Il n'est pas rare de rencontrer des
écrivains de science-fiction de formation scientifique. C'est
le cas de Greg Egan, dont la
culture scientifique est impressionnante. Sa science-fiction hard,
d'abord proche du courant cybernétique (elle s'en est
éloigné récemment), utilise comme support
intellectuel des spéculations souvent ardues pour le lecteur
littéraire, qui sont des extrapolations de haut niveau des
plus récents acquis scientifiques en physique, biotechnologie
et en intelligence artificielle. Mais si Egan, admis par le public
anglo-saxon cultivé comme l'un des auteurs les plus
prometteurs de sa génération, est remarqué par
la richesse de ses idées, et la rigueur de ses romans, ses
lecteurs ont constamment déploré une grande
sécheresse des sentiments. D'autant plus remarquable que
l'auteur semble préoccupé en permanence par des
problèmes d'identité, en particulier d'identité
sexuelle.
Or ce roman représente un tournant intéressant dans
l'évolution de la carrière d'Egan (à
la quarantaine, il n'est écrivain à plein temps que
depuis une dizaine d'années et a l'avenir devant lui).
Balayés par l'avalanche d'idées de leur auteur, ses
personnages décodent le monde plutôt qu'ils le vivent.
Les personnages de Téranasie
ne manquent pas de naturel et ne souffrent pas d'une absence de
profondeur émotive comme ceux qui les ont
précédés. Un grand frère de neuf ans,
Prabir, doit quitter une île déserte de
l'Indonésie où ses parents font des recherches sur un
papillon mutant, accompagné de sa petite soeur qui marche et
parle à peine. Lors d'un conflit qui ne les concernait pas,
leurs parents biologistes ont été tués par des
mines lâchées d'un avion la nuit. Réfugiés
aux USA chez une tante,les enfants font des études
scientifiques. Ils se retrouveront sur cette île vingt ans,
poussés plus tard par le poids du passé et des
circonstances favorables. Sur l'île et les îles
environnantes, des espèces vivantes jamais vues excitent les
scientifiques, mais inquiètent les autorités pour leurs
dangers potentiels.
Ce thème en lui-même aurait pu constituer le contenu du
roman. En fait, il sert de toile de fond à Egan,
qui étudie le développement de deux
personnalités, leur passage de l'enfance au difficile
âge adulte. Prabir, remarquablement intelligent et ce,
dès l'enfance, n'a pas mûri en fait. Il se sent coupable
de la mort de ses parents. Homosexuel, il continue à vivre sa
relation protectrice avec sa soeur, alors que c'est lui-même
qu'il protège. On saura que la clé de son
problème psychologique est son sentiment de culpabilité
à propos de la mort de ses parents. Sa soeur souhaite pour son
compte trouver son autonomie. Ils doivent tous deux
réorganiser leur passé pour devenir adultes.
Egan va utiliser le retour au passé et les
problèmes nouveaux difficiles qui vont se poser pour leur
donner à chacun la stabilité et permettre à la
relation frère-soeur de fonctionner sur de meilleures
bases.
Parallèlement à la quête d'identification des
personnages, Egan reprend
quelques thèmes qui lui sont chers : la dénonciation
des discriminations (sexuelles, culturelles, sociales, politiques),
la caricature parfois méchante des spéculations et
élucubration irrationnaliste des élites (les discours
incompréhensibles, ou cette idée loufoque pour laquelle
se bat la tante féministe de Prabir : elle veut mettre en
place l'ordinateur transgressif, où le I phallique du binaire
serait à son tour dominé par le 0 vaginal!).
Avec son humanité nouvelle et son accessibilité
narrative plus grande, un sens de l'humour qui s'affirme, on peut
espérer qu'Egan sorte du
cercle élitiste où il est actuellement enfermé
et trouve un plus large public. En continuant dans cette voie qui
ajoute émotion à inventivité, lucidité
sur la société et compréhension plus fine des
mécanismes psychologiques humains, il ne peut que progresser
pour atteindre le meilleur, alors qu'actuellement on ne peut
prétendre qu'il est un auteur achevé. Le lecteur qui
aurait fait un essai malheureux avec le difficile Isolation par exemple aura tout à gagner en
lisant ce roman, qui est actuellement le plus adapté à
la compréhension d'un auteur-culte des milieux de la
science-fiction d'avant-garde.
La quatrième de couverture :
Sur une île déserte du Pacifique, un couple de biologistes indiens étudie une espèce nouvelle de papillons, splendides et mystérieux. Ils ne correspondent à rien de connu et, selon les lois de l'évolution, ils ne devraient même pas exister.
Le fils de ces chercheurs, Prabir, neuf ans, a inventé un nom à cette île: Téranésie. Il y découvre le monde avec une acuité intellectuelle singulière. Mais la guerre qui se déchaîne soudain dans ces parages de l'Indonésie va bouleverser sa vie.
Il lui faut fuir l'île, seul, en compagnie de sa petite soeur Madhusree.
Depuis cet autre bout du monde, le destin le ramènera vingt ans plus tard dans cet archipel, puis sur cette île où sont morts ses parents et où Madhusree a repris leur recherche.
Ce sont des espèces entières, jamais vues, qui semblent surgir du néant, porteuses peut-être d'une menace pour l'humanité tout entière...
Greg Egan, l'un des plus grands écrivains actuels de science-fiction, raconte ici avec une intensité frémissante la vie tourmentée d'un homme qui devient le porteur - et le symbole - d'une prodigieuse énigme scientifique. Une énigme d'une dimension telle qu'on n'en a pas vue depuis longtemps dans la littérature.
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Bibliographie francaise
Romans
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Recueils
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Rêves de transition (Transition dreams, 1993) Comme paille au vent (Chaff, 1993) Notre-dame de Tchernobyl (Our lady of Chernobyl, 1994) |
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Le coffre-fort (The safe-deposit box, 1989) Le tout p'tit (The cutie, 1989) La caresse (The caress, 1990) |
Nombreuses nouvelles.