Dossier Stephen KING

 

Je devais rédiger le dossier Stephen King pour le numéro spécial 2 "Les maîtres contemporains du fantastique", publié par la revue Science-Fiction Magazine en avril 2001. J'avais fourni la maquette de mes textes, qu'il fallait encore calibrer pour la mise en page de la revue, quand j'ai été hospitalisé trois semaines, pendant lesquelles la revue s'est bouclée sans moi. Il a bien fallu prendre des décisions concernant les textes que je ne pouvais plus prendre. Christophe Corthouts, le rédacteur en chef de la revue, a dû prendre les décisions nécessaires, et revoir un certain nombre de choses, ce qui explique la co-signature du dossier.

Comme j'avais annoncé sur mon site, à l'avance, les titres de ma maquette, ils sont restés en place près d'un mois sans que je puisse les rectifier. Ce n'est qu'à mon retour de l'hôpital que le sommaire de
SF Mag sur mon site est devenu le bon.

Certains de mes fidèles lecteurs se sont étonnés de ces différences. Voici donc ma maquette, avec la pagination de la revue prévisionnelle. Les photos de l'article n'ont pas été celles que j'aurais choisies, et je joins celles que j'avais prévues sans faire évidemment une mise de page de revue.

.. du site ..

UN SIÈCLE S'EN VA...

À 53 ans, 25 ans après Carrie, où en est le maître de l'horreur, appellation trop réductrice? Car King est bien autre chose. Le point.

King n'a pas perdu son «troisième» oeil.

À l'aube du dimanche 20 juin 1999, France-Infos lançe le scoop : Stephen King a été renversé la veille par une camionnette et se trouve gravement atteint. La consternation des fans grandit avec des détails impressionnants : perte de connaissance, traumatisme crânien, jambe droite fracturée à plusieurs endroits, la hanche atteinte, les côtes enfoncées, le poumon perforé, un collapsus pulmonaire. Suivent plusieurs opérations. Le maître de l'horreur nous donnait involontairement son exemple personnel. La toile américaine était brouillée par des informations contradictoires. Tout était vrai, sauf pour ce qui touchait le cerveau : à vrai dire, c'était la seule chose qui intéressait vraiment les fans. King pourrait peut-être de nouveau écrire. Les messages de sympathie affluaient par dizaines de milliers, plusieurs dizaines de fans se présentaient chaque jour pour offrir leur sang à Steve...

King a été impressionné par ces preuves concrètes de sympathie, voire d'affection. Il maintint le suspense par ses déclarations. S'il se rétablissait physiquement, il avait l'esprit confus, il était drogué par les analgésiques, il n'arrivait plus à se concentrer, ne pouvait plus écrire. King vivant serait-il devenu un écrivain mort? En fait, notre homme en rajoutait beaucoup. Et Tabitha rassure : son mari fait du cinéma, elle garde confiance en sa capacité d'écrire. King finit par le reconnaître en novembre, mais le grand public n'est vraiment rassuré que lors de sa première sortie officielle en décembre 1999. Ouf, était sauvé le troisième oeil de l'écrivain, celui qui lui permet de voir ce que les autres ne voient pas.

King avait pris goût au bain de foule virtuel. Bien sûr, ses chiffres de vente confortaient l'enfant pauvre, l'écrivain minable de ses débuts, et l'assuraient de sa place triomphale en tant qu'écrivain. Avec les preuves de la sollicitude de ses fans, c'était l'enfant binoclard, gros, lourd, maladroit, rejeté qui jouissait du fait qu'on l'aimait personnellement. Comment retrouver cette ivresse? Le succès spectaculaire en mars 2000 du premier e-book de Stephen King,
Riding the bullet, qu'on pouvait charger contre paiement à l'éditeur Simon et Schuster, conciliait les deux : la preuve affective directe et la démonstration financière. King prit goût à la chose et continua l'expérience avec son roman inachevé, The Plant. Tout bon calviniste vous dira que si les démonstrations affectives sont agréables, le grâce divine ne se mesure vraiment qu'à la réussite matérielle. Il fallait cette fois payer directement l'auteur. Hélas! de mois en mois les paiements diminuèrent. Six mois après, descendu de son nuage, King jette l'éponge. Pour chasser sa morosité, King s'éclate maintenant en projets, dont la liste est impressionnante.

