La vie de Stephen King . 2

enfance et adolescence

UNE ADOLESCENCE DIFFICILE

La Lisbon High School, (= lycée) à Lisbon Falls
dans le Maine où Stephen a fait ses études secondaires

 

Les premiers romans et nouvelles que King a écrits avant son mariage et publiés bien plus tard présentent un grand intérêt pour la compréhension de la formation de sa sensibilité et son apprentissage du sexe. Ne seront évidemment retenues que les oeuvres où la sexualité intervient de manière importante 1. Rage, le premier roman qui ait survécu de cette époque, est exemplaire à cet égard.

.. du site ..

 
Rage
, dont le titre original était Getting it on 2,a été commencé en 1966: King a 18 ans 3. Il vient de terminer ses études au lycée et va entrer à l'Université du Maine. Il ne mettra la dernière main à ce roman que cinq ans plus tard, en 1971, pour une éventuelle publication.

 

La rage adolescente.

On a vu plus haut que l'une de ses frayeurs d'enfant était de ne pas être capable d'entrer en contact et d'établir des rapports de communication avec les autres, la peur de ne pas être capable de se faire des amis. Avec la pression de la puberté, c'est l'amie qu'il lui faut maintenant chercher. Quête accompagnée du sentiment de ne pas en être vraiment capable. Pulsion biologique, peur et désespoir vont former un cocktail détonant, qui ne peut qu'engendrer une situation nouvelle: il était timide et replié, maintenant il devient exaspéré: "À cette époque, à l'adolescence, je me sentais violent, comme si je désirais fouetter le monde, mais cette rage, je la tenais cachée. C'était une partie secrète de mon être que je n'aurais voulu révéler à personne." (SKC, 41)

Son personnage, Charles Decker -Charlie-, 17 ans, est élève en dernière année de collège, l'âge de King lorsqu'il écrit le livre. Charlie n'a pas d'amis et intériorise beaucoup: "
Quand on a cinq ans et qu'on a mal quelque part, on crie pour que le monde entier soit au courant. A dix ans, on gémit. Mais dès qu'on arrive à quinze, on commence à grignoter la pomme empoisonnée qui pousse sur votre arbre de douleur personnelle. (...) On commence à bouffer ses poings pour étouffer les cris. On saigne à l'intérieur" (226). Charlie a la "rage". Obscurité, confusion, rage et vide d'une âme adolescente qui se sent exclue.

Pour diverses raisons, il vit un maelström d'émotions venues de l'enfance, où parents et école semblent tenir une place primordiale. Il a des problèmes qu'il prétend somatiques et vomit souvent. Mais la véritable explication, sa misère sexuelle, ne viendra que plus tard, et il ne la donnera qu'en dernière instance: il a peur du sexe et ne peut plus supporter l'image qu'il a de lui-même.

Il a tué deux professeurs
4 et garde ses condisciples en otages sans trop savoir pourquoi: "Si je savais ce qui me pousse à faire ça, je ne serais sans doute pas obligé de le faire." (68).


À son habitude, King va mêler habilement plusieurs explications. Il va d'abord développer la thèse de la responsabilité parentale, l'évolution affective de l'enfant gâchée par des conditions familiales mauvaises, que les lycéens connaissent scolairement:
"C'est tes parents. C'est forcément tes parents (...). C'est ce qu'on dit toujours dans les livres de psychologie", dit une élève "avec une joyeuse insouciance." (69)

