LE SURNATUREL
DANS LES
PREMIÈRES NOUVELLES
de Stephen
King 2
Vous êtes
toujours en train de vous chercher."1
1972. Petits soldats.
32
Cette nouvelle, qui ressemble
à du Philippe K. Dick33 des années cinquante n'est pas la
première à prendre comme sujet les horreurs
technologiques. Dans les nouvelles d'adolescence de King, le
thème était traité en tant que science-fiction,
comme dans Une
sale grippe (première
nouvelle publiée qui annonce une fin de monde, qui prendra de
l'extension avec Le Fléau). Poids lourds,
La
Presseuse et La Pastorale sont révélatrices d'une des
obsessions de l'auteur, qu'il développera plus longuement dans
Christine.
Par leur "pacte faustien avec
la Machine"34, nos contemporains ont menacé leur corps, leur
âme et leur avenir. Les terreurs «mécaniques»
ont traversé l'imagination de science-fiction des
années d'après-guerre. La machine devient alors le
symbole menaçant de la modernité, et un être
porteur de mort. De la bombe atomique aux ordinateurs et robots
révoltés, est crainte la mainmise de la machine sur la
nature et notre vie. Les sujets sont nombreux qui fondent cette
angoisse : des Robots d'Asimov35 avec leurs règles de conduite, à
l'ordinateur de 2001, l'Odyssée de
l'espace, qui
échappe au contrôle humain, l'évolution est au
pessimisme.
.. du site ..
couvertures des
premières éditions américaines.
Dans un premier temps, la S.-F.
aimait tout autant qu'elle redoutait les machines dont elle craignait
toujours la révolte. Puis l'inquiétude est venue, avec
le nucléaire et Hiroshima. Comme le dit Jacques Goimard :
"Tout est possible aux machins
devenus les machines, aux chimères devenues
réalités. Nous pouvons nous en émerveiller comme
le firent les surréalistes, comme le font encore les amateurs
de micro-informatique ou les spectateurs de La Guerre des
étoiles. Nous pouvons aussi nous en inquiéter, nous
dire que non seulement l'objet de notre désir reste
inaccessible mais que l'instrument même de notre désir
nous échappe et obéit à une autre loi que la
nôtre. La machine n'est plus notre machin. La modernité
est porteuse de mort."36 Nos contemporains s'inquiètent ainsi des ravages
que les machines et les techniciens qui les utilisent peuvent causer
aux autres humains, ainsi qu'à la terre et l'environnement et
s'effarentdevant les multiples découvertes scientifiques.
Stephen King a repris ce thème éculé, avec un
bonheur inégal. Il est tantôt médiocre, comme
dans cette nouvelle. Mais ordinairement il fait preuve
d'efficacité, sans cependant vraiment renouveler le
thème. Son originalité est que, loin de seulement
créer une inquiétude philosophico-éthique, comme
c'était le plus souvent le cas des auteurs de la
génération précédente, il en appelle
à un sentiment de peur plus intense et plus paralysant.
La nouvelle Les petits soldats s'inspire de cet état d'esprit, qui se trouve
mixé à deux autres particularités. D'une part,
la présence toute proche de la guerre du Vietnam, sujet encore
brûlant chez un King resté proche d'une de ses
préoccupations étudiantes primordiales. D'autre part,
le thème du jouet acquérant une autonomie dans
l'exécution d'une tâche donnée par un humain. On
trouvera ultérieurement dans Le singe le
gadget qui se retourne contre les humains, sans que l'on sache qui
l'inspire.
Dans Les petits soldats, la situation, imposée de façon
thétique, est singulière : on ne saura jamais comment
peuvent bien fonctionner ces jouets guerriers. Ce qui surprend chez
eux, c'est qu'ils allient une efficacité toute
mécanique à la connaissance précise des
comportements prévisibles de leur adversaire. D'autant plus
que l'ennemi est de taille, c'est un tueur professionnel, ses clients
le recherchent avant tout pour
"son infaillible instinct de prédateur. John Renshaw
était un rapace humain que ses gènes et son
environnement avaient conditionné à être
inégalable en deux circonstances : quand il fallait tuer et
quand il fallait survivre."(166) Il vient de remplir un «contrat», qui
l'a amené à éliminer le fondateur et
propriétaire d'une fabrique de jouets, la Morris Toy Company.
Il reçoit un colis, et reconnaît à
l'écriture - penchée et pointue - de l'adresse qu'il a
été envoyé par la mère de sa victime, une
"vieille taupe avec la figure
encore plus jaune que Morris". En effet, sur le bureau de ce dernier se trouvait une
photo, avec cette dédicace : "De la part de ton idéal féminin. Ta
maman."(167) Dans le colis,
une G.I.JOE - BOITE VIETNAM, contenant une vingtaine de fantassins,
10 hélicoptères, des hommes avec mitrailleuse et
bazooka, des Jeeps. Les hommes s'échappent de la boîte
ouverte et se mettent en position, de combat. Renshaw réagit
aussitôt : "Son esprit
ne perdit pas de temps à mettre en doute ce qu'il voyait -
seule l'évaluation de ses chances
l'intéressait"(168)
Les soldats - hauts de quatre centimètres - et les engins lui
infligent de légères, mais douloureuses blessures. Ils
manoeuvrent comme une troupe aguerrie et mettent rapidement Renshaw
en position d'infériorité. Il n'est pas utile d'entrer
dans les détails de ce combat dont Renshaw sortira vaincu,
désintégré par une explosion qui ne laisse que
sa chemise...
De ces soldats mécaniques, on
ne saura rien : simplement que l'esprit de la mère de
l'industriel les anime. Pour son malheur, Renshaw n'a pas
trouvé un papier d'accompagnement : "Hé! les gars! Un super-bonus dans cette
Boîte Vietnam. 1 lance-roquettes. 20 missiles sol-air à
tête chercheuse. 1 mini-bombe atomique."(175)
Cette nouvelle a moins de valeur littéraire que La Presseuse qui va suivre. Les soldats fonctionnent bien
sûr dans le monde froid, mécanique et impitoyable de la
technique. Mais qui l'a ici emporté, le génial
fabricant de robots militaires efficaces, ou les jouets-robots,
simulacres techniques du vivant, sortes de
délégués de la mère vengeresse de leur
créateur, et qui se révèlent meilleurs tueurs
qu'un assassin professionnel?
