L'homme sans ombre de Paul
Verhoven fait la une de toute la presse
spécialisée. Le réalisateur est
invité dans toutes les émissions et Kevin
Bacon, principal interprète, enchaîne les
interviews. Cette promotion-mammouth laisserait croire qu'on
nous cache la médiocrité du film et que sorti
des effets spéciaux, il ne reste rien à en
dire.
C'est compté sans le
talent et le goût naturel pour la provocation du
cinéaste hollandais. Verhoeven n'est pas homme
à faire dans la demi-mesure, selon les règles
de la bonne pensée prude et non-choquante des grands
studios. Si son Hollow Man ne possède pas l'impact ni
la dérision de Starship Troopers, il réserve
quelques surprises fort agréables.
On retrouve tous les
principes de la SF selon Verhoeven, qui développe
depuis Robocop et Total Recall des mondes froids, clinquants
et aseptisés. Le laboratoire de l'homme invisible est
d'une propreté absolue, envahi d'instruments
tape-à-l'oeil. Ses personnages restent identiques
d'un film à l'autre : des jeunes américains,
beaux et intelligents, couverts de réussite (les
actrices font inévitablement penser aux
héroïnes de Starship Troopers.) Le
réalisateur prend plaisir à démonter
cette image trop lisse : Sebastian Caine, le chercheur
invisible, prend conscience du pouvoir qu'il possède
et décide d'assouvir chacune de ses pulsions. C'est
là que le film devient réellement
intéressant : il montre à quel point les
fantasmes sexuels peuvent facilement s'accomplir dès
lors que la société n'exerce plus de pression.
Libéré du jugement des autres, le génie
abandonne tous les impératifs moraux liés
à la visibilité.
Malheureusement, ce point
n'est pas le mieux exploité : on ne s'attarde pas
assez sur l'aspect du voyeurisme et de l'obsession. La faute
à un scénario trop léger pour supporter
une telle avalanche d'effets spéciaux : la
dernière partie du film, techniquement
éblouissante, laisse retomber le suspens au profit
d'un massacre efficace, mais fort classique.
Reste le cas de Kevin Bacon,
dont on ne vantera jamais assez le talent d'acteur. Il
relève le challenge de jouer le rôle le plus
ingrat de l'histoire : comment rester crédible
lorsqu'on est effacé de l'image ? Soyez en sûr,
on ne voit que lui ! Il est en permanence présent
à l'écran, et sa tête de mauvais
garçon, déjà exploitée dans
Sexcrimes et Hypnose, renforce la violence du personnage.
Paul Verhoeven s'est
légèrement assagi. Son précédent
Starship Troopers avait marqué par sa
dérision, son anti-militarisme et un second
degrè du plus bel effet. Malgré une fin trop
conventionnelle et un scénario peu épais,
Hollow Man parvient à convaincre par sa mise en
scène de vieux brise-car et surtout gràce au
jeu de Kevin Bacon. Quant aux effets spéciaux, ils
sont à l'unanimité la révolution de
l'an 2000.
article de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> © octobre
2000
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