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Julia
(1975) trad. fr.: id., Seghers 1979.(premier titre :Julia,
(Le cercle
infernal)
En 1974, le fantôme excite
l'intérêt de Straub. Influencé par la nouvelle
d'Henry James Le Tour
d'écrou ,
il écrit Julia, une histoire de
fantôme et de maison hantée. Straub, bien
qu'Américain, vivait alors en Grande-Bretagne (le «pays
des fantômes»!) avec sa femme anglaise (il vécut
dix ans en Angleterre et en Irlande), et Julia peut être
considéré comme une histoire de fantômes à
l'anglaise, sur le plan de la conception comme sur celui de
l'exécution. Straub s'intéresse à l'idée
du revenant dans la perspective d'un esprit vengeur issu d'un
passé qui se refuse à mourir. Si les trois romans de
fantômes de Straub se montrent efficaces (Julia,1975;
Tu as beaucoup changé,
Allison, 1990; Ghost Story, 1979), c'est
qu'ils traitent en effet surtout du passé, de la force des
souvenirs, et que dans leurs intrigues, le passé continue
d'exercer sur le présent une influence maléfique.
Julia passe
pour un roman de fantômes. Mais en considérant les
divers personnages, le lecteur se rend compte que presque tous
pensent avoir subi des hallucinations, vécu des illusions et
avoir été victimes de leurs sens. Ce sont des gens
prédisposés à accepter le surnaturel, ou dans un
état tel qu'ils ne réagissent plus rationnellement, et
le roman peut se décoder au premier degré, en n'y
voyant que fantasmes et coïncidences.
- Julia, jeune femme dans la trentaine qui donne son nom au roman,
est désaxée depuis qu'elle a subi un grand choc
émotif à la mort de sa fille Kate, qui s'est étouffée avec un morceau de
viande. Julia ou son mari l'ont tuée accidentellement en
tentant de pratiquer sur elle une trachéotomie avec un couteau
de cuisine.. Julia se sent
impardonnablement coupable. Elle a vécu quelque temps dans une
maison de repos, et vient juste d'en sortir . Elle vient, sur un coup
de tête, d'acheter une nouvelle maison qu'elle habite seule,
rompant brutalement avec son mari, Magnus. Elle vit par impulsions,
sur ses nerfs. Peu à peu, elle se met à boire, se
nourrit mal.
- Magnus, la cinquantaine, apparemment plus solide, devient un
ivrogne. Depuis le départ de Julia, il a perdu ses
repères et traîne plutôt qu'il ne vit.
- Sa soeur Lily, célibataire, croit au spiritisme par
désoeuvrement, et a présenté à Julia un
adepte qui a créé un problème en demandant
à Julia de quitter au plus vite sa maison, sans donner
d'explication.
Si bien que l'histoire aurait pu être montée de toutes
pièces par des esprits quelque peu égarés,
voyant - croyant voir - des fantômes et percevoir leurs
manifestations. De nombreuses circonstances montrent par exemple
Julia se demandant si elle n'a pas, dans l'inconscience, fait un acte
qu'elle impute à l'esprit qui hante sa maison.
L'autre explication des fantômes se
trouverait dans des interprétations parapsychiques. Les
fantômes s'empareraient des mobiles psychologiques et, dans
certains cas, de la totalité des esprits des hommes qui les
imaginent. Un transfert psychologique s'opérerait de leurs
peurs (parentales, maritales) sur les lieux (la maison par exemple,
ou le jardin). Les fantômes deviendraient ainsi inhumains quand
les hommes ont dépassé les limites d'une vie humaine
normale (inadaptation, folie, crime).
Le jour de son arrivée, Julia a
aperçu dans la rue, allant dans un parc près de chez
elle, une petite fille blonde, qui ressemble à Kate. Elle l'a
vue enterrer devant d'autres gamins quelque chose dans le sable. Une
fois la fillette partie, Julia creuse un trou et découvre un
couteau, puis le cadavre mutilé d'une tortue. Ce spectacle
inattendu lui fait penser à la trachéotomie dont est
morte Kate, et elle pense qu'elle est peut-être son
fantôme. Une vague idée, sans plus.