1972. La presseuse 37.
Bien plus complexe et puissante que
la nouvelle précédente, La Presseuse bénéficie de deux éléments
et joue sur plusieurs registres. Elle est directement issue de
l'expérience de King vivant de petits boulots, et
témoigne de sa peur devant certaines machines qu'il a vu
fonctionner. Ensuite elle traite de l'objet hanté de
façon complexe, en mélangeant subtilement surnaturel et
occulte. Il y avait une très brève allusion à
des pratiques occultes dans Une sale grippe.
Mais La
Presseuse est le premier
texte où l'occulte prend une place importante, où le
surnaturel et l'occulte se trouvent associés. Suivant le plan
qui a été choisi pour cet essai, la partie
«occulte» ne sera ici évoquée que dans la
mesure où elle permet au surnaturel de prendre son sens. Les
rapports entre la presseuse et l'occulte seront examinés plus
loin.
En 1970, King est
diplômé de l'université du Maine, mais ne trouve
pas d'emploi dans l'enseignement. Il travaille donc dans une laverie
industrielle. Cette expérience est présente dans de
nombreuses oeuvres de King, avec une allusion précise
: "Je suppose qu'un prof de
fac comme toi ne connaît rien aux blanchisseries industrielles?
Jackson étouffa un rire : - Eh bien, figure-toi que si. J'y ai
travaillé tout un été comme
manutentionnaire."(114)
Dans La
presseuse, une plieuse
repasseuse électrique39 possédée par le démon s'arrache du
sol pour rechercher ses adversaires. Le théâtre de
l'action est le «Blue ribbon» qu'on retrouve
également dans Carrie et
Chantier, les personnages
principaux y travaillent. Dans une interview donnée à
Martin Coenen, King fait d'abord état de sa peur des engins
techniques : "J'aime les
machines mais elles me terrorisent. Quand j'ai publié mes
premières nouvelles, j'étais professeur et je
travaillais en même temps dans une blanchisserie. Il y avait
une presseuse dans cette blanchisserie. Elle repassait et pliait
rapidement. Vous y mettiez un drap froissé et il ressortait
plié et net. Ma mère a également
travaillé dans une blanchisserie sur une machine de cette
sorte."
Puis il signale l'accident dont il
s'est inspiré pour un épisode du récit. Dans la
blanchisserie où travaillait King, un ouvrier avait perdu ses
mains remplacées par des crochets. Pendant la seconde guerre
mondiale, il n'y avait plus beaucoup de spécialistes pour
s'occuper des réparations. En réparant un câble
électrique, l'ouvrier a glissé d'une poutre au-dessus
de la machine, pendant qu'elle fonctionnait et il est tombé
dans la presseuse : "La
machine lui a pris ses bras jusqu'aux coudes. Elle les a simplement
attrapés et écrasés et la chair s'est
gonflée pour finalement éclater et éclabousser
partout. Ils lui ont coupé les bras avec une hache de pompier.
L'histoire était si horrible que je savais qu'il fallait que
je l'écrive immédiatement. Les machines me font
peur."(Coenen, 80) On
trouvera en note la description partielle que cette scène lui
a inspirée.
Avec cette nouvelle, King utilise
deux thèmes appliqués au même objet. D'abord
celui de l'animation de la matière, la métamorphose
étant habituellement appliquée aux animaux avec
l'utilisation de symboles thériomorphes40 : une machine acquiert son autonomie et un
comportement humain. Ensuite celui de l'objet maudit, dont une
conjonction de circonstances a éveillé un esprit
sanguinaire, un démon, que seules des pratiques rituelles
magiques appropriés pourront maîtriser.
La machine se transforme :
"La presseuse continuait de
tourner, toujours plus vite, tapis, cylindres et rouages
défilant si furieusement que leurs formes se fondaient,
réapparaissaient, se métamorphosaient, fusionnaient, se
transmuaient."(133) Avec
l'image d'animalité "d'une masse qui le contemplait de ses deux
énormes yeux électriques, ouvrant grande sa gueule
où palpitait une langue de toile."(134) Il lui faut sa ration de sang, comme un carnassier
: "La presseuse engloutit ce
qu'on lui avait abandonné en pâture... puis
s'arrêta."(125)
L'animation de la matière est un défi et
l'anthropomorphisme de la machine apparaît sans cesse :
"On aurait presque dit...
qu'elle nous narguait."(117);
"C'était à
croire que la repasseuse respirait."(120); "Exactement comme si la machine avait pris le goût
du sang."(121);
"Hunton se dit que la machine
semblait bel et bien vivante - une machine respirant à grandes
goulées brûlantes puis émettant pour
elle-même des chuchotements sardoniques et
sifflants."(133)
"La machine les
attendait."(131)"La machine
leur avait fait abattre leurs cartes pour leur montrer qu'elle
était la plus forte."(132) Jusqu'au moment où elle cesse de
fonctionner comme une machine fixée pour prendre son autonomie
et sa mobilité : "La
machine essayait d'échapper à sa prison de
béton, tel un dinosaure tentant de s'extirper de sa fosse de
goudron. (...)
Elle se transformait, mutait.
Le câble de 550 volts tomba en crachant son feu bleu entre les
cylindres : il fut avalé. L'espace d'un instant, ils se
crurent observés par deux boules de feu, semblables à
deux yeux à l'éclat blafard, deux yeux voraces et sans
pitié."(133)
Alors que la machine est en bon
état surviennent successivement un accident mortel, une femme
déchiquetée par la presseuse; des brûlés;
un bras arraché Comme dans les récits
précédents, lors de la tentative d'explication des
faits incompréhensibles se produit un moment
d'hésitation entre le réel et le surréel. Trois
témoignages sont proposés au lecteur : ceux d'un
inspecteur de police, d'une ouvrière bavarde et d'une jeune
fille. Les responsables qui se sont chargés de résoudre
l'affaire acceptent facilement le surnaturel, pensent maîtriser
la situation et basculent dans un monde fantastique. Car pour
l'inspecteur du travail qui passe son temps à examiner des
machines un seul diagnostic est possible : la presseuse est
hantée.
