. KING ....... contre. LA

GUERRE ....... DU.......VIETNAM.

l'homme et le conflit.

 

"Pour moi, ce fut la fin d'un doux rêve... et le commencement d'un cauchemar." 9

 

King fait partie de la génération qui, en 20 ans, a vécu des années dans le rêve de l'universalité libératrice du pouvoir américain pour prendre brusquement conscience de la fragilité de sa mission et de la perte de ses valeurs humanistes. Au début des années 60, quand débute Coeurs perdus en Atlantide, le premier recueil à consacrer autant de place au Vietnam, l'American way of life paraît devoir s'étendre sans limite, lié à l'épanouissement du système industriel, aux progrès à chaque instant visibles, au confort, à la fois matériel et intellectuel, accordé à un système de valeurs traditionnelles, fortement rattachées à la tradition protestante ou puritaine, qui paraissent intangibles au plus grand nombre. Mais, peu à peu, des réalités désagréables sont mises en évidence. Coeurs perdus en Atlantide est un titre symbolique2. Paré de multiples vertus, le continent mythique de la prospérité, de la justice et de la paix définitive, celui des jeunes années, qui a fait rêver, a maintenant disparu sous les flots, comme la chanson éponyme qui donne une partie de son titre au récit : "Et j'entends Donovan Leitch qui chante sa chanson douce et stupide sur le continent perdu de l'Atlantide. (...) Je dois faire l'effort de me rappeler que nous n'étions que des gamins, encore assez petits pour mener notre existence aux brillantes couleurs sous les champignons, les ayant toujours pris pour des arbres, des abris sous l'abri du ciel. Je sens bien que tout cela n'a pas vraiment de sens, mais c'est le mieux que je puisse faire : Vive l'Atlantide." (272)

.. du site ..

Photo de couverture du Maine Campus du 15 janvier 1969 : King chevelu et barbu, avec un fusil à deux canons.

King y avait sa rubrique King's Garbage Truck (le camion-poubelle de King)

L'ATLANTIDE.

Les États-Unis en crise.

Pendant les années de formation et de transition à l'âge adulte aussi bien de King que de Straub3 (en gros, de 1960 à 1975), les États-Unis ont vécu la crise intellectuelle et morale la plus déroutante de leur jeune histoire. Cette crise a ébranlé le système de valeurs sur lequel se fondait la civilisation américaine. Le mythe de la démocratie et de l'égalité des chances est remis en question par la course à la consommation, la corruption et une éducation à plusieurs vitesses. Sur le plan interne, les revendications des Noirs et les émeutes raciales sapent le mythe de la démocratie et le dogme de l'égalité des chances. La crise urbaine se développe, avec la découverte d'une Amérique de la pauvreté et de la dégradation des valeurs (alcoolisme, drogues, criminalité), et de la marginalisation, qui paraît irréversible, d'une partie non négligeable de la population. L'espoir de l'enrichissement de tous par la société industrielle avancée tient difficilement devant la crise urbaine, la prise de conscience des désastres écologiques et l'extension de la paupérisation simultanément à la constitution de fortunes fabuleuses.
Il faut ajouter à cela un phénomène social particulier, dont les conséquences n'avaient pas été appréciées, celui de l'émancipation de la jeunesse. Les jeunes américains des années 60 sont plus nombreux que ceux des générations précédentes (conséquence du baby-boom de l'après-guerre). Bon nombre de ces enfants des classes moyennes ont été élevés suivant les théories libérales d'éducation du Dr
Spock, dont le livre Comment soigner et éduquer son enfant (1952) s'est vendu à 24 millions d'exemplaires et se trouve alors dans beaucoup de foyers américains : méthodes d'éducation en douceur, plus grande autonomie par rapport à la famille et à l'éducation étaient devenus les préceptes éducatifs à la mode, en rupture avec l'éducation plus contraignante des générations précédentes. Et, autre élément non négligeable, avec un pouvoir d'achat plus élevé, une alimentation plus abondante et une meilleure hygiène, la maturité physiologique et les revendications sexuelles deviennent plus précoces.

Un fossé va insensiblement se creuser entre les générations avec la mise en circulation des idées novatrices de philosophes marxistes et freudiens, Wilhelm Reich, Herber Marcuse, Eric Fromm. Quand la génération de King et Straub arrive à l'adolescence, l'influence de ces idées, une musique plus politisée comme celle du rock ou des nombreux courants musicaux qui apparaissent et disparaissent sans cesse4, conduit à l'élaboration d'une contre-culture, qui expérimente de nouveaux modes de vie fondés sur la libération des tabous et la convivialité5. Des formules comme : «interdit d'interdire», ou «faites l'amour et pas la guerre», répétées sans cesse par quelques «libérés», modifient lentement les esprits. Les premiers troubles étudiants éclatent pour des motifs comme l'accès aux chambres des filles, ou l'insuffisance de la liberté d'expression. Dès 1964, à Berkeley, en Californie, surgissent des mouvements contre le mandarinat universitaire, pour davantage de libertés, avec un mot d'ordre : ne faites pas confiance aux plus de trente ans. Le mouvement hippie apparaît quelque temps plus tard, revendiquant le "flower power" 6 : le droit à la différence, la défense des minorités ethniques (nombreuses manifestations pour les droits des Noirs), religieuses, sexuelles. Les beatnicks, et un de leurs leaders, Jean Kerouac, mettent en cause la course à la puissance économique, aux armements, la fausse richesse matérielle. Le résultat de ces diverses influences est que l'imagination et l'amitié doivent prévaloir. Le travail et la réussite sont désacralisés au profit de la vie dans l'instant.

