LE CADRE DU MYTHE

par Sylvain Tavernier

Regards sur l'architecture imaginaire de la bande dessinée

Etude de La Quête de l'Oiseau du Temps,
de Serge LeTendre et Régis Loisel

Première Partie

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PRÉSENTATION

TABLE DES MATIÈRES

BIBLIOGRAPHIE

Les remerciements sont nécessaires, quand bien même
les intéressés n'auraient pas eu conscience de leur aide.
Je souhaite dédier ce mémoire...

A mes parents, qui m'ont offert mes premières bandes dessinées.

A Roland Ernould, ami sage et correcteur drastique :
à notre amour commun du fantastique
et du merveilleux, « par le bon bout de la raison ».

A Maud, Capucine, Margot et Julie,
petites soeurs idéales pour qui n'a jamais eu que des frères :
vous sourires ont brillé lors des multiples corrections,
et me tiennent chaud encore aujourd'hui.


Et pour Amandine, enfin, mon héroïne :
merci de m'accompagner, à chaque détour.

 

INTRODUCTION

La multiplication des arts, et leur diffusion toujours facilitée par l'expansion des médias, ont contribué à transmettre à une majorité de personnes le message contenu au coeur des mythes universels. Pourtant, si les techniques de communication, ainsi que l'accroissement des genres narratifs, en ont amélioré la réception, cette large possibilité d'accès aux récits mythiques se révèle être au prix d'une perte conséquente de leur liberté de forme : désormais figés sous leur nouvelle apparence, contrairement à la tradition orale qui les avait jusqu'alors préservés, les mythes sont limités par la forme du média dans lequel ils se manifestent. Qu'il s'agisse d'un roman, d'un film, ou même d'un opéra ou d'une toile, les frontières de l'oeuvre isolent le mythe et en donnent une vision définie, déterminée, limitant ainsi son caractère fondamental de récit en constante reformulation. L'oralité inhérente au mythe, évincée par l'apparition de l'écriture, ne lui offre plus d'évoluer, de se transformer et de s'enrichir au gré des conteurs et de leur imagination. Enserré dans l'oeuvre qui l'a illustré, il se présente sous une interprétation unique et fatalement tronquée, qui voile ses nombreuses significations.

Le mythe est-il dès lors condamné à ne plus s'incarner qu'au sein de formes artistiques contraignantes, parois matérielles qui restreignent la portée universelle du message aux dimensions tronquées de l'oeuvre ? Il apparaît pourtant que le mythe a conservé sa vitalité et son importance par-delà les barrières de la norme : toujours vivant, omniscient et insaisissable, si nous connaissons les formes qu'il emprunte sa définition nous échappe encore. L'écriture parvient à maintenir une cohésion qui nous le rend intelligible, mais il s'agit d'un récit dont la naissance s'est effacée de la mémoire des premiers conteurs, transmis ab origine par les générations d'hommes chargés de véhiculer la sagesse universelle qui constitue l'enjeu principal du mythe. Il convient néanmoins, afin d'en saisir - ne fût-ce qu'en partie - le sens primordial, de le contenir sous une forme concrète, tangible, qui nous permet d'observer le récit selon un angle certes réducteur mais indispensable à la saisie de l'un de ses nombreux sens.

Comment concilier cette nécessaire contrainte formelle avec la formidable liberté d'expression qui confère au mythe son pouvoir de fascination ? Parmi les nombreux arts qui se sont emparés des mythes afin de les transcrire de façon réelle, interprétables à partir d'une réalité matérielle, la bande dessinée nous est apparue comme le medium idéal de transmission des récits universels : faisant figure de genre « mineur » auprès des classiques reconnus que sont la littérature, la musique ou le cinéma, elle échappe également à une définition hâtive qui chercherait à fixer les règles de son fonctionnement. La bande dessinée a comme qualité première de réunir les deux principales instances de signification que sont l'écrit et le dessin, le signifiant et le figuré. Loin du genre « muet », « enfantin » ou « primaire » auquel elle se trouve bien souvent réduite dans les esprits, elle associe de manière rigoureuse les dimensions textuelles et visuelles, et se présente ainsi comme un genre narratif fort, complexe, capable de véhiculer un récit à caractère universel.

La Quête de l'Oiseau du Temps
, l'oeuvre de Serge LeTendre et Régis Loisel que nous proposons en principal sujet d'étude, correspond à ce que nous pensons être la fonction réelle de la bande dessinée : un système narratif en évolution continuelle, qui se modifie et progresse à chaque étape de son développement, répondant par là même à l'impérieuse question de l'expansion des mythes. Comment la bande dessinée, à travers le réseau de vignettes et de significations qu'elle met en place, parvient-elle à transmettre fidèlement un message de portée universelle ? Quels sont les archétypes à l'oeuvre dans ce tressage issu des multiples correspondances inter-vignettales, et comment la parole des mythes ancestraux est-elle encore exprimée au sein d'un genre inscrit dans la modernité ?

Partant d'une définition précise et spécifique du système de la bande dessinée, fondée sur les travaux de recherche d'auteurs tels que Thierry Groensteen et Benoît Peeters, nous verrons combien les grands récits sont dépendants des modèles narratifs et thématiques instaurés par les mythes, tels que les a identifiés Joseph Campbell, afin d'illustrer le sens et la valeur de ce message mythique qui s'adresse au coeur de chaque homme et que la bande dessinée traduit, au rythme de ses cases, méritant ainsi pleinement son titre de Neuvième Art.

Première Partie

Mythe et bande dessinée,
une architecture au service de l'imagination

1. 1 - UN TOUT FAIT DE PLUSIEURS : FRAGMENTS D'UNE GÉNÉRALITÉ

Avant d'aborder la question des archétypes mythologiques véhiculés par la bande dessinée et de défendre leur utilisation à des fins de clarté et d'universalité du message transmis, il convient d'illustrer que la bande dessinée emprunte au mythe son système de fonctionnement.
Si les récits proprement dits varient au gré des créateurs et des histoires contées, ils correspondent d'un point de vue formel : de la plus petite unité signifiante du medium qu'est la vignette aux multiples albums constitutifs d'une même série, et de la péripétie la plus anodine aux enjeux fondamentaux des mythes, nous constatons une similitude de fonctionnement. Récits fragmentaires mettant en scène une quasi-infinité de situations, ils sont un tout fait de plusieurs, une globalité de sens née de la somme de chacune des parties qui les composent. L'ensemble de ces éléments épars se révèle supérieur à la simple juxtaposition des unités. En effet, de même qu'un mythe n'a de sens réel que si on l'envisage dans sa globalité, la bande dessinée ne prend définitivement corps que par l'association de ses nombreux composants, c'est-à-dire dans le rapport inextinguible de chaque vignette à l'ensemble qu'elle contribue à former, ce que Thierry Groensteen nomme
l'arthrologie générale, ou le phénomène de tressage (1).

1. 1. 1. Vignette et péripéties

Partant de la vignette en tant que point d'articulation fondateur du système de la bande dessinée, au sens où elle s'en présente comme l'unité irréductible - au même titre que le mot, par exemple, pour la littérature - nous allons tenter de la présenter en correspondance avec les noeuds du récit mythique que sont les péripéties.
La vignette, ou « case » selon les terminologies, échappe encore à la définition. Benoît Peeters, au premier chapitre de son ouvrage
Lire la bande dessinée (2), se pose la question délicate de la norme de la vignette :

« Mais d'abord, sait-on ce que c'est qu'une case ? Quel est cet étrange objet dont on voudrait qu'on se souvienne ? Ce composant fondamental de la bande dessinée, base incontournable de son langage, est beaucoup moins facile à définir qu'il n'y pourrait paraître. Deux rapides détours - par le cinéma et par la peinture - devraient permettre d'y voir plus clair.
Il arrive souvent que l'on assimile la technique de découpage de la bande dessinée à celle que le cinéma pratique. La variation des angles, l'échelle des plans, le principe même de la fragmentation : bien des éléments semblent favoriser cette comparaison. Une observation moins rapide ne peut pourtant pas manquer de relever les différences entre les deux techniques. L'une des plus frappantes concerne le cadre.
Au cinéma, le cadre est une donnée résolument fixe et pour tout dire absolue : entre le format imposé par la prise de vue et celui que révèle la projection, il y a redondance obligée. Les proportions de l'image sont inscrites dans la réalité matérielle du film. Il existe certes différents formats, ou plus exactement différentes proportions, mais il est peu fréquent, et difficile, d'en utiliser plusieurs à l'intérieur du même film.
Dans une bande dessinée, à l'inverse, le cadre est un élément fondamentalement variable et pour ainsi dire élastique. En dehors du format général de la page - traditionnellement fixé par l'éditeur - l'unique impératif est de partager la planche en un certain nombre de segments afin de séparer les actions qui dans le récit se succèdent. Les possibilités d'intervention sur la taille de l'image, assez rares au cinéma, sont ici presque infinies. »
(3)


Sur le plan formel, la vignette n'est donc pas déterminée. Elle ne se trouve soumise qu'à la seule loi du support imprimé, cette contrainte pouvant être contournée en jouant sur les dimensions de la publication. Le format de l'album, bien qu'il soit le plus répandu et généralement accepté par les auteurs qui ne remettent pas en cause sa suprématie de diffusion (ainsi que son caractère pratique), n'est pas une donnée fixe. Comme le remarque Peeters, la taille de l'image n'a d'autres limites que celles de l'imagination du dessinateur.

Si le format ne se révèle pas un repère suffisant pour une définition de la vignette, peut-être la notion de cadre apportera-t-elle une réponse ? Il est communément admis que la bande dessinée se caractérise par une succession de cases, doublement délimitées par le bord de l'image, qui encadre justement le dessin, et la marge blanche, ou « gouttière », qui renforce la séparation entre les vignettes.

Tout contenu isolé par un cadre serait alors susceptible de répondre à cette appellation ? En ce cas, le récitatif, qui jalonne le récit d'indications spatio-temporelles, comme chez Edgar P. Jacobs, et les cases uniquement composées de texte, comme il est fréquent d'en trouver chez Gotlib, devraient être considérés en tant que vignettes, bien qu'ils ne contiennent aucun dessin. Et suivant cette logique, que devrait-on dire des dessins qui, a contrario, ne sont pas contenus à l'intérieur de cadres ? Elles sont fréquentes, ces images libérées de contour, qu'il s'agisse de mise en scène d'envergure ou d'éléments anodins, sur lesquelles le lecteur pourra s'arrêter un instant, intrigué par l'absence de qu'il s'attendait à voir. En somme, la vignette est sans détermination, elle échappe à tout formalisme.

Mais si on ne peut ni la définir ni la circonscrire clairement, comment expliquer que toute personne face à une bande dessinée la reconnaisse instantanément comme telle, et comprenne aussitôt la nature de l'objet qui se présente ? C'est dans la fragmentation du récit, et uniquement par elle, que l'on identifie la vignette, et partant la notion même de bande dessinée. Groensteen insiste sur cette séparation, qu'il juge indispensable à l'élaboration de la vignette en tant qu'unité première du medium :

« Aussi, c'est une condition de la lecture que les vignettes soient physiquement isolées les unes des autres, ou cognitivement isolables, de sorte qu'elles puissent être lues séparément. Le cadre vignettal joue à cet égard un rôle analogue à celui des signes de ponctuation dans la langue (y compris ce signe élémentaire qu'est le blanc séparant deux mots), ces signes qui découpent, à l'intérieur d'un continuum, les unités pertinentes, permettant - ou facilitant - ainsi la compréhension du texte. » (4)


Le cadre (ou l'absence de cadre) souligne la division du récit en autant d'étapes que l'auteur a jugées nécessaires. Par opposition aux livres illustrés, où l'image fait souvent face à la page de texte, la bande dessinée est une segmentation constante, elle se divise à chaque instant et la vignette en est la plus petite unité représentative. Tout passage d'un dessin à l'autre constitue ce que l'on peut appeler une vignette, et il n'y a pas d'autre caractéristique susceptible de la définir. L'image peut se répéter, identique de la première à la dernière case, comme le démontre Lewis Trondheim dans Le Dormeur (5), ou se modifier à tout moment, au moindre saut en avant dans le récit. On désigne donc sous le terme de vignette ce qui relève de la progression temporelle. Elle est l'unité de temps élémentaire de la bande dessinée : lorsque son regard passe d'un dessin à l'autre, le lecteur effectue une avancée dans le temps propre à l'histoire qui lui est contée.

