LeTalisman des Territoires
Les systèmes complexes d'équations établis au XIXème siècle à partir de la géométrie analytique et du calcul infinitésimal ont permis aux mathématiciens d'élaborer des formes qui échappent à l'évidence visuelle. La perception humaine, habituée à une vision euclidienne du réel, n'a pu que reculer devant la représentation des espaces gaussiens à n dimensions, qui entraînèrent comme conséquences des espaces à courbure positive ou négative, à représentations visuelles difficilement concevables. Quand Einstein y ajouta le temps et le relativité, ce fut la panique. Pas pour tous: les savants et les techniciens purent puiser dans ces modèles les moyens qui permirent, entre autres, l'utilisation du nucléaire comme la conquête de l'espace . Pour les littéraires auteurs ou amateurs de science-fiction s'ouvraient aussi de domaines espaces imaginaires nouveaux à explorer.
King, comme d'autres créateurs
de science-fiction1, n'a pas pu échapper à la tentation
d'utiliser les champs ouverts par les espaces alternatifs et la
multiplicité des mondes, avec toutes les implications
imaginaires que cela suppose.
Mais il apporta en plus à ce choix ce qui lui appartient en
propre: une signification spirituelle particulière, dont la
plupart des éléments figurent déjà dans
THE STAND
et qu'il a par ailleurs
continué à enrichir jusqu'à DESPERATION. Le roman fondateur de cette cosmodicée à
la fois spatio-temporelle et spirituelle fut THE TALISMAN, commencé en 1982 en collaboration avec Peter
Straub, terminé et publié en 1984 (durant le même
temps, il préparait pour sa fille THE EYES OF THE DRAGON2). Jack Sawyer, douze ans, entreprend une
quête qui lui permettra de tester et de développer des
qualités physiques, mentales et spirituelles qui le forgeront
comme s'est forgé à peu près au même
âge Roland de Gilead, surtout avec son maître Cort.
Si le terme, devenu rare, de cosmodicée a été
utilisé plus haut, c'est dans la mesure où il
apparaît que ce type de héros, au delà du
modèle séduisant du jeune qui se construit
positivement, est le produit inconscient de l'imaginaire de King,
marqué par l'ambiance éducative de la
Nouvelle-Angleterre, où la réussite et le succès
dans l'action sont la sanction de l'approbation divine et de
l'exemplarité de l'existence.
C'est ce mélange particulier de science-fiction/fantasy
moderne et de construction spirituelle sur des schémas plus
anciens qui fera l'objet de cette étude.
Le
temps est le
même3: les Territoires sont soumis aux cycles solaire et
lunaire, d'une durée identique à celle de notre
continuum. Lors d'un passage le soir, Jack quitte les Territoires
alors que le ciel devient "mauve"(7,194);
il se retrouve dans notre continuum "dans la lumière orange du coucher du
soleil"(7,200).Mais on n'y
reconnaît dans le ciel "ni les constellations de l'hémisphère
Nord, ni celles du Sud"(36,808): "Des
étoiles inconnues formant des constellations inconnues
brillaient dans le ciel au-dessus de sa tête -messages
envoyés dans un langage qu'il ne comprenait
pas"(15,302).
L'espace
n'est pas le même: les dimensions sont plus restreintes: "Dans les Territoires, il avait parcouru une distance de quatre mètres cinquante environ. Et ici il avait fait huit cents mètres"(4,92)4. Pour un observateur, le déplacement se fait à la même vitesse relative dans chacun des deux mondes. Mais tout déplacement dans les Territoires, suivi d'une incursion dans notre continuum, se traduira par un trajet beaucoup plus long effectué dans ce continuum. Les deux espaces sont homothétiques.
La simultanéité des événements.
Il y a simultanéité
entre certains événements des Territoires et ceux de
notre continuum, appelé "l'Autre Lieu"par
ses habitants. Certains sont de l'ordre du détail, comme des
perturbations dans la vie quotidienne et sans conséquences
importantes. D'autres sont plus graves, modifications diverses comme
l'effondrement d'un immeuble en construction (14,349). Enfin certains
sont catastrophiques: après l'assassinat d'un dirigeant par un
étranger, une révolte mineure, fomentée par des
mécontents cherchant à conquérir le pouvoir, est
contrôlée en quelques semaines au prix d'une centaine de
morts. Or cette guerre a commencé le 1er septembre 1939, comme
notre seconde guerre mondiale: "Ce qui n'était là-bas qu'une
échauffourée de trois semaines a en quelque sorte
déclenché chez nous une guerre qui a duré six
ans et tué des millions de gens"(11,288). Et enfin l'étranger, qui a commis
l'assassinat à l'origine des troubles, venait probablement
d'un autre espace-temps avec l'intention de créer des
désordres par ricochet dans notre continuum.
La
géographie des Territoires,
"pays sans
cartes"(5,117), n'est connue
dans le roman que pour la partie correspondant aux U.S.A. Il est fait
allusion à des navigateurs (36,808), à un passage
effectué à partir du Japon (Interlude III,722) sans que
l'on puisse conclure que l'ensemble de la géographie de ce
monde est identique à la nôtre.
Les Territoires se composent de trois parties très
différentes: "Une vague
carte géographique des Territoires, probablement fausse
à plus d'un titre, commençait à prendre forme
dans l'esprit de Jack. Il y avait les Territoires, qui
correspondaient à l'Est américain; les Avant-Postes,
lesquels coïncidaient avec le Midwest et ses grandes plaines
(Ellis Breaks? Illinois? Nebraska?) et les Terres
Dévastées qui équivalaient à l'Ouest
Américain"(34,746).
Les "Terres
Peuplées"(17,400),
où se trouvent la majorité des habitants, leurs lieux
de production, d'échanges et de gouvernement, constituent la
partie vitale du pays et sont "fondamentalement
bénéfiques"(13,327). Les Avant-Postes sont utilisés pour
l'élevage, effectué par des loups-garous qui gardent
les troupeaux. Ce sont des régions qui ne sont pas
polluées par la civilisation industrielle, et on y
perçoit l'odeur d'un radis arraché à des
dizaines de mètres! (3,60). Par contre les Terres
Dévastées sont de vastes déserts produits par
des expériences nucléaires faites dans notre continuum
et constituent un "monstrueux
gâchis"(34,747).
Peuplées par une végétation et des
créatures aberrantes produites par la
radio-activité5, elles sont la terreur des habitants. S'y
promènent notamment des boules de feu d'origine
nucléaire"projetant des
étincelles et grésillant avec une ardente
énergie"(35,777).
Les habitants des
Territoires.
La plupart sont semblables
aux humains de notre planète (morphologie, taille). Il y a au
moins deux groupes raciaux: blancs et noirs (dits "à la peau sombre"(7,165). Les autres sont les loups-garous dont
il a été question plus haut. La plupart des plantes et
des animaux sont les mêmes, d'autres des hybrides y ressemblant
comme les «monstrons» (16,390). Mais on rencontre des
paradoxes: hommes volants (13,332), hommes-gargouilles ressemblant
à celles des cathédrales de notre Moyen-Age (25, 581),
animaux à deux têtes : perroquet6 qui se parle et se pose des devinettes
(13,323), cheval (7,167); des plantes mi-sapin, mi-fougère,
qui ont des racines qui agrippent et capturent (7,193).
L'alimentation est à peu près la même -un long
passage est consacré à la bière
préférée de King: de la Kingsland...(7,177). Le
niveau de civilisation équivaut à celui du Haut
Moyen-Age (vers 900/1000)7 et les lunettes y sont inconnues (12,310). Les sources
d'énergie sont celles de cette époque (pas de
civilisation industrielle ni énergie moderne). L'armement
médiéval se compose de poignards, de courtes
épées, de lances, d'arcs et de
flèches8.
Le langage, "idiome
harmonieusement fluide et légèrement flûté
des Territoires"(42,973) est
parlé sans problèmes et sans apprentissage par les
Etrangers9 dès leur passage.
Politiquement,
le pays est "une monarchie agraire", où "la magie remplace la physique"et "la
science"(3,56). Mais la
monarchie est en péril, la reine se meurt et le royaume est en
proie à des dissensions fomentées par les agents du
mal.
