Denis Labbé, Promenades avec Seignolle

éd. de L'oeil du Sphinx, 2001.

 

La richesse d'un auteur comme Claude Seignolle tient en son pouvoir de se prêter à de multiples lectures et interprétations. D'autant plus variées dans son cas qu'il s'est toujours amusé à proposer des pistes différentes, fussent-elles fort éloignées les unes des autres. Dans ce petit livre qui respire l'admiration inconditionnelle, Denis Labbé, qui connaît bien l'auteur, nous propose des aperçus qui suscitent quelques commentaires.
La sympathie pour Seignolle est évidente, et nous vaut le rappel toujours agréable des souvenirs des bonnes pages de l'auteur : son enfance, sa mère, ses grand-mère, grand-pères, tante et oncles, tous personnages pittoresques et hauts en couleurs, la grand-mère Augusta surtout. Le lecteur a récemment retrouvé dans
Une enfance sorcière1. cet entourage qui influença peu ou prou Seignolle On rencontre aussi dans Labbé ses amis passés : Jean Ray, Lawrence Durrell, Marcel Béalu, Blaise Cendrars, sont évoqués à propos et avec justesse. De nombreuses anecdotes, sur lesquelles je reviendrai, viennent agrémenter le volume, qui se lit avec facilité. Mais si l'ouvrage présente des agréments, il suscite cependant des réserves importantes

Singulière m'a d'abord parue la prise de position négative de Denis Labbé touchant les universitaires (chap. 2). Le milieu des facultés a une pratique particulière bien connue, faite de recherches prudentes, avec des repentirs, des reprises, beaucoup d'inertie et, pour résumer, une lourdeur certaine. Les talents nouveaux ne sont reconnus qu'avec lenteur. La littérature populaire (les paralittératures
2) suscite toujours des réserves chez des chercheurs qui ont l'habitude d'étudier des textes difficiles, parfois laborieux, pour écrire des livres qui finiront souvent sur les rayons poussiéreux des bibliothèques universitaires. Mais il est facile de flatter le grand public en ne montrant dans leur travail que compilation de Trissotin, manies de coupeurs de cheveux en quatre et goût éperdu de la note. Il faut bien reconnaître que la reconnaissance universitaire est recherchée, et Seignolle, comme bien d'autres auteurs, a toujours témoigné sa satisfaction de voir ses oeuvres susciter de l'intérêt chez ces laborieux, qu'il n'a jamais hésité à éditer à compte d'auteur, pour leur assurer une diffusion plus grande. Il ne balance jamais à fournir abondamment les chercheurs qui s'adressent à lui pour obtenir ouvrages et documentation. Il n'est pas avare en propos et entretiens. Il est vrai que les premiers réflexes des universitaires avec Seignolle n'ont pas toujours été les bons. Pierre-Georges Castex, mon ancien professeur de fac à Lille, s'il sut très tôt reconnaître le talent de Seignolle et mettre l'accent, dans son Histoire de la Littérature3, sur son réalisme, son sens de la description et du décor, a complètement négligé son approche du surnaturel paysan. Les universitaires ont, en effet, d'abord vu en Seignolle le prolongateur du courant de littérature du terroir, et n'ont pas examiné son oeuvre en sociologues ou en mythanalystes. Il a fallu attendre les avancées de la littérature comparée à l'Université pour rencontrer des universitaires qui voyaient enfin Seignolle tel qu'il était, comme Roger Bozzetto (cité d'ailleurs par Labbé) et Jean Marigny, qui sont devenus ses amis. Il faut cependant noter que Seignolle a surtout été étudié par des étudiants de maîtrise ou de D.E.A. (leur liste n'est pas négligeable)4, plutôt qu'il n'a été l'objet de travaux d'enseignants, et que son étude a été plutôt laissée à des subordonnés. Mais ces dernières années, la revanche a été éclatante. Un numéro spécial de la revue Otrante5, fréquentée surtout par des universitaires, lui a été consacré en 1998. Denis Mellier, qui se révèle l'un des grands maîtres de la critique universitaire du fantastique, lui a réservé le premier chapitre de son récent ouvrage Textes fantômes, fantastique et autoréférence6, aux côtés de H.P.Lovecraft, Bram Stoker, Jean Ray ou Marcel Béalu : il y a pire comme compagnons! Enfin, il faut noter que Seignolle sera l'objet d'un important colloque au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle, du 14 au 21 août 2001, où du beau monde universitaire viendra rendre un hommage mérité au maître7 et où on pourra écouter... Denis Labbé en personne. Il vaut donc mieux oublier cette charge8 et laisser Denis s'expliquer, lors du colloque, avec ceux des universitaires pour lesquels cette diatribe sera restée en travers de la gorge.