Pourtant, la vignette peut déterminer la continuité temporelle, l'avancée irrésistible de tout récit vers son dénouement, elle n'en est pas moins un instant privilégié, statique, délimitée la plupart des cas, nous l'avons vu, par un double cadre qui la contient et impose ses frontières à la poussée du temps, ainsi qu'au désir du lecteur de connaître la suite de son histoire. Et dans le cas des vignettes « libres », dépourvues de contour, le lecteur aura tôt fait de reconstituer mentalement le cadre, ne serait-ce que par souci de compréhension en ne confondant pas les différents instants du récit.

La vignette, comme nous le verrons dans le point suivant, constitue un système clos marqué par l'incomplétude inhérente à sa fonction. Mais considérons pour lors la vignette dans son indépendance et son unité intérieure. Peeters constate qu'une fois isolée de son ensemble, à l'occasion d'une reproduction en sérigraphie par exemple (6), la case fonctionne toujours : elle est à la fois achevée, fermée sur elle-même par le cadre et son rôle narratif, et en devenir, dans l'attente des vignettes qui devraient logiquement suivre.
Afin de bien saisir ce principe de suspension du temps, associé à la fonction narrative de la vignette, nous empruntons ce premier exemple à
La Quête de l'Oiseau du Temps.
La case visible en page 19 du document annexe
(7), tirée du Temple de l'Oubli (8), représente trois des personnages principaux alors qu'ils s'apprêtent à pénétrer dans le Temple où se trouve l'objet de leur épreuve. Loisel a conçu son dessin à partir d'un axe de symétrie central, sur lequel se tiennent précisément les personnages. Le cadre extérieur de la vignette est redoublé par les deux murs verticaux qui les entourent et figurent des bords de case classique. Les protagonistes sont en attente, réduits à trois ombres informelles, en point de mire de ce recadrement interne qui leur interdit toute autre voie que celle tracée par la perspective.

Isolée du contexte, cette vignette apparaît comme un tableau : elle use de procédés propres à la peinture (cadre redoublé, point de fuite, jeu de symétrie) et contient tous les éléments nécessaires à sa compréhension. Le récitatif dévoile ce que les personnages s'apprêtent à faire, et il suggère en outre que cette action est dangereuse. La case n'est donc pas une énigme, elle est aisément interprétable et fonctionne indépendamment du récit, dont elle constitue une étape essentielle puisque les auteurs ont choisi de la représenter :

« Toute portion d'image isolée par un cadre accède, par le fait même, au statut d'énoncé à part entière. Dédier un cadre à un motif équivaut à attester que ce motif constitue un apport spécifique, si mince soit-il, au récit dont il participe. Cet apport est ce qui demande à être lu. » (9)


Cependant, cet instantané d'action, si aisément interprétable en dehors de son cadre spatio-topique, souffre d'un inachèvement manifeste, ne serait-ce qu'à travers ce qu'il représente. Les personnages se trouvent bien, comme le récit et son lecteur, en fragile situation d'attente. L'histoire est suspendue toute entière dans une case : si on la maintient séparée de l'ensemble, elle induit un début et une fin à l'histoire qu'elle ne racontera jamais. Ce qui a conduit les personnages à ce moment et à ce lieu, et ce qui leur adviendra ensuite, tout cela est tenu à l'écart par le cadre de la vignette. Compréhensible en elle-même, elle n'est pourtant que la promesse d'une suite, d'une progression, que le lecteur espère et qu'un simple retour à l'album permettrait de combler.

« On commence à l'entrevoir : l'un des traits fondamentaux de la case est son aspect fragmentaire ou, si l'on préfère, son incomplétude. Suivant en cela Pierre Fresnault-Deruelle, je définirai la vignette de bande dessinée comme une image « en déséquilibre », écartelée entre celle qui la précède et celle qui la suit, mais non moins entre son désir d'autonomie et son inscription dans le récit. » (10)


La définition de Peeters nous semble la plus juste. Elle établit un retour au paradoxe essentiel de la vignette qui repose sur cette séparation intrinsèque du cadre par rapport au système dont il constitue un maillon indispensable. Le récit est simultanément continu et fragmenté, il affirme sa linéarité quand la dispersion de ses unités narratives est à la base de son fonctionnement. On ne saurait nier la progression constante du récit, le désir irrépressible de franchir les cases l'une après l'autre, au risque de les survoler, afin d'atteindre la dernière image, celle qui met un terme à l'histoire et permet au lecteur de commencer la suivante. Un désir de connaissance et de rapidité aussitôt mis à mal par la fixité des images, par leur séparation et leur « autonomie ».
Les événements s'enchaînent au rythme précis de cette fragmentation, et négliger une case revient à risquer de perdre la logique propre à chaque histoire
(11). C'est en ce sens que la vignette figure l'unité structurante minimale de la bande dessinée, tout comme le sont, pour les mythes, ce qu'il est convenu d'appeler les différentes « péripéties ». Ces noeuds de l'histoire, ponctuels et liés étroitement à celui qui précède et à celui qui suit, sont bien les premiers éléments logiques d'une séquence narrative. A chaque vignette correspond un moment donné temporel, et à chaque avancée de l'histoire correspond une vignette.

Sa position privilégiée et sa nature « d'encadré » ont conduit à une forme de sacralisation de la vignette, dans laquelle la dimension narrative est considérée comme négligeable et la case comme un système clos, hermétique, dont la relation à l'histoire globale ne serait qu'une simple conséquence de la mise bout à bout de ces images indépendantes. Avant d'élargir son analyse aux mécanismes arthrologiques, qui mettent en relation l'ensemble des procédés de la bande dessinée, Groensteen explique ce « fétichisme » de la vignette:

« Ces particularités de la vignette expliquent qu'elle s'offre, dans certains cas, à l'investissement affectif du lecteur, pour se transformer en une sorte de fétiche - comme en témoigne, depuis une quinzaine d'années, la vogue des sérigraphies réalisées à partir d'agrandissements. Puits de fiction, « fenêtre ouverte sur l'histoire » (selon une formule qui a beaucoup servi depuis Alberti, mais qui n'est nulle part aussi pertinente que dans le cas de l'image BD), miniature souvent prodigue en détail et en nuances de couleurs, la vignette a ce pouvoir d'arraisonner le lecteur, contrariant un instant cette « fureur de lire » qui le pousse à traverser les images au galop pour aller toujours de l'avant. » (12)


Nous constatons très vite les limites d'une telle segmentation. A mesure que la vignette s'enferme dans le cadre, qu'elle devient une entité indépendante que l'on peut isoler, reproduire, agrandir ou retravailler sans cesse, elle s'éloigne de sa fonction principale de vecteur de sens. Cela reviendrait à ne plus aborder un mythe que selon une seule approche, à l'interpréter dans son ensemble en ne se basant que sur une partie déterminée de l'histoire qu'il développe. Comment, par exemple, saurait-on envisager le voyage d'Ulysse par le biais immuable d'un unique épisode de ses aventures ? De même que l'épreuve du chant des sirènes ou la lutte contre Circé ne rendent pas compte à eux seuls de l'ensemble de l'Odyssée, la vignette demande - nécessite, même - un regard englobant sur le tout dont elle est issue.

Il est évidemment possible, et même profitable, d'étudier telle ou telle vignette séparément, afin de mettre en lumière sa structure interne comme nous l'avons fait pour la case du Temple de l'Oubli, mais il est crucial de ne jamais perdre de vue que la vignette fonctionne avant tout en relation avec les cases voisines, voir même avec d'autres vignettes qui, si elles sont éloignées sur le plan géographique, n'en appellent pas moins à la correspondance. Tout comme un instantané de récit n'apporterait finalement qu'un sentiment de frustration (« que vient-il ensuite ? »), la vignette ne reste pas indépendante très longtemps. A terme le récit nécessite toujours une progression. Thierry Groensteen rassemble toutes ces relations croisées sous le terme d'arthrologie, que nous allons à présent développer.

1. 1. 2. Le multicadre et le mythe

L'architecture de la bande dessinée repose sur la connexion de séquences de plus en plus englobantes, de la vignette - unité de temps minimale - à l'ensemble achevé que constitue un album. Il ne s'agit pas d'une simple succession, d'un montage bout à bout qui se ferait sans autre souci que d'obtenir le nombre de pages imposées par la publication. La bande dessinée forme un ensemble cohérent. C'est un système, comme le démontre Thierry Groensteen ci-dessous, qui s'articule autour de plusieurs unités narratives, de proportions variables, mais qui toutes s'impliquent les unes aux autres, jusqu'à créer un véritable réseau de séquences dont chacune a son importance. Une juxtaposition de vignettes n'a jamais donné naissance à un album, et il faut penser la bande dessinée en fonction de tous ces « syntagmes » qui tissent le sens réel de l'histoire :

« Si l'on veut se donner les bases d'une définition convenant pour la totalité des manifestations historiques du medium, et même pour quantité d'autres productions non réalisées à ce jour mais théoriquement concevables, il faut reconnaître comme unique fondement ontologique de la bande dessinée la mise en relation d'une pluralité d'images solidaires. La relation établie entre ces images admet plusieurs degrés et conjugue plusieurs opérations, que je distinguerai plus loin. Mais leur commun dénominateur et, partant, l'élément central de toute bande dessinée, le critère premier dans l'ordre fondationnel, est bien la solidarité iconique. On définira comme solidaires les images qui, participant d'une suite, présentent la double caractéristique d'être séparées (cette précision pour écarter les images uniques enfermant en leur sein une profusion de motifs ou d'anecdotes) et d'être plastiquement et sémantiquement surdéterminées par le fait même de leur coexistence in prasentia. » (13)


La portée universelle du message des mythes est justement conséquente à l'association rigoureuse des nombreuses étapes qui les composent. Ce n'est pas un hasard si l'on peut reconnaître en chaque mythe certaines grandes instances incontournables, dont l'absence d'une seule en rendrait caduque la signification générale.

Joseph Campbell a distingué la plupart de ces séquences mythologiques communes à chaque grand récit, et les a regroupées sous le terme de mono-mythe : appel de l'aventure, épreuves initiatiques et acquisition d'un enseignement au terme de la quête... Tous ces fragments sont achevés et compréhensibles en eux-mêmes. Ils peuvent être adaptés à toutes formes de milieux et d'époques au gré de l'imagination des auteurs, et même être étudiés, comme le fait Campbell, d'après leur propre structure, ce « squelette » immuable qui sert de fondation aux multiples variations. Cependant, à l'image des différentes séquences narratives formant le système de la bande dessinée, ils sont manifestement incomplets, et souffrent, si on les aborde individuellement, d'une anémie de sens qui les rend moins pertinents que selon une approche collective.

C'est l'ensemble qu'il faut prendre en compte, qu'il s'agisse d'un mythe ou d'une bande dessinée, car il est supérieur au final à la simple somme des parties qui le composent. Jean-Pierre Vernant ne manque pas de rappeler que « chacun des éléments du Mythe n'a de sens que par rapport au tout, et par la place qu'il occupe dans le système ordonné dont fait partie le mythe auquel il appartient. » (14). L'occupation par les vignettes d'un même site, d'un même « champ sémantique », leur offre de s'enrichir mutuellement. Elles sont isolées et pourtant se répondent, chacune ne prenant son sens véritable, définitif, riche de toutes les significations désirées par l'auteur, que grâce au système de tressage qui les fait correspondre (15), tant au niveau des enjeux spatio-topiques que de la mise en scène propre à chaque case, qu'il s'agisse de ses couleurs, de sa composition et, bien évidemment, de son contenu narratif.