On a donc droit à la scène primitive, rapport sexuel entre les parents, que Charlie, à trois ans, fantasme sur fond de peur du noir et du monstre. "
Le genre de peur qu'un gosse peut ressentir lorsqu'il ouvre la porte au mauvais moment et qu'il trouve ses parents en train de baiser; et comme il est trop jeune pour comprendre ce qu'ils font, il s'imagine qu'ils se battent. Voire même, pour peu qu'ils fassent du bruit, qu'ils essaient de s'entretuer." (Baz, 456) On sait que les psychanalystes affirment que la scène primitive est interprétée par l'enfant comme un acte de violence de la part du père. Pour Charlie, ça le sera d'autant plus que les circonstances, la nuit, sont angoissantes: "J'avais que trois ans (...). Il y avait quelque chose qui approchait. Je l'entendis dans le couloir. Quelque chose d'affreux. Qui venait me chercher. Qui venait me chercher dans le noir. Je l'entendis qui grinçait, grinçait, grinçait. (...) Longtemps après, une heure peut-être ou juste quelques secondes, je me suis aperçu que ce n'était pas à moi que le monstre en voulait, du moins, pas encore. C'était à maman et à papa, en bas. Le monstre qui grinçait était dans la chambre de maman et papa. (...).
Longtemps, longtemps après, je me rappelle que j'ai entendu la voix de ma mère, tout essoufflée, irritée et un peu efféminée: «Arrête, Carl.» Encore un grincement furtif et puis: «Non, arrête!»
Un grognement de mon père.
Et après ma mère: «Je m'en fiche, je m'en fiche que t'aies pas fini. Arrête! Laisse-moi dormir.»
Alors, je savais. Je me suis endormi, mais je savais. Le Monstre Grinçant, c'était mon père."
(73/4) 5
Entre autres, ce sont ces relations sexuelles qui perturbent Charlie. Son père, en colère contre lui, a "
la langue coincée entre ses dents et les yeux exorbités." "Tout d'un coup, je me suis demandé s'il avait aussi cette tête-là quand il faisait l'amour avec ma mère, si c'était ça qu'elle devait regarder quand elle était écrasée sous lui. Cette révélation était si écoeurante que j'en suis resté pétrifié." (221)

Le père est travailleur, organisé, mais inculte et rustre. La mère qui a préparé un diplôme de sciences politiques à l'Université du Maine, est tout à fait différente du père: "
C'est une intellectuelle, ma mère. Elle lit des romans policiers, des magazines. Elle joue du piano." 6 (80).

Charlie est sensible au manque d'entente dans ce couple qui sauve les apparences. Alors qu'il a neuf ans, une nuit, lors d'une partie de chasse , il entend son père et ses amis, ivres, faire de grasses plaisanteries sur les femmes et leur fidélité. Le père de Charlie déclare que si sa femme lui était infidèle, il découperait les "
bijoux de famille" de l'amant et trancherait "le nez" de sa femme, avec son couteau de chasse, "pour lui faire un con au beau milieu de la figure, que tout le monde sache dans la tribu comment elle s'était attiré des ennuis". (24) À partir de cet instant, la haine pour son père cristallise: Charlie vomira l'autorité et aura des problèmes sexuels par peur de la castration.

Officier de marine 7, souvent absent, le père est du genre à croire de bonne foi qu'il est de son devoir d'imposer comme modèle à son fils un type d'adulte pur et dur, à la voie toute tracée. Un jour, il l'a emmené à la chasse pour l'endurcir: "Un épisode de plus dans l'infatigable campagne de mon paternel pour Faire De Son Fils Un Homme." (20) Il vomit quand son père dépèce un cerf tué: "Il me regardait, il n'a rien dit, mais je pouvais lire le mépris et la déception dans ses yeux." (27).

Leurs relations ne seront plus jamais bonnes: "
C'est mon père qui avait monté la tente, et tout ce qu'il faisait était trop tendu, pas de jeu, nulle part..." (74). La devise de son père, "c'est «Que tout soit propre, que tout marche». Si un oiseau chie sur le pare-brise, il faut nettoyer ça avant que ça ait eu le temps de sécher. Voilà comment mon père voyait la vie, et moi, j'étais la merde de l'oiseau sur le pare-brise." (78).

Son père le traite de "
fils à maman" (79) et il y a du vrai: sa mère est protectrice, prend sa défense contre son père, lui donne du chocolat alors qu'il a cassé des carreaux et devrait être puni, le cajole, partage son lit avec lui en l'absence du père. Elle est à l'antithèse de son époux. Elle ne prend malheureusement pas en charge ses problèmes éducatifs.

 La vie est absurde.

