KING TRIVIAL

Deuxième partie.

"Allez, lis dans mes pensées, Sigmund.
Arrose-les du sperme des symboles et fais-les grandir"
1.

 

Les conclusions de la première partie de cette étude mettaient en évidence que les notations triviales de King sont de deux ordres. Les unes appartiennent à l'expression spontanée des enfants, des adolescents ou de diverses catégories d'adultes en situation et ont leur justification dans un désir de dépeindre aussi exactement que possible une réalité existante. Mais les autres dépassent les exigences de la seule description: elles sont l'expression de caractéristiques personnelles et la traduction du King profond qui vit masqué. Ce sont ces deux aspects que nous allons étudier successivement, en chaussant nos "bottes d'égoutier" sans éviter le terrain "un peu bourbeux" 2.

du site ..

La justification du trivial.

Les mots en c...

Dès 'SALEM'S LOT, son deuxième livre publié, King, qui savait ce que contenaient ses manuscrits non encore édités3, a bien défini son problème. Ben, jeune romancier, parle de ses livres: "Avez-vous lu le dernier?
- Pas encore. Miss Gogan, la vendeuse du drugstore, dit que c'est plutôt salé.
- Quoi? C'est presque puritain, au contraire, dit Ben. Le langage est cru, mais quand on fait parler de jeunes paysans, on ne peut pas..."
4. La phrase n'est pas terminée, mais le sens est clair: il veut calquer la réalité. Pourtant, avec un certain lectorat, le malentendu est total: "Mabel dit que ce n'était pas de la littérature, mais de la pornographie pure et simple" 5.

De même, Annie se révolte contre la dernière production de l'écrivain Paul Sheldon: "
Et tous ces gros mots! Pas une ligne sans un mot en c...! Ça manque...(...). Ça manque de noblesse! s'écria-t-elle soudain (...).
- En effet, répondit-il d'un ton patient. Je comprends ce que vous voulez dire, Annie. Il est exact que Tony Bonasaro est un être sans noblesse. C'est un môme sorti du bidonville qui s'efforce de s'arracher à son milieu, vous comprenez. Et ces termes... eh bien, tout le monde les utilise dans...
- C'est faux! s'exclama-t-elle en lui jetant un regard meurtrier. Comment croyez-vous que je fais quand je vais au magasin d'aliments pour bétail, en ville? Que pensez-vous que je dise? «Dis-donc, Tony, donne-moi un sac de cette c... de bouffe pour cochon et un sac de cette c... de maïs à vache» et ainsi de suite?
(...). Et après, je descends la rue et je vais à la banque dire à Mme Bollinger, «Tenez voici un f... chèque et filez-moi cinquante c... de dollars et que ça saute»".
Annie préfère l'eau de rose idéalisée
6 de la série des Misery: "Vous n'avez pas besoin d'utiliser ce genre de mots dans les livres de Misery parce qu'ils n'existaient pas à l'époque. Ils n'étaient même pas inventés. Une époque bestiale exige un vocabulaire bestial, j'imagine. C'était mieux en ce temps-là" 7. Le jugement est sans appel: "C'est plein d'ordures. De toute façon, c'est un mauvais livre" 8.

King fait volontiers son auto-critique, d'abord par personnage interposé, quand un copain reproche au romancier William Denbrough d'avoir utilisé "
le terme «enculer» deux cent six fois" dans son dernier roman9. Ou plus directement avec une allusion limpide concernant la romancière de THE TOMMYKNOCKERS: "Elle écrivait de bons livres sur le Far West, des livres vrais, pas de ces trucs pleins de monstres et de gros mots comme en écrivait ce type, à Bangor" 10. De même, la bibliothécaire de Castle Rock déclare qu'elle "n'a aucune envie" de lire "les romans de Stephen King" 11.

Faire parler des paysans ou un voyou de bidonville avec leur langage, c'est se vouloir réaliste. Mais existe aussi toute une tradition culturelle qui préfère voir représenter une réalité fictive qui fait rêver.

Dr Jekyll sur le trône.

Le téléphone sonne quand un écrivain est au vécé. Il "courut à menues enjambées de fille en jupe étroite, tenant son pantalon d'une main. Il était submergé par cette sensation pénible et embarrassante de ne pas avoir eu le temps de se torcher, et il se dit que de tels incidents devaient arriver à tout le monde. Mais tout d'un coup il songea que c'était le genre de choses dont on ne parlait jamais dans les romans -jamais, dans un livre, un personnage ne s'était trouvé dans une telle situation" 12. Mais pourquoi avoir retenu précisémént ce genre de situation insolite et inédite?
Il faut rappeler la distinction que King aime reprendre entre le Dionysiaque et l'Apollinien
13. Analysant LE CAS ÉTRANGE DU DR JEKYLL ET DE M. HYDE de R. L. Stevenson, King explique: "Ce conflit éternel est la pierre de touche de la religion chrétienne, mais si l'on souhaite l'interpréter en termes mythiques, la dualité Jekyll/Hyde en suggère une autre: celle mentionnée entre l'Apollinien (la créature d'intellect, de sens moral et de noblesse, «la fleur même des convenances») et le Dionysiaque (le dieu des réjouissances et le l'assouvissement des pulsions; le côté fêtard de la nature humaine). Et si l'on souhaite aller encore plus loin, on aboutit à une scission entre le corps et l'esprit... ce qui est exactement l'impression que Jekyll souhaite donner à ses proches: c'est en apparence un pur esprit, un être détaché des contingences matérielles. Il est difficile de l'imaginer lisant un journal assis sur le trône" 14.

Cette posture fait penser à la "
parodie en céramique du Penseur de Rodin assis au bord d'un siège de toilettes" 15 que le dionysiaque copain de chambre Grosse Cloche, qui vit dans "un amas tourbillonnant à la dérive", a abandonné parmi d'autres épaves après ses examens universitaires. Garrish, son voisin psychopathe, est l'inverse; dans sa moitié de chambre, c'est l'ordre militaire. Ce spectacle le déprime: "Sur son siège de toilettes, le Penseur le regardait". Garrish "balança l'objet à terre où il se brisa en morceaux".
Symboliquement, l'attitude est la même que celle d'Annie quand elle brûle le manuscrit "
plein d'ordures" de Paul Sheldon16. Elle détruit cetteoeuvre comme Garrish pulvérise la céramique d'un goût douteux, mais parfait témoignage de la dualité de l'être humain, mi-ange, mi-bête, pensant et chiant. Elle est, comme lui, incapable d'accepter la réalité telle qu'elle est et elle doit en évacuer mentalement la part bestiale17. Ils ne peuvent vivre qu'en fuyant la réalité ou en idéalisant les humains qui les entourent18.

Idéaliser, c'est se conformer à des idées plus qu'à des réalités, concrétisées ou vérifiées pourtant par les expériences vécues mais refusées comme telles. Pour les freudiens, c'est échanger un comportement d'ordre sexuel condamné contre un autre, dont l'apparence n'est plus sexuelle, tout en lui étant psychiquement apparentée. Exaltée mentalement et transposée sur un plan idéal, la nature primitive de la pulsion n'a cependant pas changé. On peut ainsi analyser les attitudes de Garrish et d'Annie, toutes deux formées réactionnellement.
Pour Garrish, le refus de la pulsion sexuelle et un blocage au stade anal se manifestent par une attitude de propreté maniaque qui lui fait rejeter des humains jugés laids -comme la réalité de l'excrétion anale- et il préfèrera les détruire plutôt que de subir une dégradation identique
19. De même Annie masque provisoirement des tendances sadiques20 manifestes par des tentatives d'idéalisation d'une vie qui pourrait être vécue «autrement», sous des déguisement symboliques qui en masqueraient la vraie nature. D'où sa recherche d'une littérature sublimée, celle où se trouve la «vraie» vie, et elle détruit peu à peu l'écrivain qui peine à lui donner de quoi satisfaire son besoin.
Les formes de création sublimées sont ainsi l'objet d'une valorisation particulière pour ses amateurs, dues au fait qu'elles sont devenues individuellement ou socialement acceptables. Comme au théâtre antique, les acteurs évoluent sous un masque.
C'est cette hypocrisie dans la présentation émasculée des réalités qui a très tôt choqué King.

Pas de gros lard.

On sait qu'une bonne partie de la sensibilité esthétique de King a pour origine la fréquentation assidue des salles de cinéma21 et plus tard de la télévision. Il a constaté combien les films d'horreur, pourtant sortis à l'époque où le rock'n'roll bouleversait les moeurs américaines, étaient restés conventionnels: "On ne trouvait aucun gros lard; aucun gamin affligé de tics; aucune victime de l'acné; aucun gamin ayant l'habitude de se curer le nez puis d'essuyer son doigt sur le pare-brise de sa voiture (...); aucun gamin affligé d'une difformité visible 22 (même pas un handicap aussi banal qu'une mauvaise vue nécessitant le port de lunettes -tous les héros des films d'AIP 23, films d'horreur ou films de distraction, avaient 10/10 à chaque oeil)" 24.
Il n'y a pas que les personnages principaux à être ainsi aseptisés: "
Le lieu de l'action était toujours une petite ville américaine typique, le contexte le plus aisément identifié par le public... mais toutes ces versions de Notre Ville semblaient avoir reçu la visite de commandos d'eugénistes la veille du tournage, et on avait éliminé tous les citoyens souffrant d'un cheveu sur la langue, d'une tache de vin, d'une patte folle ou d'un ventre proéminent". D'où un pseudo-réalisme, une transposition si académique qu'elle devient totale dégradation de la réalité.

