On a comparé The Riftwar Saga (La Guerre de la Brèche), dont ce roman est le premier, au Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien. C'est aller vite en besogne. Ce roman se lit agréablement, certes, et avec intérêt, mais est loin de présenter la puissance de son illustre devancier. La démarche qui inspire sa composition est d'ailleurs l'inverse de celle de Tolkien. Quand ce dernier entreprenait sa vaste construction, il n'avait aucun modèle, et se laissait porter par une érudition d'historien, de linguiste et d'écologiste, et par des résonances venant de nombreux héritages nourris à de multiples fonds mythiques. Ce n'est que plus tard que ce monde autonome qui a ses propres lois, des êtres étranges et multiples, son vaste univers déroutant, mi-féerique, mi-inquiétant, a donné lieu à des jeux de rôles complexes, nourris par la singulière richesse de l'oeuvre, par sa géographie et son histoire, mais aussi sa botanique, sa zoologie et surtout sa symbolique.

Quand, en 1973, l'Américain, Gary Gygax, nourri de jeux et d'histoires fantastiques, a lancé le premier et le plus célèbre jeu de rôle, Donjons et Dragons, il s'est directement inspiré de l'univers du Seigneur des anneaux. Avant d'écrire, fanatique de jeux de rôles, Feist s'était mis, comme chaque participant de ces jeux, dans la peau d'un personnage et avait dû faire preuve d'imagination pour surmonter les épreuves et accomplir les missions qui lui avaient été confiées. Cette expérience des jeux de rôles lui a été incontestablement fort utile.

Quand il s'est mis à écrire, il s'est naturellement inspiré d'un jeu de rôle qu'il avait créé avec des amis, le monde de Midkemia, que leur petite maison d'éditions diffusait. On trouve dans ce premier roman le duché de Crydee, qui s'étend de la Mer sans Fins à la Triste Mer, de l'autre côté des Monts de la Tour Grise, que le duc Borric con Doin a conquis sur le royaume de Kesh, le royaume des Îles, etc, une géographie à la Tolkien sur laquelle on ne s'étendra pas plus, et dont étonnamment on ne trouve aucune carte (alors qu'une carte de Midkemia figure dans le recueil de nouvelles de fantasy de Robert Silverberg, Légendes, qui y a fait paraître une nouvelle de Feist, Le garçon du bois). À côté des humains, on trouve la compagnie habituelle des romans du genre, les elfes, les nains, les trolls, les assassins du monde des ténèbres, les troglodytes, les dragons et leurs trésors, etc. La magie est évidemment omniprésente dans ses multiples facettes. Originalité par rapport à Tolkien : ce monde pacifique subit brutalement l'invasion de forces venues d'un monde au-delà de son temps et de l'espace, celui de Kelewan : par le moyen d'une faille ouverte dans la réalité, se déversent des envahisseurs de plus en plus nombreux, qui entreprennent de conquérir Midkemia, avec une technologie et des comportements différents.

Comme dans les sagas de David Eddings, l'auteur de high fantasy auquel Feist ressemble le plus, la plupart des personnages sont des prototypes, sympathiques et positifs. Pug l'orphelin, frêle et timide, devenu l'élève du mage Kulgan, mal à l'aise avec la magie traditionnelle de son maître, sent d'autres forces en lui qui ne demandent qu'à se révéler. Il a sauvé de la mort une princesse fantasque, qui lui voue subitement un embarrassant amour de jeunesse. L'ami fidèle, Tomas, inversement grand, fort et guerrier, apprendra à devenir un chef de guerre, aidé par une armure magique, héritage d'un dragon. Kulgan fait ce qu'il peut avec sa magie qu'il sent dépassée. Le duc Borric, efficace, a deux fils fort différents, et une fille turbulente, qui s'assagit peu à peu et devient une combattante quand la guerre s'installe, dans l'habituel affrontement entre les forces de l'ordre et du chaos. D'autres caractères simples, mais vivants, vont et viennent, Martin l'archer, forestier, ami des Elfes, le conseiller Tully, Roland l'écuyer, amoureux de la princesse et rival de Pug, Meecham, la reine des Elfes, le chef des nains. Les méchants forment une masse collective, indifférenciée. Le fait que ces personnages manquent de nuances dans leur psychologie sommaire ne gêne cependant pas l'intérêt que l'on peut prendre à la lecture.