La machine est devenue un mixte :
habitée par un démon sanguinaire qui lui donne des
caractères humains, elle continue de fonctionner comme une
machine : "Des lambeaux de sa
blouse blanche et de ses pantalons bleus, et même des
lanières de ses sous-vêtements avaient été
arrachés puis éjectés à l'autre bout de
l'engin, neuf mètres plus loin; sinistre détail, la
machine automatique avait restitué les plus grands fragments
d'étoffe maculée de sang, pliés avec
soin."(115) Pour les
ouvrières, la cause est entendue : "Les filles ont horreur de travailler dessus.
Éssie dit même qu'il y reste encore des petits bouts
d'Adelle Frawley et que c'est un sacrilège ou un mot dans ce
genre. On dirait qu'il y a une malédiction."(120) "C'est un endroit maudit."(125)
Leur méthode de recherche des
informations à la bibliothèque par les protagonistes
annonce celle de leurs homologues de Salem.41 Évidemment, il ne peut sortir de ces recherches
aucune interprétation rationnelle à caractère
scientifique. Mais une logique dans l'irrationnalité du
comportement de l'objet se dégage si on se place dans la
perspective de l'objet maudit, de la possession, et de l'exorcisme
qui sont du domaine de l'occulte. Cette nouvelle sera la
première d'une série qui touche à cette
sphère où, selon l'assertion de Jacques
Goimard42 : "les machines
cessent d'être bizarres et de fonctionner à des fins
seulement ludiques; elles nous parlent de limites et de notre mort,
elles font figure de dieux tragiques, elles ne sont plus
amusantes."D'où
l'importance du sang et de ses corollaires, avec des notations
presque à chaque page :
"Comme si la machine avait pris le goût du
sang."(121) "débris humains"; "loque sanglante"; "filets de
sang"; "lambeaux de chair"; "sang bleu
giclant par saccades."(125);
"On se serait cru au milieu
d'un abattoir."(124);
"Une odeur d'ozone flotta dans
l'air, semblable au parfum cuivré du sang
chaud."(133) Jusqu'à
la dernière image fantastique de la machine dans la rue
à la recherche des deux protagonistes survivants
: "Grincements,
sifflements..., quelque chose répandait dans les rues une
vapeur brûlante. L'odeur de sang envahit la
pièce."(135)
1972. Le croque-mitaine 43.
Le croquemitaine est ce personnage
imaginaire que les parents évoquent pour effrayer les enfants
et s'en faire obéir. Pour King, le croquemitaine va devenir un
concept de plus en plus général, complexe en extension,
englobant tout ce qui fait peur. Le mot apparaît pour la
première fois dans cette nouvelle énigmatique, avec
plusieurs significations : l'être fantastique et
méchant, qui vit dans le placard, et dont on menace les
enfants pour les effrayer. Il est le symbole de la mort, dans la
mesure où King a relié le vécu du personnage
à son expérience personnelle et à la mort
curieuse de ses trois enfants. Et enfin parce que le croquemitaine
serait aussi la peur que nous avons de nous-mêmes et des
pulsions négatives que nous ne maîtrisons pas.
Dans plusieurs interviews, King a
évoqué sa situation de jeune père, chargé
d'enfants44. A cette époque, son attitude n'est pas sans
ambiguïté45 : "La
première fois que j'ai réalisé que les parents
ne sont pas toujours bons, ce fut quand le gosse ne voulait pas
arrêter de crier pendant la nuit. Je devais me lever pour lui
donner un biberon, et quelque part au fond de mon esprit, dans
quelque égout là-derrière, un repaire
d'alligators... Fais le cesser de crier. Tu sais comment faire -
utilise l'oreiller."46 Simultanément, ce qui lui fait peur, son
"pire
cauchemar", c'est d'aller
voir ses enfants en pleine nuit et d'en trouver un, mort dans son
lit. King a spécialement évoqué la situation du
père du
Croquemitaine : "Dans "The Boogeyman", il y a trois cas de
bébés morts au berceau. La mort au berceau était
pour moi, jeune père avec des enfants encore au berceau, le
croque-mitaine. J'allais les voir la nuit et s'ils dormaient
très profondément, je mettais la main sur leur poitrine
et la laissais jusqu'à ce que je la sente se lever et
s'abaisser, parce que j'étais horrifié par cette
idée. D'une certaine façon, je décidais que
c'était vraiment ce que faisait le croque-mitaine. Le
croque-mitaine sortait du placard, et tous les enfants qui mouraient
dans leur sommeil étaient ses victimes."47
Les trois enfants de Lester Billings
sont inexplicablement morts les uns après les autres et il
s'accuse de les avoir assassinés au psychiatre qu'il est venu
consulter. Billings a eu, à l'égard de ses enfants,
l'attitude équivoque que King a signalée. Il les admet,
apprécie l'un d'entre eux, mais manifeste à leur
égard les mêmes impatiences et les exigences
éducatives que sa mère a manifestées à
son égard. Billings a des principes : "En leur passant tout, on les
pourrit."Sa femme Rita est
plus indulgente. D'où fessées pour les enfants,
querelles avec Rita, coups. Sa propre mère est hostile
à son épouse et ne veut pas garder les enfants :
"Denny était né
trop tôt après notre mariage, vous comprenez? Elle
disait que Rita était une allumeuse, une vulgaire fille de
petite vertu."(144) Le
problème est que les jeunes enfants pleurent, surtout quand
ils sont seuls, la nuit, dans leur chambre : "J'étais tout le temps crevé.
