Coeurs perdus en Atlantide

Albin Michel,3/ 2001.

(Hearts in Atlantis est paru le le 14 septembre 1999 aux USA ).

Sauf pour mettre en scène des enfants, King n'a pas utilisé la période historique de la seconde partie des années soixante, pendant lesquelles se déroulait la guerre du Vietnam, et n'a pratiquement pas évoqué ses années d'université (une seule nouvelle en parle brièvement, La révolte de Caïn, sur le thème de la tuerie collective qui a fasciné King pendant ses jeunes années). Il le signale dans Anatomie de l'horreur : "Si j'ai délibérément évité d'écrire un roman se passant dans les années 60, c'est parce que cette époque me paraît aujourd'hui infiniment lointaine, comme si quelqu'un d'autre l'avait vécue." (187) C'est dire avec quel intérêt le lecteur attendait ce recueil, dont il savait qu'il comportait un long développement sur la vie d'étudiant de King à l'université du Maine (1966/70)
L'éditeur présente l'ouvrage comme un roman : en fait, il est difficile de lui donner une dénomination. Composé de deux novellas (dont une très longue), de deux nouvelles et d'une coda inclassable, ce récit se passe à des périodes différentes, sa cohérence est assurée par la présence, dans chacun des segments, de relations avec un épisode qui s'est produit entre plusieurs adolescents, l'agression brutale d'une fillette par quelques voyous qui a durablement marqué aussi bien les agressés que les agresseurs. Les situations conflictuelles du roman découleront de cette agression. Certains de ces personnages réapparaissent, devenus étudiants ou adultes, toujours marqués dans leur comportement adulte par ce vécu enfantin. Ce mince lien servira de fil conducteur, et nous permettra de suivre la vie de ces préadolescents devenus des hommes.
La première novella - presque un roman - nous rappelle des souvenirs d'enfants, à l'âge et à la date (1960) où King (né en 1947) pourrait les avoir vécus. Le sujet a été longtemps évoqué par King ( les produits les plus marquants sont
Le Corps, Le Talisman, Ça), avant de les abandonner pour y revenir ces dernières années, mais avec un autre état d'esprit. Il ne s'agissait plus maintenant d'évoquer avec émotion des souvenirs liés à la période où l'enfant bascule dans la préadolescence, mais d'insérer des enfants dans des histoires les utilisant pratiquement comme des adultes : David, dans Désolation; Seth, dans Les Régulateurs; Trisha, dans La petite fille qui aimait Tom Gordon. Nous voici donc revenus à Le Corps et à Ça : même âge des protagonistes, mêmes problèmes avec les adultes, leurs échappatoires dans leurs loisirs et leurs sentiments d'enfants. Bien que ce type de récit kingien, si souvent traité, ait perdu toute originalité, le charme opère encore, et le lecteur est vite saisi par un récit qui oppose la difficile entente d'un jeune garçon avec sa mère veuve, et la richesse des rapports qui s'établissent avec un vieil homme, Ted, venu habiter leur logement. Avec Ted apparaissent des éléments liés à la saga de la Tour Sombre. De mystérieux êtres en jaune, aux formes changeantes comme beaucoup d'êtres du monde de la tour, utilisant des voitures voyantes, cherchent en effet à s'emparer du vieil homme, avec des allusions (le roi Pourpre, les pétales de rose) que seuls les kingiens avertis pourront comprendre. De graves faiblesses sont malheureusement liées à cette intrusion. On cherche vainement le sens de l'utilisation par les hommes jaunes d'affichettes recherchant des animaux, ou punaisées à l'envers, des signes particuliers (queue de cerfs-volants!). Une pauvre explication ne justifie pas ces éléments qui occupent une partie du récit (Bobby les recherche pour le compte de Ted) : "Je pense qu'il doit s'agir d'un moyen de communication, même si on peut se demander pourquoi ils ne se retrouvent pas tout simplement au Colony Diner pour échanger leurs informations." (58) Cette intégration faiblarde d'éléments insolites, véritable placage, ne me paraît pas enrichir la nouvelle, qui présente des qualités de tendresse, de compréhension, de réflexion clairvoyante sur la perte de l'innocence. Peut-être leur sens apparaîtra -t-il plus tard : pour l'instant, ils faut vite les oublier, pour ne retenir que la description de vies enfantines où King est passé maître, leurs affections et leurs amours (Bobby a deux copains, Carol, une fille, et Sully-John, un garçon de son âge), leur naïveté roublarde et leur apprentissage du mensonge, le gâchis que certains parents apportent dans la vie de leur progéniture, comme ici la rapacité, l'indifférence ou la méchanceté de la mère..

