LE MONDE DE HARRY POTTER

LE SON dans le film

Harry Potter à l'école des sorciers

par Franck Ernould

Il n'est jamais facile de tirer un film d'un livre. Les lecteurs, par définition, se font leur propre représentation mentale de ce qui est écrit dans le livre. Un film, lui, concrétise d'une façon unique ce contenu, la même pour tous ceux qui le regardent. De quoi abîmer à jamais un imaginaire moins précis, mais tellement plus ouvert. Nous connaissons d'ailleurs une jeune fille qui se refuse à aller voir les films : elle a tellement adoré les livres qu'elle pense qu'elle ne peut être que déçue. Évidemment, la propagande commerciale du film proclame à qui veut l'entendre que Rowling était elle-même stupéfaite de la fidélité du film à son roman. Il suffit de se reporter à notre étude comparative Du livre à l'écran pour se rendre compte que cette fidélité est toute relative, et que même si le film n'est pas disneyisé, l'adaptateur/scénariste Steve Kloves ne s'est pas privé de modifier certains détails, d'en rajouter carrément d'autres, de modifier des attributions de répliques, de supprimer certains personnages, et même de censurer certains aspects (sans doute trop politiquement incorrects pour les Américains, on ne badine pas avec des millions de $ d'entrées !) de la personnalité de Harry...

Royaume-Uni et États-Unis

Le film est produit par la Warner, un studio américain, mais, à la demande expresse de J.K. Rowling, a été tourné en Angleterre, avec des acteurs essentiellement anglais. Le réalisateur et l'équipe de cadres techniques sont, eux, purement made in USA, en revanche : Chris Colmubus (Maman, j'ai raté l'avion, Mrs Doubtfire, Ma meilleure ennemie, L'homme bicentenaire...), les concepteur des décors est Stuart Craig (Oscar : Gandhi, Les liaisons dangereuses, Le patient anglais, Mission...), et le directeur de la photographie est John Seale (Le patient anglais, Gorilles dans la brume, En pleine tempête...). Quant à la musique, elle est signée John Williams (la grosse artillerie symphonique US dans toute sa "splendeur" !). Le chef monteur son (superviseur/responsable de tous les ingrédients sonores utilisés dans le film) est Eddy Joseph (Perdu dans l'Espace, Michael Collins, Evita, Conversations avec un vampire,Les cendres d'Angéla, Crying Game, Stalingrad...), grand habitué d'Alan Parker et de Neil Jordan. Sur Harry Potter, il a travaillé aux studios Shepperton, en Angleterre. Encore deux semaines avant la sortie en salle, qui eut lieu le 5 novembre 2001, il retravaillait certaines séquences du film !

Les enjeux

Par rapport à un film "ordinaire", quels étaient les particularités de Harry Potter à l'École des Sorciers ? Première chose : il se déroule dans un vieux château, dépourvu de tout ce qui peut faire moderne. Pas d'ordinateur, de télévision, de jeu vidéo, d'ascenseur, d'ampoules électriques, de chauffage central... mais, à la base, une vie comme au siècle dernier, sans électricité. Beaucoup de réflexes sont donc à oublier !

Deuxième aspect : tout ce qui est magique. Évidemment, personne ne peut savoir quel bruit fait effectivement un balai volant, un Cognard, un Vif d'Or... Le risque était, pour les créateurs de ces bruits, de se laisser emmener dans une direction trop "électronique", plus proche de la Guerre des Étoiles ou de Star Trek que du château de Poudlard...

Troisème considération, beaucoup plus terre à terre : le nombre de plans truqués ! Dès qu'il y aura manipulation numérique de l'image, les acteurs jouent devant un fond bleu, remplacé ensuite électroniquement par tel ou tel décor, telle ou telle image animée de synthèse... Toutes ces manipulations se déroulent après le tournage, sont réalisées d'après des dessins préliminaires, et prennent des semaines et des semaines. Or, les monteurs son ont besoin de la séquence définitive pour "poser" tous les bruits nécessaires avec précision. Et leur beau travail est à recommencer si le réalisateur juge bon de raccourcir la scène, de la remonter, d'ajouter un aspect ou de supprimer tel autre dans la séquence truquée...

