Romans de jeunesse de
Stephen King.
Rage,
RÉVOLTE et DÉSESPOIR.
Les premiers romans que King a
écrits entre 19 et 24 ans et publiés bien plus tard
présentent un grand intérêt pour la formation de
sa sensibilité et pour la compréhension de la
genèse de sa pensée sociale. Nous laisserons de
côté Marche ou
crève, roman qui a
été écrit pour être présenté
dans un cadre universitaire quand King était
étudiant1 pour retenir Rage et
Running
Man 2.
Rage , dont le titre original était
Getting it
on, a été
commencé durant l'été 1966: King a 19
ans3. Il vient de quitter le lycée avec son
diplôme pour entrer à l'Université du Maine. Il
n'achèvera ce roman que cinq ans plus tard, en 1971.
Running
Man a été
écrit en très peu de temps à la même
date4.
.. du site ..
King retire de la
vente son roman Rage aux
USA
Le rapprochement de ces deux oeuvres
paraît donc légitime et le but de cette étude est
de poser des jalons pour l'analyse du passage d'un King
étudiant à un King chargé de famille, dont la
vie n'est pas facile. Le premier a vécu une scolarité
lycéenne terne5, puis ensuite le bouillonnement universitaire de la fin
des années soixante6. Le second est passé d'une indifférence
vis-à-vis du social (comme Charlie) à une prise de
conscience plus grande des réalités politiques du
moment, (comme Ben). La réflexion engagée dans
Running
Man a été
approfondie ensuite avec Le
Fléau où
des personnages de bonne volonté s'emploient à
reconstruire une démocratie.
Photo de couverture du Maine Campus du 15 janvier 1969 : King chevelu et barbu, avec un
fusil à deux canons.
King y avait sa rubrique King's Garbage Truck (le camion-poubelle de King)
Des éléments manquent
pour faire une étude exhaustive de l'évolution de la
pensée de King durant ces jeunes années: plutôt
que de procéder, à partir d'indices biographiques trop
minces, à des justifications littéraires douteuses,
nous avons pris le parti de mettre sous forme de notes les
éléments de la vie de King en correspondance avec cette
période. Sorte de suggestions plutôt que d'explications
incertaines.
Voici donc l'expression littéraire de deux révoltes,
dont les origines ne sont pas les mêmes, mais qui se prolongent
l'une l'autre de manière étonnante, d'autant plus si on
les considère comme productions quasi simultanées d'une
jeune pensée en train de se faire.
1. La rage
adolescente.7
Charles Decker -Charlie-, 17 ans, est
élève en dernière année de
collège. Il n'a pas d'amis et intériorise
beaucoup8: "Quand on a
cinq ans et qu'on a mal quelque part, on crie pour que le monde
entier soit au courant. A dix ans, on gémit. Mais dès
qu'on arrive à quinze, on commence à grignoter la pomme
empoisonnée qui pousse sur votre arbre de douleur
personnelle (...).
On commence à bouffer
ses poings pour étouffer les cris. On saigne à
l'intérieur"(Ra.p.
226). Il a la
"rage".
Pour diverses raisons.
Il a tué deux professeurs9 et garde ses condisciples en otages sans trop savoir
pourquoi: "Si je savais ce qui
me pousse à faire ça, je ne serais sans doute pas
obligé de le faire"(Ra.p. 68).
"C'est tes
parents"...
En fait, King va mêler
habilement plusieurs explications. Il va d'abord développer la
thèse de la responsabilité parentale,
l'évolution affective de l'enfant gâchée par des
conditions familiales mauvaises, que les lycéens connaissent
scolairement: "C'est tes
parents. C'est forcément tes parents (...). C'est ce
qu'on dit toujours dans les livres de psychologie", dit une élève "avec une joyeuse insouciance"(Ra.p. 69).
On a donc droit à la scène primitive, rapport sexuel
entre les parents, que Charlie, à trois ans, fantasme sur fond
de peur du noir et du monstre. On sait que les psychanalystes
affirment qu'elle est interprétée par l'enfant comme un
acte de violence de la part du père. Pour Charlie, ça
le sera d'autant plus que les circonstances sont
angoissantes: "Je me rappelle
que j'ai entendu la voix de ma mère, tout essoufflée et
un peu effrayée: «Arrête, Carl (...). Non, arrête! (...).Je m'en
fiche, je m'en fiche que t'aies pas fini. Arrête! Laisse-moi
dormir» (...).
Alors, je savais. Je me suis
rendormi, mais je savais. Le Monstre Grinçant, c'était
mon père"(Ra.p.
74).
Le père est travailleur, organisé, mais inculte et
rustre. La mère qui a préparé un diplôme
de sciences politiques à l'Université du Maine, est
tout à fait différente du père: "C'est une intellectuelle, ma mère. Elle
lit des romans policiers 10, des magazines. Elle joue du piano
11"(Ra.p. 80).
Charlie est sensible au manque d'entente dans ce couple qui sauve les
apparences. Une nuit, lors d'une partie de chasse alors qu'il a neuf
ans, il entend son père et ses amis, ivres, faire de grasses
plaisanteries sur les femmes et leur fidélité. Si sa
femme lui était infidèle, le père de Charlie
déclare qu'avec son couteau de chasse, il découperait
les "bijoux de
famille" de l'amant et
trancherait "le
nez"de sa femme,
"pour lui faire un con au beau
milieu de la figure, que tout le monde sache dans la tribu comment
elle s'était attiré des ennuis"(Ra.p. 24). A partir de cet instant, la haine
pour son père cristallise: Charlie haïra
l'autorité et aura des problèmes sexuels par peur de la
castration.
Un
père autoritaire, une mère protectrice.
Officier de marine12, souvent absent, le père est du genre
à croire de bonne foi qu'il est de son devoir d'imposer comme
modèle à son fils un type d'adulte pur et dur, à
la voie toute tracée. Un jour, il l'a emmené à
la chasse pour l'endurcir: "Un
épisode de plus dans l'infatigable campagne de mon paternel
pour Faire De Son Fils Un Homme"(Ra.p. 20). Il vomit quand son père
dépèce un cerf tué: "Il me regardait, il n'a rien dit, mais je pouvais lire
le mépris et la déception dans ses
yeux"(Ra.p. 27).
Leurs relations ne seront plus jamais bonnes: "C'est mon père qui avait monté
la tente, et tout ce qu'il faisait était trop tendu, pas de
jeu, nulle part..."(Ra.p.
74). La devise de son père, "c'est «Que tout soit propre, que tout marche».
Si un oiseau chie sur le pare-brise, il faut nettoyer ça avant
que ça ait eu le temps de sécher. Voilà comment
mon père voyait la vie, et moi, j'étais la merde de
l'oiseau sur le pare-brise"(Ra.p. 78).
Son père le traite de "fils à maman"(Ra.p. 79) et il y a du vrai: sa mère est
protectrice.
Le
lycée.
Les premières manifestations
d'opposition ont visé le père, mais elles
débordent ensuite de ce cadre. Tout ce qui est
institutionnalisé -école et société- est
en cause et rejeté.
Aller en classe, c'est passer "une nouvelle journée dans la merveilleuse toile
d'araignée gluante de Notre Mère
Education"(Ra.p.
18)13. Il ne montre d'estime pour aucun de ses professeurs.
Quand le professeur de maths fait de l'ironie avec une
élève: "Le
sourire de Mme Underwood me rappelait le requin des Dents de la
Mer"14
(Ra.p. 14). Le professeur de chimie15 l'interroge et se moque de lui: il lui tient
tête: "Avec ses lunettes
en écailles de tortue, il ressemblait à une
espèce de punaise. Ça m'a fait rigoler d'y
penser"(Ra.p. 216). Il
l'agresse.
Sa sécurité intérieure mal assurée,
doutant de soi, la première réaction de Charlie -c'est
celle de beaucoup d'élèves- a été la
soumission et la peur16. Cette peur, il la ressent toujours, mais il
éprouve maintenant le besoin d'aller jusqu'au bout de
lui-même, de s'affirmer sans hypocrisie. Et quand il a pu
assumer cette peur, il devient capable de dominer à son tour
sans état d'âme. Et au directeur du lycée, qui
l'a convoqué, il tient tête: "Je n'ai plus envie d'écouter de sermons. C'est de
la merde
(...).J'en ai marre de vous,
de Mr Grace [le psy]
et de tous les autres. Avant,
vous me faisiez peur. Maintenant, vous me fatiguez en plus. Et j'ai
décidé que je n'avais aucune raison de vous supporter.
Je suis comme ça. Je ne supporte pas, c'est
tout"(...). Charlie, qui se
sent rejeté, fait preuve d'une agressivité
proportionnelle à l'incompréhension dont il se croit
l'objet: "Tu peux aller au
diable, mon vieux"(Ra.pages
30 à 32). Il tutoie, signe de l'égalité
conquise. Et même, ensuite, de persécuté, il
devient persécuteur.
La
société hypocrite.
Car, au fond, l'ennemi, c'est le
mensonge. Que peut signifier une autorité éducative qui
doit mener l'adolescent à la liberté et à
l'autonomie adultes, si l'autorité elle-même n'est pas
libérée17? Que peuvent paraître un enseignant qui pratique
continuellement l'autodéfense et la domination,
déguisée parfois? un père qui n'est pas
libéré de lui-même, libéré de ses
rêves de père, de son besoin de garder les rênes
en mains, qui pratique tantôt la démission, tantôt
la tyrannie? sans compter le mensonge insolent...
Car les parents mentent. Alors qu'il a fait une bêtise quand il
était petit (quatre ans), son père l'a jeté par
terre: "Il m'a jeté
fort, de toutes ses forces".
Et le père ment à la mère qui s'inquiète,
sans assumer son acte: "Il y a
une voiture qui vient, Rita, rentre à la
maison". Avec sa mère,
Charlie s'étonne: "Je
lui ai raconté comment papa m'avait jeté par terre. Je
lui ai dit que papa avait menti"(Ra.p. 83).
Le père de Charlie est devenu aux yeux de son enfant un homme
avant tout centré sur lui-même, sur son
autosatisfaction, sa volonté de puissance, qui le font vivre
sur une autorité apparente alors qu'il n'est que rigide. Et si
Charlie était seulement à la recherche, à la
conquête de son autonomie, d'une liberté à
laquelle son père ne peut le conduire, n'ayant pas
réussi à la conquérir lui-même?
Le détenteur de l'autorité est aussi un responsable qui
doit assumer ses responsabilités. Or les responsables se
montrent lâches. Après l'altercation violente avec le
directeur, Charlie passe au secrétariat: "Visiblement, ils étaient en train de
jouer au jeu favori des Américains: Nous N'Avons Rien Entendu,
N'est-Ce Pas"(Ra.p. 35).
