Stephen King: Ça.
.LA COSMOGONIE DE ÇA (IT).
"Une fois que
l'on est lancé dans ce genre de merdier
cosmologique, on peut foutre en l'air tous les
manuels d'instruction", la
Tortue1
Ça (IT) est le
plus complexe des romans de King, tant par sa construction habilement
agencée, ses glissements dans le temps de l'enfance à
l'âge adulte, que par le nombre exceptionnel des sujets
conventionnels d'horreur qui sont utilisés. C'est un
véritable catalogue, un inventaire presque complet des
thèmes traditionnels qui peuvent exciter un amateur
d'épouvante. Le procédé est habile: Ça,
entité lovecraftienne maléfique, qui vit dans les
profondeurs de Derry, n'a pas d'apparence terrestre. Chacun le voit
selon ses propres frayeurs et images psychiques. Ça
concrétise ces peurs sous la forme physique et le comportement
correspondants aux images mentales. Après ce
récapitulatif des multiples formes que peut prendre la peur
-et décrites malheureusement avec ses excès habituels-,
King n'aura plus grand chose à ajouter à sa collection
de monstres et devra chercher d'autres sujets d'inspiration dans les
romans qui suivront.
.. du site ..
Mais ce roman présente un
autre intérêt sur le plan métaphysique, en
faisant de larges emprunts aux mythes indo-européens,
proche-orientaux et en annonçant le zoroastrisme
d'INSOMNIA
2. Alors que la lutte habituelle entre le bien et le mal,
les Ténèbres et la Lumière, ne comportent que
deux antagonistes fondamentaux, la supériorité de l'un
pouvant être provisoirement être en péril sans
jamais être fondamentalement remise en cause
(monothéisme), dans IT et
INSOMNIA il
y en a trois, suivant la triade zarathoustrienne3.
Avec cette étude seront achevées les analyses
préalables des principaux romans métaphysiques, qui
permettront, dans une synthèse qui paraîtra
ultérieurement, de dresser un tableau aussi complet que
possible de l'évolution de la pensée cosmogonique de
King.
LES
PROTAGONISTES.
"Qu'est-ce qui a
décidé
(...)? Le hasard? Le destin?
Ça? Autre chose? Je l'ignore. Mais en tous cas certainement
pas nous"(p.
499).
Peut-être la Tortue, aurait pu ajouter Mike. Car
d'emblée King nous situe dans la mythologie
extrême-orientale, avec des allusions à cette Tortue
dès les premières pages. Ces citations sont nombreuses
et parsèment tout le roman. Mais ce n'est que tardivement que
le mythe nous sera révélé: "Avant l'univers, il n'y avait eu que deux
choses. L'une était Ça même et l'autre la Tortue.
La Tortue était une antique vieille chose stupide qui ne
sortait jamais de sa carapace. Ça pensait que la Tortue
était peut-être morte, morte depuis le dernier milliard
d'années, à peu près. Même si elle ne
l'était pas, ce n'en était pas moins une vieille chose
stupide, et même si la Tortue avait vomi l'univers au grand
complet, cela ne changeait rien"(p. 982).
Ça, la force mauvaise sous une
ville.
"Je crois Ça capable de
nous manipuler et de laisser sa marque sur les gens du fait qu'il
est"(p. 499).
"Ça a laissé sa
marque sur nous. Ça nous a imposé sa volonté,
exactement comme Ça impose sa volonté sur toute cette
ville, la semaine comme les jours fériés, même au
cours de ces longues périodes où Ça dort,
hiberne ou je ne sais quoi, entre ses périodes... plus
actives"(p. 500), constatent
les héros de cette histoire.
Ça est arrivé
longtemps après que la Tortue se fût retirée dans
sa carapace, ici, sur la Terre. Dans un fleuve de flammes, un jour,
Ça est venu: "Quelle
que fût la chose tombée du ciel en ce jour de temps si
reculés, elle était venue d'un lieu bien plus loin
qu'une autre étoile ou une autre galaxie"(p. 721). Dans l'immense cratère ainsi
creusé et comblé peu à peu par l'érosion
au cours de millions d'années, Ça était
"endormi
peut-être",
"attendant la venue des
hommes"(p. 727) et la
construction de Derry. Ça y dispose maintenant de divers lieux
relais (les égouts, une maison, etc) à partir desquels
il peut exercer ses actions maléfiques (p. 829).
Ça a découvert sur la Terre une nourriture plus
goûteuse4 grâce au fait que sur cette planète la
qualité de l'imagination est exceptionnelle5 et donne "une grande richesse à la nourriture. Ses dents
déchiraient des chairs raidies de terreurs exotiques et de
voluptueux effrois"(p. 982).
Ça vit dans les profondeurs de Derry, avec un cycle de
vingt-huit ans, fait d'un long repos "pour rêver"et d'un court réveil d'un an "pour manger". "Ça
voulait seulement manger, dormir, manger, dormir"(p. 983). Derry était "son abattoir, les gens de Derry son
troupeau"(p. 982).
Mais sa quiétude est troublée par un groupe de gamins
attachés à sa perte. En effet, Ça jusqu'alors
avait pu considérer la Tortue comme une puissance
négligeable et se trouver sans rival: "Comment une créature de ce monde (ou de
tout autre monde) pouvait-elle déjouer Ça, faire mal
à Ça, aussi légèrement et
brièvement que ce fût? Comment était-ce
possible?
Et finalement quelque chose de nouveau avait surgi en Ça, non
pas une émotion, mais une froide spéculation: et si
Ça n'était pas seul comme il l'avait toujours cru?
S'il y avait un Autre?
Et si ces enfants
n'étaient que les agents de cet Autre?"(p. 984).
Et Ça essaie de se rassurer: "Non. Il n'y avait pas d'Autre. Sûrement
pas."(p. 984).
Sans y parvenir: "Quelque
chose que Ça n'avait pas prévu était
également de retour: cette peur qui l'affolait et le
taraudait... cette impression d'un Autre"(p. 990).
Les
apparences de Ça.
Ça est un remarquable
créateur d'épiphanies. Il a un "talent pour changer de formes", mais dans chacune d'entre elles il doit
suivre les lois de "cet
univers: toutes les formes vivantes doivent respecter les lois des
formes qu'elles habitent"6 (p. 983). Ça se sert des peurs de chacun pour
leur dresser "des miroirs qui
renvoyaient au spectateur terrifié ce qu'il y avait de plus
épouvantable au fond de son esprit"(p. 991). A plusieurs reprises, des
récapitulations des apparences créées sont
faites: "Le clown
commença à s'estomper, à se délaver, et
ce faisant il se transforma. Eddie vit le lépreux, la momie,
l'oiseau; il vit le loup-garou et un vampire (...); il vit la créature de Frankenstein, et quelque
chose de charnu faisant penser à un coquillage, qui s'ouvrait
et se fermait comme une bouche; il vit une douzaine d'autres choses
épouvantables, il en vit des centaines"(p. 755).
Par exemple, l'Araignée. "Ça descendait à toute allure le rideau
arachnéen de sa toile, araignée de cauchemar venue
d'au-delà du temps et de l'espace, d'au-delà de ce
qu'aurait pu imaginer l'esprit enfiévré du dernier des
pensionnaires de l'enfer"(p.1025). Mais cette forme n'est qu'une apparence,
Ça se montrant aux hommes sous la forme la plus adaptée
à leur imaginaire individuel propre.
Ou image collective. Ça "n'est pas non plus une araignée, mais cette forme
ne fait pas partie de celles que Ça a puisées dans nos
esprits; c'est simplement la plus proche de celles que nos esprits
peuvent concevoir comme étant celle des
lumières-mortes, de Ça, sa vraie forme"(p. 1025). Ça se trouve
"emprisonné"dans sa forme finale, celle de l'Araignée, du
fait de "leur vision
partagée, une vision voulue et sans
paternité"(p. 1025).
C'est la forme qui cache l'ultime Ça, la forme qu'ils doivent
combattre et si possible vaincre.
Mais derrière cette ultime apparence de l'arachnéide,
destinée aux humains, "il y a quelque chose, une forme que l'on peut presque
voir comme l'on devine la forme d'un homme qui se déplace
derrière un écran de cinéma pendant la
projection, une autre forme, mais je ne veux pas voir Ça, mon
Dieu je Vous en prie, ne me laissez pas voir
Ça"(p. 1024)
Bill aperçoit cependant vaguement cette autre chose: en
plongeant son regard dans les yeux de l'Araignée,
"rouges, diaboliques,
intemporels... et pendant un instant, il vit la forme sous la forme:
les lumières, une chose rampante, poilue,
interminable, faite de lumière et de rien d'autre, une
lumière orange, une lumière qui singeait la
vie"(p. 1026). Il reverra une
seconde fois cette vision: "une forme en dessous de la forme (...), quelque chose qui n'était que lumière
démente"(p. 1028).
Enfin Ça est capable de se reproduire: "Ça est une femelle et cette femelle est
grosse (...), une femelle grosse d'une inimaginable
portée... et la mise bas est proche
maintenant"(p. 1026).