Vers une oeuvre unifiée?

Le nouveau dessein de King : faire de la Tour Sombre le carrefour de son oeuvre. King précise ce projet ambitieux. Dans le
"système solaire" de son imaginaire, l'histoire de Roland serait devenue son "Jupiter" : "Je commence à comprendre que le (ou les mondes plutôt) de Roland contient (ou contiennent) l'ensemble de ceux [que j'ai] créés. Il me semble que ce soit là que tous, tant qu'ils sont, finissent par atterrir." Trois romans prévus.

Roland Ernould.
Pour la biographie et la bibliographie : voir SF Mag n°1, janvier-février 1999.

 

double page 8/9.

...UN AUTRE COMMENCE : LES PROJETS.

Oeuvres parues aux USA, traductions attendues en France :

Hearts in Atlantis est paru le le 14 septembre 1999 aux USA chez Simon & Schuster. Le recueil, comportant 5 récits, paraît ce mois chez Albin Michel sous le titre : Coeurs perdus en Atlantide. Ces récits ont tous un rapport avec les années 60. Pour ceux qui n'étaient pas nés à cette époque, précisons que le premier roman de King, Carrie, a été publié en 1974, l'année qui a précédé les derniers retraits du Vietnam. Depuis 10 ans, les images de cette guerre et des manifestations hostiles qu'elle avait suscitées envahissent les petits écrans aux USA. Ces cinq nouvelles sont étroitement liées et ont pour cadre les 40 dernières années du XIXè siècle. Chaque récit plonge ses racines dans les années 60 et reste dominé par la guerre du Vietnam. Contrairement à ce qui avait été annoncé, Coeurs perdus en Atlantide n'est pas un roman de la saga de La Tour Sombre, mais a des rapports avec elle.

On Writing : A Memoir of the Craft, essai sur l'art de l'écriture, paru le 3 octobre 2000 chez l'éditeur Schribner, devrait bientôt sortir en France. L'essai ne ressemble pas à Danse Macabre (essai de 1981, traduit en français en 2 volumes, Anatomie de l'horreur et Pages Noires, éd. du Rocher. Il contient des souvenirs sur le travail d'écrivain de King, des informations sur ses lectures et fournit des conseils aux débutants qui veulent écrire un roman.

À paraître aux USA :

Dreamcatcher, long roman (624 p.) devrait être publié le 20 Mars 2001 par Simon & Schuster. Il raconte l'histoire de quatre garçons, qui ont fait autrefois ensemble un acte de bravoure dans la ville de DERRY. Ils se retrouvent 25 ans après pour combattre une créature venue d'un autre monde... Leur seule chance de survie réside dans leur passé commun, et dans l'Attrapeur de Rêves (Dreamcatcher).Un retour vers Ça ?


Black House
, nouveau titre de l'ex-Talisman 2, coproduit avec Peter Straub comme le premier, a sa sortie prévue en octobre 2001. L'ouvrage, long de 576 pages (?), sera publié par Random House. Une nouvelle, sous format de livre électronique, devrait faire le lien entre les deux Talisman, à l'initiative de King. Jack Sawyer aurait maintenant 31 ans et habiterait dans une ferme du Wisconsin Occidental. Selon Peter Straub, cette suite serait plus sombre et plus proche de l'horreur que du fantastique ou de l'heroic fantasy.

From A Buick VIII
, du nom d'une chanson de Bob Dylan, est achevé. Souvenir de King, le livre devrait parler d'un piéton qui se fait renverser par une voiture sur le bord de la route. Sa sortie est prévue pour 2002.