Or, dit King, simultanément quelle idée les Américains se faisaient-ils de la réalité? "
Tous les parents tremblaient devant le spectre de la délinquance juvénile: l'adolescent un peu vulgaire du mythe, adossé à la porte de l'épicerie de Notre Ville, les cheveux luisants de Vitalis ou de Brylcreem, un paquet de Lucky Strike glissé sous l'épaulette de son blouson noir, un comédon tout frais à la commissure des lèvres et un cran d'arrêt tout neuf dans la poche revolver de son blue-jean, dans l'attente d'un gosse à tabasser, d'un parent à harceler, d'une jeune fille à agresser, ou peut-être d'un chien à violer et à tuer... ou vice-versa" 25.
Deux univers de convention opposés, aussi faux l'un que l'autre. La réalité est différente: il n'y a pas que des gens jeunes, sains et beaux: le sale, l'ordure, le sordide, la décomposition, la mort sont aussi la réalité. King suggère même qu'il convient de donner aux enfants des écoles une conception plus vraie de la réalité: "
Demandez-vous pourquoi on n'emmène pas les enfants des écoles visiter la morgue de leur quartier, alors qu'ils visitent le commissariat, la caserne des pompiers et le McDonald's le plus proche -il m'arrive même d'imaginer (du moins quand je suis d'humeur morbide) que l'on pourrait fusionner la morgue et le McDonald's; le point culminant de la visite serait alors l'exhibition du McCadavre" 26.

La censure.

La tradition réaliste est ancienne et s'est toujours accompagnée des mêmes difficultés. Comme Rabelais suivant son évêque dans ses déplacements à travers le Poitou, se mêlant aux artisans et aux paysans de l'époque, King, revenu à 11 ans à Durham dans le Maine où se trouve sa famille d'origine, s'imprègnera de quantité de notations sur la vie réelle de ses habitants, des enfants comme des adultes, en particulier ceux qu'il a connus dans les petits boulots qu'il a faits pendant plusieurs années. Comme Rabelais, il insérera mille détails de toutes sortes sur les habitudes et les moeurs de cet espace encore rural. Comme Rabelais encore, ses histoires fourmilleront de souvenirs personnels et d'allusions à de menus faits et sites de l'histoire locale. Comme Rabelais toujours, il se gargarisera des mots dont il connaît toutes les variantes et les excès possibles. Et comme Rabelais enfin, il encourra les foudres de la censure27...

Le précédent littéraire le plus proche de son cas est Zola, qui s'est vu surtout critiqué par la forme: "
La forme seule a effaré. On s'est fâché contre les mots. Mon crime est d'avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah! la forme, là est le grand crime! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l'étudient et jouissent de sa verdeur, de l'imprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs" 28.
Leur façon de considérer la portée morale de leurs oeuvres est aussi identique. Quand Ben, le jeune écrivain (voir § 3.1.) dit de son roman qu'il est "
presque puritain", il exprime la même idée que Zola devant les réactions indignées d'un certain public: "L'Assommoir est le plus chaste de mes livres". En dépeignant une famille ouvrière tombant par l'ivrognerie dans la déchéance et la mort, il n'a fait que de la "morale en action": ses "personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent". On aura l'occasion plus loin de montrer comment, dans The Body, cette prise de conscience a pu se faire très tôt et les conséquences probables pour la mentalité adulte de King.
A plusieurs reprises, King est intervenu publiquement pour expliquer et justifier son oeuvre. Car, à divers endroits, dans les écoles américaines, ses livres sont mis au placard ou interdits
29, les arguments les plus souvent avancés par les opposants étant les grossièretés30 ou l'obscénité31. King intervient en défendant ses livres dans des conférences, dans des termes plus modernes, mais dans un esprit identique à celui de Zola: "Un gamin devait réaliser une dissertation sur l'industrie métallurgique. Comme livre de référence, il avait choisi WORKING, par Studs Terkel.
La méthode de travail de Terkel est assez simple. Il entre dans un bar fréquenté par les métallurgistes et pose son enregistreur à cassettes sur le zinc. Il ne pose jamais une seule question. Evidemment
(...) les métallurgistes n'utilisent pas des expressions dans le genre «Oh, flûte». Ces gars utilisent un vocabulaire qui ressemble très fort à celui utilisé par les visiteurs du salon de coiffure, le samedi où la dame s'est absentée32.
La mère du gamin est tombée sur le livre, l'a lu et a été horrifiée par ce langage
(...). La mère a exigé que le livre soit retiré de la bibliothèque des écoles 33 de Pittsburgh, parce qu'il risquait de semer le trouble dans l'esprit des adolescents. Ils auraient pu le lire et leurs yeux se seraient mis à couler hors de leurs orbites, ou alors, ils auraient eu des envies de meurtre, de viol, de zoophilie, que sais-je encore".
Et King conclut ainsi cette partie de sa conférence: "
En tant qu'étudiants, vous êtes là pour apprendre. Alors apprenez ceci: lorsqu'un livre est retiré de la bibliothèque de l'école, n'hésitez pas une seconde, courez et entrez dans la bibliothèque publique ou chez le libraire le plus proche et lisez ce que vos aînés tentent de vous interdire, parce qu'à coup sûr, ce sont des choses importantes à côté desquelles il ne faut pas passer. Ne les laissez pas vous rouler, ni dicter votre comportement. Parce qu'une fois que le mouvement s'amorce, on ne peut plus l'arrêter. Certains des leaders les plus connus de ce siècle étaient des spécialistes de la censure littéraire, Hitler, Staline, Idi Amin Dada..." 34.

Le naturalisme.

S'il y a un pays où il faut chercher une permanence du naturalisme français de la fin du XIXè siècle, c'est bien aux Etats-Unis. King a pratiqué Theodor Dreiser35, Frank Norris36, Sherwood Anderson37, comme les romanciers d'entre les deux guerres de la «lost generation»: Steinbeck, Faulkner, Caldwell, Hemingway, qui ss sont inspiré plus directement de Maupassant et de sa conception du récit objectif38. Certains sont des écrivains qui ont profondément marqué King durant ses années à l'Université39 et qu'il cite volontiers dans ses préfaces ou ses articles.
Il faut enfin citer, dans le domaine de l'horreur, Robert Bloch, un des six dédicataires de
DANSE MACABRE: "Les romans de Bloch ont exercé sur la littérature américaine des années 50 une influence similaire à ceux de Caïn dans les années 30 (...). Tous deux examinent le mode de vie américain d'un oeil naturaliste; tous deux exploitent à merveille le type de l'anti-héros; et tous deux traitent du conflit entre Apollon et Dionysos" 40.

La matière d'un style, c'est un homme devant le monde, qui tire une jouissance de la vision de ce monde et qui est, en tant que créateur, en lutte avec ce monde dont il doit tirer la substance de son oeuvre. On comprend dès lors qu'une bonne partie de l'origine du trivial de King provient de ce noyau de la population du Maine "
pas vraiment arrivé classé dans la grande course au rêve américain" 41, des natures frustes dont il saisit le comportement extérieur et le langage, qu'il sténographie42 en voulant lui restituer l'intensité de la vie43 : "L'éducation et l'instruction sont chères, trop chères pour eux, ils sont des manuels et ils le resteront, ou alors petits fermiers, teneurs d'échoppes sans avenir. Certains, résignés, se font gloire d'un gros bide, de la bière qu'on écluse avant d'en écraser la boîte dans la main, de jurer, de suer, parler gras, et roter, se vanter d'exploits sexuels, et mépriser tout ce qui ne se complaît pas dans cet idéal. Et de cracher sur les livres, sauf peut-être la Bible (...). Cette humanité, peuple de fronts bas, avides de brimer et de brutaliser les plus faibles, ou seulement ces «pédés» coupables de préférer la lecture au rugby... ou simplement de se laver les mains" 44.
Le meilleur exemple en est sans doute l'étrange virée en voiture déglinguée de deux ouvriers travaillant dans une blanchisserie industrielle comme celle que King a connue comme manoeuvre en 70, quand il faisait des petits boulots alimentaires. Rocky et Léo, "
tous deux saouls comme des barriques", "la boîte de bière entre les jambes" 45, enfilent une quantité incroyable de gros mots et de propos orduriers. Dans une description d'entomologiste, tout y est: la déchéance sociale, l'abrutissement du comportement, l'anéantissement de l'esprit et un langage qui ne traduit que des préoccupations quasi animales46.

De même, dans cette tragédie à une voix qu'est le long monologue de Dolorès, femme intelligente, mais pauvre et inculte, "
vieille garce à la langue bien pendue", comme elle se définit elle-même47, la narration s'exprime dans la langue du peuple, utilisée par une personnalité forte, décidée à survivre, qui n'a pas été écrasée par les malheurs et sait se défendre. Le langage de Dolorès n'est pas châtié: il suffit de comparer sa voix narrative au récit de sa mésaventure faite par Jessie à son ami Ruth48 pour se rendre compte de la différence entre les deux propos, l'un retenu, bridé, plein de réticences, langage académique propre à nuancer comme à masquer, l'autre vert, juteux, porteur de toute la sève et la vérité de ceux du peuple qui peinent, qui souffrent et n'ont connu que le pire de l'existence. Il faut bien admettre que le langage châtié est souvent un langage châtré.

Une autre partie des notations amassées viendra de l'école et du lycée: elle sera examinée plus loin.

Ainsi, King se pose en une sorte de transcripteur des moeurs de son époque: ces descriptions, qu'on lui reproche comme étant trop triviales, ne feraient que refléter une réalité elle-même triviale. Il serait un peintre fidèle seulement désireux de traduire au mieux la densité de ses personnages. L'explication paraît plutôt courte: car s'il use d'un trivial miroir des réalités sociales, il semble prendre du plaisir dans l'utilisation de ce trivial, beaucoup de plaisir..., comme remarque en était faite à la fin du § 2: après les justifications, tentons une explication et essayons de lever le masque.