La notion de « multicadre » est en cela le procédé d'articulation de la bande dessinée qui se rapproche le plus de la forme archétypale du mythe. Ils fonctionnent chacun à deux niveaux de compréhension. Le premier, celui de la découverte proprement dite, où le lecteur - celui à qui l'histoire est destinée - prend connaissance du matériau. Qu'il laisse son regard englober les cases ou qu'il prête une oreille attentive au discours du conteur, ce contact originel lui permet de jouer avec son imagination, de saisir l'instant d'évasion tel qu'il se présente. Le second niveau d'interprétation relève du multicadre et de la réflexion qui se créé à partir des diverses connexions entre les séquences dont on vient de se bercer. Voici une définition précise du système arthrologique sur lequel repose l'ensemble de la bande dessinée, ainsi que des différents principes d'articulation tels que les a distingués Groensteen :

« Les relations élémentaires, de type linéaire, composent ce que l'on nommera l'arthrologie restreinte. Gouvernées par l'opération du découpage, elles mettent en place des syntagmes séquentiels, le plus souvent subordonnés à des fins narratives. C'est à ce niveau qu'intervient prioritairement l'écrit, comme opérateur complémentaire de la narration. Les autres relations, translinéaires ou distantes, ressortissent à l'arthrologie générale et déclinent toutes les modalités du tressage. Elles représentent un niveau plus élaboré d'intégration entre le flux narratif (qu'on pourrait aussi nommer l'énergie narrative ou encore, pour reprendre une expression d'Hubert Damisch, la « navette du récit ») et le dispositif spatio-topique, dont la composante essentielle, telle que l'a nommée Henri Van Lier, est le multicadre.Il n'y a pas, d'un côté, une mise en relation d'espaces qui relèverait de la spatio-topie, et de l'autre une mise en relation de contenus qui ressortirait à l'arthrologie. Les articulations du discours de la bande dessinée portent indissociablement sur des contenus-incarnés-dans-un-espace, ou si l'on préfère sur des espaces-investis-d'un-contenu. » (16)

« Les notions d'hypercadre et de multicadre ne doivent pas être confondues. Celle d'hypercadre s'applique à une seule unité, qui est celle de la planche. Les multicadres, en revanche, sont plusieurs. Le strip, la planche, la double page et l'album sont des multicadres gigognes, des systèmes de prolifération des vignettes de plus en plus englobants. (...)
A la différence de l'hypercadre, le multicadre n'a donc pas de frontières stables, assignées a priori. Ses frontières sont celles de l'oeuvre toute entière, qu'il s'agisse d'un strip isolé ou d'un récit en 200 planches. Le multicadre, c'est la somme des cadres qui composent une bande dessinée donnée ; c'est donc, aussi, la somme des hypercadres. »
(17)


Il est marquant de constater que Groensteen utilise naturellement l'image d'une « somme » de signifiants/signifiés, car la question qui nous préoccupe est bien celle de l'ensemble obtenu par le rapprochement entre les différentes étapes du récit, que transmettent successivement, sur le mode de cercles concentriques, le strip, la planche, la double-page et enfin l'album (le tressage étant un phénomène supplémentaire de regroupement, plus large, qui dépasse la frontière quelque peu « factice » des bords de la page, et que nous aborderons dans le point suivant.)

La richesse réelle d'un mythe et de la bande dessinée qui l'accueille naît de l'arthrologie, de cette maïeutique des instants narratifs dont l'association confère à l'ensemble une dimension supérieure. Lorsque l'on évoque la « somme », c'est bien du résultat dont il s'agit, et non de la simple addition - pour ne pas dire accumulation - des éléments épars. Plus précisément, chaque vignette est aussi bien en relation avec ses voisines sur un même site qu'avec l'ensemble des vignettes constitutives de la bande dessinée, de même qu'un mythe ne peut s'envisager, en termes de message et d'enseignement, que dans sa globalité. De nouveau, les instants du récit, si infimes soient-ils, sont à interpréter en fonction des événements passés et à venir. Une vignette en apparence insignifiante, de taille réduite et comme isolée du cadre spatio-topique, doit être reconsidérée en regard de la connaissance que l'on a acquise de l'histoire dans sa totalité.

Le multicadre, dans son appréciation la plus large - l'album - et le mythe, sont des séquences narratives achevées, complètes, nées du tissage de sens entre les éléments épars qu'ils regroupent : on ne peut saisir la portée définitive du récit que si l'on se souvient, une fois la dernière vignette appréhendée, de l'image initiale qui a ouvert l'aventure, et le mythe, véhiculé par cette construction particulière, demande un investissement, un effort de rapprochement à qui veut pénétrer chacun de ses niveaux de compréhension.

A ce stade, le lecteur est en possession de tous les signifiés qui devraient lui ouvrir l'accès à une saisie globale du sens. Il a connaissance du moindre élément narratif, et le phénomène arthrologique propre à la bande dessinée lui a permis de relier entre elles des séquences apparemment sans rapport. Le multicadre est donc bien la structure qui semble le mieux convenir à la transmission d'un récit mythique. Ils ont en commun l'articulation d'unités narratives de plus en plus englobantes, de la vignette à la planche puis à l'album, et de l'instantané de récit vers la création d'une histoire universelle, et leur architecture fondamentale se fait écho.

Pourtant, ces ensembles cohérents, que l'on pourrait croire fermés sur eux-mêmes, manifestent, à l'image de la vignette, un manque inévitable. Car peut-on prétendre connaître les enjeux d'un mythe en n'ayant connaissance que d'une seule de ses innombrables interprétations ? Les grands mythes ont prospéré dans chaque civilisation, et s'ils reposent tous sur le schéma idéal de Campbell, les variantes sont nombreuses, et liées à la culture à laquelle ils appartiennent et qui les a vus naître. Une bande dessinée, de la même façon, ne s'achève pas avec la lecture d'un album, isolé de la série dont il est un fragment essentiel.

Depuis la vignette qui se présente comme une unité indépendante jusqu'à l'album qui les rassemble, les frontières du récit sont continuellement repoussées. Le sens profond du récit nous échappe encore, et il semble qu'il faille aller de l'avant, toujours en avant, pour élargir davantage le champ d'investigation et, partant, les limites naturelles du multicadre.

1. 1. 3. Le macrocadre et le mythe universel

Baetens et Lefèvre, cités par Groensteen, définissent clairement la fonction essentielle du tressage. Nous devons adapter notre lecture à un mode de relations croisées, inter-communicantes, qui font de chaque élément physiquement isolé des autres une pièce de la mécanique d'ensemble. Le tressage est l'outil critique servant à étudier cette structure :

« Il a souvent été répété en ces pages qu'au sein du multicadre feuilleté que constitue une bande dessinée complète, toute vignette est, potentiellement sinon effectivement, en relation avec chacune des autres. Cette totalité, dont la forme physique est généralement, selon les normes éditoriales françaises, celle d'un album, répond donc à un modèle d'organisation qui n'est pas celui, linéaire, de la bande ou de la chaîne, mais celui, éclaté, du réseau.
Jan Baetens et Pacal Lefèvre ont justement noté que « ... loin de se présenter comme un enchaînement de cases, la bande dessinée demande une lecture capable de rechercher, au-delà des relations linéaires, les aspects ou fragments de vignettes susceptibles d'être mis en réseau avec tels aspects ou fragments de telles autres vignettes ». Le tressage est précisément l'opération qui, dès le stade de la création, programme et effectue cette sorte de pontage. Il consiste en une structuration additionnelle et remarquable qui, tenant compte du découpage et de la mise en page, définit des séries à l'intérieur d'une trame séquentielle. » (18)


« Au-delà des relations linéaires »... Le lecteur ayant une connaissance approfondie de la bande dessinée - c'est à dire qui s'intéresse au second niveau de sens, autre que l'histoire elle-même - peut l'appliquer à toutes les correspondances qu'il rencontre et ainsi accroître sa compréhension du récit. La linéarité est l'obstacle principal à une lecture en profondeur. Elle n'envisage les vignettes que séparément, alors même qu'elles sont démunies de la plus grande partie de leur substance en l'absence des autres vignettes du site. Le tressage perce le danger d'une lecture unilatérale et renvoie constamment chaque case à l'ensemble qu'elles forment.

Cependant, Groensteen semble s'être curieusement arrêté aux limites imposées par les frontières de l'album, comme si le tressage prenait fin avec la fermeture du livre et que ses marges constituaient un mur au-delà duquel le réseau était achevé, ou tout du moins ne présentait plus d'intérêt pour son étude. L'album serait ainsi la clôture déterminante d'une histoire, et reproduirait, à une échelle plus large, le cadre hermétique de la vignette. L'indépendance que la case ne pouvait obtenir en raison de sa simultanéité spatiale avec ses consoeurs, l'album l'obtiendrait donc de la façon la plus simple qui soit, en se repliant sur lui-même, en contenant une histoire complète dans l'impossibilité de s'élargir ?

Cela équivaudrait à circonscrire un mythe universel dans une interprétation donnée et immuable, qui ferait figure de référence absolue, échappant à toute tentative de remaniement ou d'amélioration. L'album, ainsi que l'histoire transmise par un mythe particulier, ne doivent pas marquer de limites : ces récits étant les réceptacles de l'imagination humaine, ils n'ont d'autres frontières que celles de la création de leurs auteurs.

Nous proposons donc d'élargir le concept du multicadre à la théorie du « macrocadre », qui applique les principes du tressage à l'ensemble supérieur à l'album qu'est la série de bande dessinée, selon l'idée que les mythes gagnent justement leur portée universelle grâce aux multiples variations et interprétations dont ils ont fait, et font toujours, l'objet. (La permanence des mythes dans l'époque contemporaine, et leur renouveau par le biais de la modernité de la bande dessinée, seront le sujet du troisième et dernier point de cette première partie.)

Le macrocadre va pour l'instant nous permettre d'aborder la série en tant qu'instance narrative maximale de la bande dessinée. L'album était la conséquence du tissage opéré entre les vignettes : envers la série l'album devient à son tour une unité faisant partie d'un tout, une séquence particulièrement longue mais qui ne peut se conclure en elle-même. Chaque album d'une série appelle l'aventure suivante, la progression inévitable du parcours des héros. A la lumière de ce regroupement par delà le cadre du livre, il apparaît très vite que les albums sont, pour la plupart, construits sur une base identique, ce « squelette » que nous avons déjà rencontré et qui conditionne la place et l'importance des séquences, ainsi que leur résonance.

Prenons l'exemple d'Astérix (19), dont la trame essentielle de chaque histoire peut se résumer en un schéma invariable : « Astérix et Obélix luttent contre une menace qui pèse sur leur village. » A partir de cet axe fixe, Goscinny et Uderzo ont imaginé une formidable série de variations, mettant en scène des personnages secondaires récurrents et des ennemis remplacés d'un épisode à l'autre. Mais les albums répondent tous au schéma initial de la quête d'un héros, parcours fondateur du récit mythique.

Astérix doit donc vivre chaque fois l'appel de l'aventure, dont Obélix constitue généralement l'obstacle principal en provoquant une dispute au sujet de la taille d'Idéfix, « trop petit pour un tel voyage. » Ce gag récurrent, auquel Obélix finit toujours par trouver une alternative en déployant des stratagèmes ingénieux, comme dans Astérix en Corse ou Astérix et Cléopâtre, ne fonctionne justement que parce qu'il opère un rappel des aventures précédentes. Le lecteur qui entame une nouvelle histoire s'attend à retrouver cette séquence, et se demande comment les auteurs l'ont abordée cette fois-ci. Un élément essentiel de chaque aventure d'Astérix - le départ du héros pour son voyage - est donc lié aux autres par une connexion « entr'albums », qui dépasse le cadre de l'histoire unique.

La grande aventure d'Astérix est concrètement celle qui résulte de l'assemblage, autrement dit du tressage, des nombreux albums de la série. Et surtout, ce grand récit est inachevé : contrairement à la vignette, contenue par son cadre, aux multicadres qui se cloisonnent l'un après l'autre, ou aux albums qui se referment sur la dernière page et qui ne peuvent que revenir à leur début, la série est, pour ainsi dire, quasiment infinie. L'aventure peut se poursuivre, les personnages évoluer, vieillir, certains naissent et d'autres meurent, et la série peut survivre même à la mort de son auteur. Ce que la bande dessinée nous montre, c'est qu'une histoire manipulant les thèmes universels véhiculés par les mythes est en expansion constante. Pourquoi se restreindre aux limites d'un album quand l'histoire se poursuit bien au-delà de cette simple séquence ? Les mythes sont eux aussi en évolution permanente : ils se nourrissent de toutes les peurs, désirs, rêves et fantasmes de la culture dont ils jaillissent, et cette matière vient se greffer sur leur squelette (20) immuable.

Cette force expansive doit pourtant être canalisée, si l'on veut pouvoir tirer de l'histoire un quelconque enseignement. Tant que le récit s'accroît et s'enrichit, son sens définitif nous échappe, notamment dans le cas d'une série de bande dessinée qui met en scène une histoire unique aux rebondissements multiples.

Parmi les aventures dites d'héroïc-fantasy, genre narratif particulièrement propice à l'utilisation des archétypes mythologiques, nous pouvons citer le cas de Thorgal (21), l'oeuvre principale de Jean Van Hamme et Gregor Rosinski. Edité aux éditions du Lombard depuis 1980, Thorgal compte aujourd'hui vingt-sept albums, et l'aventure est loin d'être complète, aux dires des auteurs.

Thorgal, le personnage éponyme, est un héros honnête et courageux, le parfait exemple du héros mythique : aussi bien guerrier que père de famille modèle, homme d'honneur séduisant, il lutte contre l'injustice des hommes et la colère des dieux. Le défaut majeur de cette série, au demeurant populaire et de grande qualité, réside dans son absence de but réel. Désireux de ne pas refermer les aventures d'un personnage aimé du grand public, les auteurs ne se résignent pas à conclure une série dont les thématiques et les situations se sont essoufflées depuis plusieurs années. Thorgal ne mène plus de quête précise, il se contente de subir au gré des albums les épreuves qui s'opposent à sa tranquillité et perd ainsi tout ce qui confère à la notion même de héros sa force et sa fascination.