One Headlight
 est un recueil de nouvelles, dont le titre est repris d'une chanson des Wallflowers, à paraître chez Simon & Schuster en 2003. Il comprendrait une douzaine de nouvelles, dont celles de Six Stories (recueil édité en tirage réduit en 1997), sauf Blind Willie, déjà parue dans Coeurs perdus en Atlantide. Viendraient s'y ajouter d'autres nouvelles comme Space Invaders, Autopsy Room 4, L.T.'S Theory of Pets, Lucky Quarter, The Man in The Black Suit. D'autres, parues isolément, ont déjà été traduites en français : Déjeuner au Gotham Café, Les petites soeurs d'Elurie, Le chat de l'enfer et Tout est éventuel.

Le quatrième roman de La Tour Sombre, dont le titre provisoire est
The Crawling Shadow, devrait paraître chez Grant (?) en 2002. King a récemment précisé que l'ensemble est planifié et qu'il souhaiterait publier les trois derniers tomes de la série consécutivement.

R. Ern.

 double page 10/11

ANNÉES DE JEUNESSE.

RAGE, le roman le plus lu par les lycéens.

Nos lycéens raffolent de ce roman où ils continuent à trouver, plus de trente ans après King, le reflet de leurs inquiétudes. Deux exemples.

Quand Steve découvre la rage et l'amour.

En 1966, King, 18 ans, commence Rage (titre original : Getting it on). Il termine ses études au lycée. Son personnage, Charlie, 17 ans, également élève en dernière année, a, comme King, peur des filles et vit replié sur lui-même. Il éprouve la "rage". Révélateur des angoisses du jeune Steve, le titre joue sur le double sens. Getting it on est une chanson des T-Rex, dont la traduction approximative est «faut y aller». Ce que demande Charlie à ses condisciples, en les invitant à parler de leurs frustrations et de leurs peurs , sous la menace de son revolver. Mais en argot, Get it on signifie : «en s'envoyant en l'air», «en faisant l'amour». Ce double sens prend ici un intérêt particulier. Car Charlie voudrait bien y aller... Comme King...

Autre indice. King a raconté que quand il entend les Beach Boys chanter
Help me, Rhonda, il revoit "l'extase de [s]on premier pelotage (et un simple calcul mental vous permettra de constater que j'ai abordé cette activité avec un certain retard."). Sorti en mai 1965, le disque fut un tube pendant les mois suivants. Or, Charlie l'entend à la radio. On peut donc situer avec une exactitude suffisante ce «pelotage» : Steve va avoir ou a 18 ans...

Pourquoi King a retiré Rage de la vente.

Le massacre de personnes innocentes pour libérer une fureur individuelle a longtemps fasciné King, comme tous les extrêmes, d'autant plus que sa propre rage adolescente a favorisé cette tentation. Dans
Rage, Charlie tire sur des professeurs. Dans Caïn, un étudiant se met à abattre des étudiants sur le campus. Dans Un Élève Doué, un autre étudiant tire sur les automobilistes circulant sur une autoroute.

King se réfère à des événements qui se sont produits pendant les vacances scolaires avant son entrée à l'Université. En juillet 1966, dans le Texas, un étudiant, d'une tour de l'Université, ouvre le feu sur le campus pendant plus d'une heure. Bilan : 15 morts et 33 blessés. Whitman, l'aassassin, apprécié de ses professeurs et des étudiants, écrivait qu'il ressentait "
un sentiment de dépression et un besoin de violence."

Cet événement préoccupe un jeune King déstabilisé, qui se demande si lui-même n'est pas à la merci d'un tel geste : "
Peut-être êtes-vous bourré un mardi après-midi. Vous pouvez développer une nette agressivité en classe. Vous pouvez laisser tomber. Vous pouvez aussi commencer à regarder la tour de Steven's Hall et vous demander - juste vous demander - à quel point ce serait agréable d'y grimper et d'abattre quelques personnes."