Ultérieurement, Ça, avant de mourir, fuira et pondra
une centaine d'oeufs qui seront détruits par le groupe.
La
nature de Ça.
Ça vit dans le
"macronivers"(p. 1030), lieu "à l'extrémité de
l'univers", où
Ça existait, "noyau
titanesque lumineux (...),
une chose faite d'une
lumière informe et destructrice; et là, il
[un des garçons]
serait soit
miséricordieusement anéanti, soit laissé en vie
pour l'éternité, dément et presque conscient,
prisonnier de cet être affamé, homicide, sans fin ni
forme"(p.
1031)7.
A Bill, Ça se présente comme "la Dévoreuse des Mondes", "éternelle", avec une apparence qu'un humain ne peut concevoir (p.
1029). Elle se trouve dans des "ténèbres absolues, des
ténèbres qui étaient tout, des
ténèbres qui étaient le cosmos et
l'univers", une
"éternité""noire"dans laquelle on est "perdu pour toujours, incapable à tout jamais de
trouver le chemin du retour et condamné à errer dans
les ténèbres"(p. 1030), les lumières-mortes. Richie les
perçoit comme une "grande lumière aveugle"qui flamboie et se déplace derrière
"une barrière, quelque
chose avec une forme étrange, non géométrique,
que son esprit ne pouvait saisir", qu'il traduit comme celle d'une "colossale paroi de pieux de bois
fossilisés"(p. 1043)
et dont il perçoit la voix, "totalement étrangère à son oreille,
émettant des syllabes qu'aucune gorge et langue humaine
n'aurait pu reproduire"(p.
1032). Et Ça le menace: "Attends les lumières mortes!!! Tu les verras et
tu deviendras fou... mais tu vivras... tu vivras... tu
vivras à l'intérieur... en dedans de
moi"(p. 1032).
"D'une manière
mystérieuse, le Ça-Araignée et le Ça qui
se désignait lui-même comme les lumières mortes
étaient liés. Quelle que fût la chose qui vivait
dans les ténèbres, elle y était peut-être
invulnérable... mais Ça se trouvait également
sur la terre, sous Derry, dans un organisme physique. Aussi
repoussant qu'il fût, à Derry, la présence de
Ça était physique... et ce qui était physique
pouvait être tué"(p. 1033).
Grièvement
blessé par le groupe, Ça doit envisager l'impossible:
"Peut-être après
tout, Ça n'était pas
éternel?8 Peut-être
devait-il envisager l'impensable?"(p. 1058). Et, en effet, l'Araignée
mourra.
Les
"marionnettes"de Ça.
Il y a principalement Henry, le
"gosse
démoniaque"(p. 85),
agent du mal.et sa bande, dont Patrick, le psychopathe assassin de
son petit frère (p. 791), qui cherche sans cesse des
créatures vivantes à tuer (chap. 17, 5); Al Marsh, le
père "prédateur"( 390) de Bev, qui la martyrise parce qu'il la convoite
incestueusement (p. 882): "Ça était bel et bien présent et
oeuvrait par son intermédiaire"(p. 877). A ajouter Tom, le mari brutal de Bev (p. 962.
Tous reçoivent matériels et directives.
A Henri par exemple, les instructions sont données par
"des voix de la
lune (...). Elles viennent de la lune. Des tas de
voix (...). Des tas, mais en réalité une
seule. Ce sont ses voix"(p.
892).
Le matériel arrive par des moyens divers. Par exemple le
couteau avec lequel Henri tue son père et, près de
trente ans plus tard, blesse grièvement Mike. Henri trouve le
couteau à cran d'arrêt dans un colis dans la boîte
aux lettres familiale, signalé par un ballon insolite,
l'ouverture spontanée de la boîte aux lettres,
dévoilant un colis nominatif dans la boîte alors que le
facteur n'est pas encore passé (p. 922). Henry tue son
père avec le couteau; ensuite le couteau disparaît.
Quelques dizaines d'années plus tard, Henry s'échappe
de la prison où il se trouvait: "Juste à l'entrée de Derry, j'ai entendu
cette voix. J'ai regardé dans une bouche d'égout. Y
avait ces frusques. Et le couteau. Mon vieux
couteau."(p. 893).
Après l'agression d'Eddy, le couteau qui aurait pu servir de
pièce à conviction disparaît à nouveau (p.
970).
Ces agents maléfiques sont marqués par Ça de
diverses manières: par exemple, le père de Bev
apparaît ainsi à un gosse9: il "vit quelque
chose d'effroyable et d'inhumain sur le visage de Mr. Marsh, au point
qu'il en eut des cauchemars pendant trois semaines; il voyait Mr.
Marsh se transformer en araignée10 sous ses vêtements "(p. 882).
La
Tortue, force positive.
Après presque trente
années, les enfants devenus adultes se réunissent et
font le bilan du passé. Mike constate: "Tout ce que je sais, c'est qu'il existe une
autre force -en tous cas il en existait une lorsque nous
étions mômes- qui voulait que nous restions en vie pour
faire le travail. Elle est peut-être toujours
là"(p. 870).
"Il y avait quelque chose
d'autre, ici. Bill le sentait par tous ses sens, odorat compris: une
présence immense devant lui dans l'obscurité. Une
Forme. Il n'éprouvait pas de peur, mais un sentiment
d'émerveillement religieux: là se trouvait une
puissance qui ridiculisait celle de Ça, et Bill eut seulement
le temps de penser, de façon incohérente: Je vous en
prie, je vous en prie, qui que vous soyez, souvenez-vous que je suis
très petit"(p.
1030).
"Il se précipita vers
la forme et vit qu'il
s'agissait d'une grande
tortue
à la carapace
constellée de couleurs éclatantes. Son antique
tête reptilienne en surgit et Bill se dit qu'elle devait
éprouver une vague surprise méprisante pour la chose
qui l'avait propulsée là. On lisait la bonté
dans les yeux de la Tortue
11. Bill songea
qu'elle devait être la chose la plus vieille que l'on puisse
imaginer, infiniment plus vieille que Ça qui prétendait
pourtant être éternel"(p. 1030). Dans sa retraite, "puits profond de plusieurs
éternités"(p.
1035), elle est de dimensions considérables: "La carapace de la Tortue paraissait ne jamais
vouloir se finir (...).
Il eut le temps d'observer ses
chairs gigantesques et anciennes, le temps d'être frappé
par les ongles puissants qui terminaient ses pattes-ongles d'un
étrange jaune bleuâtre dans chacun desquels il vit
tourbillonner des galaxies"(p. 1031).
Ça, son antagoniste, dit d'elle qu'elle est "stupide, trop stupide pour
mentir"(p. 1038). Elle parle
télépathiquement à Bill: "Je suis la Tortue, fils. J'ai fait l'univers,
mais je t'en prie, pas de reproches; j'avais mal au
ventre"(p. 1030).
La Tortue, qui est la veilleuse (p. 1031), se manifeste de diverses
manières. De manière allusive aux enfants du Club des
Ratés, (convercle de boîte (p. 19); dessin sur le
trottoir à la craie (p. 520), etc. Le plus souvent sous forme
de suggestions diverses aux mêmes enfants devenus adultes
(pensées fugitives diverses, la voix de la Tortue). Seul Mike
Hanlon, demeuré à Derry, subit une action plus directe.
Il est devenu "le
veilleur"du groupe (p. 154):
"Je suis le seul à
entendre la voix de la Tortue, le seul qui se rappelle, car je suis
le seul à être resté à
Derry"(p. 156).
Alors que Ça donne des instructions ou des ordres
impératifs, la Tortue formule des sug- gestions. La
différence est fondamentale. Pour Ça les humains sont
des objets, utilisés avec mépris; pour la Tortue, ce
sont des collaborateurs auxquels il convient de laisser la plus
grande initiative possible, en ne les secondant qu'à la toute
dernière extrêmité, quand c'est vraiment
nécessaire.
Faire
d'abord ses preuves.
Ainsi quand Bill lui demande de
l'aider, la Tortue refuse: "Je
ne prends pas parti dans ces questions"(p. 1030). A ses supplications ("Je t'en prie, tu es bonne, je sens et crois que tu es
bonne et je t'en supplie... Est-ce que tu ne peux m'aider, s'il te
plaît?"(p. 1031), la
Tortue répond : "Tu
sais déjà ce qu'il faut faire. Il n'y a que Chüd.
Et tes amis"(p. 1031). Et
Ça peut alors ironiser: "La rencontre avec mon amie la Tortue t'a-t-elle fait
plaisir? Je croyais que cette vieille conne stupide était
morte depuis longtemps, et pour le bien qu'elle t'a fait, il aurait
pu tout aussi bien en être ainsi, crois-tu donc qu'elle aurait
pu t'aider?"(p. 1032).
