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La Gorge

 1993, Plon 1995 Pocket 1996

 

Imaginez qu'il vous ait pris l'idée de monter un puzzle sophistiqué, dont les pièces ont été brouillées et dont vous ne connaissez pas le sujet. En soi, ce travail est déjà compliqué. Mais si on ne vous donne qu'une partie des pièces à la fois, et que vous vous obstinez à deviner le motif du puzzle à partir ce ce que vous avez reconstitué, vous risquez fort de tomber dans l'erreur plusieurs fois de suite. C'est ce qui se passe avec La Gorge. Le lecteur, qui connaît bien les oeuvres antérieures de Straub, a tous les éléments pour deviner rapidement le sujet du puzzle. L'art exceptionnel de Straub va consister à brouiller les pistes et à faire en sorte que vous repreniez sans cesse la raisonnement qui vous a poussé à conclure provisoirement. Car ce long roman est la synthèse de plusieurs nouvelles ou d'épisodes de romans déjà publiés, reprenant le thème de Blue Rose. Straub, passé maître dans la pratique de ce type de suspense dans ses romans, l'applique ici pour la première fois à la matière de certaines de ses oeuvres.

Qu'avait en effet trouvé le lecteur dans ces oeuvres germinatives? Les mots Blue Rose d'abord, qui, suivant les textes, prennent un sens différent suivant qu'ils sont orientés vers telle ou telle signification particulière. Lors de la première apparition, la nouvelle éponyme rattache ces mots à ceux proposés par un auteur de manuel d'hypnose pour endormir les patients, et n'évoque, qu'en quelques mots, le titre d'un air de jazz. Dans la nouvelle Au bon pain, ces vocables sont associés par l'auteur à une rose bleue qui pousse dans un camp de concentration, camp qui se trouve également évoqué en quelques paragraphes dans Blue Rose, dans une anecdote liée à la mort d'un Allemand prisonnier, tué par le père de Beevers. Il n'y a pas été question de rose bleue. Le plus souvent (Koko, Mystery surtout), ce sont les connotations musicales qui portent ce nom, qui peuvent suggérer aussi bien le titre de l'oeuvre, que ses différentes versions, la manière dont elles sont jouées. Ou encore la manière dont elles sont répétées au Vietnam sur le magnétophone d'un amateur de jazz (Koko, La Gorge, Magie de la terreur). Les mots Blue Rose sont aussi écrits sur les murs lors de divers assassinats, à caractère répétitif dans le temps.

Autres thèmes directeurs : au Vietnam, la tuerie de Ia Thuc, sous la direction du Lt Beevers, l'enfant qui assassine son frère par hypnose dans Blue Rose; le champ de mines; le comportement singulier du commandant Bachelor, le village fantôme et les circonstances qui l'entourent. D'autres épisodes plus courts, comme le chargement des morts, le bar près du camp. Des personnages : les membres de la section du Lt Beevers, déjà rencontré plus haut; le romancier Tim Underhill, omniprésent et cheville de la quasi totalité de ces ouvres. Et surtout, le lieu qui tient une place essentielle : la ville minutieusement décrite dans la nouvelle Petit guide à l'usage des touristes, Millhaven, qu'on retrouve depuis Ghost Story. Cette ville, dont le lecteur finit par connaître parfaitement la configuration, est toujours présente. Millhaven est la copie de la ville où est né Straub, Milwaukee (Wisconsin). Il y a passé son enfance et son adolescence, et il lui porte manifestement un intérêt profond.
D'autres ingrédients peuvent être relevés dans ce pavé de plus de 800 pages, où interviennent encore d'autres éléments qui se mêlent au récit : l'omniprésence des tueurs en série, et du boucher pédophile, qui prend des noms et des apparences diverses, tout en gardant le même comportement; l'hôtel St Alwyn, d'un autre âge, nouvelle manifestation du lieu maudit; l'importance considérable du cinéma, du jazz, et moindre, de la musique dite "classique». Ce cocktail prodigieux, secoué de manière étourdissante, ne vous laisse pas reprendre votre souffle. Ne cherchez pas à jouer au détective, vous êtes condamné d'avance. À ce jeu, dans lequel Straub est passé maître, plus que jamais il perd son lecteur dans des démonstrations vraisemblables, faites par des personnages au courant des derniers événements. Mais d'autres éléments se révèlent peu à peu, et qui font tomber ces spéculations , toutes aussi fausses, les unes après les autres. Nous retrouvons, entre divers personnages habituels à Millhaven, le détective Tom Pasmore, qui s'est mis à l'informatique et procède de manière toujours aussi efficace dans ses recherches.