Plus surprenantes sont diverses anecdotes sur Claude Seignolle, à l'occasion de sa venue dans le Nord ou en diverses circonstances, qui transforment Seignolle en sorcier ou en magicien, au sens littéral, au point de le rendre capable, entre autres activités insolites, de trouver une pièce d'or entre les pavés de Marchiennes...
9 Qu'en penser? On s'interroge sur le fait que ces propos pourront contribuer à altérerer l'image de Seignolle auprès de certains de ses lecteurs, aimant le fantastique sans admettre pour autant le paranormal, et de faire passer le maître du fantastique de la diablerie pour un diablotin masqué, chargé de se faire valoir par des moyens plutôt singuliers. Il me serait facile de demander directement à Seignolle ce qu'il pense de ces épisodes. Ce serait le mettre, ainsi que Denis Labbé, dans l'embarras. J'ai déjà essayé d'expliquer à Seignolle que, de mon point de vue, l'utilisation de l'étrange me paraissait beaucoup plus riche littérairement (par l'invention imaginaire qu'elle suppose) lorsqu'elle était fabriquée littérairement par un "non-croyant"(étrange inventé), et bien moins intéressante quand la littérature ne faisait que carrosser des convictions profondes (paranormal "cru", admis et mis en scène, démarche qui s'apparente à un témoignage ethnographique enjolivé sur un fait de croyance, guère plus valable que n'importe quelle anecdote). La discussion a été esquivée. Seignolle l'intuitif a une remarquable facilité à changer ses opinions et ses propos selon son auditoire...

Seignolle a constamment éprouvé le goût de bluffer son public, en toute innocence souvent, car il adore plaire et adopte spontanément le langage ou le comportement qui lui paraissent améliorer au mieux l'image de lui que son interlocuteur se forme. Ce charmeur aime séduire, est prêt à tout pour y parvenir. Soit d'un oeil fulgurant (le troisième oeil dont parle Stephen King), il saisit les intentions et les attentes de son interlocuteur; soit tâtonnant patiemment de ses antennes habiles, il cerne peu à peu la personnalité de son vis-à-vis, jusqu'au moment où il a senti quels propos conviennent pour se faire valoir. Il ne faut pas oublier que Seignolle a aiguisé ses sens par des milliers de contacts avec des campagnards secrets autrement plus difficiles à conquérir que des intellectuels espérant le profit du propos convenu qui les arrange. Toutes ces petites gens méfiantes de la campagne, il fallait les mettre en confiance, les aborder avec précaution, les écouter avec componction, les aiguiller habilement au moment voulu dans un sens ou dans un autre, vers ce qui intéressait Seignolle : ce se prêtait le mieux à une exploitation littéraire. Seignolle voyait d'emblée le parti à en tirer, le gauchissement qu'il pourrait donner à son texte son texte. Ces décennies de pratique paysanne s'apparentent à celles d'un vendeur au porte à porte, devenu redoutable à la longue par une pratique renouvelée du discours approprié. La roublardise naturelle de Seignolle devait faire merveille face à celle de ses paysans, roublard contre roublards, duel dont il n'a probablement pas d'ailleurs été toujours vainqueur. Les paysans de naguère s'étaient constitué un fonds de ruse redoutable : il en avait fallu dans le passé, pour résister à la fois au seigneur, et aux suppôts de Dieu ou du Diable.
La vérité de Seignolle n'est connue que de lui, encore qu'il n'est même pas certain que des années de polissage de ses statues ne l'aient pas amené à modifier certains angles ou à les arrondir, au point qu'il ne sait plus bien où il en est. Cela ne l'émeut pas. Un admirateur de plus pour cet octogénaire fringant n'a pas de prix, et il ne lésine pas sur le pittoresque.
«Le conteur est par définition un menteur», se plaît-il à dire, et il reconnaît aimer raconter les événements à sa façon10. L'histoire, peu à peu, se fausse, se déforme, pour que naisse la légende11. Sa répétition métamorphose les choses suggérées, les transforme en évidences et en certitudes. Sans qu'il y ait tromperie manifeste, l'ornement et l'enjolivure deviennent réalité. Et quel plaisir de nourrir ainsi ses diverses images, les modeler, les façonner, les fignoler, pour se garantir la postérité, seule authentique préoccupation de Seignolle?