Les quatre récits qui suivent sont liés à la guerre du Vietnam. La seconde novella, récit à la première personne de l'étudiant Peter, se déroule pendant le dernier trimestre 1966, date où King entre à l'université du Maine (où se passe le récit). Ma déception paraîtra discordante dans le flot des louanges touchant l'oeuvre. Mais il faut bien que j'avoue que le contenu de
Chasse-coeurs en Atlantide m'a vraiment déçu. Bien sûr, est décrite l'intéressante prise de conscience, en quelques mois, par de jeunes étudiants jusque là indifférents, des réalités politiques de l'époque. Ces trois mois peuvent expliquer partiellement l'évolution personnelle de King, et, à ce titre, offrent des perspectives nouvelles, à la fois pour comprendre les exigences des jeunes pour un changement de société (le mouvement français de 1958 s'est produit brutalement en France, alors qu'il s'est étalé sur plusieurs années aux USA) et leur hostilité à une guerre infâme et meurtrière. On aime se représenter le jeune Steve révolté de la couverture du Maine Campus de 1969 où, étudiant barbu, chevelu, agressif, le fusil à la main, il injoncte ironiquement à ses condisciples d'étudier, alors que la confusion et le désordre en rapport avec la guerre du Vietnam règnent alors sur les campus universitaires. On évoque volontiers un King élevé dans un républicanisme de droite bon teint devenant gauchiste en arrivant à la fac, comme il le dit dans certaines interviews. On ne subit telle évolution, peut-on croire, que par une prise de conscience politique des problèmes d'une société en crise, une analyse, serait-elle sommaire, des dysfonctionnements d'une collectivité mal dirigée et mal régulée. La suite logique de l'intransigeance de Rage. On pouvait admettre que, plus tard, l'étudiant King, déçu par les faiblesses d'une position politique morale, mais idéaliste, prenne à la sortie de la fac ses distances avec tout mouvement révolutionnaire, ou simplement contestataire. Mais quand il se décide, plus de trente ans plus tard, à évoquer ces années, c'est pour ramener des événements historiques à des situations individuelles d'enfance, de révolte ou de repentance... Carol, la fillette du premier récit, qu'on retrouve ici étudiante, participe à des manifestations politiques contre le Vietnam? Pas de justification politique : elle répond à une impulsion qui vient de son enfance, quand, agressée et blessée par trois loubards, elle a été secourue par Bobby : "C'est alors que Bobby est arrivé. Il m'a raccompagnée hors du parc et m'a portée jusque chez lui. Il a remonté tout Broad Street Hill alors qu'il faisait une chaleur écrasante. Il m'a portée dans ses bras." (345) Il a ensuite, bien que plus faible, donné une solide raclée à l'agresseur Harry : "La seule chose qui mérite que je m'en souvienne, c'est que Bobby Garfield a pris fait et cause pour moi. (...) J'ai toujours voulu lui dire combien je l'aimais pour ça, et combien je l'aimais pour avoir montré à Harry Doolin qu'on ne s'en tirait pas comme ça quand on s'en prenait aux gens, en particulier à ceux qui sont plus petits que vous et qui ne vous veulent pas de mal." (346) Il est décevant de voir quelles leçons politiques King tire de cet incident ordinaire dans la vie des enfants : l'agressée, devenue étudiante à l'université, participe à des manifestations contre la guerre du Vietnam pour remercier rétrospectivement celui qui lui a porté secours. Pour qui a vécu l'effervescence bouillonnante des idées à cette époque, la comparaison et la mise en critique des systèmes politiques et sociaux existants, le radicalisme dans la remise en cause des institutions, il paraît bien mince de voir ramener des prises de position fondamentales à un geste d'altruisme consécutif à un traumatisme vécu dans l'enfance. Pas meilleure se révèle la prise de position collective du groupe d'étudiants en faveur d'un handicapé qui risque l'exclusion pour avoir tagué un mur d'une inscription contre la guerre : leur soutien ne vient-il pas du fait qu'ils se sont d'abord abondamment moqués de cet handicapé qui avait fait une chute? Et leur approbation du signe de la paix de Russell (la patte de poulet américain!) tient de l'imitation et du remords, et non d'une conviction profonde. La prise de conscience politique est dérisoire. De la psychologie - et d'envergure limitée - utilisée pour expliquer l'histoire... On ne saurait mieux dire les limites des prises de conscience chez King des insuffisances ou des tares de notre société. Le refus partiel de ce monde se traduit chez lui par une tendance à se tenir en marge d'une société sur laquelle il porte un regard acéré et critique, mais que, finalement, il est incapable de vraiment dominer. King est remarquablement doué pour saisir des situations individuelles, et tout se ramène, dans son oeuvre, aux comportements d'individualités. Qu'il ait personnellement vécu ainsi ces événements n'est pas singulier. La plupart les ont traversés ainsi sans rien voir, ou n'y ont vu que des opportunités comme celle de «se lever» une fille en participant à un mouvement. Mais on pouvait attendre davantage : quelle force cette période aurait-t-elle pu prendre dans cette novella si elle avait été vécue par un Charlie comme dans Rage, le King lycéen contestataire et sans concession de dix-sept ans? Si elle avait été décrite dans la foulée de Rage, ou de Marche ou Crève, au moment même des événements?
Ces réserves faites, l'importance de cette novella est indispensable à la compréhension de King. Le grand tournant que constitue le fait d'assumer sa vie, alors qu'au lycée la voie était tracée par le système, avec la difficile conquête de l'individualité et du contrôle de soi, la fin de l'enfance et l'acceptation du monde adulte et de ses duretés, n'est pas facile. King insiste sur l'importance de ces transformations : "
Je suppose que le temps des changements, celui où se produisent les dernières convulsions de la jeunesse, mais je doute qu'il y en ait jamais eu d'une ampleur comparable à ceux que connurent les étudiants qui débarquèrent dans leur campus à la fin des années soixante." (271) Mais ce que le lecteur retient de la novella, c'est le niveau très médiocre de la motivation pour les études de ces jeunes gens, l'impression qu'elles sont une obligation, mais ne leur servent à rien si ce n'est à obtenir les notes qui permettront de garder leur bourse universitaire et le sursis qui leur permet d'éviter le Viêt-Nam, et que l'évasion (dans des parties de cartes endiablées et interminables dans le cas présent, menée une grande gueule à la personnalité douteuse, Malenfant) est la seule issue qui présente quelque intérêt. Le combat politique paraît, dans cette perspective, plus la conséquence d'une sorte d'entraînement collectif qu'un choix lucide et motivé.