Sur le plan externe, la doctrine indiscutée de l'universalité de la mission justicière et pacificatrice vole en morceaux avec la guerre du Vietnam. À toutes les transformations internes à la vie du pays et au quotidien des Américains, qui, on l'a vu, marquent profondément la vie de cette époque, vient s'ajouter cette guerre qui fut la première à pénétrer quotidiennement dans les foyers par les images télévisées. Ses effets sont amplifiés par la concurrence des chaînes de télévision, qui veulent étaler toujours davantage de spectaculaire pour mieux diffuser leurs spots publicitaires. Cette guerre a paru, à ses débuts, lointaine, en marge de la vie quotidienne, une de ces opérations de maintien de l'ordre habituelle aux USA. Mais peu à peu, avec l'envoi de plus en plus nombreux de jeunes gens sur le théâtre d'opération, les morts qui reviennent, le Vietnam devient source d'inquiétude et de bouleversement. Dès 1966, date où commence la seconde novella, la guerre du Vietnam prend le pas sur le problème noir. Le mythe de la mission justicière et purificatrice de la nation - qui pouvait justifier sa mission de gendarme éclairé du monde - s'effondre à cause de la guerre au Vietnam, les mensonges et le soutien à des régimes corrompus. Le masque de la suprématie morale et spirituelle des États-Unis tombe et révèle le vrai visage d'un pays surtout préoccupé d'une stratégie mondiale de contrôle, appuyé sur une suprématie indiscutable dans le domaine de l'armement.
Conclusion de cette évolution : l'Amérique d'hier est en crise. À la bonne conscience américaine se substituent des interrogations, ou des constatations. Non, les USA ne sont pas pacifistes, mais dominateurs et impérialistes. Non, ils ne défendent pas les libertés des minorités, mais cherchent leur soumission. Oppresseurs, sans égards pour les droits de l'homme, les USA, pour la génération de King, ne sont plus l'Amérique pionnière qu'on leur proposait dans les années 50. Comme l'Atlantide géologiquement jadis, cette grande île mythique disparue sous les flots de l'océan, l'Amérique est en train de sombrer.

Comment King a-t-il vécu cette époque?

Tous ces bouleversements apparaissent en filigrane dans l'oeuvre de King. Il a bien expliqué dès 1981, dans Anatomie de l'horreur 7, que la fonction essentielle des romans ou des films de fiction ou d'épouvante était d'expulser nos démons intérieurs, y compris les politiques. Quels sont les démons politiques de King ?

La première fracture.

Enfant, comme beaucoup de jeunes Américains, il a été imprégné de l'esprit pionnier : "Nous avions une formidable Histoire 8 à notre disposition (...). Tous les instituteurs de ce pays connaissaient les mots magiques qui enchantaient leurs élèves; deux mots qui étincelaient comme une splendide enseigne au néon; deux mots d'une puissance et d'une grâce presque incroyables; et ces deux mots magiques étaient : ESPRIT PIONNIER."

Il est certain que les jeunes essaient de construire mentalement leur vie future et que leur idéalisme les pousse facilement à aimer les idées de générosité, de grandeur et d'enthousiasme. King est comme les autres enfants de son âge. Mais il y a chez lui une caractéristique psychologique, une inquiétude plus importante que la moyenne, qui fait qu'il ne peut être heureux que rassuré. Il a gardé cette particularité à l'âge adulte et c'est une composante de son oeuvre de première importance. Comme lui, ses "contemporains ont grandi dans la sécurité que conférait l'ESPRIT PIONNIER américain, ils apprenaient par coeur toute une litanie de noms qui en étaient le symbole. (...) C'étaient des Américains gorgés d'ESPRIT PIONNIER. Nous étions, nous avions toujours été les meilleurs d'entre les meilleurs. Et quel avenir grandiose nous attendait!".

C'est en 1957, année de l'envoi par les Russes de leur satellite Spoutnik, qu'une partie de l'univers mental du jeune Stephen est atteint. «L'esprit pionnier» fut "le berceau de théorie politique élémentaire et de rêverie technologique qui a protégé mes contemporains et moi-même jusqu'à ce jour d'octobre 1957, où le berceau est tombé par terre et que nous en sommes tous sortis pour de bon. Pour moi, ce fut la fin d'un doux rêve... et le commencement d'un cauchemar." 9. Les meilleurs ne sont plus les meilleurs, la première puissance du monde est dépassée par sa rivale... Il fallait réagir, ne pas se laisser dépasser. Et contrer le communisme partout où il pouvait gagner de l'influence.

La deuxième fracture.

Depuis la guerre de Sécession (1861-1865), aucun conflit n'a marqué plus profondément les États-Unis que la guerre du Vietnam (1964-1975). Tous les soirs étaient diffusées des images de combats, et le nombre de correspondants de presse a été particulièrement important, la plupart des grands journaux et revues couvrant l'événement. Pour la première fois, la guerre était introduite dans les foyers, mais en même temps banalisée par les images publicitaires qui s'y inséraient, à tel point que les sociologues ne se sont demandé si elles n'ont pas contribué à anesthésier plutôt qu'à révolter les téléspectateurs. Les dirigeants ont alors compris que les images de violence et de sang étaient les meilleurs moyens d'attirer les téléspectateurs. Comme simultanément la télévision était dénoncée par Nixon et le pouvoir, les téléspectateurs ont éprouvé des difficultés à trouver leurs repères.

Largement diffusée par la télévision et la presse, elle a perturbé gravement l'esprit de millions d'Américains. En divulguant les drames et les horreurs qui régnaient au Vietnam, les médias amenèrent la contestation du rôle de l'État et un large refus de la guerre et des activités économiques qui lui sont liées (ce qui rejoint par ailleurs l'écologisme).

Quelques faits pour se retrouver dans les textes.

De 1963 à 1968, le contingent américain est passé des 16.000 conseillers militaires» au Sud-Vietnam à 1/2 million de combattants.

Contre le Nord-Vietnam (VietnamN), les Américains firent rapidement usage du napalm, puis des défoliants en quantité importante (agent orange)10, pour lutter contre la guérilla.

Les Américains ont été longtemps dans leur majorité favorables au gouvernement (Johnson bénéficiait selon les sondages de 67% des voix). La guerre froide a pris de l'intensité et les USA ont eu peur de la guerre atomique et d'une troisième guerre mondiale. Leur grande crainte est d'éviter que le Vietnam-Sud tombe entre les mains des communistes, aidés à la fois par l'URSS et la Chine. D'autant plus que le régime du Vietnam-Sud est devenu corrompu, et que se constitue contre lui un Front National de Libération (Vietcong), qui bénéficie d'un soutien populaire de plus en plus large. La guerre prendra d'abord une forme diplomatique. Une aide importante (armes, vivres, argent) sera apportée massivement. Les USA représentent alors la démocratie hésitant à employer les grands moyens et multipliant les déclarations et les rodomontades pour ne pas utiliser sa force.