Il semblerait, d'après les propos de Denis Labbé, que - jeu ou conviction - les relations que des auteurs du Nord entretiennent avec Seignolle (je connais celles d'Alain
Delbe) sont empreintes d'une vénération qui, simulée ou vraie, l'apparentent à un maître de l'ésotérisme diabolique. Il me paraît à ce sujet qu'il y ait un double malentendu : l'un portant sur la nature des êtres diaboliques de Seignolle, l'autre sur la description qu'il donne bien souvent du diable. Dans des régions christianisées, où le paganisme avait été plus ou moins intégré, le discours religieux évoquait sans cesse le Diable, et les potentialités de cette figure symbolique étaient bien commodes pour faire régner l'ordre tant bien que mal. Le diable des paysans de Seignolle est le plus souvent un personnage familier, craint, mais pas au point de paralyser. Il est facile à duper, et le recueil Les Évangiles du Diable est plein de récits où ce n'est pas le Diable qui a nécessairement le beau rôle12. Francis Lacassin consacre plusieurs pages de son introduction à nous montrer que le Diable populaire, loin du discours savant des théologiens, n'est pas si malin qu'on le pense et que, s'il a des pouvoirs, il peut être facilement berné, et trouver plus rusé que lui13. Les croyances en la sorcellerie supposent toujours un contrat, où la tromperie est possible, et autorisée par la malveillance et la mauvaise foi du démon ou du sorcier. La grande peur du Diable, comme nous l'a montré Jean Delumeau14, avait été ressuscitée par le discours théologique des XVIè et XVIIè siècles : elle n'existe plus de nos jours que dans l'esprit de croyants retardés ou des Ayatollahs. L'intérêt de l'oeuvre de Seignolle dans ce domaine est d'être le prolongement d'un mythe qui ne s'est mis à exister dans la littérature qu'à partir de l'instant où il ne trouvait plus guère d'échos dans les masses. En tant que symbole, le Diable est devienu bien commode. De nos jours, la littérature fantastique, étayée par le cinéma, se maintient en partie avec la présence du diable, et un des mérites de Seignolle aura été de faire le lien entre le passé et des succès de librairie américains comme L'exorciste de William Peter Blatty, Rosemary's Baby de Ira Levin et Carrie de Stephen King. Le diable fonctionne dans ces textes de manière manichéenne, incarne une angoisse collective, et se révèle adapté pour traduire les craintes et les fantasmes d'une société moderne qui n'a plus rien à voir avec celle qu'a connue jadis Seignolle. Le diable prend de multiples formes nouvelles, et Seignolle a été ainsi un des témoins qui a permis le passage du Malin de la littérature fantastique du milieu du XIXè, au fantastique moderne. Un certain Diable est mort, mais un nouveau Diable, bien plus polymorphe, l'a remplacé15, qui remplit la même fonction.

Le deuxième point concerne la tentative que fait Denis Labbé pour tirer Seignolle du côté du satanisme. Seignolle a, certes, fréquenté après la guerre les libraires qui éditent les écrivains rejetés par l'édition traditionnelle et des milieux proches de l'alchimisme, de l'ésotérisme, de l'occultisme et du satanisme. Il fraya avec Jacques
Bergier16, qui eut son heure de gloire avec Le matin des magiciens et la revue Planète, qui l'incita à écrire Le château de l'étrange17, recueil d'anecdotes bizarres de contemporains déboussolés ou excités par l'étrangeté, tentative qui resta sans lendemain18 et dont Seignolle a admis qu'elle était peut-être pas dans le prolongement de son oeuvre. Seignolle est, à l'époque, satisfait de passer pour un personnage sulfureux : "Un de nos plus grands et mystérieux alchimistes dont on cherche à effacer l'existence." (?), écrira Eugène Canselier, fréquenté alors assidûment avec Serge Hutin et Antoine Faivre. Il ne faut donc pas s'étonner de voir Seignolle contacté par des satanistes italiens, tout prêts à en faire un de leurs grands prêtres lors de la parution des Évangiles du Diable. Bref, Denis Labbé admet qu'il lui plaît bien de voir en Seignolle un prophète d'un culte sataniste (p. 127). Entre coïncidences ou «coups» du Malin, il nous propose un homme qui tient autant, sinon plus, du sorcier que de l'amoureux de la plume19. Le lecteur aura compris que cette image de Seignolle n'est pas la mienne. Connaissant mon rationalisme, jamais il n'a essayé de se présenter sous cet angle dans ses rapports épistolaires ou téléphoniques. Ce qui ne m'étonne pas outre mesure de la part de ce brouilleur de pistes.