La novella permet de préparer le terrain pour les trois autres récits qui se déroulent en 1983 et à notre époque. Le tourbillon de ce dernier trimestre 1966 a disparu, remplacé par un mal-être, un manque, une sorte de grand vide que les personnages, amers, aigris, voire déboussolés ou torturés ne savent comment combler. Dans les deux nouvelles suivantes, ils sont hantés par les souvenirs de leur passé. Willie est aussi bien marqué par sa guerre du Viêt-Nam que par l'épisode pendant lequel Carol a été battue. Moins cynique que les autres, plus religieux aussi, il en garde le désir de se repentir, et passe son temps à recopier interminablement sur des cahiers : je suis désolé. Il s'est inventé une vie compliquée et peu compréhensible, pour concilier les apparences d'un homme d'affaires vivant dans l'aisance et se rendant à son bureau dans un costume de marque, avec la pratique de la mendicité, sa seule source de revenu (il vaut mieux passer sur l'épisode tortueux du passage d'un bureau à un autre par une trappe qu'il a spécialement aménagée). Sur son trottoir, il se présente comme un ancien du Viêt-Nam, médaillé, mais oublié, et, dans ses vêtements militaires, parle occasionnellement de ce qu'il a vu là-bas. Signe concret de son remords, il collecte l'argent des donateurs dans le gant de base-ball abandonné par Bobby lors du sauvetage de Carol. Hystériquement, il devient aveugle dans sa période de mendicité - comme il l'a été un moment au Viêt-Nam. Sa longue pénitence tient lieu de confession, mais il s'arrange pour garder les billets des donateurs pour lui sans remords, en offrant les pièces aux églises, mêlant ainsi Dieu à ses curieuses manigances. Il faut signaler que, pour corser le récit, King lui a fait rencontrer au Viêt-Nam l'animateur du jeu de cartes jadis à la fac, qui fait participer son groupe à ses parties de chasse-coeurs. Il a aussi sauvé de la mort au Viêt-Nam l'ancien ami de Carol, dont il évoque fréquemment le souvenir. Contradictoirement avec ses idées de repentance, il pense faire disparaître un policier véreux qui le taxe abusivement. On ne peut pas dire que la nouvelle, avec ses curiosités, suscite particulièrement l'enthousiasme.