La narration est agréable, sans surprise. Les personnages ont tous leur côté attachant et sympathique. Les deux garçons, Pug et Thomas, veulent s'élever au-dessus de leur position sociale. Les princes et princesse de leur âge, gagnent en compétence et en maturité. Les adultes affrontent avec courage l'adversité. l'intérêt qu'on leur accorde fait oublier les faibles qualités du style d'un récit qui se déroule sur un ton de narration sans complexité. Il faut noter que ce livre a été réécrit plusieurs fois, l'auteur doutant lui-même de ses qualités d'écrivain, et qu'il a été corrigé à plusieurs reprises, par l'auteur ou des amis. Néanmoins, le lecteur n'aura pas à bouder son plaisir, et il éprouvera des difficultés à interrompre son récit, tant les rebondissements et le suspense le sollicitent, conformément au projet de l'auteur : "Je voulais simplement écrire une bonne histoire, qui satisfasse mon sens du merveilleux, de l'aventure et de la fantasy." (Avant-Propos) Évidemment, un style plus personnel, une plus grande originalité dans les situations et les personnages n'auraient pas été inutiles, mais, tel quel, ce premier roman édité en poche donnera envie de poursuivre l'immense récit. Car il y a de quoi : les seules Chroniques de Krondor comprennent quatre livres traduits en français, et trois à traduire. Et plusieurs autres saga connexes, dont le lecteur trouvera la liste dans la bibliographie...

Quelques chiffres pour terminer, pour les lecteurs que ces données impressionnent : ce premier roman a été tiré depuis sa parution en 1982 à 280.000 exemplaires aux USA; et l'ensemble des oeuvres de Feist, nombreuses au demeurant, a été publié dans le monde à 12 millions d'exemplaires. Quant aux jeux de rôles tirés de ces romans, c'est par centaines de milliers d'exemplaires qu'ils se sont vendus. Feist, auteur encore peu connu en France, mérite décidément le détour. Un divertissement agréable dont on ne voit pas pas de bonne raison de se priver.

La quatrième de couverture :
Né de parents inconnus, le jeune Pug a été recueilli et élevé au château de Crydee, où il officie comme garçon de cuisine tout en rêvant d'une vie d'aventures. Son existence se voit pourtant bouleversée lorsque Kulgan, magicien de la cour, le prend comme apprenti et lui révèle qu'il possède un pouvoir d'une puissance encore inconnue. Au même moment, d'étranges phénomènes maléfiques commencent à apparaître, et de sombres hordes de guerriers venus de nulle part envahissent la contrée. Inexorablement, alors que les forces du chaos mettent en péril la destinée du monde, Pug devra apprendre à ne compter que sur lui-même.
La critique anglo-saxonne n'a pas hésité à comparer son oeuvre à l'incontournable Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien.

Oeuvres : The Riftwar Saga : Les Chroniques de Krondor (éditeur : Mister Fantasy/La Reine Noire) : 1.- Pug, l'apprenti (Magician : Apprentice - 1982), J'ai Lu, 2000. 2.- Le Mage (Magician : Master - 1982), J'ai Lu, 2001. 3.- Silverthorn (Silverthorn - 1982), J'ai Lu, 2002 4.-Ténèbres sur Sethanon (A Darkness at Sethanon - 1982) , J'ai Lu, 2002 5.- Prince de sang ( à paraître) (Prince of the Blood) 6.- Boucanier du Roy ( à paraître) (The King's Buccaneer) 7.- Return of the Buccaneer Empire Trilogy (the world on the other side of the Rift), en collaboration avec Jenny Wurts  : 1.- Daughter of the Empire. 2.- Servant of the Empire. 3.- Mistress of the Empire. Serpentwar Novels :  1.- Shadow of a Dark Queen. 2.- Rise of a Merchant Prince. 3.- Rage of a Demon King 4.- Shard of a Broken Crown (à paraître aux USA)

Notice bibliographique : Raymond E. Feist est né à Los Angeles en 1945 dans une famille d'origine lorraine émigrée aux USA. Diplômé de l'université de Californie, San Diego, en 1977, et employé à l'université. Joueur acharné de jeux de rôles, il créa avec des amis le monde de Midkemia et une petite maison d'édition, Midkemia Press. Devenu écrivain à plein temps depuis 1982, cet amateurs de grands vins et de films classiques vit en Californie du sud avec sa femme, l'écrivain Kathlyn S. Starbuck, et leurs enfants. Le monde du cinéma s'intéresse à lui depuis quelques années, mais les projets butent sur le fait que Feist veut être présent sur les plateaux de tournage pour qu'il n'y ait pas trahison de son oeuvre.

 Roland Ernould © 2001

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