Du fantastique à la «littérature de l'indicible»

«Tout se passe en effet comme si le fantastique ne pouvait engendrer que des gènes et des approximations, comme si on avait affaire là à un accident littéraire tout à fait bizarre, une espèce de phénomène incongru de la création romanesque dont l'apparition, sur le territoire des lettres, serait toujours de nature à semer la confusion et la panique. Le plus curieux, le plus paradoxal néanmoins, c'est que la question de la définition du fantastique suscite d'innombrables commentaires, fait l'objet de plusieurs livres et d'études spécialisées, nourrit régulièrement les dissertations scolaires, qu'il est tenu pour une activité bâtarde, une expression mineure, voire un agréable divertissement dans l'histoire de la fiction.»

Jean-Baptiste Baronian

Première partie

Rapport entre le degré de littérarité et «l'effet-fantastique»

 

Définitions prélables.

Préliminaires.

Il paraît hautement naïf ou simplement déraisonnable de penser donner ici l'acception du fantastique qui sera adoptée pour ce travail. Pourtant, afin de permettre une approche rigoureuse, nous tenterons de cerner cette question de façon à limiter notre champ d'investigation à des proportions raisonnables. Pour parvenir à cela, il sera nécessaire de prendre garde aux définitions trop restrictives ou trop indulgentes.

Une question se présente d'ores et déjà : quel article doit précéder le terme « fantastique » ? Gilbert
Durand parle de « la fantastique » 1, il ne s'agit pas du genre littéraire, mais « d'une anthologie des structures, « régimes », mythes [...] qui régissent l'imaginaire conçu en sa totalité » 2 . C'est donc le fantastique que nous chercherons à appréhender.

Le Littré (1863) l'associe aux contes, et, par là même, à la littérature, mais ne permet pas de l'aborder avec grande précision. Le Robert (1967, rééd. 1996) rapproche le fantastique de termes qui entretiennent avec lui un rapport plus ou moins direct. Il parle, par contre, du « genre fantastique ». Sa définition est associative3 , en ce qu'elle nous permet de savoir à quels domaines le fantastique peut être rattaché.
Nombre de spécialistes ont tenté d'apporter une précision au genre fantastique, leur approche est cruciale au déroulement de cette étude. La classification qui suit n'est ni arbitraire ni chronologique, mais elle est établie en fonction de notre degré d'adhésion, et se termine par l'acception qui sera utilisée dans ce travail.

Diverses approches de la littérature fantastique. 4


Pour mieux détourner la réalité...

Une première série de définitions nous permet de prendre conscience de l'importance revêtue par la réalité. Cela peut sembler paradoxal, mais cette condition est nécessaire en ce qu'elle garantie l'adhésion du lecteur
5. Si ce dernier reconnaît le monde dans lequel il vit, il sera plus enclin à accepter des faits sortant de la banalité quotidienne. C'est la raison pour laquelle, « [l]e récit fantastique, [...] aime nous présenter, habitant le monde réel où nous sommes, des hommes comme nous, placés soudainement en présence de l'inexplicable » 6 . La réalité est nécessairement requise, pour permettre la « [...] rupture de l'ordre reconnu, [l']irruption de l'inadmissible au sein de l'inaltérable légalité quotidienne » 7.

D'autres définitions sont largement empreintes de cette théorie8 : comme s'il fallait s'emparer du réel pour mieux le détourner.

L'objectif est, ici, de déterminer comment la réalité est reproduite, puis d'établir le moment où intervient la « rupture », dans les oeuvres de Serge Brussolo, Stephen King et Valerio Evangelisti . Il serait ainsi possible de mieux comprendre la façon dont s'échafaudent les divers éléments qui concourent à considérer l'oeuvre comme fantastique.

Le doute.

L'hésitation todorovienne est sans doute l'une des approches les plus rigoureuses de la littérature fantastique. Mais, la façon dont il l'aborde est trop inflexible, pour un genre dont les frontières ne peuvent être délimitées sans quelque souplesse
9 . Aux yeux de Tzvétan Todorov,
le fantastique

«ne dure que le temps d'une hésitation : hésitation commune au lecteur et au personnage qui doivent décider si ce qu'ils perçoivent relève ou non de la « réalité », telle qu'elle existe pour l'opinion commune . A la fin de l'histoire, le lecteur, sinon le personnage, prend toutefois une décision, il opte pour l'une ou l'autre solution, et par là même sort du fantastique 10


La catégorie que
Todorov nomme « fantastique-merveilleux » ne sera pas, dans notre approche, dissociée du fantastique. En effet, l'acceptation virtuelle11 de nouvelles lois de la nature n'a pas à faire sortir le lecteur du fantastique, n'a pas, non plus, à le projeter dans un univers quasi-merveilleux, car c'est justement le fantastique qui entraînera une nouvelle conception du lecteur. Notre étude tentera de montrer les moments où les ouvrages seraient admis dans le « fantastique-pur », afin de prouver que cette délimitation est trop restrictive. Nous verrons ensuite que le « fantastique-merveilleux » est beaucoup plus proche de ce que nous souhaitons entendre par fantastique. Il faudrait aussi s'interroger pour savoir si un ouvrage peut être considéré comme fantastique dès lors qu'à un moment donné, le lecteur ou un protagoniste a hésité sur l'appartenance d'un événement au monde réel.

Un autre problème apparaît dans la classification todorovienne. Pour lui, la « pure littérature d'horreur appartient à l'étrange » 12. Ce point de vue peut-être discuté, notamment lorsque la cause de l'horreur est surnaturelle, et acceptée comme telle par les protagonistes et le lecteurs.