Cependant la Tortue encourage Bill quand c'est utile:
"Tu t'en sors pas mal, fils,
mais bientôt il sera trop tard". Elle lui rappelle le rituel de Chüd, qu'il avait
oublié: "Mords si tu
veux, mords si tu l'oses, si tu peux avoir ce courage, si tu peux le
supporter... mords dedans, fils!"(p. 1033). Et quand, grâce au rituel symbolique de
Chüd transposé sur le plan de l'imaginaire, Bill arrive
à dominer Ça, la Tortue le félicite:
"Pas si mal, fils, mais il
faut finir le travail maintenant; ne laisse pas Ça
s'échapper"(p. 1035).
Par ailleurs, après le combat, Bill ne bégaiera plus:
c'est en arrivant à se vaincre lui-même (prononcer une
phrase difficile, avec ici un effet magique) qu'il est arrivé
à dominer Ça, parce qu'il s'est dominé
lui-même (p. 1030).
Comme l'Araignée, la Tortue ne semble pas être
immortelle. Non seulement Ça a affirmé à Bill
que son "amie la Tortue est
morte il y a quelques années"(p. 1038), mais elle n'apparaît pas lors du
deuxième affrontement du groupe devenu adulte avec
l'Araignée, au grand désespoir de Bill:
"la Tortue est morte oh mon
Dieu la Tortue est vraiment morte"(p. 1040). Mais cet appel à la Tortue en
invoquant une autre divinité plus familière ne sera pas
vain. «L'Autre» viendra remplacer la Tortue
défaillante.
L'être suprême.
"La Tortue parla dans la
tête de Bill, et Bill comprit sans trop savoir comment qu'il
existait encore un Autre et que cet Autre ultime demeurait dans le
vide au-dessus de celui-ci. Cet Autre ultime était
peut-être le créateur de la Tortue, laquelle veillait,
et de Ça, lequel seulement dévorait. Cet Autre
était une force au-delà de l'univers, un pouvoir
au-delà de tous les pouvoirs, l'auteur de toute
existence". Ça
n'était "peut-être rien de plus qu'un moucheron infime dans
l'esprit de cet Autre"(p.
1031).
Quand Bill et Richie se battent contre Ça, "ce n'était pas avec leurs deux poings
en réalité qu'ils frappaient; c'était avec leurs
forces combinées, augmentées des forces de cet Autre;
avec la force du souvenir et du désir, avec, au-dessus de
tout, la force de l'amour et des souvenirs retrouvés de
l'enfance"(p. 1072).
Quand l'Araignée est enfin tuée, Bill entendit
"la voix de l'Autre; la Tortue
était peut-être morte, mais quoi que ce fût
qu'elle eût investie vivait.
«Fils, tu as été remarquable».
Puis il n'y eut plus rien. La puissance disparut
avec"(p. 1073).
L'appel de Bill à une autre divinité, qui paraît
avoir réussi, était doublé simultanément
par un autre appel de Mike sur son lit d'hôpital:
"Mike ferma les yeux et pria
pour que tout fût terminé. Il pria pour ses amis sous la
ville, il pria pour qu'ils allassent bien, il pria pour qu'ils
missent un terme à Ça"(p. 1023).
On peut ainsi remarquer que les prières adressées par
les membres du groupe en cas de difficultés ne vont pas
à la Tortue, dont ils ne connaissaient pas l'existence lors de
leur première expédition et dont ils pensent qu'elle ne
peut pas grand-chose pour eux lors de la seconde. Toutes les
prières sont adressées à leur propre Dieu
(l'Autre?): "Nous voici
maintenant réunis, maintenant, songea-t-il à nouveau.
Que Dieu nous vienne en aide. Maintenant ça commence vraiment.
Je t'en supplie, mon Dieu, aide-nous"(p. 669). ou "Mon
Dieu, (...) , fais qu'il ne lui soit fait aucun mal"(p. 981).
A noter également que quand à la bibliothèque
Mike doit faire face à Henry qui l'attaque avec le couteau
donné par Ça, il le blesse grièvement avec un
coupe-papier "avec les
mots JÉSUS SAUVÉ écrits
sur la manche. Un objet fragile, offert par l'Église baptiste
dans le cadre d'une collecte de fonds"(p. 891).
LE
KA-TET.
Ce terme n'est pas utilisé
dans le roman (il est apparu la première fois dans le tome III
de THE DARK
TOWER 12), mais la réalité est la
même. Le groupe s'est choisi et se trouve élu:
"Je crois que nous avons
été désignés. Pour quelque obscure
raison, nous avons été choisis pour y mettre un terme
définitif"(p. 157),
dit Mike qui est celui qui a le mieux analysé la situation.
Ou: "Nous sommes
attirés dans quelque chose. Nous avons été
choisis, élus. Il n'y a là rien
d'accidentel"(p. 359).
De même, Ça les influence, leur fait peur, les intimide.
Mais cette peur est réciproque, comme il va de soi entre des
adversaires résolus en un combat douteux. "Ça a laissé sa marque sur
nous. Ça nous a imposé sa volonté, exactement
comme Ça impose sa volonté sur toute cette ville, la
semaine comme les jours fériés, même au cours des
longues périodes où Ça dort, hiberne ou je ne
sais quoi, entre ses périodes... plus actives (...). Mais si sa volonté a de l'effet sur nous, notre
volonté a également de l'effet sur Ça, à
un moment donné"(p.
500). Ça peut utiliser les circonstances, créer des
aléas, mettre en place des gadgets avec les interdits les plus
divers, fondamentalement il ne gouverne pas leur réel et ne
sait pas comment contrer les interventions supérieures. Ainsi
se mettent en place des combinaisons extrêmement complexes de
mises en situation, qui ne peuvent se faire ou se défaire que
suivant certains rites à caractère
répétitif, où aucun accessoire ne doit
manquer.
Sa
force de groupe.
Ça, qui subit leur assaut,
pense: "S'ils ne
s'étaient pas présentés ensemble, Ça
aurait pu les cueillir sans difficulté un par
un"(p. 992). "Ça avait ressenti un menaçant
accroissement de leur pouvoir lorsqu'ils s'étaient
réunis"(p. 993).
Le groupe ressent la même impression: "Nous nous sommes montrés capables,
à un moment donné, d'exercer une sorte de
volonté de groupe"(p.
501), constate Mike, qui songera plus tard: "Foi et puissance, en était-il venu
à croire, étaient interchangeables"(p. 889).
"Sommes-nous assez forts,
Bill? demanda-t-il. Sommes-nous capables de faire une chose
pareille?"(p.
1024).
Ils le seront. Chacun des
membres du groupe ressent cette force. Par exemple Eddie:
"Il y avait eu quelque chose
à l'oeuvre à l'intérieur de lui, à
l'oeuvre à travers lui
(...). Rien ne laissait
supposer que cette force était maligne, mais son énorme
force avait quelque chose de terrifiant. Comme s'il était
monté sur un de ces engins de foire conçus pour donner
des sensations fortes et s'était aperçu que
c'était rééellement dangereux une fois
installé dedans; impossible de faire quoi que ce soit, sinon
attendre la fin du tour, advienne que pourra"(p. 765). Attendre la fin du cycle: cycle et
roue sont des notions importantes dans l'oeuvre, sur lesquelles on
reviendra ultérieurement.
Bill le bègue est le chef naturel de la bande.
"Richie ignorait le sens de
termes comme «charisme» ou «magnétisme»,
il sentait simplement que la force de Bill avait des racines
profondes (...).
Bill était bon. Stupide
de penser une chose pareille (il la sentait d'ailleurs davantage
qu'il ne la pensait), mais le fait était là.
Bonté et force semblaient émaner de Bill. Il
était comme le chevalier d'un de ces vieux
films"(p. 360).
A noter que Bill ressent fortement le sentiment que non seulement il
domine ses camarades, mais qu'il les utilise (il est le seul qui ait
des raisons personnelles d'en vouloir à Ça qui a
tué son frère). Il se trouve dans une situation
psychologique similaire au Pistolero: "Il se servait d'eux, ses amis; il risquait leur vie
pour venger son frère mort"(p. 698). Mais simultanément il a le sentiment
d'une tâche qui dépasse infiniment son seul désir
de vengeance13.
Sa
foi.
Les décisions du ka-tet ne
sont pas prises rationnellement, à partir d'une analyse
rigoureuse des faits. Le groupe vit dans une improvisation constante,
sous l'emprise d'une «inspiration» aux deux sens du terme,
religieux et «insight».
Les équipiers suivent Bill, le charismatique, celui qui les
consulte, ne les écoute pas toujours, mais prend sa
décision soudainement, parce qu'il est
inspiré14 et qu'il sait: "«Tu ne peux pas savoir cela, Bill!» lui cria
Beverly.
Il cria à son tour, furieux, à elle et aux autres:
«Si, je le sais!»"(
page 949).
