LA
SCIENCE-FICTION AU QUÉBEC
Guy
Sirois
Une précaution...
À de très rares
exceptions près, la science-fiction d'expression
française au Canada est écrite et publiée au
Québec. On nous permettra donc d'user du sigle SFQ pour
désigner cette dernière, quitte à heurter
certaines sensibilités.
En
attendant les seventies.
Pour bien comprendre le
phénomène SF (dans le monde, comme au Québec),
il faut commencer par établir un fait : la science-fiction est
d'abord et avant tout un phénomène américain.
C'est même un des principaux articles d'exportation de ce qu'il
est convenu d'appeler la « culture américaine »,
avec le cinéma de Hollywood, le roman policier « noir
», une musique d'inspiration essentiellement noire, la
restauration rapide, certaines boissons gazeuses, sans oublier le bon
vieux chewing gum. Le terme la désignant (science fiction) est même passé directement dans plusieurs
langues, dont le français. La mondialisation de la SF date de
l'après-guerre, quand l'Amérique est devenue une
superpuissance militaire, et non plus seulement
économique.
Pour pénétrer les marchés étrangers, la
SF devait être traduite dans différentes langues.
Malgré ce handicap, la SF (presque essentiellement celle que
publiait John W. Campbell, Jr. dans la revue Astounding) fut rapidement acceptée par les lecteurs des
plus importants pays d'Europe. Différentes formes de SF
indigènes existaient ou avaient existé dans les pays
nouvellement touchés par le phénomène
américain, mais celles-ci se trouvèrent rapidement
oubliées ou durent s'adapter à cette nouvelle forme d'
« anticipation ». Dans chacun de ces pays, en
réaction ou par émulation, devait naître,
à côté de la SF traduite, une
variété autochtone de ce nouveau produit
littéraire. Ce fut le cas en France, en Italie, en Allemagne
et en U.R.S.S., notamment. Dans les pays plus petits ou moins
industrialisés, la SF indigène tarda à se
développer ou ne vit jamais le jour.
Dans chacun des pays où l'implantation de la SF s'est
avérée un succès, le fait est redevable à
un bassin important de lecteurs, bien sûr, mais surtout
à l'enthousiasme et au dévouement de plusieurs acteurs
du milieu. On pense surtout à Ted Carnell en Angleterre,
à Georges Gallet et à Michel Pilotin en France.
Un mot ici sur la question des spécificités nationales,
qui faisait jadis l'objet de bien des discussions dans les
chaumières. Avec le temps, la question a cessé d'avoir
de l'importance. Mieux, elle a trouvé sa réponse. Elle
est toute simple : la spécificité des SF nationales est
inévitable. Qu'ils le veuillent ou non, les auteurs SF non
américains ne créent jamais un produit
américain, quelques soient les ressemblances de surface. Cela
a ses avantages (création d'un matériau ou une
manière nouvelle) et ses inconvénients (la SF
autochtone est difficile à exporter).
Ajoutons à cela le fait que le public lecteur (disons, les
franchophones) n'a pas accès à l'ensemble des produits
étrangers. Ceux-ci sont filtrés à la fois par
l'éditeur (qui choisit ce qu'il croit pouvoir vendre) et le
public (qui décide ou non d'acheter tel ou tel produit). Cela
a pour conséquence que certains auteurs américains,
parmi les plus populaires dans leur pays, ont à peine
été traduits en français. Parfois, le produit
est trop typiquement américain (ou vu comme tel) pour plaire.
Cela explique que l'écrivain le plus représentatif de
la SF américaine, Robert A. Heinlein, l'inventeur de la SF
moderne, n'ait jamais été très populaire en
France (ni au Québec, d'ailleurs.)
La SF française est unique, la SF australienne est unique, la
britannique et la russe sont uniques et aucune ne ressemble à
l'italienne. La SF québécoise ne fait pas exception
à la règle. Par contre, sa situation socio-politique
unique lui garantit une position particulière sur
l'échiquier des SF mondiales. À quoi peut donc
ressembler une SF écrite dans le seul « pays »
francophone qui partage une frontière avec les
États-Unis d'Amérique?
Au Québec, l'arrivée de la SF américaine ne
s'est pas faite dans les années cinquante, comme en Europe.
Malgré la présence des collections Rayon fantastique et Présence du futur (fort mal distribuées) et de la collection
Anticipation (Fleuve Noir), qui n'offrait, finalement,
qu'un produit dérivé, l'esprit SF ne s'est pas
installé au Québec à cette époque. Des
lecteurs isolés lisaient sans doute les oeuvres directement
dans la langue de Shakespeare, d'autres se contentaient des
traductions disponibles, quand on les trouvait, plusieurs absorbaient
leur SF dans les fascicules de BD SF publiés par les
éditions Artima (ce fut le cas du signataire de ces lignes).
Mais rien de cela n'a mené à la formation d'un milieu
SF au Québec ou d'une production indigène.