Le récit fantastique, d'Irène Bessière est sous-titré : « La poétique de l'incertain ». Une fois encore, le doute est présent, mais, pour elle,

«[l]'événement narré [...] se présente [...] d'abord comme une énigme qui devient fantastique par la superposition de deux probabilités externes l'une rationnelle et empirique (loi physique, rêve, délire, illusion visuelle qui correspond à la motivation réaliste) ; l'autre rationnelle et méta-empirique (mythologie, théologie des miracles et des prodiges, occultisme, etc.) qui transpose l'irréalité sur le plan surnaturel, extra-naturel et qui, par là-même, la rend concevable à défaut d'acceptable.[...] La codification du réel est paradoxalement la meilleure médiation du fantastique » ·13.


Irène
Bessière porte un oeil averti sur la différence existant entre irrationnel et surnaturel. Ainsi, « [i]l ne faut pas assimiler fantastique et irrationnel » 14. Les normes fantastiques n'étant pas les mêmes que celles régissant le monde réel15 , elles ne peuvent être taxées d'irrationnelles. En effet, une certaine forme de rationalité est applicable à des phénomènes surnaturels.

Il sera enrichissant, à ce stade, de noter ce qui incite le lecteur à concevoir l'existence d'autres normes, sans que cela ne bouleverse pour autant ses croyances réelles, et de voir comment le lecteur peut être projeté dans le monde surnaturel de l'oeuvre.

Le désordre.

Nous séparons l'approche de Roger
Bozzetto des précédentes car malgré l'importance accordée à la reproduction du monde réel, il limite sa théorie, non pas au genre en son intégralité, mais à une « proposition minimale qui renvoie plus à la notion de sentiment du "fantastique" et à sa visée » 16. Cette délimitation permet de ne pas prétendre atteindre une théorie du fantastique mais de mieux envisager les ressorts qui créent le fantastique.

«Le texte fantastique instaure et rend sensible un type particulier de rapport au monde. Il le rend manifeste par la présence, dans le monde représenté, d'objets, d'événements et/ou de situations banales. Avec ceux-ci, il construit des simulacres (langagiers ou iconiques) qui se réclament de l'évidence, mais dans lesquels la cohérence apparente du monde empirique, pourtant convoquée, est subordonnée à l'existence supposée d'autres lois» 17.


Grâce à une analyse psycho-sociale, nous nous efforcerons de montrer l'évolution des «
rapports au monde » qu'entretiennent les protagonistes et le lecteur18.

De l'inquiétant à l'épouvantable.

La citation précédente a été volontairement tronquée, mais Roger
Bozzetto ajoute que l'« un des effets » 19 du mystère provoqué par de nouvelles lois « est souvent, pour le lecteur, une sensation de terreur, ou d'horreur » 20. Nous souhaiterions analyser les situations dans lesquelles l'horreur n'est qu'un simple effet, et nous interroger sur la visée fantastique. Les auteurs décident-ils d'utiliser ce genre à des fins d'épouvante21 ? Nous pourrions aussi parvenir à discerner si le fantastique convoque nécessairement l'horreur.

Le point de vue freudien doit être pris en compte afin de mieux comprendre que l'hésitation est insuffisante à l'explication de l'inquiétude ressentie par le lecteur, et grâce à son essai
22 nous pourrons nous demander pourquoi Freud incluait déjà l'inquiétant dans le fantastique alors que Todorov sera enclin à classer l'horreur dans l'étrange-pur23.

Nous allons dorénavant nous intéresser aux approches qui lient de façon intrinsèque le fantastique et l'horreur. En 1883, Guy de Maupassant montrait combien le scepticisme croissant avait fait évoluer les ruses des « fantastiqueurs ». Pour lui, l'hésitation joue un rôle en ce qu'elle projette le lecteur devant des situations auxquelles il n'a pas l'habitude d'être confronté, et qui, étant inconnues, seront instigatrices de peur.

«Quand l'homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leur surprenante histoire. Ils entraient, du premier coup, dans l'impossible et y demeuraient, variant à l'infini les combinaisons invraisemblables, les apparitions, toutes les ruses effrayantes pour enfanter l'épouvante... Mais quand le doute eut enfin pénétré dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur les limites du possible, en jetant l'âme dans l'hésitation, dans l'effarement 24


Ce point de vue pourra nous mener à réfléchir sur le lien entre hésitation et peur et à mieux comprendre que l'hésitation est plus une stratégie qu'un but en soi. Il faudrait être en mesure d'affirmer ensuite si la visée du fantastique est l'horreur. Aux yeux de certains auteurs fantastiques cela est indubitable, mais il faudrait déterminer si Serge
Brussolo, Valerio Evangelisti et Stephen King pensent également que,
«[l']
unique épreuve dont sort vainqueur le véritable conte fantastique est celle-ci : a-t-il ou non provoqué chez le lecteur un profond sentiment d'horreur [...] ; a-t-il suscité l'attitude d'attention terrorisée? » 25.

 

L'acception que donne Jean Fabre au «[...] mot [fantastique, qui] désignera un certain type de surnaturel, le surnaturel effrayant » 26, nous permettrait d'intégrer nos oeuvres de façon cohérente, mais il nous faudrait, avant de céder à cette tentation, pouvoir répondre à certaines questions : Où est la limite entre fantastique et horreur ? L'un fait-il partie intégrante de l'autre ? Sont-ils différents mais indissociables ? 27

L'acception adoptée pour ce travail.

Les diverses théories de la littérature fantastique nous ont permis d'accéder au recul nécessaire pour donner l'acception que prendra ce terme dans notre travail. Cette définition tentera d'avoir le mérite d'être adaptée à notre champ de recherche
28.