Puis à partir de 1967, l'hostilité ira grandissante. Peu à peu la lassitude des horreurs de la guerre, montrées à satiété, laissa la place à un mouvement en faveur d'une paix. Les Américains furent sensibles au fait que les civils furent les principales victimes de la guerre. Ils prirent aussi conscience que l'impressionnante puissance de feu américaine était vainee devant les méthodes de guérilla et la foi des adversaires et que, faisant de moins en moins dans le détail, les Américains devenaient à leur tour des fauteurs de guerre et non des combattants de la paix.

Quelques dates.

En 1954, la conférence de Genève oblige la France à quitter l'Indochine, divisée en deux : la République Démocratique du Vietnam au Nord, pro-communiste; la république du Vietnam au Sud, pro-occidentale. Les élections prévues en 1956 n'ont pas lieu. Sous Kennedy, envoi de conseillers. 1er américain tué.

1964 : torpillage de 2 destroyers américains dans le golfe du Tonkin). Le Vietcong attaque la base de Biên Hoa. Le Congrès autorise l'intervention au Vietnam.

Fév. 1965 : Johnson (1963-68) ordonne le bombardement continu au nord du XXè parallèle. Bombardement d'Hanoï.

1966 : raids sur Hanoï, Haïphong et des places-fortes communistes.
Les négociations entreprises depuis 1965 par Johnson sont arrêtées.
11

1967. Le VietnamN attaque le Laos.

Janv-fév. 1968 : offensive du Tet par le VietCong. Lourdes pertes.

1969 : Nixon (1968-1972-1976). Marche pour la Paix (250.000 manifestants) à Washington. Début du retrait des troupes américaines.

1970 : bombardement de la piste Hô Chi Minh.

1971 : l'offensive pour couper la piste Hô Chi Minh est abandonnée.

1972 : le VietnamS envahi par le Vietnam N. Les troupes américaines quittent le pays.

1973 : fin de l'engagement américain au Vietnam.

déc. 1974 : les communistes marchent sur Saïgon.

19 avril 1975 : chute de Saïgon.

1976 : réunification du Vietnam.

À noter la première condamnation (à la prison à vie) du Lt William Colley en 1971, pour le meurtre prémédité de 22 Vietnamiens à My Lai (en 1968)

Pertes américaines : 58.000 morts, 300.000 blessés, 2.273 officiers disparus.

 

KING ET CE TEMPS.

King a 19 ans quand, boursier et vivant de petits boulots, il entre à l'Université du Maine. Il vient d'un milieu quasi-rural, conformiste, conservateur, à l'esprit solidement religieux : "Lorsque je me présentais à l'université du Maine, en 1966, il y avait encore un autocollant Goldwater 12, en lambeaux et décoloré mais cependant tout à fait lisible (AuH2O-4-USAi) 13 sur le pare-chocs de la vieille Oldsmobile familiale dont mon frère m'avait fait cadeau."

Il subit, comme beaucoup d'étudiants américains
14, une sorte de cataclysme mental, mélangeant dans ses revendications, sans trop se soucier de cohérence, les libertés universitaires, le droit de porter les cheveux longs et de s'habiller à sa guise, la libération sexuelle, le droit de vote à dix-huit ans, la responsabilité de l'industrie en matière de pollution, la dénonciation de la corruption, la lutte pour la Paix et contre le Vietnam. Comme le raconte une étudiante dans L'Accident : "Durant toute cette longue période, elle n'avait plus pensé à Dan, oubliant jusqu'à son nom. Pendant huit mois, elle n'avait pensé à rien. Le pays entier avait été en proie à des désordres de toutes sortes sans qu'elle y ait prêté attention. Ni aux flics, ni aux émeutes de cet été de violence. La radicalisation politique des dirigeants noirs, leur durcissement, les ghettos en proie aux flammes, leurs habitants devenus les cibles des fusils à pompe, Sarah n'en revenait pas d'être passée au travers de tout cela dans l'inconscience la plus complète. Heureuse simplement de s'en être si bien tirée. D'autant que maintenant les choses étaient rentrées dans l'ordre et qu'il n'y avait plus rien à redouter." (25) Les étudiants américains - comme durant le même temps leurs homologues français - vont rompre les ponts non seulement avec leur société, mais aussi leur milieu familial. Parents et enfants ne se comprennent plus, se tolèrent tout juste. L'explication de l'homme de la rue des désordres étudiants : "Ce qui débloque chez eux, je vais vous le dire : ils font un empoisonnement au Vietnam. C'est un type nommé Lyndon Johnson qu'a raté la tambouille. Alors ils sont allés voir le docteur Nixon, qui leur a affirmé qu'il allait régler ça. Faut bouffer davantage, leur a-t-il prescrit. Et crac, ça a été l'indigestion." (un chauffeur de taxi, L'accident, 47).Les parents les plus conservateurs ont vu avec effroi leur progéniture se transformer en monstres15.

À l'intérieur même de l'université, la nature de l'enseignement s'en ressent16. Dans Ça, Bill Dendrought, étudiant à l'Université du Maine où se trouvait King à la même époque, fréquente un singulier cours d'écriture créative : "Il y a un petit gros qui ne peut pas (ou ne veut pas) s'exprimer autrement qu'en grommelant. Il a écrit une pièce avec neuf protagonistes. Chacun ne dit qu'un seul mot. Peu à peu, les spectateurs se rendent compte que lorsque l'on met les mots à la queue leu leu, on obtient : «La guerre est l'arme des marchands de mort sexistes.» La pièce a reçu la meilleure note, A, du type qui enseigne en Eh-141 (séminaire supérieur d'écriture créative). Ce prof a lui-même publié quatre volumes de poésie, outre sa thèse, tout ça aux Presses de l'université. Il fume du hasch et porte un badge pacifiste. Le grommeleur obèse voit son oeuvre montée par un groupe de théâtre guérillero, pendant la grève contre la guerre du Vietnam qui a réussi à fermer tous les campus en mai 1970. Le prof joue l'un des personnages." (133)

