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Il n'est jamais facile de tirer un film d'un livre. Les lecteurs, par définition, se font leur propre représentation mentale de ce qui est écrit dans le livre. Un film, lui, concrétise d'une façon unique ce contenu, la même pour tous ceux qui le regardent. De quoi abîmer à jamais un imaginaire moins précis, mais tellement plus ouvert. Nous connaissons d'ailleurs une jeune fille qui se refuse à aller voir les films : elle a tellement adoré les livres qu'elle pense qu'elle ne peut être que déçue. Évidemment, la propagande commerciale du film proclame à qui veut l'entendre que Rowling était elle-même stupéfaite de la fidélité du film à son roman. Il suffit de se reporter à notre étude comparative Du livre à l'écran pour se rendre compte que cette fidélité est toute relative, et que même si le film n'est pas disneyisé, l'adaptateur/scénariste Steve Kloves ne s'est pas privé de modifier certains détails, d'en rajouter carrément d'autres, de modifier des attributions de répliques, de supprimer certains personnages, et même de censurer certains aspects (sans doute trop politiquement incorrects pour les Américains, on ne badine pas avec des millions de $ d'entrées !) de la personnalité de Harry...
Royaume-Uni et États-Unis
Le film est produit par la Warner, un
studio américain, mais, à la demande expresse de J.K.
Rowling, a été tourné en Angleterre, avec des
acteurs essentiellement anglais. Le réalisateur et
l'équipe de cadres techniques sont, eux, purement made in USA,
en revanche : Chris Colmubus (Maman, j'ai raté l'avion, Mrs Doubtfire, Ma meilleure ennemie, L'homme bicentenaire...), les
concepteur des décors est Stuart Craig (Oscar :
Gandhi, Les liaisons dangereuses, Le patient anglais, Mission...), et le
directeur de la photographie est John Seale (Le patient
anglais,
Gorilles dans
la brume,
En pleine
tempête...). Quant à la musique, elle est
signée John Williams (la grosse artillerie symphonique US dans
toute sa "splendeur" !). Le chef monteur son (superviseur/responsable
de tous les ingrédients sonores utilisés dans le film)
est Eddy Joseph (Perdu dans l'Espace, Michael Collins, Evita, Conversations avec un vampire,Les cendres
d'Angéla, Crying Game, Stalingrad...), grand
habitué d'Alan Parker et de Neil Jordan. Sur Harry Potter, il a travaillé aux studios
Shepperton, en Angleterre. Encore deux semaines avant la sortie en
salle, qui eut lieu le 5 novembre 2001, il retravaillait certaines
séquences du film !
Les
enjeux
Par rapport à un film
"ordinaire", quels étaient les particularités de
Harry Potter
à l'École des Sorciers ? Première chose : il se déroule dans un
vieux château, dépourvu de tout ce qui peut faire
moderne. Pas d'ordinateur, de télévision, de jeu
vidéo, d'ascenseur, d'ampoules électriques, de
chauffage central... mais, à la base, une vie comme au
siècle dernier, sans électricité. Beaucoup de
réflexes sont donc à oublier !
Deuxième aspect : tout ce qui
est magique. Évidemment, personne ne peut savoir quel bruit
fait effectivement un
balai volant, un Cognard, un Vif d'Or... Le risque était, pour
les créateurs de ces bruits, de se laisser emmener dans une
direction trop "électronique", plus proche de la Guerre des
Étoiles ou de Star Trek que du château de Poudlard...
Troisème considération,
beaucoup plus terre à terre : le nombre de plans
truqués ! Dès qu'il y aura manipulation
numérique de l'image, les acteurs jouent devant un fond bleu,
remplacé ensuite électroniquement par tel ou tel
décor, telle ou telle image animée de
synthèse... Toutes ces manipulations se déroulent
après le tournage, sont réalisées d'après
des dessins préliminaires, et prennent des semaines et des
semaines. Or, les monteurs son ont besoin de la séquence
définitive pour "poser" tous les bruits nécessaires
avec précision. Et leur beau travail est à recommencer
si le réalisateur juge bon de raccourcir la scène, de
la remonter, d'ajouter un aspect ou de supprimer tel autre dans la
séquence truquée...