Plus tard, en 1983, réfléchissant sur cet épisode, et les tentations qu'il a éveillées en lui, il dira qu'il aurait pu libérer ses "
démons comme un robot, avec un puissant fusil à lunette... Mon écriture m'a sauvé de la tour."
Quand en mai 1999, deux lycéens de Littleton, Colorado, ont ouvert le feu sur des camarades de classe et des professeurs, faisant une quinzaine de victimes, des journalistes ont évoqué Rage. Stephen King a manifesté des réactions très vives : "C'est un coup qu'on m'a porté personnellement. (...) C'est bien de la rage que je ressentais en écrivant ce livre. C'était un moyen d'exorciser tout le désordre émotionnel que l'on peut ressentir quand on est au lycée."
Il prend immédiatement la décision de retirer Rage de la vente aux USA.

R. Ern.

page 10.

IMPRESSIONS DE JEUNESSE.

Un chapitre d'Anatomie de l'Horreur est consacré à narrer des épisodes de la vie de King qui ont pu jouer leur rôle dans le choix de ce qu'il écrit. Parmi ces diverses influences, on retiendra le rôle du cinéma et de la bande dessinée.

Le cinéma.

L'Étrange Créature du lac noir est le premier film que King se souvient avoir vu à sept ans, dans un drive-in. Une scène lui en est restée en mémoire, qui l'a marqué profondément, celle où apparaît le monstrueux batracien du marécage : "J'ai su à ce moment-là que la Créature était devenue ma Créature. Elle était à moi." Dès lors, pour King enfant, le macabre et le monstre sont toujours présents. Il raconte qu'il économisait son argent de poche pour voir des films d'horreur, en «matinée», le samedi après-midi. Il détaille longuement et avec émotion dans Ça les séances de cinéma de son enfance, la queue avec les copains pour retirer son ticket à Godzilla, la dame "méchante" du guichet, qui voulait voir d'abord leur argent, pour avoir droit "à deux monstres pour vingt-cinq cents et, avec un quarter de plus, à tout le pop-corn qu'on était capable d'avaler." Avec le chahut, les dessins animés et les actualités. Puis le silence, les cris et les hurlements : les sauterelles géantes arrivaient et détruisaient Chicago ou Londres. King adore toujours ce cinéma : "Dans la hiérarchie de ses goûts cinématographiques, il ne connaissait rien de mieux que deux films d'horreur dans un cinéma envahi par des jeunes criant à qui mieux mieux aux passages les plus sanglants." Quand il rentre à la maison, le jeune Steve écrit des histoires fondées sur les films qu'il vient de voir. Il est toujours aussi passionné pour ces films, qu'il revoit fréquemment à la télévision, et en parle avec érudition dans Anatomie de l'Horreur.

Il faut citer aussi l'influence de la télévision, surtout de
Twilight Zone, célèbre série télévisée créée par le scénariste Rod Serling. 156 épisodes de la CBS, sont consacrés au fantastique et à la science-fiction d'octobre 1959 à l'été 1965, précédés de l'annonce : Vous entrez dans la Quatrième dimension. Comme le dit King : "Les téléspectateurs étaient invités à pénétrer dans un étrange univers infini... ce qu'ils firent sans problème."

Les Comics.

King a aussi découvert l'horreur grâce aux EC Comics :
Weird Science, Tales From the Crypt, The Vault of Horror : "Ces BD des années 50 représentent toujours pour moi le comble de l'horreur." Parues entre 1950 et 1955, les bandes dessinées d'horreur s'étaient multipliées aux États-Unis, remarquées par l'aspect grand-guignolesque et morbide de leurs couvertures. Le délire visuel de dessinateurs d'exception donna à la bande dessinée quelques-unes des planches les plus terrifiantes de son histoire, dont certaines illustraient des nouvelles d'écrivains aussi prestigieux que Ray Bradbury. Leur lecture a marqué au fer rouge nombre d'écrivains - comme King - et metteurs en scène dans le fantastique ou l'épouvante - comme Romero.