L'explication du trivial.

Les grands principes littéraires...

Jacques Van Herp49 formule l'hypothèse suivante: à ses débuts, King pratiquait, comme dans 'SALEM'S LOT ou les nouvelles de SKELETON CREW, "une écriture lisse, invisible, qui n'accroche pas le regard au détriment du récit". Puis il aurait, désireux de ne pas être "un tâcheron" de la littérature populaire, "prêté l'oreille aux propos d'universitaires intellos": "Est-il possible, de nos jours, d'écrire un roman de la sorte? (...). Rien de rare, d'inouï de recherché...cela ne rebute pas le lecteur, ne lui demande aucun effort. C'est ignorer la construction éclatée, l'héritage dadaïste, l'obscénité somptueuse de Joyce! Ulysse! Voilà le modèle à imiter"...
Le résultat en serait, suivant "
les grands principes littéraires" proposés: "la spontanéité", le "jaillissement instinctif", la "libération du subconscient et de l'oeuvre brute, non retouchée, non travaillée...avec l'inflation des textes, de plus en plus gros, de plus en plus gras. De plus en plus de jeunes garçons au vocabulaire systématiquement (et parfois laborieusement) obscène, un jaillissement terne (et artificiel) de gros mots et de jurons".
Ainsi le trivial serait chez King un procédé par lequel il rechercherait moins l'approbation de son public que celle des raffinés se prétendant la "
postérité vivante".

Certes, on ne peut nier que King ait souffert de ne pas être reconnu par les esthètes de la littérature ou plus simplement par ses anciens professeurs
50. Il sait qu'un grand nombre d'universitaires américains ne l'aiment pas51. Mais je doute fort que King se soit servi du trivial dans le but de les séduire. On peut remarquer que les premiers romans qu'il a écrits, publiés plus tard sous le pseudonyme de Bachman, sont bien plus triviaux que les premières oeuvres publiées sous le nom de King. Je serais même tenté de croire l'inverse, qu'il pensait, en faisant la démonstration qu'il savait aussi écrire des oeuvres épurées, arriver à toucher la sensibilité des défenseurs de la «grande» littérature52.

Et même, à diverses reprises, King ironise sur la trivialité affectée, le «trivial chic». Par exemple ce conseiller en éducation: "
Il était diplômé en psychologie pédagogique et pensait en son for intérieur être le meilleur orienteur scolaire qu'il ait jamais rencontré. Avec les gosses, il avait un rapport vrai. Il pouvait aller au fond des choses, bavasser avec eux ou garder un silence sympathique quand il fallait qu'ils gueulent un coup pour faire sortir la merde. Il pouvait se mettre dans leurs godasses parce qu'il comprenait combien c'était chiant d'avoir treize ans quand quelqu'un vous fait un numéro dans la tête et qu'on ne peut pas rassembler ses abattis" 53.
Rappelons-nous ce père qui met son fils dans une école aseptisée (§ 1.4.) et qui en parle à ses collègues avec les mots ("
La Meilleure Putain d'Ecole du Pays pour un Gamin de son Age" 54 ) qu'il ne voudrait pas que son fils utilise... Les majuscules de King ne sont pas ici anodines.
Les explications sont donc à chercher ailleurs que dans l'utilisation laborieuse d'un trivial d'esthète.

Des années de violence...

On a déjà dit que King a eu une enfance pauvre et difficile55. Les difficultés financières de sa mère, à une époque où l'existence était pénible pour beaucoup, l'ont moins touché que ses problèmes personnels: il est gros, maladroit, empoté, objet de dérision. Sa vue est mauvaise.et il y a dans la plupart de ses romans un type qui porte sur le nez ses "cul-de-bouteille" Il est systématiquement rejeté lors du choix des partenaires dans les équipes de base-ball où il est pris le dernier et ridiculisé. Bref, sa vie psychologique d'enfant n'est pas drôle, suite de brimades, d'insultes et de remarques désobligeantes. L'enfance n'a qu'une apparence d'angélisme: les pédagogues modernes aux idées avancées n'en ont souvent retenu que ses aspects rousseauistes. Mais c'est surtout un mode cruel, calculateur, accapareur56, dur aux faibles, se méfiant des adultes, cherchant sans cesse à s'en démarquer57, qui apprend à juger et condamne ensuite sans concessions.
Autour de lui, le monde est aussi violent: "
Mais si je leur [les adultes] disais quelque chose, ça serait qu'ils ont oublié ce que c'est que d'être gosse, de vivre joue contre joue avec la violence, avec les séances de boxe au gymnase, les bagarres du PAL, le dancing de Lewiston, la violence à la télévision, les meurtres au cinéma" 58. Cette dureté des enfants ruraux, que l'on trouve aussi dans LA GUERRE DES BOUTONS 59, où l'on n'apprend pas précisément l'aisance sociale, les bonnes manières et le langage des milieux «chics»,va marquer durablement le jeune King.

... mais aussi les vertes années.

Ce qui n'empêche pas, à l'âge adulte, de se souvenir aussi des autres aspects de l'enfance, des impressions d'émerveillement, d'évasion, de complicité, la communauté de copains. Il faut consacrer quelque temps à une novella fondamentale dans l'oeuvre kingienne, The Body, en grande partie autobiographique, encore que les éléments aient été puisés à des souvenirs ou circonstances diverses.
La trivialité est partout présente: dès les premières pages, on relève: "
bouquins de fesse" (page 306); "rien d'autre à branler", "personne n'avait ramassé trois pets dans son potager", "le jeu le plus chiant qui existe", "vous pisse à la raie" (page 307); "ces putains de gradés", "c'était le plus con", "tas de merde aux yeux tordus" (page 309); "va te branler, mec", "va chier dans le lac" (page 310). Soit 10 expressions interdites en classe60 en cinq pages: la novella fait 144 pages dans le même style61... Mais quelle extraordinaire démonstration de vérité!
La vitalité est éclatante: celle de gosses pleins de santé malgré les brimades familiales pour certains ou les handicaps physiques pour d'autres, qui apprennent les réalités de la vie dans un grand jeu qui a ses règles et son rituel comme une messe, avec ses répons imposés: "
Pfou! Chris! laisse-moi respirer!
- Attends que je pète, a-t-il dit automatiquement"
(page 340).
Comme au théâtre, toute bonne réplique est immédiatement applaudie
62, avec les manifestations physiques concomittantes. Et souvent les gros mots servent à cacher l'émotion, dissimuler la compassion, masquer les sentiments, parce qu'il faut se comporter "comme des hommes" (page 447). Ce petit monde de chaleur, de complicité en dépit de ses duretés, est finalement merveilleux: "Je leur ai fait un bras d'honneur au passage. Jésus, je n'ai jamais eu des amis comme à douze ans, et vous?" (page 353).

Mais encore faut-il passer ce qui n'est qu'une étape momentanée, somme toute artificielle même si, devenu adulte, on la regrette interminablement. Le jeune narrateur de douze ans a des qualités d'écriture dont il fait bénéficier occasionnellement ses copains en leur racontant des histoires. Chris, qui est proche de lui, mûri prématurément par la vie, a compris ce que la narrateur, dans la joie partagée de cette communauté de l'enfance, ne voit pas clairement encore: "
C'est trouduc quand tes copains te tirent vers le bas, a-t-il fini par dire" (page 393).

Trouduc ou pas.

Chris l'incite à progresser intellectuellement en suivant l'enseignement adéquat au collège: "«Moi,Teddy et Vern ,on sera dans les classes de commerce, on fera des cendriers et des cages d'oiseaux (...). Tu vas rencontrer plein de nouveaux. Des mecs intelligents. C'est comme ça que ça se passe, Gordie. C'est comme ça que c'est fabriqué.
- Rencontrer plein de pédés
63, c'est ça que tu veux dire».
Il m'a serré le bras. «Non, mec. Ne dis pas ça... Ils pigeront tes histoires. Pas comme Vern et Teddy
64.
- Au cul les histoires. Je ne veux pas aller avec une bande de pédés. Non, Monsieur.
- Si tu ne le fais pas, t'es un trouduc.
- Trouduc parce que je veux rester avec mes copains?»
, (page 393).

Jean-Paul Sartre a joliment appelé «bâtard» l'intellectuel ou celui qui sort de sa condition de classe et ne sait pas -comme beaucoup d'arrivistes arrivent à le faire- rompre définitivement les amarres avec son milieu primitif et à renier ses origines dans une apparente bonne foi réprobative, quand il ne les dissimule pas. Il reste définitivement marqué par sa condition originelle et ne saura jamais où est sa véritable place. Il ne peut plus être reconnu par les siens -il est devenu un «pédé»-, mais ne dispose pas non plus des moyens qui lui permettraient de se faire reconnaître et admettre par les autres, en feignant ce qu'il n'est pas, ce que Sartre encore appelle être un «salaud».

"Ces histoires que tu racontes, elles ne valent rien pour personne sauf toi, Gordie. Si tu vas avec nous seulement parce que tu ne veux pas que la bande se sépare, tu vas te retrouver dans la troupe de ceux qui font C pour monter des équipes. Tu vas entrer au lycée, suivre les mêmes putains de cours commerciaux, lancer des gommes et traîner ta flemme avec le reste de la piétaille. T'auras des colles, des suspensions. Et au bout d'un temps, tout ce que tu voudras, c'est d'avoir une bagnole pour emmener une fendue au pince-fesses ou à cette putain de Taverne-des-Deux-Ponts. Ensuite tu la foutras en cloque et tu passeras le restant de ta vie à la filature, dans un putain de magasin de chaussures à Auburn ou peut-être même à Hillcrest en train de plumer des
poulets. Et cette histoire de tartes
65 ne sera jamais écrite. Rien ne sera jamais écrit. Parce que tu seras qu'un petit malin de plus avec la tête pleine de merde"
(page 394).

