Dossier Stephen
KING
Je devais rédiger le dossier Stephen King
pour le numéro spécial 2 "Les maîtres
contemporains du fantastique", publié par la revue
Science-Fiction
Magazine en avril 2001. J'avais fourni la
maquette de mes textes, qu'il fallait encore calibrer pour la mise en
page de la revue, quand j'ai été hospitalisé
trois semaines, pendant lesquelles la revue s'est bouclée sans
moi. Il a bien fallu prendre des décisions concernant les
textes que je ne pouvais plus prendre. Christophe Corthouts, le rédacteur
en chef de la revue, a dû prendre les décisions
nécessaires, et revoir un certain nombre de choses, ce qui
explique la co-signature du dossier.
Comme j'avais annoncé sur mon site, à l'avance, les
titres de ma maquette, ils sont restés en place près
d'un mois sans que je puisse les rectifier. Ce n'est qu'à mon
retour de l'hôpital que le sommaire de SF Mag sur mon site est devenu
le bon.
Certains de mes fidèles lecteurs se sont étonnés
de ces différences. Voici donc ma maquette, avec la pagination
de la revue prévisionnelle. Les photos de l'article n'ont pas
été celles que j'aurais choisies, et je joins celles
que j'avais prévues sans faire évidemment une mise de
page de revue.
.. du site
..
UN SIÈCLE S'EN
VA...
À 53 ans, 25 ans après
Carrie,
où en est le maître de l'horreur, appellation trop
réductrice? Car King est bien autre chose. Le
point.
King n'a pas perdu son
«troisième» oeil.
À l'aube du dimanche 20 juin 1999, France-Infos lançe
le scoop : Stephen King a été renversé la veille
par une camionnette et se trouve gravement atteint. La consternation
des fans grandit avec des détails impressionnants : perte de
connaissance, traumatisme crânien, jambe droite
fracturée à plusieurs endroits, la hanche atteinte, les
côtes enfoncées, le poumon perforé, un collapsus
pulmonaire. Suivent plusieurs opérations. Le maître de
l'horreur nous donnait involontairement son exemple personnel. La
toile américaine était brouillée par des
informations contradictoires. Tout était vrai, sauf pour ce
qui touchait le cerveau : à vrai dire, c'était la seule
chose qui intéressait vraiment les fans. King pourrait
peut-être de nouveau écrire. Les messages de sympathie
affluaient par dizaines de milliers, plusieurs dizaines de fans se
présentaient chaque jour pour offrir leur sang à
Steve...
King a été impressionné par ces preuves
concrètes de sympathie, voire d'affection. Il maintint le
suspense par ses déclarations. S'il se rétablissait
physiquement, il avait l'esprit confus, il était drogué
par les analgésiques, il n'arrivait plus à se
concentrer, ne pouvait plus écrire. King vivant serait-il
devenu un écrivain mort? En fait, notre homme en rajoutait
beaucoup. Et Tabitha rassure : son mari fait du cinéma, elle
garde confiance en sa capacité d'écrire. King finit par
le reconnaître en novembre, mais le grand public n'est vraiment
rassuré que lors de sa première sortie officielle en
décembre 1999. Ouf, était sauvé le
troisième oeil de l'écrivain, celui qui lui permet de
voir ce que les autres ne voient pas.
King avait pris goût au bain de foule virtuel. Bien sûr,
ses chiffres de vente confortaient l'enfant pauvre, l'écrivain
minable de ses débuts, et l'assuraient de sa place triomphale
en tant qu'écrivain. Avec les preuves de la sollicitude de ses
fans, c'était l'enfant binoclard, gros, lourd, maladroit,
rejeté qui jouissait du fait qu'on l'aimait personnellement.