Les habitants ne sont ni meilleurs, ni pires que les habitants de
notre continuum: il y a les gentils, les industrieux, mais aussi les
avides, les profiteurs, les voleurs et les lâches. Des
sadiques, des ivrognes et des catins. La morale des Territoires est
codifiée dans le Livre
du Bon Fermier, sorte de
Bible qui se trouve souvent citée sous forme de principes ou
de préceptes et qui sert de référence à
la plus grande partie de la population.
Les Territoires et notre continuum
sont des "mondes
géminés"(Interlude IV,756): entre ces mondes, des portes sont
ouvertes et des passages possibles.
Si les êtres particuliers des Territoires ne peuvent pas les
quitter, par contre d'autres peuvent passer dans l'espace
parallèle qu'est notre continuum: certains habitants
géminés avec des "Etrangers"(16,389) de "l'Autre Lieu"et
des loups-garous (16,386), qui ont une apparence sensiblement
humaine, mais dont il faut accompagner le passage, appelé
aussi «Migration» (37,836). Ils peuvent
éventuellement rester dans notre continuum10.
Les
doubles.
"Il y a des gens ici, qui
ont leur double dans les territoires (...). Pas
beaucoup, car ils sont moins nombreux là-bas -environ un sur
cent mille"(4,81). Ces
doubles peuvent s'habiter mutuellement, avec cependant un
élément dominant, à la manière de notre
cerveau: "Orris était
encore là à l'intérieur de sa tête, et lui
parlait à la manière dont l'hémisphère
cérébral droit parlait au gauche pendant les
rêveries: à voix basse, mais distinctement
(...). Quand quelqu'un émigrait et
s'introduisait dans le corps de son double, le résultat
était une sorte de possession bénigne"(Interlude III,715)
Le possesseur d'un double réapparaît obligatoirement
à l'intérieur du double, et à l'endroit
où ce double se trouve: "Sloat atterrissait toujours là où se
trouvait Orris, c'est-à-dire aussi bien à des
kilomètres de distance de là où il voulait
être"(Interlude
III,716).
Enfin il y a des doubles qui s'ignorent et n'ont jamais
«habité» leur jumeau, "comme la mère de Jack, profondément
apparentée à une personne des Territoires mais
inconsciente de cette parenté si ce n'est au tréfonds
de soi"(21,517).
Les
uniques.
Ce sont ceux dont le double a disparu, pour diverses
raisons: "Il n'y en a pas deux
comme toi. Tu es unique"(4,82). Grâce à "l'ahurissante simplicité de sa
nature" quand l'unique passe
d'un monde à l'autre, il se retrouve homothétiquement
"toujours dans l'endroit
équivalent à celui qu'il avait
laissé"(Interlude
III,716).
Les loups-garous paraissent également uniques, puisqu'il n'est
nulle part question d'équivalents dans notre
continuum11.
Enfin une particularité: il y a aussi dans les Territoires la
possibilité pour certains de se rendre «vagues»:
"Par ce mot, ils
désignent quelqu'un qu'on a peine à voir, même en
le cherchant du regard. L'invisibilité reste
impossible
(...), mais on peut se
rendre vague à condition de connaître
l'astuce"12 (34,750).
Les passages
humains.
Entre les deux mondes, il y a un "purgatoire vide et insensible"(36,722) qui est franchi par divers moyens, la
projection désirée étant le plus courant. Elle
s'accompagne d'un phénomène physique: "Une bulle d'air gigantesque se ridait et
ondulait à un mètre du sol, donnant l'impression de se
tordre et de se déchirer ").
«Quelque chose déchire l'espace -quelque chose le
traverse comme une blessure»"(17,406).
Psychologiquement le passage est moins traumatisant: "Il y eut un instant d'apesanteur...rien qu'un
instant...puis il perçut sous lui une sensation de mouvement
(...). Il rouvrit les yeux dans la peau de Morgan
d'Orris. Comme toujours, sa première réaction tenait du
pur ravissement"(Interlude
III,717). Le passage s'accompagne de modifications physiques:
"Sa poitrine était plus
étroite, son poids moindre. Le coeur de Morgan oscillait entre
quatre-vingt-cinq pulsations/minute et cent vingt en cas de
contrariété. Celui d'Orris dépassait rarement
soixante-cinq" (Interlude
III,714). Y compris le pied-bot dans le cas
présent...(Interlude III,715).
Pour l'apprentissage du passage, Jack utilise d'abord un
désagréable élixir approprié (4,84), puis
apprend à émigrer avec de plus en plus d'aisance. Car
"la plupart des gens qui vont
là-bas n'en ont pas besoin"(4,83).
Il est possible de passer accompagné, ce que Jack fait
à plusieurs reprises avec un loup-garou (17,414),
procédé qui est à différencier de celui
du passage dans le double. De même font les
«méchants»: Gardener passe des individus qui
travailleront dans ses mines, Morgan des équipes importantes
pour mettre en place du matériel roulant.
Les interférences
peuvent être aussi politiques. On se souvient que c'est un
assassin de notre continuum qui est intervenu pour fomenter les
troubles dans les Territoires qui ont amené chez nous par
synchronie la seconde guerre mondiale. Des criminels peuvent ainsi
supprimer les doubles des deux mondes pour éviter toute
continuité dans l'action d'un monde à l'autre.
Quelquefois ça rate pour l'un d'entre eux: dans ce
cas-là, le survivant des jumeaux devient unique
(voir plus haut).
Les passages
de matériaux.
"L'acte d'Emigrer semblait
impliquer une forme de translation"(37.836). Aux passages, les vêtements des humains
sont spontanément adaptés à leur nouvelle
situation: "Il portait
à la place de ses jeans en velours côtelé un gros
pantalon de drap rude. Au-dessus de la ceinture, il était
vêtu d'une espèce de veste ajustée en
étoffe bleue très douce. Un justaucorps
peut-être?, se dit Jack. La veste était fermée
non par des boutons, mais par une rangée d'agrafes et
d'oeillets. L'ensemble, à l'évidence, cousu
main"(6,140)13.
D'autres objets se transforment: un miroir devient une bille
(13,321), des dollars des "jonchets"en
bois, "évidemment
monnaie d'échange"(13,313) calculée au plus juste....
La
multiplicité des mondes.
"Les Territoires ne sont pas le seul monde
parallèle"(11,289)
avait affirmé, avant sa mort,le père de Jack,
lui-même double d'un Prince des Territoires.
Lors d'un tremblement de terre Jack a la vision14 de cette multiplicité des mondes:
"Les événements
le transportaient. En un sens, il ne se trouvait pas du tout à
l'Azincourt, ni à Point Venuti, ni dans le comté de
Mendocino ni en Californie, pas plus que dans les Territoires
américains que dans ces autres Territoires, mais il y
était quand même, ainsi que dans une infinité
d'autres mondes, et en tous à la fois. Jack n'occupait pas non
plus un seul endroit de tous ces mondes; il était partout en
eux parce qu'il était
ces mondes (...). Jack Sawyer était partout; Jack Sawyer
était tout. Sur un monde à cinquante mille mondes de la
Terre, un brin d'herbe mourait de soif dans une plaine quelconque au
centre d'un continent dont la position correspondait grosso modo
à celle de l'Afrique, et Jack mourait avec ce brin d'herbe.
Dans un autre monde, des dragons copulaient au milieu d'un nuage loin
au-dessus de la planète, et au contact de l'air froid leur
haleine enflammée par l'extase provoqua un déluge et
des inondations sur la terre en dessous (...). Aux
confins de l'éther à un million d'univers de distance,
trois atomes de poussière flottaient les uns près des
autres dans l'espace interstellaire; Jack était l'espace comme
la poussière. Des galaxies se dévidaient autour de sa
tête tels de longs rouleaux de papier, et le destin perforait
chacune d'elles suivant des motifs aléatoires,les transformant
en bandes de pianola macroscopique qui jouerait n'importe quoi du
ragtime aux hymnes funèbres. Les dents fortunées de
Jack mordaient dans une orange; la chair infortunée de Jack
hurla quand les dents la déchirèrent (...). Son coeur bondit et mille soleils flamboyèrent en
autant de novæ.
(...)"(44, pages 989/990).