L'essentiel pour le ka-tet est d'avoir la foi: foi en l'entreprise,
foi dans les autres. Dès l'instant où un de ses membres
faiblit, le groupe est en péril. Il ne parvient à
triompher de Ça qu'en surmontant constamment ses
défaillances. Ainsi, ce n'est pas l'objet ou le moyen
utilisé qui a réellement de l'importance. Le
rationaliste pur et dur rira à gros éclats de
l'inhalateur d'Eddy mettant en danger un monstre de cinq
mètres. En fait, ce n'est pas le contenu du
pulvérisateur qui agit (H2O, un
placebo), mais la foi dans le produit et la peur inspirée
à l'adversaire par la force de conviction. Chacun peut ainsi
s'appuyer, selon ses convictions et sa foi personnelle, sur tel
objet, telle image ou telle formule qui l'a personnellement
marqué.
On comprend dès lors que lorsque le niveau de foi baisse, le
tonus de l'adversaire augmente15. La diminution de la foi et le doute entraînent
immédiatement l'affaiblissement et le rejet de celui qui ne
croit plus en ce qu'il est ou ce qu'il fait.
Qui
l'inspire?
"Ça comprenait vaguement
que ces enfants avaient, d'une façon ou d'une autre,
retourné ses propres instruments contre lui; que, par
coïncidence, (certainement pas intentionnellement, certainement
pas guidés par la main d'un Autre) et grâce aux liens
formés entre sept esprits extraordinairement imaginatifs,
Ça s'était retrouvé dans une zone de
grands dangers"(p. 992).
Le gosse Richie pense à leur aventure en cours de
réalisation: "Qu'est-ce
qui relève de notre initiative,là-dedans, et qu'est-ce
qui vient d'ailleurs?
Il se dit que d'une certaine manière, cette idée avait
quelque chose de réconfortant. Il était agréable
d'imaginer que quelque chose de plus puissant que soi, de plus
intelligent que soi, réfléchissait à votre
place, comme les adultes font quand ils prévoient les repas,
achètent les vêtements et organisent l'emploi du temps
des enfants; et Richie était convaincu que la force qui les
avait rassemblés, celle qui s'était servie de Ben pour
leur faire connaître la cérémonie de la petite
fumée, n'était pas la même que celle qui tuait
les enfants. C'était une contre-force qui s'opposait à
... Ça. Néanmoins il ne trouvait pas très
agréable cette impression de ne pas contrôler ses
propres actions, d'être dirigé,
utilisé"(p.
707).
La
manipulation des agents.
"C'est cependant Mike
lui-même qui, des
années plus tard,
émit l'idée qu'aucun d'eux, peut-être, n'avait
été le maître des événements au
cours de cet été-là; et que si la chance et le
libre-arbitre avaient joué un rôle, les leurs avaient
alors été bien circonscrits"(p. 648). L'exemple de la cérémonie de la
petite fumée le montre bien.
Certains Indiens, quand ils avaient à prendre une
décision importante, creusaient un trou, le recouvraient de
branches, se rassem- blaient dans le trou, allumaient un feu et
attendaient que la fumée du feu leur inspire des visions.
Presque toujours, la bonne décision était prise. Ben
vient de trouver ces informations "dans un livre de la bibliothèque , la semaine
dernière"(p. 706).
Ce récit ne peut prendre un sens immédiat que si on
rassemble plusieurs données:
- a - un groupe avait dû se constituer;
- b - ce groupe devait avoir un problème sérieux
à résoudre;
- c - ce groupe devait avoir dû se fabriquer un abri souterrain
plutôt que la cabane habituelle;
- d - dans ce contexte le livre, à condition de l'avoir
choisi, prenait son sens.
Or:
- a' - le groupe s'est constitué électivement, avec une
sorte de reconnaissance des élus: "Il y eut un silence et Richie regarda Bill. Il se rendit
compte qu'ils le regardaient tous et il eut l'impression, une fois de
plus"qu'ils attendaient de savoir ce qu'il leur fallait
faire"(p. 707).
- b' - Richie "eut
l'impression, une fois de plus, que l'histoire de la petite
fumée de Ben était autre chose de plus qu'un exemple
qu'on prend dans un livre pour ensuite jouer à l'apprenti
chimiste ou au magicien. Il le savait, tous le savaient.
C'était quelque chose qu'ils étaient censés
faire"(p. 707).
- c' - "Tout ceci
était-il censé arriver? Depuis le moment où Ben
a eu l'idée du Club souterrain plutôt que la cabane,
cela devait-il arriver?"(p.
707).
- d' - "Je parie que si on le
lui demande, Ben nous dira que c'est tout juste si ce livre ne lui a
pas sauté dans les mains. Comme si quelque chose avait voulu
lui voir lire celui-ci et pas un autre, pour qu'il nous parle ensuite
de la cérémonie de la petite
fumée"(p. 707).
Il serait possible de multiplier les exemples, comme celui de la
rencontre entre Ben, le groupe grâce à Bowers (p.
648).
"Il se rendit compte que
le vote auquel ils avaient procédé était une
farce. Il n'existait aucun moyen d'y échapper, il n'y en avait
jamais eu. Ils avançaient sur des rails (...)
solidement posés"(p.
524). Comme les "marionnettes"de
Ça, les membres du ka-tet sont des "pions contrôlés par des forces
antagonistes", comme le
constate avec lucidité Bill (p. 945).
Les
objets magiques.
Certains membres du groupe
possèdent un talent particulier (d'ingénieur pour Ben;
de tireuse à la fronde pour Beverly; d'imitateur vocal pour
Richie, etc.) ou un objet, sorte de fétiche ou de bouclier
protecteur qui joueront un rôle dans l'existence collective et
assureront la mise à mort de Ça: entre autres,
l'inhalateur d'Eddie ou le catalogue d'oiseaux de Stan. La force de
ces objets quotidiens, mystiques ou magiques selon l'angle où
ils sont considérés, vient de l'investissement affectif
et de la foi en ces objets, et non de leur puissance propre.
D'où la démonstration répétée de
la toute puissance de l'imaginaire qui se trouve dans
IT. La foi et la croyance, qui sont de l'ordre de
l'affectif, l'emportent dès lors sur le rationnel et le
déterminisme qui régit normalement les actions. Bev
constate, mais ne s'étonne pas de voir une balle dévier
de sa trajectoire fort opportunément pour elle. Les limites
d'un projet rationnel ordinaire s'arrêtent aux
difficultés ou impossibilités prévisibles qui
engendrent le doute, la menace et le rejet du projet. Mais avec la
foi, on peut tout risquer.
Sera évoquée ultérieurement la place de la
bicyclette de Bill, le chef du groupe; elle joue un rôle
particulier une fois la mort de Ça assurée.
L'intrusion du fortuit/nécessaire dans la
réalité.
Enfin les lois naturelles peuvent
être bafouées. Ainsi Beverley veut abattre à la
fronde une créature volante de Ça: "Merde!
Manquée! pensa-t-elle
au moment où le cuir de la fronde claqua sur la fourche et
où la bille fila, petite pointe argentée dans la
lumière diffuse du soleil. Elle raconterait plus tard aux
autres qu'elle savait
qu'elle l'avait
manquée, de la même manière qu'un joueur de
bowling sait qu'il a manqué son coup dès que la boule a
quitté sa main. Elle vit alors la trajectoire de la bille
s'incurver et frapper la chose volante qu'elle réduisit en
bouillie"(p. 802). On
retrouve la conception de l'Éternel prodiguant sa protection
aux moments et aux endroits qu'il a lui-même choisis, et pas
nécessairement sur demande, puisque Bev ne lui a rien
demandé.
UN MONDE
CYCLIQUE.
IT est particulièrement marqué par
la forme cyclique et l'image de la roue. Le récit s'y
prête évidemment: le retour, à trente ans
d'intervalle, d'un groupe de jeunes devenus adultes lancé dans
la même tâche cosmique qui les dépasse,
prêtait littérairement à la possibilité de
multiples répétitions. King s'y est employé
cependant avec une méticulosité et une conviction qui
dépassent le simple effet de composition, et l'oeuvre
entière repose sur la notion de cycle. Cette utilisation
s'inspire manifestement de la conception bouddhiste16, qui considère que la vie humaine est
une suite ininterrompue de cycles physiques et psychiques qui
modifient continuellement et à chaque instant l'individu, qui
doit sauver son âme dans le cycle de ses réincarnations.
Elle se double d'un second type de cycle, cosmique celui-là,
propre à des entités au mode d'action
répétitif17.
Le
cycle de Derry.
La ville de Derry est marquée
par la vie de Ça dans ses profondeurs: l'entité
sommeille longtemps, puis se réveille quelques mois, pendant
lesquels se multiplient disparitions, meurtres et catastrophes.
"En année ordinaire,
Derry est déjà une ville violente. Mais tous les
vingt-sept ans, même si le cycle est en réalité
un peu approximatif, cette violence atteint des sommets de
fureur"(p. 489). Le groupe de
gamins avait blessé Ça sans le tuer et ce sont les
mêmes, moins un qui s'est suicidé, qui doivent à
nouveau s'attaquer à l'entité: "Stan disparu, le cercle que nous avions
formé ce jour-là est rompu. J'ai bien peur que nous ne
puissions tuer Ça, ni même le chasser pour un bon moment
avec un cercle rompu " (p.