Julie la revoit, manifestant une atrocité
inattendue : la fillette glisse un oiseau vivant dans les rayons de
sa bicyclette et fait tourner la roue, coupant la tête de
l'oiseau. Elle ressemble à Kate, mais Julia remarque qu'elle
porte des vêtements désuets et qu'elle a une incisive
cassée. Il s'agit en fait d'Olivia, fillette blonde qui
ressemble étrangement à Kate. Elle a vécu jadis
dans la nouvelle maison de Julia et a participé naguère
à la mort d'un petit garçon. La mère du petit
garçon, qu'a tué jadis Olivia, lui révèle
que son fils, étranger, était le souffre-douleur du
groupe d'enfants, et qu'ils ont participé au meurtre sous la
direction d'Olivia. Curieusement, devenus adultes, tous ont
échoué dans leur vie et la plupart sont morts. D'un
survivant, Julia apprend des détails. Olivia a forcé
les enfants du groupe à tuer des animaux et à boire
leur sang; à voler, et même à allumer un
incendie. Elle leur apprend tout sur le sexe, se fait lécher
par une enfant. Elle a étouffé son camarade de jeu avec
un oreiller sur lequel elle s'est assise, puis lui a fait mordre le
sexe par un autre gamin. Kate sait maintenant que le petite fille
fantôme est une Olivia maléfique, et non sa fille.
En rentrant chez elle, elle lit sur son miroir les
mots : "Tu sais", écrits au savon. La nuit, des petites mains
la caressent sur le corps et le sexe, l'amenant au plaisir contre sa
volonté. Le lendemain, elle voit pour la première fois
la petite fille dans sa maison, dans le miroir, souriante et tenant
à la main un corps d'oiseau réduit en pulpe. La voyante
et les informateurs de Julia meurent, assassinés. Enfin,
à la bibliothèque, Julia comprend : sur un ancien
journal, elle voit une photo d'une réception de la mère
d'Olivia, tenue par les épaules par un Magnus de 21 ans :
Magnus est le père d'Olivia, comme le père de Julia, et
toutes deux sont "mortes
poignardées. (...) Soeurs, elles étaient soeurs. Femmes du même
homme. Mère de filles assassinées."
Le deuxième motif du roman est celui de la maison
hantée. King a développé l'idée dans
Pages Noires que l'idée que la maison hantée pouvait
"devenir le symbole d'un
péché non expié", et
qui est devenue le pivot de son roman Shining, écrit avant
que paraisse Julia.
Impulsivement, Julia a acheté, pour s'y
sentir protégée, une maison en briques solide, de style
néo-georgien, qui correspond à son besoin de calme et
de solitude (plus tard, Julia comprend le sens de son achat :
"Quelque chose dans cette maison exigeait
que je l'achète."). Les premiers
incidents paraissent bénins : Julia perd deux fois sa
clé, à sa première sortie elle oublie la
troisième dans la maison et ne peut entrer qu'avec
difficulté chez elle par une petite ouverture dans laquelle
elle se blesse. Il lui semble que la maison "oppressante",
la "repousse".
Quoiqu'elle fasse, la température de la maison est
brûlante, et toutes ses tentatives pour couper les convecteurs
et le chauffage général s'avèrent
inopérantes. Quelque temps après, tout s'est
réenclenché. Il lui semble qu'il y a une
présence, elle entend des frôlements, des froissements
comme si quelqu'un se déplaçait dans
l'obscurité, un vase de fleurs est brisé la nuit , le
jardin l'inquiète . Un poltergeist? Julia,
désemparée, est passée en peu de jours de la
quiétude à la peur : "La
maison constituait une structure immense et puissante, qui
l'excluait, la repoussait, résistait à son intrusion,
se refusait à lui céder. Julia ressentait durement
cette intransigeance. Elle avait plus que jamais l'impression de
vivre dans une immense désillusion, dans l'erreur que sa vie
était devenue. Et dehors, des forces puissantes attendaient
leur moment : un homme et une enfant." Le
temps passe et les bruits se précisent, les voix d'une femme
et d'une petite fille, des mesures de musique.
