fantastique ou insolite

Bowling for Columbine de Michael Moore

Deux heures pour essayer de comprendre ce qui pousse les Américains à s'entretuer

Pourquoi un article sur le film de Michael Moore, alors que Minority Report s'est révélé un très bon Spielberg, malgré un dénouement un peu trop lisse et conventionnel? Parce que Bowling for Columbine ne peut pas se résumer en une seule ligne, contrairement à l'autre. Prenez deux heures de votre vie (deux heures, c'est pas grand-chose, à peine un demi-Club Dorothée) pour essayer de comprendre ce qui pousse les Américains à s'entretuer plus que n'importe quel peuple au monde.

La mécanique de Michael
Moore a déjà fait ses preuves, et il l'exploite mieux que personne : provocation sereine, humour nonchalant qui ne laisse aucun masque hypocrite en place, fausse bonhomie cachant un redoutable analyste des discours et des comportements. Deux heures de documentaire bouleversantes et incontournables, qui nous révèlent ce que nous soupçonnions tout bas sans oser le croire : l'Amérique est ravagée par la violence et l'abrutissement de ses citoyens. La haine, le soupçon, la bêtise crasse, l'illettrisme et l'arrogance, cette certitude qu'ils ont d'être le Peuple Elu, tout cela constitue le terreau sur lequel la nation vit et se construit, avec à l'origine de chaque acte de violence la Peur, cette bonne vieille peur irrationnelle de ce qui est différent, de l'étranger, de l'Autre.

Les Américains, et Moore nous le prouve sans même forcer le trait, sont gangrenés dans leur histoire et dans leur pensée par une terreur originelle qui a engendré ce délire sécuritaire et paranoïaque, que les Européens tolèrent gentiment comme une simple excentricité. En point d'orgue du film, un cartoon délirant retrace en quelques minutes l'histoire du pays, depuis sa fondation par les colons qui ont fui l'Europe (sans doute avaient-ils peur de quelque chose?) et qui ont bâti leur rêve sur les cadavres de tout ce qui n'était pas blanc et catholique.

D'une génération à l'autre, ils ont le sentiment d'être menacés de partout et par tout le monde, alors ils se barricadent et achètent des armes, des armes, des armes, jusqu'à l'extase, jusqu'à ce que deux adolescents d'un milieu social aisé fassent un carnage dans leur école avant de retourner le canon contre leur propre tête. Boum. Puis le silence.

Moore sait se passer de commentaires juste au bon moment : les images, et rien d'autre que la souffrance lorsqu'une société engendre ses propres monstres. Les tueurs de Columbine sont identiques aux milliers d'autres jeunes fanatisés par le culte des armes et de l'auto-défense, comme leurs parents et grands-parents avant eux. Une nation entière qui ne sait fonctionner que dans l'agression et la peur, qui a perdu tout sens des réalités et qui s'enferme chez elle à triple tour. Cette paranoïa inspire d'ailleurs au réalisateur une folle séquence où il se rend au Canada pour vérifier si les habitants s'y barricadent aussi, et où il découvre, émerveillé comme un gamin, que toutes les portes sont ouvertes et que personne ne l'accueille avec un fusil chargé. Car nous savons désormais que l'étranger se fait tuer avant même de s'être présenté.

Gavés d'images et de burgers, les Américains ont depuis longtemps décollé. Ils se sont déconnectés du monde réel pour vivre dans leur psychose hallucinatoire qui leur fait voir partout le danger et l'insécurité.

La faute aux médias ? En partie oui, au regard des journaux télévisés dont Moore nous montre un florilège. La moindre agression est couverte, amplifiée, retransmise par satellite dans les minutes qui suivent, et le 20 heures devient une accumulation hystérique de scènes de violence qui ferait presque passer la France pour un El Dorado pacifiste. La télévision et la presse, qui sont les véritables organes du pouvoir aux Etats-Unis, contrôlent les peurs des citoyens et leur inculquent une idéologie écoeurante née d'une déformation volontaire de l'information.

Et s'ils travaillaient main dans la main avec la NRA, dont
Moore analyse déjà la filiation directe avec le Ku Klux Klan, qui aurait engendré le lobby des armes à feu pour pouvoir continuer à se défendre contre les méchants Noirs ? Il n'y a pas beaucoup à creuser pour se rendre compte que les tueries de masse et la majorité des meurtres par armes à feu sont le fait de la population blanche issue de la classe moyenne, celle-là même qui vit dans ces banlieues résidentielles sans histoire aux pelouse bien tondues.