507).
Le
cercle et le groupe.
La tâche commune du Club des
Ratés a commencé quand le groupe s'est
définitivement constitué. Bill devenu adulte songe que
c'est au moment où le groupe a été au complet
que le cycle s'est enclenché: "Auparavant, les autres avaient bien parler de tuer
Ça, mais sans plan, sans début d'action. A
l'arrivée de Mike, le cercle s'était refermé, la
roue avait commencé à rouler"(p. 675).
Sept enfants: "Voici que nous
sommes sept"(p. 677),
"Sept, c'est le nombre
magique18. Il faut que
nous soyons sept. C'est comme ça que cela doit
être"(p.
710). "L'ultime pièce
d'une machine aux fonctions inconnues venait de se mettre en
place"(p. 669). Qui dit
machine dit presque nécessairement rouages.
A diverses reprises, le groupe éprouve le besoin de resserrer
ses liens. L'épisode le plus spectaculaire se situe quand,
démoralisés et perdus, les enfants ne retrouvent plus
leur chemin dans les égouts. Bev, la vierge impubère du
groupe, marquée par le climat de convoitise paternelle de plus
en plus insupportable, a une idée: "Je sais comment reformer notre cercle. Et si nous ne le
refermons pas, jamais nous ne sortirons d'ici". Elle leur propose "quelque chose qui va les réunir pour
l'éternité. Quelque chose qui va
montrer (...) que je vous aime tous"(p. 1055). Et, initiatrice non initiée
initiant, elle fait l'amour avec les six garçons (chap. 22,
12), "acte de pouvoir capable
de rompre toutes les chaînes, même les plus
solides"(p. 1061).
Le destin du groupe s'est définitivement scellé dans le
temps lors du rituel de l'échange des sangs: les paumes
entaillées par un morceau de verre."Il regarde Beverly, qui lui sourit. Elle ferme les yeux
et tend les deux mains, de chaque côté. Bill lui prend
la gauche, Ben la droite. Bill sent la chaleur de son sang qui se
confond avec le sien. Les autres les rejoignent et forment un cercle,
les mains scellées de cette manière
particulièrement intime"(p. 1092). Et ils jurent de se retrouver si Ça
refait son apparition. "On
aurait presque dit un anneau druidique, le sang de nos mains, paume
contre paume, signant notre promesse"(p. 158). Cercle, roue, anneau: les mots reviennent sans
cesse, avec un " sentiment de
circularité"(p.
888).
Quand le groupe des adultes se réunit, il est diminué
d'un membre. Ce qui les inquiète, pour la raison
énoncée plus haut: le cercle des sept enfants est
rompu. "Enfants, nous avions
bouclé un cercle complet d'une façon que je ne
comprends toujours pas. Si nous décidons d'attaquer, je pense
que nous devons essayer de former un cercle plus
petit"(p. 507). Et
heureusement leur cercle réduit d'adultes fonctionne:
"Ben n'avait aucune
idée du temps où ils étaient restés dans
l'obscurité, se tenant par la main. Il avait l'impression
d'avoir ressenti quelque chose -quelque chose qui venait d'eux, de
leur cercle- qui jaillissait et qui revenait"(p. 1023).
La roue
19.
Quand, bien plus tard, Ça
réapparait, Mike, le veilleur, s'interroge sur le moment
opportun de rappeler ses alliés de sang. Quand le moment sera
venu, "je le saurai. Leurs
propres circuits seront ouverts à ce moment-là. Comme
si deux grandes roues convergeaient lentement, de toute leur
puissance, l'une vers l'autre: moi-même et Derry d'un
côté, et tous mes amis d'enfance de
l'autre"(p. 431).
"Reste seulement à en
finir avec Ça, à achever notre tâche, à
faire se refermer le présent sur le passé, à
boucler cette boucle mal foutue (...). Notre boulot, ce soir, c'est
de reconstituer cette boucle; nous verrons demain si elle tourne
toujours... comme elle a tourné"dans le passé (p. 671).
"Ce qui s'est produit se répète"(p. 906), dit Bill. Tout se met en place,
comme au théâtre, pour qu'une nouvelle
répétition ait lieu. Il n'est pas possible d'entrer
dans tous les détails. Deux exemples cependant. Richie, qui a
remplacé les lunettes qu'il portait enfant par des lentilles,
les perd et doit revenir aux lunettes, rafistolées avec un
adhésif comme lorsqu'il était enfant. Les sept casques
de mineur "dotés d'une
puissante lampe électrique"prévus par Mike (p. 671) ne seront pas
utilisés lors de la poursuite de Ça, qui se fera la
deuxième fois comme la première fois avec des
allumettes...
Et c'est naturellement que leur action est associée dans leur
esprit à cette image circulaire répétitive:
"Dévale, roue, pensa
Bill tout d'un coup en regardant les autres"(p. 1024). Et quand tout est achevé, la
tâche remplie: "Le
cercle se referme, la roue tourne, c'est tout"(p. 1118). "Chaque vie imite à sa manière
l'immortalité: une roue"(p. 1121)20.
Enfin, bien dans la façon de King, il y a incidemment des
éléments de moindre importance qui rappellent ce
thème de la circularité: ainsi, un jour que le
père de Mike l'autorise à visiter les ruines d'une
usine qui ont mauvaise réputation, il lui demande de lui
rapporter quelque chose. Mike "se baissa, et presque au hasard, s'empara d'une roue
dentée d'environ vingt centimètres de
diamètre " pour la
rapporter à son père (p. 285).
ÉLÉMENTS MYTHIQUES DIVERS.
Le nom
de Ça.
Amusons-nous un instant en proposant
une idée à laquelle King n'a certainement pas
pensé. Certains ont pu s'étonner de la
singularité du choix d'un pronom aussi court et peu
évocateur, mais qui, dans le cas présent,
suggère bien le rejet et le mépris. On se rappelle
l'expression hautaine de la Tortue21 citée plus haut. De très nombreux dieux
et entités ont des noms courts, faciles à
mémoriser, mais la plupart font au moins deux syllabes. Il y a
un illustrissime précédent de nom court d'une syllabe,
oublié de la plupart, le nom du Dieu d'Israël.
Moïse sur le Mont Horel, voilant sa face pour la protéger
de l'ardeur du buisson ardent, apparence choisie par la
divinité pour se manifester, demande le nom de son
interlocuteur pour le signifier à son peuple. La
réponse a fait le bonheur d'exégètes
innombrables, «èhyèh aser
èhyèh»: "Dieu dit à Moïse: «Je suis qui Je
suis». Il dit: «Tu parlera ainsi aux fils d'Israël; Je
Suis m'a envoyé vers vous»"22. Les Hébreux diront naturellement: Il
«Est», soit en hébreu yahavèh,
ou Yahvé, pour désigner Dieu.Avant déformation,
«Est» désigne donc Dieu. Le rapprochement est plus
qu'hasardeux23, mais il est amusant de penser au grand match cosmique
EST combattant ÇA, comme
Yahvé le fait toujours par personnages
interposés.
Références bibliques.
Les allusions ou citations bibliques
sont nombreuses, dont certaines bénéficient d'un
développement plus long que d'ordinaire. Ainsi Richie, de
confession méthodiste, va à l'église
"tous les dimanches et au
catéchisme tous les mardi soir. Il connaissait assez bien la
Bible et il savait qu'il y avait des choses bizarres
dedans (...). On croyait aux démons dans la Bible:
Jésus en avait fait sortir tout un troupeau d'un
type"(p. 309). Mais, mauvais
catéchumène, il embrouille la parole du démon
(«Je m'appelle Légion») et la Légion
étrangère... Est citée dans le même style
fantaisiste "la
première Épître auxThessaloniciens ou la
deuxième aux Babyloniens, j'ai oublié"(p. 331).
Diversité du groupe aidant, le lecteur a droit à des
commentaires enfantins sur diverses religions comparées, avec
un chapitre (19,10) presque entièrement consacré aux
habitudes alimentaires des juifs et des chrétiens, avec un
long passage sur le rite de la communion, et cette constatation
répétée que les «religions sont
bizarres». De même des comparaisons entre diverses
églises ou écoles, dont l'école baptiste (pages
637, 640, 891). On peut encore citer en vrac la femme de Loth (p.
456), l'Arche d'Alliance (p. 726), la définition de la
prostituée: femme originaire de Babylone! (p. 270). Plus
curieux, un enfant juif qui jure sur les
Évangiles24 (p. 420)...