Autre signe, dans le livre d'hygiène, "par décision du conseil
d'administration du lycée, le chapitre sur les maladies
vénériennes avait été soigneusement
découpé"(Ra.p.
40). Le psychologue de l'établissement n'est pas mieux
traité: "C'est à
ça que servent les psy
(...): ils sont là pour
baiser les malades mentaux et les engraisser de
normalité. (...)
Quand on vous enfonce la
santé mentale à coups de marteau, le fils ressemble
toujours au père"(Ra.p. 97).
Il admoneste le policier qui truque la vérité:
"Inutile de te fatiguer avec
ça, Franck. Tu me mets mal à l'aise et tu mets mal
à l'aise ceux qui ont vu ce qui s'est passé. Et si tu
es honnête avec toi-même, je suis sûr que ça
te met mal à l'aise aussi"(Ra.p. 208). Ce qui signifie: adulte, je te respecte quand
tu es responsable. Et se faire respecter, ce n'est ni magouiller, ni
imposer.
La vie est
absurde.
La première piste
proposée par King est donc celle d'un adolescent en proie
à des problèmes familiaux et scolaires communs à
la plupart d'entre eux.
Mais il y a autre chose dans Charlie: King a peut-être
trouvé la situation dans L'Etranger
de Camus, auteur qu'il cite18 par ailleurs
à plusieurs reprises
: un acte accompli par un individu poussé à le faire,
et qui ne sait pourquoi il le fait19.
Un jour, alors qu'il a quatre ans, son père sort les
fenêtres à double vitrage pour les poser.
"Tout d'un coup, je me suis
rendu compte que ce serait merveilleux de casser toutes ces
fenêtres. Une par une; d'abord le carreau du haut, ensuite
celui du bas. Vous pouvez penser que c'était une revanche,
consciente ou inconsciente, un moyen de se venger de tous les
«tiens-toi bien» et «nettoie-moi tout ça».
Mais en fait, je n'arrive pas à faire entrer mon père
dans ce scénario. C'était une journée d'octobre
absolument splendide20 pour casser les vitres"(Ra.p. 81).
Cette particularité, jointe au fait qu'il se nourrit
d'idées ["J'ai lu trop
de livres"(Ra.p. 15)] va le
conduire à une destructuration de la personnalité,
fréquente à cet âge: il en vient à
ressentir à un tel point la vanité de la vie que toute
action ordinaire lui paraît inutile. Il rationalise son vide et
sa souffrance; et son attitude dépréciative à
l'égard de lui-même va l'amener à la
dépréciation simultanée de la
réalité qui l'entoure et à mettre en
évidence sa terrible ambivalence:"Tout est logique, tout est sain. Nous vivons dans le
meilleur des mondes possibles, alors passez-moi une Kent pour ma main
gauche, une bière Bud pour la droite, allumez Starsky et Hutch
et écoutez cette note douce et harmonieuse de l'univers qui
tourne gentiment sur son orbite céleste. C'est comme
Coca-Cola, c'est ça"(Ra.p. 45).
"D'un autre côté,
l'univers a la logique d'un gosse en costume de cow-boy le soir
d'Halloween, avec les tripes et les bonbons qu'on lui a offerts
répandus sur deux kilomètres le long de la nationale
95. Ça, c'est la logique du napalm, de la paranoïa, des
valises piégées portées par des crétins
d'Arabes, du cancer qui frappe au petit bonheur la chance. Cette
logique-là se mord la queue (...). Personne
ne regarde de ce côté (...). On s'y
intéresse quand un type décide de parcourir l'Indiana
et de tirer à vue sur tous les gosses à bicyclette; on
s'y intéresse si sa soeur vous dit: «Je vais faire des
courses, j'en ai pour cinq minutes, mon grand» et qu'elle se
fait tuer dans un hold-up. On s'y intéresse quand on entend
son père parler de trancher le nez de sa mère".
"Ne dites pas que c'est dingue. C'est normal, normal et parfaitement
sain"(Ra.p. 46).
2. La rage
adulte.
En 2025, à Co-Op City
où les gangs de motards font la loi, Benjamin Richards -Ben- ,
28 ans, chômeur, marié, une petite fille Catherine,
dix-huit mois, gravement malade. Pas d'argent.
Le quotidien
difficile.
Il se souvient à peine de son
père, "disparu dans la
nuit"quand il avait cinq
ans21 . De cinq à seize ans, il a vécu
"d'un tas de petites
combines", avec son
frère cadet Todd. Il a dix ans quand sa mère meurt
"de la
syphilis"(Ru.p. 128), et
quinze quand son frère est tué par une voiture: on ne
peut pas dire que Ben a des problèmes de même nature que
Charlie avec ses parents...
Dans un appartement non chauffé22, légèrement vêtu d'une
"cotonnade bon
marché", il vit
actuellement des passes que fait occasionnellement sa femme (Ru.p.
9). Dans des quartiers entiers, où tout tombe en ruine ou se
trouve à l'abandon, les flics n'osent plus s'aventurer. Des
millions de chômeurs dans un ville hideuse, où n'ont
cours que les anciens dollars (Ru.p. 12). Ils ne sont pas secourus,
et des épidémies comme la polio font occasionnellement
des ravages.
Seule occupation, les jeux télévisés:
"Le Libertel, c'est le pain de
la vie, l'étoffe dont on fait les songes. La poudre vaut douze
anciens dollars le sachet, et le Frisco Push [une amphétamine synthétique],
vingt la tablette, mais le
Libertel vous envoie en l'air à l'oeil"(Ru.p. 13).
La
pollution.
Elle sévit partout,
atmosphérique comme nucléaire.
La pollution de l'air est telle que le taux de pollution n'est plus
donné avec le bulletin météo. D'ailleurs on ne
vend plus d'appareils de mesure et le particulier ne peut plus la
mesurer (Ru.p. 108). Les riches portent un filtre nasal, qui
coûte extrêmement cher (Ru.p. 112). Les pauvres?:
"Les gens n'y résistent
pas. Sur le certificat de décès, ils mettent
«asthme». Mais c'est à cause de l'air. Les
cheminées vomissent cette saloperie jour et nuit. Et les
patrons n'y font rien (...).
Quand Cassie va
mourir [la petite fille de
Ben a une pneumonie], tu crois
qu'ils mettront «cancer» sur le certificat de
décès? Non! Ils mettront
«asthme». (...)
Le cancer des poumons a
augmenté de sept cents pour cent depuis 2015"(Ru.p. 112).
La General Atomics règne dans le domaine industriel, et les
précautions élémentaires contre les radiations
atomiques ne sont pas prises ou sont insuffisantes. Un partenaire de
jeu a été licencié à la suite d'une
grève sur le tas "pour
protester contre le mauvais état des boucliers
anti-radiations"(Ru.p. 43).
Il est devenu stérile, comme la plupart des travailleurs
industriels. Mieux vaut de toute façon cela qu'engendrer des
monstres...
La
liberté de pensée.
Il n'y a plus que la
télévision. La Fédération des Jeux
contrôle toutes les communications. Le Libertel, qui ne diffuse
pratiquement que des émissions de jeux, a tué la presse
écrite (Ru.p. 126, 225). Plus de journaux. A peine quelques
livres, qu'il est mal vu de lire (Ru.p. 18) et devenus quasiment
inconnus (Ru.p. 53). Dans les bibliothèques, il n'y a
guère de renseignements postérieurs à 2002 et
"le peu qu'il y avait ne
collait pas du tout avec ce qui avait été écrit
auparavant"(Ru.p. 126).
"Le Libertel nous tue. Pendant
qu'on regarde leurs tours de passe-passe, on est aveugle au
reste"(Ru.p. 112).
Si, dans les quartiers pauvres, la police ne va plus, par contre dans
les quartiers riches, il y a "un flic municipal à chaque
croisement"(Ru.p. 13). Il y a
même, dans les épreuves de sélection aux jeux, un
policier avec chaque médecin...(Ru.p. 21).
Les jeux du
Libertel.
Pour occuper ce monde de
chômeurs, il y a le Libertel, obligatoire dans chaque
appartement (Ru.p. 7). Pratiquement rien que des émissions de
jeux télévisés, qui peuvent rapporter de
l'argent, mais qui ne sont pas sans danger, tels les matchs de
foot-à-mort (Ru.p. 60) ou le Moulin de la Fortune, où ne sont acceptés que des candidats
atteints de maladies chroniques du coeur, du foie ou des poumons.
Plus quelques estropiés pour les intermèdes comiques.
Le jeu consiste à répondre aux questions de l'animateur
tout en courant sur une sorte de moulin. Chaque minute a une valeur
convenue. Spectacle cruel: "Le
concurrent au Moulin de la Fortune venait simultanément de
rater une question et d'avoir une crise cardiaque"(Ru.p. 11). Applaudissements.
Ou La Grande
Traque, mortelle
jusqu'à présent pour les candidats: c'est le show le
plus lucratif et le plus suivi des spectateurs. Il faut
échapper aux Chasseurs le plus longtemps possible. La
délation -rémunérée- est
réclamée, il y a des primes pour tout ce qui est
sanglant, comme une prime pour le joueur quand il abat un flic ou un
Chasseur (Ru.p. 61). Tout est mis en scène pour exciter
l'agressivité des spectateurs. On présente la photo du
candidat, retouchée "juste ce qu'il fallait pour lui donner un aspect
terrifiant: l'ange de la mort urbaine, brutal, pas réellement
intelligent, mais rusé comme certains animaux. Le
croque-mitaine standard des petits-bourgeois"(Ru.p. 63).
Dans un monde devenu sans idéologie et sans idéal, il
s'agit de canaliser les frustrations et les mécontentements
sur un bouc émissaire, et de faire participer les spectateurs
à son élimination: "Vous voyez cet homme (...). Il est
prêt à tuer. Il est prêt à mobiliser une
armée de mécontents pour une orgie de destructions, de
meurtres, de viols,d'attaques contre les
institutions"(Ru.p. 113). Que
mérite-t-il? La mort...
La lutte des
classes.
Ces jeux sont en fait une
conspiration du Réseau (mystérieux organisme qui
supervise le pays) pour neutraliser le prolétariat (Ru.p. 114)
et éliminer les contestataires en sauvant les apparences. Les
plus évolués le comprennent bien ainsi:
"Tu vois? On est des individus
dangereux. Des ennemis publics. Ils vont nous
liquider"(Ru.p. 42). Comme le
dit un responsable des jeux: "Cette émission est l'un des meilleurs moyens dont
le Réseau dispose pour se débarrasser de personnes
potentiellement dangereuses"(Ru.p. 47).
Dangereuses pour qui? "Ces
braves bourgeois (...)
vous haïssent. Vous
symbolisez toutes les peurs de cette époque instable et
ténébreuse...Ils vous haïssent de toutes leurs
tripes"(Ru.p. 67).
