Il en va de certains films
comme de certains cours de fac : on s'y rend les pieds
devant, le soupir au bord des lèvres qui se change
volontiers en ricanement puisque l'on sait ce qui nous
attend, à savoir un bon gros navet. Le premier
Blade
avait fait frissonner d'ennui et d'amateurisme
(souvenez-vous de tout cet argent dépensé sans
que personne ne le visse à l'écran !). Sa
suite, contre toute attente, s'en démarque totalement
et se hisse, toutes proportions gardées, au rang de
bon film pour l'été.
Alors bien sûr, il faut admettre avant d'acheter son
billet que ce n'est pas avec ce film que l'on comprendra
Nietzsche (quoique...), que Del Toro sera couronné
champion du monde ou que Loana deviendra intelligente. C'est
un spectacle très primaire, ultra-violent, dont le
scénario assez pauvre se résume en une petite
histoire pour s'endormir : une race
dégénérée de vampires (entre le
saigneur de la nuit et l'alien, pour vous faire une
idée peu ragoûtante) surgit des entrailles de
Budapest et s'en prend aussi bien aux humains qu'à
ses cousins. Blade, toujours méchant et toujours
classe, doit s'allier avec les vampires pour exterminer
cette nouvelle menace. Mais ça va être
vachement dur.
Blade
II est un pur film
d'horreur, entre le fantastique et le gore, comme on n'en a
plus vu depuis le titanesque Une Nuit en Enfer en 1995. Guillermo Del Toro, plutôt fan de cinéma bis et de
pizzas que de Pascal, se permet toutes les outrances de ce
genre de films : humour ras du sol, cinq bastons par plan et
cinq plans par secondes, une galerie de personnages
gentiment fondus du blob qui ne perdent pas la moindre
occasion de s'en mettre sur le coin de la tronche et un
héros quasiment muet, imperturbable et invincible,
auquel Wesley Snipes
confert un charisme presque mythique.
À l'univers très clean, très «
d'jeuns-branché-techno » du premier film,
Del
Toro substitue une
esthétique absolument infâme, glauque et
suintante de chaque bord de l'écran : un régal
visuel et une ambiance vraiment sombre qui colle
parfaitement au caractère des personnages, tous
violents et corrompus. Le héros lui-même est
une parfaite ordure qui ne cherche qu'à tuer tous les
vampires qui bougent dans son champ de vision. Et comme sa
conception du ménage ne cadre pas tout à fait
avec celle de ses partenaires d'infortune, le film se
transforme en une succession frénétique de
superbes scènes d'action, violentes et gores,
parsemées ici où là de quelques
dialogues pour donner un peu de liant.
Mais alors, quelle énergie ! Quelle jouissance dans
l'incroyable carnage, assumé avec bonheur par le
réalisateur et son équipe. Brillante,
inventive, parfois surprenante, la mise en scène
scotche le public qui se retrouve happé par ce
déluge euphorisant de monstres, de vannes
débiles et de plans de plus en plus gores, jusqu'au
final où une baignoire remplie de sang sert de
décor à un mano a mano d'une durée historique. Il faut sans
doute remonter à Invasion Los Angeles de John Carpenter pour dénicher un affrontement à
mains nues aussi long.
Soit, le film est d'une cruauté bêtement
gratuite. Le sujet est sensible en cette période
où le débat sur l'influence de la violence au
cinéma et à la télévision fait
rage : M6 déprogramme Buffy (oh mon Dieu ! félicitons-nous de
protéger ainsi nos enfants de l'envie de devenir un
vampire, et continuons à fabriquer des mongols
à tour de bras avec Loft Story), tandis que Blade n'écope que d'une interdiction aux
moins de 12 ans, ce que je trouve insuffisant. Mais ces
messieurs de la censure ont souvent des jugements qui nous
échappent, à nous pauvres mortels ignorants,
sur ce qui peut être montré (des femmes
afghanes torturées, des malades du sida en stade
terminal, Loft Story) et sur ce qui ne doit surtout jamais venir
corrompre nos chères têtes blondes (une
scène d'amour, ou un chien qui meurt dans un film -
traumatisant, comme chacun sait -, un homme politique qui
dirait les choses telles qu'elles sont etc.)
Sans vouloir tranformer cette rubrique en tribune, certaines
questions doivent tout de même être
posées : à quoi bon supprimer des
écrans cette pauvre Buffy qui ne risquait pas d'engendrer beaucoup de
psychopathes aux dent longues, si Blade II est disponible au cinéma (pour moins de
10 francs pendant 3 jours !) pour tous les gamins,
frustrés qu'on leur ait sucré Buffy ? Où croyez-vous qu'ils vont
aller compenser leur manque de sang et de gelée verte
?
La violence de Blade II
est complètement délirante, grotesque. C'est
une esthétique de bande dessinée, et
Del
Toro a su reproduire
au plan près toute l'imagerie des comics : un monde
urbain de cartoon, peuplé de créatures
joyeusement flambeuses qui revêtent manteaux de cuir
et grosses pétoires avant de partir à la
chasse au parasite. Wesley Snipes
campe le vampire tueur de monstres avec charme et
décontraction : bien plus en forme que dans ses
précédents films, il semble courir au milieu
des balles et des explosions avec le sourire. Notre chouchou
Ron Perlman
hérite du rôle du vampire sadique et
mégalomane, et les lunettes noires lui vont bien.
Del
Toro soigne ses
acteurs en leur offrant de superbes plans, dans lesquels ils
exécutent sans broncher cascades surhumaines et
prises de Kung-fu dignes des films de Tsui Hark. Les combats s'enchaînent sans jamais se
répéter, ce qui est d'ordinaire
l'écueil de ce genre de films qui finissent par
lasser le spectateur au bout d'une demi-heure : ici, tous
les styles d'affrontements sont revisités. Du combat
de rue au duel de western, du ninja armé de sabres au
carnage le plus salissant, jusqu'au duel de fin qui passe du
Kung-fu à la boxe, et enfin au catch !
Un film « too much » donc, qui assume avec
fierté son unique but de divertir et de placer haut
la barre sur le plan du rythme et de l'horreur, puisque
Blade
II est franchement
saignant ; et même bien gore lors d'une
séquence d'autopsie anthologique, chose peu courante
dans un film destiné malgré tout à un
large public. En admettant que c'est l'été,
que les examens sont finis et que chaque film ne doit pas
nécessairement engendrer la philosophie, on prend un
réel plaisir à suivre les aventures de Blade
et de ses gais compagnons. D'aucuns diront que « c'est
pour les garçons », ce qui n'est pas très
gentil : il y avait environ 50% de filles dans la salle, et
elles s'amusaient toutes autant que moi. Maintenant, on a
aussi le droit de trouver tout ça complètement
idiot.
article de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> -© juillet
2002
Scénario David S. Goyer. Avec :
Wesley Snipes, Kris Kristofferson, Ron Perlman, Leonor
Varela, Norman Reedus, Thomas Kretschmann, Luke Goss,
Matthew Schulze, Danny John Jules, Donnie Yen, Karel Roden .
Durée: 1h50. USA 2002.
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