La question ne doit évidemment pas se limiter à la distinction ethnique, mais c'est ce que font les médias en canalisant l'information pour séparer de plus en plus les communautés. Ainsi chaque «race» (Dieu, que ce mot est laid!) est rangée à sa place sans pouvoir en sortir : les WASP dans leurs banlieues ultra-sécurisées, toujours plus armés et plus paranoïaques, les noirs et les hispaniques ont droit aux quartiers sensibles des grandes villes. Et pourtant,
Moore se promène au coeur de ces «zones de violence» que l'on a diabolisées, sans avoir le sentiment de craindre pour sa vie. Pourquoi cette peur? Pourquoi tant d'armes? Pourquoi une mère en vient-elle à tirer sur son enfant de six ans qu'elle a pris pour un cambrioleur, comme dans un épisode d'Urgences? Pourquoi, pourquoi, pourquoi?

Et si on demandait à Charlton
Heston, le Saint Président débile de la NRA ? «Celui qui fût Moïse», comme on dit dans les revues de cinéma, se révèle être un infect vieillard raciste, qui se raccroche comme un corbeau au Deuxième Amendement et qui n'ose affronter le regard pourtant amical de Michael Moore, pas plus que la photo d'une fillette tuée à l'école par son camarade de classe de 6 ans. Oui, SIX ANS : c'est à dire en CP. Et la population s'est ruée, vengeresse, pour réclamer la tête du gamin meurtrier, sans même s'interroger une seconde sur le fléau qui peut bien amener une telle chose. Non, face à l'indicible, ils ont vu une raison supplémentaire de se protéger et ils ont acheté encore plus d'armes. Plus, encore plus...

Parallélement au problème individuel,
Moore traite la question sur le plan collectif et politique, en illustrant le fait que du simple citoyen au président des Etats-Unis, les comportements restent identiques, fixés par deux cent ans de peur et de domination. De façon plus dramatique que dans ses interviews d'anthologie, Michael dresse un récapitulatif bouleversant de chaque intervention de l'armée américaine depuis la fin de la guerre. Le bilan pèse de tous ses morts et de ses «erreurs de frappes». Pour un soldat américain tué, mille étrangers en moyenne sont sacrifiés sur l'autel de la croisade contre le Mal. Les rouages se mettent en place, sans effort, jusqu'aux images du 11 septembre, inévitable conséquence de la politique extérieure des USA depuis 50 ans : c'est la CIA qui a installé Sadam Husseïn et qui l'a maintenu après la Guerre du Golfe, ils ont ... entre autres boulettes - armé Ben Laden et favorisé le régime Taliban en lui versant, tenez-vous bien, trois milliards de dollars !

Les attentats du World Trade Center sont l'enchaînement logique d'une telle course au pétrole et à la dictature : de temps à autre, le chien que l'on pense bien dressé vous arrache le nez d'un claquement de dents. Mais personne ne semble l'avoir saisi d'après Michael
Moore, et les ventes de munitions ont augmenté de 600% après l'attaque terroriste. «Vous voyez ? on avait bien raison de se protéger, mais ce n'était pas suffisant : il nous faut plus d'armes !»

Bowling for Columbine est un film essentiel, complet, férocement drôle (oui, en plus c'est drôle !), terriblement angoissant et qui ne laisse pas de nous interroger sur une telle folie. Le portrait que nous livre M.Moore est celui d'un peuple en pleine dégénérescence, atteint d'une peste qui pourrait bien traverser l'Atlantique et se répandre en Europe (mais n'est-ce pas déjà un peu le cas ?), comme jadis les rats ont gagné le Nouveau Continent. L'empire de George W.Bush, sous la conduite de son président fanatique et irresponsable, semble au seuil de l'auto-destruction, et personne ne tire l'alarme. Personne... sauf Michael Moore évidemment, que la Maison Blanche qualifie de «personnage dangereux et subversif». C'est dire si le bonhomme est aujourd'hui, tout comme son film, indispensable.

article de "Sylvain Tavernier" <
syltavernier@wanadoo.fr> -© octobre 2002

Film américain, canadien (2002). Documentaire.

Réalisation : Michael Moore. Né en 1954 dans le Michigan (USA)

Musique : Jeff Gibbs. Durée : 2h00.

Production : Salter Street Films / Dog Eat Dog Films

Autres films de Michael Moore : Roger et moi (Roger and me) (1989) - Canadian bacon (1995) - The Big One (1998) - Le Bon numéro (Lucky numbers) (2000)

Auteur de Stupid White Men (2001)

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