Car les spectateurs qui prennent intérêt au même
spectacle ne sont pas du même bord. "D'un côté de la rue, s'étaient
rassemblés les membres des classes supérieures et
moyennes: dames sortant du salon de coiffure, hommes en chemises
Arrow et mocassins; technicos en survêtements portant le nom de
leur compagnie et leur propre nom brodé en lettres
dorées sur la poitrine; femmes (...) habillées pour sortir en ville. Leurs visages si
différents avaient pourtant un trait commun: il leur manquait
quelque chose, comme un portrait avec des trous en guise d'yeux, ou
un puzzle où l'on a oublié une petite pièce.
Ce qui leur manque, songea Richards, c'est le désespoir
23. Pas de loups affamés dans ces
ventres. Pas d'espoirs fous ni de cauchemars déchirants dans
ces têtes"(Ru.p.
181).
En face, il y avait les pauvres, "les laissés-pour-compte. Nez rouge aux veines
éclatées. Seins flasques et pendants. Cheveux
emmêlés (...).
Varices. Visages boutonneux.
Yeux torves et bouches tordues de
l'imbécillité
(...). Dans le chenil, les
chiens aux ventres creux attendaient. Les pauvres cambriolaient les
résidences inoccupées pendant la mauvaise saison. Leurs
enfants attaquent en bande les supermarchés. Il leur arrive
d'écrire des obscénités sur les vitrines des
magasins, en faisant plein de fautes d'orthographe. Les pauvres ont
notoirement mauvais caractère; la vue de manteaux de vison, de
chromes et de complets à deux cents dollars leur inspire
parfois des réactions déplaisantes. Et les pauvres ont
besoin d'un Jack Johnson, d'un Muhammad Ali, d'un Clyde Barrow. Les
pauvres attendent, attentifs à tout"(Ru.p. 182).
Et comme tous les moyens sont bons: "Il y avait longtemps que la brigade des moeurs avait
été supprimée; le gouvernement n'ignorait pas
que le vice et les perversions sexuelles constituaient le meilleur
rempart contre les tendances révolutionnaires"(Ru.p. 71).
"Entre les langoustines et le
steack, vous pourrez penser à ma fille de 18 mois malade qui
est en train de crever",
dit-il à une assistante des jeux resplendissante (Ru.p. 32).
Ben en a assez. "Un homme ne
peut pas tolérer longtemps que sa femme se prostitue pour
faire vivre sa famille"(Ru.p.
128). Il a décidé de s'inscrire pour les jeux
télévisés, au risque d'y perdre la vie, puisque
c'est le seul moyen de sauver celle de sa petite fille et de
permettre à sa femme de vivre dans la dignité. Mais
"quelqu'un me paiera
ça. Quelqu'un doit payer"(Ru.p. 39).
3. Les
expressions de la rage.
Conduites
individuelles : Charlie.
A son mal de vivre, Charlie a son
explication: "Tout ce que je
voulais, c'est qu'on me reconnaisse"(Ra.p. 36). L'agressivité envers son père
et ses professeurs vient de cette quête éperdue de
reconnaissance: "Les petits
garçons grandissent et se souviennent du moindre coup, de la
moindre réflexion méprisante, et (...)
ensuite, ils ont envie de bouffer leur père tout
cru"(Ra.p. 212). Pas
seulement le père, mais aussi toute autorité qui le
représente.
Pourtant Charlie essaie de comprendre son père:
"Pour lui, le boulot de
recruteur était franchement insupportable"et il en énumère longuement les
difficultés (Ra.p. 79). Mais ce boulot, son père avait
du mal à l'assurer. "Et
il faut savoir qu'il ne me détestait pas simplement parce que
j'étais là, mais parce qu'il n'était pas
à la hauteur, lui"(Ra.p. 79). Ces difficultés venant des autres,
que Charlie imagine venant créer les siennes, il les
résume en deux phrases saisissantes: "Dans la Bible, on dit que les
péchés du père rejaillissent sur les fils, c'est
peut-être vrai. Mais je crois que les péchés des
pères des autres ont aussi rejailli sur moi"(Ra.p. 78).
La coupe déborde quand Charlie, qui a de gros ennuis
administratifs pour avoir agressé un professeur, se voit
menacé par son père d'une raclée à coups
de ceinture, comme lorsqu'il était petit. Ce qu'il veut, c'est
devenir adulte et on le fait régresser! Il ne veut pas entrer
dans une réalité aseptisée comme le garage de
son père: "Absolument
impeccable. Un vrai navire. C'est son coin et c'est lui qui
l'entretient. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa
place"(Ra.p. 219). Charlie ne
veut pas être une chose qui a sa place prévue, comme les
objets dans le garage. Il se bagarre durement avec son père et
ne mâche pas ses mots: "T'as bousillé ton ménage et t'as
bousillé ton fils unique (...). Je suis
à moitié viré de l'école, ta femme se
transforme en pharmacie ambulante et toi, tu es un
ivrogne"(Ra.p. 220).
Tout n'aurait peut-être pas été perdu, si son
père avait eu les mots qu'il fallait: "Il n'a pas dit: si tu avais eu assez de tripes
pour faire ça à cinq ans, on n'en serait pas là,
mon fils...allez, je t'emmène chez Gogan, je te paie une
bière"(Ra.p. 226).
Rapports d'adulte à adulte...Mais il eût fallu au
père de Charlie accepter le jugement de son fils: cette seule
acceptation d'être imparfait avec ses proches -comme Charlie
l'est avec ses professeurs- aurait pu aider Charlie à
dépasser le stade de la crise.
A plus forte raison quand des rapports de force dans un
système scolaire coexistent avec la machinerie administrative:
"Maintenant, je suis sorti de
tes dossiers, Tom, t'as pigé? [Il s'adresse au directeur du collège].
Je ne suis plus un dossier que
tu peux classer à trois heures de l'après-midi.
Compris?"(Ra.p. 63).Il ne
veut pas être un dossier pour l'administration, comme il ne
voulait pas non plus être un objet dans le garage de son
père.
Charlie craint une aliénation à un père ou des
éducateurs, qui l'assujettissent à un ordre qu'il n'a
pas choisi, mais dont il se méfie car il perçoit
l'inauthenticité de ceux qui le lui imposent. Il n'exige pas
de ses parents ou de ses éducateurs une perfection qu'il sait
illusoire, mais une prise en charge d'eux-mêmes, avec leurs
insuffisances et leurs défauts. Une prise en charge loyale
d'eux-mêmes, tels qu'ils sont, qui l'aiderait à
s'accepter lui-même et à surmonter ses propres
contradictions. Il veut trouver devant lui de véritables
valeurs d'adulte, même insuffisantes, plutôt qu'un
paravent mystificateur. Il ne veut plus de tricheurs qui masquent les
réalités.
En séquestrant sa classe après avoir abattu deux
professeurs, il veut faire comprendre aux élèves que
derrière les apparences, il y a autre chose: "Avant que la journée soit
terminée, nous allons tous comprendre la différence
entre des gens et une liasse de papiers dans un dossier, la
différence entre être un faux-cul et se faire
enculer"(Ra.p. 64).
La conversation par l'interphone avec le psychologue du lycée,
M. Grace, est significative. Charlie menace de tuer un des
élèves de la classe si le psy pose des questions: le
psy voudrait bien s'en aller: "- Charlie, c'est impossible. Je ne peux pas prendre la
responsabilité... -La responsabilité! j'ai crié.
Mon Dieu! vous prenez des responsabilités depuis le jour
où ils vous ont laissé sortir de l'université!
Et maintenant vous voulez vous débiner la première fois
que vous avez les fesses à l'air!"(Ra.p. 100). Charlie s'emploie à lui faire avouer
les choses socialement inavouables dans une société
hypocrite, mais que lui, le psy, exige de ses patients... Le psy
finit par s'effondrer: "M.
Grace pleurait, sanglotait comme un bébé (...). J'avais
fait tomber son masque de sorcier et il devenait
humain"(Ra.p. 107). Faire
tomber les masques...
En amenant les élèves de sa classe à se
dévoiler les uns aux autres par ses propres confessions et les
leurs, il amène une attitude d'écoute et d'acceptation
l'un de l'autre: "Nous avons
appris beaucoup de choses sur nous-mêmes, dit au seul opposant du groupe une
élève à la fin de la séquestration.
Je ne crois pas que cela serve
à grand chose de te renfermer sur toi et de prendre des airs
supérieurs. Tu ne comprends donc pas que c'est peut-être
l'expérience la plus intéressante de notre
vie? - C'est un assassin, a dit Ted, crispé.
Il a tué deux personnes (...). Ils sont
morts! morts! Il les a tués. - Tueur d'âmes! dit un
élève"(Ra.p.
288).
Cette séance de défoulement collectif finit par
aboutir au lynchage de ce lycéen qui, petit à petit, a
représenté aux yeux des adolescents un futur adulte
"tueur
d'âmes"avec ses
faux-fuyants et son hypocrisie24. Libération de la tension collective... mais
aussi choix d'un bouc émissaire symbole de l'adulte en
contradiction avec le désir de compréhension
individuelle recherchée...
Charlie est allé jusqu'au bout. Mais finalement nulle part. Il
finit par comprendre le sens de ses actions décisives et
dérisoires. Il voulait la mort du père castrateur:
"Maintenant, je sais que c'est
lui que j'aurais dû tuer, si je devais tuer quelqu'un. Ce qu'on
a ici par terre [le
professeur de mathématiques abattue], c'est le cas typique de l'agressivité mal
placée"(Ra.p.
223).
On vit mal d'apparences: vivrait-on mieux d'authenticité? Le
père de Charlie, ses enseignants ont voulu paraître ce
qu'ils n'étaient pas. Charlie a été amené
à chercher la faille dans la belle assurance paternelle ou
dans la dévalorisante suffisance, sans vraie
compréhension, de ses professeurs. Il a réussi à
se détacher, dans le sang, de ce qui paraissait à ses
yeux une duplicité intolérable: par
honnêteté intellectuelle ou rigidité
paranoïaque?
Conduites
personnelles: Ben.
Dans son adolescence, c'est un
anti-conformiste, mais pas encore un révolté. Au
collège des Métiers Manuels, il a été
suspendu à deux reprises pour manque de respect. Il a
frappé "le
sous-directeur à la cuisse alors qu'il avait le dos
tourné", en fait en
lui donnant "un coup de pied
au cul"(Ru.p. 46). Il est mal
noté au travail et congédié à six
reprises pour insubordination et insultes à
supérieur: "Il avait
quitté son travail
(...) parce que ses chances
d'avoir un enfant diminuaient à
chaque heure passée derrière les anciens et
défec
tueux boucliers anti-radiations de General Atomics. Au lieu de
raconter un quelconque mensonge au contremaître (...), Richards avait aggravé son cas en lui disant ce
qu'il pensait de G-A, ajoutant qu'il pouvait se fourrer ses sales
machines là où il pensait. Cela s'était
terminé par une sanglante bagarre"(Ru.p. 129), et à partir de ce moment il n'a
jamais pu retrouver un vrai travail.