Il suffit de considérer les grands frères des copains pour s'apercevoir que King l'a échappé belle: devenus des brutes épaisses réduites à des conduites et des propos élémentaires, des horizons bornés: prendre du bon temps, boire, baiser, roter ou brimer les plus faibles... Comme il est loin le temps de la verte enfance et de ses multiples possibles
66... L'ambiguïté de la position de King est patente: sympathie du souvenir avec ce qu'il a vécu, qui l'a formé puisqu'une partie de lui-même est ainsi de manière indélébile; mais en même temps le refus d'être de ces adultes perdants, fruits pourris de l'enfance, que son évolution lui a permis d'éviter.

Triste situation du bâtard: comment savoir, quand il la dépeint avec les mots et le vocabulaire trivial appropriés, si King ne marque pas aussi ses distances à l'égard d'une portion d'humanité qu'il ne nous montrera jamais assez vile et laide parce qu'il pense qu'elle est effectivement dégradée et ne mérite que l'opprobre? Cette attitude serait-elle en correspondance avec la mentalité des «honnêtes» gens de la Nouvelle-Angleterre, dominée par l'idée calviniste que la réussite est une preuve de la grâce et de l'approbation divine? Et réciproquement, la déchéance et la misère morale sont la marque du péché
67. Ou alors faut-il y trouver le témoignage de la sympathie profonde de quelqu'un qui comprend parce qu'il a été des leurs, et qu'il a subi comme eux la situation des pauvres ou des défavorisés? Comme dans IT, le garçon de onze ans, futur romancier spécialisé dans l'horreur et double de King, qui erre dans des friches pourries et pense à la plupart de ses copains d'école qui sont partis en vacances à Disneyland ou à des "distances inimaginables", ou à ceux qui sont "en colo, en camp d'été chez les scouts, en camp pour riches où l'on apprenait à jouer au golf ou au tennis, et à dire «Bien joué!» et non «Espèce d'enfoiré!» quand votre adversaire vous matraquait d'un service gagnant" 68. On ne peut complétement renier ses racines, ce qui ne veut pas dire faire preuve d'indulgence. Sympathie lucide de classe qui pourrait expliquer en partie un King contestataire69 dans certaines de ses oeuvres? Sans nul doute: mais aussi -et surtout?-, plus fondamentalement, le trivial a chez lui une fonction thérapeutique.

Le pantalon tombe.

Cette fonction thérapeutique nous entraîne dans une toute autre direction. King est obsédé par le ridicule. Enfant, il a eu peur de se voir enlever son pantalon par ses condisciples70. Il continue à avoir peur de le perdre et cette obsession apparaît dans nombre de ses premiers romans. C'est un obsédé de la braguette et il en parle constamment: "Partant du principe que nous sommes tous des paranoïaques en puissance -il nous est tous arrivé de jeter un coup d'oeil à notre braguette lors d'une réception pour nous assurer que ce n'était pas nous qui venions de dclencher l'hilarité générale"71. Dans THE LONG WALK, par exemple, il y a plusieurs références à ce sujet: une "braguette ouverte, la fermeture à glissière cassée" ; un marcheur,Garraty, note "avec amusement que sa braguette était à moitié ouverte" 72; et pendant le parcours plusieurs pantalons se baissent ou se relèvent incidemment selon les nécessités des marcheurs. De même dans THE RUNNING MAN, il cite un "gamin, à l'école primaire, dont le pantalon était tombé au moment de prêter serment" 73. Un chapitre est consacré au gros avocat qui maigrit et perd son pantalon au cours d'une plaidoirie pendant une séance du tribunal74. King en a des cauchemars: "I Was a Teenage Werewolf [un film] représente, d'un point de vue psychologique, l'expression ultime de ce célèbre rêve où votre pantalon vous tombe sur les chevilles alors que vous vous trouvez dans un lieu public" 75.

Les filles n'y échappent pas: "
Je pensais à sa manie de toujours perdre ses boutons (...). A la boum de l'école, elle avait perdu le bouton de son Wrangler, c'est tout juste si son pantalon n'a pas dégringolé par terre. Avant qu'elle ait eu le temps de s'apercevoir de ce qui se passait, la fermeture Eclair s'est à moitié défaite, et on voyait un V de petite culotte blanche, bougrement excitante" 76.

Même dans ses conférences, King ne peut s'empêcher de parler de sa braguette: "
Comment vous sentez-vous, maintenant que vous êtes célèbre? Pas vraiment différent du commun des mortels. C'est une situation étrange. Une des choses bizarres, c'est que vous pensez toujours à remonter votre braguette après être allé aux toilettes, autrement les gens vous hurlent: «Hé, regardez, c'est Stephen King... Et sa braguette est ouverte!»".
Ainsi lancé, il ne dédaigne pas raconter des anecdotes sur les toilettes
77. Bel exemple d'obsession infantile sublimée en truc médiatique78. Il est bien connu des psychologues que le meilleur moyen de dominer ses peurs, c'est d'en parler...

Il faudrait également rechercher ce qui ne relève pas d'une phobie, mais d'une influence extérieure marquante correspondant à un intérêt particulier. Ainsi, à quinze ans, King publie une parodie du journal du lycée, intitulé significativement
Village Vomit, qui faillit lui attirer des ennuis79. Comment ne pas s'en souvenir quand il cite à diverses reprises le vomissement de la célèbre scène de L'EXORCISTE 80? "La plupart d'entre nous avaient déjà vu une gamine vomir sa soupe de pois sur un prêtre à l'écran du drive-in local" 81. King, avec ses problèmes de nourriture et de boisson, a dû suffisamment l'apprécier82, pour la traduire en connaisseur par les vomissements plus rabelaisiens et moins métaphysiques de Gros Lard83 ou ceux des participants à une réunion religieuse troublée84. Voilà qui confirme bien le plaisir personnel que King peut prendre dans le trivial et qu'il assume, comme lorsqu'il cite cette remarque "de Nils Lofgren: «Mon sale moi-même, voilà ce qu'il faut que je sois... sans chercher d'entourloupe»" 85.

Un dionysiaque buveur de bière...

Un lycéen parle de son livre d'hygiène, "ce merveilleux livre pour les terminales, un manuel moderne avec une couverture rouge sur laquelle on voyait un lycéen et une lycéenne; par décision unanime du lycée, le chapitre sur les maladies vénériennes avait été soigneusement découpé" 86.
King se moque de cette société castatrice qui camoufle les nécessités de la vie et refuse cette réalité que les hommes sont aussi des mammifères.
Pour King, le comportement vital pris dans sa globalité est signe de santé. Jugement sur un patron:
"J'étais l'employé de Ray Tarkington.. Ray était une personne, une vraie (...). Tout en nous parlant,il lui arrivait de péter, de roter ou de se gratter les oreilles" 87.
Bill, le père de Susan, juge l'écrivain Ben que sa fille vient de lui présenter: "
Ben but une gorgée et rota; encore un point en sa faveur". Et plus tard: -"Vous êtes un garçon sérieux, à ce qu'il me semble, je ne me trompe pas? Ben sourit un peu tristement. -Oh! non, dit-il.
Bill fit un petit signe de tête satisfait"
88.

Car s'il y a la part d'animal en nous, sans doute la plus importante, pourquoi l'opposer à l'humain? Etre pleinement adulte, ne serait-ce pas l'acceptation authentique de notre part d'animalité ?
"
C'était bon de partager son lit avec une autre personne, une personne bien réelle qui produisait des sons réels", pense le shériff Bill89. A quoi King oppose ironiquement l'illusion éthérée de ce fiancé planant qui croyait que "Sally lâchait des pets parfumés à la rose et chiait des pétunias" 90. La réalité authentique, ce sont ces hommes vrais,"lui et ses copains en bonne santé, bourrés de sang, de pisse et de sperme" 91. Position assez proche de celle d'Antonin Arthaud quand il affirme que "partout où ça sent la merde, ça sent l'être".

Une bonne partie de sa vie, King a vécu dans l'excès, mangeant beaucoup, buvant trop, fumant sans pouvoir s'arrêter. Sa convivialité s'appuie sur le pack de bouteilles de bière -jamais moins de six... A la fac, déjà, son compagnon de chambrée se souvient de lui, lisant énormément, "
une ribambelle de bouteilles de bière ouvertes autour de son lit" 92, à l'imitation de Grosse Cloche. Ainsi son amour de la vie se traduirait par le désir dionysiaque de peindre intensément les divers aspects les plus jouissifs de l'existence. "Ces sous-diacres autopromus de l'Eglise de la Littérature américaine réformée semblent considérer la générosité avec suspicion, la matière charnue avec dégoût" 93. La matière charnue: est-ce aussi simple?

Parti se faire une tasse de café...