Creepshow a été le témoignage de la gratitude qu'un écrivain alors connu de 35 ans rendra aux Comics des années cinquante, qui ont modelé son imaginaire. Ce recueil de bandes dessinées par Berni Wrighton (adaptées des scénarios du film à sketches écrits pour le film de George Romero) comporte cinq histoires, à l'humour macabre, à mi-chemin entre l'absurde et le gore.
Puis vient le choc du livre, quand, à douze ou treize ans, il trouve une caisse de livres de son père dans le grenier d'une tante, dont un recueil de Lovecraft...

R. Ern.

 double page 12/13.

KING ET SES MONSTRES.

IL Y A MONSTRE ET MONSTRE.

L'évocation du monstre fait naître le malaise. Du monstre fantastique aux monstres humains.

Le mot «monstre» fait spontanément penser à ses motifs les plus courants, au vampire, au mort-vivant, au loup-garou, aux animaux malfaisants et vengeurs, aux parties du corps devenant autonomes, aux objets qui s'animent, etc. Le point commun de ces motifs est l'appartenance des monstres au surnaturel, à l'existence inexplicable d'un monde-autre. King est perçu comme l'auteur qui «produit des monstres». En fait le monstre, qui fait certes plaisir au grand enfant qu'est resté Steve, n'est qu'un jouet littéraire et un moyen de nous présenter sa conception du mal. Enfant, il a vu une prodigieuse quantité de films d'horreur et son analyse est claire : "Nous avions des faux-monstres par douzaines : des hommes-soucoupes, des sangsues géantes, des loups-garous, des hommes-taupes (...) et bien d'autres encore. Mais [on] s'abstint de montrer quoi que ce soit qui ressemblait à la véritable horreur." La «véritable» monstruosité se trouve donc ailleurs.

Elle est d'abord à rechercher dans l'être humain : "
Comme Peter Straub le fait remarquer, le monstre, c'est nous-mêmes." King décrit ainsi le monstre humain, les insuffisances, les petitesses des hommes, l'incompréhension de la société. Il dénonce certains parents, dont le seul but paraît être de détruire leurs enfants. King condamne le monstre social, le conformisme oppresseur, l'injustice, l'exclusion et l'exploitation. Les intolérants, les inciviques, les profiteurs, les pollueurs, les autorités arbitraires ou dangereuses sont partout. De cette monstruosité sociale King a peur, par crainte du désordre et du chaos, se faisant ainsi une conception complexe, originale, du motif du monstre, en appelant «monstre» tout ce qui s'attaque à la vie quotidienne des hommes.

Les tendances criminelles suscitent chez King les mêmes réactions que le monstre surnaturel. Les aliénés, les psychopathes, les pervers, les maniaques sexuels et les déséquilibrés homicides sont ses monstres les mieux réussis. Le personnage de l'assassin qui tue pour satisfaire une sexualité défaillante réapparaît régulièrement, ce qui explique les investigations de King dans la pathologie du sexe. Le sexe et la mort le fascinent. King aime nous faire effectuer une plongée dans le gouffre des pulsions humaines primitives, que les sociétés se sont efforcées de canaliser, avec des réussites diverses.

King y ajoute encore une extension : est monstrueux tout ce qui peut atteindre un homme dans sa vie normale pour en rompre le cours. King cite dans toutes ses interviews, le cancer, les tumeurs, les maladies terminales, l'alcool, la drogue, les accidents de la circulation : "
Mon opinion est que les monstres vous attaquent toujours à la fin. Le monstre peut être le cancer. Le monstre peut être une attaque. Le monstre peut être une crise cardiaque. Mais à la fin, les monstres m'auront, et les monstres vous auront."

L'oeuvre de King va ainsi au-delà de l'aspect souvent superficiel de ses monstres surnaturels. Bien sûr, la plus grande partie de son public ne réagit qu'à ces monstres. Mais, en fait, les monstres de King sont comme les stigmates et les révélateurs d'une société en folie qui peu à peu perd tous ses repères humains, sociologiques, et métaphysiques. Et ce King-là, meurtri par son temps, se révèle d'une humanité si profonde qu'on en vient souvent à regretter ce que son spectaculaire a d'inutilement excessif.