Le lecteur intéressé par un Seignolle qui penche du côté des pactes sataniques lira avec intérêt l'ouvra ge de Labbé. Je préfère donner une interprétation plus terre à terre de l'auteur, en insistant sur le rôle de porte-flambeau des traditions d'un homme qui assure la transition entre le passé et le présent. Par rapport aux autres romanciers du terroir, George
Sand, Maupassant, un peu Zola, par raccroc, la situation de Claude Seignolle est différente, prolongement mais surtout compréhension ethnologique. Les romanciers de la paysannerie se sont intéressés surtout au folklore, leurs paysans demeurant mal dégrossis ou devenant idéalisés. Seignolle a sa curiosité éveillée par les superstitions et les incertitudes qui concernent l'étrangeté. Ces croyances se rattachent au vieux fonds imaginaire qui s'est constitué depuis la nuit des âges, et qui touche encore les citadins qu'il met en scène, tant il est vrai qu'un citadin n'est qu'un rural ayant changé de vernis culturel sans modifier structurellement sa pensée profonde. Car l'être humain est le seul animal qui ne peut vivre qu'en donnant un sens aux choses. Quand il a attribué ce sens, cette signification à ce qui l'entoure, il y vit plus commodément, que cet entourage soit bénéfique ou maléfique. Il sait qu'il inventera des formules, des rituels, pour obtenir ce qu'il désire ou ce qui correspond à ses besoins. L'être humain est ainsi fait qu'il part d'une irrationnalité congénitale, et que sa rationalité, jamais claire, est toujours à construire.

L'originalité de Seignolle a été de mettre à jour ce fonds archaïque, devenu pittoresque de nos jours, au moment où il allait disparaître par l'urbanisation et l'industrialisation de nos sociétés, en ce milieu de XXème siècle, après la seconde guerre mondiale qui avait précipité l'évolution. Seignolle est un jalon irremplaçable pour comprendre l'évolution des formes que le besoin de croire et de donner un sens aux choses avait constituée peu à peu, et le goût actuel pour des nouveautés et des croyances renouvelées et modernisées, du moins en apparence, qu'elles viennent des sectes ou s'inspirent des religions orientales. L'oeuvre de Seignolle effectue naturellement le passage, entre des formes de société anciennes, qui ont gardé leur originalité, mais paraissent néanmoins périmées, et des formes nouvelles, qui correspondent à de nouveaux besoins, liés à des sentiments, des désirs et des besoins qui ont changé. L'irrationnalité a seulement changé de formes et les hommes y vivent toujours à l'aise. Nos contemporains sont toujours désireux d'être rassurés, protégés dans leur santé, leurs biens et leurs affections, et prêts à rechercher des solutions qui leur paraissent efficaces : le voyant, la cartomancienne, le mage, le spécialiste médical, l'expert les attirent, même s'ils ne pas toujours certains de leur efficacité. Qu'elle soit seulement apparente, qu'elle leur autorise des illusions, cela leur suffit bien. Ils sont tout autant que jadis dans l'impossibilité d'analyser et de comprendre leur environnement et leur monde, qui, avec les avancées scientifiques, leur paraissent de plus en plus compliqués. Ils n'ont pas les outils intellectuels qui leur permettent de trouver des repères. Nos contemporains ont finalement des attitudes identiques à celles de leurs ancêtres dans leurs recherches, même si elles ont complètement changé dans leurs formes. Menacés dans leur certitudes, ayant pris davantage conscience de la violence du monde, ils se sentent toujours inquiétés par des forces extérieures, auxquelles ils n'hésiteront pas à proposer des explications mystérieuses nouvelles. Le Diable de Seignolle sera remplacé par de nouveaux démons. Car dans ces perspectives technologiques nouvelles sont apparues de nouvelles superstitions, de nouveaux dieux et de nouveaux diables. Si le Dieu de Nietzsche est mort, le Diable de Seignolle a été rejeté par les derniers prêtres, alors que leurs prédécesseurs l'imposaient il n'y a pas si longtemps, pour des raisons de doctrine : Dieu ne prenant son sens que par son rival. Si le grand dieu judéo-chrétien a disparu, combien de petits dieux ou diables de nombreuses sectes de notre temps l'ont supplanté! Les prêtres et les sorciers de village ont pratiquement disparu. Ils ont été remplacés par les astrologues, devins, marabouts, gourous divers, qui remplissent la même fonction. Le latin, support magique de cérémonies partout répandues naguère, où le pain et le vin se changeaient en chair et en sang, n'est plus utilisé que dans des rituels reprenant les traditions historiques sataniques ou macabres, aux côtés d'autres langues ésotériques. Des sacrifices d'enfants aux serial-killers, le Mal, le diabolique et ses suppôts ont encore un bel avenir, à côté des vains dieux du stade ou de l'image...