King contrôle avec difficulté son écriture: pas seulement en longueur -sa "diarrhée verbale" 94, mais sa création même. Dans THE DARK HALF, un écrivain, double du couple King/Bachman, écrit des romans littéraires sous le nom de Beaumont et des policiers sous le peudonyme de Stark. Une de ses lectrices a eu vent de la dualité de son auteur populaire préféré et lit exceptionnellement un de ses romans littéraires: "Elle aurait trouvé difficile, sinon impossible, que les deux auteurs fussent un seul et même homme. Sauf... sauf que vers les trois quarts du livre, alors qu'elle était sur le point de le jeter au fond de la pièce tant il la barbait, il y avait une scène dans laquelle un fermier tuait un cheval. La bête avait deux pattes cassées et il n'y avait certes rien d'autre à faire, mais l'histoire présentait ceci de particulier que ce vieux paysan de John y avait pris plaisir. En fait, il avait posé le canon de son revolver sur la tête du cheval et s'était branlé -tirant au moment de l'éjaculation 95.
On aurait dit que Beaumont, à cet instant précis, avait été se faire une tasse de café...et que Stark était venu s'installer à sa place pour écrire la scène"
96. Le professeur-romancier Beaumont est ainsi double, habité par son héros assassin libre d'attaches. Comme le dit sa femme, "une partie de lui-même aime Stark (...), aime la noirceur de Stark" 97.

King a toujours éprouvé de la perplexité devant l'acte de création où se succèdent ou se superposent deux genres d'écriture. Et le lecteur avisé pourrait se demander si la véritable dualité n'est finalement pas King/Bachman, mais bien plutôt Apollon/Dionysos, avec une sorte de compromis entre les deux forces.

Ceci pour le créateur devant sa feuille blanche. Mais quand King affiche des manières décontractées, boit de la bière pendant ses conférences
98, raconte des histoires de vécés, fait de la provocation, est-ce seulement pour dominer ses obsessions? N'y a-il pas aussi une attitude jubilatoire de mauvaise foi qui se transforme en obligation de se jouer soi-même, d'étaler en vue d'une sorte d'auto-amnistie publique ce qui n'est originellement que le fond même de sa constitution? Celle d'un grand gamin99 coprolalique, beaucoup plus excité par le désordre joyeux causé par des individus fouteurs de bordel que par des gens corrects100, mais constipés? par le fouteur de merde s'opposant à l'autorité ou aux personnes qui en sont investie? et qui pense que c‘est d'autant plus drôle que c'est bien dégueu? Il y a chez King un réflexe de défense touchant, mais infantile, pour défendre la fantaisie juvénile et l'irrationnel, une sorte de permanence de l'enfance qui s'exprime par un désir de transgression des conventions des «grands», une résistance vis-à-vis du sérieux artificiel de l'adulte101. Même par procuration, même s'il ne pratique pas lui-même ces transgressions autant qu'il le voudrait...

Parce qu'il en a peur. Surtout quand il en a peur. Car Apollon, le raisonnable, veille.

Un dionysiaque prudent.

La part d'Apollon qui lui est propre l'a incité à se séparer sans trop de peine de ses copains devenus des brutes. Pas trouduc. Elle va aussi lui réprésenter les inconvénients variés des abus dionysiaques. Auparavant, Apollon, ça a été longtemps sa mère et plus tard, après onze ans, son entourage méthodiste de Durham, notamment une tante institutrice plutôt collet monté102. On peut penser que Tabitha a pris le relais103.

Contenir l'animal et si possible le maîtriser: "
Il avait fini par découvrir peu à peu le grand principe qui fait tourner l'univers, au moins en ce qui concerne carrière et succès: débusquer le cinglé qui bat les buissons en soi et fout votre vie en l'air. L'acculer dans un coin, s'en emparer, mais surtout ne pas le tuer. Le harnacher, le sangler, et lui faire tirer la charrue. Le cinglé travaille comme un forcené quand il est dans la bonne voie" 104. Steve essaie d'être dans la bonne voie.

Les excès qu'il faisait jadis sans s'effrayer, maintenant il en craint les conséquences: il a trop bu, trop fumé, trop mangé
105. Les peurs des Américains en cette fin de siècle sont grandes et King y est sensible: "C'est le seul pays au monde où on est devenu complètement obsédé par le problème de la cigarette... Le seul, probablement, où les citoyens s'imaginent -et ils le croient très profondément- que s'ils mangent exactement les bonnes combinaisons de vitamines (...) et se torchent le cul avec le bon papier-toilette, ils vivront éternellement en restant toujours sexuellement actifs" 106.

Il a aussi été profondément meurtri et marqué par la mort d'un cancer de sa mère à soixante ans, et cette obsession le poursuit: "
Si vous mangez trop de beefsteak: cancer de l'intestin. Si vous buvez trop d'alcool: cancer de la gorge, alcoolisme, cancer de l'estomac (...). Nous sommes effrayés de fumer des cigarettes parce qu'elles donnent le cancer du poumon: nous sommes aussi effrayés de nous approcher des gens qui fument car nous pouvons attraper le cancer du poumon par leurs cigarettes". L'état d'esprit actuel de King ne doit pas être très éloigné de celui de l'écrivain de DESPERATION: "Il était terrifié par la mort, c'était ça la vérité, et une vie passée à affûter son imagination lui permettait de la voir arriver de quatre douzaines de directions différentes à la fois", (page 69). Effectivement le recensement de ses peurs est accablant107.
King, tenté par par le vivant, mais bordélique Dionysos qui lève ses inhibitions, voit ainsi continuellement Apollon utiliser son inquiétude et sa prudence pour le censurer, le contrôler et lui interdire
108. Cela nous donne une explication valable du grand nombre de personnages kingiens dialoguant avec eux-mêmes109, le raisonnable s'opposant au déraisonnable110, l'hémisphère gauche du cerveau au droit111 dans un conflit fondamental rationalité/irrationnel, pulsions et sentiments.
Quand l'inhibition l'emporte, il peut écrire des oeuvres réalistes et vivantes, mais épurées. La bienséance n'est pas toujours la médiocrité. Les nouvelles de King sont généralement exemptes de trivialité (sauf l'exception notable de
Milkman #2 ): il y a des joyaux, totalement retenus et contrôlés, qui montrent que King peut éviter le trivial, au prix sans doute d'un contrôle systématique112.

Mais quand Dionysos règne, c'est le trivial qui l'emporte. Il peut même, dans certains cas, aller jusqu'à la description apocalyptique d'agressions sanglantes, d'organes corporels divers dégoulinants de toutes sortes de sanies, de destructions flamboyantes dont le King dionysiaque jubilatoire raffole. Car "
sous le masque de l'écrivain d'horreur moraliste (qui, tel Henry Jekyll, est «la fleur même des convenances») se dissimule une créature d'une tout autre nature (...). C'est un nihiliste convaincu qui, pour prolonger cette métaphore Jekyll-Hyde, ne se contente pas de piétiner les os fragiles d'une fillette mais estime nécessaire de danser la gigue sur l'humanité tout entière. Oui, mes amis, LE FLÉAU m'a donné l'occasion d'annihiler l'espèce humaine et j'ai pris un pied d'enfer!" 113.

L'expression triviale chez King participe ainsi d'un comportement à la fois ludique, jouissif et libératoire et remplit, comme sa production d'horreur, une fonction thérapeutique
114. Elle serait compensatrice d'un besoin de laisser-aller et de désordre115 qu'il ne peut satisfaire entièrement.

Un bilan...


Le trivial kingien est ainsi à la confluence de plusieurs courants:

- une enfance dans une famille populaire, milieu où il côtoie des enfants et des adolescents de son âge, ainsi que des adultes vivant surtout dans les petites villes du Maine;

- une insertion sociale un peu atypique dans sa jeunesse, due à un physique jugé insatisfaisant et à une maladresse marquée, dont il a gardé beaucoup de susceptibilité concernant les apparences, individuelles et sociales;

- un tempérament désordonné aux réactions caractérologiques marquées par la primarité
116, tombant facilement dans les excès du moment; le tout compensé par une bonne dose de prudence.

- une hostilité latente à l'égard des conformismes, de la «bonne société» et des autorités.

- une défiance à l'égard de la rationalité, jugée réductrice, au profit du vécu, du senti et de l'insolite;

- l'influence au lycée et à l'université du romanesque réaliste américain, surtout de Steinbeck et Faulkner;

- dans une Nouvelle-Angleterre puritaine, une éducation plutôt stricte dans un contexte religieux méthodiste.

- et la peur...

Il lui a fallu trouver un équilibre entre toutes ces influences et il y est parvenu par l'écriture, soumise à l'opposition entre son côté naturel dionysiaque et des influences éducatives apolliniennes.
Cet équilibre instable fait que d'une oeuvre l'autre, suivant que le contrôle l'emporte sur les pulsions, le trivial occupe une place plus ou moins importante, pour cet écrivain populaire capable d'écrire dans tous les registres.


Quant à l'écriture, il faut lui rendre cette grâce que King n'est pas une sorte de handicapé, d'obsédé comme Frédéric Dard, le père de San-Antonio, qui ne peut fonctionner qu'avec des cataractes de grossièretés, un trivial qu'il pousse à des extrêmes tels que ce n'est plus la crédibilité qui est recherchée, mais une sorte de parodie, mêlée d'un délire obsessionnel en forme d'auto-dérision.

Il n'écrit pas non plus comme Louis-Ferdinand Céline, poussé dans ses excès par la compassion envers les faiblesses humaines, la rage de trouver l'humanité aussi médiocre et l'impossibilité d'y remédier
117.

Quand Apollon occupe toute la place, Dionysos s'efface. King est alors capable d'écrire des histoires sans l'ombre de l'ombre d'une trivialité ou d'un vulgaire quelconque. Il fait preuve de pudeur, n'utilise que les demi-mots
118, qui font au lecteur l'honneur de suggérer, de le croire capable de faire preuve d'imagination et de poursuivre à son terme la pensée de l'auteur -et même aller au-delà quand cela en vaut la peine. Avec, malheureusement trop rarement, l'adéquation avec la poésie la plus légère qui soit.

Avec Zola, les différences ne sont plus du même ordre: Zola est un bourgeois, qui voudrait que «tous causent bien»: "
le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien", dit-il dans la préface de Germinal. Le socialisme permettrait d'y remédier, rêve totalement étranger à King, qui pense que c'est une cause perdue, le problème étant individuel et non social.

