Il faut le dire d'emblée : ce livre s'impose à tout amateur de science-fiction.

Ceux qui souhaitaient avoir des informations récentes sur les romans qu'ils avaient lus n'avaient à leur disposition, pour se limiter à la dernière décennie, que des dictionnaires ou des équivalents, mêlant biographies et bibliographies d'auteurs avec des articles ou des dossiers thématiques juxtaposés. Irremplaçable pendant longtemps, Le Science-fictionnaire de Stan Barets a maintenant près de dix ans et a vieilli dans ses références. Il constituait une somme indiscutée en deux tomes, le premier consacré aux auteurs, le second aux thèmes et à ce qui gravitait autour de la science-fiction. Le guide de Lorris Murail s'étendait à toutes les formes de l'imaginaire spéculatif, du roman et de la BD au cinéma et à la télévision, avec 500 entrées de noms d'auteurs jalonnées alphabétiquement de dossiers thématiques. Deux autres livres pouvaient rendre des services, bien que limités dans la quantité d'information fournie à cause du format ou de la collection : la trop succincte histoire de la science-fiction de Stéphane Manfrédo et le dictionnaire pour la jeunesse de Denis Guiot. Enfin Francis Valéry publiait, il y a deux ans, un Passeport pour les étoiles, en deux parties, un historique du genre et plus d'une centaine de propositions de lecture, classées chronologiquement de 1923 (Lovecraft) à 2000 (Sylvie Denis), avec des exclusions.

Aucun de ces ouvrages ne pouvait rendre les services de l'inusable Panorama de la science-fiction de Jacques Van Herp, paru il y a plus d'un quart de siècle, et réédité plusieurs fois, par différents éditeurs, sans qu'il y soit changé une virgule. Les informations sur les auteurs étaient complètement dépassées, mais Van Herp avait eu l'originalité - avec le savoir nécessaire - de nous offrir une étude sur la science-fiction dans sa totalité en l'abordant par les thèmes qu'elle propose, dans ses rapports avec les grands besoins des hommes, culturels, scientifiques, économiques, politiques et sociaux. Van Herp ne nous proposait pas une histoire ou un dictionnaire, mais une riche réflexion personnelle sur son contenu. Les grands thèmes et des problèmes n'ont pas changé et concernent toujours le temps, l'espace, l'avenir des hommes et de leurs sociétés. Mais l'importance de certains thèmes a décliné dans les intérêts des auteurs et du public. Les paradoxes espace-temps par exemple sont moins d'actualité, mais par contre l'anticipation à court terme, parfois colorée politiquement, les possibilités nouvelles présentées par la bionique et l'informatique, le risques courus par la planète à cause de la pollution ont pris une importance qu'ils ne pouvaient pas avoir il y a 30 ans.

On trouve maintenant le digne successeur du panorama de Van Herp dans l'importance masse d'informations de ce livre de deux auteurs et professeurs, qui paraissent vouloir se spécialiser dans la promotion et la réhabilitation des littératures de l'imaginaire dans le monde enseignant, traditionnellement dédaigneux de cette paralittérature. En les rattachant aux grands thèmes classiques, le sens de la vie, la mort, l'avenir, l'inconnu, ils montrent qu'il n'y a pas de discontinuité entre les auteurs étudiés en classe par les élèves et ce que peuvent offrir les auteurs de l'imaginaire. Avec, en plus, la référence aux grandes peurs contemporaines, celle de l'alien, de l'autre; de la pollution du monde; de l'omniprésence de l'informatique et de l'intelligence artificielle, des progrès inquiétants de la génétique et de la bionique. À côté des sujets traditionnels que l'on rencontre partout, la nature et le sens de la science-fiction, son histoire et ses thèmes classiques (la conquête spatiale, les extraterrestres, les voyages dans le temps ), ce livre nous propose des chapitres novateurs et passionnants. Sur notre futur annoncé, par exemple les formes d'oppression des sociétés de consommation ou totalitaires, les dérives de la science, des techniques et de l'économie avec la pollution. Sur les intelligences artificielles et les mutants, les androïdes et les cyborgs, comme l'anthropomorphisme des ordinateurs et le gouvernement des machines. Sur l'évolution de la science, notamment les manipulations génétiques et les formes nouvelles de sexualité. Il est difficile d'énumérer toutes les réflexions passionnantes qui naissent devant la prise de conscience de la richesse des idées proposées par les auteurs de science-fiction résumées en une courte citation, de la peur de la souffrance et de la mort à la croyance religieuse et à à un monde où l'homme devient Dieu.

Alors qu'il arrivait à Jacques Van Herp de nous proposer des points de vues partiaux, le souci de Millet-Labbé a été de nous présenter les intérêts des auteurs et leurs préoccupations de façon objective. Il ne résulte pas de la lecture du livre une impression de juxtaposition, mais une réflexion cohérente aussi honnête qu'il est possible de le faire et qui impressionne par sa richesse, sa diversité et sa profondeur.

Qu'on ne prenne pas les auteurs pour des magisters rébarbatifs à force de sérieux. Le dernier chapitre sur l'humour et la science-fiction le montrerait. Rien de rebutant dans ce livre, écrit de manière claire et agréable. En annexe, les biographies et les bibliographies des maîtres de la S-F, un glossaire, un index des noms propres et surtout un précieux index des notions, qui permet à partir d'un mot-clé de retrouver matériaux et auteurs dans l'ouvrage. La matière est considérable et la typographie a été choisie pour offrir le maximum de texte avec une lisibilité acceptable. De la besogne bien faite, qui a demandé à ses auteurs des années de travail.