S'emparer du réalisme pour mieux le détourner, projeter ainsi les protagonistes et le lecteur dans un dilemme qu'ils peuvent ou non choisir d'élucider : le surnaturel est-il irrationnel, ou véhicule-t-il une logique qui lui est propre. Dès lors que cette alternative vient à exister, et quelle qu'en soit la réponse, l'effet fantastique sera établi et perdurera tout au long de l'oeuvre. Face à cette possibilité de choisir, les protagonistes et le lecteur, seront en proie à la peur de l'inconnu, et les auteurs se serviront de cet état comme support narratif.

Nous aurons à confronter cette définition aux ouvrages sélectionnés afin de voir ses limites. Nous pourrons ainsi parvenir à comprendre si la peur est
une visée du fantastique ou la visée du fantastique.

La peur paraît être un élément d'une importance capitale dans les ouvrages fantastiques sélectionnés, il semble donc nécessaire d'appréhender les mécanismes qui la déclenchent pour être capable de discerner l'interpénétration fantasique-peur.

Des mécanismes psychophysiologiques de la peur aux stratégies narratives la provoquant.

Mécanismes de la peur.

Émotion fondamentale
29

Certains stimuli mèneront l'homme à se croire en danger : la menace entraîne la peur. Il nous faudra donc voir comment les écrivains fantastiques arrivent à instiller, tout au long du roman, des stimuli déclencheurs de peur, et, insidieusement, parviennent à persuader les lecteurs de l'imminence d'un danger virtuel. Ensuite, nous analyserons pourquoi le lecteur ne fuit pas
30 , mais adhère au surnaturel même s'il est effrayant.

En nous intéressant à la fonction de l'imaginaire
31 , nous pourrons arriver à comprendre ce qui, dans un ouvrage fantastique, rend l'imagination plus prompte à véhiculer des images terrifiantes. Pourquoi l'imagination du lecteur cède-t-elle à ce que nous pourrions appeler la fascination-fantastique ? Nous savons que « ses remarquables facultés de représentation et d'imagination font, en effet, de [l'homme] le principal artisan de ses effrois en même temps que le propagandiste de ceux des autres » 32.

Il restera à découvrir les méthodes qui invoquent l'imaginaire de l'effroyable33.

Le rôle du refoulé est très important, il pourra surgir grâce aux méthodes utilisées par les écrivains. Nous pourrons également nous interroger sur l'omniprésence qui règne dans les oeuvres sélectionnées, et le fait que,
«[c]
ertaines peurs (du noir, des contacts sociaux) sont en grande partie, probablement, des reviviscences d'émotions archétypiques, sédimentées au fond des êtres par-delà les générations, ou des frayeurs de l'enfance, fréquentes mais rarement en rapport avec un danger réel, qui n'attendent qu'une occasion pour se manifester à nouveau» 34 .


Les «
fantastiqueurs » conditionneraient l'imagination du lecteur , afin que le refoulé puisse s'exprimer. De cette manière, « une peur dans l'obscurité [...] s'élabore peu à peu en peur de l'obscurité » 35 .

Les peurs naturelles et surnaturelles.

Les auteurs fantastiques se servent des peurs naturelles de l'homme afin de les recréer dans l'ouvrage. Nous verrons comment les fléaux, l'hérésie, la technique qui dépasse l'homme, etc., sont transcrites de façon plus ou moins implicite, pour convoquer chez le lecteur un imaginaire primitif de l'horreur.
Les peurs surnaturelles seront utiles car elles nous permettront de prendre conscience du lien étroit du surnaturel et de la peur, et par conséquent du fantastique et de la peur. Il faudra, donc pouvoir délimiter de façon plus de précise les relations du fantastique et de l'horreur
36. Le climat surnaturel dans lequel sont plongés les protagonistes et le lecteur pourra être d'une aide non négligeable afin d'évaluer à quels moments, dans les oeuvres sélectionnées, un onirisme cauchemardesque contamine la lecture.

Ressorts narratifs.

Besoin de peur. 37

Avant toute chose, nous tenterons de démontrer que les stratégies narratives fonctionnent en tant qu'instigatrices de peur seulement si le lecteur est prêt à se laisser effrayer. Cela peut paraître étonnant, mais l'état d'esprit du lecteur compte. A une époque où la possibilité de sortir de la banalité quotidienne passe par des heures de loisirs, les hommes sont demandeurs de peur.
«[L]
a peur ne joue-t-elle pas, au moins d'une certaine manière, un rôle équivalent à celui des festivités ? Avec la montée émotionnelle et le bouleversement des habitudes qu'elle provoque, elle rompt, elle aussi, le cycle de l'ennui et de la monotonie » 38.

Nous analyserons, à titre d'exemple les divers films et ouvrages fantastiques parus récemment, afin d'évaluer le besoin qu'a l'homme de jouer à se faire peur.

Sur-stimulation, déclencheurs de peur .

D'aucuns pourraient prétendre que la littérature fantastique frise «
l'écervelage ». Et pourtant, il faudrait prouver ici à quel point le travail des mécanismes déclencheurs de peur est important afin que s'immisce un sentiment d'angoisse, cette

«situation de [...] peur. - Plus insinuante dans son début, son évolution est plus lente et sa durée plus importante. Sa caractéristique dominante tient peut-être dans l'emballement général de l'imagination. Celle-ci, sollicitée par le danger, pas encore actuel mais attendu ou redouté, a tendance à produire à profusion toutes sortes de représentations mentales ?» 39


Nous verrons aussi que la peur peut intervenir à différents nivaux. Cela est rendu possible, en outre, par le fait que les cinq sens sont sollicités, jusqu'à en convoquer un sixième : celui de la peur.

