Pourquoi est-il judicieux
d'aller voir cette suite purement commerciale du
détestable Projet Blair Witch (PWB) ? Pour mémoire, le premier film
avait déplacé les foules en offrant des images
ternes et mal cadrées, ainsi qu'une soi-disant
"angoisse insoutenable, un cauchemar dont on ne sort pas
indemne." Sans doute ce téléfilm a-t-il
impressionné quelques jeunes gens dont la
connaissance en matière de films d'horreur se
limitait à Scream
et X-files,
mais pour qui possédait une expérience dans ce
domaine, Blair Witch s'est révélé un gros
navet.
La suite, Le Livre des
Ombres, renferme
d'agréables surprises et même quelques
idées de narration destabilisantes. Critiquons
d'emblée : oui, le film est un produit
standardisé, avec pour unique intention
(avouée) de faire de l'argent. Les personnages
semblent sortis du cahier des charges du
"film-d'horreur-pour-ado-qui-fait-peur", quant aux prises de
vue elles ont toutes eu lieu en studio. MAIS, car il y a un
mais, passé un premier quart d'heure
exaspérant de clichés et de bêtise, le
film prend une autre dimension.
Le recul par rapport au PWB
est une excellente chose : celui-ci est assassiné
dès le début par des répliques
pertinentes sur la dérive mercantile et l'engouement
général qu'a suscité le premier film.
On tourne en dérision les fans, persuadés de
la véracité de la légende, les sites
internets et tous les produits dérivés (ainsi
l'un des personnages est un escroc qui se vante d'arnaquer
les touristes en leur fourgant des branches et des cailloux
"made in Blair Witch".) Un bonheur pour les allergiques au
phénomène BW.
Le fantastique fait alors
son entrée en scène. Peu démonstratif,
suffisament intriguant, l'élément surnaturel
fonctionné plutôt bien puisque l'on ignore ce
qui est arrivé aux cinq protagonistes. L'enjeu du
film devient la reconstitution, pour eux comme pour nous,
des événements ellipsés, à la
manière du récent Memento. Voilà la
réussite. Le réalisateur offre beaucoup de
pistes, d'éléments-clés, mais il est
impossible de les remettre en ordre. Le puzzle se double
d'allers-retours temporels et d'hallucinations collectives
dont on se demande, évidemment, s'il s'agit de la
réalité ou du rêve qui se
poursuit.
Cet état d'esprit
permet d'introduire des réflexions
intéressantes sur la paranoïa et sur le pouvoir
de la perception collective. Le PWB a fonctionné car
de nombreuses personnes ont réellement cru à
cette histoire, et les personnages du Livre des Ombres ne sont sans doute que les victimes
de leur propre croyance. Malheureusement le film ne
s'étend pas sur ces considérations qui
pourtant auraient en constituer le principal
intérêt, à la manière du
chef-d'oeuvre de
Carpenter :
L'Antre
de la folie. Ce dernier
développait le principe selon lequel la
réalité est déterminée par la
perception humaine. Le monde que nous connaissons est ainsi
puisque nous nous le représentons comme tel. Mais si
un écrivain d'horreur vendait plus de livres que la
Bible, le monde judéo-chrétien deviendrait
alors l'univers inventé par cet homme car ce à
quoi pense la majorité EST la réalité.
Rassurez-vous, c'est plus limpide quand on voit le film.
Il est dommage que
Blair
Witch 2 n'ait pas
creusé dans ce sens et que l'on ait
privilégié, une fois de plus, l'aspect
commercial, lequel exige un nivellement de ce genre de
thèmes pour pouvoir se vendre. La tentative a au
moins le mérité d'être réussie et
pour ça, le film vaut un coup d'oeil. Même si
par moments le scénario lorgne chez Wes
Craven,
ou ressemble à Dangereuse Alliance (argh !), il ne dévie jamais longtemps
de sa trame initiale : il s'est passé quelque chose,
peut-être rien de grave, mais j'ai peur quand
même. Et qui sont ces fantômes ? Et pourquoi
elle est pas encore revenue des toilettes ? Et si
c'était lui le paranoïaque ?
(remarque inutile : sur la
façade du magasin on peut lire l'inscription BLUE
RIBBON.)
article de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> -© novembre
2000
|