Les premières manifestations d'opposition ont visé le père, mais elles débordent ensuite de ce cadre. Tout ce qui est institutionnalisé -école et société- est mis en cause et rejeté. Aller en classe, c'est passer "une nouvelle journée dans la merveilleuse toile d'araignée gluante de Notre Mère Éducation." (18). Il n'a pas de vais copains: "Le type avec un gros Q.I. qui ne sait pas jouer au base-ball ou alors qui arrive troisième au concours de masturbation entre potes, c'est la cinquième roue de la charrette pour tout le monde." (144). Ou: "Une bande écarte toujours l'étranger, le marginal, le mutant. Et celui-là, c'était moi." (89) Le professeur de chimie 8 l'interroge et se moque de lui: il lui tient tête et l'agresse. (216)

Sa sécurité intérieure mal assurée, doutant de soi, Charlie a la réaction de beaucoup d'élèves, la soumission et la peur. Cette peur, il la ressent toujours, mais il éprouve maintenant le besoin d'aller jusqu'au bout de lui-même, de s'affirmer sans hypocrisie. Et quand il a pu assumer cette peur, il devient capable de dominer à son tour sans état d'âme. Et au directeur du lycée, qui l'a convoqué, il tient tête: "
Je n'ai plus envie d'écouter de sermons. C'est de la merde. (...) J'en ai marre de vous, de Mr Grace [le psy] et de tous les autres. Avant, vous me faisiez peur. Maintenant, vous me fatiguez en plus. Et j'ai décidé que je n'avais aucune raison de vous supporter. Je suis comme ça. Je ne supporte pas, c'est tout." (30/2) Charlie, qui se sent rejeté, fait preuve d'une agressivité proportionnelle à l'incompréhension dont il se croit l'objet. De persécuté, il devient persécuteur.

La première piste proposée par King au geste de Charlie est donc celle d'un adolescent en proie à des problèmes familiaux. Un père autoritaire, une mère protectrice et les problèmes scolaires qui s'ensuivent souvent, il ne doit pas être le seul à les vivre. Mais cette situation banale se complique chez lui parce qu'il pense trop, et mal. Nourri d'idées, il n'a pas bien digéré ses lectures ["J'ai lu trop de livres." (15)], ce qui va le conduire à une déstructuration de la personnalité qu'on rencontre à cet âge chez certains adolescents rebelles. Il en vient à ressentir à un tel point la vanité de la vie que toute action ordinaire lui paraît inutile. "La vie tourne aussi follement et aussi anarchiquement que la pièce qu'on lance en l'air pour tirer au sort celui qui paiera le dîner. Personne ne regarde de ce côté sans y être obligé, et je le comprends facilement. On ne s'y intéresse que quand on entend son père parler de trancher le nez de sa mère." (46).

À son mal de vivre, Charlie a trouvé une explication, qu'il livre à la classe: "Tout ce que je voulais, c'est qu'on me reconnaisse." (36). L'agressivité envers son père et ses professeurs vient de cette quête éperdue de reconnaissance: "Les petits garçons grandissent et se souviennent du moindre coup, de la moindre réflexion méprisante, et (...) ensuite, ils ont envie de bouffer leur père tout cru." (212). Pas seulement le père, mais aussi toute autorité qui le représente. Mais cette explication n'est pas complète. Les difficultés familiales et scolaires sont des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes.

Ce n'est qu'à la fin de la prise d'otages que Charlie, pris par le déballage de secrets sexuels de certains élèves de la classe, révèle sa vérité profonde, celle qui l'a conduit à la prise d'otages et au meurtre de deux de ses professeurs. Il est obsédé par le sexe, mais en a pathologiquement peur.

Sexe et rage.

Apparemment, Charlie ne se montre pas différent des autres adolescents de son âge. Un peu voyeur: "Comme ça, je pouvais regarder sous ses jupes, là où le Repos du Guerrier s'abritait sous une pure gaze de nylon bleu." (195). Ou, avec la phobie proprement kingienne de la fermeture-éclair ouverte: "Je pensais à sa manie de toujours perdre ses boutons. (...) C'est tout juste si son pantalon n'a pas dégringolé par terre. Avant qu'elle ait eu le temps de s'apercevoir de ce qui se passait, la fermeture Éclair s'est à moitié défaite, et on voyait un petit V de culotte blanche, bougrement excitante." Il lui reste ensuite "le souvenir de la Parfaite Petite Culotte." (16). Sur ce point, rien que de très banal.