Shirl se réveillait et se mettait à pleurer toutes les
nuits, alors Rita allait la prendre en reniflant. Je vous jure,
certaines fois, je les aurais bien balancées par la
fenêtre toutes les deux, Bon sang, ces gosses finissent par
vous rendre dingue. Il y a des moments où ils sont à
tuer."(139)
Coincé, allongé raide
"el un
défunt"(136) sur le
divan du Dr Harper, il mêle à chaque instant dans son
récit le rappel du strict moralisme maternel et de son
intransigeance comportementale, dans des propos dont la constante est
liée au concept du monstre dans le placard. Son premier enfant
a peur du noir et réclame sans cesse de la lumière,
sans succès. Billings explique à sa femme que si un
enfant ne réussit pas à surmonter sa peur du noir quand
il est petit, il n'y arrivera à rien dans la vie. Une nuit
l'enfant meurt, après avoir indiqué le placard en
gémissant : "«Le
croquemitaine! Le croquemitaine, papa!»."Sa femme, qui lui affirme qu'elle n'avait
jamais appris ce mot à l'enfant, se fait traiter de
"fieffée
menteuse". (139) Billings
affirme ne pas avoir connu vraiment à ce moment la
signification du mot «croquemitaine»; il a simplement
remarqué que "la porte
du placard était ouverte. Pas beaucoup. Juste
entrebâillée. Mais je savais bien que je l'avais
laissée fermée, vous comprenez."(140) Son deuxième enfant, une fille,
meurt dans les mêmes circonstances. Elle se met à
geindre, à crier et à pleurnicher : "«Le croquemitaine, papa, le
croquemitaine, le croquemitaine!»"(141) Elle décède à son tour, en
avalant sa langue : "Elle
était noire. Toute noire. (...) Et ses
yeux... on aurait dit ceux d'un animal traqué, brillants et
terrifiés, comme deux billes vivantes, et ils me criaient :
«Il m'a attrapée, papa, tu l'as laissé m'attraper,
tu m'as tuée, tu l'as aidé à me
tuer...»"(143)
Les circonstances diffèrent
pour la mort du troisième, car manifestement l'esprit de
Billings a sombré dans la peur du croquemitaine. Il fait des
rêves : "J'étais
dans une chambre sombre et il y avait quelque chose que je ne
pouvais... que je ne distinguais pas très bien, dans le
placard. Ça a fait du bruit..., un bruit mou."Un personnage de bandes
dessinées48, qui lui donne l'impression d'être penché
sur lui : "Avec ses pattes ...
ses longues pattes griffues."(144) Il est brisé par des obsessions :
"Quelque chose s'est mis
à changer dans la maison. J'ai pris l'habitude de laisser mes
bottes dans l'entrée par crainte d'ouvrir la porte du placard.
Je ne pouvais m'empêcher de penser : et s'il est
là-dedans? Tapi à l'intérieur et prêt
à bondir dès que j'ouvrirai la porte? J'avais
l'impression d'entendre des bruits mous comme si quelque chose de
noir, de vert et d'humide palpitait dans le placard."(146) La nuit, il entend des bruits glissants,
des choses qui bougent furtivement, des grattements de griffes :
"Vous fermez les yeux en vous
disant que c'est mal d'entendre toutes ces choses mais que le risque
serait plus grand encore si soudain vous le voyiez,
là..."(148) Billings
est-il responsable de la mort du troisième l'enfant? Il semble
bien que oui. Sa responsabilité est d'abord psychologique.
À nouveau, il a isolé le petit dans sa chambre, avec
des intentions particulières : "Je savais qu'il s'attaquerait à lui. Parce qu'il
était le plus faible. Et c'est ce qui s'est passé.
Dès la première fois, il s'est mis à hurler au
milieu de la nuit et, finalement, lorsque j'ai levé le loquet
pour entrer, je l'ai trouvé debout sur son lit qui criait :
«Le croque-mitaine, papa...
croque-mitaine...»"(148)
Mais il a pu aller au delà, commettre l'irréparable
avec cet enfant qu'il préférait pourtant aux autres. Il
raconte trop bien les circonstances du décès. S'il a pu
tromper la police ("J'ai
menti"), il sait que se femme
a compris la vérité : "Rita savait. Rita... avait fini par
comprendre..."(149)
Billings est toujours poursuivi par
sa hantise, et regarde sans cesse la porte du placard qui se trouve
dans le cabinet médical, ce qui peut donner un sens au
récit : le monstre qui va sortir du placard, ne serait-ce pas
lui-même, tel que le révèlera le psychiatre? Dans
cette optique, le récit qui surprend par son dénouement
s'éclaire. En effet, quand la séance d'analyse est
terminée, Billings quitte le cabinet médical, pour y
revenir inopinément. Le Dr Harper n'est plus là.
Mais... "Mais la porte du
placard était ouverte. À peine
entrebâillée.
- Eh oui, fit la voix à l'intérieur du placard. Eh
oui.
On eût dit que les mots étaient prononcés par une
bouche remplie d'algues pourries. (...) - Eh oui,
fit le croque-mitaine en s'extirpant du placard.
Il tenait encore son masque de docteur Harper d'une patte
griffue."(150)
Des incertitudes planent sur le sens
de cette nouvelle49, qui appartient au fantastique de la suggestion et de
l'indétermination. Une interprétation psychologique est
intéressante et on peut la rattacher à l'analyse plus
générale de ce modèle suggestif du fantastique
que propose Denis Mellier et qui offre "une représentation de l'inconscient, dans
laquelle le règlement psychique du personnage est de nature
schizophrène.