Prenons l'exemple du match de Quidditch : en fait, les acteurs tournent sur fond bleu, d'immenses ventilateurs produisent le vent qui, à l'image, deviendra le vent de la course, et des dispositifs leur impriment certains mouvements vus à l'image finale, d'autres étant calculés par les ordinateurs (les évolutions maladroites de Neville Londubat lors de son premier cours de vol sur balai, par exemple). Au tournage, l'acteur se débrouille pour se mettre dans l'ambiance de la scène... Il réenregistrera de toute façon son texte en post-synchronisation, puisque la prise témoin effectuée sur le plateau est polluée par les bruits des énormes ventilateurs. Sur le match de Quidditch, on superpose de la sorte, un à un, tous les plans de l'image : un par joueur, plus le stade, le public, les balles... Plus de 20 couches sont ainsi superposées ! Autre anecdote : entre le début et la fin du tournage, évidemment non effectué dans l'ordre chronologique des scènes, certaines voix des acteurs principaux ne "raccordaient" plus d'une scène à l'autre, l'âge les ayant aggravées. Il a donc fallu, au prémix paroles, transposer certaines d'entre elles et les filtrer pour les homogénéiser - Columbus désirant n'en refaire que le minimum.

Pour l'anecdote, les décors intérieurs de Poudlard ne se trouvent pas dans un vrai château, mais ont été aménagés dans les immenses studios de tournage de Leavesden, en Angleterre, déjà utilisés pour La Menace Fantôme ou Sleepy Hollow, entre autres. Il s'agit d'une ancienne usine de moteurs d'avion Rolls-Royce. Là encore, les bruits, voix et ambiances ne "sonnent" pas comme dans un vrai château : il faut donc, au mixage, s'arranger pour refaire certains sons, et les intégrer dans une acoustique artificiellement recréée, mais semblant authentique.

Un travail énorme

Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce qu'il ait fallu plus de 8 mois de travail intensif à l'équipe son de Harry Potter pour venir à bout des 2 heures 17 du film ! Eddy Joseph arrive en Angleterre fin février 2001, alors que le tournage en est aux 2/3. Il commence donc à travailler sans vraiment pouvoir discuter "son" avec Chris Columbus, encore trop occupé à tourner. Ce n'est qu'après que le réalisateur peut lui donner de grandes lignes, qu'Eddy a de toute façon déjà commencé à appliquer. Il faut se mettre d'accord, et peser mûrement chaque décision : ce n'est que le premier épisode, mais tous les autres derrière devront "raccorder" au niveau du son.

Le maître mot est "organique". Ainsi, pour les balais volants, dont le swoosh aurait pu ressembler à un bruit de science-fiction, Eddy décide d'ajouter non seulement des bruits de cape, mais aussi une composante vocale, à la limite de l'inaudible, mais que l'oreille perçoit parfaitement et que le cerveau décode comme "animal".. Même principe pour le bruit du Vif d'Or (où interviennent, entre autres, des clochettes à vent et un mouchoir froissé) ou du Cognard, pour lequel ce sont des éléments animaux qui sont greffés afin de lui donner un côté menaçant. Les ressources de traitement sonores actuelles sont quasi-infinies : on peut aggraver ou monter un son, modifier son attaque, lui rajouter des graves, enlever des aigus, le lire à l'envers... Évidemment, les monteurs son gardent leurs secrets, mais il est probable que chacun des sons cités ci-avant est composé d'une dizaine ou d'une vingtaine d'éléments différents, soigneusement mixés pour, au final, présenter un aspect lisse et homogène. Même principe pour les grognements du troll, les bruits de Touffu, le chien à trois têtes (des claquements et grincements de dents et autres bruits divers, générés par un assistant, ont été mis à contribution), les bruits des clés de la Chambre des Clefs, etc.