Peut-être en serait-il allé autrement (allons-y gaiement
d'une uchronie miniature) si les éditions Marabout avait, dans
les années cinquante, publié les auteurs
américains du moment. À cette époque, avec le
Livre de Poche, les éditions Marabout dominaient totalement le
marché du livre au Québec. Il n'est pas
exagéré de dire que la maison belge a fait une partie
de sa fortune sur une terre française d'Amérique.
Des rares traces de SF que l'on retrouve dans la période
précédant les années soixante-dix, on ne voit
guère que le roman de Suzanne Martel, Quatre Montréalais en l'an 3
000, qui ait connu quelque
succès. (Un succès important, en fait. Nous y
reviendrons.) Il faut attendre les seventies et
l'explosion des éditions J'ai Lu au Québec pour que les
« classiques » de la SF deviennent enfin disponibles.
À cette époque, le Québec participe à la
(re)découverte de van Vogt. Jusqu'en 1974, dans les
collèges, on lisait indifféremment L'écume des jours, Le grand Meaulne, Le
meilleur des mondes ou
Le monde du
Non-A. Plus tard, ce sera au
tour de Philip K. Dick d'être découvert par une large
tranche de population. Mais il faut attendre 1974 pour voir
naître au Québec une véritable volonté de
création SF.
Disons-le tout net : la SFQ doit son existence aux efforts de trois
Français : Norbert Spehner, Élisabeth Vonarburg et
Jean-Marc Gouanvic. (Ils ont été appuyés par
bien d'autres, mais ils demeurent les grands artisans de
l'édification de la SF au Québec.)
En créant le fanzine Requiem en 1973
(devenu plus tard la revue Solaris),
Norbert Spehner jette les bases d'un premier fandom
québécois. Grâce à lui, des amateurs de SF
se découvrent les uns les autres, s'unissent et se
réunissent. S'élabore ainsi une première
conscience SF au Québec. Et, dès le départ, les
contact culturels se développent en direction de l'Europe de
langue française (France et Belgique), sans pour autant se
couper d'un milieu de langue anglaise (les autres provinces du Canada
et les États-Unis). Spehner était loin d'être
étranger à tout cela, comme on peut s'en douter, et les
contacts se sont maintenus jusqu'à maintenant, bon an mal an.
De plus, il ouvre les pages de sa revue aux premiers essais de notre
SF. Parmi ses réalisations : il crée le Prix Dagon
(maintenant appelé Prix Solaris); il devient directeur de la
première collection SF au pays; il réunit aussi la
première anthologie SF au Québec : Aurore boréale 1 (Préambule).
Quelques années après la fondation de Requiem, Élisabeth Vonarburg s'impose comme l'auteure
majeure qu'elle n'a jamais cessé d'être. Mais son
activité ne se limite pas à la création : elle
critique, décortique et admoneste dans les pages de
Requiem, découvre et encourage le talent
local. Elle devient rapidement le centre d'un mouvement, vague
encore, mais décidé. À la fin des années
soixante-dix elle est à l'origine de deux traditions : le
congrès Boréal et les ateliers d'écriture. La
direction littéraire de Solaris l'occupe
et l'occupera encore. Ses romans, ses nouvelles, son activité
incessante dans tous les milieux de la SF et à tous les
niveaux, ont fait d'elle la figure emblématique de la SF
québécoise.
Jean-Marc Gouanvic, pour sa part, lance une nouvelle revue en 1979
(imagine...), réunit autour de lui une
équipe de créateurs (Rochon et April seront du groupe)
et, au cours des années quatre-vingt, publie plusieurs
collectifs et anthologies. En fait, la plupart des collectifs et
anthologies SF qui ont paru au Québec depuis 1982 doivent leur
existence à Jean-Marc Gouanvic. De plus, il fonde la
deuxième collection de SF au Québec. Finalement, une
grande partie de la production SF québécoise a paru
dans imagine... ou
dans les livres publiés sous la direction de Gouanvic. Le fait
est à noter, car on ne le dit pas assez.
À ces noms européens (bien qu'établis au
Québec depuis déjà quelques années), se
sont rapidement joints ceux d'écrivains
québécois de souche : Esther Rochon, Daniel Sernine,
Michel Bélil, Jean-Pierre April. Si Sernine et Bélil
écrivent surtout du fantastique à leurs débuts,
Rochon et April déclarent immédiatement leur
appartenance à la SF. (Le cas de Rochon deviendra plus
problématique à mesure que son oeuvre se fera
connaître : toutes questions de qualité mises à
part, avons-nous, dans son cas, toujours affaire à de la SF?
La question reste entière (et peut-être inutile),
près de trente après la publication d' En hommage au araignées, en 1974. (Republié aux
éditions Alire, dans une édition fortement
remaniée, sous le titre L'aigle des profondeur.)
À
la recherche de romans
À la fin des
années soixante-dix, la SF québécoise
connaît un boum grâce à trois
événements. Le premier est la création de la
revue imagine..., sous
la direction de Jean-Marc Gouanvic. (Il faudrait parler de deux
revues, en réalité, mais la première ne
connaîtra que six numéros.) Le deuxième, est la
parution d'Un
été de Jessika
(Quinze), premier roman d'Alain Bergeron et premier roman majeur de
la nouvelle SFQ. (Il faudra malheureusement attendre quelques
années avant de revoir la signature de l'auteur.) Le
troisième événement est la naissance d'une
collection spécialisée, dirigée par Norbert
Spehner: « Chroniques du futur » (Le Préambule).