A seize ans, sa mère et son frère morts, il a ressenti
durement sa solitude. "Parfois, la nuit, il était pris de panique
à l'idée qu'il n'avait aucun lien sur cette terre,
qu'il allait à la dérive, sans rien pour le
retenir"(Ru.p. 129). Il se
marie, mais alors que les contrats de mariage sont presque tous
à durée déterminée, en bon
anti-conformiste il choisit le contrat à vie25, "à l'ancienne mode"(Ru.p. 46): "Richards était le type d'homme solitaire capable
de donner à la femme de son choix infiniment d'amour et
d'affection"(Ru.p. 129).
Il est nature, d'une franchise brutale, demandant par exemple
à un animateur aux cheveux trop superbes26 pour être vrais: "Vous les teignez?"(Ru.p. 59). Dans un monde où tout
s'achète, il a gardé sa dignité:
"Je suis au chômage
depuis longtemps. Je veux travailler de nouveau, même si ce
n'est qu'en devenant la victime d'un jeu truqué. J'ai ma
fierté 27"(Ru.p. 35).
De la
révolte individuelle à la révolte
collective.
Préoccupé par ses
problèmes de survie, Ben ignore tout de l'histoire collective.
"Les grands
événements de la décennie le laissèrent
indifférent". Il y a
des révoltes, des massacres, l'utilisation des gaz.
"Mais cela ne l'affectait pas.
La révolte ne menait à rien. Le monde était ce
qu'il était, et Ben Richards le traversait sans rien voir ni
entendre, en quête de travail"(Ru.p. 130). Pas d'espoir, en rien: "Ça fait deux mille ans que les gens
voient des choses de ce genre"(Ru.p. 126).
Il rencontre un groupe qui se préoccupe de la pollution. Il
n'y a pratiquement plus de livres, mais dans ce groupe, on s'informe:
"On a lu, nous. Le Libertel,
c'est pour les crétins". Pour aller à la bibliothèque, il faut
avoir un revenu élevé: "On a piqué la carte d'un gosse de riche. On y va
à tour de rôle. On a un complet correct, qu'on se
repasse"(Ru.p. 110).
Ils ont, en fabriquant une fausse clé,
pénétré clandestinement dans la réserve
de la bibliothèque pour y trouver des livres sur la pollution.
Avec les informations obtenues, ils ont fabriqué un
détecteur de pollution. A la fin du XXè, quand le taux
de pollution atteignait 12, "les usines et les autres trucs polluants devaient
s'arrêter jusqu'à ce que ça
s'améliore (...).
Ces temps-ci, le degré
de pollution est de 20 à Boston, les bons
jours"(Ru.p. 111) et les
usines ne s'arrêtent plus.
De la
révolte à la révolution.
"Ils nous ont donné le
Libertel pour que le peuple crève tranquillement, sans faire
d'histoires"(Ru.p. 112).
Celui qui a recueilli Ben et ses amis ont constitué un groupe
qui a des idées "de
gauche"(Ru.p. 147), qui a ses
caches et qui utilise un code pour sa correspondance. "Si on ne se serre pas les coudes, on est
foutus. Pas la peine d'attendre que l'air pollué nous tue.
Autant ouvrir le gaz"(Ru.p.
125).
Par ailleurs, "les gens sont
en rogne (...).
Depuis au moins trente ans,
ils haïssent le Réseau. Il ne faudrait pas grand-chose
pour qu'ils passent à l'action. Un rien
suffirait... quelques mots... une vraie raison.... une
vraie"(Ru.p. 113).
"Le système en a
déjà trop fait avaler aux gens"(Ru.p. 191). Des soldats paraissent
eux-mêmes troublés (Ru.p. 214).
Richards n'a jamais été un homme social et il ne s'est
jamais intéressé à une action de contestation
individuelle ou collective: "Il avait rejeté avec mépris toutes les
causes, tous les engagements. C'était bon pour les riches,
pour les gogos, pour ces stupides étudiants avec leurs badges
et leurs groupes de néo-rock"(Ru.p. 128). Son évolution, sous la pression des
événements, a été rapide: "Il m'arrive de penser que je pourrais faire
sauter tout le système si on me donnait dix minutes de temps
de parole au Libertel. Leur expliquer. Leur montrer ce qui se passe
vraiment"(Ru.p. 113).
"Il n'était plus un
loup solitaire luttant pour lui-même et sa famille
28. Il luttait maintenant pour toutes les
victimes de la pollution et d'un système
injuste"(Ru.p. 128).
"Tous ces hommes bien nourris,
protégés par leurs filtres, qui sortaient avec des
poupées en sous-vêtements de soie. A la guillotine !
29. Que le couperet tombe, et tombe, et tombe!
Mais ils étaient intouchables, comme le
Réseau"(Ru.p.
131).
Mais bien vite, il faiblit. Bientôt, il est seul à
nouveau: "Il était
seul. La cause avait perdu son importance"(Ru.p. 241).
4. King, de
la révolte au désespoir.
On sait depuis
longtemps30 qu'outre les satisfactions qu'elle procure, l'oeuvre
d'art a aussi souvent comme fonction la libération plus ou
moins réussie des émotions ou des conflits dont est en
proie leur créateur. La table de l'écrivain n'est
jamais bien loin du divan de l'analyste. Ici comme là, on
utilise des mots pour essayer de mettre des choses au clair. La
décharge émotionnelle provoquée par certaines
tensions psychologiques amène aussi bien la reprise de
situations éprouvées ou vécues que ce qui a
été fantasmé, souhaité, repoussé,
mais non vécu. L'émotion restant en suspens tant qu'un
accord intérieur n'est pas trouvé, des images
obsédantes peuvent se présenter de nombreuses fois
à l'esprit31 jusqu'à l'apaisement -à supposer que
l'apaisement se réalise. Nous allons maintenant reprendre les
situations des deux romans de King/Bachman que nous avons vus sous un
éclairage littéraire en les rapportant au vécu
de King adolescent. S'agit-il d'une révolte réelle qui
a existé chez King? En famille, au lycée ou à
l'université? Jusqu'où est-elle allée?
King et son
enfance.
C'est une réelle
épreuve de réenvisager sa propre histoire, surtout
quand elle n'a pas étéglorieuse ou facile. King se
moque des critiques mutilateurs qui réduisent un auteur
à un épisode vécu dans son enfance, tout en
reconnaissant qu'il y puise lui-même son
inspiration32. Ceci dit, la situation du jeune Stephen King de deux
ans n'est pas brillante: sans ressources, avec la mère seule
qui élève ses deux enfants et doit souvent changer de
résidence pour trouver des emplois nouveaux. Mais Nellie King
sut se montrer à la hauteur33: "Je pense que
maman, qui savait se montrer entêtée, intraitable, d'une
ténacité et d'une persévérance à
toute épreuve, avait pris goût au double rôle de
travailleur et de chef de famille"34.
Ce qui signifie que si King a
emprunté quelques traits maternels (piano, livres), c'est pour
les plaquer sur un personnage plutôt passif et effacé,
qui est son contraire. La mère de Charlie n'a pas l'envergure
de Nellie et elle ne joue aucun rôle dans la seconde partie du
récit, quand la révolte de son fils prend forme.
Par contre, l'absence paternelle a permis à King d'imaginer un
père dominateur auquel il avait échappé... Car
il ne semble pas avoir éprouvé à l'égard
de son père un ressentiment particulier,
caractéristique qu'il prête à Ben: "Il se souvenait à peine de lui. Il ne
lui en avait jamais voulu"(Ru.128). Stephen connaît le visage de son
père pour avoir retrouvé dans le grenier une bobine de
film tournée sur un navire35.
Mais surtout son père a laissé dans une caisse au
grenier des livres de fantastique et de terreur, dont un recueil de
nouvelles de Lovecraft. Son père avait essayé
d'écrire des nouvelles de cette veine, mais sans
succès, et il n'a jamais été
publié36. Cette découverte faite à douze ans
déterminera son destin:"J'avais trouvé ma voie. Lovecraft -par
l'entremise de mon père- l'avait ouverte pour
moi"37.
Si ce que l'adolescent attend de son
père, c'est avant tout la conquête de son autonomie,
c'est sa mère et la famille unie de King (éducation
méthodiste rigoureuse) qui l'ont aidé à le
faire: l'absence paternelle a pu être partiellement
compensée38. Et après tout, pour Stephen, cela vaut
peut-être mieux que d'être comprimé par un
père au point d'exploser... Même s'il a gardé de
l'absence du père des survivances infantiles et un fort besoin
de protection que Tabitha assurera partiellement39...
Mais le père est aussi celui
qui présente un modèle et des perspectives: lui qui n'a
pas connu son père, n'a-t-il pas finalement suivi et
dépassé cet homme qui aimait et écrivait des
histoires40 ? Et sans avoir eu besoin de souhaiter «la mort du
père» pour devenir lui-même, il réussira
à faire mieux que lui: il sera publié,
célèbre, il aura aussi des enfants, mais il ne
délaissera pas sa famille...
La
révolte scolaire intérieure.
King s'est
trouvé dans la situation "enragée"de Charlie: mais le
bouillonnement de la rage ne s'est pas
extériorisé41. D'une part, il avait
déjà à ce moment l'exutoire de l'écriture
en écrivant solitairement en parallèle42; d'autre part, il n'a pas un
tempérament qui le pousse aux extrêmes: il est
plutôt effrayé par son côté dionysiaque et
il préfère transposer ses pulsions sur le plan
maginatif, où il en jouit presque autant sans risque.
On peut donc noter qu'en 1968 il a
publié deux nouvelles: Ici les tigres et une autre sur laquelle on reviendra tout à
l'heure. Cette nouvelle, sans prétentions, est une
intéressante transposition littéraire d'une pulsion
enfantine de mort -ceci dans un climat d'innocence total. King
explique: "Ma première
institutrice à Stratford (...) était drôlement impressionnante. Je suppose
que si un tigre était venu la boulotter, je n'aurais pas
été contre. Vous savez comment sont les
enfants"43.
Au Lycée, grand, fort,
enveloppé, grosses lentilles sur le nez44, il n'a pas de vrais amis et il n'est pas
heureux45 Il lui faudra de nombreux livres pour évacuer
son amertume. Il a autant souffert de ses camarades que de ses
professeurs et de l'ambiance générale: "Le lycée est un milieu où
règnent l'intolérance et le conservatisme, une
société dont les membres n'ont pas plus le droit se
s'élever "au-dessus de leur condition"qu'un Hindou n'aurait le
droit de changer de caste".