Le quatrième texte met en scène, à la même date, le copain de Carol, Sully-John, jadis sauvé par Willie au Viêt-Nam. Il est hanté par le souvenir d'une vieille femme indochinoise que Malenfant, le passionné de cartes de l'université retrouvé là-bas, a tué à coups de baïonnette. Il s'est fait soigner (diagnostic : fantasme et transfert) et, avec le temps, la voit moins. À l'enterrement d'un ancien du Viêt-Nam, il évoque avec son ancien lieutenant la situation de ceux qui sont revenus de là -bas, la plupart malades (il est question du défoliant, l'agent orange). Il évoque longuement et avec amertume la situation de désespérance des survivants des années soixante : "
Notre conception d'un grand changement dans la vie se résume à l'achat d'un clébard. Les filles qui ont brûlé leur soutien-gorge autrefois achètent maintenant de la lingerie en soie et les types qui baisaient témérairement pour la paix sont maintenant des obèses qui restent tard le soir devant l'écran de leur ordinateur, et se tirent la tige en regardant des photos de gamines de dix-huit ans sur Internet. C'est nous, tout ça, frangin, on aime bien mater. (...) Mais il y a eu une époque... ne rigole pas, vieux, il y a eu une époque où nous avions tout entre les mains. Vraiment. Tu ne savais pas?" (258) Passons sur les illusions que contient cette affirmation. Il y avait beaucoup d'égoïsme frustré et de recherche de satisfactions immédiates dans le comportement des jeunes de la fin des années soixante, à côté d'une véritable générosité et surtout, une croyance quasi absolue dans le pouvoir de l'imagination. Rien n'est plus labile et vague que les suggestions de l'imaginaire, où le réel est complètement mis de côté. King croit-il lui-même qu'à cette période, tout était possible? Il n'a pas dû le croire longtemps. Lui-même déclare, à sa sortie de l'université, dans la dernière de ses chroniques du Maine Campus (21 mai 1970) qu'il est bien revenu de ses espérances : "Si quelqu'un, alors qu'il prenait conscience des réalités, a pu dire qu'il allait «changer le monde avec la vigueur et l'oeil brillant de la jeunesse», maintenant ce jeune homme est prêt à tout envoyer promener et à prendre la fuite, comme un homme qui ne se sent plus tellement l'oeil brillant; en fait, il se sent vieux de deux cents ans." (George Beahm, The Stephen King Story, 67) La désillusion des jeunes des années soixante n'est donc pas récente, et elle a suivi de près les événements. Ce qui se passe avec sa génération ne devrait donc pas l'étonner... Il est facile de se moquer des «vieux» soixante-huitards se masturbant devant leur télé... Ils sont loin d'être les seuls. Oserai-je utiliser le terme d'exemple «simpliste»?
Le seul passage original de cette nouvelle tient dans la chute inexpliquée du ciel d'objets les plus variés lors d'un embouteillage, dans lequel Sully-John meurt d'un infarctus. Seule explication possible (les journaux ne rapportent rien sur la chure des objets) : durant les quelques secondes qui séparent sa vie de sa mort, Sully-John a vu symboliquement les objets de la société de consommation les plus variés écraser les automobilistes, comme sa génération a été écrasée par cette même société matérialiste (remarquons sa lucidité quand même exceptionnelle pour un mourant, compte-tenu du luxe de détails dont King parsème sa description!) Le plus étonnant étant la chute d'un gant de base-ball, évidemment celui de Bobby, possédé ensuite par Willie... Il y a nécessairement de la Tour Sombre là-dessous.