Pour la première fois on voyait sur des couvertures de livres
les noms que la décennie précédente avaient fait
connaître aux lecteurs de Solaris :
Vonarburg, April, Sernine, Rochon, bien sûr, mais aussi
René Beaulieu et Jean-François Somcynsky. De plus,
c'est dans la même collection que Sernine, Rochon et April
choisirent de publier leur premier roman majeur. Pour Sernine, ce
sont Les méandres du
temps, (qui devrait
connaître une réédition prochaine); pour Rochon,
L'épuisement du
soleil (repris chez Alire, en
deux volumes, sous les titres : Le rêveur dans la citadelle et L'archipel noir.); et pour April, Le Nord électrique. Vers la même époque, Vonarburg choisira
Présence du futur (Denoel) pour son premier roman,
l'inoubliable Silence de la
cité.
À la fin de l'année 1985, tous les espoirs semblent
permis à la SFQ. Les collectifs se sont multipliés, les
deux revues sont à leur meilleur, l'horizon est rempli de
promesses. Apparaissent les noms de Francine Pelletier, de Jean-Louis
Trudel et d'Yves Meynard, qui deviendront avec le temps des
présences majeures de la SFQ.
Pourtant, malgré la naissance d'une nouvelle collection
(« Autres mers, autres mondes ») aux éditions
Logique, la production semble s'être un peu essoufflée.
Le principal roman de l'époque est sans le moindre doute
L'espace du diamant
(Pleine Lune) d'Esther
Rochon, une oeuvre véritablement à la hauteur de son
talent. Des principaux créateurs du milieu, April est le plus
actif, en tout cas le plus présent en France (dans la revue
annuelle Univers, chez
J'ai Lu). Mais il faut attendre la fin des années quatre-vingt
pour croire à un nouveau bond pour la SFQ. La collection
« Autres mers, autres mondes » nous offre le
déconcertant Les
gélules utopiques de
Guy Bouchard ainsi que Berlin-Bangkok,
deuxième (et peut-être meilleur) roman de Jean-Pierre
April. (Repris sous le même titre chez J'ai Lu). C'est aussi
à la même époque (bien que la publication se soit
étendue sur plusieurs années) que Jacques Brossard nous
offre une oeuvre impressionnante, tant pour l'ampleur de son propos
que pour la finesse de son détail. Avec ses cinq lourds
volumes, L'oiseau de
feu (Leméac) marque
certainement un grand moment de la littérature de l'imaginaire
au Québec. Une science-fiction qui glisse dans d'autres
genres, qui se regarde regardant, une quête qui devient
universelle, une aventure, un labyrinthe. Sans contredit une
expérience de lecture unique dans les annales.
Bientôt, d'autres oeuvres majeures paraissent aux
éditions Québec/Amérique : Chronoreg, de Daniel Sernine (son roman SF le plus
achevé), La taupe et le
dragon de Joël
Champetier (son seul roman SF pour adultes), Chroniques du pays des
Mères
d'Élisabeth Vonarburg (peut-être son
maître-livre). Dans la nouvelle collection « Sextant
», Lame inaugure le nouveau cycle des Enfers d'Esther
Rochon (qui appartient cependant à la fantasy). On retrouve aussi, dans la même collection, un
important roman de Vonarburg, Les voyageurs malgré eux .
Mais Québec/Amérique se désintéresse
bientôt de la SF. Les
voyages thanatologiques de Yan Malter, dernier roman d'April, paraît au moment
où l'on décide de la mort de la collection «
Sextant »; le roman passe presque inaperçu. Mais dans le
cerveau de Jean Pettigrew, ancien directeur de « Sextant »,
le concept d'Alire se précise. Il réalise bientôt
un rêve de plusieurs années et la première maison
d'édition québécoise uniquement consacrée
aux « genres » voit le jour. Depuis 1997, des monuments de
la SFQ y ont paru : la gigantesque pentalogie de romans qui compose
le fabuleux Tyranaël de
Vonarburg, Le sable et
l'acier, forte trilogie de
Francine Pelletier, la suite et la conclusion de la série des
Enfers de Rochon. À ces grandes oeuvres, ce sont
ajoutées des réécritures importantes des deux
premiers romans de Vonarburg, de La taupe et le dragon (Champetier) ainsi que de Chronoreg
(Sernine). Pour sa part, Jean-Louis Trudel publie deux romans
(écrits plusieurs années auparavant) dans la collection
Anticipation du Fleuve Noir : Le ressuscité de l'Atlantide et Pour des soleils froids.
L'arrivée récente de Michel Laframboise dans le
territoire SFQ se traduit rapidement par la publication d'un roman
intéressant, Ithuriel
(Naturellement). D'autres devraient suivre.