Si le héros mythique suscite l'admiration du lecteur, allant jusqu'à l'identification complète au personnage, c'est qu'il poursuit un objectif précis, inaccessible au reste des hommes, et que le parcours périlleux qu'il doit suivre ne le fait pas reculer. Toute la tension d'une bonne histoire, tout le plaisir que l'on retire de sa découverte, tient à sa finalité. Si l'album de bande dessinée ne marque pas nécessairement une clôture définitive, le récit doit tôt ou tard s'achever sur le dénouement de la quête principale : alors seulement les personnages prendront la mesure de leur expérience, et le lecteur celle du message transmis.

En se délayant dans des intrigues secondaires qui se contentent de reprendre des schémas déjà exploités, Thorgal a épuisé la richesse de son univers et de sa quête initiatique. Ici, l'arthrologie générale a fonctionné inversement contre la richesse de l'ensemble. C'est que les différents épisodes de la vie de Thorgal semblent avoir perdu toute relation entre eux, et les événements se répètent d'un album à l'autre, avec finalement très peu de variantes.

Le macrocadre relie donc des éléments appartenant à une structure d'ensemble complète, achevée, à partir de laquelle les interprétations sont nombreuses et toutes envisageables, mais il est au bout du compte indispensable que le récit se referme, afin que s'en dégage une signification. Il s'agit sans doute là de la seule limite qui s'impose à l'imagination. Pour être transmis et réceptionné, le message doit être contenu dans un ensemble cohérent, dont le début, la progression et la fin seront aisément identifiables. Le tressage qui s'opère entre les albums met donc aussi bien à jour la correspondance entre les séquences que les limites de ce rapprochement : si les récits se construisent principalement sur une base identique, ce n'est pas en répétant éternellement les motifs propres au récit lui-même que les auteurs parviendront à faire de leur série une véritable aventure mythique. Le lecteur, lassé de cette sclérose de l'imagination, aura tôt fait de s'orienter vers d'autres récits afin de répondre à son besoin constant de nouveauté.

Il nous est apparu, au cours de cette première approche théorique des mécanismes fondamentaux qui régissent la bande dessinée sur le modèle du mythe, que le récit est en progression continue. Ni le cadre de la vignette ni la couverture de l'album ne sont suffisants pour réguler le désir du lecteur d'avancer dans la découverte de l'histoire. En retour de cette formidable envie d'exploration, de connaissance, le récit subit en dernier lieu la contrainte de la vraisemblance. Non pas vraisemblance en terme de « réalisme », mais en ce qu'il est question d'une conclusion de l'histoire, nécessaire à la compréhension globale : le récit ne peut se poursuivre au-delà de l'acceptation par le lecteur de sa cohérence interne. La bande dessinée, si elle prétend mettre concrètement en cases un récit mythique, doit donc se conformer à certaines règles, qui ne s'appliquent pas au domaine de l'imaginaire mais sur le plan formel.

La séparation de l'histoire en différents fragments, intelligibles en eux-mêmes mais dépendants des autres, est une première condition. Elle reflète, au niveau morphologique, les épreuves que surmontent les personnages. La seconde règle sera celle de la finition, qui exige du récit un dénouement au cours duquel la quête principale du, ou des héros, sera résolue. C'est pourquoi une série telle que Thorgal ne correspond pas à l'application des mythes universels à l'art de la bande dessinée. Chaque album comporte bien les étapes essentielles de l'aventure, mais la répétition monotone de ces mêmes étapes rend finalement inaccessible la signification globale du récit.

La Quête de l'Oiseau du Temps
, par ses personnages, son histoire et sa structure, nous semble répondre au schéma essentiel décrit plus haut. Elle se compose de quatre parties équivalentes, de quatre albums mettant chacun en scène une étape cruciale de l'aventure et correspondant aux thèmes universels de l'appel du héros vers sa quête, de la rencontre d'un maître, de l'apprentissage qui mène à la connaissance, et de la découverte du but réel du voyage. Les albums, tout autant unités narratives indépendantes - s'achevant chacun sur une conclusion provisoire en ces mots « ainsi s'achevait la (...) épreuve de la quête de l'Oiseau du Temps » - que maillon essentiel du mythe global, correspondent entre eux à tous les niveaux de sens (situations, cadrages, couleurs, motifs récurrents...) et forment un macrocadre idéal à l'exploitation des grands thèmes mythologiques.

Nous verrons que, loin de s'enfermer dans une utilisation attendue des archétypes, la bande dessinée, et La Quête de l'Oiseau du Temps en particulier, dynamise les clichés en opérant un retour aux sources de la représentation des mythes. Les archétypes ne sont pas une limite de l'imagination : ils sont, bien au contraire, les motifs idéals à l'expression d'une mythologie accessible par tous. La jeunesse et la modernité d'un medium tel que la bande dessinée offrent à des thèmes trop souvent taxés de stérilité une vigueur nouvelle, renforcée par l'évolution permanente des techniques et des formes propres à cet art qui renoue l'ancien avec le moderne, le déjà-vu avec la nouveauté, le mythe avec sa portée universelle.

1. 2 - L'ARCHÉTYPE : UN GENRE MINEUR ?

Les stéréotypes, comme le souligne Will Eisner dans Le Récit Graphique, sont généralement mal perçus d'un public exigeant, qui fait valoir, à juste titre, son droit à la diversité et au renouveau :

« La définition d'un stéréotype est celle d'une idée ou d'un personnage standard, conventionnel, exempt de personnalité. L'adjectif stéréotypé s'applique à ce qui est usé, vieilli.
Les stéréotypes ont mauvaise réputation. Non seulement parce qu'ils impliquent la banalité, mais parce qu'ils ont souvent été mis au service de la propagande et du racisme. En simplifiant et classifiant à l'aide de généralités erronées, le stéréotype est un danger et une arme potentielle. »
(22)


Il convient de réhabiliter la notion du cliché, non pas en tant qu'agent d'une atrophie de la création qui se bornerait à employer des thèmes identiques sans jamais les enrichir ni les développer, mais en tant qu'archétype porteur d'un message à valeur universelle, accessible par tous et riche de toute signification que chacun jugera opportun de lui donner. La valeur des mythes tient à ce chaque individu est libre de lui apporter, en fonction de sa propre expérience, de son propre regard, de son rapport à l'existence.

Le « squelette » fondamental, l'architecture sur laquelle repose le mythe et que lui emprunte la bande dessinée, n'est pas une entrave à l'imagination : c'est un support essentiel sur lequel nous inscrivons le récit proprement dit, en l'agrémentant de toutes les influences et aspirations possibles. Nous allons démontrer qu'au-delà d'une rigidité apparente de la forme pour la bande dessinée, et d'une permanence des thèmes pour le mythe, se dégage toute une culture née de l'archétype, traditionnellement qualifiée de « mineure », terme quelque peu péjoratif auquel nous préférerons celui de « parallèle ». Pour reprendre une notion chère à Georges Pérec, nous pouvons affirmer que c'est de la contrainte que naît l'inspiration.

1. 2. 1. Constance des thèmes et rigidité du medium

La bande dessinée est marquée, de façon incontournable, par la limite formelle inhérente à sa construction narrative. En opérant le découpage de l'action, les auteurs ne peuvent se défaire de l'unique contrainte imposée par le cadre. L'image de bande dessinée est finie, au sens stricte, lorsqu'elle se heurte aux rebords de la vignette, ou aux marges de la page et de l'album s'il s'agit d'une vignette libre de cadre. Ce dernier peut être manipulé afin d'adopter toutes les formes imaginables, il n'en demeure pas moins une contrainte de l'image, un élément restrictif qui impose sa frontière. De ce point de vue, la bande dessinée est en effet un système rigoureux, mais précisément dans le but de contenir les dérives d'une imagination baroque, dont la tentative de mise en forme ne déboucherait que sur un récit éclaté, incompréhensible et rebutant. Les Chroniques de la Lune Noire (23) sont un exemple de cette unique et salutaire restriction : les mises en pages grandioses de Froideval et Ledroit sont en dernier ressort contenues par la marge de l'album, sans quoi le dessin représentant batailles épiques et affrontements démesurés pourrait, semble-t-il, s'étendre à l'infini. Il est bien dans l'intention des auteurs de rendre compte de cette épopée en suggérant que le dessin se poursuit par-delà les frontières matérielles du livre...

Avant de parvenir à d'aussi impressionnantes occupations spatio-topiques, la bande dessinée a pourtant longtemps stagné d'un point de vue formel, chaque auteur donnant le sentiment d'avoir à redécouvrir ce que ses prédécesseurs avaient mis à jour. A ce propos, Peeters ne manque pas de s'étonner de la clarté du discours théorique de Rodolphe Töpffer qui, dès sa découverte de la « littérature en estampes », en pose les mécanismes qui aujourd'hui encore sont en vigueur :

Peeters ne peut que constater combien le discours du créateur de Tintin (25), « mythe » de la bande dessinée s'il en est, reproduit celui que tenait déjà Töpffer. Tout se joue comme si Hergé était systématiquement reparti de zéro - et les Aventures de Totor ainsi que les nombreuses premières planches de Tintin en témoignent - et que tout auteur, face au squelette du multicadre, devait réapprendre à le domestiquer, quand bien même les précédents en auraient défriché le fonctionnement. Régis Loisel évoque ce phénomène d'oubli avec humour lorsqu'il dit : « Je fais très peu de BD, car à chaque fois, je dois réapprendre à dessiner. Je ne sais plus comment j'ai fait auparavant. Je ne sais plus ce qu'il faut faire. Je sais seulement ce qu'il ne faut plus faire... » (26)

Sous la plaisanterie affleure la sincérité du dessinateur confronté à une remise en question permanente de son art. Cette inquiétude des auteurs vis à vis de la page qu'il faut maîtriser s'est traduite par l'utilisation dominante d'une forme conventionnelle, ou régulière de la mise en page, non par commodité d'imitation mais bien parce qu'ils doivent à chaque planche redéfinir les bases du medium.

La bande dessinée est un art du tâtonnement, de la recherche de formes, et ces tentatives d'accéder à un idéal de représentation l'ont conduite à se maintenir durant une longue période dans ce que Peeters a défini comme la mise en page « rhétorique », qui permet à la vignette de s'adapter au récit qu'elle encadre. La fameuse « ligne claire » d'Hergé a fait école tout simplement car elle est le système le plus apte à véhiculer une histoire aisément compréhensible par tout lecteur. Groensteen nous en donne une définition tout en justifiant sa prédominance sur les autres procédés :

« On constate cependant que le type de mise en page qui est statistiquement dominant correspond sans conteste à ce que Peeters appelle la conception rhétorique. C'est qu'en effet, ce modèle ne fait rien d'autre qu'appliquer, de manière souvent intuitive et qui relève presque de l'automatisme, cette ressource, par laquelle la bande dessinée se distingue du cinéma, qui lui permet de redéfinir à chaque instant le format de son cadre. La mise en page rhétorique est la plus fréquente parce qu'elle est la plus commode et la plus souple, et parce que, étant entièrement au service du récit, elle est parfaitement adéquate au projet narratif que poursuivent la plupart des auteurs de bande dessinée. » (27)


Il n'est pas question de faire ici l'éloge ou le procès de cette forme particulière, mais de comprendre en quoi la bande dessinée a longtemps pu être considérée comme un art uniforme, peu enclin à se renouveler et donc finalement sans réel intérêt.
C'est que le récit est prioritaire sur la forme narrative. Il est l'enjeu principal de l'oeuvre, et il passe au devant de toute considération esthétique. La forme du récit s'adaptant à celui-ci, il est inévitable que la bande dessinée ne propose au regard, en majorité, qu'un système de mise en page rhétorique capable de redéfinir constamment le format du cadre. Si la forme tend à disparaître au profit de l'histoire qu'elle présente, c'est qu'elle n'est que le support du message, et comme tout support elle ne doit pas primer sur son contenu.

La « ligne claire » est le vecteur idéal pour toute histoire de portée universelle : les récits mythiques ne s'accommodent pas d'une narration brisée, surprenante, qui prendrait le pas sur la teneur de leur enseignement. Le « squelette » archétypal ne fonctionne pas autrement que la mise en page rhétorique. Il figure un plan de fondation, un schéma initial capable de s'adapter à tous types de récits. La diversité d'un même mythe au sein de sociétés différentes nous prouve qu'il n'est pas une contrainte, mais bien une source d'inspiration de laquelle vont jaillir les infinies variations d'une même histoire.