C'est ce que nous confirme la coda d'un quinzaine de pages qui clôture le recueil, où l'on retrouve Bobby, seulement mis en scène dans le premier récit (mais souvent présent dans les esprits ou les conversations). À cinquante ans, il est revenu sur les lieux de son enfance après de longues années d'absence (situation déjà rencontrée dans
Ça). Ce ne sont pas ses impressions de retour qui constituent l'essentiel, mais sa rencontre avec une Carol fantomatique, devenue énigmatiquement une autre. Carol, dans la réalité morte avec d'autres révolutionnaires lors d'un combat avec les forces de l'ordre, apparaît sous une autre identité, a changé de personnalité (professeur de maths et non de littérature). Cette coda, par sa sobriété et son efficacité dans les liens qu'elle établit entre divers personnages et objets rencontrés dans le recueil, propose des énigmes au lieu d'éclaircir et de dénouer la situation. Réapparaissent mystérieusement le gant de base-ball, qui avait servi de sébile à Willie avant de dégringoler du ciel sur la tête de Sully-John lors de sa mort dans un embouteillage; le roman de William Golding Sa Majesté des Mouches, qui avait eu de l'importance dans les deux premières novellas. Avec des interventions de Ted, qui reste toujours présent quoique ailleurs, ce sont les dernières intrusions du monde de la Tour à notre époque, dans une situation où le monde réel et le monde des rêves se superposent, créant une certaine forme de magie, et suggérant que les apparences de notre monde ne sont qu'un mince vernis, cachant quelque chose d'autre.

Le lecteur se trouve ainsi en présence d'un ensemble disparate et inégal, de qualité nonobstant les importantes réserves de fond qui ont pu être faites. La première novella est superbe pour les situations d'enfance évoquées plus haut, mais aussi la place donnée aux livres et aux films qui peuvent bouleverser et enrichir une vie. L'utilisation du roman de Golding en leitmotiv dans plusieurs textes est une trouvaille de choix, qui n'est pas gâchée par des considérations ou des incidents importuns. Le contexte historique de la guerre froide et de l'affirmation de la jeunesse comme force autonome paraîtra sommaire à celui qui a connu cette époque, mais suffira peut-être aux autres. La sinistrose de ces années de fac privées de sens pour beaucoup d'étudiants, la confusion de leurs sentiments, la peur des parents qui continuent à jouer un rôle important, l'absence de perspective des sentiments amoureux donnent à l'ouvrage tristesse et impression de fermeture. Cette description de la vie dans ses méandres et sa complexité, ses plaisirs et ses blessures, forme finalement un panorama sombre de ce qui s'est passé dans cette fin de siècle. Marqués par leur culpabilité et hantés par les souvenirs du passé, certains ne seront plus que des handicapés de la vie. Le meilleur se situe dans ce que King a raconté avec son coeur, plutôt qu'avec des combinaisons à intentions littéraires douteuses; dans ce qu'il n'a pas calculé, dans ce qu'il a écrit en étant lui-même au lieu de succomber à ses démons familiers et de tomber dans l'artifice. Ce livre est marqué par un grand amour, une compassion bienveillante envers les hommes. Même Malenfant le bien nommé, qui perturbe la scolarité de ses condisciples et en conduit un grand nombre au ratage de leurs études, est humanisé en tant que suppôt du mal, et fait pitié plutôt qu'horreur. Il ne se révèle vraiment maléfique qu'au Viêt-Nam quand, vociférant à son habitude et tenant les autres sous son emprise trouble, il se montre sous son vrai visage, un assassin et un prédateur sans scrupules. Ce livre finalement plaira davantage pour son romantisme littéraire et sa sentimentalité que par sa vérité historique.