C'est enfin de Rabelais, avec son mélange de trivialité et de pensée profonde, dont King est peut-être le plus proche: mais il lui manque totalement cette truculence du vivant, ce fond de santé sans inquiétude et la solidité inébranlable qui sont le propre de Rabelais
119.


Il y a dans la dernière page de la novela
The Body, un passage nostalgique, où après avoir évoqué son enfance perdue, King fait son bilan: "Et je me demande si ce que je fais a vraiment un sens, ou bien ce que je dois penser d'un monde où on peut devenir riche en jouant à «faire semblant»" 120. La signification première paraît claire. Mais je suis loin d'avoir percé les implications cachées.

Roland Ernould © août 1997. Revu mai 1999.

Pour la première partie.

Notes :

1 In RAGE 1977, Richard Bachman, éd. fr. Albin Michel 1990, p. 100.

2 En prenant le contrepied de King dans DANSE MACABRE: "En d'autres termes, dès que le terrain commencera à être un peu bourbeux, j'ai l'intention de l'éviter plutôt que de chausser des bottes d'égoutier à la manière d'un prof de lettres", in ANATOMIE..., op. cit., page 164.

3 Qui deviendront, après modification du titre et/ou du texte: RAGE, THE LONG WALK et THE RUNNING MAN. Ces romans, publiés par King sous le pseudonyme de Bachman, contiennent en effet des trivialités qui n'apparaissent pas aussi nettement dans les premiers romans édités sous son nom propre.

4 In'SALEM'S LOT, op. cit., page 25.

5 In 'SALEM'S LOT, op. cit. page 37.

6 "Misery était la personne qu'elle aimait, et non pas cette espèce de voleur de voitures sorti du quartier hispano de Harlem et qui parlait comme un charretier", in MISERY 1987, éd. fr. Albin Michel 1989, page 43. Ou, comme pense la romantique Laurel: "Tout cela ressemblait beaucoup à un scénario de roman d'amour de la série Harlequin comme elle lisait parfois. Et alors? D'agréables histoires, pleines de rêves agréables et inoffensifs. Ça ne faisait pas de mal de rêver un peu, non?", in FOUR PAST MIDNIGHT, The Langoliers , op. cit., page 230.

7 In MISERY, op. cit., pages 35 à 37.

8 In MISERY, op. cit., page 58.

9 In IT, op. cit., page 505. Annie se sert "d'un marqueur noir pour faire disparaître les gros mots", in MISERY, op. cit., page 62. Voir plus loin la fin du § 4.5.

10 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 313.

11 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., The Library Policeman, page 40.

12 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., Secret Window, Secret Garden, page 402.

13 Ces distinctions ont été faites par Ruth Fulton Benedict (Ý1948), dans PATTERNS OF CULTURE , Boston, 1934, tr. fr. ECHANTILLONS DE CIVILISATIONS, Gallimard éd., 1950. Apollon, dieu du soleil, de la beauté et de l'harmonie est opposé à Dionysos représentant l'instinct et la violence.

14 In ANATOMIE..., op. cit., page 91.

15 In SKELETON CREW, op. cit., Caïn Rose Up, pages 214 à 216.

16 In MISERY 1987, op. cit., page 62.

17 Nombreux sont les personnages, comme la mère de CARRIE, qui lutteront contre leur propre «bestialité», souvent en brimant leur descendance.

18 La littérature féminine d'évasion faite de rêves uniformes, où il n'y a pas besoin de remettre en question un imaginaire frileux ou de troubler un équilibre psychique incertain, est en concurrence directe, par ses succès de librairie et ses tirages, avec la littérature d'horreur et doit correspondre à des tendances psychologiques opposées. Toujours le Dionysiaque et l'Apollinien...

19 C'est aussi le cas de Charlie, dans RAGE: voir le § 1.7.

20 Annie est un bon exemple du sadisme, dont la nature est ambivalente: détruire est le but visé, mais il faut maintenir en vie en le contrôlant et en le maîtrisant l'être à détruire pour prolonger le plus possible sa souffrance.

21 Les «matinée» du samedi après-midi, où sont projetés principalement des films populaires de fantastique ou de science-fiction, réalisés pour la plupart avec très peu de moyens. Voir notamment IT, op. cit., pages 17 et 222. Ce n'est que tardivement que la mère de Steve eut les moyens d'acheter un récepteur de télévision.
Dans
DANSE MACABRE 1981, éd. fr. en deux tomes: ANATOMIE DE L'HORREUR et PAGES NOIRES, éd. du Rocher, 1995/96, King a fait l'analyse des films et séries TV. qui l'ont marqué avant les années 80.

22 King cite une conséquence, entre autres: "Et comme j'ai évoqué les soins dentaires, je me dois de préciser que la plupart des gosses qui ont dû porter un appareil durant ces années où la pression sociale était quasiment étouffante le vivaient souvent comme une difformité -on entendait parfois résonner dans la cour de l'école les mots: «Hé! gueule d'acier!»", ANATOMIE..., op. cit., page 59.

23 American International Pictures, firme de production cinématographique créée en 1954. Pour connaître l'influence exercée par ces films sur la mentalité de King enfant, voir ANATOMIE..., op. cit., pages 40 à 42.

24 In ANATOMIE..., op. cit., page 52.

25 In ANATOMIE..., op. cit., pages 53/4.

26 In ANATOMIE..., op. cit., page 158. King ajoute: "Dans une société où l'on accorde une telle importance à la jeunesse, à la santé et à la beauté (...), il est inévitable que la mort et la décomposition deviennent des sujets tabous", idem, page 159.

27 Sur un point, heureusement, les moeurs ont changé: King n'a pas eu à fuir sans cesse les orages des censeurs, comme cela a été le cas pour les novateurs non conformistes pendant des siècles.

28 Préface à L'ASSOMMOIR, éd. de la Pléiade, t. II, pages 373/4. Idem pour les citations suivantes.

29 Voir une liste dans George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, éd. Lefrancq 1996, pages 71 et suivantes. Ce livre est une sorte de compilation actualisée des précédents ouvrages américains de Beahm qui n'ont pas été traduits et ne le seront sans doute jamais

30 Certains protestataires iront jusqu'à compter le nombre de gros mots dans certains livres...

31 Nous évoquerons bien sûr le Référendum sur la censure de 1986 et la campagne qui l'a accompagné dans notre étude en projet King et le sexe. Voir sur le sujet George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994, pages 170 à 174. Pas de traduction française à ce jour. Par contre il existe une traduction française de l'article de Christopher Bruce, parue naguère dans George Beahm, THE STEPHEN KING COMPANION, Warner Books, éd. 1993, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 213.

32 Allusion à une anecdote racontée auparavant: "Une vieille dame d'à peu près 800 ans s'est levée et m'a demandé: «Pourquoi employez-vous un langage aussi vulgaire? Vous racontez de bonnes histoires, mais pourquoi toute cette grossièreté?». Et je lui ai répondu: «Eh bien, imaginez... imaginez le langage des hommes réunis chez le coiffeur, le samedi matin». Sur ce, elle me dit: «Je suis déjà allée chez un coiffeur, le samedi matin, et personne ne parle de la sorte...». Ma réplique: «Madame, j'écris à propos du samedi où vous n'êtes pas venue!», in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., pages 73 à 75.

33 "L'obscénité grossière et continuelle des détails et des termes s'ajoute dans ce livre à l'immoralité des situations et des caractères: on peut dire, même, qu'elle l'aggrave dans une proportion considérable", justificatif du refus de l'autorisation de vendre L'ASSOMMOIR dans les gares, décision du 14 mai 1877, Zola, Oeuvres, op. cit., II, page 1561.

34 In George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 77

35 "Je veux être Théodore Dreiser quand je serai grand, papy", déclare King enfant à son grand-père, in PAGES NOIRES, op. cit., page 119.

36 Mort à 32 ans en 1902. Son roman Mc TEAGUE, qui a inspiré le film LES RAPACES, est considéré comme le plus grand roman naturaliste américain. "Quand on lui demanda s'il n'avait pas eu honte du caractère cru de son roman (...), Norris répondit: «Pourquoi aurais-je honte? Je n'ai pas menti. Je n'ai pas fléchi. J'ai dit la vérité»", cité par King in PAGES NOIRES, op. cit., page 210.

37 "Le champion toutes catégories du naturalisme américain", in PAGES NOIRES, op. cit., page 120. Upton Sinclair et Sinclair Lewis semblent avoir moins intéressé King.

38 Une différence importante cependant. Ce réalisme américain transposait la technique cinématographique, à tendance behavioriste: la description des comportements et des gestes devait générer chez le lecteur la construction du mental et de la personnalité des personnages. King au contraire consacre une grande place à transcrire ce que ressentent et surtout pensent ses personnages (avec une double et quelquefois triple voix, voir plus loin § ).

39 De Burton Hatlen, un de ses professeurs: "We read Steinbeck's IN DUBIOUS BATTLE, and I remember him being very struck with that. He might have started reading Steinbeck before the class -I don't want to take credit. I believe Steinbeck has been a major influence on him. We also read Faulkner in that class -LIGHT IN AUGUST, though I don't think Faulkner has been as strong force as Steinbeck on him", in George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, op. cit., page 55. On sait que King collectionne les éditions originales de Faulkner.

40 In ANATOMIE..., op. cit., page 92.

41 In THE REGULATORS 1996, Richard Bachman, éd. fr. LES RÉGULATEURS Albin Michel 1996, page 121.

42 "Le langage a sa propre raison d'être", in PAGES NOIRES, op. cit., page 161. Le contraire de "ce dévidage harmonieux du langage que la plupart des professeurs d'écriture confondent avec le style", in ANATOMIE..., op. cit., page 96.