King fait parfois de singulières comparaisons, comme dans Le radeau, où la tache mystérieuse qui vit sur l'eau d'un lac a capturé un adolescent : "Lorsqu'il regarda à nouveau, la cage thoracique de Deke était en train de disparaître dans la fente. Ses bras, levés et écartés, le faisaient ressembler à une obscène parodie de Richard Nixon exécutant ce V de la victoire D qui avait rendu fous les manifestants des années soixante et soixante-dix.
Il avait les yeux ouverts. Il tirait la langue en direction de Randy."
(326)

Plusieurs fois, King reprend sa propre situation, la découverte de la politique à l'entrée de l'Université et notamment de la lutte contre la guerre du Vietnam : "Les seuls prêtres dont l'action politique ne l'avait pas indisposé, c'étaient ceux qui avaient milité contre la guerre au Vietnam. Maintenant que leur cause était périmée, ils passaient leur temps à évoquer les marches et les rallyes, comme les vieux couples évoquent leur lune de miel ou leur premier voyage en train." (155), pense un prêtre dans Salem. Ou encore : "Johnny ne s'était jamais intéressé à la politique, sauf pendant la guerre du Vietnam." (L'accident, 250)

Il semble que King, entré en fac en 1966, date où se passe Coeurs perdus en Atlantide, ait mis quelque temps à réagir, et la novella témoigne que sa prise de conscience politique n'est pas très nette pendant les premiers mois d'université : "A l'époque, je me trouvais à l'Université du Maine, et bien que je sois entré en fac avec des opinions trop conservatrices pour devenir un gauchiste pur et dur, ma vision du monde s'était altérée dès 1968 après que je me fus posé certaines questions fondamentales." 17

L'homme qui en sort (encore que King soit une sorte d'éternel adolescent) n'est plus celui qui est entré : "En 1970, quand je quittais l'université, je ne possédais plus de voiture; j'avais par contre une barbe et des cheveux qui me descendaient jusqu'aux épaules, ainsi qu'un sac à dos avec un collant qui proclamait : RICHARD NIXON EST UN CRIMINEL DE GUERRE." (271)18 Entre autres lectures, il a été marqué par un roman de Jack Finney19,dont il cite un passage qui l'a particulièrement frappé : "Je suis (...) un homme ordinaire; comme les autres, j'ai gardé de mon enfance le sentiment que ceux qui nous dirigent sont mieux informés que leurs concitoyens, que leur jugement est supérieur au nôtre; en un mot, qu'ils sont plus intelligents que nous, simples mortels. Il a fallu le Vietnam pour que je comprenne enfin : les décisions majeures émanaient parfois d'hommes qui n'étaient ni plus intelligents ni mieux informés que nous, simples mortels." 20

Ce fut pour lui une "découverte bouleversante", mais il ne lui fut pas possible d'adhérer au "mouvement de paranoïa galopante" qui avait envahi le pays et qui avait "complètement déboussolé" sa génération. Le républicain qu'il était se transforme en indépendant, puis en "scummy radical bastard" 21 (traduction libre : en un bâtard radical merdique). À noter qu'il se déclare cependant fier d'être américain et de croire en la Déclaration d'Indépendance et la Constitution22.

 

King et le Vietnam dans son oeuvre.

2. 2.

 

 Aussi, quand King se met à écrire, c'est tout naturellement que des idées contestataires de cette société décriée vont apparaître dans certains de ses romans. Quand lors de l'écriture de Le Fléau, il note : "Nous souffrions de la première crise de l'énergie de l'histoire, nous venions d'assister à la débâcle de l'administration Nixon et de la première démission présidentielle de notre histoire, nous venions de subir une défaite humiliante en Asie du Sud-Est, et nous avions à affronter tout un tas de problèmes intérieurs, de la controverse sur l'avortement à la spirale inflationniste." 23
Les notations concernant le Vietnam et l'utilisation de situations s'y référant sont nombreuses dans
King, en disparaissant après les Tommyknockers, après avoir atteint un plafond dans Simetierre. Elles réapparaissent dans Désolation, en 1996, avec l'écrivain Marinville, allé au Vietnam, dont l'utilisation de certaines conduites est plus littéraire que précédemment. Enfin récemment, le Vietnam est utilisé trois des cinq textes de Coeurs perdus en Atlantide. Il semble ainsi que les notations concernant le Vietnam ont été abondantes dans l'oeuvre de King tant que le conflit était d'actualité. Le Vietnam réapparaît avec l'âge de la maturité et du retour fréquent à cet âge sur les jeunes années.


