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Mr. X
Plon éd. 2000
Cela faisait douze ans, depuis la publication de
Koko en 1988, que Straub avait délaissé le genre fantastique pour se
spécialiser dans les mystères macabres. Dans des
petites villes, sur lesquelles, à la manière de
King, il fournit
de nombreux détails, Straub a mis en scène des crimes
extraordinaires auxquels étaient mêlés des gens
ordinaires qui se posaient des questions sur leur absence ou non de
participation ou de responsabilité morale. Avec Mr. X, son
quatorzième roman, Straub retrouve partiellement
ses racines de l'horreur. Sur un surnaturel autre que celui de
Julia
ou de Ghost Story), il greffe habilement l'enquête policière
à laquelle il nous avait depuis habitués.
Ned, trente-cinq ans, travaille dans une
société de logiciels et retourne dans sa ville natale
(Edgerton, en Illinois) où sa mère, Star, se meurt.
Avant de mourir, sa mère lui révèle le nom de
son père qu'il n'a jamais connu, et le prévient qu'il
court un grave danger. Dans cette petite ville qui rappelle la Derry
de Ça, avec ses égouts et son monstre, Ned côtoie
aussi bien la bourgeoisie que les bas-fonds. Il se trouve l'objet de
manipulations variées, au travers desquelles il doit retrouver
sa vérité, qu'il peine à construire, chacun lui
fournissant des éléments biaisés. La
détermination de Ned d'en savoir le plus possible le conduit
dans une quête incessante et dans un réseau de de
traîtrises et de meurtres, qui lui font rencontrer de
nombreuses fois la police, qui le trouve dans de multiples coups et
partout où il se passe quelque chose. En proie à la
haine d'un lieutenant, il s'en sort chaque fois grâce à
un capitaine particulièrement intuitif. Ce policier subodore
que Ned n'est certes pas aussi clair qu'il le prétend, qu'il
se trouve sur un coup, sans qu'il puisse prévoir lequel, et
sur lequel Ned possède des données qu'il n'a
pas.
Effectivement, Ned n'est pas simple. Il a
été différent des autres enfants. Pas seulement
par le fait qu'il n'a pas de père, et qu'il le cherche avec
obstination, maintenant qu'il a des informations à confirmer :
le titre du roman vient en partie de la poursuite de son ascendance.
Mais aussi, deuxième anomalie, parce que depuis qu'il est tout
petit, il scrute "la chose absente", son double, qu'il ne peut pas
encore nommer. Puis il le rencontre, frère de sang, né
de la même mère lors du même accouchement, n'ayant
pas de reflet, capable de passer les portes sans les ouvrir et de
lancer d'autres défis aux lois de la nature. Ce frère
finit par se faire connaître, s'associe à ses projets,
tout en poursuivant ses desseins particuliers. Cette histoire sur le
motif du double, de sa découverte à la difficile
coexistence et à son acceptation, est une des plus riches et
originales sur le motif que j'ai lues. Et enfin Ned consolide peu
à peu un mystérieux pouvoir, celui de passer dans un
autre temps, et de faire des voyages «ailleurs», y compris
avec un passager comme dans Le
Talisman...
Ned cherche aussi à résoudre le
mystère des crises qui le torturent chaque année lors
de son anniversaire, pendant lesquelles il «voit», depuis
qu'il est petit garçon, des meurtres horribles commis par un
personnage mystérieux qu'il rencontre ainsi
régulièrement, un sadique qu'il décide d'appeler
Mr. X. Une grande partie de l'histoire nous est racontée par
Ned, et nous la vivons surtout de son point de vue. Mais une
deuxième voix se fait aussi entendre dans le récit,
celle de l'esprit perverti de Mr. X., un illuminé qui croit
que les histoires racontées par Lovecraft sont
véridiques. Dans sa folie, il s'imagine investi d'une mission
sacrée par les Grands Anciens, confiée par le
maître de Providence. Il a d'ailleurs commis un livre de
nouvelles lovecraftiennes, De l'au-delà, qui va jouer son
rôle dans le récit. Doué lui aussi de pouvoirs
particuliers, capable de disparaître notamment d'un endroit
pour réapparaître à un autre, il sait qu'un
ennemi le menace, un fils; qu'il possède une ombre ou un
double caché; que ses talents grandiront avec l'âge et
qu'il doit être éliminé pour ne pas
empêcher la venue des temps nouveaux. Jusqu'à
présent, il ne peut entrer en contact avec lui que lors de ses
anniversaires, mais jusqu'à présent sans succès.