Prenons l'exemple du match de
Quidditch : en fait, les acteurs tournent sur fond bleu, d'immenses
ventilateurs produisent le vent qui, à l'image, deviendra le
vent de la course, et des dispositifs leur impriment certains
mouvements vus à l'image finale, d'autres étant
calculés par les ordinateurs (les évolutions
maladroites de Neville Londubat lors de son premier cours de vol sur
balai, par exemple). Au tournage, l'acteur se débrouille pour
se mettre dans l'ambiance de la scène... Il
réenregistrera de toute façon son texte en
post-synchronisation, puisque la prise témoin effectuée
sur le plateau est polluée par les bruits des énormes
ventilateurs. Sur le match de Quidditch, on superpose de la sorte, un
à un, tous les plans de l'image : un par joueur, plus le
stade, le public, les balles... Plus de 20 couches sont ainsi
superposées ! Autre anecdote : entre le début et la fin
du tournage, évidemment non effectué dans l'ordre
chronologique des scènes, certaines voix des acteurs
principaux ne "raccordaient" plus d'une scène à
l'autre, l'âge les ayant aggravées. Il a donc fallu, au
prémix paroles, transposer certaines d'entre elles et les
filtrer pour les homogénéiser - Columbus
désirant n'en refaire que le minimum.
Pour l'anecdote, les décors
intérieurs de Poudlard ne se trouvent pas dans un vrai
château, mais ont été aménagés dans
les immenses studios de tournage de Leavesden, en Angleterre,
déjà utilisés pour La Menace Fantôme ou Sleepy Hollow, entre autres. Il s'agit d'une ancienne usine de
moteurs d'avion Rolls-Royce. Là encore, les bruits, voix et
ambiances ne "sonnent" pas comme dans un vrai château : il faut
donc, au mixage, s'arranger pour refaire certains sons, et les
intégrer dans une acoustique artificiellement
recréée, mais semblant authentique.
Un travail
énorme
Dans ces conditions, rien
d'étonnant à ce qu'il ait fallu plus de 8 mois de
travail intensif à l'équipe son de Harry Potter pour
venir à bout des 2 heures 17 du film ! Eddy Joseph arrive en
Angleterre fin février 2001, alors que le tournage en est aux
2/3. Il commence donc à travailler sans vraiment pouvoir
discuter "son" avec Chris Columbus, encore trop occupé
à tourner. Ce n'est qu'après que le réalisateur
peut lui donner de grandes lignes, qu'Eddy a de toute façon
déjà commencé à appliquer. Il faut se
mettre d'accord, et peser mûrement chaque décision : ce
n'est que le premier épisode, mais tous les autres
derrière devront "raccorder" au niveau du son.
Le maître mot est "organique".
Ainsi, pour les balais volants, dont le swoosh aurait pu ressembler
à un bruit de science-fiction, Eddy décide d'ajouter
non seulement des bruits de cape, mais aussi une composante vocale,
à la limite de l'inaudible, mais que l'oreille perçoit
parfaitement et que le cerveau décode comme "animal"..
Même principe pour le bruit du Vif d'Or (où
interviennent, entre autres, des clochettes à vent et un
mouchoir froissé) ou du Cognard, pour lequel ce sont des
éléments animaux qui sont greffés afin de lui
donner un côté menaçant. Les ressources de
traitement sonores actuelles sont quasi-infinies : on peut aggraver
ou monter un son, modifier son attaque, lui rajouter des graves,
enlever des aigus, le lire à l'envers... Évidemment,
les monteurs son gardent leurs secrets, mais il est probable que
chacun des sons cités ci-avant est composé d'une
dizaine ou d'une vingtaine d'éléments
différents, soigneusement mixés pour, au final,
présenter un aspect lisse et homogène. Même
principe pour les grognements du troll, les bruits de Touffu, le
chien à trois têtes (des claquements et grincements de
dents et autres bruits divers, générés par un
assistant, ont été mis à contribution), les
bruits des clés de la Chambre des Clefs, etc.
Le moindre détail compte...
Ainsi, sur les séquences de balais volants, il faut non
seulement caler les bruits, jusqu'à la moindre brindille qu'on
voit bouger ou tomber, mais aussi envoyer les sons sur les cinq
canaux sonores utilisés pour la restitution en salle de
cinéma ou sur un DVD (Dolby Digital ou dts). L'occasion de se
rendre compte qu'au retour de l'image de synthèse, il y a plus
de balais que prévu, ou plus de brindilles, ou encore que les
évolutions ne sont pas les mêmes que prévu sur le
storyboard original. Bref, il faut tout recaler... le tout,
jusqu'à trois semaines de la sortie publique du film !
Le son au cinéma, c'est aussi
l'exagération. La meilleure preuve : les hiboux du film, dont
les ailes font un bruit d'enfer, alors que dans la nature, ces
animaux sont les plus silencieux qui soient - sinon, ils
n'attraperaient jamais une seule souris ! Là encore, souvent,
l'imagerie numérique a été mise à
contribution sur les évolutions des oiseaux (scènes de
distribution du courrier, notamment) : les monteurs son ont dû
spatialiser tous ces bruits, en les gardant suffisamment distincts
pour qu'on "sente" à quel oiseau tel flap-flap d'aile
appartient.