On sait que
King, pour donner de la véracité à ses récits, tient à les situer dans le temps. L'emploi de noms ou d'appellations de marques d'aliments, de boissons, de voitures, de vêtements, de chansons de rock, d'équipes de base-ball, est permanent24. Il est normal que les références au Vietnam s'insèrent dans les récits, même quand elles ne sont pas en elles-mêmes importantes : "Il transpirait. Il transpirait comme au Vietnam, autrefois." (Désolation, 485) D'autres expliquent pourquoi certains partent, parce qu'ils ont engrossé une fille ou ont fait des bêtises; ou encore parce qu'ils sont las de la vie qu'ils mènent : "Je pars pour le Vietnam.
- Quoi!
Fébrilement il s'était mis à chercher sa feuille de route qu'il avait fini par trouver sur une étagère. La convocation émanait d'un centre de mobilisation.
(...) J'en ai marre. je suis fatigué de tout. j'ai pas envie de trouver un job, pas plus que de rester avec une bonne femme." (L'accident, 24). Ensuite ceux qui ont fait la guerre et s'en sont sortis avec les honneurs, comme dans La Nuit du Loup-garou, l'oncle A : "avait combattu au Vietnam, et il en était revenu décoré." (101). D'autres, qui en reviennent, profitent de leur situation pour réclamer au restaurant par exemple : il "s'écria d'une voix vibrante de honte et d'indignation :
«J'ai combattu au Vietnam. Mon frère a combattu au Vietnam! Je vais écrire à mon député! Attendez un peu, vous allez voir!»"
(Charlie, 114). Plusieurs de ceux qui en sont revenus ont gardé des aspects de leur formation, et, curieusement, la fonction d'infirmier revient la plus souvent. Le personnage des Enfants du maïs a fait "la guerre du Vietnam comme ambulancier." (336) Certains ne sont pas compétents : "Il avait fait partie du corps médical au début du Vietnam, et il savait se servir d'un défibrillateur, en théorie du moins. En pratique, ça s'était plutôt mal passé et le gosse leur avait claqué entre les pattes." (Charlie, 60) Ce qui pourrait s'expliquer par le fait qu'ils n'y ont pas fait grand chose25. Dans Simetierre, l'étudiant copain de chambre de Louis se drogue au "Train du rêve" en écoutant un disque de Creedence et invite Louis à y prendre part :"La plupart du temps, Louis déclinait poliment, et il avait sans doute bien fait de se montrer circonspect; son camarade de chambre s'était fait lamentablement recaler à tous ses examens et son «Train du rêve» l'avait finalement débarqué au Vietnam, où on l'avait affecté comme brancardier au Service de Santé. Quelquefois, Louis l'imaginait dans son antenne de campagne, défoncé jusqu'aux oreilles et écoutant Creedence dans Ru Trou the Jungle." (91) Une mère compare la maturité de ses enfants à celle des soldats envoyés là-bas: "«Johnny, reprit-elle, prenant peut-être son silence pour un refus, il n'y a pas si longtemps que cela, des garçons à peine plus âgés qu'eux se battaient au Vietnam.
- On en trouvait même de plus jeunes, répondit-il. J'y étais, et j'en ai vu.»"
(Désolation, 192). Le passé militaire de Burt (Les Enfants du maïs) revient sans cesse dans son comportement : dans la nature, observation, prudence, vigilance face à un danger incertain. Ou pour donner des leçons de combat : "Aucun sergent instructeur n'avait enseigné à l'assassin la meilleure façon de tuer proprement à l'arme blanche." (325) Certains y sont restés. Un prof pense au sort tragique d'un de ses élèves : "Billy Royko, mort dans un accident d'hélicoptère au Vietnam deux mois avant le cessez-le-feu." (Salem, 165) Ce qui n'empêche pas certains de considérer malgré tout le Vietnam comme une direction touristique : "J'ai pris l'avion pour Saigon, comme touriste. C'est bizarre? Pas tant que ça. Malgré la guerre de Nixon, des milliers de gens visitent encore ce pays chaque année. Il y en a bien qui se déplacent pour voir des accidents de voiture ou des combats de coqs." (Le goût de vivre, 462) La guerre donne évidemment des idées de jouets, comme la boîte de soldats de Petits Soldats : "En blanc sur le fond vert se découpaient ces mots : G.I. JOE - BOÎTE VIETNAM. Et juste en dessous figurait cette inscription : 20 fantassins, 10 hélicoptères, 2 hommes avec mitrailleuse, 2 hommes avec bazooka, 2 ambulanciers, 4 Jeeps. Puis, encore en dessous : un drapeau en décalcomanie." (168)

On rencontre les préjugés ou les idées toutes faites sur l'ennemi. Todd, dans Un élève doué, "avait entendu parler de la guerre, bien sûr - pas la guerre imbécile qui se déroulait actuellement, où les Américains se faisaient botter le cul par un tas de nyaquoués en pyjama noir -, de la Deuxième guerre mondiale." (123) Ou les noms particuliers liés à l'équipement : "Rainbird avait troqué ses vêtements civils contre un treillis - qu'ils appelaient parfois piège-à-citrons, au Vietnam." (Charlie, 383) Car les Vietnamiens ne sont pas comme les Américains : "Le gosse était sur le dos, mort. (...) Ses yeux étaient ouverts. C'est ça le pire, vous comprenez. (...) Comme les yeux des gosses de Viets qu'on voit sur les photos. Mais un gamin de chez nous avec des yeux comme ça, non.", affirme le père du Croque-mitaine (140)

Des notations sont historiques et se rapportent à des faits qui venaient de se passer : "Nixon faisait bombarder Hanoï. On montrait des photos prouvant que les bombes américaines ne touchaient jamais les hôpitaux, ni les jardins d'enfants vietnamiens, et le Président se déplaçait à bord d'un hélicoptère de l'armée, comme ses troupes." (L'accident, 68) Ou, plus tard : "Nixon fut réélu les doigts dans le nez, au sens littéral. Les enfants de l'Amérique commencèrent à rentrer du Vietnam." (L'Accident, 76) D'autres sont les conséquences (expériences?) des images télévisées : "Ils enlevèrent la housse du canapé et l'étendirent sur les corps. Ben essaya de ne pas les regarder et de ne pas penser à ce qu'il faisait, mais c'était impossible. (...) On distinguait parfaitement sous la housse la forme des corps; il n'y avait pas moyen de s'y tromper. Il se souvint en les regardant des photos de la guerre du Vietnam où on voyait aussi des morts, tantôt écroulés sur le lieu du combat, tantôt portés dans d'affreux sacs de caoutchouc noir qui ressemblaient absurdement à des sacs de golf." (Salem, 367) D'autres profitent plus heureusement de la guerre, comme Johnny auquel on propose une opération médicale délicate : "Rassurez-vous, ces techniques ont déjà été testées pendant la guerre du Vietnam. On n'a pas manqué de trouver des cobayes parmi les vétérans qui encombraient les hôpitaux militaires." (L'accident, 113)