L'axe des
mondes.
Le "lien de tous les mondes
possibles";15,
c'est le Talisman, hyperforce bénéfique que ne peuvent
s'approprier les méchants, qui ne peuvent qu'en
défendre l'accès (41,939). "C'était le Talisman. L'essieu de tous les mondes
possibles16. Combien de mondes? Dieu seul savait. Les
Territoires américains; les Territoires eux-mêmes; les
hypothétiques Territoires des Territoires, et ainsi de suite
(...). Un univers de mondes, un macrocosme de mondes
multidimensionnels...et en tous un objet qui restait identique; une
force unificatrice qui se révélait
indéniablement bonne, même si celle-ci se trouvait
actuellement prisonnière d'un endroit néfaste: le
Talisman, essieu de tous les mondes possibles"(37, 861). "Les méridiens et les
parallèles"(44,998)
ceinturent ce globe reflet de tous les autres et"doté d'un pouvoir
infini"(43,970):
"Mondes après mondes,
certains magnifiques, d'autres diaboliques, chacun
momentanément illuminé par la chaude lumière
blanche de cette étoile que constituait le globe de cristal
gravé de traits fins"(42,974).
Ces mondes sont interdépendants et vivent en synchronie:
"Dans tous les mondes, quelque
chose bougea et se réinstalla en une position
légèrement différente...mais à Point
Veneti la bête logeait dans la terre; elle gronda parce qu'on
l'avait réveillée et ne se rendormit pas avant
soixante-dix-neuf secondes selon l'Institut de Séismologie de
Cal/Tech"(44,988).
"L'épicentre de
cataclysmes similaires courait de cet endroit à travers tous
les mondes, comme poinçonnée par la sonde creuse d'un
géomètre"(44,992).
Conséquence de cette interdépendance: "Il n'y a pas que des doubles, parce qu'il y a
plus de deux mondes. Il y a des triplés...des
quadruplés...qui sait?"(37,862). Quant à l' unique, comme Jack, il peut
se trouver partout "parce
qu'il [a] sa place dans tous ces
mondes, mais il ne peut
évidemment exister "simultanément en tous"(42,960).
Le lieu de rencontre des mondes.
C'est l'Hôtel
l'Azincourt17, "vieil
hôtel magique et sinistre"18 (38,871) à Point Veneti en Californie du Nord,
encore appelé l'Hôtel Noir à cause de sa couleur.
"Il y a quelque chose dans ce
lieu. Il disait que c'était là depuis des
lustres"(37,860).
"Il fait sombre ici parce que
tous ces mondes s'entassent, se chevauchent comme une
[multiple] impression sur un même
film"(39,894). Nulle part
ailleurs les Territoires -et les autres mondes- ne sont aussi
"proches"(38,875), au point que des
éléments de l'un peuvent se trouver subrepticement dans
l'autre, comme les arbres aux racines tueuses (42,958).
"Les Territoires suintaient
littéralement à Point Veneti"(39,880).
Il y a ainsi dans le cosmos "des douzaines d'hôtels noirs...sauf que dans
certains mondes, c'est peut-être un parc d'attraction noir...ou
un camping-caravaning noir...ou je ne sais quoi"(37,862). Un peu plus loin, Jack passe d'un
lieu à un autre (tente, gréement, talus gardé
par un serpent géant): "L'intention restait partout la même, et les
différences avaient aussi peu d'importance que les accessoires
de prototypes rivaux"(42,961). Le lieu correspondant à l'Hôtel
Noir dans les Territoires est un château
moyenâgeux19, de style gothique, aux portes protégées
par des herses (41,940).
Seuls les uniques peuvent entrer dans l'Hôtel Noir: ces
personnes "sont pareilles que
lui... le Talisman. De nature unique"(37,863)20.
Si la reine meurt, "alors nous aurons une horreur noire dans les
deux mondes. Une horrible noirceur"(40,905). Seule la possession du Talisman peut
éviter ce désastre.
Le Talisman sera donc l'objet de "la quête"de Jack (42,974), qui a compris que la marche du cosmos
vient du conflit duel entre des "personnages opposés, comme des statues
allégoriques et symétriques, personnifiant le JOUR et
la NUIT, la LUNE et le SOLEIL-l'obscurité et la
lumière"(3,51). Ces
personnages sont les enjeux de forces cosmiques qui les
dépassent infiniment.
Le Grand
Ordonnateur.
L' Ordonnateur du bien et de la lumière n'est pas
nommément désigné, pas plus que son ou ses
adversaires. Il est question de "la force qui cachait le Talisman dans
l'hôtel"(40,912). Dans
les Territoires, on ne jure que par le «Grand
Charpentier»21 (7,164), qui paraît omniscient: "Aucun clou n'échappe au marteau du
Grand Charpentier"(7,157). Ce
Grand Charpentier est volontiers assimilé au dieu biblique
dans les jurons: "Dieu me
pile"(16,389) ou
"Par les clous du
Seigneur!"(16,385). Et son
omnipotence est indiscutable: "Dieu enfonce ses clous tôt ou
tard"(12,311).
Les préceptes qui nous sont donnés sont ceux d'une
société agricole: "Les humbles hériteront de la
terre"(6,151). Le bon berger
doit veiller à son bétail -on ne doit JAMAIS toucher au
troupeau-, le loup22 qui dévore ses bêtes"doit être puni de mort"(17,403). Il ne faut pas "conduire au sacrifice le fruit de sa
semence"(Interlude V,923).
Morale simple, qui ne fait que reprendre d'anciens comportements
agraires.
Enfin il y a, communs aux deux mondes, des endroits
mystérieux: le loup-garou Wolf perçoit dans notre
continuum "une force
mystérieuse"l'empêchant de tuer une proie: "cette force étrange lui était
pourtant familière. Il ne s'agissait pas d'un interdit d'ordre
moral, mais d'une force magnétique négative qui
l'empêchait de traverser des lieux d'apparence
ordinaire" Ce sont
"des lieux sacrés et il
lui était absolument interdit d'y tuer (...). Comme tous les lieux sacrés, ils étaient
situés à l'écart depuis la nuit des
temps"(19,469).
Quant à Jack, sa formation religieuse paraît des plus
réduites. Il cite les Ecritures. Le vieux musicien noir
vadrouilleur Speedy, qui lui vient souvent en aide, lui fournit
volontiers des explications théologiques des
événements.
La
prédestination.
Les signes d'un choix particulier sont nombreux.
Au point de départ de sa quête (15 septembre 1981), Jack
et sa mère (double de la Reine des Territoires) se sont
réfugiés à l'hôtel l'Alhambra dans le New
Hampshire. "Jack eut la
désagréable impression d'être manipulé;
comme si un fil invisible les avait attirés, sa mère et
lui, dans cet endroit abandonné au bord de la mer. Quelqu'un,
quel qu'il fût, voulait qu'il se trouve
là"(1,25). Pendant
tout son voyage, cette impression subsiste.
Vers la fin de sa quête, trois mois plus tard, "une fois de plus Jack éprouva la
sensation irréelle que l'ensemble de sa vie avait concouru
à l'amener précisément à ce
point"(40,907).
"Les destinées.
Voilà de quoi il s'agit" explique Speedie.
"Toutes ces destinées expliquent pourquoi ta maman t'a conduit
à l'hôtel de l'Alhambra (...). Le Talisman t'a
attiré ici, petit"(40,906).
"Le Talisman connaissait son existence dès la première
heure de sa naissance et attendait depuis lors qu'il vienne le
libérer. Le Talisman avait besoin de Jack Sawyer et de
personne d'autre"(45,1024).
Le
messie.
Jason, fils de la Reine des
Territoires, devait initialement effectuer cette mission. Son
assassinat fera de son double Jack son successeur. Dans les
Territoires, Jason, "de sang
royal et peut-être même d'essence divine"(34,745), était le
messie23, le sauveur attendu qui libèrerait son peuple et
mettrait fin à l'ordre des Ténèbres.
L'attente d'un messie est profondément enraciné dans
l'homme, et pas seulement dans le domaine religieux: elle joue le
rôle d'un archétype, enfoui dans l'inconscient et
ressurgissant à la conscience lors des périodes de
troubles et de tensions. Or le royaume est en péril et on
attend le salut de Jason24. Jack sera Jason25. "Jason!
s'exclama le vieillard en tombant à genoux. Jason, tu es venu!