La Quête de l'Oiseau du Temps
n'échappe pas à cette apparence de formalisme. La mise en page de Loisel et LeTendre s'inscrit volontairement dans la voie laissée libre par Hergé, en adaptant, comme nous le verrons, les dimensions du cadre en fonction de la séquence qu'il contient. Ce procédé se révèle le mieux apte à traduire de façon claire une histoire riche de sens, tout comme il sert remarquablement les effets du tressage et les effets de correspondance dus aux multicadres et macrocadres :

« (...) il faudrait postuler que les planches n'admettant, pour tous types de cadres, que des carrés et rectangles canoniques, ne correspondent pas à un « degré zéro » de l'expression spatio-topique, mais expriment au contraire une vision du monde fondée sur la notion d'ordre, sur la logique cartésienne, sur la rationalité. » (28)


Groensteen évoque précisément la fonction de ce modèle rhétorique qui était apparu comme rigide, peu enclin à laisser s'exprimer la puissance des mythes. Il apporte au contraire aux auteurs un objet de maîtrise de l'imagination, rendant ainsi l'histoire compréhensible, tout comme le modèle du mono-mythe sert de support à la création de nouveaux mythes. C'est à la seule condition de s'appuyer sur des principes narratifs existants qu'une histoire peut prétendre au statut de récit universel. Jean-Pierre Vernant insiste particulièrement sur cette nécessité de prendre exemple sur les précurseurs :

« Même s'il est inventé (le mythe), il ne peut l'être qu'à condition de s'inscrire dans la ligne de la tradition, de se soumettre à un certain nombre de contraintes, de respecter un jeu réglé de thèmes, d'associations, de rapprochements et de contrastes en dehors desquels le message cesserait d'être intelligible. » (29)


De même que les mythes doivent suivre plusieurs lignes directrices, aussi bien dans leur contenu que dans leur forme narrative, la bande dessinée se conforme majoritairement à une ligne de représentation idéale, qui lui offre la possibilité de varier en permanence ses procédés d'écriture. La « ligne claire », loin de se poser comme une contrainte, accompagne le récit au cours de ses nombreuses étapes car elle remodèle sa forme à l'envi selon les exigences de la narration : le cadre est alors capable de s'élargir sans autres limites que celles de l'album pour accueillir grands espaces, cités gigantesques ou déserts infinis comme dans La Quête de l'Oiseau du Temps, ou encore de se restreindre à la dimension d'un gros plan unique, afin d'attirer l'attention sur les détails les plus infimes d'une séquence.

L'oeuvre de Loisel et LeTendre use intelligemment de toutes les ressources assurées par une telle liberté de forme. Ils ont su placer sur un même site des vignettes de tailles et de compositions différentes, sans jamais altérer la lisibilité du récit. Nous verrons lors de la deuxième partie de cette étude à quel point une forme narrative considérée comme « classique » présente en fait tous les atouts à la création d'un grand récit mythologique.

1. 2. 2. Défense et illustration du cliché

Nous avons précédemment évoqué, au sujet des archétypes, la question d'une certaine anémie de l'imagination, les auteurs se limitant, par paresse ou par formalisme, à reproduire les récits et les codes narratifs de leurs prédécesseurs. Will Eisner ayant partiellement défini le stéréotype comme « un danger et une arme potentielle », il est surprenant que la bande dessinée, ainsi que d'autres arts tels que le cinéma et la littérature, soient à ce point parcourus de clichés de toutes sortes. C'est que le cliché est considéré comme l'instrument de la facilité et de la stérilité : aussi est-il préférable de se référer à la notion d'archétype.

Les archétypes sont le symbole de la répétition, de la redondance de thèmes et de situations. Tout récit encourt le risque de reproduire des schémas antérieurs, et de fait, nous l'avons vu, tout récit est fondamentalement une reprise d'anciens modèles. Mais si les mythes sont dits « universels », n'est-ce pas parce qu'ils ont déjà exploité toutes les possibilités d'histoires ? Puisque l'on peut aisément isoler, comme le fait Campbell, un schéma de référence, quelle est alors la place laissée à la réelle invention ? Si tout récit est initialement dépendant de ce modèle, toute remise en cause des créations précédentes est rendue à l'échec.

En matière de récits mythologiques, exploitant les archétypes universels comme la quête du héros, la lutte du bien contre le mal ou la recherche de la connaissance, il ne faut pas chercher la nouveauté dans les fondements même de l'histoire - qui resteront toujours identiques - mais dans l'apport personnel des auteurs, qui peuvent enrichir cette base de toutes leurs aspirations.

Qu'il s'agisse d'un récit cinématographique, littéraire ou de bande dessinée, l'archétype est une ressource ambiguë si on le considère à la fois nécessaire à l'expression d'une histoire de portée universelle et agent contraignant de l'imagination. La « mauvaise réputation » dont parlait Will Eisner à son propos est la conséquence d'un consensus péjoratif : on ne voit plus l'archétype que comme une menace envers l'expression d'un renouveau narratif, comme si la nouveauté était gage absolu de qualité et d'intérêt, rejetant par là toute la richesse narrative et symbolique des archétypes. Mais les histoires, aussi originales fussent-elles, sont indissociables de la reprise de ces grands motifs. Le problème n'est donc pas de chercher un remaniement en profondeur des structures universelles, mais de s'attacher à la création d'une oeuvre singulière dont la compréhension ne serait possible que grâce à la connaissance préalable de ces mêmes structures.

Will Eisner nous explique les raisons de la constance des stéréotypes en bande dessinée. Ils sont inhérents à son fonctionnement et constituent même la base de son langage. Construite sur le modèle du mythe, la bande dessinée ne cesse de lui correspondre et de renvoyer son lecteur à la découverte des archétypes qu'elle emprunte :

« Toutefois, le stéréotype est un élément indissociable de l'art séquentiel. C'est une nécessité maudite, un outil de communication dont l'utilisation dans la bande dessinée est incontournable. Compte tenu de la fonction narrative du média, ce n'est guère surprenant.
L'art de la bande dessinée reproduit des comportements humains. Le dessin est un reflet de la réalité dans un miroir, sa compréhension rapide dépend de la mémoire et du vécu du lecteur. Cette condition rend nécessaire la simplification des images en autant de symboles. Donc, des stéréotypes.
Dans l'art séquentiel, les stéréotypes sont créés en tenant à la fois compte du type physique et de l'activité du personnage. Ils deviennent des icônes et sont utilisés comme éléments du langage de la narration graphique.
Quand il utilise le langage filmique, l'auteur a tout loisir de développer un caractère. La bande dessinée, au contraire, demande une grande concision.
Le dessin ou la caricature doivent instantanément aller à l'essentiel. »
(30)

C'est parce qu'elle est entièrement construite à partir d'archétypes narratifs et visuels que la bande dessinée se doit de faire preuve de la plus vive modernité. Elle parvient à maintenir à l'écart l'écueil de la stérilité en jouant sans fin sur les possibilités de formes qui lui sont propres.

En comparaison à la longévité du mythe, qui nous vient, comme le dit Vernant,
« du fond des âges » (31), la bande dessinée est somme toute un art radicalement jeune, nouveau, dont le dynamisme se traduit par son expansion à travers nombre de genres fictionnels et dont la modernité assure un renouvellement permanent de son système interne. Ce n'est qu'en 1827 que Rodolphe Töpffer a l'intuition des premières « histoires en estampes » : la bande dessinée a donc moins de deux siècles, et elle compte, parmi les arts les plus récents, comme le plus moderne d'entre tous, au sens où elle est capable à chaque case, à chaque unité narrative, de créer de nouvelles formes.

S'opposant ainsi au cinéma, auquel elle est trop souvent et trop rapidement comparée, la bande dessinée travaille étape par étape sur une remise en cause de son système, quand l'image de cinéma ne peut que se heurter fatalement aux dimensions de l'écran sur lequel elle est projetée. Malgré les possibilités infinies de mise en scène et de techniques de réalisation, le cinéma est confronté à une limite naturelle que la bande dessinée doit justement repenser en permanence afin de ne pas se répéter.
Nombreux sont les procédés identifiables dont jouit la bande dessinée pour conserver sa modernité. Benoît Peeters en distingue quatre principaux, sachant que cette classification quelque peu réductrice ne rend pas compte de la richesse globale des systèmes disponibles. Pour limitée qu'elle soit, elle a tout au moins le mérite de fournir un éclairage pertinent sur les variations qui ont lieu au sein du cadre spatio-topique.

Peeters élabore un classement à partir du rapport de l'image au récit, selon que celui-ci domine ou non l'importance de la représentation. En d'autres termes, le type de mise en page est fonction du rôle majoritaire tenu par l'image sur le récit, et inversement. En cas de prédominance du récit sur la vignette, Peeters nomme
conventionnelle l'autonomie du récit au tableau. C'est alors le cas de figure présenté par le « quadrillage », ou « gaufrier » pour reprendre la désignation de Franquin. Cette forme particulière de découpage affirme l'importance du récit sur la vignette, tout en niant leur interaction : les vignettes sont toutes identiques et ne jouent aucun rôle particulier dans la progression du récit.
Le système
rhétorique, que nous avons déjà rencontré, se construit sur la dépendance du cadre, assujetti au récit. Par sa plasticité et son adaptation à toute exigence narrative, il est le procédé idéal à la représentation de grands récits mythiques : la forme tend alors à s'effacer au profit du souffle de l'histoire, tout en fournissant au lecteur les clés de l'interprétation, comme il en va pour La Quête de l'Oiseau du Temps. La discrétion figurative n'est pas synonyme d'un manque d'importance. Elle laisse au contraire au lecteur le moyen de parcourir du regard l'ensemble de l'histoire sans être confronté à d'étranges effets de mise en page, tout en lui ménageant la possibilité de s'attarder sur les effets de correspondance entre les vignettes, puis entre les séquences.

Dans le cas de figure opposé où la vignette domine le récit - par ses qualités purement figuratives de « dessin », de « tableau » frappant le regard - Peeters note l'utilisation
décorative de l'image, dès lors que la mise en page prend le pas sur l'histoire et constitue un élément totalement indépendant de la narration, dont l'unique objectif est de s'offrir comme objet de contemplation. La page de bande dessinée devient ainsi pour le lecteur une composition savante suscitant l'admiration et constituant finalement l'intérêt principal de l'oeuvre. Ce n'est alors plus tant le récit qui importe mais bien la manière surprenante dont il est rapporté.

Enfin, le système dit
productif entretient avec la forme rhétorique de nombreuses similitudes, au point que leur distinction ne soit aléatoire à moins de disposer des travaux préparatoires de l'auteur : l'utilisation productrice s'applique dans les cas où les vignettes, accompagnées de toutes leurs caractéristiques (forme, dimension, cadre spatio-topique), précédent l'élaboration du récit lui-même. Elles sont établies et disposées avant que n'intervienne la narration, cette dernière devant alors se conformer aux contraintes qui lui ont été assignées. La différence productrice/rhétorique est infime au regard du travail achevé, mais dans l'un des cas le récit domine la vignette et s'impose à elle comme la finalité de l'oeuvre, dont la case n'est alors que l'instrument narratif, tandis que dans l'autre il subit la forme pré-établie, l'enjeu de l'auteur étant naturellement de confondre l'un et l'autre afin que la forme définitive apparaisse en adéquation parfaite avec son contenu.

Ceci pour illustrer, de manière encore incomplète, combien la bande dessinée est riche de formes et de capacités narratives. Il serait inutile de poursuivre un inventaire plus fastidieux que significatif des multiples procédés qu'elle met en oeuvre, sachant bien que chacun des systèmes détaillés ci-dessus sont interchangeables et ne déterminent en aucune façon l'orientation générale d'une bande dessinée. Les auteurs savent passer de l'une à l'autre au sein d'un même album, et la vivacité, le rythme de l'oeuvre, sont justement issus de cette redéfinition constante des techniques convoquées.

La Quête de l'Oiseau du Temps, malgré une dominance de l'utilisation rhétorique, se distingue bien souvent par l'intervention d'une mise en page décorative, où soudain chaque élément visuel, de la forme des vignettes jusqu'aux nuances de couleurs de la palette de Loisel, participe pleinement au jaillissement d'un tableau d'ensemble, dont les textures et les dégradés donnent au récit qui se poursuit sa pleine signification.

Benoît Peeters faisait, semble-t-il, de façon légèrement hâtive la séparation entre la case et l'histoire qu'elle intègre. Une mise en page en décalage visuel avec la tradition ne témoigne pas d'une rupture systématique entre le fond et la forme. Elle accompagne au contraire sa progression et guide le lecteur dans son appréhension de l'histoire : si l'on s'attarde plus longuement sur un effet de composition saisissant, le récit gagne alors en intensité, il pénètre en profondeur l'esprit du lecteur qui a marqué une pause pour contempler la planche à loisir, freinant par là l'avidité de progression qui pourrait lui faire négliger des éléments essentiels de l'histoire.