Vous ne trouverez pas dans cet ouvrage de Denis Labbé20, débordant de bons sentiments, une image complète de Seignolle, du moins vous présentant ses multiples facettes. L'octogénaire Seignolle est resté un grand enfant, toujours en quête de témoignages de sympathie, d'affection ou de considération. Jamais certain de la solidité de son image, jusqu'à son dernier jour il cherchera avec fièvre ceux qui donneront de lui des éclairages nouveaux, construisant ainsi une image complexe, disparate et diversifiée dans ses exigences. Ce livre pourra jouer ce rôle pour les amateurs d'occultisme. Il fera à nouveau parler de Seignolle, ce qui est toujours utile. Car on ne peut qu'admirer cet homme qui s'est fabriqué et continu à bâtir patiemment sa mythologie, attentif aux déformations, aux glissements, soucieux de les favoriser sans cependant exagérer, anxieux de ne pas briser une amitié, de ne pas décevoir ses admirateurs. Metteur en scène de ses contes, metteur en scène de son passé, metteur en scène de ses reflets, ainsi va Seignolle, unique en son genre, bravant le temps, passager et observateur curieux et compréhensif d'un monde où la folie des hommes, leur sauvagerie, leur goût de la destruction lui ont permis d'écrire une oeuvre forte, tout en conservant son âme d'enfant, son appétit pour ses légendes et son besoin de défier le temps.

Roland Ernould
© 2001.

Document 1.

Raymond Gilles, Le folklore de la peur, mémoire de licence, Université Libre de Bruxelles, 1974.

Marie-Neige Martinez, Aspects de la littérature fantastique française contemporaine de 1940 à nos jours, Université de Toulouse Montmirail, 1973.

Geneviève Chatry, Analyse structurale et thématique de quelques nouvelles de Claude Seignolle, mémoire de maîtrise, Université de la Sorbonne Paris III, 1986.

Judharat Bencharit, Le réel et le surnaturel dans l'oeuvre de Claude Seignolle, thèse de doctorat, Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III, 1991.

Estelle Perrin, Le Diable à travers les nouvelles campagnardes de Claude Seignolle, mémoire de maîtrise, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, 1995.

Delphine Bahuet-Gachet, L'espace dans les nouvelles littéraires françaises et italiennes de XXème siècle (1940-1960), 2 vol., thèse, Université de Bordeaux Michel-de-Montaigne III, 1996.

Document 2.
Colloque du Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle du 14 au 21 août 2001.
Ce colloque est destiné à rendre hommage à un écrivain particulièrement original dont l'oeuvre a suscité, en France et à l'étranger de nombreux essais, voire des thèses universitaires. Claude Seignolle dont Jean Ray a dit qu'il "installe l'enfer dans notre vie", est le seul grand écrivain français de notre époque qui se soit imposé comme un maître du fantastique. Lawrence Durrell, qui l'admirait , l'a fait connaître dans les pays anglo-saxons où il est tout particulièrement apprécié. La raison de ce succès est que Claude Seignolle puise largement son inspiration dans les trésors des légendes et du folklore des provinces de France. Ethnologue et poète, Seignolle, qui se dit volontiers paysan, connaît admirablement bien les traditions et les superstitions de la France "profonde". C'est un merveilleux conteur qui sait donner à ses récits une coloration particulière. Chez lui, le diable, les loups-garous et les vampires ne sont pas tout à fait semblables à ceux que l'on rencontre ailleurs. Certains récits de Claude Seignolle comme
La Malvenue, Le Chupador ou Marie la Louve sont devenus de véritables classiques de la littérature fantastique, maintes fois réédités et traduits dans de nombreuses langues. A l'aube du XXe siècle, il est temps, avons-nous pensé, qu'un colloque vienne enfin consacrer l'univers et l'écriture de l'auteur des Evangiles du Diable .
Les différents intervenants auront à coeur d'éclairer non seulement l'oeuvre de Claude Seignolle, dont les thèmes récurrents sont le diable, la mort, la fuite du temps, les peurs ancestrales et la sagesse paysanne, mais aussi la personnalité d'un homme attachant, profondément humaniste, dépositaire de la mémoire d'un monde rural en voie de disparition.

