Denis Labbé, Gilbert Millet, Les mots du fantastique et du merveilleux

Belin, Le Français retrouvé, 2003, 496 pages.

Tout mot est porteur de sens, et une langue est un réservoir de significations. Le langage vit ainsi d'interventions entre signifiant et signifié. Un mot renvoie à un objet ou à du concret le plus souvent, mais il peut aussi être rattaché à une pensée symbolique : le soleil est lumière, mais aussi divinité. Le serpent est un animal, mais aussi une image du mal, voire le mal lui-même. Le rouge n'est pas la couleur du sang, mais force vitale, ou représentation d'une lignée. Bref, l'abondance de mots est aussi bien liée à la représentation d'une diversité d'objets et à des éléments concrets qu'à un foisonnement d'images mentales et à une luxuriance de symboles. Si le mot renvoyant à une réalité précise est nécessaire pour la vie quotidienne, la connaissance des significations imaginaires de ces mots est tout aussi importante à qui veut réfléchir.
Le chercheur dispose de recueils ou de dictionnaires, mais certains - souvent les plus importants - sont volumineux et d'un prix peu abordable pour l'amateur. L'intention des auteurs a donc été de proposer, sous un format commode et pour un prix accessible, les significations des mots les plus importants dans deux domaines que la collection, dans laquelle le livre est édité, n'avait pas encore abordés : le merveilleux et le fantastique (les mots de
La Bible, de la mythologie, de la religion chrétienne ont notamment fait déjà l'objet d'une publication).

Dans leur introduction, les auteurs distinguent les deux domaines de leur recherche, le merveilleux et le fantastique. Le merveilleux païen, le plus ancien, comprend le vaste champ des croyances archaïques avant l'influence des religions méditerranéennes, auquel se sont ajoutés, lors de la conquète romaine au premier siècle les mythologies romaines, grecques, et les cultes venus de l'Egypte et du Proche-Orient. À quoi il faut joindre les croyances des pays scandinaves, de l'Orient, des civilisations celtiques...Le merveilleux païen primitif est toujours vivace dans les campagnes; le merveilleux mythologique, plus élaboré et intellectualisé, a longtemps fait l'objet d'un enseignement dans les classes de collège et du lycée. : "Il puise aussi bien dans les divinités antiques (
La Machine infernale de Jean Cocteau) que dans les créatures mythologiques, les lutins (Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson de Selma Lagerlof), les fées (Cendrillon, La Belle au bois dormant), les sorcières (Macbeth de Shakespeare), voire les fantômes avant l'invention du fantastique (Dom Juan de Molière). Ce merveilleux païen a donné naissance à la fantasy, notamment par l'intermédiaire de J R. R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux). Le renouveau de l'intérêt pour la culture celte permet de renouer avec nos racines, en nous offrant une vision moins matérialiste et moins technologique du monde."
Le merveilleux chrétien est lié à un surnaturel hérité du christianisme, mettant en scène Dieu, les saints, les anges, les démons, le conflit entre le bien et le mal, les vertus : "On peut rattacher à ce sens du merveilleux des oeuvres telles que
Jérusalem délivrée du Tasse, Le Paradis Perdu de John Milton, Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes."

Le fantastique est apparu à une époque plus récente (XVIIIe siècle), en réaction contre l'esprit des Lumières, puis au siècle suivant en opposition à la révolution industrielle et le triomphe de la science. Le fantastique fait resurgir un surnaturel proposant diverses aberrations, mettant en scène divers thèmes ou icônes en réaction contre la réalité : "Ainsi est créé, dans un cadre réaliste, un déséquilibre qui produit un malaise, provoquant chez les personnages, et souvent chez les lecteurs ou spectateurs, la peur, voire l'épouvante. Ce malaise vient aussi de ce que le fantastique prend plaisir à briser les tabous sociaux, religieux et physiques. Il met en scène des histoires de fantômes, de pactes diaboliques et de maisons hantées, avant de devenir, au XIXe siècle, une critique de la société, développant les thèmes du double (William Wilson d'Edgar Poe), du cauchemar (Aurélia de Gérard de Nerval), du vampire (Dracula de Bram Stoker) et de la folie (Le Horla de Maupassant). Prêt à disparaître, le fantastique se renouvelle au XXe siècle, en suivant les évolutions sociales. Ainsi, il entre dans la littérature générale (Nabokov, Borges...), investit le cinéma, la télévision, la peinture, pour devenir à la fois intellectuel et populaire. Son succès grandissant auprès des enfants - Harry Potter - et des adolescents - Stephen King - montre qu'il favorise l'évasion de notre monde souvent trop réglé, en jouant avec la mort, l'amour et l'humour.