C'est autre chose quand il lui faut aborder les filles, comme Sandra: "Un jour, j'avais eu envie de l'inviter au Wonderland, mais je me suis dégonflé. Joe, qui avait toutes les petites amies qu'il voulait, me demandait pourquoi j'y arrivais pas; ça me rendait de plus en plus nerveux et je lui disais d'aller se faire foutre. Finalement, j'ai eu le cran de l'appeler, mais il a fallu que je raccroche après la première sonnerie pour aller vomir aux toilettes. Je vous l'ai déjà dit, j'ai l'estomac fragile." (180)

Dans une boom, où il est allé avec son copain Pete, il s'est drogué. Il rencontre une fille, Dana, qui lui plaît: "Petite, assez jolie, avec des cheveux décolorés et la robe la plus courte que j'ai jamais vue. (...) Quand elle bougeait, l'ourlet de sa jupe s'enroulait dans la dentelle de son slip. (...) - «Tu as amené de la came, Pete?»
Pete a souri et lui a montré sa potion magique. Elle avait les yeux qui pétillaient. Elle était tout près de moi, une hanche négligemment collée contre la mienne. Je sentais ses cuisses nues. Je commençais à bander comme un turc."
(194)

Pour la suite, c'est Dana, qui prend les devants et ne s'embarrasse pas de romantisme: "
Sors par la porte de derrière, là-bas, elle a dit en la montrant du doigt.
Comme c'était difficile à comprendre, j'ai suivi son doigt du regard. Oui, il y avait bien une porte
(...) Elle a ri gentiment et elle m'a dit
- Tu as regardé sous mes jupes toute la soirée, qu'est-ce que cela signifie?
Et avant que j'aie pu répondre, elle m'a embrassé doucement sur la joue et m'a donné une petite tape pour que je me lève."
(196)

Il l'attend sur le sable et ici encore n'a aucune initiative à prendre: "Elle s'attaquait aux boutons de mon jean. Mais mon sexe était toujours à la pause-café. Elle m'a touché, en glissant la main dans mon caleçon, et les muscles ont tressauté, pas de plaisir, ni de dégoût, mais de terreur en quelque sorte. Sa main me faisait penser à du caoutchouc froid, impersonnel, aseptisé.
- Allez, elle a murmuré, allez...
J'ai essayé de penser à quelque chose de sexy, à n'importe quoi. À regarder sous les jupes de Darleen Andreissen à l'étude, qu'elle s'en rende compte et qu'elle me laisse faire. Au jeu de cartes françaises cochonnes de Maynard Quinn. J'ai pensé à Sandy Cross dans des sous-vêtements noirs, et ça a commencé à faire bouger quelque chose par là...et tout d'un coup, de toutes les choses qui sortaient de mon imagination, j'ai vu mon père avec son couteau de chasse qui parlait du nez tranché des femmes Cherokees.
Ça a suffi. Tout est retombé en chiffe molle."
(198). Malgré leurs efforts conjugués, il n'arrive à aucun résultat.

Charlie rentre chez lui déprimé: "
Je me sentais complètement abattu, mais c'était une sensation froide, sans profondeur. La froide certitude que j'étais pédé s'insinuait en moi, comme une marée montante. J'avais lu quelque part que ce n'était pas la peine d'avoir eu de véritables expériences homosexuelles pour être pédé; on pouvait juste être comme ça et ne jamais s'en apercevoir, jusqu'à ce que le démon caché dans votre placard vous saute dessus, comme la maman de Norman Bates dans Psychose, clown grotesque qui surgit pour vous passer à la moulinette, avec le maquillage de môman et les pantoufles de môman." (200).

L'obsession.