(...) Le sujet se sent
étranger à Iui-même; il a basculé dans un
univers où il ne perçoit plus sa singularité que
sur le mode de l'angoisse et d'une différence douloureuse et
incompréhensible. L'expérience du double exprime, pour
partie, cette scission intérieure. Elle extériorise,
sous la forme d'une altérité réduite à
l'identique, des conflits insupportables pour le
personnage."50
Billings est marqué au fer rouge par l'éducation
maternelle : tentations sexuelles en lutte avec les tabous
maternels51, blocage de l'affectivité, qui ne
s'extériorise que par la contrainte. Il est le type même
du patient qui parle d'une chose en voulant en signifier une autre,
dans le cas présent qu'il a constamment été
accablé par la tutelle maternelle, et que ses tendances ont
été systématiquement réprimées. Ce
sont ses pulsions qu'il réprime en les camouflant sous
l'appellation commode de croquemitaine. Il a fini par craquer, pour
les raisons que suggère King : "La psychiatrie nous enseigne qu'il n'y a aucune
différence entre un paranoïaque schizophrénique et
nous-mêmes, sauf que nous réussissons ordinairement
à contrôler nos soupçons les plus fous, alors que
l'aliéné mental donne libre cours aux
siens."(PN,
97)
Le Croquemitaine représenterait ainsi symboliquement la menace
des interdits, l'autorité arbitraire, la peur de la
transgression, la mort possible qui s'ensuivrait. La menace du
croquemitaine s'est transformée en peur du comportement
gênant qu'on pourrait avoir, de la tentation insidieuse, de la
défaillance, de la faute, de l'appréhension de la
sanction, et rassemblerait en un seul terme toutes ces peurs,
liées systématiquement par King au placard. Le
psychiatre ne sera-t-il pas celui qui va juger, condamner? Mettre
à jour toutes ces choses qui demeurent tapies en nous, comme
la chose dans l'ombre qui échappe au regard?Un croquemitaine
de l'esprit? Le croquemitaine, ou le placard, ou le monstre qui s'y
trouve tapi, deviennent ainsi une réalité imaginaire,
mais aussi présente que le réel : "Je me suis dit aussi que, peut-être, si
on pense très fort à quelque chose, que si on finit par
y croire, eh bien, ça devient vrai. Peut-être que tous
les monstres qui nous terrifient quand on est gosse, Frankenstein,
les loups-garous et Dracula, peut-être qu'après tout ils
existent vraiment."(146)
Cette brillante histoire, axée
sur le motif du monstre dans le placard, est la première
à illustrer un objet symbolique de touts les peurs, qui
obsède King. On la retrouvera à plusieurs reprises,
notamment dans Cujo.
1973. Poids lourds 52.
Cette nouvelle, suscitée comme
La
Presseuse par le surnaturel
technologique, rappelle le scénario Le Duel de
Richard Matheson, écrit pour le film réalisé par
Steven Spielberg53. En fait, la réaction de King contre la machine
dans La
Presseuse n'était pas
«pure». Ce n'est pas la machine en tant que telle qui
réagissait contre l'homme, mais le démon sanguinaire
invoqué par un hasardeux concours de circonstances qui la
possédait et se «servait» de la machine pour tuer
ses adversaires. Dans Poids Lourds, la
technologie dépasse les hommes qui l'ont créée,
les asservit et les oblige à régresser à des
comportements primitifs.
Le sujet est présenté
de manière thétique : les camions en révolte
agissent sans leurs conducteurs54, et on ne sait pourquoi. Comme dans La Presseuse, l'imputation de comportements humains aux
camions leur donne leurs caractéristiques anthropomorphiques,
mais plus ambiguës, parfois animales, avec assimilation à
la bête. Les radiateurs ressemblent à des dents (177),
"la lune faisait luire les
dents aiguisées de la machine."(185). Les camions poussent des "cris presque bestiaux."(182) Un véhicule de blanchisserie
"grognait et jappait, tapi sur
le gravier comme un chien à l'affût."(192) Un autre "sembla nous jeter un regard menaçant, poussa un
beuglement"(189) Ils
s'approchent des hommes, sont "tapi (s)
dans
l'obscurité", fondent
"sur leurs proies; ses phares
étaient deux yeux fous et l'énorme grille
chromée une gueule menaçante."(183) Mais comme les humains aussi, ils
manifestent "déception
et colère"(184) Et ils
savent communiquer en morse pour signifier leurs exigences.
Dépassés, en proie
à une inquiétude sourde, puis à la terreur, les
clients du restaurant cherchent d'abord des explications
dérisoires à cette usurpation de l'ordre normal des
choses par les camions : "À quoi ça peut bien être dû?
demanda le routier. Des orages électriques dans
l'atmosphère? Des essais nucléaires? Ou bien
quoi?"(180) Ces camions fous
heurtent la logique et les habitudes : "Ils ont été créés par
l'homme! s'écria soudain la fille d'une voix pitoyable. Ils
n'ont pas le droit!"(181) Un
espoir cependant, les engins ne peuvent faire le plein de carburant :
"On les aura à l'usure.
Tout ce qu'on a à faire, c'est l'attendre."(186) Mais les engins ont leur
stratégie et ont compris leur position dominante : ou ils
détruisent tout, constructions et humains, ou ceux-ci
remplissent leur réservoir et assurent leur maintenance.