Tu es venu et tout ira bien, oui, tout ira bien et toutes sortes de
choses iront bien!"(34,738).
Le choix de l'Hôtel l'Alhambra n'est pas non plus anodin. La
mère de Jack a été une actrice connue:
nominée pour un Oscar, elle a passé quelques semaines
dans cet hôtel avec son mari: "Si Jack avait été plus âgé et
plus intéressé par la question, il aurait
découvert, en faisant la soustraction nécessaire, que
l'Alhambra avait été le lieu même où sa
vie avait commencé"(1,18). Comment ne pas penser ici à une naissance
programmée et annoncée?
Le Talisman et la
quête initiatique
C'est parce que "tout est
confondu, le bon et le mauvais, le noir et le blanc"(39,884) que Jack, dans le "besoin de créer l'ordre à partir
du chaos (...),
créer l'ordre et le
perpétuer"(33,686)
veut conquérir le Talisman salvateur. Mais
simultanément, il n'a pas d'autre perspective:
"Tu ne peux pas faire
autrement, c'est la volonté du Seigneur", affirme Speedy à Jack au début
de son aventure (3,64).
C'est ainsi "qu'il
était écrit depuis toujours"que Jack "s'emparerait"du
Talisman"(42,969). Le Talisman l'appelle: "Viens à moi! Viens maintenant! Jack! (...). Viens
à moi, amène le troupeau, et tout ira bien et tout ira
bien et".. (41,931). Pour que
l'ordre des choses devienne meilleur, Jack y consacrera tous ses
efforts au cours d'épreuves longues et difficiles. Ces
épreuves constitueront une initiation26 qui introduira à la fois un nouvel
ordre dans les mondes et, pour lui, d'autres niveaux de
connaissances, de conscience et de possibilités.
L'extase de
l'élu.
À la fin de ses
épreuves, sa quête achevée, il connaîtra
l'extase propre aux grands initiés en rencontrant le Talisman.
Il"se planta dessous,
submergé par la chaleur et la claire intuition d'une force
bien intentionnée. Comme dans un rêve, il sentait cette
force couler en lui telle la limpide pluie de printemps qui
réveille les puissances endormies en des milliards de graines
minuscules"(42,973). Et il
recueille dans ses mains ce "
cosmos du bien"(42,975), ce
don des forces de la lumière: venait du Talisman
"un rayon éblouissant
de lumière pure"(42,965), une "magnifique lumière blanche qui contenait en fait
toutes les couleurs de l'arc-en-ciel"(43,986).
"Un globe, un monde, tous les
mondes. C'était la gloire et la blancheur. Et comme il en a
toujours été et sera toujours avec le blanc,
c'était effroyablement fragile"(42,974).
Les ultimes
tentations.
Trois épreuves finales seront déterminantes. La
première lui donne la possibilité du divin, qu'il doit
sacrifier: "Il était
Dieu. Dieu, ou quelque chose de si approchant que cela ne faisait
aucune différence. -Non! hurla Jack avec terreur. Non, je
refuse d'être Dieu! Je vous en prie! Je vous en prie!
TOUT CE QUE JE VEUX, C'EST SAUVER LA VIE DE
MA MÈRE!" Alors, comme la
main qui perd aux cartes se replie en un geste expert, l'infini
soudain se referma"(44,991).
La seconde le conduit à l'oblativité. Son copain
Richard lui demande de tenir le Talisman. Dans un mouvement
égoîste, Jack répugne à confier le
Talisman à son copain: "Il est à moi! Tu ne l'auras pas! C'est à
moi!"Le talisman devient noir
et Jack comprend aussitôt que celui qui n'est pas capable de
partager ne vaut rien pour le talisman et la force qui l'utilise. Il
le donne à son ami. "Lorsque le Talisman émit à nouveau sa
glorieuse lumière blanche, Jack sentit ses propres
ténèbres intérieures se dissiper. Il lui vint
subrepticement à l'esprit que la propriété d'un
objet ne peut s'exprimer qu'en termes de libre
renonciation"(44,1003).
La troisième l'amène au renoncement. Pour sauver de la
mort son ami Richard, il doit jeter le Talisman sur l'ordre d'un
agent des ténèbres. Il le jette: "En ce moment précis, Jack
expérimenta la pureté renversante qui consiste à
renoncer à l'objet de
sa quête. -Plus de
massacre. Vas-y, casse-le si tu le peux,
déclara-t-il. Je le regrette pour toi"(45,1036. Et c'est le méchant qui est
foudroyé.
Alors Speedy/Parker peut prononcer le jugement: "Tu t'es montré brave et loyal, Jack.
J'aimerais t'avoir pour fils. Je salue ton courage et ta foi. Il y a
beaucoup de gens dans d'autres mondes qui te doivent une fière
chandelle"(46,1044).
Les objets
cosmiques.
Pour l'aider dans sa quête, un certain nombre d'objets mineurs
lui ont été remis ici et là par des personnages
qui lui sont favorables bien qu'inconnus, et qui ne lui ont fourni
aucun mode d'emploi. Il y a ainsi le médiator/dent de requin
en ivoire, procuré par Speedy (5,117), qui lui permettra de se
faire reconnaître dans les Territoires (6,146) et d'affronter
les chevaliers fantômes (41,943). Une pièce de monnaie,
donnée par le capitaine des Gardes Farren (7,190), qui sert de
signe de reconnaissance (34,738) et qui sera appliquée au
moment opportun sur le front d'un méchant, entraînant
ainsi sa mort (36,826). Le miroir-bille remis par un marchand
(12,322), qui lui permettra de protéger son copain en une
occasion périlleuse. Le cheval de bois de manège
(4,77), qui devient ultérieurement canot pneumatique à
tête de cheval capable d'obéir aux ordres (40,908). Et
puis aussi l'objet majeur qu'est le Talisman. Le Talisman
Guérisseur, étincelant "de tous ses feux, chantant une harmonique pure, sans
parole, de santé et de guérison"(44,1001), qui sauvera sa mère, la
Reine des Territoires et d'autres. Mais aussi Talisman destructeur,
qui foudroiera les agents des ténèbres.
Les agents de la
lumière.
Cette force a à son
service des agents variés, dont ceux énoncés au
§ précédent, informés ou non de leur
rôle: "C'est pour quoi
faire? (...).
-Tu le sauras en temps voulu,
répondit le capitaine. Ou peut-être pas. En tous cas, en
ce qui me concerne, j'ai fait mon devoir envers toi"(7,191). Le plus agissant, toujours là
aux moments difficiles, est Speedy Parker, dont le double est Parkus,
sorte de "Haut Commissaire et
Exécuteur de la Haute Justice"(45,1043) des Territoires. Il l'aide de conseils
télépathiques (41,948) et lui indique des personnes
à contacter. Jack reçoit aussi de nombreux messages
télépathiques de sa mère.
Cette force est également capable de prendre et de faire
exécuter des décisions intantanément par
d'autres êtres vivants. Elle a certes prévu en son temps
des créatures marines chargées d'aider Jack à
débarquer dans l'hôtel. Mais sa vigilance n'est jamais
en défaut: quand un méchant tire sur Jack,
"un être pisciforme de
trois mètres de long avec une grande nageoire dorsale bondit
aussitôt hors des flots pour stopper la balle"(40,913).
La quête est achevée,le Talisman conquis. Et Jack,
devenu plus fort, se voit comme une sorte de
pistolero...(39,882).
Il est conduit par Morgan,
ex-associé du père de Jack qu'il a fait assassiner. Il
veut aussi bien mettre la main sur l'héritage de son
associé que régenter les Territoires pour son seul
profit. Inutile d'énumérer ses défauts, tares et
perversités; il les a tous, servis par une intelligence et des
pouvoirs diaboliques: il "irradie le mal"(45,1017).
L'équilibre des mondes
menacé.
Par ses ambitions, il est une menace pour l'équilibre des
mondes: "Je peux tous les
gouverner si je veux, je peux être une sorte de Dieu de
l'Univers"(Interlude V,926).