La bande dessinée reposant, d'après la réflexion précédente de Will Eisner, sur l'inévitable accumulation de clichés visuels, c'est donc une nécessité que cette richesse de forme qui la préserve de l'engourdissement. Partant de l'unique contrainte des limites naturelles du support, elle sait exploiter toutes les ressources du genre, sans jamais craindre la répétition. Accuser la bande dessinée de formalisme redondant serait faire preuve d'une carence grossière dans la connaissance de ce medium. Que le cliché soit une part importante de sa nature ne peut être voilé, mais elle lutte à juste titre contre les stéréotypes en les donnant à voir au lecteur sous un angle neuf, inattendu.

Toute histoire se doit de présenter une approche différente des précédentes. La nouveauté peut tenir à peu de choses - un personnage surprenant, des lieux inhabituels - mais elle est la seule raison pour laquelle le lecteur s'oriente vers d'autres histoires, quand il pourrait se satisfaire d'une seule d'entre elles. La structure globale reste la même, nous le savons, aussi c'est dans le subtil décalage amené par l'auteur, dans son tracé qui donne à voir un visage à la fois familier et différent des autres, que nous recherchons le sentiment de lire une histoire jusqu'alors inconnue.

Les mythes, à n'en pas douter, racontent inlassablement la même histoire, et pourtant nous retrouvons nos oreilles et nos coeurs d'enfants entendant un conte pour la première fois lorsque la chance nous est donnée de découvrir un mythe nouveau, un mythe s'adressant au plus profond de l'être et nous donnant le sentiment, le temps d'une seconde fugitive, d'avoir atteint une connaissance pleine et enivrante de la raison de notre existence.
« Certaines de ces histoires, » pour Mary Henderson, « ont décrit l'expérience humaine avec une universalité telle qu'elles sont devenues de véritables mythes qui perdurent depuis des temps immémoriaux. Ce sens de la vérité profonde et éternelle qui réside dans chaque mythe est au coeur même de la magie qui s'en dégage. » (32) De ce sentiment d'éternité se profile tout le défi de la bande dessinée, en charge de renouveler chaque fois une histoire intemporelle dont l'apparition s'est depuis longtemps perdue de la mémoire des conteurs. Sa forme spécifique si malléable sera l'instrument de sa modernité.

Comment redonner aux stéréotypes le souffle de la nouveauté ? Comment établir un récit fondamentalement neuf lorsque le cliché est le mode d'expression obligatoire d'un medium ? La vignette s'empare du cliché, elle le met en case. Contenu par le cadre, il est alors présenté comme un instantané, comme l'archétype englobant toutes les significations de l'action représentée. La bande dessinée, en tant que narration fragmentée, est dans l'impossibilité de rendre compte de chaque instant, du déroulement temporel dans sa continuité. Elle doit alors prélever l'essentiel, le symbole, le « cliché ».
L'archétype narratif ou thématique fonctionne tel une vignette. Isolé d'un ensemble cohérent, il est intriguant et séduisant, mais inachevé. Il est le porteur incomplet d'un sens général, d'une histoire qui tient à l'assemblage de ces fragments. Ce que l'on nomme « cliché », ou archétype, n'est autre que l'utilisation essentielle des grands motifs propres à l'intelligence de tout récit universel, et c'est bien parce qu'ils se retrouvent au travers de chaque histoire qu'ils sont ainsi discrédités aux yeux d'un large public qui s'arrête à la surface de la page, sans creuser véritablement l'apport de ces motifs.

Une fois encore, il faut considérer la bande dessinée dans sa globalité, selon la somme de tous ses composants. Restreindre son regard à une vignette, à une attitude particulière ou encore à un motif isolé de son contexte, c'est faire abstraction de la densité du réseau qu'ils forment. Les archétypes ne se présentent pas comme les ennemis de l'imagination, ils en sont le terreau, la matière antique sur laquelle se trament les récits les plus envoûtants. Le véritable « cliché », au sens le plus péjoratif, est celui lié au mécanisme de répétition qui affecte les auteurs : reprise d'univers identiques, de personnages conformes aux précédents, enjeux dramatiques maintes fois recyclés... Les auteurs, en se fondant sur les archétypes fondamentaux, ne doivent pas négliger de varier les péripéties, le caractère des protagonistes, les angles de vue et la chronologie des séquences attendues.

L'emploi de l'archétype, s'il est conscient et maîtrisé, prend toute sa mesure dans la restauration de thèmes intemporels. La bande dessinée, parce qu'elle redéfinit sa propre structure à mesure que le récit progresse, peut jouer à l'envi avec l'attente du lecteur, en ménageant des ruptures de rythme, des rebondissement inattendus dans le cadre d'une intrigue classique, des effets parodiques même sont possibles dès lors que les auteurs ont connaissance du matériau qu'ils utilisent. Ayant la mesure de la portée du récit, ils peuvent alors à loisir détourner les codes, raviver sans cesse l'intérêt du lecteur, le dérouter, le conduire vers des dénouements surprenants où soudain des éléments anodins du récit prennent un sens.

Avec
La Quête de l'Oiseau du Temps, Loisel et LeTendre, conscients de la nature archétypale de leur sujet, ont construit tout un univers cohérent et particulièrement original qui repose pourtant sur une structure narrative universelle. Le cliché n'est plus alors une contrainte mais le noeud d'articulation de la création qui, partant de schémas établis, s'affranchit des codes et aboutit à une oeuvre novatrice. Suivre la ligne directrice des grands mythes en leur insufflant la fantaisie de l'imagination personnelle, c'est le défi que s'engage à affronter tout auteur de bande dessinée.

1. 2. 3. Pour une culture « mineure »

Quel est le sens de cette frontière tacite établie entre la prétendue noblesse de certains arts et le peu d'estime accordée au genre « mineur », au mieux considéré avec gentillesse comme l'expression brouillonne de quelques artistes décalés, au pire méprisé et rejeté comme une offense envers la culture véritable ? Le terme même de « mineur » exprime toute la distance qui sépare les arts parallèles des grands genres reconnus, tels que la littérature et la peinture, pour ne citer que les deux exemples dont la bande dessinée constitue la rencontre idéale.
Critiquée pour être ni tout à fait un roman ni tout à fait une toile, la bande dessinée échappe au carcan de la définition, et sans doute est-ce là son seul tort. Pourtant, cet art si rebutant, au point qu'on le relègue souvent au rang de distraction enfantine, apparaît au gré de la compréhension de son système comme un langage véritable, une langue neuve et particulière, qui tresse, telles les phrases d'un livre, une histoire complète et porteuse de sens :

« En dépit de sa prépondérance et de l'attention que demande le graphisme, je maintiens que l'histoire est le composant principal d'une bande dessinée. Non seulement elle conditionne la trame intellectuelle sur laquelle repose tout le dessin, mais plus que tout, elle assure la cohésion de l'ensemble. C'est une tâche ardue quand on l'applique à un support que la critique considère comme une niaiserie juvénile. Le travail est en plus compliqué par une cruelle réalité : c'est au premier chef l'image qui suscite l'intérêt du lecteur. Quoi qu'il en soit, la bande dessinée est une forme d'expression dans laquelle se mélangent art et littérature. » (33)


On a longtemps qualifié de mineur ce genre narratif en marge des normes établies - au même titre que le film de série B pour le cinéma - en fondant cette réflexion sur l'apparente pauvreté de contenu des oeuvres. Nous avons à présent éclairé la mésentente sur ce sujet : les « clichés » font partie intégrante du genre et ne sont en rien une entrave à la richesse des histoires, ils n'en sont que le moteur qui donne l'impulsion initiale. Le reste n'est qu'imagination...

La culture mineure, terme qu'il convient désormais de remplacer par « parallèle », débarrassant ainsi la bande dessinée de sa « mauvaise réputation », échappe à la sacralisation dans laquelle bien trop de courants artistiques se sont laissés enchaîner. Dès l'apparition de règles considérées comme inviolables et en dehors de l'application desquelles une oeuvre ne sera pas reconnue à sa juste valeur, tout genre narratif ou même pictural est voué à l'immobilisme. Eriger un dogme, c'est toujours refuser dès lors le moindre écart à l'encontre de ce dogme. Les genres parallèles ont le mérite d'exister indépendamment de lois rigides et obligatoires.

La bande dessinée, à cet égard, se présente presque comme un manifeste de l'art « mineur » : elle n'est attachée à aucun format établi, elle peut n'être qu'un strip, une simple planche publiée dans une revue, un album aux proportions infiniment variables. Rien ne détermine par avance le format d'un livre de bande dessinée, si ce n'est hélas l'habitude. Mais de nombreux auteurs savent ne pas tenir compte des formats les plus répandus, et ont le souci d'une oeuvre de taille nécessaire au développement complet d'une histoire.
Le domaine du roman graphique, de plus en plus répandu actuellement, est à ce sens le mode d'expression adéquat pour de telles expérimentations narratives :
Le Cahier Bleu (34) d'André Juillard, Le grand pouvoir du Chninkel (35) de Van Hamme et Rosinski ou encore From Hell (36) d'après Alan Moore et Eddie Campbell, ont su mettre la forme au service de l'histoire, prouvant ainsi la diversité et l'absence de normes de la bande dessinée.

Car c'est bien là le point essentiel, la condition
sine qua non à toute création originale aussi bien sur le plan narratif pur que sur celui de la forme qu'elle emprunte : l'absence de règles fixes, libérant ainsi l'imagination des auteurs, désormais capables d'utiliser à l'envi toutes sortes de techniques d'expression.

Un dessin de bande dessinée porte en lui la personnalité de son auteur, et leur diversité est la meilleure preuve de la vitalité et du renouvellement continu du genre. Les dessinateurs ont tous une sensibilité différente, leur travail est le lieu de rencontre de multiples procédés picturaux : d'aucuns choisissent la couleur directe, d'autres réalisent directement leurs vignettes sans faire d'esquisse préparatoire, d'autres encore confient la coloration ou la réalisation des décors à leurs assistants. Toute forme de culture parallèle peut même se permettre de reprendre à son compte les codes des genres « nobles », comme il en existe malheureusement trop en littérature, pour les détourner et jouer du décalage ainsi obtenu.

La culture dite « mineure » se constitue donc en réaction à une accumulation pesante de lois et de codes impératifs dont elle récuse, par sa seule liberté, la légitimité. Sa principale fonction est d'exister, de réagir envers les préceptes qualifiés de supérieurs. L'instauration de lois équivaut fatalement à la naissance d'interdits. La bande dessinée se positionne en dehors de ce système, chaque auteur pouvant retailler à sa guise les oeuvres précédentes et fixer lui-même ses propres règles. Au final, nous comprenons qu'il n'y pas d'art « mineur » à proprement parler, car seule compte la diversité et la majorité des talents, des envies, des expérimentations. La bande dessinée est libre aujourd'hui d'explorer tous les genres où elle ne s'est pas encore investie, libre de s'instaurer non pas « contre la norme » mais « en dehors de la norme », en parallèle, là où les règles n'ont pour l'instant pas été déterminées.

1. 3 - PARADOXE DE LA MODERNITÉ

La modernité de la bande dessinée se manifeste à travers sa diversité de formes et de genres, de techniques, de narration et d'ambition. Faisant front à une nomenclature rigoureuse, elle retourne à son avantage tout essai de formalisme en redéfinissant aussitôt sa composition même. Les vignettes ne seront pas de sitôt soumises à la volonté d'une législation. Les nombreux essais théoriques sur la bande dessinée, au-delà de leur pertinence et de leur éclairage précieux apporté sur ses mécanismes, s'achèvent inévitablement sur l'aveu d'une impossible définition.
Pourtant, cette notion de modernité associée à un medium représentant au mieux les mythes universels témoigne d'un paradoxe de taille : à l'image de tout art souhaitant mobiliser les archétypes mythologiques, comment la bande dessinée peut-elle y parvenir si les mythes ne correspondent plus à leur nature dès lors qu'ils sont figés, immobilisés par la représentation qui en donne une vision définitive ?