La révolte des camions a visé d'abord les automobiles,
sans doute trop proches des hommes, qui sont impitoyablement
jetées au fossé ou broyées. Mais elle vise
surtout les hommes eux-mêmes, pas particulièrement leurs
conducteurs, ces hommes qui ont l'habitude de s'asservir les choses
qu'il possèdent, tel le représentant de commerce
décrit avec "sa
mallette pleine d'échantillons [qui] montait la
garde à ses pieds, tel un chien
fidèle."(176) Le
camionneur considère son camion avec la même optique :
"C'était une bonne
fille, elle ne m'a jamais causé d'ennuis."(180) Mais les gentils objets soumis sont
maintenant passés à l'offensive et veulent asservir
ceux qui les dominaient. Les hommes doivent remplir leurs
réservoirs, ce que les camions ne peuvent faire
eux-mêmes : "Maintenant,
je commençais à deviner. Des gens, actionnant des
pompes dans tout le pays ou bien gisant, morts, comme le routier,
portant, sur tout le corps, les stigmates laissés par les
roues impitoyables."(192)
Le sort des hommes, leur mort, ne les
intéressent pas : "Ce
n'était pas leur problème. Eux, ce qui les
intéressait, c'étaient les différents
carburants, l'état de leurs joints de culasse, ou celui de
leur batterie, mais certainement pas les coups de soleil, mes
ampoules... ou mon terrible besoin de hurler. Une seule chose les
intéressait de savoir au sujet de ceux qui les avaient si
longtemps domestiqués : les hommes saignent."(192) Les hommes, qui les asservissaient, sont
à leur tour transformés en asservis : "Vous voulez devenir leurs esclaves? avait dit
le barman. C'est ce qui vous attend. Vous voulez passer le reste de
votre vie à changer les filtres à huile chaque fois
qu'un de ces machins vous klaxonnera?"(194)
"Petit à petit, ils pourront façonner le
monde qu'ils désirent.", telle est la triste conclusion à laquelle
parvient le narrateur. Avec la stricte obéissance des hommes
aux machines, le châtiment ou le sacrifice seront les seules
relations qui demeureront entre les hommes et les engins qui les
asservissent. Les mots sont éloquents : "La lame était au-dessus de lui, telle
une hache sacrificielle de quatre tonnes."; "En moins de
temps qu'il n'en faut pour le dire, le fuyard était
châtié."(191)
L'issue la plus visible en sera la régression de ceux qui se
croyaient les maîtres des choses. Le choix du restaurant
représente d'ailleurs symboliquement la caverne primitive,
d'autant plus que les lumières électriques se sont
éteintes et qu'il faut s'éclairer aux bougies. L'avenir
de l'homme est-il de retourner à une nouvelle
préhistoire? De "réapprendre à dessiner au charbon de bois.
Ceci est un arbre. Et voici un semi-remorque Mack écrasant un
chasseur."? (194)
Cette nouvelle reprend sous une
symbolique moderne le thème du châtiment venu frapper
l'homme prométhéen, dont le pouvoir dépasse le
savoir. Se trouve illustrée l'opinion philosophique que la
machine asservit les hommes. Le thème de l'Ecclésiaste,
proclamant que ceux qui accroissent leur science accroissent leurs
malheurs, a changé de perspective : c'est leur liberté
que les hommes risquent de perdre dans leur course à la
puissance technologique. King illustre ainsi la symbolique du
châtiment châtiant l'homme moderne, qui a, par les
perturbations provoquées par la technologie, troublé
l'ordre agreste millénaire.55
Maximum overdrive
(Maximum Overdrive).
Overdose maximum de
Stephen King (hélas !). USA.
Scénario original
de Stephen King (sic !). Année : 1986
d'après sa nouvelle
Poids Lourds.
|
|
"J'préfère les
auto-tamponneuses..." Une histoire grandguignolesque de
camions qui roulent tout seuls et qui trouvent rien de mieux
à faire que d'écraser les quidams qui
traversent en dehors des clous (je détaille un peu
l'histoire mais c'est ça en moins bien.)
Sans trop s'attarder, on
dira qu'il s'agit donc la seule et unique tentative de mise
en scène de la part de Steven. Le film est
précédé d'une réputation
innommable et croyez-le, peu d'ajectifs conviennent à
cette succesion hallucinante de plans flous, mal
cadrés, hors-champs, avec en permanence le micro du
son en haut de l'écran : les acteurs cafouillent, le
machiniste devait aussi surement s'appeler King et pas une
seule idée effrayante ou juste amusante ne vient
relever l'ensemble. Félicitons-nous que King soit un
homme intelligent et qu'il sache reconnaître un
mauvais film. D'ailleurs, c'est pas son métier :
restons-en là.
Benoit Tavernier, site de
Roland Ernould
Page
cinéma-vidéo.................
|
1973. Matière grise. 56
Le sujet de cette nouvelle a
certainement été inspiré par le blob, sorte de
gelée proliférante qui avale tout sur son passage dans
le film qui porte ce nom57, et dont diverses variantes se retrouvent dans les
comics. La gelée prend ici l'aspect différent d'une
moisissure, mais garde les autres caractéristiques d'un blob.
La découverte d'un homme qui se corrompt se produit ici dans
un climat très classique : circonstances
météorologiques particulières, mise en pratique
de l'espace, avec l'utilisation de l'escalier et de la
porte58 , pour donner le plus d'effet à l'apparition de
la Chose. Avec, comme points de départ et d'arrivée,
l'épicerie-buvette typique de la petite ville,qu'on rencontre
souvent chez King, et ses vieux habitués, dont le
narrateur.
La mise en scène des indices
est minutieuse : l'homme qui deviendra un monstre est gros et gras,
il boit en quantité de la bière bon marché de
qualité inférieure et s'est mis à grossir d'une
façon phénoménale depuis qu'il s'est
retrouvé invalide du travail. Il ne sort plus depuis quelques
mois, et son fils vient chercher ses canettes de bière
quotidiennes. Un jour le garçon arrive en pleurant à
l'épicerie, et raconte en privé au patron ce qui se
passe chez lui. Le lecteur n'apprendra que peu à peu les faits
qu'il a relatés. Fait insolite à leurs yeux cependant,
l'épicier a été payé avec des billets
répugnants : "Ils
étaient tout couverts d'une mousse grisâtre semblable
à l'écume qui se forme sur la confiture pendant la
cuisson."(154) Le
récit se met en place avec les confidences décousues du
patron, lors d'une expédition faite dans des
élément hivernaux déchaînés par les
deux vieux qui l'accompagnent, désireux de savoir ce qui se
passe en allant voir le père. L'homme aurait bu de la mauvaise
bière : "Une
boîte pourrie. De Ia bière éventée,
malodorante ou verte comme la pisse d'un singe. Une fois, un type m'a
dit qu'il suffisait d'un minuscule petit trou pour laisser entrer les
bactéries qui sont responsables de ce résultat
dégoûtant. (...)