La maison a été habitée
pendant vingt ans par une Américaine, comme Julia, une
play-girl mondaine séparée de son époux, vivant
des largesses de ses amants. Elle a eu une fille, Olivia, qui fut
inquiétée par la police pour avoir, à la
tête de jeunes enfants, molesté un camarade de quatre
ans , retrouvé mort. La mère tua sa fille un an plus
tard, selon la rumeur parce qu'elle la pensait folle, connaissant ses
cruautés, dont elle aurait été la confidente.
Condamnée à la prison, elle fut enfermée dans un
hôpital psychiatrique, comme Julia l'a été un
moment dans une maison de santé. Quand sa mère l'a
tuée, Olivia avait l'âge de Kate, la fille de Julia, et
sa chevelure était blonde. Julia est allée voir la
mère à l'hôpital psychiatrique. Cette
dernière lui tient des propos incohérents et
insultants, lui dit en passant qu'Olivia était mauvaise,
maléfique : "Le Mal, ce n'est pas
comme les gens ordinaires. On ne peut pas s'en débarrasser. Il
se venge. Ce qu'il veut, c'est la vengeance, et il
l'obtient."
Julia est une fille complexe, incapable de dominer
les divers aspects de sa personnalité, divisée,
masochiste, était une proie offerte. Son père, son
époux, en dernier lieu Magnus ne pouvaient que profiter de la
situation. Ses dernières pensées sont elles-mêmes
ambiguës. Elle meurt dans le désordre matériel
(bruits, petites explosions dans la maison) et dans la confusion
mentale: "Je voulais te libérer,
pensa Julia, c'est à dire que je désirais te donner la
paix. Mais tu ne veux pas la paix. Tu veux tout diriger. Tu nous hais
tous et tu hais cette maison." En fait, ce
sont ses sentiments qu'elle transpose : je voulais me libérer,
trouver la paix. mais les autres veulent tout diriger. Je les hais
tous, comme je hais cette maison. La vie de Julia aura
été un échec total, la victime
rêvée des prédateurs.
Car Julia morte, son immense fortune revient
à Magnus, et indirectement à sa soeur Lily. On se rend
compte alors que, depuis le début de l'histoire, ils n'ont agi
en fait à son égard que pour conserver l'argent de
Julia, qu'ils l'auraient perdu si elle avait divorcé. Dans sa
naïveté et son insouciance de l'argent, Julia ne s'est
même pas rendu compte qu'elle n'avait plus rien à elle
et que Magnus s'était emparé de tous ses biens. Mais
ils ne jouiront certainement pas longtemps de cette richesse qui
perpétue la tradition de la famille de l'accumulation des
fortunes par la spoliation d'autrui. Le récit se termine par
une scène où Lily voit de sa fenêtre une petite
fille devant sa maison, aux cheveux d'or et aux yeux bleus
dénués d'expression. La vengeance n'est pas
terminée, et Magnus a tout à craindre maintenant,
après sa victoire facile. D'autres prédateurs, d'un
monde-autre ceux-là, veillent dans l'ombre. Julia, qui, comme
sa fille, n'a pas eu la tombe qu'elle souhaitait, dans le
cimetière qu'elle avait choisi, attend peut-être son
heure.
King a noté que, dans le nouveau gothique américain,
l'apport plus particulier de Straub est l'examen des "effets sur le présent d'un passé
maléfique". Le conditionnement par
l'enfance malheureuse, qu'on retrouvera dans presque toutes les
oeuvres de Straub, est mis en évidence dès ce roman.
"«Aucun homme intelligent ne croit au
passé» remarque un personnage
secondaire auquel Julia demande des informations, qui ajoute cette
formule tout à fait adaptée à son cas
: "«Ceux qui croient au passé
sont condamnés à y vivre.»"