La quatrième de couverture :
La science-fiction est un genre populaire, en particulier grâce au cinéma. En dépit de ce succès, ou à cause de lui, elle est restée marginalisée, voire méprisée par l'institution littéraire. Déjà, Jules Verne, le créateur du genre, n'était guère pris au sérieux par ses contemporains.
La science-fiction mérite mieux que cette condescendance, car, au-delà du divertissement, les aventures extraterrestres, le voyage dans le temps et les sociétés imaginaires confrontent le lecteur ou le spectateur aux grandes peurs de l'homme : l'autre, la mort, l'avenir, l'inconnu.
Ce livre tente d'abord de définir la S-F, d'en fixer les frontières, d'en expliquer les origines et l'évolution. Puis il explore les grands thèmes que sont la conquête spatiale, les intelligences artificielles ou les utopies, afin d'en dévoiler l'arrière-plan politique, historique, philosophique et social. Toutes les formes sont abordées : littérature, cinéma, bande dessinée, séries télévisées, arts graphiques...
On trouvera en annexes une imposante bibliographie-filmographie, ainsi qu'une présentation des grands maîtres du genre.

Références bibliographiques : Jacques Van Herp, Panorama de la science-fiction, André Gérard éd., 1973; éd. Marabout, 1975; Lefrancq éd., 1996 (éd. enrichie d'un index des auteurs et des oeuvres). Stan Barets, Le Science-Fictionnaire, 2 vol., Denoël, 1994. Denis Guiot (avec Alain Laurie et Stéphane Nicot), Dictionnaire de la science-fiction, Hachette Jeunesse, 1998. Louis Murail, La Science-fiction, Larousse Totem, 1999. Stéphane Manfrédo, La science-fiction aux frontières de l'homme, Gallimard Découvertes, 2000. Francis Valéry, Passeport pour les étoiles, Guide de lecture, Denoël FolioSF, 2000.

Gilbert Millet est né à Laon et vit à Valenciennes. Il a publié deux romans, Le Mépriseur (Manya, 1993) et Pavés du Nord (Quorum 1997, Prix du Livre de Picardie et Prix du roman insolite de la Renaissance Française); deux recueils de nouvelles, Les Morts se suivent et se ressemblent (Manya, 1992) et Petites Tombes en Viager (Quorum, 1998) et Ennemis très chers, Manuscrit.com, 2001 (note de lecture); ainsi que un de textes courts, Miniatures (Editinter, 1999). Il a participé à des recueils collectifs : 131 Nouvellistes contemporains par eux-mêmes (Manya, 1992) Ecrire (Dumerchez, Centre Régional des Lettres de Picardie, 1993), Oser (Page à Page, 1999), Choisir (Page à Page, 1999), Ténèbres 2000 (Naturellement, 2000). Deux de ses pièces de théatre ont été jouées à Paris, en province et à l'étranger : Le Bouquet (1990) et Le Jeu des 7 Lames (publié en 1996 par les éditions du CIVD). Il est l'auteur, avec Denis Labbé d'un ouvrage sur le fantastique, Le Fantastique (Ellipses, 2000) (note de lecture), d'une étude de Shining (éd. Ellipses) (note de lecture), d'essais sur La science-fiction (éd. Belin, 2002) (note de lecture), Les mots du merveilleux et du fantastique (éd. Belin, 2003) et d'une Étude sur Tolkien, Le seigneur des Anneaux (éd. Ellipses, 2003) (note de lecture). Il est le rédacteur en chef de la revue Hauteurs

lire la nouvelle de Gilbert Millet sur ce site : Un millardième, nouvelle illustrée par Rózsa Tatár

L'auteur : Né en 1965 à Lunéville, entre Vosges et Alsace, mais Nordiste d'adoption depuis plus de 20 ans, Denis Labbé a conservé cet amour du fantastique propre à ses forêts natales. Docteur es lettres, il enseigne à Avesnes-sur-Helpe et vit à Bavay. Il cherche à donner à ses élèves le goût de la lecture et de l'étrange. Écrivain, poète, traducteur et critique, plusieurs de ses nouvelles sont parues en anthologies : De sang et d'encre (Naturellement), Ainsi soit l'ange (Oxymore), mais également dans des revues aussi différentes que Phénix, Rétroviseur, Poésie Première ou Hauteurs dont il est l'un des rédacteurs. Il a participé à l'ouvrage collectif : H.P. Lovecraft, le Maître de Providence (Naturellement, 1999). On lui doit aussi des traductions de Brian Lumley (Necroscope, Vamphyri), Graham Masterton, Kim Newman ou encore Poppy Z. Brite. Auteur, en collaboration avec Gilbert Millet, d'un ouvrage sur le fantastique aux éditions Ellipses, Le Fantastique (note de lecture), il vient de terminer une biographie romancée Promenades avec Claude Seignolle (note de lecture), un roman , pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros) (note de lecture). Il est l'auteur de deux recueils de poèmes Au pas des oiseaux (Editinter 1998) et Entrevoix (Editinter 2001)d'un roman pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros).

Gilbert Millet est le rédacteur en chef de la revue Hauteurs (la Revue littéraire du Nord et d'ailleurs, 161, avenue de Liège, 59300 Valenciennes), et Denis Labbé fait partie du comité de rédaction. Roland Ernould

 Roland Ernould © 2002

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