Pour cela, il faut que la Reine et son double, la mère de Jack
meurent et que le Talisman, qui permettrait leur guérison,
soit détruit. Morgan ne peut pas lui-même entrer dans
l'Hôtel Noir, où ne peuvent pénétrer que
les «uniques» "Une
porte verrouillée se dressait entre lui et son destin. Il
n'avait aucune envie d'ouvrir cette porte, plutôt de la
détruire, de la détruire absolument,
complètement, pour l'éternité, en sorte qu'elle
ne pût jamais se refermer, encore moins se verrouiller. Une
fois le Talisman réduit en miettes, tous ces mondes
LUI appartiendraient"(Interlude V,926).
Il va donc d'abord essayer par tous les moyens d' empêcher Jack
d'y parvenir: en vain. Jack a réussi à s'introduire
dans l'Hôtel Noir27, où se trouve le Talisman salvateur. Dès
lors Morgan change de tactique et il attend la sortie de Jack avec le
Talisman pour le détruire.
Ses
pouvoirs.
Lui aussi possède ses pouvoirs et ses alliés. Magicien,
il détient une clé-paratonnerre28, capable de déclencher la foudre et de
lancer des éclairs destructeurs. Il a le don d'ubiquité
et il peut suivre les déplacements des personnes qu'il
surveille. Il peut leur envoyer des messages
télépathiques dans les deux mondes, ou par
téléphone dans notre continuum. Il est magicien et
maître en illusions (voir chap. 30 à 33 et 45). Dans les
Territoires son double est Orris, aussi détestable que lui, et
que Morgan contrôle. A eux deux, "ils voient tout ce qui se passe ici et là-bas,
comme ce putain de Janus"(4,97).
Ses
alliés.
Morgan a pour adjoint Gardener/Osmond, qui est le véritable
homme à tout faire: second de Morgan pour régenter les
Territoires, patron des mines, constructeur de la ligne de chemin de
fer, agent de toutes sortes de basses oeuvres (comme
l'enlèvement raté de Jack), il dirige en plus un Centre
pour Jeunes, le Foyer du Soleil, où il fait de magnifiques
sermons qui sont télévisés pour la plus grande
gloire de Dieu. Il se sert de personnages mineurs pour ses
crimes.
Ils ont développé les forces du mal dans les
Territoires en enlevant des loups pour les emmener dans notre
continuum, où ils leur ont appris à tuer, comportement
tabou dans les Territoires. Puis, de retour là-bas, les tueurs
ont été utilisés comme troupes de choc par
Morgan qui leur procure des armes.
Il faudrait ajouter les arbres paralysants et les insectes
d'usage.
Des
représentants peu crédibles.
Si les forces de la
lumière sont sous-jacentes sans être
caractérisées (excepté Speedy), que dire des
forces des Ténèbres, peu crédibles? Elles
n'existent que par Morgan: cerveau malin de l'histoire, son
activité est prodigieuse, ahurissante même, sans
équivalent, et de loin, dans l'ordre de la lumière. Il
voit tout, sait tout, est partout, surgissant sans cesse à
l'improviste, utilisant tous les moyens de locomotion, supervisant
les deux mondes. C'est un homme «ordinaire» cependant, et
il n'est fait nulle part allusion à une créature
d'origine diabolique.
Il en est de même pour Gardener, au comportement polymorphe
surprenant, dont les diverses activités dépassent, et
de loin, une journée de vingt-quatre heures...
Les forces du mal forment donc un milieu fort restreint et
très fermé. A noter qu'aucune femme n'en fait partie.
Deux hommes font tout. L'impression générale est que la
multiplicité de leurs comportements sert plutôt de
faire-valoir à Jack, sans impressionner vraiment. Ils semblent
souvent des fantôches sans consistance, variant dans leurs
appréciations, indécis dans leurs comportements,
présentés comme étant d'une totale noirceur,
mais paraissant singulièrement naïfs en n'exploitant pas
les solutions radicales qui permettraient d'en finir facilement avec
Jack. Ces forces apparaissent comme le fronton qui permettra à
la balle Jack de rebondir sans cesse...
Le
cadre.
King et Straub ont mis en
place un vaste cadre qui se tient, si l'on admet les lois du genre.
On prend de l'intérêt à ces passages d'un monde
à l'autre et aux développements picaresques qu'ils
entraînent. Il y a plusieurs envolées cosmiques
visionnaires de grande ampleur29 et des descriptions réussies comme celle du
Talisman (42,972). On peut aussi se faire de belles réflexions
sur l'ordre d'un monde -et peut-être l'ordre de tous- qui se
dissout dans le chaos à cause du comportement irresponsable
d'un seul d'entre eux.
Les aspects fantasy sont également intéressants: ce
monde médiéval parallèle a ses charmes, encore
que les descriptions qui en sont faites ne présentent pas plus
de particularités que celle du royaune de Delain dans
THE EYES OF THE
DRAGON. Il faut noter une
incapacité générale à s'évader de
modèles campagnards terriens et un réel manque de mise
en perspective quand il arrive à nos auteurs d'innover: par
exemple n'est pas exploitée la trouvaille des hommes-volants,
qui demeurent une curiosité sans lendemain comme les animaux
à deux têtes.
Il en est de même pour les particularités
comportementales, morales et religieuses qui sont rapidement
évoquées et sont tristement semblables aux
nôtres. Il a été signalé que la
possibilité de jouer sur le double langage dans des contextes
historiques différents n'est qu'incidemment
exploité.
Le thème des migrations présentent les mêmes
insuffisances: les règles du jeu sont d'abord établies
(voir § 2), mais rapidement transgressées quand cela
arrange nos deux auteurs. Que les vêtements et objets se
transforment, c'est amusant. Mais à supposer qu'il y ait des
objets à transformer: que dire de l'apparition dans notre
continuum des chaussures et des lunettes que Wolf ne porte pas dans
les Territoires? Que penser aussi de la salopette de marque Oshkosh
que porte Wolf, cadeau du père de Jack, qui ne s'est pas
transformée en passant d'un monde à l'autre?
(17,404).
Détails
et ensemble.
On sait que King a une aptitude remarquable à gérer les
indices et il arrive fréquemment qu'on soit
profondément surpris de la manière dont, dès les
premières pages, il accumule quantité de notations
anodines qui contiennent en germe des éléments
constitutifs importants du récit30. Malheureusement ce sens du détail ne lui permet
pas toujours de dominer l'ensemble de la narration: le propre de
l'accumulation de détails pittoresques ou saisissants est de
créer une situation d'ensemble imprévue, chaque
détail entraînant des conséquences narratives
à contrôler par la suite. Or cela, King le
réussit beaucoup mieux dans le domaine d'un quotidien
réaliste dans lequel il évacue son fantastique. Le
même procédé aboutit souvent à un ratage
en science-fiction.
Pour tout dire, le train ne passe pas. On va essayer d'expliquer
pourquoi.
Le
train.
En soi, le train est un
élément intéressant. Et compte-tenu de la
géographie des Territoires, il permet de faire avancer Jack
plus vite. Et puis King aime bien les trains31. Ainsi il consacre plusieurs pages (37,850
à 853) à expliquer comment Morgan, dans notre
continuum, a fait passer l'écartement des rails de son train
de quatre-vingt-dix à quarante-quatre centimètres. Pour
construire cette voie ferrée, il a fait venir une main
d'oeuvre "illimitée"des Territoires. Hum... Car pour installer une voie
ferrée, il faut un minimum de technologie, des
matériaux... Il va de soi qu'on n'évoquerait
peut-être pas ce problème mesquin si King glissait
rapidement. Mais il insiste: les rails des Territoires? Ce serait la
même main-d'oeuvre qui les aurait installés pendant de
"terribles
semaines"(34,749). Soit. Mais
toujours désireux d'apporter des éléments
précis, il nous indique que ce train marche à quelques
dizaines de kilomètres à l'heure, sans dépasser
le cinquante (35,773). Le voyage en train de Jack dure trois jours,
en roulant jour et nuit. On n'a pas besoin de calculatrice pour faire
le compte: quand même, poser plus d'un millier de
kilomètres de rails sur un relief parfois décrit comme
difficile en quelques semaines... Il est vrai que Morgan est magicien
(33,705). Il doit l'être, et puissamment, car,
indépendamment de leur pose qui fait problème, il a
dû faire passer ces kilomètres de rail de notre
continuum dans les Territoires, qui ne possède pas le niveau
de technologie pour les poser.