Il faut citer aussi les étonnantes réflexions du jeune
Stan sur l'idée d'un Dieu rationnel en opposition avec des
événements irrationnels inintégrables:
"Il n'empêche qu'il y a
des choses qui n'auraient pas dû exister. Elles offensaient le
sens de l'ordre de toute personne saine d'esprit, elle offensait
cette idée fondamentale que Dieu avait donné une
chiquenaude sur l'axe terrestre afin que le crépuscule dure
douze minutes à l'équateur et plus d'une heure ou
davantage là où les esquimaux construisent leurs
igloos. Il avait fait cela et Il avait dit: «Très bien,
si vous pouvez imaginer l'inclinaison de l'axe terrestre, vous pouvez
vous représenter n'importe quoi. Parce que même
la lumière possède un poids, parce que,
lorsque le sifflet d'un train baisse soudainement d'un ton, on a
affaire à un effet Dopler (...). J'ai
donné la chiquenaude et j'ai été un peu plus
loin pour assister au spectacle25. Je n'ai rien d'autre à
déclarer, sinon que deux et deux font quatre, que les
lumières dans le ciel sont des étoiles, que s'il y a du
sang, les adultes doivent le voir aussi»"(p. 422). Or il se fait que Ça projette
ici et là du sang que les enfants sont seuls à
voir...
Si Stan adulte se suicide, c'est parce qu'il n'admet pas la
réalité que l'imagination des autres leur permet
d'accepter sans difficulté majeure: car les manifestations de
Ça sont un "scandale
offensant, avec lequel on ne peut vivre, parce qu'il ouvre une
brèche dans votre rationalité; (...) on finit
par se dire que c'est tout un univers qui se tapit au coeur de ces
ténèbres, avec une lune carrée dans le ciel, des
histoires au rire glacial, des triangles à quatre
côtés, sinon cinq, voire encore cinq à la
puissance cinq". Et Stan, qui
oppose ainsi absolument, à la manière de Voltaire, un
Dieu rationnel et géomètre à un Dieu des
miracles, se voit conduit à mettre sur le même plan les
miracles religieux et les manifestations irrationnelles de Ça:
"Allez donc dans vos
églises écouter l'histoire de Jésus marchant sur
les eaux; moi, si je vois un type faire ça, je vais hurler,
hurler! Car pour moi, il ne s'agira pas d'un miracle, mais d'un
scandale qui m'offensera"(
page 423).
Et enfin cette image, rapportée par le père pauvre
paysan de Mike, d'une divinité pas particulièrement
intéressée par ce qu'il y a de plus exaltant dans sa
création: "Mon
père me disait souvent que Dieu aimait les rochers, les
mouches, le chiendent et les pauvres gens plus que tout le reste, et
que c'est pour cela qu'il y en avait autant"(p. 271).
Autres
références mythiques.
On rappellera simplement les
références, analysées plus haut en notes, au
cycle, notion originaire de la Chaldée et de l'Inde; à
la roue, de l'Inde encore et et du Sud-Est asiatique.
Il faut aussi accorder une place au rituel tibétain de
Chüd, ainsi décrit par Bill, qui vient de l'apprendre en
cherchant à la bibliothèque. Ça doit
probablement être un "glamour, nom gaélique"d'un être qu'on retrouve dans de nombreuses
cultures. "Dans l'Himalaya,
c'était un tallus ou tællus, un esprit mauvais ayant le
pouvoir de lire dans vos pensées et de prendre la forme de la
chose qui vous effrayait le plus"(p. 645. Et Bill raconte que les Himalayens ont un
rituel pour s'en débarrasser: le rituel de Chüd. Bill
explique comment les chamans de l'Himalaya traquaient un
tællus, puis le soumettaient au rituel: "Le tællus tirait la langue; le chaman la
tirait à son tour; les deux langues se superposaient, les deux
protagonistes s'avançant l'un vers l'autre se mordant
dedans"(p. 646). Ensuite les
partenaires se posent mutuellement des devinettes26 télépathiquement: si l'homme
rit le premier, le tællus dispose de lui. Si c'est le
tællus qui se met à rire, il doit disparaître pour
cent ans...
Il y a enfin un passage consacré au Golem, qui, dans les
légendes juives, est une espèce de robot avant la
lettre auquel on donnait momentanément la vie en fixant sur
son front le texte d'un verset biblique: "Cela sentait comme de l'argile mêlée
à de l'huile et évoquait pour lui [Stan est un enfant juif] un démon sans yeux et sans bouche,
appelé Golem27, un être pétri d'argile que des
juifs renégats auraient créé pendant le
Moyen-Age pour les sauver des goyim qui les volaient, violaient leurs
filles et les maltraitaient"(p. 998).
Lovecraft et le mythe de la Tour
Sombre.
On s'étonnera peut-être
de trouver cité Lovecraft à la suite de cosmogonies
religieuses datées historiquement; mais dès l'instant
où l'on accepte une approche strictement littéraire des
êtres et rituels mythiques28, on ne voit pas bien pourquoi on refuserait des
créations récentes sous le prétexte qu'elles ne
sont pas liées à un culte29. Et Ça ressemble beaucoup aux créatures
venues de la nuit des temps et continuant à jouer un
rôle sur notre terre, telles que Lovecraft les
définissait: "Tous mes
contes, si hétérogènes les uns par rapport aux
autres qu'ils puissent être, se basent sur une croyance
légendaire fondamentale qui est que notre monde fut à
un moment habité
par d'autres
races"30. Ça ressemble à un de ces Grands Anciens,
qui ont pratiqué "la
magie noire"et se trouvent
enfouis dans les entrailles de la terre et dans les profondeurs des
mers.
On trouve aussi dans Ça une première approche du
rôle de la porte lovecraftienne31, qui prendra une place considérable dans La Tour
Sombre pour permettre des passages entre le monde de Roland et le
nôtre: cette porte, avec une marque, sorte de rune, relie les
égouts au monde souterrain de Ça, à l'espace
cosmique et aux lumières-mortes, lieu où Ça
enferme ses victimes. Cette porte est ici encore une vraie porte:
"Alors que la paroi
s'élevait peut-être à une centaine de
mètres de haut, cette porte était minuscule. A peine
faisait-elle un mètre de haut. On aurait dit une porte de
conte de fées, avec ses épaisses planches de
chêne bardées de croisillons métalliques en X.
C'était une porte, comprirent-ils, faite pour des
enfants"(p. 1008). La nature
de cette porte n'a pas changé quand les enfants devenus
adultes la franchissent à quatre pattes trente ans plus tard
(p. 1024).
Il faut enfin évoquer la Tortue, dont la présence
effective est réduite alors que les références
qui lui sont faites sont continuelles: pour la place de la tortue
dans la Tour Sombre, le lecteur est prié de se reporter
à l'étude qu'y a consacrée dans cette revue Lou
Van Hille32.
Bilan.
On peut évoquer un certain
nombre de directions.
L'épisode final prend un relief particulier. Laissons de
côté l'hypothèse d'une happy end, que King n'a
jamais vraiment recherchée dans ses romans. Il convient de
mettre en évidence le fait parce qu'il témoigne d'une
intervention divine particulière, dont on ne retrouvera
l'équivalent kingien que plus tard dans INSOMNIA, quand Ralph obtiendra de la divinité un avantage
particulier en obtenant l'échange de la vie de Patrik Danville
contre celle de Nathalie Deepneau, dont la mort avait
été décidée33.
Ici Audra, la femme de Bill, capturée par Ça a
été retrouvée catatonique dans son antre. Bill
souffre de voir sa femme réduite ainsi à un état
larvaire. Quand il avait découvert sa disparition, il avait
imploré: "Son sac,
Seigneur, comment son sac a-t-il pu atterrir ici? Peu importe. Mais
si tu existes, mon Dieu, et si Tu écoutes les requêtes,
fais qu'il ne lui soit fait aucun mal"(p. 981). En arrivant à Derry, Bill adulte avait
retrouvé miraculeusement sa dangereuse Silver, la gigantesque
bicyclette de son enfance chez un brocanteur, intacte, (p. 582). Il
l'avait rachetée et conduite au garage de Mike, qui venait
justement d'acheter un nécessaire de réparations la
semaine précédente alors qu'il ne possède pas de
vélo... "Je me suis
réveillé en pensant que ça pourrait me servir,
et ça m'a trotté dans l'esprit toute la journée.
Alors... je l'ai acheté. Et toi tu vas t'en
servir"(p. 585).
Cette bicyclette n'avait pas servi durant l'épisode adulte, et
on pouvait se demander ce qu'elle devenait et à quoi pouvait
bien servir sa redécouverte miraculeuse. L'explication est
donnée lorsque brusquement l'inspiration vient à Bill:
il juche comme il le peut Audra inerte sur le porte-bagage de Silver
et dévale les rues de Derry comme il le faisait lors de son
enfance, avec la même insouciance et le même sentiment
que rien de mal ne pouvait lui arriver. Et durant ce voyage de jeune
folie retrouvée, Audra redevient elle-même (p. 1119). La
prière, particulière pourtant comme celle concernant
Nathalie, a été exaucée.
Une autre série de réflexions. La pensée
mythique est une pensée de répétition. Il s'agit
de reproduire, par des rites appropriés, une
temporalité particulière, d'importance cosmique, qui
est en même temps actualisation et expérience
d'éternité. Le passé est revécu dans le
présent, et simultanément, dans la mesure où le
rite se répète tel quel dans le temps et de
génération en génération, il est le
témoignage de la solidité pérenne du mythe. La
pensée mythique est rassurante puisqu'elle fait vivre les
hommes dans un univers clos34, dont les actions répétitives sont gages
de certitude.