Tout récemment, Jean-Pierre Guillet (qu'on connaissait
davantage pour ses oeuvres destinées à la jeunesse)
nous offre La cage de Londres
(Alire), délicieuse
uchronie où, cent ans plus tôt, les Martiens de Wells
ont véritablement conquis notre planète.
Un phénomène intéressant (et certainement
significatif) des années quatre-vingt-dix est la parution de
plusieurs textes de SFQ aux États-Unis. Vonarburg publie
quelques nouvelles dans la revue Amazing et
plusieurs autres dans Tomorrow. La
même revue accueille bon nombre de textes d'Yves Meynard. Le
même phénomène se produit avec les textes plus
longs : les deux premiers romans de Vonarburg paraissent sous les
titres The Silent
City et Motherland's Chronicles. Champetier parvient à loger une
traduction anglaise de La
taupe et le dragon (Dragon's
Eye) chez Tor Books et
Meynard publie directement The
Book of Knights, un roman de
fantasy, chez le même éditeur.
En cette fin de millénaire, tout semble aller pour le mieux
dans la demeure SFQ. Pourtant, certains voient des nuages couvrir le
ciel.
Vie et
problèmes de la nouvelle.
Malgré une vie
certaine dans les années quatre-vingt-dix, le roman demeure
quand même un genre relativement peu pratiqué. Cela est
dû essentiellement au fait que les romanciers SF au
Québec sont peu nombreux. (Je parle, bien sûr, des
auteurs publiés.) Par conséquent, bon an mal an, la
production reste, toutes proportions gardées, relativement
maigre. Rien qui pourrait, d'une manière ou une autre, se
comparer à la production française, par exemple. Et si
les oeuvres mentionnées plus haut sont à plus d'un
titre des réussites, il faut bien reconnaître que la SF
québécoise ne saurait se définir par sa seule
production romanesque.
Le genre de la nouvelle illustre mieux que le roman la SF
québécoise telle qu'il s'écrit depuis les
années soixante-dix. Tous les romanciers cités
auparavant ont certes contribué à constituer un corpus
substantiel, et parfois de façon majeure, mais à eux se
sont joints d'autres auteurs qui, pour diverses raisons, n'ont jamais
produit de romans (ni de recueils, pour la plupart). Des styles
différents, des idées nouvelles, des manières
étrangères de voir les choses...
Vonarburg est l'auteure de bon nombre de nouvelles, parmi les
meilleures de la SFQ. Elle est en train d'assembler en volumes ces
textes épars. Le premier de cette s'intitule La maison au bord de la mer (Alire). En attendant la parution du
deuxième, les lecteurs avertis feront bien de mettre la main
sur Ailleurs et au
Japon
(Québec-Amérique), Janus (Denoel)
ou L'oeil de la
nuit (Préambule). Ils
ne seront pas déçus. Pour de nombreux écrivains
et lecteurs, Vonarburg a créé le point de
référence de ce qu'est la SF
québécoise.
De l'oeuvre abondante de Daniel Sernine on retiendra son premier
recueil SF, Le vieil homme et
l'espace (Le
Préambule) et surtout Boulevard des étoiles (Encrage), qui rassemblent une bonne partie de ses
meilleures novelettes et novellas. Le tout baigne dans une
atmosphère d'horrible fascination devant la lente
désintégration des êtres.
À Esther Rochon, nous devons : Le traversier et
Le piège à
souvenirs (tous deux à
la Pleine Lune). La merveilleuse écrivaine y devient plus
ambiguë. SF? Sans doute mais les repères manquent.
D'autres se substituent et que l'on interprète de diverses
façons. Une expérience de lecture à aucune autre
pareille.
Jean-Pierre April nous a laissé quatre recueils de ses
nouvelles, avant de signaler son adieu au genre. Le plus
représentatif est sans doute Chocs baroques
(Bibliothèque québécoise). On y trouvera la
plupart des nouvelles qui ont fait la réputation de l'auteur.
Pour un éventail plus complet, y ajouter N'ajustez pas vos
hallucinettes
(Québec/Amérique).
Joël Champetier oeuvre davantage dans une SF classique, parfois
aussi hard-science qu'il est possible de l'être. Cela ne lui
empêche ni l'humour ni le sens du dépaysement. Son
unique recueil, Coeur de
fer (Encrage), montre
plusieurs facettes de son talent. Signalons, en particulier, la
nouvelle éponyme et « Survie sur Mars ».
Yves Meynard est issu de la deuxième générations
de talent SF (comme Jean-Louis Trudel, Francine Pelletier et
Claude-Michel Prévost), Meynard s'est rapidement fait
connaître comme un talent rare. C'est le spécialiste des
idées neuves et des angles de vision renouvelés. Il y a
chez lui beaucoup du Gene Wolfe qu'il admire tant, mais il y a aussi
cette touche Meynard qui ne trompe pas. On en trouvera un bon choix
dans La rose du
désert (Alire), mais
un deuxième recueil s'impose depuis longtemps. Un
éditeur osera-t-il?