La nuit suivante, "J'ai rêvé du Monstre Grinçant. C'était presque la même chose que quand j'étais petit. (...) Seulement, cette fois, le bruit s'approchait, s'approchait... jusqu'à ce que la porte de la chambre s'ouvre brusquement avec l'horrible fracas du destin qui frappe à la porte.
C'était mon père. Il portait ma mère dans les bras. Il lui avait tranché le nez et le sang coulait sur ses joues, comme des peintures de guerre.
- Tu la veux? il a dit. Tiens, la voilà, cette espèce de bonne à rien. Prends-la.
Il l'a jetée sur le lit à côté de moi et j'ai vu qu'elle était morte. C'est là que je me suis réveillé en hurlant. Avec une érection."
(201/2)

Charlie ne vit plus: "
J'avais peur de tomber dans les pommes au cours de gymnastique et de me réveiller pour trouver tout le monde en cercle autour de moi, me montrant du doigt en ricanant...ou se masturbant en choeur. Je dormais mal. Je faisais de sacrés drôles de rêves, et ça me faisait peur, parce que parfois, je me réveillais avec des cartes de France dans mes draps et ce n'était pas censé être des rêves érotiques." (...) Dans un de ces rêves, "ma mère me faisait un lavement et je la suppliais de se dépêcher parce que Joe m'attendait dehors." (213)

Faute de pouvoir le faire à ses parents, il aurait pu parler de ses problèmes à Grace, le psychologue de l'établissement, mais ne l'a pas fait (70). Il craque, et tue avec le revolver qu'il a pris à son père. Symptômes intéressants de ses obsessions sexuelles, un entretien avec le principal bascule dans le sexe sur sa propre initiative. Dans l'entretien, le Principal commence une phrase: "
Je ne veux pas m'engager...
- Dans des pratiques sexuelles immorales, j'ai complété pour lui. Hein, tous les deux, toi et moi? Qu'est-ce que t'en dis? Le premier qui éjacule remporte le Premier Prix de camaraderie. Allez, mets-toi-z'en plein la main, partenaire. Et puis fais donc venir M. Grace, ce sera encore plus drôle. On pourra faire ça en cercle
. (...) Pourquoi tu ne veux pas en convenir? Ça te plairait de me tripoter. (...) Tu n'as pas envie de parler de la razzia des petites culottes9 qui t'a fait sortir de tes gonds quand t'étais à la grande université pour apprendre à manier les gosses?" (32/4) Il défait sa chemise et déboutonne sa braguette en sortant du bureau directorial pour semer la perplexité et le doute dans le secrétariat. Après avoir tué les deux professeurs, il tient la classe en otage et le psy intervient pour le raisonner par l'interphone. Charlie l'oblige à répondre aux questions qu'il va lui-même poser, sinon il tue un otage. La plupart des questions sont d'ordre sexuel: "T'as déjà brouté ta femme?"; "Est-ce que ta femme a eu des aventures avec d'autres hommes?" Le psy est complètement désorienté, Charlie satisfait: "Ça, c'était parfait. M. Grace avait l'air d'un petit enfant malheureux et désespéré. Par ma faute, il s'était fait enculer avec son propre instrument, comme l'une de ces étranges expériences que l'on relate dans le courrier de Penthouse." (chap. 19)

La débâcle du sexe.

Il n'y a, dans Rage, aucun sentiment amoureux digne de ce nom. Ni aucun rapport sexuel normal et vécu dans la réciprocité. On l'a vu plus haut, les parents de Charlie ne s'entendent pas sexuellement. Ils font chambre à part. Un garçon déflore sa petite amie sans préservatif, alors qu'il avait promis de le mettre. Une fille, Sandra, celle que Charlie convoitait sans avoir osé lui proposer un rendez-vous par téléphone, prend son plaisir dans des circonstances affectivement discutables. Elle s'est fait draguer par un inconnu. Elle raconte à la classe (c'est sa deuxième expérience du sexe): "Il sentait pas bon. (...) Mais son machin était plus dur et plus gros que celui de Ted. Il n'était pas circoncis, je m'en souviens. Ça ressemblait à une prune quand il le sortait de...vous savez, euh...sa peau. Je pensais que ça ferait mal, même si je n'étais plus vierge (...). Il s'est passé quelque chose de drôle à l'intérieur de moi, même avant qu'il m'enlève ma culotte. Je me suis jamais senti si bien. Si réelle.
Elle a avalé sa salive et elle a rougi.
- Il m'a caressé avec ses mains, et j'ai joui, comme ça. Le plus drôle, c'est que lui, il y est pas arrivé. Il essayait de rentrer, et moi j'essayais de l'aider, mais il a continué à se frotter entre mes jambes et tout d'un coup...vous savez. Il est resté sur moi pendant une minute et après il m'a soufflé à l'oreille: «Petite salope, tu l'as fait exprès!.» Et c'était fini .
(...)
Elle m'a souri de son étrange sourire rêveur.
-Ça avait été mieux que la première fois, Charlie."
(185/6)