Ceci, ajouté au fait qu'il a été un temps
enseignant, fera que professeurs, élèves et
établissements d'enseignement apparaîtront abondamment
dans son oeuvre. Et les romans les plus proches de sa
scolarité (Rage et
Carrie
46) seront particulièrement destructeurs: s'y
débattent certains de
"ces misérables dont l'esprit est brisé dans cette
fosse à serpents qu'est n'importe quel
lycée".
C'est d'abord au lycée que King a appris à être
un observateur lucide47 et impitoyable. Mais plutôt qu'une révolte
active comme celle de Charlie, il choisira la transposition dans une
oeuvre. Rappelons que Rage a
été commencé pendant l'été
qui a suivi sa sortie du lycée.
La
révolte scolaire transposée.
King montre bien
l'ambiguïté de la situation des élèves
adolescents: ils connaissent quelques bribes de psychologie pour
expliquer (?) leurs comportements, mais sans pouvoir pour autant
maîtriser leur situation. Comme ils doutent d'eux-mêmes,
leur révolte est souvent intérieure: outre les
souffrances affectives qu'elle entraîne, elle ne va pas souvent
au-delà du refus du travail scolaire, de l'insolence, de
l'absentéisme. Elle s'extériorise également dans
la fugue ou des comportements déviants. Quand elle devient
trop intériorisée, elle peut mener au
suicide48.
Elle peut aussi conduire à des
extrêmités plus graves, qui fascinent
King49 comme toutes les choses extrêmes. La
deuxième nouvelle dont il était question au §
4.1., c'est La
révolte de Cain Dans une description d'une froideur glaciale, King nous
décrit le bon étudiant Curt Garrish, fils d'un pasteur
méthodiste, amateur d'ordre et de propreté, qui se met
à tirer sans qu'on sache pourquoi sur les personnes se
trouvant sur la campus.
Trop séduit par le
désordre, le côté apollinien de King s'effraie du
dionysiaque tentateur50: "Ce n'est pas
l'aberration mentale qui nous horrifie ,mais plutôt l'absence
d'ordre qu'elle semble impliquer". Car Whitman, comme Charlie51, comme Cain, comme Garrish, comme Bowden sont des
monstres: les mettre en scène a un pouvoir libérateur.
"En parlant de
monstruosité, nous exprimons notre foi et notre croyance en la
norme (...). L'écrivain d'horreur n'est ni plus ni
moins qu'un agent du statu quo " 52. Du statu quo...
La
révolte sociale.
Charlie n'a pas été
favorisé, dans son évolution vers l'âge adulte,
par un contexte sociologique qui l'a maintenu dans l'absence de
difficultés objectives -tout ce que peut déplorer
l'élève le plus pauvre de la classe, c'est de ne pas
avoir de bons crayons et de mal manger chez lui. Mais ces
insuffisances ne sont pas vitales. Il n'est pas possible de comparer
le statut de ces gosses, qui font des études et mangent
à leur faim, avec les laissés-pour-compte du monde ou
avec Ben. L'absence de responsabilités sociales, la
dépendance financière font d'eux des individualistes
repliés sur eux-mêmes, des nombrilistes, sans ouverture
sur la société réelle et les autres. Cette
jeunesse est sans cause. La génération de Charlie n'est
ni altruiste, ni romantique: elle est exigeante, irrespectueuse et
veut sa place.
De même, King a passé toute son adolescence en dehors
des réalités sociales et politiques. S'il subit le
lycée, aussitôt sorti il s'en
évade53. La réalité, il pense l'aborder par ses
lectures, les medias qu'il pratique assidûment, mais cette
réalité est subie et il n'a même pas conscience
qu'il pourrait avoir une prise sur elle. Ce qui surprend chez ces
adolescents et King lycéen, c'est le peu de
préoccupations qu'ils manifestent pour modifier ou refaire le
monde. L'important, c'est de réussir. Quelques années
plus tard, King en a pris conscience et ironise sur le comportement
des lycéens de cette période où le monde allait
mal alors que chacun poursuivait sa petite vie dans
l'indifférence -sauf s'ils étaient directement
concernés- de la gravité de ce qui se passait autour
d'eux54.
La prise de
conscience des problèmes de société.
King, comme Ben, a vécu
longtemps dans l'indifférence des problèmes collectifs.
Mais l'Université va changer cette situation: ce sont ces
mêmes medias qui favorisent l'évasion du réel qui
lui feront prendre conscience des réalités de
l'époque55.
D'abord sur le plan individuel: "Ma génération formait un terreau
idéal pour les graines de l'horreur (...). Notre
pays était le mieux alimenté de l'histoire, mais il y
avait dans notre lait des traces de strontium 90 dus aux essais
nucléaires"56. Ces préoccupations biologiques et
nucléaires, la pollution seront primordiales dans
Running
Man alors qu'elles
n'apparaissent pas dans Rage. King
mûrit.
Sur le plan social, quand King va en fac, il vit comme les autres
étudiants un conflit de
générations57 qui avait débuté avec le refus de la
guerre du Vietnam, pour englober ensuite des revendications comme la
liberté universitaire, le droit de vote à dix-huit ans,
la responsabilité de l'industrie en matière de
pollution,le droit à l'avortement. King n'est plus
indifférent à son temps: dans le journal de
l'Université, The Maine
Campus, il traite de toutes
sortes de sujets58: ceux énumérés
précédemment, plus des critiques de livres, de films,
des compte-rendus de base-ball...
Il proteste contre l'uniformisation
et formule des revendications anti-conformistes. Par exemple, King a
longtemps négligé son apparence et ce sujet a
été longtemps pour lui un point sensible, une
épine irritative qui s'enfonce à chaque pression.
"Je me
souviens (...)
que les cheveux longs
étaient un fait de société explosif en 1968,
quand j'avais vingt et un ans. Aujourd'hui, ça semble aussi
incroyable que l'idée que des hommes aient pu s'entre-tuer
pour des questions d'astronomie élémentaire, mais c'est
bel et bien ce qui s'est passé"59. Si ce problème n'a pas réellement
d'importance, comme Steve semble l'indiquer, il y a pourtant
consacré pas mal d'énergie60. Futilité ou erreur de perspective?
Une
révolution culturelle.
Son combat sera plus efficace dans un
autre secteur. Au printemps 69, l'Université vit une
période de changement, avec la toute récente
possibilité conquise par les étudiants d'organiser leur
curriculum. King devient un porte-parole écouté sur le
campus61. Dans cette période effervescente, les meetings
sont nombreux. Dans sa critique des programmes d'études, il
insiste particulièrement sur la culture populaire et de masse,
celle que le peuple attend. King ne se contente pas de critiquer: il
propose de conduire un séminaire spécial sur la fiction
populaire américaine. Séminaire qui a lieu et pendant
lequel, pour la première fois dans l'histoire de
l'Université, un étudiant «undergraduate»
enseigne ses camarades étudiants.
L'évolution politique.
Des étudiants plus
décidés -dont un certain nombre de Noirs-
bénéficiant parfois d'une certaine complicité
d'autres condisciples moins actifs et en tous cas de l'apathie du
plus grand nombre, essaient d'appliquer leur énergie
révolutionnaire à des actions plus politiques.
"En 1968, durant mon
avant-dernière année de fac, quatre Black Panthers de
Boston sont venus s'adresser aux étudiants". Ils proposent "une seule solution, la révolution. Les quatre
conférenciers ont conclu en nous rappelant le slogan des Black
Panthers: "Le pouvoir est au bout du fusil". Mais King n'adhéra pas à ce
"mouvement de paranoïa
galopante qui avait envahi le pays au cours des quatre
dernières années de la
décennie"62.
Pendant toute cette période,
les universités américaines ont connu tour à
tour des périodes de tension63, durant lesquelles le drame a été
quelquefois évité de peu. Alors qu'il avait promis le
retrait de troupes du Vietnam en avril 1970, Nixon intervient au
Cambodge quelques jours plus tard... et soulève un
tollé de protestations La révolte atteint son
apogée quand en mai, à l'université de Kent
(Ohio), une manifestation contre la guerre se termine tragiquement:
la garde nationale ouvre le feu: 4 morts. La protestation
étudiante est unanime.
Or King avait voté Nixon
l'année précédente: des républicains
avaient participé à la campagne contre les
antimissiles, Nixon avait promis de mettre fin à la guerre du
Vietnam et Steve, qui vit d'illusions sans avoir une claire
conscience des enjeux politiques, l'avait cru. Il se sent
profondément floué64. Quand il écrit son dernier papier pour le
journal du campus -il a terminé ses études
universitaires-, il fait état de sa déception: il
pensait changer le monde avec la fougue de la jeunesse, mais il se
sent maintenant bien vieux65... Et le voici dans ses mobil-home pour plusieurs
années, toutes espérances collectives disparues, et
sans grand espoir personnel66.
Pour conclure: un autre combat?
Les ressentiments que King
pouvait nourrir à l'égard de la scolarité subie
au lycée n'avaient pas dégénéré en
rebellion, la révolte particulièrement dionysiaque de
Rage (et plus tard de Carrie,
étant la transposition cathartique d'un quotidien
difficilement vécu. King souffrait d'incomplétude et de
solitude et s'en libérait dans ses premières oeuvres.
Il aurait pu être un Whitman: l'écriture l'a
sauvé du vingt-sixième étage de la
tour67...
De même, ses années
estudiantines, si elles ont parfois pris un ton provocateur, ne sont
pas allées au-delà de la rébellion verbale et de
la mise en scène. La tradition révolutionnaire n'est
pas ancienne aux U.S.A. La compréhension des grèves
rouges des années trente n'a jamais été le fort
des Américains68 et ce n'est que tardivement que l'opinion, aidée
par les écrivains et les medias, s'est levée contre les
violences anti-grévistes du patronat ou des forces de l'ordre.
Car dans la courte histoire syndicale des U.S.A. comme ailleurs, ce
sont les sacrifices personnels qui ont entraîné une
certaine justice sociale, c'est davantage la rébellion civile
que le verdict des urnes. Puis les syndicalistes sont devenus une
institution et la grève limitée et encadrée une
méthode raisonnable pour obtenir une meilleure
répartition des bénéfices dans une
société dont les fondements ne sont pas
contestés. Depuis les années de révolte des
campus où l'opinion publique et les travailleurs avaient
été très sévères envers les
étudiants, a aussi disparu la relative symbiose entre les
syndicats ouvriers et enseignants, qui n'avait de toute façon
jamais été ce qu'elle est en France. Les universitaires
américains se sont repliés sur leurs
universités, comme King s'est réfugié dans son
oeuvre.