Le seul recueil de Francine Pelletier, Le temps des migrations (Le Préambule), rassemble les meilleurs textes
du début de sa carrière. (Notons la présence,
entre autres, de l'excellent « La petite fille du silence
».) Depuis ce premier livre, publié il y a une quinzaine
d'années, elle a produit bien d'autres nouvelles, plusieurs de
haut niveau. Malheureusement, une fois de plus, pas d'autre recueil
pour les faire connaître à un plus large public. Rien
d'étonnant à ce que, ces dernières
années, Pelletier se soit davantage consacrée au roman.
Son cas est typique.
Mieux que dans son roman Les
gélules utopiques,
c'est dans ses nouvelles qu'on découvrira le véritable
Guy Bouchard, observateur bouleversé mais analytique des
tendances qu'il perçoit dans notre monde. Un recueil
annoncé, Andropolis, n'a
jamais paru. On en découvrira plusieurs fragments dans la
revue imagine...
, dont la nouvelle-titre.
Jean-Louis Trudel est probablement, avec Élisabeth Vonarburg,
l'écrivain SFQ le plus connu en France. Depuis quelques
années, ses (nombreuses) nouvelles ornent les sommaires de
nombreuses anthologies et de plusieurs revues de l'Hexagone. Ses
efforts de rapprochement avec la communauté SF
française ont produit des résultats indiscutables. (Il
travaille en même temps à créer des liens entre
les communautés de langue anglaise et de langue
française du Canada.) Son activité de nouvelliste est
impressionnante. Il a deux recueils à son actif,
Demain, les
étoiles (Pierre
Tisseyre) et Jonctions
impossibles (Vermillon), mais
aucun n'est vraiment représentatif de son talent de
science-fictionneur car le premier s'adresse à un public
adolescent et le deuxième rassemble essentiellement des textes
fantastiques. Les meilleures nouvelles SF de Trudel publiées
au cours des dernières années composeraient, à
n'en pas douter, un ouvrage de grande qualité.
Jean-François Somain est l'exemple type de l'écrivain
SFQ naïf, à prendre au sens artistique du terme.
Contrairement à ses confrères, il aborde la SF comme si
elle n'avait jamais existé. Les résultats sont
variables, mais il a produit, en nouvelles, de véritables
réussites. Vivre en
beauté donne une bonne
idée de sa manière et contient une novella, « Dire
non », qui est probablement son meilleur texte SF. Une dystopie
totalement réussie, d'ailleurs reprise dans l'anthologie
Horizons
divergents (Livre de
Poche).
Parmi ceux qui se sont fait connaître principalement comme
nouvellistes, on mentionnera d'abord Alain Bergeron, auteur d'un gros
livre, Amour-machines et
rêves d'anges
(éditions Vents d'Ouest, Canada). Ce dernier est sans doute le
meilleur recueil de nouvelles SF publié au Québec... et
peut-être dans la francophonie. Bergeron allie l'art du conteur
à celui du maître des idées. Le résultat
n'est jamais moins qu'étonnant. Mentionnons en particulier
« Le huitième registre », fascinante uchronie d'un
monde où l'écroulement de l'empire byzantin n'a jamais
eu lieu. (Reprise dans Horizons divergents.) Il est regrettable que le travail ait totalement
accaparé l'auteur ces derniers temps. Ses nouvelles
étaient toujours le point de mire des collectifs ou des revues
où elles paraissaient. Son retour est attendu avec impatience.
Se fera-t-il avec un roman? La rumeur court...
Depuis les années soixante-dix (il est l'un des premiers
écrivains découvert dans les pages de Requiem), Jean Dion produit, goutte à goutte, certains
des textes marquants de la SFQ. Ses nouvelles sont américaines
de manière et de style (de pensée, parfois même),
mais révèlent toujours des éclairages qui n'ont
rien d'américain. Il va du galactique (« L'intrus »)
à l'intime (« La promesse de Tom »), sans oublier le
monde d'après-demain (« L'incident Chicago »). Une
bonne partie de ces textes ont paru en volume, dans des collectifs ou
des anthologies, mais encore une fois, aucun recueil. On pourra lire
« Les voix dans la machine » dans Horizons divergents.
René Beaulieu fait partie de ces écrivains du pays qui
n'ont pas publié de roman à ce jour. Cet éternel
observateur et acteur de la scène SFQ trouverait trop peu de
temps pour produire de la fiction. Cela est fort regrettable car les
nouvelles des Légendes
de Virnie (Préambule)
et des Voyageurs de la
nuit (éditions de
l'À Venir) révèlent un auteur sensible et
attachant qu'on aimerait pouvoir goûter plus souvent. À
lire, entre autres, « Les voyageurs de la nuit », et «
Dernier chant ».
La disparition (de l'horizon SF) d'Agnès Guitard est à
déplorer car, dans les années quatre-vingt, elle avait
démontré une maîtrise impressionnante du genre.
Cela nous avait valu quatre (longues) nouvelles majeures
publiées dans divers supports. La plus connue est sans doute
« Coineraine » (in Horizons divergents ), mais toutes sont des réussites.
Claude-Michel Prévost explose sur la scène SFQ avec des
textes aussi forts que « La marquise de Tchernobyl ».