Il sera pertinent, après s'être demandé quel auteur provoquait la peur la plus durable chez le lecteur, et la raison de cette réussite, de voir si le degré de « littérarité » joue un rôle crucial dans la création de la peur
40 .

Rapport entre le degré de littérarité et «l'effet-fantastique»

«Littérarité-fantastique»

Supports.

Il faudrait comprendre en quoi les mécanismes narratifs du roman
41 répondent à la demande des ressorts du fantastique. Nous pourrons déterminer si les longueurs42 de certains passages peuvent être causées par les obligations éditoriales, ou si elles apportent un effet supplémentaire par rapport à des romans plus courts.

«Le genre littéraire qui convient le mieux au fantastique est assurément le récit [..] Nous sommes d'abord dans notre monde, clair, solide, rassurant. Survienne un événement étrange, effrayant, inexplicable; alors nous connaissons le frisson particulier que provoque un conflit entre le réel et le possible. Il ne se peut pas que le criminel ait traversé les murs, et pourtant cela est. Le fantastique est lié au scandale, il faut que nous croyions l'incroyable. Or, la poésie ne consiste nullement dans un conflit entre le réel et le possible, mais dans une transfiguration du réel43


Une autre question sera digne d'intérêt : le niveau d'écriture influe-t-il sur l'effet fantastique
44 ? Le côté littéraire des ouvrages fantastique est, en effet, souvent remarqué pour ses imperfections. Mais nous approfondirons ces défauts, pour savoir s'ils ne sont pas, certaines fois, des stratégies d'écriture. Des réponses stylistiques pourront nous aider dans l'acheminement de notre pensée45 .

Néanmoins, la richesse de ces romans du point de vue sociologique est indubitable. Nous verrons donc pourquoi le genre fantastique créé des symboles dont l'interprétation permet de révéler des angoisses sur la société contemporaine46 . Le point de vue kingien est pertinent, et facilitera le début de cette approche. Pour lui, « [...] si les films d'horreur ont un intérêt sociologique, c'est bien grâce à leur capacité à lier le réel et l'irréel, à fournir des symboles »47.

Nous irons, tout de même au-delà de cette conception, afin de découvrir les autre raisons qui font de l'ouvrage fantastique un immense réservoir symbolique, dans lequel peuvent puiser les sociologues. Le pouvoir de caricature ou de personnification de la société montrera en quoi le fantastique peut dénoncer les travers de cette dernière.

Passage au support cinématographique.

Cinéma fantastique.

D'aucuns affirment qu'il ne peut y avoir de cinéma fantastique à la hauteur de la littérature fantastique. En effet, l'imagination travaille autant à l'origine, puis l'image du monstre qu'elle s'était façonné est filmée, et tout s'effondre
48 . Maints spectateurs pensent que l'on ne devrait jamais voir la bête se cachant derrière la porte pour ne pas être déçu. Et pourtant, une fois la vision monstrueuse engrangée par le cerveau, celui-ci peut la faire resurgir en ayant, comme toujours, exagéré les aspects les plus effrayants. Ce deuxième effet, ou « effet à retardement » du cinéma fantastique est très important à souligner car la peur peut-être ressentie à nouveau.

Pour « filmer la peur »
49 , certaines techniques sont utilisées afin de provoquer ce sentiment chez le spectateur. Comparer ces stratégies à celles des auteurs fantastiques aiderait à comprendre la récurrence de nombreuses images. Par exemple, nous savons que l'obscurité, rend l'homme plus sujet à la peur50 . En effet, l'être humain sollicite énormément sa vue, et lorsque celle-ci ne peut s'exercer de manière correcte, l'imagination et sa propension à l'exagération rend l'homme plus enclin à se laisser terroriser. La pénombre est donc un leitmotiv de la dimension fantastique. La sollicitation des cinq sens va instiller la peur chez le spectateur, comment l'auteur de fantastique parvient-il à provoquer ces terreurs sensitives ? L'utilisation parfois outrancière d'effets-spéciaux devra être étudiée. Nous verrons en quoi cet excès est à mettre en relation avec le gore. Il sera ensuite peut-être nécessaire de pousser encore cette analyse grâce à l'approche d'autres techniques cinématographiques plus spécifiques 51 .

Écriture cinématographique : entre effets-spéciaux et hyperboles .52

Il faudrait arriver à prouver que les techniques du cinéma fantastique influent sur les méthodes d'écriture. Afin de répondre à une demande visuelle croissante, les auteurs doivent s'efforcer de donner à leur oeuvre une véritable teinte cinématographique.

«Transaction et translation, si les best-sellers de l'horreur contemporaine s'adaptent si facilement à l'industrie cinématographique de masse, voire, sont écrits en vue de l'adaptation , c'est bien parce que leur poétique repose sur la visualisation. Ce type de fantastique terrifiant est profondément lié à une figuration picturale .» 53


Le filtrage qui a lieu lors du passage d'un roman fantastique au support cinématographique pourra nous mener à considérer les séries B. En effet, la simplification, souvent outrageuse engendrée par un degré de filtrage important permettra d'établir les prémisses d'une question relative aux stéréotypes dont sont encombrés nombre de films tirés d'ouvrages fantastiques
54. Le degré de filtrage entre le support écrit et l'adaptation cinématographique devra être évalué, rendant ainsi possible une ouverture : une collection d'images suffit-elle à rendre une énigme fantastique, et à suggérer la peur ?
Enfin, on pourra s'interroger sur la création du réel et de l'irréel (ou du surnaturel ?) au cinéma et en littérature. En prenant conscience que :

«le fantastique est souvent défini comme une entorse infligée aux lois qui régissent le réel. Fantastique, cinéma et réel sont des termes entremêlés dans un écheveau complexe. Lorsqu'on parle de réel au cinéma, la confusion est grande est-ce la vision documentaire et par conséquent tout ce qui ressortit de son « point de vue » (ou de son absence de point de vue) ? [...] Plus ou moins de crédit est accordé au cinéma en tant que représentation plausible et convaincante du réel (ou de l'irréel), même s'il a la réputation de posséder la capacité de « rendre » assez fidèlement le réel ou si un « effet de réalité » lui est attribué 55


La figuration est d'un intérêt incontestable, et elle mène à tenter de comprendre la représentation que ce fait chacun du signe à interpréter.