43 King n'est pas de ceux qui préféreraient "ranger le langage dans un bocal hermétiquement scellé (à la façon d'un cadavre pomponné placé dans un cercueil de verre) plutôt que de le laisser sortir dans la rue pour aller bavarder avec les gens", in PAGES NOIRES, op. cit., page 161.

44 Jacques Van Herp, Le Fantastique chez Stephen King, in KING, Les Dossiers de Phénix 2, Lefrancq éd., Bruxelles 1995, page 112.

45 Connotation à caractère phallique, qui apparaît plusieurs fois dans d'autres oeuvres.

46 In SKELETON CREW, op. cit., Milkman #2, Big wheels : a tale of the laundry game, rescapé, avec un autre fragment, d'un roman inabouti.

47 In DOLORES CLAIBORNE, op. cit., page 166. Dolorès appelle son mari le "Grand Manitou de merde de la braguette ouverte", page 118.

48 In GERALD'S GAME 1992, éd. fr. JESSIE Albin Michel 1993, chapitres 35 et svts.

49 Dans son étude Stephen King et son jumeau, in KING, Phénix 2, op. cit., pages 262 à 264.

50 On peut être surpris que, célébrité de l'Université du Maine, King soit cependant loin d'être apprécié -et même lu- par nombre de professeurs. Voir à ce sujet l'article Le Maître de l'Horreur à l'Université, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 48.

51 Dans un article Stephen King and the Art of Writing, l'universitaire et poète américain Michael R. Collings, le grand spécialiste de King, raconte en quels termes certains professeurs de son fils lui en ont parlé péjorativement, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN King, op. cit., page 255. Dans un autre article, Collings reconnaît avoir été "gêné" dans sa carrière et s'être vu refuser une promotion universitaire, nonobstant les cinquante livres et les centaines de travaux qu'il avait publiés, non seulement sur King, mais aussi Card, Koontz, McCammon :"On avait l'impression que j'avais perdu mon temps" (...). J'aurais dû travailler sur une nouvelle interprétation pédante de Milton ou quelque chose dans le genre", idem, page 262.

52 Ce regret n'a pas cessé: "Après avoir passé vingt ans à écrire des oeuvres de fiction dites grand public, et à être rejeté par les critiques les plus intellectuels comme un «pisse-copie» ( la définition d'un pisse-copie par un intellectuel semblant être «un artiste dont le travail est apprécié par trop de gens»)...etc., in Notes sur NIGHTMARES AND DREAMSCAPES 1993, éd. fr. RÊVES ET CAUCHEMARS, Albin Michel 1994, page 686. Ou encore le romancier Paul Sheldon, qui évoque le destin de son prochain livre, "sur lequel chiera Peter Prescott, de sa manière délicatement élégante, quand il en fera le compte-rendu pour le grand oracle littéraire Newsweek", in MISERY, op. cit., page 62. Dans le même roman, voir aussi les pages 333 et 334.

53 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., Apt Pupil, page 174.

54 In THE DARK TOWER, 3. THE WASTELANDS, op. cit., II, la clé et la rose.

55 Voir l'étude sur deux de ses premiers romans Rage, Révolte, Désespoir, parue dans un précédent n° de Steve's Rag.

56 Ceci n'est pas péjoratif: comme tout être vivant, le jeune enfant doit se constituer un territoire. King s'explique parfaitement sur ce sujet, montrant que, d'une certaine manière, il a intégré son enfance, peut-être depuis qu'il a été père: "Les gosses peuvent se montrer méchants, et quand on les voit dans cet état, on a souvent des doutes sur l'avenir de l'espèce humaine. Mais la méchanceté et la cruauté, quoique proches, sont deux choses fort différentes. Un acte cruel est un acte prémédité, réfléchi. La méchanceté par opposition, est souvent instinctive et irréfléchie. Les résultats sont peut-être identiques pour la victime -en général un autre enfant-, mais il me semble que, dans un société morale, l'intention ou l'absence d'intention est un élément à prendre en compte", in ANATOMIE..., op. cit., page 227.

57 Et si les adultes désapprouvent et vitupèrent, c'est encore meilleur...

58 In RAGE, op. cit., page 55.

59 On trouve dans cette magnifique épopée rurale de Louis Pergaud (1912) la même tendresse et le même sadisme que les romans d'enfants de King. Comme King, Pergaud a vécu ce qu'il a décrit. Rappelons qu'à sa parution, le livre de Pergaud ne fut guère apprécié par les critiques et les citadins, qui trouvèrent les situations trop gaillardes et le patois ordurier. Ne peuvent bien comprendre ce livre que ceux dont l'enfance campagnarde s'est épanouie en toute liberté.

60 Sans compter le double ou le triple de mots que les dictionnaires stigmatisent comme vulg. Sans compter aussi la «bonne» histoire «française»: "Comment sais-tu quand un Français est entré dans ta cour? Quand la poubelle est vide et la chienne enceinte", op. cit. page 307.

61 Une équipe de gosses du même âge se trouve dans le long roman IT, avec le même vocabulaire. A l'époque, un critique avait écrit que ce roman était "deux tonnes de merde dans une caisse de cinq tonnes", cité dans KING, Phénix 2, op. cit., page 370.

62 Quand Teddy a dit à Milo (un adulte responsable de la décharge) que "sa mère se branlait avec des rats morts, ils sont tombés en pleine crise d'hystérie et se sont roulés par terre en se tenant le ventre et en battant des pieds. «Arrêtez, a dit Chris d'une voix faible. Arrêtez, je vous en prie, Arrêtez, je jure sur Dieu que je vais éclater»", (ibid. page 360).

63 Voir § 3.5. Ou ce souvenir de King: "Je me souviens (...) que les cheveux longs étaient un fait de société explosif en 1968, quand j'avais vingt et un ans (...). Je me suis fait jeter du Stardust, un bar de la bonne ville de Brewster (Maine), par un ouvrier de bâtiment. Ce type, qui avait des muscles sur ses muscles, m'a déclaré que je pourrais revenir finir ma bière «quand tu te seras fait couper les tifs, espèce de tantouze pédé»", in ANATOMIE..., op. cit., page 183.

64 Comme Annie réclame de l'écrivain Paul Sheldon de belles histoires idéalisées (voir § 3.1), les copains du narrateur, futur écrivain, ne reconnaissent pas ses droits à l'imagination créatrice: ils éprouvent le besoin de se raccrocher à ce qu'ils connaissent et lui demandent de donner des fins conventionnelles à ses récits...

65 Cette histoire de concours de tartes gagné par un gros lard et se terminant par une hystérie de vomissements collectifs, The Revenge of Lard Ass Hogan, King l'écrira à l'université, la publiera une première fois dans la Maine Review en 1975 et la révisera pour l'inclure dans The Body. Comme le diront ses copains quand ils l'entendront la leur raconter: "Tout ce dégueulis était vraiment cool. -Ouais, c'était cool, vraiment dégueu", (page 390).

66 On retrouve une réflexion semblable dans TERRES DES HOMMES de Saint-Exupéry. L'écrivain rencontre dans un train des ouvriers polonais congédiés de France qui regagnent la Pologne. Il considère un couple, avec un enfant adorable, "sorte de fruit doré". Mais "l'homme était pareil à un tas de glaise. Ainsi, la nuit, des épaves qui n'ont plus de forme pèsent sur le banc des halles. Et je pensai: le problème ne réside pas en cette masse, dans cette saleté, ni dans cette laideur... Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir?". Et il évoque plus loin "Mozart assassiné", éd. de la Pléiade, pages 259 et 260.

67 Pour approfondir, voir l'étude La Cosmogonie de King dans The Talisman, page 14, in Steve's Rag, juillet/septembre 1997.

68 In IT, op. cit., page 690.

69 Sans aller jusqu'à Rabelais, qui dynamite certains pouvoirs établis: "Il existait ainsi, face à la doctrine officielle des puissants, une autre culture, populaire et donc non reconnue, qui trouvait son expression dans des divertissements grossiers ou obscènes, dans un comique verbal de bas étage (...), de suites absurdes et grotesques sur les torche-cul (...), bref, le monde à l'envers, où, grâce à la dérision, le «bas» (organique ou social) se trouve occuper une position plus élevée que le «haut» (têtes et chefs)", voir Jean-Yves Pouilloux, RABELAIS, RIRE EST LE PROPRE DE L'HOMME, Gallimard, Découvertes n° 181, 1993. Il y a beaucoup de cela chez King...

70 "La vengeance de Carrie a réjoui tous les lycéens qui se sont fait ôter de force leur short en cours de gym ou casser leurs lunettes en cours de récréation", in ANATOMIE..., op.cit., page 200.

71 In PAGES NOIRES, op. cit., page 105.

72 Op. cit., pages 158 et 107. Ou quantité de notations comme: "Un petit geyser de bière jaillit par le goulot de la bouteille (...) et vint auréoler son pantalon à hauteur de la braguette", in THE DARK HALF, op. cit., page 112.