Ensuite, sur plusieurs années, d'autres textes qui
démontrent l'étendue de son talent. De « Akimento
» à « Adieu aux armes pour une fourmi-soldat »,
c'est un multi-exercice dans l'excès que nous livre
Prévost, le tout écrit de façon toujours
fascinante. Pas de recueil bien sûr. Mais cela devient une
habitude, n'est-ce pas?
Il serait difficile de définir Michel Lamontagne en quelques
mots. De tous les nouvellistes, c'est celui qui se laisse le moins
saisir, celui qui réussit le mieux à demeurer secret.
Son imagination va dans toutes les directions et nous revient avec
des nouvelles d'ailleurs. Depuis « Hypercruise », il y a
une vingtaine d'années, il ne cesse de nous étonner par
l'étendue de sa palette imaginaire. Inutile de chercher le
recueil qui réuniraient certains de ces bijoux. Trouvons et
lisons au moins « Le point Cassère ». (Dans
L'année de la
Science-Fiction et du Fantastique québécois
1990, Alire.)
Jean Pettigrew lui-même, créateur des éditions
Alire, a écrit bon nombre de nouvelles, et ce dans plusieurs
genres. Dans tant de genres, en fait, que cela fait oublier
jusqu'à quel point il joue bien des tropes SF. Sa SF,
éparpillée dans les revues et les collectifs, est
à l'image de l'auteur, toujours différente, comme s'il
redoutait de se répéter. Un recueil de ses meilleures
nouvelles de SF inclurait certainement « Les Hommes-Snoopy
meurent tous comme les chèvres du Bengale », « La
vallée des montgolfières » et « Biographie
sommaire d'un émetteur-récepteur ».
Harold Côté est le premier représentant d'une
troisième génération d'écrivains SFQ,
celle qui a poussé dans les années quatre-vingt-dix. Il
s'est fait connaître par une série de nouvelles
frappantes, tant par leur style que par (la taille de) leurs
idées. Si l'on parvient à mettre la main sur une
dizaine de numéros de Solaris ou
d'imagine..., on pourra se constituer, à
défaut d'un vrai, un recueil imaginaire de l'auteur.
Figureront en bonne place « A'T », « Le projet »
et « Le dernier hôtel ». Depuis quelques
années, il s'est malheureusement fait rare.
Mais ce (trop) rapide panorama des principaux praticiens de la
nouvelle en SFQ ne décrit pas la situation aux
premières années de ce nouveau siècle.
L'apparent succès du roman SFQ, depuis quelques années,
masque un fait plutôt alarmant. En 1997, la revue
imagine... disparaît. Les fanzines qui publiaient
de la fiction (on songe en particulier à Samizdat et à Temps Tôt)
cessent aussi de paraître. Les collectifs, eux, se sont
évanouis avec le décès de la collection «
Autres mers, autres mondes ». Si bien qu'en 1999, il faut bien
reconnaître que la nouvelle de SF est particulièrement
discrète au Québec. Les années
subséquentes ne corrigent guère la situation.
Solaris, seule survivante des revues, ne publie que
quatre fois l'an, pas uniquement de la SF, ni uniquement des auteurs
québécois...
L'avenir ne semble pas particulièrement rose pour la SF du
terroir.
SF pour la
jeunesse
De toute la production
québécoise, le roman SF pour la jeunesse qui a retenu
le plus l'attention dans le monde est sans doute Quatre Montréalais en l'an 3
000 de Suzanne Martel, qu'on
connaît surtout sous le titre : Surréal 3 000. Il est traduit dans plusieurs langues et constamment
réédité en anglais. Martel a écrit
d'autres romans SF, mais aucun n'a connu le même succès.
Un cas d'exception, donc.
Au milieu des années soixante-dix, devant les
difficultés de l'édition SF, des créateurs
québécois de talent comprennent que la SF pour
adolescents pouvait représenter une possibilité «
commerciale ». Daniel Sernine, le premier, brise la
barrière, suivi de Denis Côté. Il publie, dans la
collection « Jeunesse-Pop » (éditions Paulines,
maintenant Mediaspaul), le premier de la série Argus:
Organisation
Argus. Suivront, au fil des
ans : Argus
intervient, Argus: mission mille, Les rêves
d'Argus, sans oublier
La nef dans les
nuages, qui fait curieusement
le pont entre le monde d'Érymède et une autre
séquence, de nature fantastique, celle-là. Quant
à Denis Côté, il publie coup sur coup plusieurs
romans qui se vendent bien, avant de passer à la maison
d'édition La courte échelle, qui allait bientôt
devenir le plus important éditeur jeunesse de la province.
Bientôt, il y fait paraître la série des
Hockeyeurs
cybernétiques, qui
devait faire de lui le plus connus des écrivains SF pour la
jeunesse au Québec. Son dernier roman, L'empire couleur sang, fascinant exercice temporel à saveur
steampunk, nous conduit aux quatre coins du monde et du temps.
Certains de ces romans ont connus des traductions en anglais.