Curieusement, les notations concernant les problèmes psychologiques graves qui ont marqué la vie de certains vétérans ne se trouvent que dans Coeurs perdus en Atlantide. Dans les premiers romans, il y a bien des allusions à des situations militaires difficiles, mais elles sont davantage liées à ca qui préoccupe King alors, les situations de terreur : "Hank se sentait envahi d'une crainte telle que même au Vietnam il n'en avait pas éprouvé de semblable. Et pourtant, là-bas, il n'avait pas cessé d'avoir peur. Mais c'était une peur qui avait ses raisons. La peur de marcher sur un bambou empoisonné et de voir son pied devenir comme un ballon vert et purulent, la peur qu'un de ces petits bonshommes en pyjama noir vous fasse sauter le caisson avec un fusil russe, la peur de se voir ordonner par un officier hystérique d'exterminer tous les habitants d'un village où les Viets se trouvaient une semaine avant. La peur qu'il éprouvait aujourd'hui était irrationnelle, infantile. Rien qui puisse positivement la justifier. Une maison était une maison - des planches, des gonds, des clous, du plâtre. Pourquoi s'imaginer que des fentes du parquet s'exhalaient des odeurs maléfiques? Quelle stupidité! Des fantômes? Il ne croyait pas aux fantômes. Pas après le Vietnam." (Salem, 95) Ou pour expliquer un Frankenstein, dont l'apparence est devenue effrayante : "Une mine Claymore lui avait explosé à la figure durant sa seconde période au Vietnam et son visage n'était plus qu'un festival d'épouvante, tissu cicatriciel et chair dégoulinant." (Charlie, 99). L'évocation du sang est toujours efficace : "Le sang sortait à flots de son crâne fendu, de son visage écrabouillé. II était gravement blessé, mais bien qu'il ait été percuté de plein fouet, puisqu'on lui ait roulé dessus, il ne semblait pourtant pas près de mourir. Cela ne surprit pas vraiment Johnny. La plupart du temps, il en faut beaucoup pour tuer un homme - il l'avait vu à maintes reprises au Vietnam. Des types en vie avec la moitié de la tête emportée, des types en vie avec leurs boyaux se déversant sur leurs genoux et attirant les mouches, des types en vie avec leur carotide se vidant entre leurs doigts sales. Les gens ont en général du mal à mourir. C'est ce qu'il y a de plus horrible." (Désolation, 172)

 

Une critique de l'action américaine.

Par rapport à l'opinion hostile que King a toujours manifestée à l'égard du Vietnam, les notations réalistes ou pittoresques sont plus nombreuses que les critiques humanitaires à propos des comportements américains à l'égard des populations indochinoises. On rencontre de brèves allusions à certaines méthodes militaires expéditives : "Ça me rappelle la manière dont nous sauvions des villages pendant la guerre." (Les Enfants du maïs, 322) Certaines concernent des femmes, celles qui se prostituent pour survivre : "Parfaitement belle, oui, mais d'une beauté qui ne rayonnait pas et à travers laquelle aucune âme ne s'exprimait. Il y avait quelque chose d'indéfinissable dans son visage qui rappela à Jimmy les filles de Saigon, dont certaines n'avaient pas treize ans, qui s'agenouillaient devant les soldats dans les allées obscures, derrière les bars, pour la centième ou la millième fois. Mais, dans leur cas, ce n'était pas le mal à proprement parler qui les avait corrompues, mais le fait de devoir affronter trop jeunes les réalités de la vie. Le changement qui s'était opéré sur le visage de Susan était d'un autre ordre - mais il n'aurait pas su expliquer pourquoi ni comment." (Salem, 327). Comme celles qui sont violées par la soldatesque : "Il se tourne alors vers la maison voisine. David Reed emporte la petite Carver dans ses bras; la fillette hurle et se débat, les jambes donnant de grands coups de ciseaux. Pie Carver, à genoux, lance ces mêmes gémissements que Johnny a entendu pousser par des femmes dans des villages vietnamiens, il y a bien des années (sauf que, avec l'odeur de cordite encore dans l'air, cela ne lui paraît pas si loin que cela)." (Désolation, 78) Des voleurs et des pillards se trouvent aussi dans cette armée : "Pendant un moment, il se fit moins l'effet d'un lion littéraire que d'un pillard, comme il en avait vu à Quang Tri, à la recherche de médailles religieuses en or au cou des cadavres, écartant même parfois les fesses des morts dans l'espoir de trouver un diamant ou une perle." (Désolation, 484)

Ces critiques qui portent sur les droits humanitaires ne sont pas fréquentes. King préfère insister sur les insuffisances de l'armée américaine (quelques exemples en ont déjà été donnés plus haut). On trouve les deux dans ce que raconte Rainbird dans Charlie : "C'était la guerre, môme. La guerre au Viêt-nam. Les Viets, c'étaient les mauvais. Avec des pyjamas noirs. Dans la jungle. T'as entendu parler de la guerre du Viêt-nam, non?»
Elle en avait entendu parler... vaguement.
«On était en patrouille et on est tombés dans une embuscade», dit-il. Ceci au moins était la vérité, mais à ce point du récit, John Rainbird et la vérité prirent deux routes différentes. Inutile de l'embrouiller en insistant sur le fait qu'ils étaient tous raides, la plupart des gars allumés au rouge cambodgien et leur lieutenant, frais émoulu de West Point, propulsé aux limites de la folie par les boutons de peyotl qu'il mâchait toujours en patrouille. Une fois, Rainbird avait vu ce lieutenant abattre une femme enceinte avec sa carabine semi-automatique, il avait vu le foetus de six mois arraché de son corps, et mis en pièces. C'était, leur dit plus tard le lieutenant, ce qu'on appelait l'avortement West Point. Donc, ils rentraient à leur base et ils étaient effectivement tombés dans une embuscade, sauf qu'elle avait été tendue par les copains, encore plus givrés qu'eux, et quatre types avaient été bousillés. Rainbird ne voyait pas l'utilité de raconter tout ça à Charlie, ni de lui dire que cette mine Claymore qui lui avait pulvérisé la moitié du visage sortait d'une usine du Maryland.
«On a été six à s'en tirer. On a couru. On a couru à travers la jungle et je crois que je suis parti du mauvais côté. Le mauvais côté? Le bon côté? Dans cette guerre dingue on ne savait pas quel côté était le bon parce qu'il n'y avait pas de vraies lignes. J'ai été séparé du reste de mes potes. J'essayais de repérer quelque chose de familier quand je suis tombé sur un champ de mines. Voilà ce qui est arrivé à mon visage.
(...) Quand je me suis réveillé, ils me tenaient », dit Rainbird, en route maintenant pour le pays de l'absolue fiction. En fait, il s'était retrouvé dans un hôpital militaire de Saigon avec une perfusion dans le bras." (Charlie, 263/4)

1er bilan :