Des jouissances séparées ou ratées, une sexualité qui prend un caractère dérisoire, le psychologue de l'établissement qui "
regarde" sous les jupes des filles et essaie de les "faire parler" sur leur vie sexuelle (68), c'est tout ce que l'on trouvera dans Rage. King n'est pas loin de penser, comme il le fait dire à Jessie, que "pour un homme, le pénis n'est pas tant un don diu ciel qu'un châtiment." (40)

King, de la révolte au désespoir.

King s'est trouvé dans la situation «enragée» de Charlie: mais comme on l'a signalé plus haut, le bouillonnement de la rage ne s'est pas extériorisé. Il en avait peur. Simultanément à l'écriture du livre s'était produit le carnage de l'Université d'Austin 10, que King évoquera pendant des années, tellement il l'a marqué. Charlie, obsédé par le sexe et tombant dans la violence, c'est ce qui risque de lui arriver.

Peut-être peut-on en guérir. Mais à quel prix? Consulter un psychologue, comme M. Grace? "
Une tête pleine d'instruments d'observation. Un fouilleur d'esprit, un bourreur de crâne. C'est à ça que servent les psy, mes chers voisins et amis: ils sont là pour baiser les malades mentaux et les engrosser de normalité.(...) Et si jamais vous vous retrouvez sur un de ces divans d'analystes où des milliers de personnes se sont couchées avant vous, il y a une chose que je vous conseille de ne pas oublier: quand on vous enfonce la santé mentale à coups de marteau, le fils ressemble toujours à son père." (97). Dans son cas, le père "débauché", incapable de s'accrocher et de se faire un chemin, qui n'a même pas été capable d'assumer les responsabilités de chef de famille?

Charlie, comme King, ne se comprend pas: "
Allez, lis dans mes pensées, Sigmund. Arrose-les du sperme des symboles et fais-les grandir. Montre-moi que je suis différent, disons d'un chien enragé ou d'un tigre assoiffé de sang." (100)

Roland Ernould ©

ÇA = ÇA, (81-85) < 86
CAI = la révolte de Cain, (68) < 85 (MAC)
CAR = CARRIE, (72-73) < 74
COR = le corps , (73) < 82 (DIF)
CRO = le croque-mitaine, (73) < 78 (BRU)
DIF = DIFFÉRENTES SAISONS 4 novellas,
(82=postface)
ELE = un élève doué, (74) < 82 DIF
FL1 = LE FLÉAU, version abrégée, (75-78) < 78
FL2 = LE FLÉAU, version complète, (88 version 78) < 90
MAC = DANSE MACABRE préface + 20 nouvelles, (77 ) < 78
MAR = MARCHE OU CRÈVE, (66-67) < 79
NON = Nona, (78) < 85 (MAC)
POS = poste de nuit, (70) < 78 (BRU)
PRI = le printemps des baies , (68 c75 < 78 (BRU)
RAG = RAGE, (66+71) < 77
REL = La revanche de Gros Lard Hogan, (75) (COR)
REV =RÊVES ET CAUCHEMARS 23 nouv., (92 notes 93) < 93
RUN = RUNNING MAN, (71-72) < 82
SAL = SALEM, (72-74) < 75
SHI = SHINING, L'ENFANT LUMIÈRE, (74-77) < 77
SIM = SIMETIERRE, (79-82-83) < 83
STU = Stud City, (69) (COR)
TIG = en ces lieux les tigres, (68) < 85 (MAC)

