fantastique ou insolite

GHOSTS OF MARS de John Carpenter

 

Western sado-maso, pamphlet anti-colonialiste, film d'action gonflé (pour le coup !) à l'oestrogène et auto-parodie multipliant les clins d'oeils et les références au genre, Ghost of Mars rassemble toutes ces qualités. On y croise en vrac des membres tranchés, des jeux de mots peu recommandables, une bande-son ahurissante et des poitrines avantageuses dont les propriétaires portent armes automatiques et gros calibres.

John Carpenter fait plaisir. En premier au grand gamin qu'il est resté, puis à tous les grands gosses qui vont voir ses films les yeux écarquillés en se disant "il n'a tout de même pas osé ?" La principale force de ce cinéaste est justement d'avoir osé défendre sa position au long des années, malgré la pression des studios et du box-office qui l'a toujours boudé. Il offre aujourd'hui une sorte d'avatar à Vampires, son opus précédent. Un western, déjà. Sans aucune honte il enfonce le clou et proclame que la série B est un genre qui sait se montrer aussi efficace que n'importe quelle grosse production.

Sur Mars, la société matriarchale a instauré un régime militaire strict où seulent les femmes font carrière. Le transport d'un prisonnier, évidemment psychopate et hargneux, va se révéler plus ardu qu'une mission de routine : les fantômes ont rejoint la surface de la planète, transformant d'honnêtes mineurs en mercenaires fanatiques légèrement dérangés. À leur tête, un guerrier vêtu de cuir et de métal répondant au doux nom de Big Daddy Mars va ouvrir la chasse aux humains.

Si l'exposition est un peu laborieuse, on se laisse prendre au jeu de Carpenter qui, en vieux brise-cards du fantastique, éclate la structure narrative classique pour nous livrer les différents points de vue des personnages assistant aux mêmes événements. Du coup, l'entrée en piste de la menace (les vilains satanistes si vous avez suivi) s'en trouve retardée et son efficacité accrue. La mise en scène de Carpenter s'est affinée avec le temps : si son talent n'a jamais été contesté, il a acquis désormais une parfaite maîtrise de l'espace et de la mise en situation, en contournant l'écueil de la réalisation ampoulée qui nuirait à la progression de l'histoire. Tout est clair, limpide, au service d'une intrigue que les médisants qualifieront d'inexistante.

Mais Carpenter n'a pas, contrairement à certains, la prétention de tourner des chefs d'oeuvre. Il est actuellement l'un des derniers réalisateurs parfaitement sincères, mettant leur conviction au service de ce qu'est avant tout le cinéma : un spectacle. Un divertissement. Il ne triche jamais avec son public. Si Ghosts of Mars n'atteint pas le niveau de ses meilleurs productions, telles que L'Antre de la Folie, Christine ou même Los Angeles 2013, c'est un film honnête de bout en bout.

Des pages entières du scénario semblent (sont) tirées de Désolation. Eh oui, King réapparaît toujours en parallèle avec Carpenter, comme deux sales gosses s'amusant à faire des blagues horribles à une vieille dame. Qui a parlé de série B ? King se présente lui-même, en toute fausse modestie, comme le pape de cette littérature. L'action du film se situe en un lieu nommé Shining Canyon, et le dangereux prisonnier se fait appeler Michael "Désolation" Williams. Ce ne sont pas les moindres des clins d'oeils adressés à Steven. L'idée de base est identique à la trame du roman, et on ne peut s'empêcher de rêver à ce que donnerait une adaptation fidèle de Désolation sous l'objectif de Carpenter.

Ghosts of Mars apparaît comme un petit catalogue illustré de la série B. Les références aux films antérieurs de Carpenter sont légion, et le casting en lui-même dénote de façon claire les intentions du cinéaste. Le principal personnage féminin prend les traits de Natasha Henstridges, également appelée la Mutante dans les films du même nom. À cette figure récente de la série B s'ajoute la belle Clea Duvall que l'on a pu voir dans The Faculty, autre hommage déconnant à ce genre sous-estimé. Pam Grier enfin, emblème des années 70 et vedette des films dits de Blackpoitation auxquels Tarantino a rendu hommage avec Jackie Brown, incarne la Lieutenante en chef Braddock. Braddock, comme le colonel Braddock incarné par un Chuck Norris de triste mémoire dans la non moins fameuse série des Portés Disparus, sorte de Rambo du pauvre et figure de proue de la série B.

Qu'on se rassure, le film de Carpenter se contente de rendre hommage, et regorge de qualités que les oeuvres mentionnées sont loin de posséder. Le vieux roublard se permet d'égratigner allégrement les satanistes, et par dérivation tout mouvement de foule hystérique, galvanisée par un leader. Big Daddy Mars, véritable clone de Marylin Manson (l'homme qui a fait de l'anarchie un produit commercial formaté), est déchaîné et irrésistible. Ses discours sont des suites de cris et de grincements incompréhensibles, comme une chanson de Manson ! Il lance ses mercenaires au coeur de batailles qui feront date, où les hommes et les créatures s'affrontent à grands renforts de Uzis, de M-16, de sagaies tranchantes et de scalpels rouillés, amenant au passage quelques effets gores pas piqués des hanetons.

Une vraie jouissance pour les amateurs, d'autant plus que Carpenter, une nouvelle fois, est plus à l'aise que jamais et ne cherche qu'à se faire plaisir. Ajoutez à cela une bande-son démentielle, composée d'un accord unique (!) de heavy-metal qui accompagne chaque apparition des monstres, des blondes pulpeuses capables de démonter le bras du grand costaud de service et des maquillages réellement impressionants, et les fans du maître n'ont plus qu'à s'incliner.

Carpenter prouve, une fois n'est pas coutume, qu'on peut faire bien sans en faire trop. Avec un budget qui frise le ridicule comparativement à la norme hollywoodienne, il nous régale d'effets spéciaux saisissants sans avoir recours au numérique. À l'image de son film, avec sa dégaine de savant fou, il rassemble tout ce que le cinéma de genre est capable d'offrir : de l'action, du frisson, du spectacle efficace et rondement mené, tout en glissant à son habitude un message politique fort et une critique du système en vigueur à la Mecque du cinéma. Les références à King sont un régal, et on ne s'étonne plus de ce que les deux hommes s'accordent à ce point. Défenseurs d'un genre hélas méprisé, ils ont passé un pacte de sincérité avec leur public : ne jamais lui mentir. Mais lui raconter des histoires, ils savent le faire. Mieux que personne.

article de "Sylvain Tavernier" <syltavernier@wanadoo.fr> © novembre 2001

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