Roland Ernould
© mars 2001.

version audio

5 récits au lieu des quatre prévus initialement :

- Low Men in Yellow Coats se rattache au Cycle de la Tour Sombre; Hearts in Atlantis; Why We're in Vietnam; Blind Willie (déjà parue dans Six Stories, 1997). S'y ajoute maintenant: Heavenly Shades of Night Are Falling, qui aide à boucler le recueil et à lui donner une unité qui le fait plus ressembler à un roman que la première version.

Résumé du recueil.

Les 5 récits ont tous un rapport avec les années 60. Pour ceux qui n'étaient pas nés à cette époque, précisons que le premier roman de King, Carrie, a été publié en 1974, l'année qui a précédé les derniers retraits de troupe du Vietnam. Depuis 10 ans, les images de cette guerre et celles des manifestations hostiles qu'elle avait suscitées envahissent les petits écrans aux USA. Ces cinq nouvelles sont étroitement liées et ont pour cadre les 40 dernières années de ce siècle. Chaque récit plonge ses racines dans les années 60 et reste dominé par la guerre du Vietnam.

Dans Low Men in Yellow Coats, Bobby Gardfield, un petit garçon de 11 ans, découvre que méchanceté et rapacité dominent le monde qui l'entoure. Il découvre également que les adultes, loin d'apporter secours et réconfort, sont parfois au coeur de l'horreur.

Dans Hearts in Atlantis, qui donne son titre au recueil, un groupe de jeunes lycéens se prend de passion pour un jeu de cartes, découvre les possibilités de la contestation et doit affronter au sein même du groupe les forces des ténèbres.

Dans Why We're in Vietnam et Blind Willie, deux hommes, qui ont grandi dans la même banlieue du Connecticut que Bobby, essaient désespérément de combler le vide des années qui ont suivi la guerre du Vietnam dans une Amérique qui parfois semble tout aussi vide et tourmentée que leur propre existence.

Enfin, dans Heavenly Shades of Night Are Falling, qui constitue le dénouement de ce livre remarquable, Bobby retrouve les lieux où il a grandi et où l'attendent peut-être un ultime secret, la possibilité de se racheter et ses plus chères espérances.

Ce nouveau recueil de King allie frissons et suspense et révèle beaucoup de compassion. Il emménera certains lecteurs là où ils ne se sont jamais aventurés et d'autres là où ils sont demeurés sans pouvoir réellement en sortir. Il décrit bien l'atmosphère des années 60. Chaque récit est relié au suivant d'une certaine façon et regorge de références historiques. L'impact de l'ensemble du recueil est remarquable.

 

Présentation de Hearts in Atlantis par Stephen King.

 

Une préface inédite de King traduite en français pour ce site.

En complément de l'édition de poche de Bag of Bones (parue cette première semaine de juin) on trouve une lettre de Stephen King, qui nous parle de Hearts in Atlantis, du passage à l'âge adulte dans les années soixante, du métier d'écrivain en général avec un petit commentaire sur son livre On Writing, qui combine souvenirs et conseils techniques:"Je crois qu'ils ne mettront jamais ce livre au
programme dans les écoles. Je me suis trop amusé pour l'écrire" Cette lettre, avec d'autres informations, peut être consultée en langue anglaise sur
http://www.simonsays.com/king/heartsletter.cfm


L'édition de poche de
Bag of Bones comporte cette lettre de Stephen King:

Fidèles lecteurs,
J'espère que
Bag of Bones vous aura empêché de dormir au moins une nuit. Désolé, c'est comme ça que je suis. Moi-même, je n'ai pas pu dormir pendant une nuit ou deux et depuis que j'ai écrit ce bouquin, j'hésite à descendre à la cave -je m'attends toujours à ce que la porte se referme, que les lumières s'éteignent et que l'on se mette à frapper de grands coups. Mais c'est aussi ce qui est amusant, du moins pour moi. Si je ne me sens pas très bien, surtout n'appelez pas le médecin.
Lorsque je suis venu trouver Scribner and Pocket Books, je leur ai proposé trois ouvrages très différents. Le premier, c'est le roman que vous venez de lire (si du moins vous n'êtes pas l'un de ces curieux individus qui commencent par lire ce qui est à la fin d'un livre), le second était un recueil de nouvelles, et le troisième
On writing, un essai sur le métier d'écrivain qui combine souvenirs et conseils techniques. Je crois qu'ils ne mettront jamais ce livre au programme dans les écoles. Je me suis trop amusé pour l'écrire.
Mais je m'écarte du sujet.

J'ai pensé que le recueil de nouvelles serait d'un abord plus facile. Il devait être un peu plus important que Night Shift (mon premier recueil) et un peu moins important que Skeleton Screw (mon second recueil). J'avais à ma disposition tout un tas de bonnes histoires dont quelques-unes avaient paru dans de petits magazines et plusieurs étaient restées inédites (seules deux nouvelles Everything's Eventual et The Man in the Black Suit avaient été publiées dans des magazines à gros tirage). J'avais même un titre tout trouvé pour ce recueil, One Headlight, d'après la chanson des Wallflowers -il paraissait tout à fait approprié. Si écrire des nouvelles ce n'est pas atteindre son but avec un seul phare, alors je ne m'y entends pas.
[One Headlight = un seul phare. NdT]

Mais voilà. Quelque chose d'inattendu s'est produit. Je crois que j'étais plus ou moins stimulé par la venue d'un autre éditeur et de nouveaux lecteurs; mais surtout j'avais trouvé une bonne idée et je m'étais laissé emporter par cette idée. Entre les différentes périodes de travail intensif sur Bag of Bones (sur la longue ligne sinueuse qui mène à leur publication, j'ai découvert que les livres reviennent vous tourmenter comme des accès de fièvre), j'ai écrit une nouvelle intitulée Hearts in Atlantis. C'est un de mes «petits romans», une oeuvre trop longue pour être une nouvelle, mais trop courte pour être considérée comme un véritable roman. Au cours de ma carrière où l'on n'a pas cessé de ma reprocher d'écrire des ouvrages beaucoup trop longs (comme par exemple, The Stand, It ou The Tommyknockers), j'ai écrit une douzaine de ces petits romans et je les ai gardés pour être publiés à part dans des recueils séparés. Le premier de ces recueils a été Different Seasons, le second Four Past Midnight. J'aime beaucoup ces deux livres; les histoires qui s'y trouvent comptent parmi celles que je préfère. Cependant je n'avais pas l'intention de publier un recueil de ce type après Bag of Bones, car je n'avais plus d'histoires en réserve, mes tiroirs étaient vides. C'est alors qu'est arrivé Hearts in Atlantis, et cela a déclenché chez moi quelque chose qui attendait patiemment de s'exprimer depuis trente ans ou davantage. J'étais un enfant des années 60, j'étais aussi un enfant de la guerre du Vietnam et j'ai toujours eu eu envie au cours de ma carrière d'écrire quelque chose sur cette époque, depuis The Fish Cheer jusqu'à la chute de Saïgon, en passant par la fin des pantalons à pattes d'éléphant et la mort du disco funk. Bref, je voulais parler de ma génération -quel écrivain n'en a pas envie?- mais j'avais l'impression que si je m'essayais, ce serait un épouvantable gâchis. Par exemple, comment imaginer que je puisse écrire une histoire avec des personnages qui seraient adeptes de la non-violence ou qui diraient: «Hey... groovy!» [Ah, sensass! Ndt]
De Los Angeles, Gertrude Stein a dit:
«Voilà un nom qui ne recouvre rien de précis.» C'est ce que je pense des années soixante, au cours desquelles s'est véritablement forgée la conscience des hommes et des femmes de ma génération, et de toutes les années qui ont suivi et qui nous ont vu remporter quelques victoires et subir de cuisantes défaites. Il me semblait plus facile d'avaler une brique que de dire comment la première génération d'après-guerre aux États-Unis était passée des carabines à air comprimé Red Ryder aux fusils de l'armée, puis aux pistolets laser des salles de jeux. Et puis, j'avais peur. Allen Guisberg a dit: «J'ai vu décliner tous les grands esprits de ma génération.» Moi-même j'ai vu quelques-uns des meilleurs écrivains de ma génération essayer de parler de ce qu'on appelle les Baby Boomers et n'exprimer qu'un grand fatalisme dans un flot de platitudes et de lieux communs.