Abréviations : Les trois lettres correspondent
aux titres des Ïuvres. La ou les dates entre
parenthèses sont celles de la création de l'Ïuvre.
La dernière date est celle de la publication aux USA. Les
titres des romans sont en majuscules. Les titres des
nouvelles, en minuscules, sont suivis par l'abréviation du
recueil)
Premières dates (entre parenthèses) : années de conception et d'écriture
deuxième date : date de parution

Pour précisions supplémentaires, voir la bibliographie.
Ouvrages critiques de King :

ANA = ANATOMIE DE L'HORREUR, (79/80).< 81
PAG = PAGES NOIRES 1979/80. 1981

Ouvrages critiques consacrés à King :

SKS = George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994. Pas de traduction française à ce jour
SKC = George Beahm, THE STEPHEN KING COMPANION
Warner Books, éd. 1993. Pas de traduction française
à ce jour.
TSK = George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, éd. Lefrancq 1996.
Phénix 2 = Stephen KING, Les Dossiers de Phénix 2, éd. Lefrancq, Bruxelles 1995.

Notes.

 1 Pour les dates de conception (et non de publication), voir l'annexe en fin de volume.

2 En argot: en s'envoyant en l'air, en faisant l'amour.

3 "L'été suivant l'obtention de son diplôme, King commença, mais ne termina pas, ce qui serait sa première oeuvre achevée, Getting it on qui tire son titre de la chanson des T-Rex Bang the Gong (Get it On). Une étude psychologique, l'histoire d'un lycéen qui prend ses camarades de classe en otages. Getting it on exploite les peurs de ne pas s'adapter de King adolescent.", SKS, 49. C'est le groupe Tyrannosaurus-Rex, devenu T-Rex en 1970, qui jouait cette chanson.

4 King a été profondément marqué par un événement qui s'est produit pendant ses vacances scolaires avant d'entrer à l'Université: Fin juillet 1966, à Austin (Texas), un étudiant en architecture, Charles Joseph Whitman, âgé de 24 ans, grimpe au 26è étage de la tour centrale de l'Université et ouvre le feu. Avec deux fusils de chasse, une carabine à canon scié et un pistolet, il tire sur tout ce qui bouge. La tuerie dure plus d'une heure. Bilan: 15 morts et 33 blessés.
Whitman est abattu par la police. Il avait fait son service militaire dans le corps des
marines et c'était un tireur d'élite. A son domicile, on découvre les corps de sa mère et de sa jeune femme. Les policiers découvrent également plusieurs notes manuscrites. Whitman écrivait qu'il ressentait "un besoin de dépression et un besoin de violence.". À l'université, Whitman était apprécié tant par ses professeurs que par les étudiants, d'après Le Journal de l'année, 1966/67, Larousse, 126.

5 King suggère ici la naissance du complexe oedipien qui va dévorer Charlie. Hostilité au père, fixation sur la mère, qui déborde sur toutes les amours féminines. D'après Freud, le sujet perçoit sa mère dans chaque femme consciemment désirée et en éprouve de la répugnance: celle du tabou de l'inceste, interdit fondamental.

6 La mère de King, Nellie, a les mêmes lectures et joue aussi du piano: "C'était une pianiste de talent et une femme douée d'un sens de l'humour très développé et souvent excentrique." Ana, 113.

7 Comme le père de King.

8 King a toujours eu de mauvais résultats scolaires dans les matières scientifiques.

9 Sorte de bizutage dans les universités américaines qui consiste à voler les petites culottes des étudiantes (N.D.T.).

10 O.Voir plus haut. On évaluera les conséquences de cet événement plus loin.

Autres textes sur King et la fantasy :

Articles consacrés à

King : l'homme

UNE ENFANCE SANS PÈRE

L'ADOLESCENCE DIFFICILE

LA FASCINATION DE LA MORT

 

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 22 - hiver 2003

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