Gilbert Millet et Denis Labbé, Tolkien, Le Seigneur des Anneaux

Ellipses édit., 2003.

Entrer dans Le Seigneur des Anneaux, c'est franchir les portes d'un univers magique. La littérature, chez Tolkien, est avant tout plaisir. Mais son monde est complexe, et le plaisir de la lecture prend une autre dimension par la compréhension des significations de l'oeuvre. Le but de ce livre, simple et clair, mais donnant sans bavardages une mine d'informations, est de fournir les clés qui permettent d'amplifier les joies que donne la lecture de Tolkien : pas seulement Le Seigneur des Anneaux, mais aussi ses autres oeuvres.

Les auteurs rappellent d'abord brièvement la vie de Tolkien, né en 1892, sa jeunesse studieuse, son engagement dans l'armée britannique pour combattre en France durant la guerre 1914-18. Devenu professeur d'université à Oxford comme spécialiste de philologie, d'ancien anglais et de littérature, il maîtrise tout autant le latin, le grec, l'hébreu que d'anciennes langues germaniques, le gallois, le finnois... Il travaille d'ailleurs au dictionnaire d'Oxford. Pendant ses loisirs, il rédige dès 1917 des histoires qui s'apparentent à des mythes, dont
Le Seigneur des Anneaux est l'aboutissement. Ce roman a paru si long à son éditeur qu'il le publia en trois parties, en 1954 et 1955, et bien que destiné à un jeune public, il est lu avec intérêt par les adultes. Quand Tolkien meurt en 1973, il laisse une oeuvre inachevée que son fils Christopher va compléter et publier. Ce livre fournit une liste de ses ouvrages dans leur ordre de parution française, avec les parutions en anglais et les adaptations cinématographiques.

Il est logique de partir de l'époque où il vivait pour comprendre un auteur. Les auteurs exposent que l'on peut lire
Le Seigneur des Anneaux en le rapportant à l'époque, la Grande-Bretagne de l'après-guerre. La question territoriale, qui y joue un rôle central, est une réminiscence probable de la Seconde Guerre mondiale et du thème hitlérien dudroit à «l'espace vital», et sa conséquence : une guerre présentée par les démocraties comme une lutte entre les forces du bien et celle du mal. Laisser vaincre les nazis, c'était comme laisser triompher Sauron et son monde des ténèbres. Le Seigneur des Anneaux rappelle aussi la lutte qui a suivi le conflit, la guerre froide entre le monde dit «libre» et l'état communiste, comme le montre le fait que Sauron occupe l'Est de la Terre du Milieu, tandis que la Comté, le Rohan, Condor et leurs alliés sont des pays de l'Ouest. Enfin il faut noter la prise de conscience écologiste qui a suivi la guerre, quand l'Angleterre, comme toute l'Europe, connaît un accroissement de l'exode rural, de l'urbanisation et de la modernisation, du développement des transports, transformant complètement les sociétés agricoles. En réaction, Tolkien décrit des modes de vie essentiellement ruraux, sa façon de regretter la fin d'une société proche de la nature.

Les auteurs analysent ensuite le sens du titre, le roman livre par livre, et nous proposent pour chacun des six parties un tableau indiquant la structure temporelle, les dates, la période couverte par chaque chapitre, les analepses (ou retours en arrière, ce que les anglais-saxons nomment flash-back, le nom du personnage central et l'action principale). Puis ils passent à la géographie, la Comté où vivent Bilbo et Frodon, la «Terre du Milieu», pays des hobbits, où se passe une bonne partie de l'action,qui n'est qu'une petite partie de la vaste région d'Eriador, «le Nord-Ouest de l'Ancien Monde, à l'Est de la Mer»: les Monts Brumeux, les Montagnes de l'Est, la Comté, la Lothlorien, des lieux naturels dont les habitants respectent l'écologie. La laideur est associée par Tolkien à l'industrie, les lieux urbains, et les symboles du mal sont pour lui les tours, constructions humaines symboles de la démesure. Avec Rohan, le déclin commence : un monde s'effrite, se crevasse, bien plus beau et poétique que celui qui le remplace. Et Gondor, jadis accueillant et prospère, est devenu la terre du mal, sous le contrôle de Sauron.