Avec ce dictionnaire alphabétique, les auteurs ont fourni un remarquable travail de vulgarisation, qui représente des années de compilation et de recherches, compte tenu de l'universalité des extraits souvent originales. La richesse et l'éclectisme des références sont remarquables, et les citations viennent des horizons les plus divers. Un bon travail de réflexion, en plus du travail de recherche, qui ne se trouve pas toujours dans les quelques recueils de ce qui existe (je pense à un ouvrage peu critique comme
Le Dictionnaire des Superstitions (Bouquins) ou bon nombre de ceux sont consacrés aux symboles, qui sont de simples compilations.

Pour les spécialistes de King, j'ai consulté quelques mots, les entrées : araignée et singe pour le bestiaire, placard et vision pour des termes plus abstraits. Mes lecteurs seront contents de voir leur auteur pertinemment cité. Les autres mots pris au hasard proposent des vues intéressantes. Venant de travailler sur un sujet, j'ai cherché des mots-clés utilisés : si "porte" s'y trouve bien, je n'ai pas trouvé "passage"... C'est que, précisent les auteurs, répertorier le vocabulaire du merveilleux et du fantastique n'est pas tâche aisée, tant ces genres sont protéiformes. Ils auraient dû consacrer des milliers de pages pour être exhaustifs. Pour tenir dans les limites du livre, ils ont été contraints de faire des choix. Mais tel quel, d'un format commmode, ce dictionnaire est un très bon outil de travail pour le lycéen ou l'étudiant, à avoir sous la main en dépannage dans l'attente d'une consultation éventuellement plus approfondie pour les spécialistes.

Roland Ernould © 2003

La quatrième de couverture :
"On trouvera ici rassemblés plusieurs centaines de termes dont beaucoup trouvent leur source et leur expression dans les contes et les mythes. Les auteurs ont entrepris une exploration savante et documentée des grandes oeuvres du merveilleux et du fantastique, un voyage dans l'univers ides contes, dont se dessinent les grands thèmes à travers de très nombreuses citations.
Collection Le français retrouvé, dirigée par Jean Bouffartigue : une encyclopédie de poche de tous les domaines du français.

L'auteur : Né en 1965 à Lunéville, entre Vosges et Alsace, mais Nordiste d'adoption depuis plus de 20 ans, Denis Labbé a conservé cet amour du fantastique propre à ses forêts natales. Docteur es lettres, il enseigne à Avesnes-sur-Helpe et vit à Bavay. Il cherche à donner à ses élèves le goût de la lecture et de l'étrange. Écrivain, poète, traducteur et critique, plusieurs de ses nouvelles sont parues en anthologies : De sang et d'encre (Naturellement), Ainsi soit l'ange (Oxymore), mais également dans des revues aussi différentes que Phénix, Rétroviseur, Poésie Première ou Hauteurs dont il est l'un des rédacteurs. Il a participé à l'ouvrage collectif : H.P. Lovecraft, le Maître de Providence (Naturellement, 1999). On lui doit aussi des traductions de Brian Lumley (Necroscope, Vamphyri), Graham Masterton, Kim Newman ou encore Poppy Z. Brite. Auteur, en collaboration avec Gilbert Millet, d'un ouvrage sur le fantastique aux éditions Ellipses, Le Fantastique (note de lecture), il vient de terminer une biographie romancée Promenades avec Claude Seignolle (note de lecture), un roman , pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros) (note de lecture). Il est l'auteur de deux recueils de poèmes Au pas des oiseaux (Editinter 1998) et Entrevoix (Editinter 2001)d'un roman pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros). Il est l'auteur, avec Gilbert Millet , d'un ouvrage sur le fantastique, Le Fantastique (Ellipses, 2000) (note de lecture), d'une étude de Shining (éd. Ellipses) (note de lecture), d'essais sur La science-fiction (éd. Belin, 2002) (note de lecture), Les mots du merveilleux et du fantastique (éd. Belin, 2003) et d'une Étude sur Tolkien, Le seigneur des Anneaux (éd. Ellipses, 2003) (note de lecture).

Lisez les textes de Denis Labbé sur ce site :

Denis Labbé, Café du centre

Denis Labbé, L'eau chez Stephen King : Une matrice de l'horreur.

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