Jamais la révolte
étudiante vécue par King n'a été profonde
au point qu'il puisse s'imaginer l'engager un processus
révolutionnaire: la fin de la guerre au Vietnam, les fac
ouvertes à tous avec l'opportunité d'intervenir sur les
études, la possibilité de porter des cheveux longs -en
caricaturant brutalement- suffisaient. Là où Ben
commence à avoir l'esprit révolutionnaire en appelant
à la guillotine, son créateur, bien que mangeant de la
vache enragée dans l'inconfort avec des ressources
financières insuffisantes69, attend dans la souffrance un éditeur. La
révolte passée a disparu devant les difficultés
matérielles: est venu le moment du désespoir. Est venu
aussi un comportement facile de compensation qu'il regrettera plus
tard: accablement, anxiété, alcool70, jeu, problèmes
conjugaux71 en seront les tristes conséquences... Avec
l'aide de Tabitha, il refait difficilement surface. Et puis, coup de
chance, il y aura l'édition et le succès de
Carrie.
Le voilà redynamisé. A défaut de pouvoir changer
le monde, il pourra créer son monde.
Un moment après la dystopie de Running Man,
King a pensé trouver l'utopie dans Le Fléau où "l'univers de folie qui est le nôtre retrouverait
un semblant d'équilibre moral, politique et
idéologique": mais le
désir des survivants de fonder une démocratie
rénovée s'éteint vite devant les dures
réalités72 et la force du mal.
Enfin Dieu a été absent de Rage. Il
apparaît fugitivement dans le dernier chapitre de
Running
Man : "Comme soutenu par la main de Dieu, le jet
géant franchit le canal dans un rugissement de
turbines (...).
L'explosion fut prodigieuse.
Une pluie de feu s'abattit à des kilomètres à la
ronde, illuminant la nuit comme la juste colère d'un Dieu
courroucé"(Ru. pages
258 et 259). Ce sont les derniers mots du livre: ce que l'homme n'a
pas su faire, Dieu l'a fait.
Ici semble se déplacer le problème social, l'espoir de
vaincre le mal social et de fonder un monde meilleur. C'est
maintenant entre un Dieu incompréhensible et la
créature dépassée par le mal que la
révolte va s'instaurer. Dieu est davantage présent dans
Le Fléau
Son interpellation sera
épisodique mais continuelle pendant vingt cinq ans: elle
occupe la première place dans Désolation où le libre-arbitre de la créature et
l'omnipotence de Dieu replacent la mal et la souffrance humaine dans
ses perspectives millénaires...
Les jeunes
années de King et ses rapports avec le sexe ont
été étudiés dans les premiers chapitres
de mon livre:
janvier 2000, aux
éditions Naturellement, 6, rue Jules Auffret, 93500
Pantin. Table des
matières.
Notes
:
1 Steve's
Rag a fait paraître une
étude intéressante de Frank Berlez sur Marche ou crève, en mars-avril 1996.
2 Rage est le
deuxième roman entrepris par King, Marche ou crève le troisième, Running Man le
sixième. Les autres n'ont pas été
édités. Rage a
été achevé en 1971 en même temps
qu'était entrepris Running Man:
leur publication, sous le nom de Richard Bachman a été
tardive: 1977 pour Rage (trois ans
après CARRIE) et 1982
pour Running Man.
3 "L'été suivant l'obtention de son
diplôme (=
baccalauréat), King
commença, mais ne finit pas, ce qui serait sa première
oeuvre achevée,
Getting it on ("en tirant son
coup") qui tire son titre de la chanson des T-Rex "Cogne le gong".Une
étude psychologique, l'histoire d'un lycéen qui prend
ses camarades de classe en otages. Getting it on trouve sa source
dans les peurs enfantines de King: ne pas s'adapter.", in George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994, p. 49. (Pas de
traduction française à ce jour, trad. de l'auteur de
l'article). C'est le groupe Tyrannosaurus-Rex qui jouait cette
chanson.
4 "RUNNING MAN,
comme l'écrivit King, «fut écrit en soixante-douze
heures» et ce fut pour lui «une expérience
fantastique, où il fut chauffé à blanc.»
Comme le héros de l'histoire, King se livra à une
véritable course, pariant sur l'idée que ses efforts
seraient payants."",
cité par par Beahm, op.cit., p. 76.
5 Chris Chesley raconte: «"J'ai toujours pensé qu'il n'eut pas une
merveilleuse expérience de sa scolarité du
lycée, et que ce ne fut pas un grand moment de sa
vie.", interview citée
par Beahm, op.cit., p. 48.
6 "Comme ses
contemporains, King fut emporté par l'agitation de
l'époque, une décade dominée par un malaise
politique et social: la guerre du Vietnam et la bataille pour les
droirs civils", in Beahm,
op.cit., p. 51.
7 Dans les notes: Ra=Rage,
Ru=Running Man.
8 "On pensait
-considérant combien il lisait et écrivait- qu'il
passait trop de temps dans sa chambre, trop de temps dans
l'imaginaire et c'était compris comme un comportement malsain
et anormal.
Je pense qu'il le sentait et que cela lui était
pénible.C'était très difficile pour lui
d'être ce qu'il était et de l'accepter. Sous ce rapport,
je pense que Steve se sentait très seul; il en
éprouvait un sentiment d'isolement.", interview de Christopher Chesley, ami d'enfance de
King, citée par Beahm, op.cit., p. 32.
9 Fin juillet 1966, à Austin (Texas), un
étudiant en architecture, Charles Joseph Whitman,
âgé de 24 ans, grimpe au 26è étage de la
tour centrale de l'Université et ouvre le feu. Avec deux
fusils de chasse, une carabine à canon scié et un
pistolet, il tire à plusieurs centaines de mètres de
ses victimes. La tuerie dure plus d'une heure. Bilan: 15 morts et 33
blessés.
Whitman est abattu par la police. C'était un ancien membre de
corps des
marines et un tireur
d'élite. A son domicile, on découvre les corps de sa
mère et de sa jeune femme. Les policiers découvrent
également plusieurs notes manuscrites. Whitman écrivait
qu'il ressentait "un besoin de
dépression et un besoin de violence". A l'université, Whitman était
apprécié tant par ses professeurs que par les
étudiants, d'après LE JOURNAL DE L'ANNEE, 1966/67, Larousse éd., p. 126.
10 La mère de King, Nellie, a les mêmes
lectures: "Elle avait une pile
de ses livres favoris, où s'accumulaient.en tas Agatha
Christies et Erle Stanley Gardners C'était une dame qui
travaillait dur -elle travaillait quarante-cinq, cinquante heures la
semaine- et elle lisait ces.Agatha Christies et Erle Stanley Gardners
Elle savait ce qu'elle me demanderait pour son anniversaire ou la
Fête des Mères, ou en n'importe quelle autre
circonstance. C'était toujours un Perry Mason ou quelque chose
comme ça.", 1991,
cité dans Beahm, op.cit., p.
22.
11 Elle joue aussi du piano: "C'était une pianiste de talent et une femme
doué d'un sens de l'humour très développé
et souvent excentrique", in
DANSE MACABRE, I981, trad. fr.: tome I, ANATOMIE DE L'HORREUR, éd. du Rocher, 1995, p. 113.
12 Le père de King aussi était marin:
"Durant la seconde guerre
mondiale, il travaillait dans la marine marchande", in ANATOMIE...,
op.cit., p. 112.
13 "Se penchant
rétrospectivement sur ses années de lycée, King
n'a pas de nostalgie. «Mon cursus scolaire passa totalement
inaperçu. Je n'étais pas à la tête de la
classe, mais pas à la queue. J'avais des camarades, mais aucun
de ceux-là n'étaient les cadors, ou les gars du conseil
scolaire ou quelque chose comme ça»"", interview, citée par Beahm, op.cit.,
p. 48.
14 JAWS,
(Les Dents de la
Mer), a été
réalisé par Steven Spielberg en 1975, ce qui laisse
supposer des retouches ultérieures à 1971, date
donnée pour l'achèvement de Rage.
15 "À bien des égards, la
scolarité de K. fut on ne peu plus ordinaire. Scolairement, il
fut un élève en-dessous de la moyenne; bien qu'il se
souvienne de n'avoir obtenu que des Cs et Ds en chimie et physique,
il était suffisamment bon dans les autres matières pour
être deux fois cité au tableau d'honneur quand il
était étudiant de première année et
deuxième année ", in Beahm, op.cit. p. 40 .
16 "Dans une
interview, K. a expliqué que l'une de ses frayeurs d'enfant
était «de ne pas être capable d'entrer en contact,
de trouver une entente et d'établir des rapports de
communication. C'est la peur que j'avais, cette peur de ne pas
être capable de me faire des amis, la peur d'avoir peur et de
ne pas pouvoir dire à quiconque que j'étais
effrayé. J'éprouvais la peur constante d'être
seul.", cité par
Beahm, op.cit., p. 49.
17 "K. raconte ses mésaventures comme
satiriste lorsqu'il publia le Village Vomit, une parodie du journal
de l'école. Comme King l'explique, le Village Vomit se moquait
des professeurs, citant les noms, avec cette sorte de cruauté
innocente propre aux enfants. Sa tentative attira
immédiatement une attention non souhaitée, avec la
ferme promesse de trois jours de suspension. Cependant King eut de la
chance. Plutôt que de l'exclure, l'administration décida
de canaliser ses efforts d'écriture créative, avec une
publication plus pertinente -un journal local, où il
couvrirait l'activité sportive de l'école pour un
demi-cent le mot.", in Beahm,
op.cit., p. 41. Des membres de l'équipe éducative
avaient quand même quelque largeur d'esprit...
18 DANSE
MACABRE, I981, trad. fr.:
tome II, PAGES
NOIRES, éd. du Rocher,
1995, p. 209; The Play Boy
Interview, citée par
Beahm, THE STEPHEN KING
COMPANION, Warner Books,
1993, p. 36; NIGHT
SHIFT, 1978, trad. fr.,
BRUME, 1987, Albin Michel éd., avant-propos,p.
20.
19 "Maybe you get
loaded on Thursday afternoon. You might develop a decided hostility
in class. You might drop out. You might even start looking at the
Stevens Hall tower and wondering -just wondering, mind you- how nice
it might to be climb up here and pick a few people
off", in The Maine Campus, mai 1969, cité par par Beahm, op.cit., p.
56.
20 De même, le jour où il tuera ses
professeurs, "le jour
où je suis allé jusqu'au bout, il faisait
drôlement beau; oui, une belle matinée de
mai"(Ra.p. 11). A rapprocher
de L'ETRANGER, où Meursault tue aussi sans savoir
pourquoi: "La mer a
charrié un souffle ardent et épais. Il m'a
semblé que le ciel s'ouvrait de toute son étendue pour
laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai
crispé ma main sur le revolver. La gâchette a
cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et
c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant,
que tout a commencé",
Albert Camus, OEUVRES,
éd. Pléiade, 1962, p. 1168.
21 "Mon père (...) a déserté le
domicile familial alors que je n'avais que deux ans et mon
frère quatre", in ANATOMIE...,
op.cit., p. 112.