Julia doit ainsi affronter son passé
récent, qu'elle ne peut oublier, qui se trouve relié
à un passé plus lointain, dont les similitudes ont
été fréquemment soulignées (filles du
même âge, de la même apparence, tuées
volontairement ou involontairement par leurs mères, filles du
même père à plus de vingt ans de distance). Mais
il y a aussi le passé plus lointain : elle a été
élevée par un père prolixe, importun et
autoritaire, dont la fortune vient d'ancêtres qui l'ont
amassée dans la souffrance des autres : l'arrière
grand-père impitoyable baron du rail, avec "du sang jusqu'aux coudes"; le
grand-père en faisant autant, abattant des forêts,
polluant des fleuves, ruinant des sociétés, tuant des
hommes. L'argent de Julia porte une tache indélébile
et, symboliquement, l'eau qui sort de ses robinets a la couleur
l'odeur métallique du sang et des pièces, d'un tas de
"vieilles pièces de monnaie
graisseuses.". Magnus et sa soeur ont
été élevés par des parents d'une froideur
"monumentale",
uniquement préoccupés d'eux-mêmes, totalement
indifférents aux opinions et à la sensibilité
d'autrui. Ils ont laissé leurs enfants à la garde d'une
succession de précepteurs, abandonnés dans un silence
quasi total en dehors de l'enseignement donné. L'attachement
à sa soeur est dû au fait qu'ils ont toujours
vécu complices, jouant ensemble constamment, possédant
un langage particulier. Dès le début de sa
carrière, Magnus été impitoyable dans sa vie
professionnelle. Et pour le malheur de Julia, il représente
son père...
King note que, outre l'influence reconnue de
Le tour
d'écrou, c'est aussi Shirley Jackson,
avec Maison
hantée qui a convaincu Peter Straub
qu'une "histoire d'horreur est d'autant
plus réussie qu'elle est sobre, retenue et ambiguë);
[qu'] elle ne
hausse jamais le ton." Outre ce style
réservé, Straub a gardé de James
l'habileté de garder ouvertes aussi bien la voie de l'emprise
de la maison sur l'esprit de Julia que celle, psychanalytique, du
masochisme et des tendances autodestructrices de Julia. James avait
signalé qu'en fait sa nouvelle était "une incursion dans le chaos tout en restant seulement une
anecdote." On se rend compte que la
complexité du comportement de Julia, dont la diversité
a été décrite plus haut, n'est que la mise en
oeuvre d'un chaos, semblable, aux dimensions d'un roman. Ce
"chaos"
correspond à la fois à ses sentiments, ses impulsions
et ses velléités contradictoires, et aux
désordres plus matériels qui gagnent peu à peu
la maison jusqu'au pandémonium final. La sensibilité
intense de Julia, son émotivité exacerbée
renforcent "l'illusion narrative et
l'ensorcellement de l'épouvante. Car, en fait, c'est justement
le mécanisme impitoyable du désarroi qui exige le choix
arbitraire d'une certitude, et c'est le besoin de certitude qui
créée des preuves là où il n'y a que des
indices, bref, qui construit la progression implacable de l'anecdote.
(...)
Le lecteur a ainsi été pris
des deux côtés, par la synthèse du "cas
psychique" et de la chère «vieille terreur
sacrée»". La multiplication
des points de vue, la conquête progressive des informations
oblige le lecteur à une construction mentale permanente. Les
réticences, la suggestion, l'équivoque créent
une atmosphère oppressante réussie chez les personnages
comme chez le lecteur. L'étape suivante sera, pour Straub, de
complexifier son intrigue : il y réussira avec Ghost Story.
Roland Ernould août 2001
|
l'auteur : Peter Straub est né
à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2 mars 1943. Il
est l'aîné d'une fratrie de 3 garçons.
Son père était commerçant, sa
mère infirmière. Le père voulait qu'il
devienne un athlète, la mère un docteur ou un
ministre Luthérien. Lui voulait était lire et
apprendre, et il leur fit espérer un métier de
professeur. Études à l'université de
Wisconsin, Colombia University, et au University College de
Dublin. A résidé pendant trois ans en Irlande,
à Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre
à Londres (1972-1979), puis aux USA dans le
Connecticut, où sa femme Susan était
née. Il habite aujourd'hui New York (3 enfants). Il a
écrit à ce jour 14 romans, 2 recueils de
nouvelles, des nouvelles et de la poésie. Nombreuses
récompenses littéraires. En particulier,
Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus
littéraire des romanciers de terreur attire à
la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels
du polar . Le nouveau Talisman 2,
écrit en collaboration avec Stephen King, Black House, est sorti en Octobre 2001. infos
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