Pour mieux "coller" au
côté "château", les assistants monteurs son sont
allés enregistrer exprès, dans un vieux manoir, des
portes qui grincent, des craquements d'escalier, du vent qui souffle,
etc. De bons vieux ingrédients, toujours efficaces, qui ont
fait les beaux jours de tous les films d'horreur ! Même
principe pour les bruits de train à vapeur du Poudlard
Express... Même s'il existe des bibliothèques de sons
toutes faites et parfois très bonnes, leurs sons n'ont servi
que de bases de travail : le plus souvent, tout a été
refait de zéro.
Autre problème : tous ces
bruits, ces ambiances ne sont pas forcément seuls, mais
doivent lutter avec les dialogues et surtout avec la musique de John
Williams, omniprésente et volontiers envahissante. Dans la
scène du jeu d'échecs géant, son espèce
de Boléro nous prive hélas d'un superbe travail sur les
sons de déplacements des énormes pièces. Au
final, les mixeurs se retrouvaient parfois avec plus de 120 pistes
à gérer. Une vraie gageure, surtout quand il faut
ménager une gradation des effets dans la scène : tout
ne peut pas être fort tout le temps, même s'il n'y a pas
d'explosion, de canon ou de coup de feu dans ce film. Les mixeurs
n'ont pas hésité à utiliser les enceintes
arrière (Surround) pour faire passer, par exemple, un centaure
de l'avant à l'arrière, ou des hiboux dans le sens
inverse, ou encore des swoosh appuyés de balais volants. Sans
parler de la voix de Voldemort, hyper-trafiquée
électroniquement, qui entoure littéralement l'auditeur,
provenant des cinq enceintes à la fois...
Normalement, c'était la
même équipe son qui était pressentie pour le
deuxième épisode des aventures d'Harry Potter,
La Chambre des
Secrets... Épluchez bien
le générique de fin le 4 décembre ! Cela dit,
c'est Dennis Leonard (Final
Fantasy, Cast Away...) qui est le nouveau chef monteur son, Eddy Joseph
ayant été retenu par le nouveau film d'Alan
Parker...
L'ÉQUIPE SON
Eddy Joseph : Chef monteur
son
Martin Cantwell : Monteur effets
Colin Ritchie : Monteur son direct
Nick Lowe : Monteur post-synchros
Peter Holt : Monteur bruitages
Richard Fordham, Alex Joseph & Simon Chase : Assistants monteurs
son
John Midgley & Ian Munro : Ingénieurs du son direct
Ray Merrin & Graham Daniel : Mixeurs
Franck Ernould © novembre 2002.
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Il a longtemps travaillé dans le secteur du doublage de films et de séries TV, ce qui l'a doté d'une prudente et permanente circonspection dès qu'on traduit quelque chose en français... |
Diplômé de l'ENSLL,
Franck Ernould est ingénieur du son, journaliste,
traducteur technique audio. Il collabore
régulièrement aux magazines Audio Media France, Radio World
International,
Réalisa-SON, Sound Keys, Brodcast, Computer
Music International, Musique Infos Hebdo... http://perso.club-internet.fr/fernould |
PRODUIRE DE LA MUSIQUE CHEZ SOI Analogique ou numérique,
constitué d'une console couplée à un
magnétophone ou d'un ordinateur
complété de logiciels
spécialisés, le «home studio» est
devenu un outil de production musicale incontournable. Du
compositeur au groupe de musiciens amateurs, le home studio
s'adresse au plus grand nombre et permet d'obtenir
«à la maison» des résultats d'une
qualité professionnelle. Sa pratique est à
l'origine de l'essor de nombreux styles musicaux actuels
comme le hip hop, la house, la jungle, le drum'n'bass,
etc. |
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On trouvera dans cet ouvrage une initiation aux techniques du son dans le cinéma et l'audiovisuel sous forme d'un rappel des notions fondamentales (de l'acoustique à l'audionumérique), ainsi qu'un aperçu des méthodes (du tournage au mixage), des outils (des enregistreurs-lecteurs aux stations de montage virtuel) et des métiers (du perchman au designer sonore), des formations et des débouchés. Franck Ernould, né en 1963, est diplômé de l'École nationale supérieure Louis Lumière. Ingénieur du son free-lance dans les domaines de la vidéo et du doublage, il est également journaliste (Keyboards, Home Studio Magazine, Son Mag, Timecode, Music & Business) et traducteur technique. http://perso.club-internet.fr/fernould Denis Fortier, né en 1954, est spécialisé dans l'ingénierie culturelle et la production multimédia. Il est également expert auprès de la cour d'appel de Paris. Il enseigne par ailleurs les techniques audiovisuelles et multimédia. Denis Fortier est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le son et collabore au Monde. |
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