Greg Egan, La Cité des permutants

Laffont (Ailleurs et demain 1996), Livre de Poche 1999.

Greg Egan est un auteur prometteur, mais difficile, qui a renouvelé la hard science en se spécialisant dans les technologies informatiques. Dans ses nouvelles et romans, les personnages d'Egan foisonnent de greffes et d'implants. Egan insiste dans ce récit sur ce qui forme l'essentiel de sa pensée : seul ce qui est pensé existe. L'homme étant le plus avancé des êtres intelligents, cette assertion équivaut, en toute logique, à en faire l'homme l'égal de Dieu de par ses créations.
En 2045, les ressources de la réalité virtuelle permettent de survivre à sa propre mort physique grâce aux immenses progrès de l'informatique. La puissance de calcul des machines a augmenté considérablement, et il est devenu possible de produire des simulations très détaillées du cerveau et du corps humain. La technologie de balayage des données du cerveau s'est en effet perfectionnée à tel point qu'il est devenu possible de télécharger la copie du cerveau ainsi mémorisée, sa configuration neuronale, dans un environnement virtuel. Ceux qui en ont les moyens financiers peuvent décider de se faire une copie informatique, copie qui sera injectée dans un monde virtuel, Permutation City. Dans les deux cas, l'homme qui se fait scanner, copier et coller, se retrouve avec deux Moi, l'un organique, l'autre numérique.

Le lecteur risque d'être désorienté par ce monde en rupture qui pose des problèmes d'identité, avec de multiples questions nouvelles (que devient, dans cette perspective, l'objectivité du réel à laquelle il est habitué?). Qu'est au juste l'homme? Pour faire quoi? Egan se révèle proche de P.K. Dick et comme lui propose un réel qui ne peut être que subjectif. Dès lors, les problèmes posés sont nombreux et ne sont pas tous résolus par la législation de la société du moment. La copie est-elle un être humain? Ce clonage virtuel est-il bien fondé? Jusqu'à quel nombre peut-on multiplier les individualités? L'opération "copier-coller" peut s'accompagner d'une autre : "supprimer" : les personnages, une fois copiés, sont-ils obligés de laisser vivre l'original ou peuvent-ils le détruire, le tuer dans son existence virtuelle? Des oeuvres d'Egan suggèrent que notre monde n'est qu'un état parmi les possibles.
La Cité des Permutants va plus loin et propose l'idée d'un univers subjectif et immatériel, sans base réelle

Brillant chercheur en informatique, Paul Durham sait créer des copies numériques de lui-même et d'autres, suffisamment fortunés pour couvrir ses frais. Il crée la cité des Permutants, qui met la possibilité de se survivre à la disposition d'une dizaine de nababs tentés par l'immortalité. Les milliardaires immortels seront en fait leurs copies numérisées, vivant en simulation une réalité virtuelle sur mesure semblable à un univers réel, rendu par les possibilités de calculs d'un méta ordinateur. Le problème est que, numérisés, certains milliardaires acceptent mal leur condition. Par exemple l'un d'entre eux n'assume pas la culpabilité d'un acte accompli alors qu'il était vivant et se demande comment comment y remédier.

A partir de cette situation, Egan explore les rapports paradoxaux et conflictuels qui peuvent exister entre réalité et réalité virtuelle dans un thriller informatique aux résonances métaphysiques. Il va très loin. Avec l'aide de Maria DeLuca, passionnée du Cosmoplexe, un univers artificiel aux lois biochimiques inventées à partir de 32 atomes de base, Paul Durham élabore une théorie révolutionnaire : tout système complexe peut exister sans support informatique. C'est en appliquant le modèle connu sous le nom d'«effet papillon» qu'il a pu concrétiser le rêve de créer une cité virtuelle parfaite, celle dont il propose le financement aux milliardaires, avec l'immortalité en contre partie.

Les perspectives spéculatives du sujet et les développements à caractère scientifique ont tendance à supplanter l'action. Egan expose son concept d'un cosmos à part entière s'ordonnant autour de l'interactivité cellulaire. sous-tendu par les lois physiques qu'il expose. Il explore des thématiques complexes comme l'idée de la cohérence interne et de la structuration suffisante ou la religion tautologique, vide de sens mais irréfutable. Il aborde des questions liées à la conscience humaine : si la conscience est le résultat d'une configuration donnée, un univers virtuel indépendant de notre monde matériel, qui peut donc continuer d'exister même après la destruction de son support initial? Dans La Cité des permutants, les hommes ont inventé un nouvel univers comme l'avaient fait les Dieux. C'est bien ainsi que se considèrent les copies créées par Durham par rapport à d'autres créatures virtuelles vivant dans le Cosmoplexe, autre univers virtuel. Egan suggère ainsi que nous sommes peut-être issus de l'esprit d'autres êtres, vivant dans un autre espace-temps, somme toute la matérialisation du programme d'un méta programmateur.