Conférences (suivies de débats)

R. Baudry : Le charme des animaux et le langage des bêtes chez Seignolle et d'autres auteurs. - J. Bencharit : Étude de La Malvenue. - D. Besançon : La mort dans l'oeuvre de Claude Seignolle. - J. Bessière ; Claude Seignolle, le fantastique comme exception. - R. Bozzetto : Claude Seignolle, ou les mystères de la temporalité. - G. Chatry-Touren : Le Double, analyse clinique de deux nouvelles, Le Bahut Noir et Le Chupador. - A. Chareyre-Mejan : L'inoubliable Seignolle, ou l'art du souvenir. - Ch. Grivel : Étude de Delphine. - A. Huftier : Claude Seignolle et la peur de l'organique - O. Joguin : Les visages du diable dans l'oeuvre de Seignolle. - D. Labbé : Images de la femme chez Claude Seignolle. - J. Marigny : Sagesse et traditions populaires dans l'oeuvre de Claude Seignolle. - G. Menegaldo : L'oeuvre de Claude Seignolle au cinéma et à la télévision. - J.-P. Picot : Les tranchées de 14-18 et le "fantastique de guerre" : Claude Seignolle, Arthur Machen et Henri Béraud. - A. Schaffner : Le jeu avec le lecteur dans les récits fantastiques de Claude Seignolle.
Communications (suivies de débats)
- F. Bazzoli : Claude Seignolle et les images. - H. Desmarets :
La Brume ne se lèvera plus. - D. Gachet : Le choix de la forme courte : la nouvelle chez Claude Seignolle. - Cl. Herzfeld : l'écriture de la possession dans La Malvenue. - S. Lazzarin : Dans la peau du loup. Le thème lycanthropique chez Claude Seignolle. - W. Schnabel : La peur chez Claude Seignolle.
Table ronde (suivie de débats)
A. Faivre, D. Gachet, J.Goimard, P. Jauliac : Claude Seignolle et le fantastique paysan.

Document 3 :

Revue Otrante, numéro consacré à Claude Seignolle, 1998. Sommaire :
Jean Pierre Sicre, Voir dans la nuit : avant-propos - Alain Delbe, L'île du sorcier - Arnaud Huftier, Claude Seignolle, ou la parole fait signes - Marie Charlotte Delmas, CS, quêteur de mémoire, conteur de sornettes - Roger Bozzetto, Un fantastiqueur singulier - Alain Charreyre-Méjan, Les yeux à rebours - Dominique Besançon, CS et sa légende de la mort - Delphine Bahut-Gachet, Pour une poétique du centre ville : réflexions sur le décor urbain de La nuit des Halles - Denis Mellier, Vertige des doubles : notes sur le bahut noir - Gwenhaêl Ponnau, Pauvre Sonia ou le don du sang - Annie Spiquel, Sur les pas de Gérard - Alain Schaffner, De la barrique à l'oubliette : CS sur les traces d'Edgar Poe -
Denis Labbé, Des présences sorcières - Sadoul Barbara, CS et les loups-garous - Jean-Pierre Jardin, Bêtes grises et sang noir : les loups de CS - Raymond Gilles, CS et les voix du terroir : un cycle de malédictions - Judharat Bencharit, La représentation spatiale de la psyché - Documents et non entretiens - Instants de folklore exotique - Questionnaire sur le folklore provençal - Mea Maxima culpa - Deux dents, pas plus - L'impossédable.

L'auteur : Né en 1965 à Lunéville, entre Vosges et Alsace, mais Nordiste d'adoption depuis plus de 20 ans, Denis Labbé a conservé cet amour du fantastique propre à ses forêts natales. Docteur es lettres, il enseigne à Avesnes-sur-Helpe et vit à Bavay. Il cherche à donner à ses élèves le goût de la lecture et de l'étrange. Écrivain, poète, traducteur et critique, plusieurs de ses nouvelles sont parues en anthologies : De sang et d'encre (Naturellement), Ainsi soit l'ange (Oxymore), mais également dans des revues aussi différentes que Phénix, Rétroviseur, Poésie Première ou Hauteurs dont il est l'un des rédacteurs. Il a participé à l'ouvrage collectif : H.P. Lovecraft, le Maître de Providence (Naturellement, 1999). On lui doit aussi des traductions de Brian Lumley (Necroscope, Vamphyri), Graham Masterton, Kim Newman ou encore Poppy Z. Brite. Auteur, en collaboration avec Gilbert Millet, d'un ouvrage sur le fantastique aux éditions Ellipses, Le Fantastique (note de lecture), il vient de terminer une biographie romancée Promenades avec Claude Seignolle (note de lecture), un roman , pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros) (note de lecture). Il est l'auteur de deux recueils de poèmes Au pas des oiseaux (Editinter 1998) et Entrevoix (Editinter 2001)d'un roman pour la jeunesse, Le Pavillon Maudit (Syros). Il est l'auteur, avec Gilbert Millet , d'un ouvrage sur le fantastique, Le Fantastique (Ellipses, 2000) (note de lecture), d'une étude de Shining (éd. Ellipses) (note de lecture), d'essais sur La science-fiction (éd. Belin, 2002) (note de lecture), Les mots du merveilleux et du fantastique (éd. Belin, 2003) et d'une Étude sur Tolkien, Le seigneur des Anneaux (éd. Ellipses, 2003) (note de lecture).