Le lien apparaît vite au lecteur entre cette possibilité
du père démoniaque et les crises annuelles que subit
Ned.
Dans sa quête d'identité, Ned va
découvrir les personnalités singulières,
extravagantes, un peu inquiétantes, des membres de sa famille,
concentré de passions et de haines ancestrales. Tribu bizarre,
à la fois soudée et querelleuse, douée de
pouvoirs paranormaux variés, qui rappelle le roman de Clive
Barker
Galilée. Cette famille parasite, à la morale
élastique, mène une vie d'arrangements, volontiers
prédatrice grâce à certains de ses membres
habilement kleptomanes (pour eux, une simple technique de
redistribution des biens). Cette galerie de portraits aux traits
vraiment particuliers amène une note d'humour importante dans
un récit lourd, à l'atmosphère dense. Ned essaie
d'apprendre son histoire des uns et des autres, mais ne recueille que
des bribes de vérités noyées dans des flots de
fadaises. Chacun a sa version des événements, rendant
Ned perplexe. Il finit par apprendre que sa mère Star,
chanteuse, n'a pas eu une vie très rangée et
qu'à dix-huit ans elle a mis au monde deux enfants... Et
qu'elle a eu dans sa jeunesse un gourou lovecraftien... D'autres
personnages non familiaux intriguent par leur originalité et
leur complexité, étalant les noires dimensions de
l'esprit humain.
Cette variation moderne sur L'abomination de Dunwich de
Lovecraft, est
remarquablement construite, pleine de recoupements, de scènes
reprises avec un sens nouveau, de divers éclairages sur la
même situation, avec des significations différentes.
Elle joue de l'espace et du temps avec habileté, surprenant
sans cesse aussi bien le héros du récit que le lecteur.
Le texte évocateur, mélange indissociable de terreur
pure et de badinerie bouffonne, de peur, de gore et d'humour noir,
marque le retour triomphal du paranormal et du surnaturel dans les
romans de Straub. Ce roman, dont la devise pourrait être
l'épitaphe qu'un personnage fait graver sur sa tombe :
"Fiez-vous à
l'inattendu", ne cesse de dérouter
son lecteur jusqu'à la dernière phrase, ultime
pirouette, qui jette un doute sur l'identité du narrateur et
oblige le lecteur dépité à reconsidérer
le récit...
Roland Ernould, avril 2001.
édition
américaine, 1999.
La quatrième de
couverture :
À chaque date anniversaire,
Ned Dunstan est victime d'une transe où surgit un tueur
sadique, M. X. Saisi d'une prémonition, il retourne à
Edgerton, dans l'Illinois, la ville de son enfance, pour revoir sa
mère qui est mourante. Avant de s'éteindre, elle lui
révèle le nom d'un père qu'il ne connaît
pas et l'avertit qu'il court un grave danger. Dans sa quête de
ce père énigmatique, il va vivre quantité
d'aventures extraordinaires, qui vont l'éclairer sur sa propre
identité et lui dévoiler les membres d'une famille
étrange, voire inquiétante. Il va ainsi
découvrir l'existence d'un trouble frère jumeau
doté de pouvoirs surnaturels, et sera soupçonné
de trois meurtres avant d'être confronté avec le
maléfique Mr. X.
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l'auteur : Peter Straub est né
à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2 mars 1943. Il
est l'aîné d'une fratrie de 3 garçons.
Son père était commerçant, sa
mère infirmière. Le père voulait qu'il
devienne un athlète, la mère un docteur ou un
ministre Luthérien. Lui voulait était lire et
apprendre, et il leur fit espérer un métier de
professeur. Études à l'université de
Wisconsin, Colombia University, et au University College de
Dublin. A résidé pendant trois ans en Irlande,
à Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre
à Londres (1972-1979), puis aux USA dans le
Connecticut, où sa femme Susan était
née. Il habite aujourd'hui New York (3 enfants). Il a
écrit à ce jour 14 romans, 2 recueils de
nouvelles, des nouvelles et de la poésie. Nombreuses
récompenses littéraires. En particulier,
Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus
littéraire des romanciers de terreur attire à
la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels
du polar . Le nouveau Talisman 2,
écrit en collaboration avec Stephen King, Black House, est sorti en Octobre 2001. infos
|
Roland Ernould, mai 2001.
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