De la peur de la mort 56 à l'écriture de l'indicible.

Le mystère qui surclasse les autres.

L'Inconnu par excellence.

La mort est, et demeurera, l'Inconnu. Elle est donc effrayante de part son absence, mais,

«ce que l'on connaît d'elle n'est pas plus rassurant que ce que l'on en ignore. [...] la représentation du corps mort, sa dissolution qui s'effectue au milieu de laideurs et de puanteurs, la thanatomorphose ou transformation assez rapide de l'être vivant en restes minéraux, voués à une érosion lente ». 57


Dans la société contemporaine, l'importance donnée à l'apparence extérieure véhicule des potentialités d'effrois face à la putréfaction, et à tout ce qui entoure la décomposition organique. Cette «
incompréhensible nihilisation » 58 pourra permettre aux auteurs de concrétiser les causes de la peur. Nous aimerions approcher le lien unissant le fantastique d'horreur à la mort, et voir les moments où la mort survient. Nous pourrions ainsi établir s'il existe un fantastique sans mort. Ensuite, il faudrait s'interroger sur l'intervention surnaturelle : est-elle la cause principale des décès, ou les décès sont-ils à considérer en tant que ressorts narratifs du récit fantastique ?

L'après-mort reste un moment privilégié à l'irruption fantastique,
Freud pensait d'ailleurs que,

«[c]e qui paraît au plus haut point étrangement inquiétant [...] est ce qui se rattache à la mort, aux cadavres et au retour des morts, aux esprits et aux fantômes ». 59


Les auteurs se plaisent souvent à décrire avec une grande précision des scènes où un des protagonistes perd la vie, pourtant, ces descriptions ne suffisent pas, à elles seules à engendrer le fantastique
60 . La mort s'avérera sans doute nécessaire, mais elle devra être, plus ou moins implicitement, liée à la dimension surnaturelle.

Parallélisme fantastique, mort .

La définition que Roger
Caillois donne du fantastique pourrait être celle de la mort. En effet, cette dernière n'est-elle pas une
«
rupture de l'ordre reconnu, irruption brutale de l'inadmissible au sein de l'inaltérable légalité quotidienne » 61?

 

Les sentiments éprouvés lors de la perte d'un être cher, seront mis en parallèle avec les mécanismes du fantastique afin de voir combien cette littérature emprunte nombre d'émotions au registre de la mort, et des rituels funéraires..

La mort : charnière entre le réel et le surnaturel, entre l'ici-bas et l'au-delà .

Dans la littérature fantastique, la frontière entre la vie et la mort est quasi-abolie. Ce n'est pas parce qu'un personnage meurt qu'il ne reviendra pas... Les morts sont même doués d'une extra-lucidité, ce qui est somme toute normal, car eux
savent ce que signifie la néantisation.

Les techniques de communications avec l'au-delà sont très répandues dans les ouvrages sélectionnés, et nous verrons que le langage revêt une importance cruciale, faisant du fantastique un « genre nécromancien ».

Nous étudierons ensuite les représentations de l'au-delà. Il apparaît souvent relativement semblable au monde dans lequel nous vivons. Une approche de l'imaginaire judeo-chrétien permettra d'évaluer son influence dans la littérature fantastique
62. Les auteurs fantastiques tentent, à leur manière de matérialiser la néantisation63 , ils croient, à leur manière en « l'irrépressible espérance en la survie « 64

La quête de sens : ou «l'au-delà est-il un au-delà du langage»?

Le tabou.

Une analyse du tabou que représente la mort pourrait nous permettre d'établir un lien entre l'interdit et le sacré
65 . Cela nous mènera à une réflexion concernant l'atteinte que porte la littérature fantastique au sacré.

Récit dédaléen ou « minotorien » ?

Nous verrons comment les auteurs étudiés se servent d'une stylistique spécifique et récurrente afin de tenter de rendre perceptible ce qui ne peut être dit, et écrit.
«[Le]
fantastique se tient tout entier dans cette syntaxe des contraires, dans la composition inversée de ce lexique de l'affixation négative. [...] L'imaginaire fantastique est alors négatif » 66.

Il nous faudra déterminer si la rhétorique fantastique est une forme de langage de l'errance67 . L'impossibilité d'exprimer certaines choses se solde souvent par des excès du langage68 .

Les auteurs, lorsqu'ils tentent de percer les mystères de l'au-delà, se heurtent forcément à «
l'au-delà du langage ». L'exégète devra donc utiliser le symbolisme afin d'aller au-delà des limites imposées par le langage. Il essaiera de retirer le masque du texte fantastique. Denis Mellier, traite de l'apparence et de la représentation et montre combien « l'imaginaire carnavalesque 69 » nous sera utile afin d'approfondir la réflexion sur l'indicible. Doit-il être assimilé à l'invisible70 ?
«
Le fantastique, et c'est un de ses topoï, construit, par [...] le jeu des apparences, une situation minimale de renversement où le monde et les êtres ne sont tout simplement pas ce qu'ils semblent être. Littéralement, le fantastique parvient, comme le carnaval, à faire coexister deux événements : celui de l'objet et celui de sa représentation.» 71


Delphine Grépilloux-Lespinasse, 2000.

