« Les
hélicoptères surgissent en formation,
chargés de napalm et de missiles qu'ils
s'apprêtent à balancer sur le nid de vermines.
La voix du colonel s'accompagne de la Chevauchée des
Walkyries de Richard
Wagner, tous les hauts-parleurs de la salle
frémissent et la guerre éclate au visage des
spectateurs... »
Les rêves de Lawrence Kasdan
sont facilement accessibles. Obsédé à
l'idée de refaire Apocalypse Now en adaptant un grand roman qui avait su
mêler la science-fiction, le fantastique, le gore et
la comédie, Kasdan s'embrouille dans une intrigue
bien trop complexe qui le submerge dès la
première heure, et il ne reste plus aux fans de King
qu'à rire ou soupirer en comptant les approximations,
les invraisemblances ou les ratages dignes d'un beau et gros
navet.
Si le nanard, par définition, peut trouver
grâce aux yeux du public, tant il manifeste de bonne
volonté et d'enthousiasme (la seule chose qui lui
manque étant, hélas, le talent !), le navet
est une catégorie maudite, plus répandue et
bien plus nuisible. Il est très attendu, il
coûte cher et il rassemble souvent des gens
compétents dont les qualités
s'auto-détruisent au contact de celles des autres,
comme se repoussent deux aimants de polarité
identique. Les navets sont légion dans le
cinéma américain : pour le plaisir, on peut
citer les plus marquants tels que Waterworld, Le Monde Perdu, A.I
(deux Spielberg, tout de même), La Planète des
Singes de Tim
Burton,
et désormais il faudra compter avec ce Dreamcatcher, pathétique de médiocrité
tant il avait toutes les chances de son côté.
William Goldman, scénariste entre autres de
Misery,
Lawrence Kasdan,
qui jadis savait mettre en scène une histoire comme
Silverado et Les Copains d'abord, et bien sûr Stephen King, dont on sait combien les adaptations sont
hasardeuses, mais qui avait écrit un roman
suffisamment dense et riche de références
cinématographiques pour qu'il reste au moins quelque
chose de valable dans le scénario.
La principale erreur des artisans de Dreamcatcher a été de ne pas
prendre conscience du genre d'histoire dans lequel ils
étaient en train de se débattre. La
série B est un art particulier qui demande beaucoup
d'adresse et de solides connaissances à qui veut la
pratiquer, ou mieux encore la retourner à son profit.
Qu'il s'agisse d'un film, d'un livre ou même d'une
bande dessinée, les archétypes sont un
piège à scénaristes maladroits, qui
s'imaginent que manipuler les clichés et les
situations convenues est une gageure dès lors que
l'on y injecte une touche d'originalité. Le roman de
King avait convoqué presque tous les thèmes de
l'horreur et de la science-fiction liée à
l'extra-terrestre pour fonctionner, et sa force ne provenait
que de la distance que King prenait vis à vis de son
sujet. Une telle masse de déjà-vu ne peut plus
aujourd'hui être employée dans un autre but que
la parodie : X-Files,
Independance Day et Mars Attacks ont ravagé le genre, mais personne dans
l'équipe de Dreamcatcher n'en a pris conscience.
King a voulu régler une ancienne dette envers la
série B dont il s'est toujours nourrie, et quel plus
bel hommage que la parodie peut-on rendre à un genre
artistique ? Exploiter les caractéristiques
incontournables d'un type d'histoire, c'est lui
reconnaître une valeur suffisante pour que la
dérision soit perçue par le plus grand nombre.
La série B est depuis trop longtemps, depuis son
apparition en fait, considérée comme un
sous-genre, comme le petit frère malingre que l'on
aime bien mais dont on a un peu honte. Il convient en
réalité de parler de genre parallèle,
ou à la rigueur « d'art mineur » comme
dirait Gainsbourg, mais en aucun cas de sous-catégorie.
Cette distinction s'applique à tous les domaines :
John Carpenter notamment paie cher ce mépris collectif
envers ses films, qui comptent parmi les plus subversifs et
les mieux réussis de tout le panorama du
cinéma fantastique. Et les livres de King, du moins
les anciens comme Simetierre, Marche ou Crève ou Shining,
qu'ils dérangent sur un plan politique ou individuel,
sont toujours catalogués dans le rayon des oeuvres
médiocres et sclérosantes pour l'esprit :
« tous ces monstres, brrrr... » Réaction
aberrante lorsque l'on sait la puissance imaginative de ces
artistes...
Dreamcatcher, donc, s'inscrivait à la suite du
Scream
de Wes Craven
et des oeuvres de Carpenter, dont The Thing constitue bien sûr la
référence principale. Lawrence Kasdan et les autres responsables n'ont pas compris
le projet de King, ils l'ont abordé comme une
intrigue prétexte à moult fusillades et effets
spéciaux, sans jamais se poser la question de la
dimension humoristique ou référentielle. En
clair, ils ont transformé un hommage déconnant
à la série B en série A, gavée
de scènes attendues et réalisées de
manière académique. Le film transpire le
formatage de studio d'un bout à l'autre, que ce soit
les personnages caricaturaux sous-développés,
l'usage abusif du « coup du chat » (rendu
tristement célèbre par sa permanence : en
plein milieu d'un suspens bien tendu, alors que l'on croit
voir surgir le monstre, c'est en fin de compte un chat qui
bondit hors de sa cachette), et surtout l'abondance gratuite
et grotesque des effets numériques qui
désamorcent tout essai de tension tant ils font
tâche dans le décor.
Petit flash-back : le numérique au cinéma a
connu deux révolutions, qui se sont
succédées à deux ans près. En
1991, James Cameron
bouleverse la façon de faire du cinéma en
créant Terminator II et ses morphings sidérants,
déjà exploités auparavant mais jamais
avec une telle qualité et dans ces proportions.