Outre Denis Côté, seul Jacques Lazure a su se faire une
réputation en dehors des créneaux de publication
habituels. Ses oeuvres frôlent la SF ou s'y campent
carrément, ses intrigues ne manquent jamais de surprendre. Les
nombreux prix qui ont couronné ses oeuvres démontrent
clairement sa popularité auprès du public et des
critiques. Pellicules-cités, Le domaine des
Sans Yeux et Monsieur N'importe Qui (un recueil) doivent être lus. Tous
chez Québec/Amérique.
Lorsqu'il deviendra directeur de la collection jeunesse chez
Médiaspaul, Daniel Sernine ouvrira grandes les portes de la
collection aux auteurs qui produisaient déjà depuis
quelques années. (Avec le temps, la collection «
Jeunesse-Pop » deviendra identifiée à la SF et
à la fantasy.) Parmi
ceux qui acceptent l'invitation, mentionnons tout d'abord Francine
Pelletier, qui y publiera bientôt les aventures de deux jeunes
gens dans une galaxie à la fois différente et
familière (Mort sur le
Redan, Le crime de l'enchanteresse, Le septième écran,
La saison de l'exil, La planète du mensonge ). Joël Champetier, pour sa part,
s'illustrera surtout dans la fantasy (la
série de Barrad), mais on lui doit aussi le délicieux
La mer au fond du
monde, qui appartient, lui,
à la SF la plus dure. Guillaume Couture fait deux apparitions
remarquées avec Les
forêts de Flume et
La sphère
incertaine. Alain Bergeron
confie deux titres SF à la collection : Le chant des hayats et L'ombre dans
le cristal. (Des romans
peut-être trop sages.) Dans les années quatre-vingt-dix,
c'est Jean-Louis Trudel qui deviendra le pilier de la collection. On
lui doit plusieurs romans (plus d'une vingtaine, si l'on ajoute ceux
appartenant à d'autres genres et les collaboration dues
à « Laurent McAllister »), presque tous dans la
collection « Jeunesse-Pop », volontiers regroupés en
séries, avec comme toile de fond une histoire du futur
cohérente. (Ses nouvelles s'inscrivent aussi, pour plusieurs,
dans la même séquence historique.) Même lorsqu'il
écrit pour adolescents, Trudel met à contribution ses
vastes connaissances scientifiques et historiques. (Voir, par
exemple, sa plus récente série: Les bannis de Bételgeuse, Les
contrebandiers de Cañaveral, Guerre pour un harmonica, Les
transfigurés du Centaure.) Dernière venue dans la collection, Michelle
Laframboise est l'auteure de deux romans jeunesse (d'autres s'en
viennent). Elle y révèle une imagination colorée
et grouillante. (Lire Les
nuages de Phoenix et
Piège pour le
Jules Verne, premier volet
d'une trilogie.)
Cet aperçu semble peut-être un peu bref, mais il faut
bien reconnaître que trop souvent la production SF pour la
jeunesse n'a pas été à la hauteur. Dans trop de
romans, depuis les années soixante, les thèmes SF
relèvent malheureusement de la simple coquetterie. Les
éditeurs, pour la plupart, démontrent une
méconnaissance du genre qui mène le plus souvent
à la publication d'ouvrages médiocres. On notera,
cependant, la présence de romans réussis comme
l'intéressant Odyssée du Pénélope (Héritage) de Jean-Pierre Guillet ou
Les ailes de lumière
(Pierre Tisseyre) de
Jean-François Somain, preuve que des bijoux se cachent parfois
dans la fange.
Malgré tout l'intérêt que peut représenter
la littérature SF pour la jeunesse, et sans vouloir la
dévaloriser de quelque façon que ce soit, il ne semble
pas qu'elle puisse remplacer la SF destinées aux lecteurs
adultes. La solution à la relative rareté des
marchés ne se trouve donc pas dans cette direction.
Une
définition? Pas de définition.
Il est difficile de percevoir
des tendances ou des écoles dans la SF
québécoise. On sait, bien sûr, que les
écrivains de SFQ ont gravité pour certains autour de
Solaris, et pour d'autres autour d'imagine... . Mais si cela a pu créer des divergences
d'opinions et parfois des batailles rangées, cela n'a pas
créé de divergences particulières dans la
production. Chaque fois, le produit se révélait
entièrement québécois.
La SFQ se définit plus généralement par
l'addition de ses producteurs que par un ou des courants plus larges.
On relèvera quand même certaines
caractéristiques.
La chose a été notée depuis longtemps, un grand
nombre d'écrivains SF ont tendance à écrire dans
le cadre de cycles. Cela est vrai de Sernine, de Vonarburg, de
Rochon, de Beaulieu, de Pelletier, de Trudel et de bien d'autres.
Plusieurs ne se gênent pas pour unir des cycles en apparence
opposés (SF et fantasy, SF et
fantastique). À cette tendance, des exceptions, bien
sûr. Alain Bergeron, Jean Dion, Joël Champetier, Harold
Côté refusent absolument de revenir à un univers
SF déjà décrit. Cela nous vaut chaque fois une
nouvelle surprise.