Or ce qui frappe dans la situation des Ratés qui approchent de
la quarantaine, c'est que simultanément ils ont brillamment
réussi dans la vie mais qu'en fait ils sont restés
inachevés, comme s'il quelque chose leur manquait: aucun n'a
eu d'enfants (p. 495 et sv). La révélation de leur
sexualité leur a été faite dans et par le groupe
alors qu'ils étaient impubères,
révélation physique plus rituelle qu'achevée. Si
bien que cette deuxième expédition leur servira
à mettre fin à leur enfance, par la
répétition et l'achèvement d'une
expérience fondatrice35, en les faisant accéder enfin à la
libération du passé et à leur
liberté36 , à une sexualité débouchant sur
le dépassement de soi en continuant consciemment
l'espèce. Il est significatif que le livre porte cette
dédicace: "C'est avec
gratitude que je dédie ce livre à mes enfants. Ma
mère et ma femme m'ont appris à être un homme;
mes enfants m'ont appris à être libre".
Il est nécessaire enfin de faire quelques remarques sur le
roman lui-même. Alors que certaines oeuvres de King, même
longues comme INSOMNIA,
présentent une unité certaine, on est bien
obligé de constater que IT est,
d'un point de vue métaphysique, un véritable
fourre-tout, où King a accumulé les données sans
bien les maîtriser: des personnages bibliques à la
cosmogonie indienne, des convictions zoroastriennes aux cycles
bouddhistes, des pratiques magiques d'Indiens américains
à la communion chrétienne, du rituel himalayen au mythe
des Grands-Anciens, il est difficile de s'y retrouver. La
construction complexe du récit fait qu'à la
première lecture, le caractère
hétéroclite de ces diverses données est moins
visible. Mais la seconde lecture laisse malheureusement l'impression
d'une oeuvre métaphysiquement ambitieuse, mais plutôt
mal coordonnée. Beaucoup d'éléments multiples,
dont King n'a pas su faire la synthèse, malgré les
quatre années passées à écrire
II.
Il y a heureusement la place considérable donnée aux
merveilleuses années de l'enfance. Et puis la créature
Lovecraftienne Ça, indescriptible au sens propre puisqu'elle
n'a pas d'apparence véritable, a quand même de
l'allure...
Roland Ernould ©
Armentières, janvier 1998, revu mai
1999.
.
Notes
:
1 In IT 1986,
éd. fr. ÇA Albin
Michel 1988 (p. 1031).
2 INSOMNIA 1994,
éd. fr. INSOMNIE, Albin
Michel 1995.
3 Une autorité supérieure régulant
les deux principes bien/mal antagonistes, parallèles et
complémentaires. Voir l'étude Des Mythes Religieux aux Puissances de la Tour
Sombre, Steve's Rag n° 15, juillet 1997, page 4.
4 Ce qui semble indiquer qu'avant de venir sur la terre
-où était-elle?-, Ça devait se contenter d'une
nourriture moins bonne... Le goût gastronomique des dieux est
bien connu: Yahvé, pas végétarien du tout, ne
préfère-t-il pas la chair des agneaux sacrifiés
par Abel aux récoltes offertes par Caïn? Voir
GÉNÈSE, 4.4,5.
5 On appréciera l'humour...
6 Cela fait penser au Dieu de Spinoza, qui -cause
immanente de tout ce qui est- ne se manifeste que par l'existence des
lois naturelles et n'est pas un manipulateur de "marionnettes"humaines (p. 990). On peut comparer à
INSOMNIA, où doit persister "l'équilibre entre l'intentionnel et
l'aléatoire", op.
cit., page 671. Dans IT,
«L'Autre ultime» assurerait de même le respect des
lois naturelles, et aussi, dans ce cadre, l'équilibre entre
l'entité bénéfique, la Tortue, et
l'entité maléfique, Ça. Mais en bafouant ses
lois et en se servant de certains humains comme marionnettes, en
partie responsables ilest vrai...
7 L'idée que l'esprit humain n'est pas capable de
résister à l'espace intersidéral a
déjà été utilisée dans
The Jaunt: "C'est plus long
que tu crois, papa! (...). J'ai vu!
J'ai vu! (...).
Il dit d'autres phrases
(...) pendant qu'il criait et griffait ces yeux qui
avaient vu l'Invisible Éternel", in SKELETON CREW
1985, éd. fr.
BRUME, Albin Michel 1987, 6-The Jaunt, l'excursion, p. 279. De même dans LA BIBLE, Moïse ne peut regarder l'Éternel sur le
mont Sinaï. Yahvé lui a dit: "Tu ne peux voir ma Face, car l'homme ne peut me voir et
vivre", ÉXODE,
33.20.
8 King fait constamment la confusion entre éternel
(qui n'a ni commencement, ni fin: (Dieu pour les religions
judéo-chrétiennes) et immortel (qui a un commencement,
mais pas de fin: les dieux gréco-romains étaient
immortels). Ça, qui aurait "peut-être"été créé par l'Autre ultime
(p. 1031), ne pourrait être dans ce cas qu'au mieux
immortelle.
9 Les gosses n'aiment pas Ça ou ses avatars, y
compris le clown, en ont peur et s'en écartent. Les adultes ne
voient évidemment rien.
10 On fera le rapprochement avec la transformation de Rose
Madder en araignée, in ROSE MADDER
1995, éd. fr. ROSE
MADDER, 1997.
11 La Tortue occupe une place importante dans la
mythologie de l'Inde, de la Chine et du Japon. Sa carapace est
interprétée comme la représentation mentale
jadis en usage de la structure de l'univers: la partie en dôme
correspond à l'image de la voûte céleste, qui,
selon les conceptions antiques, s'élève au-dessus du
disque plat qu'est la Terre, symbolisée par la partie
ventrale. Ensuite, la tortue sur ses pattes passe pour le soutien du
monde et du trône céleste. Autrement dit, la tortue est
l'intermédiaire entre le ciel et la terre, ce qui est
intéressant dans le cas présent.
Enfin, d'un point de vue psychologique, comme la tortue peut entrer
dans sa carapace, elle est en Inde un symbole de la concentration
mentale et de la méditation. Pour les rapports entre la Tortue
et la Tour Sombre, voir Lou Van Hille, En attendant Wizard and Glass, Steve's
Rag, avril 1997, p.
10.
12 "Nous sommes un
ka-tet, commença Roland. En d'autres termes,
un groupe d'individus liés par le destin - les philosophes de
mon pays affirmaient que seules la mort et la trahison pouvaient
rompre un ka-tet (...)
Chaque membre du
ka-tet est semblable à une pièce de
puzzle. Prise isolément, chacune est un mystère, mais
une fois rassemblées, toutes forment une image ou une partie
d'image. Il peut falloir beaucoup de ka-tet pour
parachever une image",
THE DARK TOWER, 3. THE WASTELANDS
1991, éd. fr. TERRES
PERDUES, J'ai Lu 1992, chap.
4. 19).
13 Ainsi le Pistolero sacrifiant Jack et utilisant ses
compagnons,"capable de faire
n'importe quoi. Pour sa Tour. Pour sa putain de Tour", in THE DARK TOWER,
2.THE DRAWING OF THE
THREE, éd. fr.
LES TROIS
CARTES, J'ai lu 1991, p.
382.
14 David, du même âge que Bill, est dans une
situation identique: il agit, poussé à le faire, au
gré des incitations d'une force qu'il ne contrôle pas.
Voir DESPERATION
1996, éd. fr. DÉSOLATION, Albin Michel 1996.
15 Rappelons-nous, dans 'Salem's Lot, la
foi chancelante du Père Callahan et l'avantage qu'en tire
l'adversaire diabolique, in 'SALEM'S LOT
1975, éd. fr. SALEM,
Lattès 1981, page 344.
16 Le samsara des
Bouddhistes, le cycle des existences et renaissances qui dure
jusqu'à la délivrance finale dans le nirvana pour ceux qui ont alors atteint la perfection.
17 Ce qui se rapproche d'une conception
indo-européenne ancienne, née en Chaldée et en
Inde, qui professe que l'histoire du monde ne prend son sens que par
sa forme cyclique, amenant la répétition de la
configuration céleste. En perpétuel recommencement,
elle ne connait ni début, ni fin, exactement comme dans le
cycle des saisons le printemps succède à l'hiver, et
ainsi de suite. Les êtres et les mondes naissent et
disparaissent dans une succession éternelle de vie et de mort.
Le caractère fataliste de cette idée,
célèbre par sa formulation «l'Éternel
Retour», a frappé l'imagination de nombreux
écrivains (notamment Heine, Dostoievsky ou Nietzsche).