Ensuite, ce petit train (une locomotive et deux wagons, avec un
"moteur Diésel
électrique"(37,852)
est commun à notre continuum et aux Territoires, car
"Morgan avait réussi
à créer un objet qui résistait à la
Translation"(36,836). Et pas
seulement le train ,mais aussi sa cargaison entière d'armes et
de munitions, qui reste "identique d'un monde à l'autre"(Interlude IV,755)32, sans se transformer en lances ou en poignards.
Et enfin, pourquoi ces complications? Certes, Point Veneti est une
porte entre les deux mondes. Mais King est sensible au fait que cette
opportunité a été utilisée par Morgan
avec un projet plutôt limitéMorgan est capable de faire
passer un train et son chargement33 d'un monde à l'autre, pourquoi se limiter
à un train poussif?
Arrêtons-nous là. King n'a pas été capable
de concevoir un monde vraiment différent de celui où
nous nous trouvons. Son sens extraordinairement aigu de l'observation
réaliste ne lui permet pas les vrais déploiements dans
le créatif et l'imaginaire hors-norme. Grand maître dans
l'utilisation du détail qui accroche, il peine à
coordonner un ensemble34. King a l'esprit concret, mais pas l'esprit technicien:
le véritable esprit technique combine la cohérence dans
la conception et la cohérence dans la fabrication. Au lieu de
laisser des choses dans l'ombre, King donne trop de détails
qui amènent l'esprit du lecteur à faire des
réflexions défavorables. Il y a des idées
intéressantes dans THE TALISMAN, mais King ne s'y montre pas un auteur de
science-fiction bien convaincant35.
Il est évidemment tout
à fait exclu que King fasse de ses romans une
apologétique religieuse. Nous voudrions cependant montrer, en
prenant pour exemple la quête de Jack, qu'inconsciemment King reprend quasi systématiquement les
principes religieux de son enfance, qu'ils lui aient
été enseignés ou qui l'ont marqué par
imprégnation36.
On peut résumer l'essentiel de l'enseignement des Eglises de
la Réforme37 par deux doctrines maîtresses: la première
est que les hommes prédestinés ne sont sauvés
que par la grâce de Dieu reçue dans la foi; la seconde
est que c'est de la grâce divine vécue dans la foi que
nos actions reçoivent un sens, leur réussite
étant un témoignage de la grâce de Dieu.
Dans le cas de King38, il faut y ajouter l'influence de John Wesley,
inspirateur du méthodisme, qui fait intervenir la notion de
libre-arbitre de l'homme, qui peut accepter ou refuser la grâce
divine par sa propre décision.
Le choix d'un enfant de douze ans rend plus facile cette initiation,
notamment par les conseils que peut lui donner un mentor, Speedy,
substitut de l'auteur.
Le
prédestiné et la grâce.
La croyance en la grâce de Dieu est le fondement de la religion
protestante. L'homme n'est sauvé que par la grâce
reçue dans la foi. Dieu inspirera la démarche de celui
qui a été prédestiné.
Nous l'avons vu plus haut (§4.2): Jack montre tous les signes de
la prédestination. Pendant sa quête, il a suivi
fidèlement le précepte de Speedy: "Aie seulement la foi; sois loyal; tiens bon;
surtout ne flanche pas
(44,993). Il est faible, a souvent peur, pleure facilement, pense
parfois abandonner. Mais il continue, assuré de bien faire en
allant dans le sens de la force qui le pousse. Et sans jamais
faiblir, même quand il a peur, Jack suit le conseil de Speedy:
"Fais de ton
mieux"(41,951).
"Et bien qu'il fût
terrifié, il ne montrait pas la mondre réticence
à marcher vers le dénouement; il avançait avec
détermination, sûr de ce qu'il voulait
faire"(42,955).
Alors que les forces mauvaises de l'Hôtel Noir utilisent contre
lui des moyens dissuasifs l'incitant à la crainte et au
renoncement (45,945), il fait preuve d'une foi sans faiblesse:
"Qu'est-ce que tu vas faire?
s'enquit Richard. -Comment le saurais-je? répondit Jack.
C'était la meilleure réponse, la plus sincère,
qu'il puisse lui donner. Il n'avait aucune idée de la
façon dont il pourrait contrer ce fou furieux. Pourtant, il y
arriverait, il en était certain"(45,1012). Foi et confiance.
Par ailleurs, Dieu ne couronnant que les mérites acquis avec
sa grâce, la foi confiante donne raison à Dieu
même quand il châtie ou inflige des souffrances: en
agissant avec lui, nous acceptons le sens de son action. Jack souffre
son martyre, entre autres amusements on le brûle à
plusieurs reprises avec un briquet: "La douleur était atroce, irradiant de son bras
gauche jusqu'à sembler emplir le corps entier. Une bonne odeur
de roussi envahit l'atmosphère. Lui. Brûlé.
Lui"(26,601). Il tient bon,
même si le sens de son vécu lui
échappe."Y'a des fois
où les gens meurent parce que quelqu'un a fait quelque
chose...mais si ce quelqu'un n'avait pas fait cette chose, beaucoup
plus de gens auraient été tués", lui explique Speedy,
décidément porte-parole de Dieu. "Dans la Bible, il est écrit que tout ce
qui se passe est voulu par le Seigneur, même les choses qui
semblent mauvaises"(15,368).
Le sens des
actions.
"Il en avait assez
d'être sur les routes",
il "trouvait qu'il avait
largement fait ses preuves... mais il lui était impossible d'y
renoncer"(15,365)
On sait que les doctrines protestantes, à la suite de Calvin,
ont fait l'éloge de l'effort, du travail professionnel, de la
rigueur et de l'épargne, de l'austérité ou de la
modération de la jouissance39 plutôt que de l'explosion débridée
de la sensualité. Elles contribuèrent à
fortifier l'individualisme avec comme conséquence le sens de
l'initiative, l'esprit d'entreprise, le goût du
risque40.
Bien que bénéficiant d'une aide dans les circonstances
délicates, Jack se comporte toujours comme
s'il était seul responsable du succès. "Ici régnaient la folie, la mort en
maraude et une irrationalité imbécile
41. Jack manquait de mots pour exprimer ces
phénomènes mais, loin de leur être insensible, il
les connaissaie pour ce qu'ils étaient. Exactement comme il
savait que tous les talismans de l'univers ne suffiraient pas
à le protéger d'eux. Il avait entamé une
étrange danse rituelle dont il pressentait que la conclusion
n'était en rien prédestinée. Il ne devait
compter que sur lui-même"(41,935). Et il persévérera sans
faiblesse42.
Des objets cosmiques ont
certes été préparés à son
intention pour qu'il puisse mener à bien sa tâche. Mais
le lecteur s'aperçoit que simultanément rien n'est
vraiment joué et que le comportement de Jack face aux
épreuves sera décisif. Car si cette quête a pu
être faite avec succès, ce n'est pas seulement parce que
Jack a reçu de l'aide: les divers procédés
énumérés tout à l'heure sont des
conditions nécessaires, mais non suffisantes.
Pour que Jack réussisse, il a fallu aussi qu'il
développe des qualités exceptionnelles. Quand les
créatures marines font glisser -par décision
extérieure- son canot vers l'hôtel, il se place à
l'arrière "de sorte
qu'il puisse pousser encore plus vite avec des ciseaux de
jambes"(40,911).
Le contraste dans l'action avec son copain Richard presque toujours
passif ou dépassé est saisissant.
L'insertion
dans l'action.
"Trouve le Talisman,
fiston (...). Trouve-le et ramène-le. Ça va
être une sacrée galère. Mais il faut que tu sois
plus fort que la galère et que tu assures comme un
chef", stimule encore Speedy
(5,118).
Car ce n'est pas la recherche du mérite, les bonnes oeuvres
accomplies dans le dessein d'acheter Dieu ou les actions
purificatrices qui amènent l'approbation divine. On ne
l'obtient pas davantage en s'enfermant dans la culture
égoïste d'une vie uniquement religieuse de moines en
prière qui glorifient Dieu ou celle de solitaires qui refusent
la vie active et l'engagement. C'est en suivant la voie du Christ
agissant dans le monde que nous devons travailler et souffrir
là où nous sommes pour assurer le dessein de Dieu.