Notes :

1 Gilbert DURAND, Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Dunod, 1992

2 Jean FABRE, Le Miroir de sorcières, Bruxelles, Presse Universitaires de Bruxelles, Paris, Corti, 1992, p.51.

3 « Le genre fantastique dans les oeuvres d'art, les ouvrages de l'esprit. CONTR. Réel, vrai, Naturaliste, réaliste. Banal, ordinaire. [...] ».

4 Les définitions trop rigides sont si proches de l'étiquetage qu'elles en deviennent arbitraires et par là même stérilisantes pour le genre. Nous resterons donc vigilants pour ne pas faire une classification outrancière des ouvrages étudiés.

5 Lorsque nous parlerons du « lecteur », nous entendrons l'état d'esprit dans lequel se trouve un individu en train de lire un ouvrage. Ce détail peut sembler illusoire, mais d'une importance capitale dès lors que l'on traite de littérature fantastique. Le lecteur peut croire aux fantômes appartenant à l'univers surnaturel du livre, sans que cela influe sur les croyances de l'individu une fois sa lecture terminée.

6 Louis VAX, L'Art et la Littérature fantastique, Paris, P.U.F., 1960, p. 6.

7 Roger CAILLOIS, Au Coeur du fantastique, Paris, Gallimard, 1965, p. 180.

8 C'est le cas notamment de Pierre CASTEX qui pense : « [l]e fantastique se caractérise par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ». [CASTEX (P.), 1951, 8]

9 Il semble néanmoins difficile de prétendre appréhender un genre littéraire sans tenter de cerner ses limites. Nous essaierons par conséquent de doser rigueur et souplesse afin de délimiter une recherche qui ne pourrait être fructueuse sans imposer de frontière.

10 Tzvetan TODOROV, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 47.

11 Il nous reste à nous interroger sur la frontière qu'il existe entre le monde virtuel, et le monde réel. En effet, de nos jours, la limite est de moins en moins flagrante. Les nouvelles technologies, les jouets interactifs etc. ont-ils une influence sur la perception de la réalité et de la virtualité ? En quoi cela pourrait-il influencer la littérature fantastique ?

12 Ibid., p. 52.

13 Irène BESSIERE, Le Récit fantastique : la Poétique de l'incertain, Paris, Larousse, 1974, p. 32.

14 Ibid. p. 28.

15 Le « monde réel » peut aussi bien être celui qui, dans les ouvrages fantastiques, ressemble au monde dans lequel nous vivons, que ce dernier.

16 Roger BOZZETTO, Territoires des fantastiques, Publication de l'Université de Provence, 1998, p.209.

17 Ibid.

18 Nous ne prétendons pas ici mener une « analyse psycho-sociale » poussée, mais une approche des personnages qui nous permettrait de comprendre comment le surnaturel parvient à faire partie quasi-intégrante du réel.

19 Roger BOZZETTO, op. cit. p. 209.

20 Ibid.

21 Une interview de Valerio EVANGELISTI et de Serge BRUSSOLO pourrait s'avérer utile afin d'élucider cette question, et pour mieux se rendre compte du caractère indissociable du fantastique et de l'horreur.

22 Sigmund FREUD, L'Inquiétante étrangeté, Paris, Gallimard, 1993.

23 Tzvétan TODOROV, op. cit., p. 52.

24 Guy de MAUPASSANT, « Le Fantastique », Le Gaulois, oct. 1883.

25 Howard P. LOVECRAFT, Epouvante et Surnaturel en Littérature, Paris, Bourgeois, 1985.

26 Jean FABRE, Le Miroir de sorcières : essai sur la Littérature fantastique, Paris, Corti, 1992.

27 La question de frontière entre le fantastique est l'horreur nous paraît cruciale. L'horreur peut-elle être considérée comme un genre à part entière ? N'est-elle pas en passe d'être confondue avec le fantastique ? N'est-elle qu'un des effets recherchés du fantastique ou l'effet auquel inspire une oeuvre mettant en scène le surnaturel.

28 Si l'on en croit les spécialistes de cette littérature, aucune théorie ne peut prétendre couvrir tout le domaine fantastique. Mais nous nous refusons à éviter de définir l'acception que nous souhaitons donner à ce terme afin de permettre une approche cohérente.

29 Pierre MANNONI, présente, dans le chapitre I de la première partie de son essai [MANNONI (P.), La Peur, 1995, 9-10], un débat partageant les théoriciens des émotions. Il explique que « James et Langue supposaient, à l'encontre de la croyance communément répandue, que le sentiment est déterminé par un comportement émotif ou, si l'on préfère, que la perception d'un stimulus provoque directement une réaction, indépendamment de l'appréciation de la situation par l'intellect. [...] Cannon et Bart, s'opposant à la théorie de James et Lange estimèrent qu'il faut dissocier l'expérience émotionnelle du comportment affectif, l'une étant placée sous contrôle thalamique, l'autre étant commandée par l'hypotalamus ».
Nous ne pourrons, par notre analyse, apporter une réponse à ces divergences, d'autant plus que des recherches sont toujours en cours et qu'elles utilisent maintenant les récentes découvertes dans le domaine de la neurologie cérébrale. Notre propos s'intéressera aux mécanismes utilisés en littérature à des fins d'horreur.

