but de cette étude est de
poser des jalons pour l'analyse du passage d'un King
étudiant à un King chargé de famille,
dont la vie n'est pas facile. Charlie a vécu une
scolarité lycéenne terne et peu heureuse, puis
a connu le bouillonnement universitaire de la fin des
années soixante. Ben est passé d'une
indifférence vis-à-vis du social (comme
Charlie) à une prise de conscience plus grande des
réalités politiques du moment. Les situations
sont étudiées sous un éclairage
littéraire en les rapportant au vécu de King
adolescent. S'agit-il d'une révolte réelle qui
a existé chez King? En famille, au lycée ou
à l'université? Jusqu'où est-elle
allée?
(King vient de demander aux
éditions Penguin de ne pas refaire de retirage de son
roman Rage: raison
invoquée: le massacre de Littleton. Infos)
1ère partie
:
...KING CONTRE LA GUERRE
DU VIETNAM : l'homme et le conflit.
King a vécu la guerre
du Vietnam alors qu'il était à
l'université. Les allusions au Vietnam sont
fréquentes jusqu'à la période allant
jusqu'aux Tommyknockers. Elles sont apparu de moins en moins nombreuses,
alors qu'elles sont très courantes dans les oeuvres
jusque Simetierre. Ensuite elles disparaissent
complètement pendant dix ans, pour
réapparaître avec Désolation, en 1996 et plus récemment,
le Vietnam concerne trois des cinq textes de Coeurs perdus en
Atlantide. Il semble
ainsi que les notations concernant le Vietnam ont
été abondantes dans l'oeuvre de
King tant que le conflit était
récent, pour être délaissées
quand le souvenir s'en est estompé dans les esprits.
Les limites des prises de position de King contre une guerre
qui l'a mobilisé plusieurs années de jeunesse
se révèlent un peu décevantes.
King semble avoir quitté
l'université avec le seul souci de se faire un destin
personnel, et en ayant oublié les luttes collectives,
auxquelles il avait cependant participé dans la
générosité de sa jeunesse.
King n'est pas un politique.
2ème partie : KING ET LA GUERRE
DU VIETNAM : l'utilisation littéraire du
Vietnam. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. dans Désolation
et
Coeurs
perdus en Atlantide. ..
Le Vietnam
réapparaît maintenant avec l'âge de la
maturité et le retour sur les années soixante,
années de jeunesse de King.
Surtout, à l'imitation de Straub,
le Vietnam devient l'objet d'une exploitation
littéraire. On
peut comprendre ainsi pourquoi il n'y a pas, dans l'oeuvre
de King,
de déclaration fracassante contre la guerre du
Vietnam, ou les autres conflits qui ont suivi. Il n'y a pas,
chez lui, un état d'esprit propice à la
rupture avec les institutions présentes. Ses valeurs
sont des valeurs traditionnelles. Après avoir participé aux luttes
politiques et sociales de son temps, qui ont marqué
ce descendant de républicains, devenu hostile au
conservatisme et à l'étroitesse d'esprit de ce
parti,
King donne
l'impression de fuir l'engagement direct et de trouver dans
son oeuvre un exutoire aux tensions qu'il a
accumulées pendant sa jeunesse. Exutoire, parce que
l'écriture le libère de ses tensions. Attitude
politique plus passive qu'active.
|
voir mon
autre étude :
Les premiers romans : RAGE, RÉVOLTE et
DÉSESPOIR.
ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
différentes saisons
saison # 4 -
été 1999.
Contenu de ce site
Stephen King et littératures de l'imaginaire :
.. du site Imaginaire
.. ... .
.. du site
Stephen King