22 "As King later
wrote, it was not the best of times; in fact, it was the worst of
times. «There I was, unpublished, living in a trailer, with
barely enough money to get by and an increasing sense of doubt in my
abilities as a writer, and this kid was crying and bawling every
night»", interview,
citée par par Beahm, op.cit., p. 75.
23 On comprendra le sens et le contenu de souffrance que
ces mots renferment quand il sera fait état plus loin de la
situation catastrophique de King à cette époque
(désespéré, doutant de lui-même, il boit,
joue, et compromet sa vie familiale): ces bourgeois lui font alors
horreur, comme à Ben. Et la révolte violente que Ben
choisit lui permet, au moins sur le papier, de faire passer ses
rancoeurs du passif à l'actif.
24 C'est ainsi qu'apparaissaient à King les
caractéristiques de l'homme politique. En parlant du
lycéen lynché, il fait dire à Charlie:
"Ses yeux étaient si
clairs, si droits, si terriblement sûrs de leur but:
c'était les yeux d'un politicien", (Ra.p. 206).
25 Le mariage de Steve et de Tabitha dure depuis janvier
1971 et n'a donné lieu à aucun ragot. "My marriage is too important to me, and
anyway, so much of my energy goes to writing that I don't really need
to fool around. - PLAYBOY: Have you always been faithful to your
wife? - KING: Yes, old-fashioned as it may, I have been. I know
that's what you'd expect somebody to say in print, but it's still
true. I'd never risk my wife's affection for some one-night stand.
I'm too grateful for his unremitting commitment that she's made to me
and the help she's given me in living and working the way I want to.
She's a rose with thorns, too, and I've pricked myself on them many
times in the past, so apart from anything else, I wouldn't
dare cheat on her!", in The Playboy
Interview, 1983, in Beahm,
THE STEPHEN KING
COMPANION, op.cit., p.
57.
26 Le problème des cheveux -sujet sensible s'il en
est pour Kng- sera évoqué plus loin...
27 Quand King a écrit Running Man en
quelque jours, il se lançait un défi pour se prouver ce
qu'il valait: "In some ways,
the novel can be seen as a parallel to King's life at time. For King,
thoug, the gamble would be in taking the time to write a novel as
fast as could, since it would have to be written during the school's
winter vacation", in Beahm,
op.cit., p. 76.
28 Pour King, c'est l'inverse. Il travaille pour lui et
les siens en écrivant dans l'inconfort: "Still, for up to two hours a night, King made
the time to write; he would sit in the furnace room of the trailer
where he hammered out stories on his wife's portable Olivetti,
hopping to make another sale, hopping somehow to get through another
month with Tabitha skillfully juggling the bills", in Beahm, op.cit., p. 76.
29 Il ne faut pas s'étonner de cette expression.
Aux USA, à la fin des années 60, il y eut une escalade
macabre de la brutalité «pour rire» dans les jouets
pour enfants : cette situation fut jugée inquiétante
par les spécialistes du comportement. J'ai sous les yeux la
photo d'une guillotine si outrancière que la protestation
générale la fit interdire. Curieusement, elle est
surmontée d'un crâne et d'un vampire stylisé, qui
ressemble assez aux chauves-souris des grilles de la maison de Steve.
Voir VIOLENCE ET
AGRESSION de Ronald Bailey,
éd. Time-Life, 1972, p. 66.
30 Aristote en parlait déjà dans
l'Antiquité. Cette fonction psychologique a été
étendue et considérablement développée
par les psychanalystes.
31 Un exemple: dans Rage, Charlie
qui a 4 ans est jeté violemment à terre par son
père (Ra.p. 82); dans SALEM, Sandy
assomme son nourrisson avec son biberon (I.5); dans SHINING, l'écrivain Torrance, qui boit, casse le bras de
son fils (I.III). Or en 1971, Or King, qui venait d'avoir son second
fils Joe, lequel "was crying
and bawling every night"(in
Beahm, op.cit., p. 75), dans l'inconfort de son mobil-home,
s'était mis à boire, "drinking too much", comme il le dit lui-même plus tard, dans un
article de 1982 (cité par Beahm, op.cit., p. 77). Voir aussi
note 69.
32 "Je
considère cette idée comme totalement spécieuse
-de tels jugements psychologiques à l'emporte-pièce
sont aussi sérieux à mes yeux que l'horoscope des
quotidiens. Ce qui ne signifie pas pour autant que l'écrivain
ne puise jamais son inspiration dans son passé; bien au
contraire", in
ANATOMIE..., op.cit., p. 102.
33 "Après le
départ de mon père, ma mère s'est
débrouillée comme elle pouvait pour joindre les deux
bouts (...). Elle a occupé toutes sortes d'emplois
peu rémunérateurs: repasseuse dans une blanchisserie,
pâtissière dans une boulangerie, vendeuse dans un
magasin, femme de ménage (...). Elle
faisait de son mieux pour ne pas perdre pied, comme d'innombrables
femmes avant et après elle. On n'a jamais eu de voiture (et on
n'a eu une télé qu'en 1956), mais jamais on ne sautait
un repas", in ANATOMIE..., op.cit., p. 112.
34 in ANATOMIE...,
op.cit., p. 118. La stabilisation à Durham ne viendra que plus
tard, en 1958, quand la famille se cotisera pour permettre à
la mère de King de soigner les vieux parents. Stephen King a
alors 11 ans.
35 "A un moment
donné, notre père avait confié sa caméra
à un autre marin, et soudain le voilà, Donald King, de
Peru (Indiana), accoudé au bastingage. Il lève la main,
sourit; fait sans le savoir un petit signe à des fils qui ne
sont même pas conçus. On a rembobiné le film, et
on l'a regardé une deuxième fois. Et une
troisième. Salut, papa; où es-tu passé
aujourd'hui?", in
ANATOMIE..., op.cit., p. 114.
36 "Il a
reçu quelques lettres de refus personnalisées; des
lettres du style «Ça ne nous convient pas mais continuez
à nous envoyer votre prose», comme j'en ai reçu
pas mal à mon tour durant mon adolescence et
jusqu'après mon vingtième anniversaire (quand je me
sentais déprimé, il m'arrivait de me demander quel
effet ça ferait de se moucher dans une lettre de refus",
in ANATOMIE...,
op.cit., p. 115.
37 in ANATOMIE...,
op.cit., p. 117.
38 Compensation que n'a jamais essayé de
réaliser la mère de Charlie.
39 Sur ce point, voir une précision dans
l'interview de Burton Hatlen par Lou Van Hille, Steve's Rag, novembre. 1996, p. 21.
40 Idem, interview de Burton Hatlen par Lou Van Hille,
Steve's Rag, décembre. 1996, p. 21.
41 "At times,
particularly in my teens, I felt violent, as if I wanted to lash out
at the world, but that rage I kept hidden. That was a secret place in
myself I wouldn't reveal to anyone else", in The Playboy
Interview, 1983, citée
par Beahm, op.cit., p. 41.
42 "Given who he was, though, the isolation was necessary
to make him what he became", interview de Christopher Chesley, citée par
Beahm, op.cit., p. 32.
43 Ces deux nouvelles ont été
publiées dans NIGHT
SHIFT, 1978, trad. fr.,
BRUME, 1987, Albin Michel éd., sous les
titres En ce lieu des
tigres et La révolte de Caïn. La citation est extraite des Notes, p.
639.
44 "On pourrait
croire que j'ai des lunettes sur le nez, mais il m'arrive parfois de
penser que ce sont des culs de bouteilles", in ANATOMIE...,
op.cit., p. 112.
45 "I often felt unhappy and different,
estranged fom other kids my age. I was a fat kid -husky was the
euphemism they used in the clothing store- and pretty poorly
coordinated, always the last picked when we chose
teams", in The Playboy Interview, 1983, citée par Beahm, op.cit., p.
40.
46 "La vengeance de Carrie a réjoui tous
les lycéens qui se sont fait ôter de force leur short en
cours de gym ou casser leurs lunettes en cours de
récréation", in
ANATOMIE..., op.cit., p. 200, comme les citations
précédentes et la suivante.
47 "During those
four years King soaked up raw material for his work to come. King saw
high school in its true light: a rigid caste system in which everyone
knew his place. Years later King remarked: «I would observe what
happened to people who were totally left out and picked on
constantly. One morning, you'd come in and there would be "Sally
Delavera sucks"written across her locker... this constant barrage
until finally the kid would drop out of school... because they just
couldn't take it anymore. High school is the last chance, the last
place where you're really allowed to use that totally naked, violent
approach that you don't like", interview de 1980, citée par Beahm, op.cit.,
pages 41 et 42.
48 C'est ce que fera finalement Charlie par personne
interposée. Il a rangé son revolver dans un tiroir.
Quand un policier entre dans la salle de classe: "J'ai fait comme si j'allais prendre quelque
chose derrière la rangée de livres et de plantes du
bureau de Mme Underwood. -C'est à ton tour, espèce de
sale flic de merde! j'ai crié. Il a tiré trois
fois"(Ra. p. 237).
49 Le cas de l'étudiant Charles Whitman qui tue et
blesse de nombreuses personnes à l'Université d'Austin
(voir note du § 1) a littéralement obsédé
King: "It was an idea that
fascinated King for some time; Getting it on, half completed, told of
a high school student who snapped under pressure, with disastrous
consequences. In CAIN ROSE UP, Garrish, a college student, takes up a
firing position in his dorm room and, wielding a .352 magnum with a
telescopic sight, start blowing students away", in Beahm, op.cit., p. 56. Voir aussi dans un
registre différent la nouvelle Strawberry Spring, écrite à la même époque et
publiée en 1968, publiée dans NIGHT SHIFT,
1978, trad. fr., BRUME,
1987, Albin Michel
éd., sous le titre Le
Printemps des baies.
50 Dans le journal du Campus de mai 1969, King
écrit: "Peut-être
êtes-vous bourré un mardi après-midi. Vous pouvez
développer une nette animosité en classe. Vous pouvez
laisser tomber. Vous pouvez aussi commencer à regarder la tour
de Steven's Hall et vous demander -juste vous demander- à quel
point ce serait agréable d'y grimper et d'abattre quelques
personnes.", cité par
Beahm, op.cit., p. 56.
51 "Changement important par rapport aux
histoires préparatoires qu'il écrivit durant les quatre
années précédentes, GIO fut un tournant dans la
carrière de K. À partir de ce moment, l'oeuvre de King
fait resurgir les peurs communes à tous, dans des histoires
gorgées de l'imaginaire américain. Les monstres,
découvre K., peuvent se trouver sur Maple Street, et ce qui
est le plus effrayant, c'est qu'ils ont l'air tout à fait
ordinaires, tout comme l'est Todd Bowden, le monstre humain
décrit dans Un Élève
doué.", in Beahm,
op.cit., p. 49.
52 In ANATOMIE...,
op.cit., p. 51.