30 « Lorsqu'il a l'impression de pouvoir éliminer la menace par la force [...] l'homme aussi bien que l'animal fait front et passe à l'attaque [...] A l'inverse, il peut ne pas voir ou ne pas croire que la fuite représente une alternative préférable, et quand elle est possible elle est du reste fréquemment choisie [...]. » [Ibid., 11]

31 « [...] l'être humain a acquis au cours de la phylogenèse une vision stéréoscopique très aiguisée au détriment d'autres fonctions sensorielles. [...] la nature l'a doté d'une puissante imagination qui est à l'origine de son activité créatrice et de ses productions esthétiques et techniques. Mais cet imaginaire a les défauts de ses qualités [...] L'ombre qui s'étend à la tombée du jour est pour lui l'occasion de donner libre cours à ses fantaisies. »[Ibid., 22]

32 Ibid., p. 4.

33 Nous faisons référence à : Les Cahiers de L'IRSA : L'imaginaire de l'effroyable, Montpellier, Publication de L'université de Montpellier, n° 4, nov. 1999.

34 Ibid., p. 13.

35 Ibid., p. 32.

36 « La civilisation moderne, dont les progrès devraient apporter la paix, véhicule, en effet, au-delà de l'apparent paradoxe, de nouvelles peurs : guerre atomique, bactériologique, chimique, guerre technologique assistée par informatique, radioactivité, mais aussi choc économique, chômage, développement de la violence, dévastation de l'environnement, pollution, inflation démographique [...] Pour autant les effrois anciens n'ont pas cessé d'être d'actualité, au contraire, on continue à redouter de nos jours les irruptions volcaniques, les tremblements de terre, les inondations, les chocs volcaniques et la dévastation des océans, sans oublier la maladie et la mort auxquels cancer et sida confèrent un poids particulier. Toutes ces peurs sont, en outre, développées, entretenues, propagées par l'information-spectacle des moyens de communication des masses [...] » [MANNONI (P.), 1995, 5-6]

37 Une étude approfondie du véritable besoin de peur fera ressortir que sous couvert de lire de la littérature fantastique, le lecteur assouvit une demande neuro-biologique.

38 Pierre MANNONI, op. cit., p. 114.

39 Ibid, p. 14.

40 Dans son essai Anatomie de l'horreur, Stephen KING, raconte l'histoire d'horreur la plus basique [King (S.), 1995, p.46]. Comparer la répercussion des stratégies de cette dernière avec celle des oeuvres sélectionnées serait enrichissant pour jauger l'influence du degré de littérarité sur l'effet-peur.

41 Le fantastique trouve, également, un support qui lui convient avec la nouvelle. N'ayant pas choisi d'en inclure à notre corpus, et pensant que cela nécessiterait une étude à part entière, nous préférons exclure les nouvelles de notre propos.

42 Notamment celles des ouvrages de Stephen KING. Sac d'os, compte en effet parmi les « romans fleuves » de l'auteur américain.

43 Louis VAX, op. cit. p. 9.

44 Il ne sera pas aisé de mesurer le degré de « littérarité » sans porter de jugement de valeur sur les différents auteurs. Pourtant, nous nous opposons à hiérarchiser les écrivains inclus dans notre corpus. Il est vrai que, par un niveau d'écriture différent, les auteurs fantastique peuvent atteindre des strates plus ou moins enfouies de l'inconscient, et l'effet produite est plus ou moins durable.

45 « Lorsqu'on lit, assez communément, que tel auteur qui en dit moins que tel autre fait plus peur ou que son fantastique est d'une plus grande qualité ... que Maupassant par exemple, ferait plus peur que Lovecraft ... deux choses sont à entendre. D'une part, que l'on valorise subjectivement et institutionnellement l'écriture de la litote sur celle de l'hyperbole... distinction précieuse que l'on trouve déjà chez Vax. On dit d'autre part que l'on valorise un fantastique qui se maintient dans les limites d'une distance minimale à l'esthétique réaliste et à la représentation mimétique du monde actuel. » [MELLIER (D.), 1995, 46]

46 Il ne faudra pas céder, non plus, à la tentation allégorique Nous verrons en quoi elle fait sortir du fantastique celui qui voit dans la narration fantastique une allégorie.

47 Stephen KING, op. cit. p. 196.

48 L'adaptation cinématographique de Rose Marry's Baby a connu une controverse. Nombreux spectateurs ont accusé Roman Polanski d'avoir filmé l'enfant et dévoilé ainsi un être diabolique, alors que dans son livre, Ira Levin avait créer un effet de doute : le lecteur ne pouvait avoir la certitude de la monstruosité du bébé. Il s'est avéré en réalité que l'imagination des spectateurs sa propre créature.

49 Nous faisons référence au sous-titre du premier numéro de Simulacres : filmer la peur, n°1, automne 1999. Cette revue d'esthétique du cinéma est dirigée par Guy Astic,.

50 Voir supra., partie sur la peur.

51 « [D]eux phénomènes tout à fait banals pourvoient également au fantastique cinématographique. D'abord, la paramnésie ou le sentiment d'avoir déjà vécu le moment présent, ensuite la picnolepsie ou l'absence momentanée (quelques secondes) vécue surtout, dans la vie quotidienne, par l'enfant [...] D'un côté un « surplus » de mémoire, de l'autre un « blanc ». Le spectateur de cinéma, semble-t-il, se trouve à un moment ou à un autre, et à fréquences variables, affecté par ce trop ou ce moins. Lors de la vision d'un film il éprouve les absences vécues par l'enfant dans la vie quotidienne. il a aussi parfois le sentiment d'avoir déjà « vu » ou « vécu » ce que lui propose l'écran. Qu'ensuite, en toute bonne foi, il raconte des scènes de sa propre invention, ou qu'il ajoute des détails qu'il est certain d'avoir vus et qui ne figurent pas dans le film, s'explique par ces phénomènes. » [LEUTRAT (J-L), Vie de fantômes. Le fantastique au cinéma, 1995, 38.]