18 Chez les Hébreux, le nombre 7, qui symbolise
l'alliance avec Dieu, est utilisé sans cesse dans
LA BIBLE: par exemple, le sabbat est le 7ème
jour, comme le chandelier rituel a 7 branches. Mais le nombre 7 a une
symbolique plus générale dans l'Antiquité: en
vrac, les 7 planètes, les 7 filles d'Atlas qui forment les
Pléiades célestes, les 7 sages de la Grèce, les
7 merveilles du monde, les 7 notes de la gamme occidentale, les 7
vertus, les 7 péchés capitaux, etc.
19 La roue est un symbole essentiel pour le bouddhisme,
où elle exprime les différentes formes d'existence en
mutation (roue de l'existence). La roue est animée par
le chakravarti hindou, celui qui meut la roue, le
maître de l'espace et du temps.
King évoque encore la spirale (p. 1064), symbole qu'il
développera davantage dans ROSE MADDER,
puisque la spirale est un symbole associé au labyrinthe. La
spirale, qui a deux sens, évoque deux mouvements
complémentaires, l'évolutif et l'involutif, symboles du
retour et du renouvellement cosmique.
Deux remarques encore: a) la roue de la Fortune, du monde
méditerranéen antique, a une signification
opposée, en symbolisant l'accidentel,
l'éphémère, le changement incessant de
condition; b) pour les Rosicruciens (XVIIè siècle), la
roue symbolise l'ensemble du cosmos, dont elle exprime le mouvement
cyclique (la Rota
Mundi).
[Les Rosicruciens associent
également la Rose à la Croix (signifiée par une
rose rouge symbolique au centre d'une croix rouge). La rose est le
dernier reste de l'homme originel avant la faute, le principe
christique présent en nous. La rose est une partie organique
de notre microcosme, le royaume de Dieu au-dessus de nous:
"Celui qui se consacre à la Rose,
en totale reddition de soi, parvient à la
transfiguration", in J. Van
Rijckenborgh, Les Secrets de la
Fraternité de la Rose-Croix,
tome III, page 350, cité dans Pierre A. Riffard,
L'ÉSOTÉRISME, éd. Laffont-Portiques, 1990, page 850. Simple
rapprochement suggestif avec la rose de THE DARK TOWER].
20 Qui sera nommée plus tard dans THE TOMMYKNOCKERS "la Grande Roue
du Karma", éd. fr.
LES
TOMMYKNOCKERS, Albin Michel
1989, page 97. Pour les Bouddhistes, le karma est
l'action, et la loi du karma
décrit l'enchaînement des causes et des effets; elle
implique la conséquence des actes passés sur la
responsabilité présente. Dans INSOMNIA, la
roue est appelée le ka, au sens de
destin: "le ka, la grande roue
des existences", op. cit.,
page 427.
21 "Bill se dit
qu'elle devait éprouver une vague surprise méprisante
pour la chose qui l'avait
[lui, Bill] propulsé
là"(p. 1030).
22 EXODE, 3.14.
Traduction Osty, éd. du Seuil 1973. Et les discussions ne sont
pas closes! Pour ceux que la question intéresse, lire le chap.
4 de Jack Miles, DIEU, UNE
BIOGRAPHIE, op. cit.
23 lI est possible d'en faire un autre. Dans
THE
TOMMYKNOCKERS, un personnage
dit, de façon hésitante: "On peut creuser jusqu'à ce qu'on appellerait le
ça, je pense... bien qu'au fond ce soit horrible, plein des
plus monstrueuses... on ne peut pas dire
idées", op. cit., page
149. En anglais, ça, notion psychanalytique freudienne, a
été traduite «id» de
l'allemand «das
Es» : lors de la
publication de ÇA, le
jeu de mots a été utilisé par un critique
américain, sous la forme d'une chronique parodique du roman
intitulée ID,
publiée dans le New-Yorker du 29/12/86, trad. fr. in
KING, Les Dossiers de
Phénix 2, éd.
Lefrancq, Bruxelles 1995, page370 et sv.
24 Les Juifs ne reconnaissent que les Écritures
(Ancien Testament) et non pas les Évangiles chrétiens
(Nouveau Testament).
25 Dans certaines illustrations des manuscrits de la
Bible, Dieu a été représenté un compas
à la main, en tant qu'architecte cosmique.
26 On retrouve une adaptation de ce rituel dans les tomes
III et IV de THE DARK
TOWER.
27 Il existe plusieurs films fantastiques avec le Golem,
dont certains, anciens, ont pu être vus par King.
28 Comme d'autres écrits fondateurs, le contenu de
la Bible est une mythologie, comprenant des mythes au sens propre du
terme, des récits légendaires faisant
référence au temps des origines et à des
héros de nature divine ou humaine, qui cherchent à
expliquer aux anciens Israëlites les origines du monde et son
fonctionnement.
29 Que les mythes soient religieux ou littéraires,
dans mon esprit, il s'agit toujours de mythologies inventées
par des hommes. Lovecraft apparaît ici dans l'esprit que
résume cette citation: "La religion européenne est grotesque et
parodique. Pour moi, il y a quelque chose de dix fois plus beau
lié à la nature et au cosmos: Lovecraft. D'ailleurs
Lovecraft est une religion avec ses adeptes, des données, un
formidable panthéisme: une religion cosmique (...). Le phénomène chrétien a tout
abêti, tout ramené à une seule personne, alors
que tout est mille fois plus compliqué, plus monstrueux,
grandiose", Philippe
Druillet, The
Skull, mars 71, cité
par Jacques Van Herp, PANORAMA
DE LA SCIENCE-FICTION,
Marabout Université, 1975, page 325.
30 Cité dans Lovecraft, OEUVRES COMPLÈTES, édition en 3 volumes, présentée
par Francis Lacassin, Laffont, édition de 1995, tome 1, page
3. Toutes les citations sont faites d'après cette
édition. Idem pour la citation concernant la magie
noire.
31 Un rapprochement évident avec une porte de
Lovecraft: "Dès que
Randolf Carter fut revenu parmi ces collines, il sut qu'il
était tout près de l'une de ces portes que quelques
hommes audaciaux et maudits ont ouvertes à travers les murs
titanesques qui séparent notre monde de
l'absolu", in OEUVRES COMPLÈTES, op. cit., tome III, page 167.
32 La Tour Sombre,
En Attendant Wizard and Glass, Steve's
Rag hors-série
n°4, avril 1997, page 10 et sv.
33 In INSOMNIA , op.
cit., page 627.
34 On oppose à cette conception celle de l'homme
moderne prométhéen, qui se sert de sa pensée non
pas pour reprendre ce qui a déjà été,
mais l'utilise pour faire apparaître ce qui n'a jamais
été perçu, analysé, construit ou mis en
oeuvre, avec le projet de maîtriser toujours davantage le
monde. C'est cette forme de pensée que combattent encore
maintenant nombre de religions «bloquées» dans le
monde, dont l'opposition à la pensée occidentale
dissimule mal leur désir de garder leurs conservatismes. De
même, un nombre de plus en plus grand de nos contemporains
souhaitent stopper, par crainte d'un avenir imprévisible, tout
nouveau développement en préservant ce qui est, en
sauvegardant une création à maintenir en l'état
(dont ils sont en quelque sorte les gardiens) ou se réfugient
dans des formes religieuses dont la répétitivité
leur semble un garant de leur durée.
35 Je me suis demandé pourquoi King avait
créé Ça femelle et pourquoi il y avait ces
oeufs, qui seront tous détruits. Simple effet pittoresque?
Suggestion que Ça a déjà pu se reproduire et
disséminer cosmiquement auparavant - ce qui aurait pu
permettre d'établir un lien avec ROSE MADDER?
Pourquoi ne pas avoir ménagé l'avenir et laisser le
doute, ce qui permettrait ultérieurement de reprendre le
mythe? Puis j'ai pensé que la mort de Ça et la
destruction complète des oeufs étaient seules capables
de mettre fin au cycle répétitif et d'amener cet
achèvement spirituel des membres du ka-tet que je viens
d'évoquer.
36 Par opposition aux mythes cycliques des
Indo-Européens, les Sémites avaient une conception
linéaire de leur histoire. Dieu a créé un jour
le cosmos, et ce jour marque le début de l'histoire de la
création, où les hommes réalisent le dessein
divin. Avec le Jugement Dernier, l'histoire de le création
arrivera à son terme. Le but d'un homme n'est pas de sauver
son âme dans la répétition de
réincarnations successives, mais de connaître la
rédemption du péché et de la faute.
Cette idée est reprise par
Saint-Augustin: l'histoire est nécessaire pour éduquer
les hommes et anéantir le mal. "La Providence conduit l'histoire de l'humanité
depuis Adam jusqu'à la fin de l'histoire, comme s'il ne
s'agissait que de l'histoire d'un individu qui passerait petit
à petit de l'enfance à la vieillesse."(La
Cité de Dieu). Point
de vue modernisé par Teilhard de Chardin, avec
l'évolution de l'humanité vers le point ½.
mes autres études sur Ça :
KING ENFANT ET LE
CINÉMA dans
Ça
KING, LE CYCLE ET LA
ROUE.
lire aussi :
LA COSMOGONIE DU
TALISMAN.
ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
différentes saisons
saison # 4 -
été 1999.
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