73 In THE RUNNING MAN, op. cit., page 242.

74 In THINNER, op. cit., chapitre 8.

75 In ANATOMIE..., op. cit., page 57.

76 In RAGE, op. cit., page 16.

77 Comme celle-ci, dont il existe plusieurs versions: "Alors nous sommes allés dans un bar, situé tout en haut de la ville. C'est là que j'ai eu ce que l'on nomme poliment un petit ennui intestinal. Pour être honnête, j'avais l'impression que mon abdomen était secoué par le grand-père de tous les trermblements de terre. Je me suis excusé et j'ai filé vers les toilettes des hommes. C'était un endroit superbe, avec de l'or et du marbre dans tous les coins. Il y avait un gars à l'entrée (...) et une assiette pleine de pièces de monnaie était posée sur une petite table à ses côtés. Sans doute pour renseigner les illettrés... La seule chose que ces toilettes de luxe ne possédaient pas, c'était des portes pour les cabinets! Mais je n'en avais rien à cirer! La jauge était dans le rouge et la pression atteignait des sommets insoupçonnés. Alors, je me suis assis.
J'étais hors de chez moi depuis des semaines; j'avais le mal du pays, mal au ventre, les choses ne pouvaient pas être pires... Jusqu'à ce que le gars des toilettes apparaisse avec un stylo argenté entre les mains. «N'êtes-vous pas Stephen King? Ma mère
(...) adore vos livres. Je peux vous demander un autographe?». J'étais là, avec mon jeans sur les chevilles, le derrière en ébullition, et ce type me demandait un autographe. Un moment inoubliable. C'est cela être célèbre, mesdames et messieurs", propos tenus lors de la Conférence de Virginia Beach, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 73.

78 Revoir le § 3.2., Dr Jekyll sur le trône. Ajoutons que la plus grande partie de la nouvelle Sneakers se passe dans diverses toilettes, avec de nombreuses notations sur les occupants et leur utilisation des lieux, in FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit.

79 Voir George Beahm, THE STEPHEN KING STORY, Warner Books, éd. 1994, page 41. Pas de traduction française à ce jour.

80 THE EXORCIST, Film célèbre de William Friedkin, 1973, d'après le roman de William Peter Blatty, 1971.

81 In RAGE, op. cit., page 55.

82 "Dans une scène du film, une petite fille vomissait sur un prêtre catholique. Il y eut des applaudissements dans la salle", in ROADWORK 1981, Richard Bachman, éd. fr. CHANTIER, Albin Michel 1987, page 315.

83 Voir la note du § précédent sur ce sujet.

84 In NEEDFUL THINGS , op. cit., pages 600 à 603.

85 In FOUR PAST MIDNIGHT, op. cit., note sur The Sun Dog, page 250.

86 In RAGE, op. cit., page 40.

87 In ROADWORK, op. cit., page 117.

88 SALEM'S LOT 1975, op. cit. page 73.

89 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 316.

90 In THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 367.

91 In THE RUNNING MAN, op. cit., page 254.

92 In George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 44.

93 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., introduction, page 13.

94 In Préface de THE STAND, op. cit., page VIII. Ou aussi: "J'ai un réel problème de gonflement -j'écris comme les grosses dames mangent", in SKELETON CREW , op. cit., page 15. Ou encore: "éléphantiasis littéraire", idem, in Notes, page 638.

95 Pour cet exemple à caractère sexuel, même remarque qu'au § 1.7.

96 In THE DARK HALFop. cit., page 81.

97 In THE DARK HALF, op. cit., page 454.

98 "Certains auditeurs étaient ennuyés par l'image négative véhiculée par King, buvant dela bière en public devant un parterre de jeunes et employant un langage adulte, dangereux pour de chastes oreilles", d'où le départ en pleine conférence de certains d'entre eux, in George Beahm, TOUT SUR STEPHEN KING, op. cit., page 85.

99 Rappelons que le «mauvais goût» des enfants est noté par nombre d'éducateurs, l'enfant étant attiré par l'immédiat, le bruyant, le clinquant, l'excessif... et leur goût des gros mots (coprolalie).

100 King aime "feuilleter rapidement, en faisant la queue au supermarché", les journaux à sensation à la recherche de nouvelles et de photos "de mauvais goût", comme il le dit lui-même. In ANATOMIE..., op. cit., page 43.

101 Comme son opposition au costume-cravate, remplacé par le jean-chemise ou tee-shirt: tous ses personnages écrivains portent des jeans, et il est significatif que King précise souvent que ces vêtements sont propres..., la propreté lui paraissant supérieure à l'apparence. Somme toute une nouvelle hiérarchie: les bien-vêtus, snobinards; les propres, bien. Et les pas-propres... Chaque système fait ainsi ses parias.

102 Ethelyn, qui aurait fait disparaître la caisse de livres de son père qu'il avait, enfant, trouvée dans le grenier, voir ANATOMIE..., op. cit., page117.

103 Les informations précises nous manquent, mais les présomptions sont fortes. Dédicace de IT: "Ma mère et ma femme m'ont appris à être un homme".

104 In IT, op. cit., page 557.

105 Voir les échos multiples sur ce sujet, notamment dans NIGHT SHIFT, op. cit., Quitters, Inc. et THINNER, op. cit., qui ont été autant de moyens de neutraliser les peurs du moment.

106 In NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., The Ten O'clock People, page 497.

107 L'énumération continue: l'eau et l'air sales; la couche d'ozone; le SIDA par transfusion; les gaz d'échappement produits par la circulation, l'amiante, etc., interview de Martin Cohen, in KING, Phénix 2, op. cit., page 43.

108 William Burroughs, qui vient de mourir, est dans ce domaine l'exact contraire de King, en ayant fait de son corps le siège de tous les excès dans la fantaisie la plus totale.

109 "Elle avait entendu des voix dans sa tête comme tout le monde, pensait-elle, sauf peut-être que les gens n'en parlent jamais, pas plus que du transit intestinal" in GERALD'S GAME, cit., page 15. Et quand les voix se taisent: "Qu'est-ce qu'on fait maintenant, bande d'ovnis squatters?", id., page 66.

110 Ce que King a tenté plusieurs fois d'expliquer, par exemple dans THE TOMMYKNOCKERS, op. cit., page 37.

111 Par exemple: "Laisse tomber et tire-toi d'ici, se dit Hagan (...). Il allait suivre les bons conseils de son hémisphère cérébral gauche... puis il regarda le dentier claqueur dans l'étalage (...). Et ces guêtres blanches! C'était vraiment à en mourir... «Jack va adorer ça, lui fit observer son hémisphère droit (...). Et s'il s'avère que Jack n'en veut pas, toi, tu le veux» (...). C'est son hémisphère droit qu'il écouta ce jour-là... et tout le reste s'ensuivit", in NIGHTMARES AND DREAMSCAPES, op. cit., Chattery Teeth, page 178. King reprend ici et ailleurs cette distinction entre l'hémisphère cérébral gauche, qui régit les fonctions intellectuelles et rationnelles; et le droit, siège de la sensibilité, des sentiments et de la fantaisie (très grossièrement, le raisonnable à gauche et la fantaisie à droite, toujours Apollon et Dionysos).

112 Des exemples d'oeuvres particulièrement épurées: NIGHT SHIFT, The Last Rung on the Ladder ou SKELETON CREW, The Reach (à noter que les nouvelles de son troisième recueil ont un caractère nettement plus trivial). Des romans aussi, comme THE DEAD ZONE 1979, éd. fr. L'ACCIDENT, Lattès 1983, roman contrôlé que l'on pourrait faire lire à Piper.

113 In PAGES NOIRES ,op. cit., page 208.

114 L'interdit, le tabou déclenche une attitude ambivalente: envie d'enfreindre une prohibition et crainte de le faire, conflit entre le désir et la puissance de l'interdit. Voir à ce sujet: Freud, TOTEM ET TABOU.

115 Il faut citer ce long passage de THE DARK HALF où Thad Beaumont réfléchit à ses rapports avec Stark: "N'y avait-il pas en lui un Thad aimant passionnément la nature simple et violente de George Stark? (...) Un Thad qui admirait George, un homme qui ne prenait jamais les pieds dans les tapis ni ne se cognait aux objets, un homme qui n'avait jamais l'air faible ou idiot, un homme qui n'aurait jamais besoin d'avoir peur des démons confinés derrière les portes fermées du bar, un homme qui n'avait à se soucier ni d'une femme, ni d'enfants, sans la moindre attache sentimentale risquant de le ligoter ou de le ralentir, un homme qui n'avait jamais pataugé dans un rapport merdique d'étudiant, (...) un homme qui disposait d'une réponse immédiate et efficace à toutes les questions les plus difficiles de l'existence...", page 354.

116 Voir le TRAITÉ DE CARACTÉROLOGIE de René Le Senne et de Gaston Berger, ou, plus abordable, le TRAITÉ PRATIQUE D'ANALYSE DU CARACTÈRE, dez Gaston Berger, P.U.F. 1950.

117 Sont laissés de côté les rapprochements possibles avec Emile Boudard, François Cavanna, René Fallet par exemple. Profitons de l'occasion pour signaler qu'il n'y a pas qu'aux USA que la littérature dite populaire ignore ces auteurs: les sus-nommés ne figurent par exemple pas dans L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, XXè , 1950/1990, rédigée par des universitaires, Hatier 1991, 448 pages.

118 Je ne peux résister à citer dans ce domaine la nouvelle de Maupassant La Toux, dans laquelle l'auteur réussit à se passer «du mot»: cette nouvelle, où on ne pète pas, mais on tousse, offre, d'après Louis Forestier qui a annoté l'édition de la Pléiade "si peu d'intérêt et de retenue que l'auteur s'est refusé à la recueillir dans un quelconque de ses ouvrages", in Maupassant CONTES ET NOUVELLES I, page 1509. Je chercherais volontiers une autre explication, la recherche par Maupassant des limites jusqu'où il pouvait aller.

119 Ces comparaisons ne concernent que des auteurs français: il y aurait des parallèles intéressants à faire par un bon connaisseur de la littérature américaine.

120 In DIFFERENT SEASONS, op. cit., The Body, page 451.

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 4 - été 1999.

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