52 « Dans ce processus excessif, l'effet spécial ne fait qu'obéir à cette même loi poétique de la surenchère mise en oeuvre chez Lovecraft. Cette surenchère, que l'on retrouve aujourd'hui chez des auteurs comme King, Barker, Masterton ou Koontz, trouve dans la réalisation de l'image, livrée à la technicité de l'effet spécial, sa mise en forme la plus littérale et finalement la plus conforme à l'imaginaire et à la poétique qui ont présidé à sa formation. La visualisation cinématographique ne fait alors que réaliser dans les limites de l'écran la littéralisation des figures qu'appellent les effets de ce fantastique. À contempler l'image horrifiante de tel masque de latex déformé et ensanglanté, je ne vois jamais dans cette figure du monstre que l'explicite image d'une autre figure, cette fois-ci rhétorique, une hyperbole ou un oxymore que la représentation du texte m'a amené ou non à lire littéralement. » [MELLIER (D.), 1995, p. 275]

53 Denis MELLIER, Ecriture de l'excès. Fictions fantastiques et poétique de la terreur, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 276.

54 Voir infra., p. 29-36.

55 Jean-Louis LEUTRAT, op. cit. p. 43 ;45.

56 Nous entendrons par « mort » autant la mort biologique, que ce qui se trouve au-delà (et même ce qui l'engendre : les maladies abominables, la décrépitude, la torture etc.). Car, dans la littérature fantastique, la mort n'est aucunement une fin en soi, mais souvent un commencement. Cette inversion des valeurs, à savoir que ce qui est devient, et grâce au surnaturel, revient, nous permettra de considérer cette littérature comme une écriture où les frontières sont perméables.

57 Pierre MANNONI, op.cit. p. 28.

58 Vladimir JANKELEVITCH, La Mort, Paris, Flammarion, 1966.

59 Sigmund FREUD, op. cit. p. 246.

60 Pour montrer qu'il peut y avoir une création d'horreur sans que cela n'engendre l'effet fantastique, nous pourrons citer, entre autres, Une Charogne de Charles Baudelaire.

61 Voir supra..

62 Dans la deuxième partie, un chapitre sera réservé à l'héritage mythico-biblique.

63 Une approche du Purgatoire nous permettra de mieux comprendre certaines conceptions de l'au-delà dans les oeuvres que nous étudions. L'ouvrage de Jacque Legoff : La naissance du Purgatoire permettra une approche rigoureuse. Nous aurons ainsi, « [...]la possibilité d'éclairer une époque décisive et une mutation profonde de société, [et] l'occasion de repérer, à propos de la croyance au Purgatoire, un phénomène de grande importance dans l'histoire des idées et des mentalités le processus de spatialisation de la pensée ». (p. 13.)

64 Jean VERNETTE, L'Au-delà, Paris, P.U.F., 1998, p. 19.

65 Cette sous-partie est encore très peu exploitable, car nous n'avons pour l'instant pas consacré de recherches sur les interdits, et le sacré.

66 Denis MELLIER, op. cit., p. 111.
Les exemples qu'il donne sont nombreux et vraiment représentatifs de cet « imaginaire négatif » l'incréé de Gautier, le non-mort
(the un-dead) de Stoker, l'innommable (the unnamable) de Lovecraft, l'inadmissible ou l'inconcevable de Caillois et de Vax, l'impensable et l'impensé (Bozzetto), le non-dit et le non-vu (the unsaid and the unseen, Jackson), l'incertain (I. Bessière) et l'incertitude, l'inconcevable, l'insolite (Guiomar), l'incongru, l'inhabituel, ce qui n'a pas de précédent (the unusual, the unp recedented) 15, l'irreprésentable et l'indicible, l'indifférenciation et la non-contradiction, l'irréel et l'irréalité, l'indécidable et l'indétermination, etc. : In-, dé-, un-, dis-,

67 Nous verrons comment le récit fantastique qui tente de formuler l'indicible se solde souvent par une circularité de la notion temporelle (l'éternel retour qui pourra se retrouver sous la forme d'épanadiplose). La volonté de perdurer par les mots est souvent présente sous forme symbolique, comme pour témoigner du fait qu'en cherchant la vérité, on rencontre souvent une dimension fantastique, témoin de l'impossibilité de tout rationaliser. Nous pourrons utiliser ce qu'affirme Roger Bozzetto : « L'utilisation d'hypallages et de zeugma se comprend aussi, puisque la chose (ou la cause) est décalée par rapport aux attributs qui la caractérisent puisque l'abject ne peut qu'être signalé sans être vraiment affronté. » [BOZZETTO (R.), 1998, 189).

68 « [L]a logique hyperbolique de l'indicible » [MELLIER (D.), 1995, 253-254], nous aidera à concrétiser le développement de cette théorie.

69 Denis MELLIER, op. cit., p. 111.

70 Cette première partie pourra se conclure par des réponses concrètes grâce à l'ouverture qui découle de la question relative au visible et au nommable : la mise en relation des différentes conclusions faites jusqu'ici pour voir que se dessine une interpénétration du fantastique, de la peur, et de l'au-delà. Nous aurons aussi compris que le visible et l'invisible joue un rôle crucial qui se répercute sur une ambivalence de point de vue.

71 Denis MELLIER, op. cit.

Delphine Grépilloux-Lespinasse © 2000.

 

d.grepilloux@nomade.fr

 

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1- LES AGES DE LA VIE dans Simetiere et Sac d'os.

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DU FANTASTIQUE À LA «LITTÉRATURE DE L'INDICIBLE»

1 - Rapport entre le degré de littérarité et «l'effet-fantastique»

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