R. Ern.

page 13.

QUELQUES MONSTRES LIÉS À LA MORT : VAMPIRES ET MORTS-VIVANTS.

Nés des comics et des films de catégorie B, les monstres de King sont représentés par des figures connues de tous. Littérairement, Dracula de Bram Stoker lui a fourni un modèle.

Que trouve-t-on dans
Dracula? Un monstre surprend des victimes innocentes, trouve un allié humain, est vaincu par un groupe d'hommes entreprenants. Ce schéma deviendra pour King une trame littéraire obligée : identification du mal, choix des camps et lutte problématique.

Vampires.

Dans
Salem, King reprend les caractéristiques du vampire saigneur de Stoker, qui possède certains pouvoirs attribués par la tradition au Diable. Deux nouvelles modernisent plus tard le mythe, Popsy et Le rapace nocturne. Récemment, les vampires s'introduisent de manière insolite dans la fantasy de l'univers de la Tour Sombre avec Les Petites soeurs d'Elurie.

Moderne, le vampire psychique utilisant la vitalité des autres a suscité une gamme étendue de formes. Dans
Insomnie, l'énergie humaine est utilisée pour la bonne cause. Mais d'autres vampires sont des prédateurs. Des revenants de Sac d'Os puisent leur énergie chez les vieux des environs. Dans Le Policier des Bibliothèques, l'entité Ardelia vit dans des corps humains et se nourrit de larmes. Tak (Désolation, Les Régulateurs) n'a d'autonomie qu'en «pompant» l'énergie des autres. Situation plus originale : dans Les Tommyknockers, le vaisseau cosmique fonctionne à l'énergie psychique animale.

Morts-vivants.

Influencé par George Romero, King raffole des morts-vivants aux divers stades de la décomposition. Ceux de Celui qui garde le ver sont traditionnels dans un décor gothique sans surprise. Dans Christine, le premier propriétaire mort de la Fury la conduit encore. Simetierre, roman thanatalogique, propose à la fois un chat, un enfant et une femme qui reviennent du royaume des morts. Les morts-vivants d'Accouchement à domicile s'attaquent à l'humanité entière.
Certains morts-vivants ont cependant gardé leur apparence passée : des élèves dans
Cours, Jimmy, cours et des musiciens de rock dans Un groupe d'enfer.

Il faudrait aussi évoquer fantômes et revenants pour mesurer ce que l'attitude parfois jubilatoire devant la mort que manifeste King satisfait son imaginaire marquée par la tentation de la mort, obsession éprouvée durant sa jeunesse (voir mon essai King et le sexe, éditions Naturellement)

 Ce que dissimule le spectacle du monstre.

Les livres de King parlent de phénomènes monstrueux, vampires, maisons hantées, objets meurtriers... , mais en même temps ils parlent d'autre chose! Le vampirisme représente symboliquement le comportement de tout être qui ne parvient à s'épanouir qu'au détriment d'autrui Le mort-vivant affiche la culpabilité ressentie envers les morts. Les interprétations peuvent aller plus loin. Dans
Shining, l'entité maléfique, le monstre Overlook, est le symbole du capitalisme américain. C'est en «volant» les esprits de certains de ses occupants que l'hôtel accumule l'énergie qui lui permet d'augmenter sa force et son pouvoir. Jack, écrivain raté et amer, perd son humanité dans le désir de réussir dans la société du monstre (soumission à l'économie capitaliste). Danny, le résistant, est l'incarnation de l'opposant à l'idéologie dominante. Enfin la famille Torrance est représentative de la famille américaine prise dans l'engrenage de la lutte pour la vie, et broyée dans un système d'exploitation qui la dépasse.
Considérations que je développe dans
King et le surnaturel, en préparation.

R. Ern.

 page 14.

L'HOMME KING

KING ET SON TEMPS.

King ne vit pas dans sa tour d'ivoire! Sa participation à la vie collective est permanente. Deux aspects.

Le web.