Sur un autre plan, ce roman est représentatif de la nouvelle conception du Mal qui inspire Straub depuis ses histoires de fantômes ou du Dragon Volant. Le mal, les démons existent, mais dans la tête des hommes.. Les forces psychologiques sont aussi efficaces romanesquement que les forces surnaturelles. le mal trouve son expression dans les troubles psychologiques, les agissements criminels, qui surgissent dans leur violence destructrice quand les circonstances s'y prêtent. Straub nous conduit dans un voyage vers la mort, sous le signe de la peur, dans trois des manifestations humaines les plus terribles : l'agression sexuelle, le crime et la guerre; l'agression sexuelle, avec ses pédophiles destructeurs; le crime, avec ses tueurs en série qui se reproduisent de génération en génération. La guerre, celle du Vietnam, qui a entraîné ses morts, et a suscité des traumatismes durables parmi les survivants. L'ensemble forme donc un roman riche, au carrefour du suspense policier, de l'horreur du roman de guerre, du roman psychologique et, à moindre égard, du fantastique.

Le livre dans le livre a toujours pris une certaine importance dans Straub, et c'est un roman de Tim Underhill qui raconte l'histoire passée de Blue Rose à laquelle il est fait constamment référence. Straub va même, au début du roman, faire état d'une collaboration avec Tim dans la rédaction de certains romans. Il attribue même à Tim quelques-unes de ses nouvelles : Blue Rose, Le genévrier. Il est amusant de voir Tim parler de Straub comme d'un personnage réel, qu'il côtoie, mais qu'on ne trouve pas présent dans le roman.

Il n'y a pas à hésiter si vous n'avez pas lu ce roman. Non seulement vous serez passionné par le suspense, mais vous aurez l'agréable impression de vivre quelques heures avec un auteur qui ne cherche pas à vous anesthésier, ne vous prend pas pour un débile, et s'adresse constamment à votre subtilité. On peut le lire isolément, mais pour être pleinement goûté, il faut avoir lu les oeuvres précédentes, dans lesquelles le roman a installé ses racines. Mais, croyez-moi, passer un mois de votre vie avec Blue Rose vous fera oublier le stress, les difficultés de la vie et vous consolera de vos misères... N'est-ce pas la solution de catharsis et de libération dans la création qu'a trouvée Tim (et avec lui Straub), et qu'il propose au lecteur pour remplir la même fonction de divertissement au sens Pascalien?.

La quatrième de couverture :
Juste encore une pièce du puzzle. Juste encore un pas vers l'enfer...
Un tueur en série qui signait Blue Rose, un policier véreux que tout accusait et qui s'est suicidé : affaire classée. Même pour Tim Underhill, âgé de neuf ans à l'époque, dont la soeur a été tuée pratiquement sous ses yeux, et qui, devenu adulte, a consacré à ces meurtres un roman en guise d'exorcisme. Mais quelqu'un vient de rouvrir le dossier, de la manière la plus atroce qui soit. Quarante ans après, sur les mêmes lieux, un nouveau meurtre signé Blue Rose vient d'être commis. Puis un second. Cette fois, avec ou sans l'aide de la police, Underhill est déterminé à faire la lumière sur les crimes, même si, pour cela, il lui faut plonger au coeur des ténèbres et affronter à nouveau les cauchemars de son enfance...

Tous ces romans sont dans la collection de poche Pocket.

Roland Ernould © juin 2001.

 

 

l'auteur : Peter Straub est né à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2 mars 1943. Il est l'aîné d'une fratrie de 3 garçons. Son père était commerçant, sa mère infirmière. Le père voulait qu'il devienne un athlète, la mère un docteur ou un ministre Luthérien. Lui voulait était lire et apprendre, et il leur fit espérer un métier de professeur. Études à l'université de Wisconsin, Colombia University, et au University College de Dublin. A résidé pendant trois ans en Irlande, à Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre à Londres (1972-1979), puis aux USA dans le Connecticut, où sa femme Susan était née. Il habite aujourd'hui New York (3 enfants). Il a écrit à ce jour 14 romans, 2 recueils de nouvelles, des nouvelles et de la poésie. Nombreuses récompenses littéraires. En particulier, Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus littéraire des romanciers de terreur attire à la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels du polar . Le nouveau Talisman 2, écrit en collaboration avec Stephen King, Black House, est sorti en Octobre 2001. infos

Roland Ernould, mai 2001.

voir sa bibliographie américaine, et les traductions françaises

 

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