1. 3. 1 Naissance du mythe

Le mythe, justement, n'a pas de date d'apparition connue. Il semble exister depuis les origines, depuis l'ancien temps, depuis cette époque entourée de mystère des premiers hommes. Le mythe précède tout événement fondateur, il est, d'après Ariane Eissen et Jean-Paul Engelibert, une « aspiration à rassembler toutes les connaissances dans un seul discours dont chaque membre de la société a sa part. (...) [Sa fonction essentielle] est de fournir les principes d'une intelligibilité du monde. » (37) C'est dans le principe proprement discursif du mythe que se trouve sa spécificité. Il est un récit fondamentalement oral, transmis de génération en génération de la bouche des conteurs aux oreilles de ceux qui les dévoileront à leur tour. Les mythes, parce qu'ils ont perduré depuis l'aube de notre espèce, sont la langue universelle qui parle au coeur de chacun d'entre nous. Afin de conserver ce langage fédérateur, ces récits doivent respecter le principe d'oralité, qui leur permet d'évoluer et de franchir les barrières culturelles et sociales. Will Eisner, avant même d'aborder la question de la bande dessinée, traite de l'intemporalité des mythes et de leur nécessaire transmission par la langue :

« Raconter des histoires est une habitude profondément ancrée dans les groupes humains, tant anciens que modernes. On utilise des histoires pour enseigner le comportement social, pour débattre de morale et de valeurs, ou pour satisfaire la curiosité. La narration d'une histoire requiert une habilité à dramatiser les relations des individus et les problèmes du quotidien, à communiquer des idées ou à mettre en scène des fictions.
Aux époques primitives, le conteur du clan faisait à la fois office de fantaisiste, d'instituteur et d'historien. Le récit permettait de transmettre la culture de génération en génération. Cet usage a perduré jusqu'à notre époque. »
(38)


Ce facteur oral essentiel assure la pérennité du mythe. C'est parce qu'il est libre d'évoluer au gré des époques et des conteurs, qui le développent, l'adaptent à toutes les situations, en suppriment des éléments en fonction de l'avancée de la société, que le mythe est menacé par toute transcription écrite, qui le fige et lui astreint une forme définitive. Une fois rendu à l'écrit, à la matérialité, le mythe perd sa liberté première, sa capacité de renouvellement. L'apparition de l'écriture met un terme à la reformulation des récits : ils appartiennent désormais au domaine de l'immuable, et les conteurs ne peuvent alors plus transmettre que la même histoire, chaque fois similaire, imperméable à de nouveaux apports et enrichissements. Comment une langue pourrait-elle être appelée « universelle » dès l'instant où elle est limitée par une version « officielle », admise comme référence et véhiculée toujours à l'identique ?

La bande dessinée s'apparente donc à l'une de ces formes fixes qui installent le mythe dans un processus de répétition, éloigné des arrangements nécessaires à sa persistance. Le paradoxe se rapproche sur bien des points de la question de la rigidité abordée précédemment. Alors que la bande dessinée semblait limitée par sa nature de medium fragmenté, contenu par les rebords du cadre, nous avons défendu sa vitalité, sa remise en question permanente : n'étant soumise à aucune sorte de contrainte formelle (à l'unique exception de son aspect « vignettal », qui nous est apparu comme la limite nécessaire aux dérives de l'imagination), elle mettait d'elle-même en oeuvre les instruments de sa modernité.
C'est cette même faculté d'adaptation qui a permis aux mythes de résister à l'usure du temps, en renaissant de contes en contes, de légendes en légendes, parmi les nouvelles sociétés humaines qui se sont constituées. La bande dessinée peut-elle réellement concilier ce besoin impérieux d'évolution avec la dimension graphique et définitive de son mode narratif ?

1. 3. 2 « La douce langue natale »

Parce qu'elle est également en reformulation constante, la bande dessinée est la langue idéale du récit mythique. La portée universelle des mythes est conservée par un nouveau paradoxe, plus séduisant, qui implique de la part de la bande dessinée un retour aux sources, à l'antique matière du mythe qu'est le symbolisme. Il est établi que toute forme fixe, dès l'instant qu'elle définit le récit par l'écriture, ôte au mythe sa liberté d'expansion. Pourtant, la bande dessinée, grâce à sa qualité principale de narration figurée, opère un retour à l'expression originelle du mythe.

Les mythes nous touchent par leur dimension symbolique, et c'est parce qu'ils s'adressent au plus profond de chaque être qu'ils conservent aujourd'hui toute leur force. La richesse du mythe tient à ce qu'il parle une langue commune à l'ensemble de l'humanité, une langue libre de codes et de règles qui parle directement au coeur des gens par ses nombreux symboles. L'universalité ne saurait être traduite par une langue particulière, au détriment de toutes les autres : il faut dépasser la fonction communicante du langage, et atteindre cette voix qui rassemble les hommes au-delà de leurs différences, de leurs croyances, de leurs cultures.

« Tout y parlerait/A l'âme en secret/Sa douce langue natale » (39) promettait Baudelaire en nous conviant à son voyage : il s'agissait bien d'un voyage vers la langue harmonieuse et universelle, où les mots n'ont plus d'importance en eux-mêmes et où le poète recherche une musique capable de transcender le langage. Une musique des sphères, la langue des mythes, au son de laquelle Joseph Campbell, aux dires de Bill Moyers, a dansé toute sa vie (40).

Un message affranchi de toute contrainte formelle, des écueils des langues, des gouffres de sens et d'interprétation, telle est la nature d'un mythe : ils sont le reflet de notre aspiration dépassant les limites de vocabulaire à formuler l'ensemble de nos connaissances en un tout unique, en une seule et gigantesque réserve de rêves et de savoirs. Par-delà les préoccupations quotidiennes, les désirs courants et les désillusions passagères, quelle est réellement la quête de chaque être humain ? Il ne s'agit pas de vivre simplement heureux, ou du moins de limiter le malheur, en s'efforçant de vivre jour après jour selon un certain nombre de règles et de principes. Les mythes ne délivrent pas les clés du sens de notre existence : il revient à chacun de déterminer ses buts et de trouver, un pas après l'autre, les raisons de poursuivre la route. Les rayons que nous parcourons sont cachés, et l'écoute de la musique des sphères peut nous en dévoiler certains. Mais les mythes ne renferment pas la solution au « pourquoi » de notre vie : il poursuit une chimère, celui qui recherche la vérité mystérieuse de sa présence au monde.
Notre quête essentielle sera celle de ressentir la vie, apprécier cette émotion extraordinaire « d'être vivant », en correspondance avec l'ensemble du monde. Le sens caché du mythe est qu'il n'y a pas d'autre raison d'être en vie que de savourer ces instants d'existence, de vibrer pleinement au son de la musique universelle. Ce que les mythes nous enseignent n'est autre que ce que nous sommes prêts à y apporter, notre si particulière capacité à « être ». Les mots de Joseph Campbell nous serviront une fois encore à illustrer de la façon la plus claire et la plus juste ce sentiment indéfinissable qu'est l'existence :

« Certains pensent que nous cherchons avant tout à donner un sens à notre vie. Je ne crois pas que là réside notre quête. Je crois plutôt que nous voulons nous sentir vivants. Nous voulons goûter, une fois au moins, la plénitude de cette expérience de façon que tout ce que nous vivons sur le plan physique éveille un écho au plus profond de notre être, de notre réalité intime. Ainsi, nous pourrons véritablement faire l'expérience de cette sensation extatique : être vivant. Tout est là. C'est ce que des indices nous aident à découvrir au fond de nous. [Les mythes sont] des indices qui nous révèlent les potentialités spirituelles de l'homme. » (41)



Partant d'une sensation si vive, comment transmettre une telle émotion par le biais nécessairement limité, tronqué, d'un récit graphique ? Peut-on approcher une infime partie de la richesse mythique lorsqu'il s'agit de jouer d'une manière unique ne serait-ce qu'une note de la musique universelle ? Toute la force de la bande dessinée tient en sa dimension symbolique de figuration : elle parle le langage des images, des représentations. En renouant avec la forme quasi originelle du mythe, qui a succédé au langage universel bien avant l'apparition des langues spécifiques, elle assure le lien entre la modernité et l'intemporalité, entre le caractère éternel du récit et sa constante vitalité.
Le dessin est bien à la base un symbole, c'est à dire la manifestation graphique d'une notion d'ordre supérieure, de sens complexes et multiples, qui permet d'exprimer ce que le langage ne peut rendre de lui-même. Plus qu'un complément de la langue, il en est l'unité dominante qui intervient lorsque l'importance et la densité du message échappent à la formulation courante. Will Eisner remarque à ce propos que
« pour être sûr d'être bien compris, l'auteur [de bande dessinée] doit parler un langage universel. » (42) Parce qu'elle repose sur des clichés qu'elle retravaille sans cesse, sans jamais leur laisser l'occasion de se figer, la bande dessinée traduit au mieux la portée, l'énergie et la vivacité des mythes.
Après avoir été mis à mal par la rigueur des arts nobles qui leur ont emprunté leur « substantifique moëlle », les mythes retrouvent leur figuration la plus antique. Le symbolisme de la bande dessinée est ce qui correspond le mieux à une forme de musique universelle. Elle est véritablement un langage général qui aplanit les différences de langues et de cultures : le dessin est accessible par tous, quelle que soit sa religion ou sa nationalité. En véhiculant des images dont la signification dépasse les limites inhérentes à l'identité de chacun, la bande dessinée s'impose comme le medium idéal des récits mythiques qui nous pénètrent de leur magie.

La bande dessinée a longuement été comparée à l'écriture par hiéroglyphes de l'ancienne Egypte. Si la similitude nous apparaît aujourd'hui grossière, tant les mécanismes de lecture en sont distincts, il est intéressant de s'interroger sur le sens de ce rapprochement. Chaque dessin ne transmet en lui-même aucun sens. Il fonctionne comme une lettre séparée du mot. La succession de ces signifiants nous conduit à la compréhension globale du récit, mais la qualité essentielle du dessin est de pouvoir traduire un sens différent que celui induit par le texte qui l'accompagne. Le dessin de bande dessinée peut assumer un décalage complet entre ce qu'il nous montre et ce que le texte est supposé dire. L'image est alors libre d'interprétation, contrairement au texte qui n'a d'autre choix que de correspondre à ce qui est écrit. La bande dessinée échappe alors au sens définitif imposé par tout récit purement littéraire. Lorsqu'elle entreprend de nous raconter à sa façon les mythes universels, elle les enrichit de cette pluralité de sens. A l'instar des hiéroglyphes, dont le sens varie continuellement en fonction de ceux qui lui succèdent, l'image de bande dessinée se dispense de rendre compte de sa signification concrète. Le lecteur est libre d'imaginer tous les tenants et aboutissants d'un dessin particulier, en jouant sur l'attente de la révélation qui lui apportera les réponses, ou du moins une partie des réponses.

Le mode de lecture influence également notre perception du mythe. La bande dessinée est le seul medium à proposer véritablement une lecture à diverses orientations : à l'opposé de la linéarité du cinéma et de la littérature, sa fragmentation autorise une trajectoire aléatoire que le lecteur est libre d'emprunter ou non. Le regard se pose d'abord sur une vignette remarquable, et englobe aussitôt toute la double-page. Il évolue ensuite au gré des séquences, s'arrête sur des effets de couleurs ou des compositions inattendues, et tout cela avant même d'avoir entamé la lecture de la première case. La bande dessinée nous laisse même la latitude de connaître la fin du récit, sans avoir eu la moindre approche des personnages ni de l'histoire. Thierry Groensteen, dès les premières pages de son
Système de la bande dessinée, attire notre attention sur cette liberté accordée au lecteur : « La bande dessinée, plus que le cinéma, bénéficie de la collaboration des lecteurs : on leur raconte une histoire qu'ils se racontent à eux-mêmes ; à leur propre rythme et imaginaire, en allant en avant et en arrière. » (43)

C'est un mode unique de familiarisation à l'univers mis en place, aux êtres qui l'animent et aux aventures qu'ils traversent. Par un simple feuilletage des pages, le lecteur investit l'histoire que l'on s'apprête à lui conter : il a déjà connaissance des temps forts du récit, pour les avoir identifiés grâce à la mise en scène et à leur position dans la narration, il sait l'importance de chacun des héros et chacun d'eux correspond à un modèle attendu, tout en ménageant sa part de surprise et d'inconnu, comme les personnages de
La Quête de l'Oiseau du Temps peuvent au premier abord renvoyer à leurs archétypes puis trahir notre attente en évoluant de façon totalement surprenante.