Dans un autre ordre d'idées, on notera que la tendance, en
SFQ, est résolument pacifiste... et souvent franchement
désespérée. En effet, s'il est vrai que la SFQ
est clairement anti-guerre (à l'image des gens du pays) elle
ne saurait être définie comme une littérature
optimiste. Les lendemains promis n'ont le plus souvent rien
d'enthousiasmant, ne ressemblent aucunement aux « demains »
américains. Plus souvent qu'autrement, les futurs
déchantent. Peut-être doit-on voir là un grain de
la sagesse des petits peuples... À moins que ce ne soit une
marque de leur faiblesse.
On notera aussi, grosso modo, une prépondérance des
idées sur le style, ceci sans préjuger des
qualités de styliste d'une Vonarburg, d'un Bergeron, d'une
Rochon, d'un Sernine ou de tant d'autres. Une nouvelle facette de
notre penchant américain, sans doute. (Pourtant, les
productions québécoises apparaissent souvent un peu
hermétiques et literary
à nos confrères anglophones canadiens, qui trouvent que
nous faisons souvent bon marché des idées. Une autre
différence culturelle, sans aucun doute. L'historique
ambiguïté québécoise doit apparemement se
faire aussi sentir dans sa production SF.)
Enfin, toutes proportions gardées, la présence des
femmes se fait fortement sentir sur la SFQ, autant ou plus que dans
la SF américaine, et certainement plus que dans les autres SF
« nationales ». Près de la moitié des
producteurs sont des femmes. Cela éclaire sans doute sur
certaines caractéristiques précédemment
évoquées.
Dernier trait particulier de la SFQ : les auteur(e)s de SFQ publient
peu en France, pourtant marché naturel pour un écrivain
francophone. Jean-Louis Trudel est l'un des rares à s'y
risquer, avec un succès certain. Ce n'est pas là le
signe d'un manque de talent - les éditeurs français
disent ne jamais ou presque jamais recevoir de manuscrits
québécois - mais pour plusieurs raisons, les
écrivains de SF d'ici préfèrent publier chez
eux. On sent, consciente ou inconsciente, une volonté
d'édifier l'édifice sur le terrain paternel et pas
ailleurs. En gardant l'oeil bien ouvert sur ce qui se passe autour,
bien sûr.
Conclusion
Même lorsqu'on la
déclarait mourante, la SFQ a chaque fois su reprendre de la
vigueur. Malgré le pessimisme que j'étalais plus haut,
j'ai toujours confiance en elle. Elle a fait ses preuves dans le
passé, je ne doute pas qu'elle les fera encore dans l'avenir.
(Les noms de Sylvie Bérard et de Mehdi Bouhalassa devraient
rassurer ceux qui voient avec inquiétude l'avenir de la
nouvelle de SF au Québec. Voilà des écrivains
dont on attend beaucoup.)
Il y a une relève, malgré les apparences. Encore
faut-il que celle-ci dispose de suffisamment de lieux de publication
pour y développer son talent. En l'an 2003, ce n'est
malheureusement plus le cas au Québec.
Ce qui m'inquiète, finalement, ce n'est pas tellement l'avenir
de la SFQ que son présent. Sans doute ne s'agit-il que d'un
mauvais moment à passer. Il se pourrait que naisse une
nouvelle revue, que des fanzines et des collectifs apparaissent et
déjà la situation s'en trouverait fabuleusement
améliorée. Mais je ne vois toujours rien de tout cela
à l'horizon...
Y a-t-il manque de créateurs? La question se pose. La
communauté des producteurs de SF n'a jamais été
bien grande, de toute façon. J'ai mentionné deux
douzaines d'écrivains dans les pages qui
précèdent. Ajoutons-en le même nombre et on aura
une idée du bassin d'écrivains de SF au cours des
vingt-cinq dernières années. De ce nombre, certains se
sont éloignés de la SF. Certains n'ont jamais
publié que dans les fanzines, et n'ont pas atteint le niveau
professionnel. Certains n'ont publié que quelques textes.
Parmi ceux qui pratiquent toujours la SF, la plupart écrivent
aussi (et de plus en plus) dans d'autres genres. La SFQ ne peut donc
compter sur un grand nombre de producteurs.
D'autre part, la triste réalité est qu'après une
période de tolérance de la part de l'establishment
littéraire québécois, la SF est redevenue, au
Québec - et peut-être le même
phénomène existe-t-il en France -, une
littérature qui se vend mal. Moins bien, en tout cas, que la
fantasy ou le fantastique. Les résistances se
font encore sentir partout dans les média. La SF est toujours
considérée comme une littérature pour
sous-doués et lorsque c'est bon, rengaine connue, c'est que ce
n'est pas de la SF. Malgré la présence d'un talent
évident, la bataille pour la reconnaissance de la SF est
encore loin d'être gagnée et la situation fragile de la
SFQ actuelle n'aide en rien ses possibilités d'expansion.
Compte tenu de l'ensemble des difficultés rencontrées,
le plus surprenant est sans doute qu'une telle chose que la SF
québécoise ait existé, existe toujours.
Guy Sirois
© 2003
Biographie de
Guy Sirois
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ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
différentes saisons
# 21 automne 2003
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