J'en suis venu à penser qu'il n'est pas bon, mais alors pas bon du tout, pour l'écrivain, de trop réfléchir, et lorsque je me suis mis à écrire Hearts in Atlantis je ne pensais pas à grand chose -je n'écrivais pas pour parler d'une génération d'hommes et de femmes mais pour me faire plaisir, en exploitant un incident que j'avais pu observer lorsque je n'étais encore qu'en première année de fac. Je n'avais pas vraiment l'intention de publier cette histoire, mais j'ai pensé qu'elle pourrait amuser mes enfants. Et c'est comme ça que j'ai trouvé la solution. j'ai commencé à entrevoir comment je pourrais parler de ce que nous avons failli avoir, de ce que nous avions perdu et de ce que nous étions finalement devenus, et faire tout cela sans pontifier. Je déteste pontifier dans mes ouvrages, ce que quelqu'un (peut-être Robert Bloch) a défini comme «vendre son droit d'aînesse pour avoir le privilège d'utiliser une tribune.»

Une fois terminé Hearts in Atlantis , je suis revenu en arrière et je me suis mis à écrire une nouvelle histoire d'une bonne longueur, une sorte de roman à part entière, intitulé Low Men in Yellow Coats. Il existait déjà une troisième histoire, Blind Willie. Il suffisait de l'arranger un tout petit peu pour l'adapter à ce que je voulais faire. Une quatrième histoire, également inédite (Why We're in Viet Nam), me paraissait mettre un point final et résumer ce que j'avais à dire. Mais même dans ce cas il me semblait que je n'avais pas tout à fait terminé et j'écrivis une dernière oeuvre intitulée Heavenly Shades of Night Are Falling. Hearts in Atlantis débute avec Bobby Garfield à Harwich, Connecticut (une banlieue imaginée de Bridgeport) en 1960 et se termine dans Shades of Night avec le même Bobby Garfield à Harwich quarante ans plus tard. Le produit fini (surtout avec l'adjonction de la dernière oeuvre) ressemble beaucoup plus à un roman qu'à un recueil d'histoires, mais peu importe, j'en suis assez content -je crois que toutes les histoires qui s'y trouvent sont effrayantes, drôles, tristes et font parfois réfléchir. On n'arrive jamais à dire tout ce qu'on voudrait dire mais quelquefois on réussit tout de même à trouver une piste, suffisamment pour être satisfait un certain temps. C'est une piste que je n'aurais jamais imaginé suivre il y a dix ans, un livre que je n'aurai jamais imaginé écrire et que je n'aurais jamais pu écrire si j'avais projeté de l'écrire. Pour reprendre une expression des années 60, ç'a été un véritable «happening»

Hearts in Atlantis sera disponible chez Scribner à partir du mois de septembre. Si vous étiez adolescent à l'époque où régnaient les chaussures à semelles compensées et se produisaient des groupes qui s'appelaient par exemple The Strawberry Alarm Clock, peut-être que le livre vous rappellera ce que vous avez été, ce que vous avez eu, ce que vous avez perdu et ce que vous avez acquis. Si vous êtes né après, Hearts in Atlantis vous aidera peut-être à comprendre ce que nous avons été et les raisons qui font que nous sommes devenus ce que nous sommes. J'espère bien que vous le lirez et que vous me direz ce que vous en pensez. En attendant... allez en paix, les gars.

Tous mes remerciements à Bernard Briandet qui a traduit cette préface pour mon site et à © SimonSays.com.|

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