L'année 2000 a été électronique : e-book, cartable, éditeurs se spécialisant dans l'édition sur le web. King a tenu une place importante dans le brouhaha des informations.

Le 14 mars 2000, Simon et Schuster proposent ($ 2,50) son premier e-book, une nouvelle intitulée
Riding the Bullet (parue en Livre de Poche sous le titre de : Un tour sur le Bolid'). Les résultats dépassent les espérances. En 24 heures, après une longue attente, plus de 400 000 internautes chargent le livre, un record de l'édition américaine. Pour la première fois, un auteur renommé se lance avec succès dans l'aventure de l'e-book. Les recettes des 48 premières heures dépassent un million de $... Stephen King sera-t-il le premier à lancer un secteur de l'édition qui jusqu'ici n'a pas réussi à s'imposer?

En juillet, King reprend l'expérience avec la publication d'un roman jadis abandonné, The Plant, à raison d'un épisode par mois, contre le versement spontané d'un $ par chapitre. Le premier fut téléchargé par 152.000 lecteurs, dont 76% payèrent. King ne continuerait à continuer la publication que si 3/4 des lecteurs s'acquittaient de leur contribution. Or le % des payants chuta régulièrement. En décembre, King mit fin à l'expérience. Déçu? Lassé? Officiellement, King a pris du retard dans la rédaction de Black House (la suite du Talisman, écrite en collaboration avec Peter Straub) qui doit sortir en octobre.

King devrait renouveler l'expérience, avec un chapitre de transition entre Le Talisman et Black House.

Un auteur subversif?

Les jeunes ne s'y trompent pas : à un âge où subsiste encore quelque idéalisme, les critiques acerbes de King contre sa société les réjouissent. Ils n'ont pas encore admis la compromission et jugent sévèrement la société qui les entoure.


Politiquement, King s'est toujours posé en démocrate (étudiant gauchiste, il a participé à la lutte contre la guerre du Vietnam). Il critique les systèmes politiques et décrit la montée possible d'un régime fasciste dans l'
Accident. Il nous fait participer à la dificile mise en place de la démocratie dans le monde ravagé du Fléau, seul roman où il aurait pu créer l'utopie, sans oser s'y risquer. De réaliste, King devient pessimiste dans ses romans récents.

Dans
Rose Madder, l'exploration des disfonctionnements sociaux se poursuit, avec la narration de la propagation de la violence chez les hommes, comme se répand la rage chez certains animaux. Parentale, conjugale, venant des autorités, collective dans la rue, la violence est étalée, indice d'une désadaptation sociale. La Ligne verte est un plaidoyer contre la peine de mort, dénonçant un système policier et judiciaire expéditif qui envoie des innocents dans le couloir de la mort. Quelques hommes de bonne volonté peuvent en entraîner d'autres à leur suite. Mais King ne va pas au-delà. Ses personnages ne deviennent pas le levain ou les catalyseurs d'actions collectives. Ses héros, comme lui-même, limitent leurs actions à la dénonciation des insuffisances ou à des tentatives mineures pour y remédier. Ces hommes d'exception restent des exceptions, ne suscitent pas d'adeptes et ne peuvent renverser la tendance.

Luttant contre les exactions et la censure, distribuant généreusement aides et subventions, les King, à leur manière, participent positivement à la vie collective. King a appelé à voter pour le démocrate Gore aux présidentielles de novembre. Obligé de constater que les problèmes individuels et sociaux qu'il soulève sont sans solution, sa vision de la société est noire : King et de ses personnages positifs «font de leur mieux», en toutes circonstances. Le maximum est fait, leçon à la fois de courage et de modestie.

Roland Ernould © février 2001

 ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

différentes saisons

 # 13  automne 2001.

 

 

 ontenu de ce site Stephen King et littératures de l'imaginaire :

Sa vie

Ses oeuvres

Ouvrages récents DE King

Ouvrages SUR King

Cinéma

Revue trimestrielle

différentes saisons

Notes de lectures

Revues fantastique et SF

Dossiers

 .. du site Imaginaire

.. ... .

  .. du site Stephen King