Et la bière fait les
délices de ces bestioles."(155)
Les indices caractéristiques
de ce récit aux nombreuses incidentes se dégagent peu
à peu : entièrement emmitouflé dans une
couverture, le père est constamment assis, la
télé éteinte, dans une odeur de levure, de
pourriture, une puanteur qui devient de plus en plus épaisse
au fil des jours. Un soir, l'enfant remarque la main qui sort de la
couverture : "Seulement,
c'était pas exactement une main. (...) Ça
ne ressemblait absolument plus à une main. Une grosse masse
grise, voilà ce que c'était."(157) Puis d'autres détails concernant le visage
: "Il pouvait encore
reconnaître son père, mais c'était comme si le
vieux avait été enseveli dans de la gelée
grise..., une vraie bouillie."(158) Plus tard, pour savoir, le fils espionne son
père qu'il ne voit plus : "Il a vu une énorme masse grise, sans le moindre
rapport avec un homme, qui rampait sur le sol, laissant
derrière elle une traînée grisâtre et
visqueuse."(160)
Cette horreur, cannibale comme le
blop59, mange un chat mort et putréfié. Puis on
apprend que deux jeunes filles et un vieil ivrogne ont disparu... Il
me faut laisser au lecteur le soin de poursuivre : la montée
angoissante de l'escalier, la découverte d'une matière
visqueuse qui s'est "répandue en petites flaques sur le
sol."(161) Jusqu'à la
découverte de la Chose, qui subit un processus de division et
a déjà quatre yeux...
La nouvelle présente de l'intérêt en ce sens
qu'elle est bâtie sur peu de choses et que tout tient dans
l'habile suspense qui est maintenu. Sur le vieux thème de la
transformation en monstre, King a construit un récit moderne,
et qui tient de son goût particulier pour la bonne
bière...
Ainsi, pendant des années, dans les difficultés
financières et conjugales, désespérant de son
talent, King a persévéré. Les instruments qu'il
s'est forgés lui permettent maintenant d'envisager dans les
meilleures conditions, après Carrie, des oeuvres qui font
date, comme Salem (1975) et
Shining (1977).Comme il
le constate : "Petit à
petit, j'ai trouvé mon propre style. Quand je lisais H.P.
Lovecraft, tout ce que j'écrivais ressemblait à du H.P.
Lovecraft. Quand je lisais Ray Bradbury, tout ce que
j'écrivais ressemblait à du Ray Bradbury. Rien de ce
que j'écrivais alors ne ressemblait à du Stephen King !
Mais c'était très bien ainsi, parce que lorsque vous
êtes un garçon de quatorze, quinze ou seize ans, vous
n'existez pas, vous n'êtes pas là. Vous n'êtes pas
encore arrivé. Vous êtes toujours en train de vous
chercher."(Interview Coenen,
Ph. 2, 74)
Le surnaturel
: les premiers essais : Bilan récapitulatif
Récapitulatif des thèmes et motifs
expérimentés par King dans ses premières
nouvelles :
- la création d'êtres surnaturels par le pouvoir de
l'imagination, surtout celle de l'enfance (En ce lieu les tigres).
- le rationnel opposé à l'intuitif (La Faucheuse).
- le surnaturel technologique (Petits soldats, La Presseuse, Poids lourds).
- le double et l'envahisseur
(Laissez venir à moi
les petits enfants, Matière grise).
- le monstre, la Chose, le croquemitaine (Laissez venir à moi..., Matière
grise).
- le placard (Le
croquemitaine).
- l'animal maléfique (Poste de nuit).
- le vampirisme anthropophagique (La Presseuse, Matière grise).
- l'animation de la matière (La Presseuse).
- le psychopathe (Le printemps
des baies).
À ces
motifs, il faut ajouter le conditionnement manipulateur par des
procédés renforçateurs :
- l'utilisation de l'espace fantastique, avec la cave, la caverne, le
labyrinthe, l'escalier et la porte.
- l'utilisation des conditions météorologiques.
- l'utilisation de la vue (place du regard), de l'odorat (puanteurs
diverses).
- la place importante donnée à l'ambiguïté,
alors qu'ultérieurement King sera plus monstratif.
King explore aussi divers modes de narration, en privilégiant le type de récit
hétérodiégétique : En ces lieux des tigres, L'image de la faucheuse, Poste de
nuit, Laissez-venir à moi..., Petits soldats,
La presseuse, Le
croquemitaine,
Poids lourds. Ce choix se comprend dans la mesure
où il permet d'utiliser une écriture à
caractère cinématographique.
Au type homodiégétique actoriel se rattachent
Le Printemps des
baies, Matière grise. Le récit homodiégétique auctoriel
n'a pas été tenté.
Enfin il faut noter la grande place occupée par
les
données
autobiographiques et des peurs personnelles.
Notes.
31 Martin Coenen,
KING, Les Dossiers de Phénix 2, p. 74, éd. Lefrancq, Bruxelles 1995.
32 Battleground. Création :
1972. Première publication: septembre 1972. Fait partie du
recueil Danse
macabre (Night Shift).
33 Philip K Dick (1928-1982) ne portait aucun
intérêt aux lendemains qui chantent, à la science
triomphante et au progrès, les grands thèmes favoris
des anticipations technologiques à la mode de Clarke ou de
Heinlein. Dick est plutôt sensible à la
désagrégation de l'univers sensible. Il n'a jamais
sacrifié au mythe de l'homme fort, du superman qui dirige
vigoureusement sa vie, lui préférant les faiblesses et
les désarrois psychologiques du paumé.
34 Denis Guiot, Alain Laurie, Stéphane Nicot,
Dictionnaire de la
science-fiction, Hachette
Livre, 1998, 135. Le magicien Faust a vendu son âme au diable
Méphistophélès en échange du savoir et
des biens terrestres.
35 Docteur en chimie, originaire d'URSS, Isaac Asimov.
(1920- 1992) a mené de concert plusieurs carrières et
écrit plus de 400 livres, dont de nombreux ouvrages de
vulgarisation scientifique. À retenir le cycle de
Fondation et celui des Robots.
36 Jacques Goimard, préface de Histoires mécaniques, Librairie Générale
Française, 1985, Livre de Poche
3820, 9.
37 The
Mangler. Création :
1972. Première publication : décembre 1972. Fait partie
du recueil Danse
macabre (Night Shift).