Et King décrit de façon presque didactique deux types
de comportements qui correspondent à ces deux attitudes face
à l'existence. Autant Jack est réaliste et dynamique,
autant son copain Richard vit dans un monde abstrait de connaissances
qui le séparent de la réalité. Il vit son
collège comme "un
rempart incontesté contre ce monde où l'on ne pouvait
compter sur rien"(33,683).
Entraîné à son corps défendant dans la
quête de Jack, il veut croire que ce qu'il vit est un mauvais
rêve, prétend être malade "pour ne pas avoir à ergoter sur toutes ces
aberrations"(33,700), casse
ses lunettes pour ne plus voir, cherche sans cesse des explications
faussement rationnelles à ce qu'il vit et, sauf en de rares
circonstances, il est un poids mort pour Jack.
L'apport
méthodiste.
Il y a d'abord le clin
d'oeil: dans le hall de l'Hôtel l'Alhambra se trouve une plaque
commémorative rappelant que "c'était là qu'avait eu lieu, en 1838, la
première réunion en Nouvelle-Angleterre de la
Conférence Méthodiste des Etats du Nord pour
l'abolition de l'esclavage"(1,16).
On se bornera à deux points de la doctrine. D'abord
l'existence quotidienne est un vaste drame où l'âme sert
de champ de bataille entre Satan et le Christ: les forces en
présence ne portent pas ici ces noms, mais il s'agit bien du
même combat transposé. Ensuite l'homme dispose du
libre-arbitre pour accepter ou refuser la grâce divine par sa
propre décision: il n'est pas question ici de ce
problème, mais bien plus tard, dans DESPERATION, ce sera l'objet, dans des conditions de combat
similaire, des interrogations de David, un garçon du
même âge que Jack, qui cherche dans la Bible et
l'enseignement d'un pasteur la réponse à ce vaste
problème.
À sa manière et avec
ses moyens, Jack est le réparateur d'un désordre qui
touche deux mondes -et peut-être d'autres. Que le
désordre d'un monde jette dans le chaos d'autres mondes est
une vaste amplification du fait que la responsabilité de
chacun n'est pas seulement limitée à son palier,
à son trottoir, à sa ville ou sa région, mais
qu'elle peut être portée aux dimensions de l'espace.
Beau thème pour nous et nos descendants, et idée
stimulante, bien au-delà de nos petites querelles
ordinaires.
La fin est épique et ouverte. Morgan disparaît, à
la manière de Flagg dans THE STAND:
"Une brèche s'ouvrit
entre les mondes"(45,1037),
calciné, mais les yeux grands ouverts. Le Talisman a
également quitté la scène, sa fonction
provisoirement achevée: unique, il a rejoint un des mondes
parallèles où, centre mystique des mondes et objet
salvateur, il est à la disposition du prochain chevalier digne
de le conquérir.
Jack, mission accomplie, est devenu plus fort: "Il se vit à cheval, un chapeau à
larges bords sur le crâne et un pistolet fixé à
la hanche, en train de galoper pour aller nettoyer Deadwood
Gulch"43 (39,882). Et la citation de Mark Twain qui sert
d'épilogue semble indiquer, qu'adulte, d'autres grandes choses
l'attendent.
Mal reçu à sa parution par les critiques,
THE
TALISMAN vaut mieux que
sa réputation passée: les oeuvres qui ont suivi le
mettent mieux en perspective et il apparaît comme contenant en
germes44 aussi bien la postérité de certains
éléments de la Tour que l'évolution de la
pensée jusqu'à THE GREEN MILE.
Mais, on l'a vu, ce n'est pas une oeuvre achevée. Dans cet
amalgame de science-fiction et de fantasy, on est bien obligé
de constater que King et Straub sont restés loin
derrière l'originalité de la quête des Hobbits ou
la cohérence du monde entièrement reconstitué de
DUNE.
Roland Ernould © 1997.
1 Voir la notice: Univers parallèles, in Stan Barets, LE SIENCE-FICTIONNAIRE, éd. 94, éd. Denoël, tome II,258. Dans la traduction française en deux tomes de DANSE MACABRE, ANATOMIE DE L'HORREUR et PAGES NOIRES, éd. du Rocher, 1995, sont précisés, dans des notes d'un grand intérêt, les goûts éclectiques de King pour les livres, films et séries TV.
2 THE EYES OF THE DRAGON, ébauché en 1983, terminé en 1984 et publié dans édition courante en 1987, trad. fr.LES YEUX DU DRAGON, éd. Albin Michel, 1995.
3 Ce n'est pas le cas dans THE DARK TOWER où il y a des contractions et des dilatations importantes du temps.
4 Rapport de 1/18 ème environ. A remarquer que King, pas spécialement obnubilé par les chiffres, donne plus loin d'autres rapports: un kilomètre pour cinquante mètres (7,194), soit 1/20ème, puis 15 kilomètres pour 500 mètres (18,419), soit 1/30ème. La différence est sensible et il faudrait faire un décompte minutieux des déplacements de Jack dans les deux mondes pour établir le bon rapport, à supposer qu'il y en ait un...
5 Chiens mutants, humanoïdes à tête reptilienne, arbres aux masques humains, hommes-crocodiles, ver géant, et autres, qui prennent la forme d'une fastidieuse énumération (35, 778 à 786).
6 A comparer au perroquet de THE EYES OF THE DRAGON, "qui se parlait tout seul, une tête formulant les demandes, l'autre les réponses", chap. 12. Est-ce la conception bicéphale de l'oeuvre qui a entraîné ici cette fantaisie sans suite?
7 Avec des anachronismes: par exemple la fourchette du cuisinier (7,165). Ou encore une curiosité comme une rampe sculptée "en sidéroxylon, pur produit des Territoires"(39,960), sur la composition duquel on se perd en conjectures.
8 Il y a eu au moins un château-fort gothique et quelques chevaliers en armures...
9 Avec réciprocité: la même idée est exprimée avec l'adjectif axiomatique dans notre langue et inéluctable dans la langue des Territoires. Mais King n'a pas vraiment exploré cette possibilité.
10 Au cours du passage, ils perdent leurs poils (18,418) et ont des lunettes qui leur cachent les yeux...(18,420). Ils doivent cependant être facilement identifiables! La description de l'un d'eux, rencontré par Jack dans une taverne: grand, "baraqué", mains énormes et des yeux jaunes dont les "globes oculaires étaient recouverts de membranes nictitantes"(10,269).
11 Oubli des co-auteurs? THE CYCLE OF THE WEREWOLF n'était pourtant pas si loin (1983). Ou désir de ne pas trop compliquer les choses?
12 L'astuce est fournie dans THE EYES OF THE DRAGON, chap. 23: elle est à base de "nerf de boeuf"et de formules. Elle est utilisée par Flagg pour se rendre "imperceptible" Mais si Flagg utilise à plusieurs reprises cette possibilité, il n'en est pas de même dans THE TALISMAN.
13 Pas gêné par les contraintes qu'il s'est lui-même imposées, King les transgresse allègrement. Le loup-garou copain de Jack qui marche pieds nus dans les Territoires, se trouve au passage chaussé "d'énormes mocassins"et "de chaussettes blanches"(18,420).
14 Voir une vision cosmique semblable de Roland dans THE DARK TOWER, I,5, The Gunslinger and the Dark Man.
15 A comparer à la fonction de la Tour Sombre, telle qu'elle a été définie de nombreuses années plus tôt: la Tour s'élève sur une sorte de "centre de connexion. Un carrefour dans le Temps", THE DARK TOWER, I.3, The Oracle and the Mountains; ou encore: "Pivot du Temps, Pivot de la Proportion";, op.cit. I.5, The Gunslinger and the Dark Man. À noter que Le Talisman semble se limiter à l'espace, alors que la Tour concernerait le temps.