 Voir sa nouvelle sur ce site :

Denis Labbé, CAFÉ DU CENTRE

 

Notes :

 1 Claude Seignolle, Une enfance sorcière, reprise d'une partie de Lithos et moi (1960), Royer éd. 1994, Omnibus 2000.

2 Voir Gabriel Thoveron, Deux siècles de para-littératures, Lecture, Sociologie, Histoire, éd. du Céfal, 1996. Thoveron est professeur à l'Université Libre de Bruxelles et Directeur du Centre d'Études des Techniques de Diffusion de l'Institut de Sociologie, chargé d'études aux Instituts d'Études Politiques de Paris et de Lille.

3 Pierre-Georges Castex, Paul Surer et Georges Becker, Histoire de la littérature française, Hachette, 1974. Volumineuse histoire traditionnelle de la littérature française qui contient de nombreux résumés des oeuvres, ainsi que des évaluation de l´apport de divers textes ou auteurs. Le rond des sorciers de Seignolle est cité.
La thèse de Castex
Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, José Corti, 1951, a beaucoup fait pour populariser le fantastique à l'université.
Quelques semaines avant sa mort, Castex écrivait à Seignolle : "
À votre façon, vous avez agrandi le champ de la littérature fantastique et marqué notre époque.", cité par Estelle Perrin, Le Diable à travers les nouvelles campagnardes de Claude Seignolle, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, 1995.

4 Voir en fin de texte : document 1.

5 Sur laquelle Labbé tient des propos injustes. Voir la note 9. Revue certes confidentielle, compte-tenu de son prix et de sa densité intellectuelle. Mais s'interroge-t-on sur le tirage des revues du fantastique populaire (fantastique, SF ou autre)? Quelques cetaines d'exemplaires? Quelques milliers paraissent fabuleux aux éditeurs. Si les lecteurs de romans existent, de moins en moins nombreux d'ailleurs, rares deviennent ceux qui consacrent du temps à lire des analyses critiques sur les auteurs, et, à plus forte raison, sont disposés à payer pour le faire.

6 Denis Mellier Textes Fantômes, Fantastique et autoréférence, éd. Kimé, Collection «Détours littéraires», 2001. Ce texte est une reprise de celui consacré à Seignolle dans Otrante. Denis Mellier est Maître de Conférences à l'Université de Poitiers où il enseigne la littérature comparée et le cinéma. Il est l'auteur de L'Écriture de l'excès. Fiction fantastique et poétique de la terreur (Champion 1999) et La littérature fantastique, Seuil mémo, 2/2000.

7 Colloque sous la direction de Roger Bozzetto et Jean Marigny. Voir en fin de texte : document 2.

8 Violente même contre la revue Otrante, pratiquement accusée de nombrilisme. Pourtant, Denis Labbé se trouvait au sommaire... Voir en fin de texte : document 3.

9 Ville du Nord connue pour avoir eu des sorcières brûlées sur la place du village au XVIIème siècle, qui est devenue la cité des cucurbitacées (les citrouilles et leur famille!) et de la fête des sorcières.

10 "Méfiez-vous, je suis un menteur", entretien avec Marie-Charlotte Delmas, automne 1997, cité dans Otrante, op. cit., p. 39, qui raconte aussi que sa mère disait de lui en périgourdin : "Ne l'écoutez pas, c'est un original. Il raconte toujours des histoires. Il ment, mais il en fait son métier." (p. 40)

11 Labbé analyse d'ailleurs bien ces glissements, à propos d'une anecdote d'Une enfance sorcière (p. 29) : "Je vis, à dix mètres peut-être, au fond de l'oubliette ronde, telle une immense jarre, je vis les restes osseux, squelettes parfaitement conservés, d'un groupe de soldats anglais de la guerre de Cent Ans; une demi-douzaine de prisonniers malchanceux, suppliciés et jetés là sans pitié, sans doute encore vivants, abandonnées à la mort lente et crevés de faim comme sur un radeau perdu en mer." Seignolle donne à cette anecdote tous les caractères de la vérité : le "Je vis", répété deux fois; les nombreux détails réalistes. Et pourtant, l'essentiel n'a pu être qu'inventé, en l'absence d'une investigation historique convenablement conduite. Rien n'est prouvé, mais littérairement, l'emprise est si forte qu'elle anesthésie complètement notre sens critique. Mais un détail concret gêne : la gardienne allume de "vieux journaux" qu'elle jette dans le puits pour éclairer les restes. Depuis le temps que ce manège dure, que peut-il encore rester de visible au fond du puits sous les papiers consumés? Comme le fait remarquer Labbé : "Bien entendu, et Seignolle le raconte, il n'y avait peut-être au fond de ce puits que des pierres et quelques vagues bouts de tissus, l'imagination ayant fait le reste. Mais pour l'enfant pétri de contes et d'histoire, aucun doute n'était possible.", note 56, p. 170. Le ciselage du texte a fait le reste.