Plusieurs problèmes généraux naissent de la lecture de ce livre. D'abord des réflexions sur les rapports de l'homme à la religion et à la science. Si l'homme est Dieu, il devient responsable de ce qu'il est et de ce qu'il a créé. Car il peut créer aussi bien que détruire. Egan montre aussi implicitement que le système ultralibéral poussé à l'extrême aboutit à une nouvelle forme de dictature, dans laquelle les citoyens acceptent d'être aliénés tout en croyant être libres. Se faire "scanner" et "copier" coûte fort cher et seul les riches peuvent évoluer dans la réalité virtuelle, ce qui condamne les pauvres. Dans l'ensemble, la vision d'Egan se montre plutôt désabusée.

Le lecteur rebelle à la "hard science" éprouvera des difficultés à lire ce livre ardu, mais fort intéressant. Il faut 150 pages pour arriver vraiment à l'action. Cohérent si on prend la peine de le décrypter, son univers, ne s'impose que lentement à son lecteur. Certains n'ont pas aimé, dénonçant l'accumulation des descriptions technologiques qui leur paraissent confuses, tandis que le récit se perd en sinueux méandres. Pour le débutant, il vaudrait mieux aborder Egan par un autre livre que celui-ci, par exemple
Téranésie.

La quatrième de couverture :
À être une copie de soi-même, est-ce continuer à être soi-même ? C'est la question que se pose Paul Durham tandis qu'il multiplie ses doubles informatiques. Et il fait une découverte bouleversante : c'est qu'un univers virtuel conçu d'une certaine façon n'a plus besoin d'un support matériel pour exister. L'univers réel peut disparaître, le virtuel poursuivra son expansion. Éternellement. Paul Durham se demande avec quels êtres peupler sa Création. La Cité des permutants est probablement le livre le plus novateur de ces dix dernières années. Greg Egan, Australien, est l'étoile qui monte au firmament de la science-fiction mondiale.
En l'an 2050, on peut désormais survivre à sa propre mort physique grâce aux ressources de la réalité virtuelle. A partir de cette donnée de base, l'auteur explore les rapports paradoxaux et conflictuels qui peuvent exister entre réalité et réalité virtuelle en un thriller informatique aux résonances métaphysiques. L'action proprement dite est supplantée par les perspectives spéculatives du sujet.

On ne possède pas de photo de Greg Egan, ce qui constitue un mystère

Australien, 1961. Avec une formation de mathématicien et un emploi de programmeur, Egan s'intéresse à toutes les sciences, les mathématiques la biologie ou la physique et l'informatique. Il met dans ses romans une grande rigueur scientifique. Écrivain à temps plein depuis 1992, avec quatre romans et deux recueils de nouvelles, Greg Egan s'est imposé comme l'un des auteurs les plus originaux du renouveau de la SF anglosaxonne. Il s'intéresse aux développements des technologies nouvelles et aux conséquences éthiques et morales de celles-ci. Greg Egan a été découvert en France, en 1994.


Bibliographie francaise

Romans

Isolation

(Quarantine, 1992)

éditions Denoël

collection Lune d'encre

La cité des permutants

(Permutation city, 1994)

Robert Laffont , 1996

collection Ailleurs et demain.

Livre de poche Science Fiction

7224, 2000.

L'énigme de l'univers

(Distress, 1995)

Robert Laffont , 1997

collection Ailleurs et demain

Livre de poche Science Fiction

Téranésie

(Teranesia, 2000)

Robert Laffont, 2001

collection Ailleurs et demain

note de lecture

Recueils

Notre-dame de

Tchernobyl

(Our lady of

Tchernobyl,

1995)

éditions DLM, 1996

Contient les nouvelles suivantes :

Mortelles ritournelles (Beyond the whistle test, 1989)
Rêves de transition (Transition dreams, 1993)
Comme paille au vent (Chaff, 1993)
Notre-dame de Tchernobyl (Our lady of Chernobyl, 1994)

Axiomatique

( Axiomatic, 1995)

éditions DLM, 1997

Contient les nouvelles suivantes :

Axiomatique (Axiomatic, 1990)
Le coffre-fort (The safe-deposit box, 1989)
Le tout p'tit (The cutie, 1989)
La caresse (The caress, 1990)

Nombreuses nouvelles.

 

Roland Ernould © 2002

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