16 Les auteurs de science-fiction ne sont pas les seuls à proposer de telles idées! Un axe traverserait l'univers et la lumière se déplacerait dans le vide à des vitesses différentes, telle est la thèse de deux physiciens américains, John Ralston et Borge Nodland, publiée dans la revue Physical Review Letters du 21 avril 1997. "Il semble y avoir un axe absolu, une sorte d'étoile du nord cosmologique qui oriente l'Univers", ce qui permettrait de définir "un haut et un bas dans l'espace" Ces chercheurs "évoquent également la thèse d'un Univers jumeau, reflet du nôtre" L'opinion des spécialistes est que cette interprétation est pour le moins prématurée et qu'il doit y avoir des explications "moins exotiques" (Voir LE MONDE, 23 avril 1997,21).
17 Pourquoi ce nom? Les fantômes des chevaliers en armures qui vont tenter d'empêcher Jack d'accéder au Talisman font penser à la bataille d'Azincourt, pendant la guerre de Cent Ans, en 1415. La lourde cavalerie des seigneurs français en armure fut défaite par les archers anglais.
18 Se trouve à côté -autre clin d'oeil- le Kingsland Motel, plus accessible...(40,903).
19 Autre correspondance moyenâgeuse: l'Hôtel l'Alhambra, où a été conçu Jack, le double de l'Hôtel d'Azincourt, ressemble "à un château de roman de Walter Scott"(1,21).
20 D'autres ont peut-être tenté la quête sans parvenir à l'Hôtel Noir: il y a notamment l'énigmatique squelette d'un enfant de sept ou huit ans prisonnier des racines (38,877). Peut-être un double de Jack/Jason a réussi à aller jusque-là, venant d'un autre monde? Il ne pouvait réussir, n'étant pas unique.
21 D'après les Evangiles, Jésus a été élevé par son père adoptif Joseph, qui était charpentier.
22 Rappelons pour les distraits que, dans les Territoires, les bergers sont des loups-garous.
23 Ce mot est à prendre ici dans ses deux sens. Le sens premier, qui vient de l'hébreu Machia'h: oint consacré, équivalent au grec Christos: oint. C'est le cas de Jack, prédestiné. Le second sens, le plus courant, est celui de l'envoyé de Dieu, le sauveur qui instaurera un ordre de justice, de paix et de bonheur fondé sur de tout autres principes que ceux de l'ordre actuel. C'est le cas de Jason. On a pu, dans un sens encore plus élargi, parler du messianisme de Marx.
24 Jason, phonétiquement proche du nom: Jésus, est aussi le nom de celui du héros grec des mythes antiques, qui, après une longue quête avec ses Argonautes, conquit la Toison d'Or défendue par un dragon... Vous avez dit «dragon»?
25 Dont le double-fantôme viendra l'aider lors des moments difficiles de la conquête du Talisman à l'Hôtel Noir.
26 Dans toutes les sociétés anciennes ont existé des rites ou des épreuves marquant le passage d'un niveau individuel ou social à un autre. Dans la nôtre subsistent de nombreux rites marquant chaque passage de la vie, avec des initiateurs (parent, maître, patron, prêtre, formateur, etc.) qui reconnaissent ou sacralisent une aptitude à tel ou tel comportement qui confère un nouveau droit social.
27 On a vu (§4. et 4.8) que Jack a été aidé constamment par des agents ou objets qui ont facilité sa quête. On peut supposer que le verrouillage et la garde de l'Hôtel Noir ont été organisés par les mêmes puissances de la lumière pour éviter les intrusions. Jack, unique, aurait alors dû pouvoir y entrer sans problème. Ce n'est pas le cas et il devra lutter contre des forces propres à l'Hôtel, qui veulent défendre à tout prix l'objet qu'elles gardent. Y aurait-il une puissance d'un troisième ordre (se rappeler les allusions sur de tels lieux au §4.1), cette force mystérieuse remontant à "la nuit des temps"(19,469).
28 C'est une clé prise à un jouet, un soldat mécanique acheté à un brocanteur de Point Veneti (Interlude II,395). L'idée est à rapprocher de la nouvelle THE MONKEY de 1979, in SKELETON CREW, 1985, trad. fr. BRUME, Albin Michel, 1987.
29 Voir 42,959 à 961; 42,974/975; 44,989 à 991.
30 Le lecteur distrait passera rapidement sans les voir. Mais, le livre terminé, une relecture attentive montrera que tout est extraordinairement mis en place.
31 Voir la novella THE BODY, THE DARK TOWER, I.4, The Slow Mutants; III, THE WASTELANDS;
32 Et pourquoi s'arrêter là? et ne pas passer une centrale électrique fabriquant le courant pour les accus d'un train qui fonctionnent trois jours sans être rechargés...
33 Ce sera d'ailleurs pour Jack un jeu...d'enfant de faire passer à son tout le train et son chargement dans l'autre sens...(37,835): mieux, il ne s'en rend même pas compte... et il s'étonne: "Se serait-il par hasard débrouillé pour faire passer l'engin entier en Californie du Nord? (36,934).
34 Un dernier exemple: des boules de feu atomiques circulent dans les Terres Dévastées en "creusant un long sillon igné"(35,778). Sans détruire la voie ferrée?
35 King est coutumier du fait et des insuffisances du même type avaient été signalées ici à propos de THE REGULATORS: voir Steve's Rag d'avril-juin 1997, pages 22/23. Mais il y avait deux auteurs pour superviser THE TALISMAN...
36 Une étude inspirée de la même thèse a été consacrée aux ordres sous-jacents dans INSOMNIA, intitulée Des mythes religieux aux puissances de la Tour Sombre, Steve'Rag, à paraître.
37 Et la lecture de la Bible, textes originels sans ajouts historiques ultérieurs.
38 "Above all else, I'm interested in good and evil, whether or not there are powers of good and powers of evil that exist outside ourselves. I think that the concepts of good and evil are in the human heart, but because I was raised in a family strict religious home (Methodist), I tend to coalesce those concepts around God symbols and evil symbols, and I put them in my work", interview à propos de IT, 1986, cité par George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, éd. Warner Books, 1992,321. Pas de traduction française à ce jour.
39 Qu'on réfléchisse dans ce contexte à la vie plutôt simple que King a menée jusqu'à présent alors qu'il est millardaire.
40 Calvin a exhorté avec vigueur les protestants
à l'action et a donné à cette action un style et
une dimension tout neufs. Le calvinisme mettait fin à cette
espèce de résignation, d'ascèse et de
mortification dans la crainte de perdre son salut, qui
caractérisait la piété médiévale.
Il a engendré un type d'homme nouveau, plus conquérant,
plus porté aux aventures et aux hardiesses qu'offraient les
nouveaux moyens techniques de production. Les résultats
sociaux des élus obtiennent l'approbation des concitoyens dans
la mesure où la réussite et le profit sont conformes
à la volonté de Dieu.
Une thèse célèbre de Weber explique que la
doctrine de la justification par la grâce a amené cette
expansion créatrice par l'assurance qu'a le croyant que son
salut a été acquis par la prédestination et par
la foi. Voir Max Weber, L'ETHIQUE PROTESTANTE ET L'ESPRIT DU
CAPITALISME, Plon, 1964. On
peut réciproquement affirmer -comme les historiens marxistes-
que c'est l'évolution du monde marchand et de ses techniques
qui a amené les idées et le succès du
protestantisme.
41 On verra ultérieurement que pour King il y a une irrationalité positive.
42 Dans le passage consacré aux hommes-volants, King fait une apologie de l'effort sur plusieurs pages: "Jack eut soudain la certitude qu'ils accomplissaient des mouvements aussi pénibles que certains exercices de gymnastique -quand il faut, par exemple, lever les jambes ou faire de longues séries d'abdominaux. Pas de progrès sans effort! rugissait le prof si quelqu'un avait le toupet de se plaindre" Et plus loin, évoquant des danseurs: "Il se rappelait surtout l'expression de leurs visages -toute cette concentration, cet épuisement, toutes ces souffran ces...mais transcendant la souffrance, ou tout au moins rôdant autour de ses limites, il avait vu de la joie"(13, 333/334).
43 Nom d'une ville et souvenir d'un film où joua sa mère en 1960.
44 Que nous espérons pouvoir ultérieurement faire suivre d'une autre consacrée à la postérité de THE TALISMAN.
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