53 Son copain Chesley raconte que: "Je voyais Steve de temps en temps le
week-end, mais il ne me parlait jamais beaucoup des années de
lycée. Il était entendu que, quand nous étions
ensemble, nous parlions de films, de télé et de
livres.", interview
citée dans Beahm, op.cit., p. 40.
54 "Quand
j'étais au lycée, le Vietnam s'enflammait, et Watts
s'enflammait, et Bob Kennedy et Martin Luther King avaient
été abattus, et ces petites poupées venaient en
classe avec neuf livres de maquillage et les cheveux coiffés
à la perfection, et des talons hauts, parce qu'elles
cherchaient le mari, le travail et tout ce que leurs mères
cherchaient. (...) Grosse affaire!", interview, 1984, citée par Beahm, op.cit., p.
62.
55 Sur cette période, voir les indications
données dans l'interview de Burton Hatlen par Lou Van Hille,
Steve's Rag, décembre. 1996, p. 21.
56 In ANATOMIE...,
op.cit., p. 16.
57 "À cette
époque, les campus étaient en révolte, une
révolte totale. (...) Nous
rentrions à la maison, et nos parents disaient: «Tu ne
vas pas chez le coiffeur?» Et nous répondions: «Non,
je pense pas. Tu veux un joint, papa?» .(...)
C'était une agitation des jeunes, une révolte des
jeunes, une sorte de gerre civile entre parents et enfants.
(...) Les parents voyaient ça avec un
sentimeznt d'horreur.",
interview, 1984, citée dans Beahm, op.cit., p. 62.
58 "King
écrivait sur n'importe quoi; vous ne sauriez raconter ce que
King pouvait ramasser chaque semaine, comme un
camion-poubelle", in Beahm,
op.cit., p. 59.
59 In ANATOMIE...,
op.cit., p. 187.
60 "C'était
un sujet sensible pour King. Il stigmatisait les quelques sujets qui
l'écoeuraient et partait contre les critiques des cheveux
longs. Pouvez-vous imaginer un pays prétendument basé
sur la liberté d'expression racontant aux gens qu'ils ne
peuvent pas laisser pousser leurs cheveux ou leur barbe? Depuis quand
sommes-nous descendus au point que nous devons porter plus
d'attention à ce que les gens paraissent plutôt
qu'à ce qu'ils pensent?", in Beahm, op.cit., p. 62.
61 Voir interview de Burton Hatlen par Lou Van Hille,
Steve's Rag, novembre 1996, p. 25.
62 In PAGES
NOIRES, op.cit., p.
108.
63 "Les jeunes se
sont mis à brûler leur ordre de mobilisation, à
fuir vers le Canada ou la Suède, à défiler en
brandissant les drapeaux du Vietnam. A Bangor, quand j'allais
à la fac, un jeune homme fut arrête et emprisonné
pour avoir remplacé la poche-revolver de son jean par un
drapeau américain",
cité par Beahm, op.cit., p. 198.
64 "Ma femme
raconte encore avec délices comment son mari, la
première fois qu'il fit son devoir de citoyen, à
l'âge encore tendre de vingt et un ans, vota aux
élections présidentielles pour Richard Nixon:
«Nixon avait dit qu'il avait un plan pour nous sortir du
Vietnam», conclut-elle avec d'ordinaire une petite
lumière moqueuse dans l'oeil, et Steve l'a
cru", in NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, 1993, trad. fr. REVES ET CAUCHEMARS, Albin Michel, 1994, introd. p. 10.
65 King annonce sa naissance "au monde réel"dans des dispositions bien changées par rapport
à son idéalisme initial: " Si quelqu'un, en prenant conscience des
réalités, a pu dire qu'il allait «changer le monde
avec la vigueur et l'oeil brillant de la jeunesse», maintenant
ce jeune homme est prêt à tout envoyer promener et de
prendre la fuite, comme un homme qui ne se sent plus maintenant
l'oeil tellement brillant; en fait, il se sent vieux de deux cents
ans", cité par Beahm,
op.cit., p. 67.
66 "À la fin
de 1972, King avait un manuscrit sous la main à
présenter à un éditeur. «Ma
considération distinguée», conclut King,
«était ce qu'avait écrit le plus grand perdant de
tous les temps»",
cité par Beahm, op.cit., p. 79.
67 "Peut-être
aurais-je été un professeur de lycée moyen et
aigri, faisant semblant d'agir selon les règles jusqu'à
la retraite, et s'affaiblissant en glissant vers les années
crépusculaires. D'un autre côté, j'aurais pu
finir dans une tour du Texas, libérant mes démons, avec
un puissant fusil à lunette au lieu d'un traitement de textes.
Je veux dire, je connais ce type Whitman. Mon écriture m'a
sauvé de la tour", in
The Playboy
Interview, 1983, citée
par Beahm, op.cit., p. 55.
68 THE GRAPES OF
WRATH, de Steinbeck est un
des livres favoris de King étudiant, in Beahm, op.cit., p.
42.
69 "Il n'y avait pas assez d'argent, aussi on
leur coupa le téléphone. Pour ajouter à ces
malheurs, leur auto de sept ans commença à avoir des
pannes - et les factures salées
s'accumulèrent.", in
Beahm, op.cit., p. 77.
70 "On top of
everything else, I was fucking up personnally. I wish I could say
today that I bravely shook my fist in the face of adversity and
carries on undaunted, but I can't. I copped out to self-pity and
anxiety and started drinking far too much and frittering money away
on poker and bumper pool. You know the scene: it's Friday night and
you cash your pay check in the bar and start knocking them down, and
before you know what's happened, you've pissed away half the food
budget for that week", in
The Playboy
Interview, 1983, citée
par Beahm, op.cit., p. 37.
71 "En plus de tout ça, j'étais
personnellement foutu. Je souhaiterai pouvoir dire aujourd'hui que
j'ai flanqué mon poing dans la face de l'adversité, que
je la supportais sans être ébranlé; mais je ne le
peux. Je refoulais mon apitoiement sur moi-même et mon
anxiété et je partais au loin boire beaucoup trop et
gaspillait mon argent au poker ou aux concours de pronostics. Vous
voyez la scène: c'est la nuit de vendredi et vous changez
votre chèque de paie au bar et les verres se suivent, et avant
d'avoir compris ce qui arrive, vous avez pissé la
moitié du budget d'alimentation de la semaine", in The Playboy Interview, 1983, citée par Beahm, op.cit., p. 55. Ces
matériaux biographiques apparaîtront dans
THE SHINING.
72 "J'ai fini par comprendre que mes survivants
auraient probablement tendance à reprendre leurs anciennes
querelles, puis leurs anciennes armes", in PAGES
NOIRES, op.cit., p. 209. Le
lecteur qui voudrait approfondir la question peut se reporter au
hors-série n° 3 de Steve's Rag, KING POLITIQUE,
janvier 1997, cette étude en étant l'introduction
naturelle.
Roland Ernould
©
2000.
Armentières, mai 96/ 07 avril 1997, révisé en mai 1999
et juin 2000.
Ces opinions n'engagent que leur
auteur, qui reçoit avec reconnaissance toutes les remarques
qui pourraient lui être faites.
Lire aussi
:
Rage, UNE OEUVRE DE JEUNESSE
ANNONCIATRICE.
En 1966, King achève
sa terminale à la High School de Lisbon Falls,
près de Durham. Il a 18 ans. Depuis le printemps, il
a commencé à écrire le premier de ses
romans publiés, Getting it on . Quand on analyse la composition et
le contenu du roman sans se soucier de l'intrigue et de son
évolution, on voit apparaître bon nombre de
thèmes qui continueront à inspirer King dans
ses oeuvres jusqu'à ce jour. C'est un recensement de
ces thèmes qui est l'objet de cette étude. Ils
se rapportent successivement à l'individu,
l'éducation, la collectivité, la culture et
divers autres aspects de moindre importance. Il serait
futile de prétendre que Getting it on contient en condensé l'oeuvre
à venir de King. Mais il porte en son sein
d'intéressants germes qui grandiront et feront
l'objet, avec des fortunes diverses, de
développements et de situations variées.
À ce titre, au-delà de la faiblesse relative
de ce roman d'un jeune auteur, on peut considérer
qu'il a constitué pour King une première
occasion de mettre au point une technique qui consiste
à mettre une partie de soi dans une oeuvre qui se
veut entièrement tournée vers
l'imaginaire.
1ère partie
:
...KING CONTRE LA GUERRE
DU VIETNAM : l'homme et le conflit.
King a vécu la guerre
du Vietnam alors qu'il était à
l'université. Les allusions au Vietnam sont
fréquentes jusqu'à la période allant
jusqu'aux Tommyknockers. Elles sont apparu de moins en moins nombreuses,
alors qu'elles sont très courantes dans les oeuvres
jusque Simetierre. Ensuite elles disparaissent
complètement pendant dix ans, pour
réapparaître avec Désolation, en 1996 et plus récemment,
le Vietnam concerne trois des cinq textes de Coeurs perdus en
Atlantide. Il semble
ainsi que les notations concernant le Vietnam ont
été abondantes dans l'oeuvre de
King tant que le conflit était
récent, pour être délaissées
quand le souvenir s'en est estompé dans les esprits.
Les limites des prises de position de King contre une guerre
qui l'a mobilisé plusieurs années de jeunesse
se révèlent un peu décevantes.
King semble avoir quitté
l'université avec le seul souci de se faire un destin
personnel, et en ayant oublié les luttes collectives,
auxquelles il avait cependant participé dans la
générosité de sa jeunesse.
King n'est pas un politique.
2ème partie : KING ET LA GUERRE
DU VIETNAM : l'utilisation littéraire du
Vietnam. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. dans Désolation
et
Coeurs
perdus en Atlantide. ..
Le Vietnam
réapparaît maintenant avec l'âge de la
maturité et le retour sur les années soixante,
années de jeunesse de King.
Surtout, à l'imitation de Straub,
le Vietnam devient l'objet d'une exploitation
littéraire. On
peut comprendre ainsi pourquoi il n'y a pas, dans l'oeuvre
de King,
de déclaration fracassante contre la guerre du
Vietnam, ou les autres conflits qui ont suivi. Il n'y a pas,
chez lui, un état d'esprit propice à la
rupture avec les institutions présentes. Ses valeurs
sont des valeurs traditionnelles. Après avoir participé aux luttes
politiques et sociales de son temps, qui ont marqué
ce descendant de républicains, devenu hostile au
conservatisme et à l'étroitesse d'esprit de ce
parti,
King donne
l'impression de fuir l'engagement direct et de trouver dans
son oeuvre un exutoire aux tensions qu'il a
accumulées pendant sa jeunesse. Exutoire, parce que
l'écriture le libère de ses tensions. Attitude
politique plus passive qu'active.
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ce texte a été publié dans
ma Revue trimestrielle
différentes saisons
# 5 : automne 1999
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