39 King donne le nom par souci de réalisme, une
Hadley Watson Model-6, modèle connu, pour créer une
opposition plus importante encore avec le caractère surnaturel
que prendra la machine.
40 Les symboles thériomorphes sont liés
à la croyance universelle d'une puissance maléfique de
certains animaux, ou à leur valorisation.
41 Avec des remarques identiques sur la peur de passer
pour un esprit dérangé : "Devons-nous trouver un prêtre pour l'exorciser?
Jackson grogna : - Tu vas en passer pas mal en revue avant d'en
trouver un qui ne te collera pas un opuscule entre les mains le temps
d'aller téléphoner à l'asile le plus
proche."(126)
42 Préface de Histoires mécaniques, Librairie Générale Française,
1985, Livre de Poche n° 3820,
9.
43 The
Boogeyman. Création : 1972. Première
publication : mars 1973. Fait partie du recueil Danse macabre (Night
Shift).
44 "Mon plus jeune
fils, qui a onze ans, dit que nous sommes parents les plus jeunes de
sa classe."Coenen,
Ph. 2, 78.
45 Ce sujet a été développé au
chapitre 6 de Stephen King et
le sexe.
46 Extrait d'une conférence faite à Pasadena
en avril 1989, voir SKS,
93/4.
47 Coenen, Ph.
2,
79.
48 Que King lisait adolescent : "Tales from the Crypt, vous vous souvenez de
çà ? Bon sang! Il y avait ce type, Graham Ingles. Il
pouvait dessiner n'importe quelle horreur sortie de ce monde... ou
d'un autre."(143) Le
personnage dont il rêve est celui d'un époux tué
par sa femme, et jeté à l'eau avec un bloc de ciment
aux pieds : "Il revenait. Il
était tout pourri, verdâtre, avec un oeil bouffé
par les poissons et des algues plein les cheveux. Il revenait et il
la tuait."(144) Ce revenant avait des pattes griffues...
49 Pour Guy Sirois, le psychiatre est réellement le
croquemitaine : "Le nouvelle
comme aurait pu l'écrire Robert Bloch, avec son psychiatre
attentif et aidant, mais ultimement dangereux."Morin, 82. Laurent Bourdier
laisse planer le doute :
"L'histoire d'un monstre dissimulé dans un placard.
Réel ou imaginaire?"Parcours, 99.
50 Denis Mellier,
La littérature fantastique, Mémo Seuil, 2000,
29.
51 À la plage, "Elle n' arrêtait pas de gueuler : «Va pas si
loin! Va pas là! Il y a des lames de fond! Ça fait pas
une heure que t'as mangé! Perds pas
pied!» (...)
Et qu'est-ce que ça a
donné? Je ne peux même plus m'approcher de I'eau,
maintenant."(141) Billings reproduit la même attitude :
"C'est comme ça que les
gosses tournent mal. En leur passant tout, on les pourrit. Et puis
ils vous brisent le coeur. Ils vous engrossent une fille ou bien ils
se droguent."(139) Mais sa
propre conduite a été d'engrosser une fille a avec
comme conséquence le refus par la mère de
l'épouse, enceinte avant le mariage, et de ses enfants
52 Trucks.
Création : 1973. Première publication : juin 1973. Fait
partie du recueil Danse
macabre (Night Shift).
53 Le film est sorti en 1971. Un "film-culte", écrit King dans l'analyse qu'il lui a
consacrée dans Anatomie
de l'horreur. Des phrases de
son commentaire calquent étroitement celles de Poids Lourds : "Son
pare-brise sale évoquant le regard d'un débile et ses
pare-chocs affamés, qui finit par devenir une sorte de
monstre"; "ses cris d'agonie ressemblent à des
rugissements surgis de la préhistoire"; "la
réaction de Weaver est digne d'un homme des
cavernes."(193)
54 Et se conduisent mieux qu'avec les conducteurs,
puisqu'ils connaissent leurs possibilités : "Vu la façon dont la remorque
s'était déportée sur le côté, aucun
conducteur n'aurait pu redresser."(178)
55 Une constante conventionnelle fantastique
apparaît : comme dans La
Presseuse, la coupure de
l'électricité et des communications
téléphoniques se produisent conjointement aux
événements surnaturels. On peut par ailleurs
s'interroger sur ces pompes à essence de Poids Lourds qui fonctionnent sans électricité,
comme La
Presseuse fonctionne sans
courant... King reprendra souvent cette idée qu'une puissance
maléfique peut détourner l'ordre des choses dans des
secteurs limités, reprise de l'affirmation religieuse que Dieu
n'a permis au diable que d'intervenir dans certaines limites.
56 Gray
Matter. Création :
1973. Première publication : 1973. Fait partie du
recueil Danse
macabre (Night Shift).
57 The
Blob, réalisateur :
Irvin S. Yeaworth, 1958; Beware! The Blob, réalisateur : Lary Harry Hagman, 1972. Il
arrive que le blob soit carnivore (Ana,
240)
58 Moins systématique que dans les oeuvres qui vont
suivre (voir chap. 1 et 2) Il y avait déjà dans
La Faucheuse une utilisation des escaliers, mais davantage
pour créer un climat et ménager le suspense.
59 Dans Anatomie de
l'horreur, King évoque
le roman The Clone
de Kate Wilhelm (1928-) :
"Dans ce livre, une
créature amorphe presque entièrement composée de
protéine pure (il s'agit d'un blob plutôt que d'un
clone, comme le fait justement remarquer The Science Fiction
Encyclopedia) se forme dans les égouts d'une grande ville...
autour d'un morceau de hamburger à moitié pourri. Elle
se met à croître, absorbant au passage plusieurs
centaines de personnes."(Ana,
31)
Aller à la
première partie de
l'étude.
1968. En ces lieux les tigres.
1968. Le printemps des baies.
1969. L'image de la faucheuse.
1970. Poste de nuit.
1972. Laissez venir à moi les petits
enfants.
ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
différentes saisons
saison # 7 -
printemps 2000.
Contenu de ce site
Stephen King et littératures de l'imaginaire :
.. du site Imaginaire
.. du site
Stephen King