Le moindre détail compte... Ainsi, sur les séquences de balais volants, il faut non seulement caler les bruits, jusqu'à la moindre brindille qu'on voit bouger ou tomber, mais aussi envoyer les sons sur les cinq canaux sonores utilisés pour la restitution en salle de cinéma ou sur un DVD (Dolby Digital ou dts). L'occasion de se rendre compte qu'au retour de l'image de synthèse, il y a plus de balais que prévu, ou plus de brindilles, ou encore que les évolutions ne sont pas les mêmes que prévu sur le storyboard original. Bref, il faut tout recaler... le tout, jusqu'à trois semaines de la sortie publique du film !

Le son au cinéma, c'est aussi l'exagération. La meilleure preuve : les hiboux du film, dont les ailes font un bruit d'enfer, alors que dans la nature, ces animaux sont les plus silencieux qui soient - sinon, ils n'attraperaient jamais une seule souris ! Là encore, souvent, l'imagerie numérique a été mise à contribution sur les évolutions des oiseaux (scènes de distribution du courrier, notamment) : les monteurs son ont dû spatialiser tous ces bruits, en les gardant suffisamment distincts pour qu'on "sente" à quel oiseau tel flap-flap d'aile appartient.

Pour mieux "coller" au côté "château", les assistants monteurs son sont allés enregistrer exprès, dans un vieux manoir, des portes qui grincent, des craquements d'escalier, du vent qui souffle, etc. De bons vieux ingrédients, toujours efficaces, qui ont fait les beaux jours de tous les films d'horreur ! Même principe pour les bruits de train à vapeur du Poudlard Express... Même s'il existe des bibliothèques de sons toutes faites et parfois très bonnes, leurs sons n'ont servi que de bases de travail : le plus souvent, tout a été refait de zéro.

Autre problème : tous ces bruits, ces ambiances ne sont pas forcément seuls, mais doivent lutter avec les dialogues et surtout avec la musique de John Williams, omniprésente et volontiers envahissante. Dans la scène du jeu d'échecs géant, son espèce de Boléro nous prive hélas d'un superbe travail sur les sons de déplacements des énormes pièces. Au final, les mixeurs se retrouvaient parfois avec plus de 120 pistes à gérer. Une vraie gageure, surtout quand il faut ménager une gradation des effets dans la scène : tout ne peut pas être fort tout le temps, même s'il n'y a pas d'explosion, de canon ou de coup de feu dans ce film. Les mixeurs n'ont pas hésité à utiliser les enceintes arrière (Surround) pour faire passer, par exemple, un centaure de l'avant à l'arrière, ou des hiboux dans le sens inverse, ou encore des swoosh appuyés de balais volants. Sans parler de la voix de Voldemort, hyper-trafiquée électroniquement, qui entoure littéralement l'auditeur, provenant des cinq enceintes à la fois...

Normalement, c'était la même équipe son qui était pressentie pour le deuxième épisode des aventures d'Harry Potter, La Chambre des Secrets... Épluchez bien le générique de fin le 4 décembre ! Cela dit, c'est Dennis Leonard (Final Fantasy, Cast Away...) qui est le nouveau chef monteur son, Eddy Joseph ayant été retenu par le nouveau film d'Alan Parker...

L'ÉQUIPE SON

Eddy Joseph : Chef monteur son
Martin Cantwell : Monteur effets
Colin Ritchie : Monteur son direct
Nick Lowe : Monteur post-synchros
Peter Holt : Monteur bruitages
Richard Fordham, Alex Joseph & Simon Chase : Assistants monteurs son
John Midgley & Ian Munro : Ingénieurs du son direct
Ray Merrin & Graham Daniel : Mixeurs

Franck Ernould © novembre 2002.