Les limites des prises de position de King contre une guerre qui l'a mobilisé plusieurs années de jeunesse se révèlent un peu décevantes. King semble avoir quitté l'université avec le seul souci de se faire un destin personnel, et en ayant oublié les luttes collectives, auxquelles il avait cependant participé dans la générosité de sa jeunesse. King n'est pas un politique. Si sa dénonciation des insuffisances ou des tares de notre société est constante, le refus partiel des insuffisances et des cruautés de ce monde se traduit chez lui par une tendance à se tenir en marge d'une société. Il porte sur elle un regard acéré et critique, mais, finalement, il est incapable de vraiment participer par des prises de position éclatantes, sauf sur des positions limitées comme la censure ou l'avortement. Des coups de griffes fréquents, mais pas de grands éclats. Par rapport à d'autres écrivains américains comme Norman Mailer, bien plus engagé concrètement dans les luttes de son temps, ses prises de position contre la guerre du Vietnam ont été marginales. Elles n'ont que peu traduit le malaise de son ancienne position d'étudiant témoin opposant, comme s'il avait tout oublié avec les difficultés de ses années après l'université, et en ne faisant à la guerre que des allusions de circonstance. Il faut noter que la guerre de Vietnam se termine précisément à l'époque de Carrie.

Ces allusions ont même complètement disparu pendant dix ans, alors que, durant la même époque, Peter Straub consacrait une place importante à la guerre du Vietnam dans la trilogie Blue Rose, et tout dernièrement dans sa nouvelle Le village fantôme, consacrée au Vietnam, publiée dans le recueil Magie et terreur (2000). Chez King, le Vietnam est réapparu avec Désolation, en 1996, où elles prennent une place importante, avec l'écrivain Marinville. Enfin plus récemment, le Vietnam concerne trois des cinq textes de Coeurs perdus en Atlantide, où, à l'imitation de Straub, il devient l'objet d'une exploitation littéraire.

Roland Ernould Armentières © mai 2001 (roland.ernould@neuf.fr).
Ces opinions n'engagent que leur auteur.

Ces opinions n'engagent que leur auteur, qui reçoit avec reconnaissance toutes les remarques qui pourraient lui être faites.

Notes :

1 Le mot Vietnam a de nombreuses graphies. Personnellement, j'utilise la plus simple, mais je reprends celle des textes quand elle est différente. Idem pour les autres noms composés, Vietcong ou autres.

2 Ce mythe, repris par Platon, d'une île où chacun pouvait trouver le bonheur, et qui disparut dans l'Atlantique par la faute des hommes, a donné lieu à de multiples écrits, discussions et divagations.

3 King est né en 1947, Straub en 1943.

4 King et Straub sont tous les deux fortement marqués par ces formes musicales nouvelles. Straub notamment est capable de consacrer une page de roman ou davantage à l'analyse d'impressions musicales évocatrices. King s'intéresse davantage aux paroles et à la variété des oeuvres. Voir Laurent Bourdier, Ténèbres spécial Stephen King #11/12, King mélomane, 86/95.

5 À noter, à côté du rock et l'influençant, le renouveau du folk, qui combine la musique populaire et des formes nouvelles de contestation politique, en exprimant deux besoins essentiels : le souhait de racines et la nécessité du changement pour un retour à l'écologie. Appartenant au courant libertaire et radical, avec une vision idéaliste de la justice et de la politique, cette musique a associé alors le mouvement de défense des droits de l'homme, la lutte anti-nucléaire et contre le Vietnam, avec cette idée que la musique peut changer le monde.

6 À dater de 1966, avec Abbie Hoffman et Menu Bubn.

7 Trad. française, Anatomie de l'horreur, éd. du Rocher, 1995.

8 Anatomie, op.cit. , 17. Il ajoute ironiquement : "toutes les histoires courtes sont formidables."

9 Anatomie de L'Horreur, op.cit., 18.

10 Ce défoliant, très toxique, avait été employé pour supprimer la végétation de la jungle et rendre les déplacements de l'ennemi difficiles. 24.000 tonnes de défoliants ont été officiellement déversés par avion et hélicoptères sur 1.700.000 hectares.

11 "Les événements vus ironiquement par King à l'université : "Au Viêt-nam, la guerre tournait à notre avantage; c'était du moins ce qu'avait déclaré Lyndon Johnson au cours d'une tournée du Pacifique. Il y avait bien quelques incidents regrettables, à vrai dire. Le Viêt-công avait abattu trois hélicoptères Huey, pratiquement dans les faubourgs de Saigon; un peu plus loin par rapport à la capitale du Sud, une unité de Viêt-công, estimée à un millier d'hommes, avait flanqué une raclée sévère à des soldats de l'armée régulière vietnamienne du Sud deux fois plus nombreux. Dans le delta du Mékong, des canonnières américaines avaient coulé cent vingt bateaux de patrouilles Viêt-công qui transportaient... aïe ! ... un grand nombre d'enfants réfugiés. Les Américains perdirent leur quatre-centième avion de guerre en ce mois d'octobre, un F-105 Thunderchief." Coeurs perdus en Atlantide, (315/6)

12 Coeurs perdus en Atlantide, (271) Le républicain Barry Goldwater (républicain) a perdu les élections en 1964 contre Lyndon B. Johnson (candidat démocrate).

13 "Le nom peut se traduire par eau d'or; Au: symbole de l'or; H2O: symbole de l'eau; le chiffre 4 (four) est là pour «for», c'est-à-dire «pour»." Note du traducteur, 271.

14 "When I was in school, Vietnam was going up in flames", cité par George Beahm, The Stephen King Story, éd. Warner Books, 1992, 62. Pas de traduction française à ce jour.

15 "It was, as King later recalled, a time when horror fiction seemed especialy appropriate as a metaphor, a time when parents saw their children change into monsters", George Beahm , op.cit. 63.