L'ère du numérique s'ouvre pour de bon en
1993, avec le Jurassic Park de Spielberg, qui montre que l'impossible est alors
à la portée des informaticiens. Mais avant
cela, avant ce règne sans partage des ordinateurs,
les artisans du fantastique bricolaient tous leurs effets
à la main : Rick Baker,
Stan Winston
et surtout Rob
Bottin, l'homme de
The
Thing, sont les
pères du cinéma d'horreur, et leurs
marionnettes font partie intégrante de la
série B. Or Dreamcatcher associe à un cadre d'histoire
d'épouvante des créatures numériques
supposées du dernier cri, quand il aurait fallu des
monstres mécaniques animés comme au bon vieux
temps.
Il n'est pas question de critiquer ici le numérique :
Jurassic
Park, Matrix et leurs descendants n'auraient pu
exister sans lui, mais c'est son utilisation
systématique dans un univers qui n'est pas le sien
qu'il faut remettre en cause. La série B doit rester
un genre artisanal, comme ont su le faire The Thing, les Gremlins, ou encore les films de Peter Jackson période pré-Seigneur des
Anneaux. Une
scène gore ne tolère pas le numérique,
il fait fatalement faux quand on prétend
représenter la réalité.
Dreamcatcher s'inscrit dans un contexte
ultra-réaliste de film d'épouvante, et part
dans toutes les directions sans savoir comment montrer ce
qu'on attend de lui. MrGray, le Ripley et les fouines, tout
est passé par le filtre de l'ordinateur. Si les
fouines s'en sortent honorablement par leur aspect en
référence directe à Elmer, le
Remue-Méninges (le seul monstre de l'histoire qui
ressemble à... un étron !), l'alien est
ridicule tant il est conforme à l'imagerie
universelle de l'extra-terrestre. Humanoïde longiforme,
à la tête ovale et aux grands yeux globuleux,
il fait penser à ces affiches humoristiques à
la mode depuis quelques années, où l'on voit
des aliens fumant des joints ou buvant un verre. Pas la
moindre pousse d'originalité dans cette incarnation,
formatée pour ne surtout pas surprendre le public
habitué à voir les mêmes choses, public
que l'on prend de plus en plus pour un abruti
dénué de mémoire et de jugement. Que
les lecteurs de King attendent de voir Duddits se tranformer
lui-même en E.T dans la scène finale pour
mettre la patée à MrGray, et vous aurez une
bonne idée du désastre. Non seulement c'est
mal fait, mais en plus cela laisse entendre que Duddits est
un alien « gentil », envoyé sur Terre il y
a bien longtemps au cas où les Gris viendraient y
faire un tour : c'est vraiment saborder le texte original de
King, qui a toujours accordé aux handicapés ou
aux simples d'esprit des pouvoirs particuliers, mais pour en
faire des guides ou des agents du Bien et certainement pas
en se réfugiant dans la pirouette fumeuse de
l'origine extra-terrestre.
J'ai commencé ce texte en espérant pouvoir
trouver à ce film certaines qualités, quelques
perles improbables qui seraient passées à
travers les mailles du nivellement général. Le
casting ne vient pas à la rescousse des tristes
ambitions du réalisateur : Morgan Freeman, d'ordinaire si impeccable, si charismatique,
en fait des tonnes et donne à Curtis des allures de
bouffon hystérique, méchant et sadique mais
dangereux pour personne. Ce n'est pas demain que l'on saura
égaler Marlon Brando...Tom Sizemore de son côté se débat
désespérement pour incarner Owen Underhill
dont le rôle a été sabordé, et il
ne dépasse pas les dix minutes à
l'écran, ce qui paraît incroyable quand on
connaît l'importance du personnage. Quant aux quatre
amis, ils sont relativement bien choisis, excepté le
bellâtre hollywoodien qui prétend jouer Henry
en ne développant surtout pas plus de deux
expressions de visage. Dreamcatcher a pour lui le seul mérite de nous faire
découvrir Timothy Olyphant qui se dévoile, dans la peau de Pete,
comme un formidable sosie de Jack Nicholson : même regard, même gestuelle,
même menton carré et surtout les deux
mêmes sourcils circonflexes qui avaient permis
à Nicholson de jouer Shining. Olyphant fait presque figure de
naufragé tant il joue juste et donne à son
petit rôle l'émotion nécessaire.
Finalement, Dreamcatcher est trop court. Vite tourné pour
être vite envoyé aux équipes des effets
spéciaux, il installe quelques jolies scènes
et un suspens crédible, pas de première
fraîcheur mais efficace, et tourne rapidement au
n'importe quoi. Les scènes de grande envergure, comme
les opérations militaires ou les déplacements
de population, se réduisent en durée et en
qualité à mesure que le film avance. Un film
d'action où la tension et l'intérêt se
désagrégent au plus on approche du
dénouement à de quoi faire s'enfuir les moins
regardants. On pourra sauver la représentation
très inspirée du bureau mental de Jonesy
où il trouve refuge, ce qui n'avait rien
d'évident tant King avait multiplié les voix
intérieures et les points de vue. C'est encore plus
décevant de voir que Kasdan se tire avec classe de ce
défi narratif et se prend les pieds dans les erreurs
les plus évidentes.
On se retrouve donc avec un beau navet,
incompréhensible pour ceux qui ne connaîtraient
pas l'histoire, et pathétique pour ceux qui l'ont
lue. Un film qui ne peut intéresser ni les fans ni
les néophytes, voilà qui mettra tout le monde
d'accord ! Ce n'est pas ce genre d'adaptation baclée
qui favorisera la démocratisation de ces arts mineurs
et incontournables que sont la série B et la
littérature fantastique.
article de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> -© avril
2003
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