C'est donc par l'instrument même de sa modernité - le dessin, le travail continu sur la forme - que la bande dessinée tisse un réseau propice à l'illustration des grands mythes, ces derniers pouvant ainsi s'exprimer de nouveau par leur langage symbolique. Car les réponses aux questions posées par les mythes ne sont pas contenues dans l'histoire en elle-même. Il revient à chacun de découvrir seul le sens véritable du symbole, de se forger sa propre interprétation. Malgré leur universalité, les mythes s'adressent à nous individuellement. Les valeurs qu'ils transmettent nous interpellent tous d'une façon légèrement différente et l'on y trouve ce que l'on est prêt à comprendre et à accepter, selon les nombreux âges de la vie. Les mythes sont intemporels parce qu'ils franchissent les barrières de la jeunesse, de l'âge adulte, puis de la vieillesse, et qu'ils accompagnent chaque période essentielle de notre existence. Les enfants sont émerveillés par les mondes qu'ils font jaillir pour eux, et ils y puisent la force et les moyens de grandir, de vaincre les angoisses et les troubles de l'enfance en prenant connaissance de l'universalité de ces mêmes difficultés : ce qu'ils ressentent, chaque être humain l'a éprouvé avant eux, et les mythes leur indiquent qu'il ne sont pas seuls pour avancer, de même qu'ils les éclaireront lorsque, devenus adultes, ils seront confrontés aux inévitables épreuves que la vie ménage à ses « héros ». La magie des mythes est en cela fort simple, et donc universelle : nous somme tous des héros, et le voyage de ces personnages que nous admirons tant n'est, finalement, que le reflet de notre propre cheminement.

1. 3. 3 Vers La Quête de l'Oiseau du Temps

La première partie de cette étude nous a permis d'établir l'outil critique indispensable à la compréhension des mécanismes de la bande dessinée, à partir duquel se dessinent tous les enjeux relatifs à la forme de ce medium si particulier. Il a souvent été annoncé que La Quête de l'Oiseau du Temps correspondait aux critères définis comme idéaux à la transmission des grands mythes, à leur modernisation dans le cadre d'un genre narratif atypique qui s'adresse aujourd'hui à une audience de plus en plus étendue. Ce cycle d'aventures imaginé par Serge LeTendre et Régis Loisel s'inscrit en effet dans l'utilisation enrichissante et parfaitement maîtrisée des nombreuses considérations techniques que nous avons développées.

La vignette s'est présentée comme l'unité signifiante la plus restreinte du récit de bande dessinée. Point d'articulation clairement distinct, maillon fondamental de l'ensemble, elle est autant solitaire que dépendante du système général qu'elle constitue. Sa fragmentation la positionne en déséquilibre vis à vis de séquences plus larges, ces dernières ne pouvant pourtant pas se priver de l'une d'entre elles, tant leur corrélation est complexe et indissociable. Nous le constatons lors de la saisie du multicadre, qui manifeste, malgré sa supériorité de sens sur la vignette, la même dépendance envers l'unité qu'elle n'en ressent à son égard. Le multicadre offre néanmoins l'avantage de se prêter plus en profondeur à l'analyse : là où la vignette ne témoigne que de la curiosité liée à son aspect inachevé, il autorise un regard fédérateur sur l'ensemble d'une séquence, dont l'impact est plus important que celui de chaque unité prise séparément. Cela dit, tous ces regroupements n'aboutissent qu'à l'évidente nécessité d'un principe encore supérieur, le macrocadre, qui réunit tous les éléments constitutifs d'une série de bande dessinée et qui nous a conduits à voir en lui la forme idéale pour accueillir les mythes universels. Il est le vecteur adéquat pour rendre compte des dimensions d'une telle histoire, qui renverse les barrières du simple album, frontière matérielle par trop restrictive pour contenir l'équivalent d'un grand récit mythique.
La Quête de l'Oiseau du Temps, épopée initiatique moderne fondée sur les schémas ancestraux, a la particularité d'être à la fois longuement développée et pourtant complète, permettant ainsi l'appréhension de l'ensemble de ses symboles et applications.

Ces grands ensembles distinctifs vont à présent nous servir à illustrer l'exploitation qu'ont réalisée Loisel et LeTendre des thèmes et des séquences fondateurs des mythes, dans un souci constant de modernité afin d'aboutir à la création d'une mythologie personnelle, forme de récit enrichie des connaissances qu'ont les auteurs de la structure mythique et de leur propre culture imaginaire. La modernité de la bande dessinée telle qu'elle nous est apparue est évidemment une conséquence de sa forme interne, mais elle résulte surtout des apports que chaque auteur vient greffer sur un schéma initial.
La Quête de l'Oiseau du Temps s'est nourrie d'un imaginaire propre à son époque : elle est le fruit de multiples emprunts et références à un ensemble d'oeuvres relevant du genre fantastique et merveilleux, associés à un « squelette » mythologique qui détermine leur agencement et leur correspondance. L'imaginaire de chaque créateur de bande dessinée renforce ainsi le mythe de sa personnalité.

Notes :

1 GROENSTEEN Thierry, Système de la bande dessinée, ch.3 p.171, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
2 PEETERS Benoît,
Lire la bande dessinée, éd. Champs Flammarion, 1998.
3 Id. p.19-20.
4 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.54, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
5 TRONDHEIM Lewis,
Le Dormeur. Un seul dessin minimaliste est reproduit tout le long de l'album sans aucune modification graphique. Les seuls changements interviennent au niveau du texte. Le tour de force de Trondheim consiste à savoir captiver le lecteur par le seul enchaînement de répliques comiques, de sorte que le visage du dormeur, inexpressif, semble correspondre chaque fois à l'énoncé qui lui est associé.
6 PEETERS Benoît,
Lire la bande dessinée, p.30-31, éd. Champs Flammarion, 1998.
7
La Quête de l'Oiseau du Temps, « Le Temple de l'Oubli », éd. Dargaud, 1998, page 28, vignette 1.
8 LOISEL Régis & LE TENDRE Serge,
La Quête de l'Oiseau du Temps, « Le Temple de l'Oubli », éd. Dargaud, 1998. Sauf indication contraire, toutes les références à cet album sont issues de la même édition.
9 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.67, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
10 PEETERS Benoît,
Lire la bande dessinée, p.29-30, éd. Champs Flammarion, 1998.
11 Groensteen insiste sur cette propriété paradoxale de la vignette, qui mène le récit vers sa conclusion tout en suspendant, momentanément, son déroulement : « (...) la bande dessinée, en exhibant des intervalles (alors même que la persistance rétinienne efface la discrétion de la pellicule filmique), distribue rythmiquement la fable qui lui est confiée. Pour ignorer la vitesse (ses images sont immobiles et aucune voix n'imprime à ses dialogues un débit), elle n'en propose pas moins une lecture cadencée, une opération rythmée de franchissement de cadres. Son discours a cette particularité d'être discontinu, elliptique, saccadé. Chaque vignette nouvelle précipite le récit et, simultanément, le contient. Le cadre est l'agent de cette double manoeuvre de progression/rétention. » GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.56, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
12 Id. p.33
13 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.21, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
14 VERNANT Jean-Pierre,
L'Univers, les Dieux, les Hommes, p.13, éd. Seuil.
15 « Une image est interprétable au sens où, dans une narration séquentielle comme celle de la bande dessinée, elle est toujours à rapprocher d'autres images, situées en amont ou en aval dans le cours du récit. (...) A ce niveau, la bande dessinée doit être appréhendée sur le mode du réseau, qui permet à chaque vignette d'entretenir à distance des relations privilégiées avec n'importe quelle(s) autre(s). » GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.149-150, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
16 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.27, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques.
17 Id. p.38-39.
18 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.173, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
19 GOSCINNY René & UDERZO Albert,
Les Aventures d'Astérix, éd. Albert René.
20 Thierry Groensteen effectue de façon pertinente cette réduction de l'ensemble à son schéma fonctionnel : « A la faveur d'une brève digression sur le remontage infligé à certaines bandes dessinées, on a vu que, dans une large mesure, c'est le cadre qui fait la vignette. (...) De même la planche, ce conglomérat de vignettes juxtaposées, se laisse-t-elle aisément réduire à son armature, à laquelle nous avons donné le nom de multicadre. La représentation schématique traditionnelle d'une page de bande dessinée n'est d'ailleurs rien d'autre que cette espèce de grille où les compartiments sont laissés vides, le « squelette » valant à lui seul pour le corps de l'objet évoqué. »
Système de la bande dessinée, p.35, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
21 VAN HAMME Jean & ROSINSKI Gregor,
Thorgal, éd. Le Lombard.
22 EISNER Will,
Le Récit Graphique, p.20-21, éd. Vertige graphic, 1997.
23 FROIDEVAL François, LEDROIT Olivier & PONTET Cyril,
Les Chroniques de la Lune Noire, éd. Dargaud.
24 PEETERS Benoît,
Lire la bande dessinée, p.105-107-108, éd. Champs Flammarion, 1998.
25 HERGÉ,
Les Aventures de Tintin, éd. Casterman.
26 LOISEL Régis, propos recueillis par l'équipe de BDParadisio.com en 1998, à l'occasion de la parution du cinquième tome de
La Quête de l'Oiseau du Temps, « L'ami Javin ».
27 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.110-111, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.
28 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p. 60
29 VERNANT Jean-Pierre, cité par SAÏD Suzanne,
Approches de la mythologie grecque, p.9, éd. Lettres 128.
30 EISNER Will,
Le Récit Graphique, p.21-22, éd. Vertige graphic, 1997.
31 « Il se présente sous la forme d'un récit venu du fond des Ages et qui serait déjà là avant qu'un quelconque conteur en entame la narration. En ce sens, le récit mythique ne relève pas de l'invention individuelle ni de la fantaisie créatrice, mais de la transmission et de la mémoire. » VERNANT Jean-Pierre,
L'Univers, les Dieux, les Hommes, p.10-11, éd. Seuil.
32 HENDERSON Mary,
Star Wars, La magie du mythe, p.4, éd. Presses de la cité, diffusion Club France Loisirs, 1999.
33 EISNER Will,
Le Récit Graphique, p.4, éd. Vertige graphic.
34 JUILLARD André,
Le Cahier Bleu, éd. Casterman, coll. Un monde, 1994.
35 VAN HAMME Jean & ROSINSKI Gregor,
Le grand pouvoir du Chninkel, éd. Casterman, coll. Les romans (à suivre), 1988.
36 MOORE Alan & CAMPBELL Eddie,
From Hell, éd. Delcourt, 2000.
37 EISSEN Ariane & ENGELIBERT Jean-Paul,
La dimension mythique de la littérature contemporaine, p. 5, éd. La Licorne.
38 EISNER Will,
Le Récit Graphique, p. 11, éd. Vertige graphic, 1997.
39 BAUDELAIRE Charles, « L'Invitation au Voyage »,
Les Fleurs du Mal, LIII (1857).
40 « Nous avons assisté à bon nombre de cérémonies et nous avons vu beaucoup de sanctuaires, dit l'Américain, mais je n'arrive pas à comprendre votre idéologie. Pas plus que votre théologie, d'ailleurs. » Le Japonais réfléchit intensément, secoua lentement la tête et répondit : « Je ne crois pas que nous ayons d'idéologie. Je ne crois pas que nous ayons de théologie non plus. Nous, nous dansons. »
C'est ce que fit Joseph Campbell. Il dansa toute sa vie, au son de la musique des sphères. » MOYERS Bill et CAMPBELL Joseph,
Puissance du Mythe, p. 22, éd. J'ai Lu, coll. Aventure Secrète, 1991.
41 CAMPBELL Joseph,
Puissance du Mythe, p. 28, éd. J'ai Lu, coll. Aventure Secrète, 1991.
42 EISNER Will,
Le Récit Graphique, p. 23, éd. Vertige Graphic, 1997.
43 GROENSTEEN Thierry,
Système de la bande dessinée, p.13, éd. PUF, coll. Formes Sémiotiques, 1999.

© Sylvain Tavernier 2003 <syltavernier@wanadoo.fr>
Université du Littoral
Lettres Modernes
2002-2003

LE CADRE DU MYTHE
Regards sur l'architecture imaginaire de la bande dessinée
Etude de La Quête de l'Oiseau du Temps,
de Serge LeTendre et Régis Loisel

Mémoire de Maîtrise
sous la direction de Joël Ganault, 2003

partie 2 - partie 3

Étudiant en lettres modernes à l'Université du Littoral, Sylvain Tavernier est un fan des littératures de l'imaginaire en général et de Stephen King en particulier. Il écrit des nouvelles et tient la rubrique de la filmographie de Stephen King, et la plus grande partie des critiques du film du mois de ce site.

Vous trouverez de Sylvain Tavernier sur ces pages :

u une nouvelle :  Un truc qui gratte

une nouvelle : Simon le boiteux

une nouvelle : Josh le Ventru

une nouvelle : Space fantasy

  une étude : la filmographie de Stephen King

 une étude : Approche du mythe de l'un et du double dans l'imaginaire kingien

 

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ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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 # 21  automne 2003

   

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