16 "J'ai beaucoup appris à la fac, mais ce fut rarement en classe. J'aġ par exemple appris (...) comment ne pas voter républicain, même si j'appartenais à une longue lignée qui n'avait jamais fait autrement, comment défiler dans la rue en brandissant une pancarte au-dessus de ma tête et en hurlant: «Un deux trois, ta putain d'guerre on la f'ra pas! et Hé hé, LBJ, combien de mômes t'as tués aujourd'hui?» J'ai appris qu'il était imprudent de se mettre dans le vent des gaz lacrymogènes et que, sinon, il fallait respirer lentement à travers un mouchoir ou un foulard. J'ai appris que quand les matraques commencent à tournoyer, il faut se laisser tomber de côté, remonter les genoux contre la poitrine et se couvrir la nuque avec les mains. A Chicago, en 1968, j'ai aussi appris que les flics étaient capables de vous battre pratiquement à mort, en dépit de ces précautions." (Coeurs perdus en Atlantide, (271)

17 Pages Noires, éd. du Rocher, 1996, 107.

18 Richard M. Nixon (républicain) gagna les élections (1968) contre Spiro Agnew (démocrate). King avait voté pour lui en novembre 1968 : "Ma femme raconte encore avec délices comment son mari, la première fois qu'il fit son devoir de citoyen, à l'âge encore tendre de vingt et un ans, vota aux élections présidentielles pour Richard Nixon. «Nixon avait dit qu'il avait un plan pour nous sortir du Vietnam, conclut-elle avec d'ordinaire une petite lueur moqueuse dans l'oeil, et Steve l'a cru.»" Anecdote citée comme exemple de la crédulité de King, Introduction à Rêves et Cauchemars, Albin Michel 1994, 10.

19 Time and Again,1970, trad. fr. Le Voyage de Simon Morley, éd. Denoël, 1993. Grand Prix de l'Imaginaire 1994.

20 Pages Noires, op.cit., 108/9.

21 King, once a registered Republican in his hometown, became a card-carrying Independent and metamorphosed into what he self-termed «a scummy radical bastard»", George Beahm THE Stephen King Story, op.cit. , 64. Pas de traduction française à ce jour.

22 "To King, being a scummy radical bastard meant that he was proud to be an American who believed in the «Declaration of Independance, the Constitution, and even the Articles of Confederation»", George Beahm, op.cit. , 64.

23 Dans Pages Noires, op.cit. , 206.

24 Pratique qui irrite certains lecteurs et qui datent son oeuvre. Quand King en actualise une, il est obligé de changer quantité de petits détails (les deux versions du Fléau sont intéressantes à comparer à cet égard). Peut-être quand il aura cessé de plaire, certains spécialistes pointus liront ses romans pour ces informations un peu maniaques sur des réalités de la vie américaine...

25 Ils en reviennent parfois avec des connaissances insolites : "Cependant, il connaissait un truc. Il ne l'avait pas appris à l'université. C'est un ami de son frère aîné qui le lui avait indiqué. Cet ami avait exercé une profession paramédicale au Vietnam et il connaissait toutes sortes de trucs - comment attraper des poux sur un crâne et leur faire faire la course dans une boîte d'allumettes, comment couper de la cocaïne avec un laxatif pour bébé, comment recoudre de grosses entrailles avec du fil et une aiguille ordinaires. Un jour ils avaient évoqué les différents moyens de ranimer les gens ronds comme des queues de pelle afin que les gens ronds comme des queues de pelle ne s'étouffent pas dans leur propre vomi au risque d'en mourir comme Bon Scott, le chanteur du groupe AC/DC.
- Tu veux ranimer rapidement quelqu'un? avait demandé l'ami au catalogue de trucs intéressants. Essaie donc ça.
Et il lui avait indiqué celui que Randy utilisa alors.
Il se pencha et mordit le lobe de l'oreille de Laverne aussi fort qu'il le put.
Un sang chaud et amer jaillit dans sa bouche. Les paupières de Laverne s'ouvrirent d'un coup comme des stores."
(328/9)

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

différentes saisons

saison # 12 - été 2001.

 voir la seconde partie : KING ET LA GUERRE DU VIETNAM : l'utilisation littéraire du Vietnam

dans Désolation et Coeurs perdus en Atlantide.

3ème partie : Straub et la guerre du Vietnam (parution saison automne)

AUTRES TEXTES CONCERNANT LA JEUNESSE DE KING :

 

Rage, UNE OEUVRE DE JEUNESSE ANNONCIATRICE

En 1966, King achève sa terminale à la High School de Lisbon Falls, près de Durham. Il a 18 ans. Depuis le printemps, il a commencé à écrire le premier de ses romans publiés, Getting it on . Quand on analyse la composition et le contenu du roman sans se soucier de l'intrigue et de son évolution, on voit apparaître bon nombre de thèmes qui continueront à inspirer King dans ses oeuvres jusqu'à ce jour. C'est un recensement de ces thèmes qui est l'objet de cette étude. Ils se rapportent successivement à l'individu, l'éducation, la collectivité, la culture et divers autres aspects de moindre importance. Il serait futile de prétendre que Getting it on contient en condensé l'oeuvre à venir de King. Mais il porte en son sein d'intéressants germes qui grandiront et feront l'objet, avec des fortunes diverses, de développements et de situations variées. À ce titre, au-delà de la faiblesse relative de ce roman d'un jeune auteur, on peut considérer qu'il a constitué pour King une première occasion de mettre au point une technique qui consiste à mettre une partie de soi dans une oeuvre qui se veut entièrement tournée vers l'imaginaire.

Les premiers romans : RAGE, RÉVOLTE et DÉSESPOIR.

Les premiers romans que King a écrits entre 19 et 24 ans Rage et Running Man présentent un grand intérêt pour la formation de sa sensibilité et pour la compréhension de la genèse de sa pensée sociale. Le rapprochement de ces deux oeuvres paraît donc légitime et le but de cette étude est de poser des jalons pour l'analyse du passage d'un King étudiant à un King chargé de famille, dont la vie n'est pas facile. Charlie a vécu une scolarité lycéenne terne et peu heureuse, puis a connu le bouillonnement universitaire de la fin des années soixante. Ben est passé d'une indifférence vis-à-vis du social (comme Charlie) à une prise de conscience plus grande des réalités politiques du moment. Les situations sont étudiées sous un éclairage littéraire en les rapportant au vécu de King adolescent. S'agit-il d'une révolte réelle qui a existé chez King? En famille, au lycée ou à l'université? Jusqu'où est-elle allée?

(King vient de demander aux éditions Penguin de ne pas refaire de retirage de son roman Rage: raison invoquée: le massacre de Littleton. Infos)

 

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