Une place de longueur variable - parfois plusieurs pages - est consacrée aux personnages principaux : Bilbo Sacquet, possesseur de l'anneau de pouvoir, est involontairement à l'origine de l'aventure dans laquelle vont être entraînés les personnages de La Communauté de l'Anneau. Son héritier, Frodon Sacquet, est l'incarnation du héros de conte, l'archétype du personnage de roman initiatique. Naïf au début de l'aventure - il n'est jamais sorti de chez lui et ne connaît rien au Mal - , il montre des qualités humaines remarquables et devient un véritable meneur d'hommes, capable de s'opposer à ses ennemis, comme à ses amis malmenés par l'étrange pouvoir de l'anneau, de Sauron et de ses séides. Avec ses visages multiples comme Merlin dont il semble être une nouvelle incarnation littéraire, Gandalf le Gris est magicien et alchimiste. Il influe sur les forces de la Nature et sur la destinée du pays, opposé farouchement à Sauron, Seigneur des Anneaux, qui incarne le mal à l'état pur, et à son allié Saroumane, perverti par son goût du pouvoir. Comme magicien blanc, il devrait faire le bien autour de lui, mais il souhaite davantage que la puissance donnée par la magie et il devient l'exact opposé de Gandalf. Aragorn/Grand-Pas présente un double visage. Coureur des bois, rôdeur, il n'inspire pas immédiatement confiance aux hobbits, mais il se montre rapidement un de leurs meilleurs alliés. Il retrouve sa véritable stature, celle d'un roi qui se cache sous le masque de Grand-Pas. Galadriel est une dame elfe, souveraine des bois de Lorien et ultime gardienne du pouvoir des elfes, capable de révéler l'avenir grâce à son miroir, mais également grâce à l'anneau qu'elle possède. Legolas, un archer émérite, est le seul elfe de la Communauté de l'Anneau. Gimli représente la race des nains. À part, Gollum, ou Smeagol, est un personnage essentiel puisqu'il y joue un double rôle de victime et de bourreau, victime de l'anneau de pouvoir qui l'a transformé en schizophrène paranoïaque.

Quelques pages sont consacrées au style : l'épopée , la démesure, la répétition, la poésie et la touche moyenâgeuse avec ses néologismes et ses archaïsmes.

Un tiers du volume est consacré à la place de Tolkien dans le genre de la fantasy. Pour élaborer son univers, Tolkien s'est inspiré d'éléments issus de ses lectures, de son travail d'ethnologue et des différentes mythologies dont il était friand. Il leur a emprunté les caractéristiques des contes de fée : leurs personnages féeriques, et la tradition initiatique. Il a conservé des romans de la
Table Ronde la puissance de l'épée et la quête. On peut d'ailleurs considérer Le Seigneur des Anneaux comme un anti-Graal, où le héros ne doit pas trouver la coupe ayant reçu le sang du Christ, mais détruire l'anneau symbole du Mal. Du cycle de la Table Ronde proviennent aussi les forêts magiques, les voyages sur la mer, les nombreuses aventures, les joutes et combats. Les emprunts à la mythologie celtique sont aussi importants. Le spécialiste des mythes nordiques en a retenu la symbolique des anneaux, les créatures mythologiques comme les nains, habitants des montagnes et des mondes souterrains, forgerons et gardiens de trésors.