12 Le diable de Seignolle est un personnage proche de l'humain, avec des caractéristiques anthropomorphiques marquées, ce qui le rend proche, parce que le paysan peut le comprendre à partir de la psychologie humaine. Il est en même temps effrayant, à cause de ses pouvoirs. Dans les romans et nouvelles de Seignolle, le diable - mise en scène littéraire oblige - nécessite une mise en scène plus tragique, où la méfiance à l'égard de l'occulte est importante, comme la contamination des ingérences démoniaques.

13 Estelle Perrin, Le Diable à travers les nouvelles campagnardes de Claude Seignolle, op. cit., p 60.

14 Jean Delumeau, La peur en Occident, Fayard, 1978.

15 "Cette parfaite fiction (Satan), sans la moindre substance, fabriquée par les Zoroastriens du Vème siècle avant notre ère, puis le christianisme, est toujours parfaitement vivante dans les pays prétendument les plus développés du monde.", Gérald Messadié, Histoire du Diable, Robert Laffont, 1993, p. 24.

16 Avec son compère Louis Pauwels, il a notamment écrit Le matin des magiciens, gros succès de librairie, publié en 1960, éd. Gallimard.

17 Maisonneuve et Larose éd., 1969. Réédité dans une édition enrichie en 1974, W. Beckers éd. Réédité par Maisonneuve et Larose, 1996.

18 Quelques contes ont cependant été tirés de certains récits : Le Numéro 141, Une santé de cerisier, La main de pierre, Un vieux mélomane.

19 Un exemple de critique d'Anthesis : "Claude Seignolle, de sa plume magique, donnera naissance à une oeuvre unique dans les annales de la littérature fantastique. Une oeuvre terrifiante à souhait où désormais le Diable perd son rôle de dupé. Comme dans la danse du Sabbat, Seignolle prend à rebours le lecteur, les puissances maléfiques retrouvent leurs pouvoirs et nous entraînent vers les racines du mal, le véritable, celui qui fit trembler tant de nos aïeux lors des anciennes veillées au coin du feu." Je viens juste d'écrire le contraire. Pour avoir vécu dans le milieu paysan il y a un demi-siècle, je puis témoigner que, excepté quelques personnes influencées par les prêtres, les paysans avaient une attitude beaucoup plus nuancée, plus ambiguë à l'égard du diable et qu'ils ironisaient facilement à son sujet. Tout en s'en méfiant cependant : on ne sait jamais... On ne sait jamais : la formule est toujours utilisée de nos jours et témoigne du même fonds superstitieux.

Droit de réponse : Elric Warrior me fait les remarques suivantes :

"Mais que faites vous des études de Claude Seignolle sur les traditions et superstitions ? Peut être que dans les années 50, on pouvait ironiser selon votre experience sur le diable mais certainement pas sur ses "proches collaborateurs ", c'est à dire les sorciers.

Je n'arrive pas à saisir votre raisonnement, comment peut on ironiser tout en se méfiant ? Cela me parait incroyable.

Pour ma part, je pense sincèrement que si le Diable avait un rôle de dupé dans de nombreux contes et récits, c'etait du fait qu'il était craint et on se moque toujours de ce que l'on ne peut comprendre .En somme c'est une sorte d'exorcisme.

Le curé de village a toujours joué un rôle énorme , il était le seul recours contre les puissances démoniaques car il possedait selon les paysans, les moyens de combattre le malin ou ses suppots car lui aussi avait des formules secretes.

Lui seul pouvait détruire le sort d'un sorcier, d'ailleurs Claude Seignolle décrit cette action dans ses romans et nouvelles.

Et c'est pour cette raison que j'ai précisé dans mon introduction d' www.heresie.com/seignolle/ <http://www.heresie.com/seignolle/> que Claude Seignolle rendait au Diable son véritable pouvoir, il n'etait plus comme dans de nombreux contes, le dupé.

Le fait que l'on peut trouver dans les recueils de légendes que Claude Seignolle a dirigé, des contes étranger a sa production ou le Diable passe pour un idiot n'a strictement rien à voir avec le Diable Seignollien. Merci de m'avoir lu et bonne fin de week end !

Cordialement

Elric Warrior

20 Je remarque malicieusement que, à l'imitation des travaux universitaires, il comporte son cortège de notes et sa bibliographie...

 

 

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