Franck Ernould est ingénieur du son, journaliste audio, traducteur technique. Il a publié deux ouvrages en collaboration avec Denis Fortier : Initiation au son, Cinéma et audiovisuel, Femis éd. 1996, et Home Studio, Dunod éd, coll Audio-Vidéo , 2003. Il a un site fréquenté par les amateurs de son : http://perso.club-internet.fr/fernould.

Il a longtemps travaillé dans le secteur du doublage de films et de séries TV, ce qui l'a doté d'une prudente et permanente circonspection dès qu'on traduit quelque chose en français...

Livres publiés :

Franck Ernould, Denis Fortier

Home Studio

Dunod, 2e éd. 2003

Diplômé de l'ENSLL, Franck Ernould est ingénieur du son, journaliste, traducteur technique audio. Il collabore régulièrement aux magazines Audio Media France, Radio World International, Réalisa-SON, Sound Keys, Brodcast, Computer Music International, Musique Infos Hebdo... http://perso.club-internet.fr/fernould
Après avoir débuté sa carrière dans la production musicale, Denis Fortier est aujourd'hui spécialisé dans le développement de la télévision numérique interactive. Il est également expert dans les domaines de l'enregistrement sonore et du multimédia près de la cour d'appel de Paris
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PRODUIRE DE LA MUSIQUE CHEZ SOI

Analogique ou numérique, constitué d'une console couplée à un magnétophone ou d'un ordinateur complété de logiciels spécialisés, le «home studio» est devenu un outil de production musicale incontournable. Du compositeur au groupe de musiciens amateurs, le home studio s'adresse au plus grand nombre et permet d'obtenir «à la maison» des résultats d'une qualité professionnelle. Sa pratique est à l'origine de l'essor de nombreux styles musicaux actuels comme le hip hop, la house, la jungle, le drum'n'bass, etc.
Après un bref rappel des données indispensables dans les domaines de l'électronique et de l'acoustique, les principaux équipements composant un home studio sont décrits un par un. L'art et la manière de choisir son matériel, de l'installer, de le câbler et d'organiser de façon ergonomique son studio personnel sont étudiés en détail, de même que des domaines aussi complexes que l'informatique musicale, les effets, les écoutes, les microphones et la prise de son...
Ce livre à vocation pratique donnera au lecteur, débutant ou confirmé, les éléments de base indispensables pour maîtriser les machines afin de s'en affranchir et de laisser place à la création et au plaisir. Bourré d'astuces et de conseils concrets, ce livre trouvera naturellement sa place sur les étagères d'une nouvelle génération de musiciens/techniciens/producteurs.

 

Franck Ernould

Denis Fortier

Initiation au son

Femis, 1996.

On trouvera dans cet ouvrage une initiation aux techniques du son dans le cinéma et l'audiovisuel sous forme d'un rappel des notions fondamentales (de l'acoustique à l'audionumérique), ainsi qu'un aperçu des méthodes (du tournage au mixage), des outils (des enregistreurs-lecteurs aux stations de montage virtuel) et des métiers (du perchman au designer sonore), des formations et des débouchés.

Franck Ernould, né en 1963, est diplômé de l'École nationale supérieure Louis Lumière. Ingénieur du son free-lance dans les domaines de la vidéo et du doublage, il est également journaliste (Keyboards, Home Studio Magazine, Son Mag, Timecode, Music & Business) et traducteur technique. http://perso.club-internet.fr/fernould

Denis Fortier, né en 1954, est spécialisé dans l'ingénierie culturelle et la production multimédia. Il est également expert auprès de la cour d'appel de Paris. Il enseigne par ailleurs les techniques audiovisuelles et multimédia. Denis Fortier est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le son et collabore au Monde.

Franck Ernould © 2001.
fernould@club-internet.fr
http://perso.club-internet.fr/fernould


Mon livre :

Du Rond des sorciers à Harry Potter

MAGIE ET FANTASTIQUE :

QUATRE APPROCHES DE LA MAGIE

(Claude Seignolle, Peter Straub, Stephen King, J. K. Rowling)

a été publié aux éditions L'Harmattan.

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 ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 14 - hiver 2001.

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