Tolkien a emprunté aussi à la longue tradition des mondes imaginaires : le poète grec Hésiode, son regret de l'âge d'or et le mythe de l'Atlantide platonicien; le courant utopique de la Renaissance et de ses auteurs proposent de nouveaux types de sociétés idéales, comme Thomas More avec
L'Utopie (1516). A quoi il faut ajouter Le paradis perdu du poète anglais John Milton. Avec ces éléments, Tolkien a inventé son monde, et cherché à doter la Grande-Bretagne d'un mythe fondateur, un mythe qui puisse passer pour de l'histoire, qu'il réinvente. Il imagine que la Terre a connu quatre âges, le quatrième étant le nôtre, celui que dominent les hommes. Le Seigneur des Anneaux se situe au troisième âge, mais il fait référence à un passé plus ancien décrit. Tolkien, philologue de métier, imagine comment parlaient dans ce lointain passé les communautés qu'il présente. Chaque peuple du Seigneur des Anneaux possède son langage propre, en plus du langage commun : l'elfique, l'entique, la langue des nains qui peut être écrite en runes et la langue du Mordor.

Si l'intention de Tolkien n'est pas de délivrer un cours de politique, il nous propose un éventail politique des divers types de gouvernements : la dictature avec Sauron, l'anarchie qui règne parmi les orques, la république des Ents, la monarchie éclairée des hobbits. Son propre choix est évident, et en bon britannique, Tolkien concilie la monarchie et la démocratie.
De nombreux écrivains se sont inspirés de Tolkien et ont produit des ouvrages du même type, la plupart marqués par l'apport essentiel de Tolkien à la fantasy, la cohérence de son monde. Un univers est présenté, avec sa géographie, son histoire, sa sociologie, sa faune, sa flore, ses langues... Tolkien a inspiré des musiciens, des cinéastes, montrant ainsi que l'imaginaire est plus riche de signification que le réel.
Sous un volume réduit, cet ouvrage apporte le maximum d'informations sur Tolkien. Il est abordable par tous, adolescents débutants comme adultes "tolkiennisés", auxquels il apportera un précieuse mise en ordre de ce qu'il faut savoir de Tolkien, et de la richesse des réflexions qu'il suscite.

La quatrième de couverture :
Résonances est une collection qui entend offrir l'essentiel des connaissances indispensables et incontournables permettant l'approche et l'étude efficace d'oeuvres littéraires.
Est proposée ici une étude sur
Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, réalisée par Denis Labbé et Gilbert Millet.

Roland Ernould © 2003

 

Gilbert Millet est né à Laon et vit à Valenciennes. Il a publié deux romans, Le Mépriseur (Manya, 1993) et Pavés du Nord (Quorum 1997, Prix du Livre de Picardie et Prix du roman insolite de la Renaissance Française); deux recueils de nouvelles, Les Morts se suivent et se ressemblent (Manya, 1992) et Petites Tombes en Viager (Quorum, 1998) et Ennemis très chers, Manuscrit.com, 2001 (note de lecture); ainsi que un de textes courts, Miniatures (Editinter, 1999). Il a participé à des recueils collectifs : 131 Nouvellistes contemporains par eux-mêmes (Manya, 1992) Ecrire (Dumerchez, Centre Régional des Lettres de Picardie, 1993), Oser (Page à Page, 1999), Choisir (Page à Page, 1999), Ténèbres 2000 (Naturellement, 2000). Deux de ses pièces de théatre ont été jouées à Paris, en province et à l'étranger : Le Bouquet (1990) et Le Jeu des 7 Lames (publié en 1996 par les éditions du CIVD). Il est l'auteur, avec Denis Labbé d'un ouvrage sur le fantastique, Le Fantastique (Ellipses, 2000) (note de lecture), d'une étude de Shining (éd. Ellipses) (note de lecture), d'essais sur La science-fiction (éd. Belin, 2002) (note de lecture), Les mots du merveilleux et du fantastique (éd. Belin, 2003) et d'une Étude sur Tolkien, Le seigneur des Anneaux (éd. Ellipses, 2003) (note de lecture). Il est le rédacteur en chef de la revue Hauteurs.

lire la nouvelle de Gilbert Millet sur ce site : Un millardième, nouvelle illustrée par Rózsa Tatár

Denis Labbé

....

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

 

.. général

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. . . .