Comment retrouver cette ivresse? Le succès spectaculaire en
mars 2000 du premier e-book de Stephen King, Riding the bullet, qu'on pouvait charger contre
paiement à l'éditeur Simon et Schuster, conciliait les
deux : la preuve affective directe et la démonstration
financière. King prit goût à la chose et continua
l'expérience avec son roman inachevé, The Plant. Tout bon calviniste
vous dira que si les démonstrations affectives sont
agréables, le grâce divine ne se mesure vraiment
qu'à la réussite matérielle. Il fallait cette
fois payer directement l'auteur. Hélas! de mois en mois les
paiements diminuèrent. Six mois après, descendu de son
nuage, King jette l'éponge. Pour chasser sa morosité,
King s'éclate maintenant en projets, dont la liste est
impressionnante.
Vers une oeuvre
unifiée?
Le nouveau
dessein de King : faire de la Tour Sombre le carrefour de son oeuvre.
King précise ce projet ambitieux. Dans le "système solaire" de son
imaginaire, l'histoire de Roland serait devenue son "Jupiter" : "Je commence à comprendre que le (ou les mondes
plutôt) de Roland contient (ou contiennent) l'ensemble de ceux
[que j'ai] créés. Il me semble que ce soit là que
tous, tant qu'ils sont, finissent par atterrir." Trois romans prévus.
Roland Ernould.
Pour la biographie et la bibliographie : voir SF Mag n°1,
janvier-février 1999.
double page 8/9.
...UN AUTRE COMMENCE : LES
PROJETS.
Oeuvres parues aux USA,
traductions attendues en France :
Hearts in Atlantis
est paru le le 14 septembre 1999 aux USA chez Simon & Schuster.
Le recueil, comportant 5 récits, paraît ce mois chez
Albin Michel sous le titre : Coeurs perdus
en Atlantide. Ces récits ont tous
un rapport avec les années 60. Pour ceux qui n'étaient
pas nés à cette époque, précisons que le
premier roman de King, Carrie, a été
publié en 1974, l'année qui a
précédé les derniers retraits du Vietnam. Depuis
10 ans, les images de cette guerre et des manifestations hostiles
qu'elle avait suscitées envahissent les petits écrans
aux USA. Ces cinq nouvelles sont étroitement liées et
ont pour cadre les 40 dernières années du XIXè
siècle. Chaque récit plonge ses racines dans les
années 60 et reste dominé par la guerre du Vietnam.
Contrairement à ce qui avait été annoncé,
Coeurs perdus en Atlantide n'est pas un roman de la saga de La Tour Sombre, mais a des
rapports avec elle.
On Writing : A Memoir of the Craft,
essai sur l'art de l'écriture, paru
le 3 octobre 2000 chez l'éditeur Schribner, devrait
bientôt sortir en France. L'essai ne ressemble pas à
Danse Macabre
(essai de 1981, traduit en français en 2 volumes,
Anatomie de l'horreur et Pages Noires, éd. du Rocher. Il contient des souvenirs sur le
travail d'écrivain de King, des informations sur ses lectures
et fournit des conseils aux débutants qui veulent
écrire un roman.
À paraître aux
USA :
Dreamcatcher, long
roman (624 p.) devrait être publié le 20 Mars 2001 par
Simon & Schuster. Il raconte l'histoire de quatre garçons,
qui ont fait autrefois ensemble un acte de bravoure dans la ville de
DERRY. Ils se retrouvent 25 ans après pour combattre une
créature venue d'un autre monde... Leur seule chance de survie
réside dans leur passé commun, et dans l'Attrapeur de
Rêves (Dreamcatcher).Un retour vers Ça ?
Black House, nouveau titre de
l'ex-Talisman 2,
coproduit avec Peter Straub comme le premier, a sa sortie
prévue en octobre 2001. L'ouvrage, long de 576 pages (?), sera
publié par Random House. Une nouvelle, sous format de livre
électronique, devrait faire le lien entre les deux
Talisman,
à l'initiative de King. Jack Sawyer aurait maintenant 31 ans
et habiterait dans une ferme du Wisconsin Occidental. Selon Peter
Straub, cette suite serait plus sombre et plus proche de l'horreur
que du fantastique ou de l'heroic fantasy.
From A Buick VIII, du nom d'une chanson de
Bob Dylan, est achevé. Souvenir de King, le livre devrait
parler d'un piéton qui se fait renverser par une voiture sur
le bord de la route. Sa sortie est prévue pour 2002.
One Headlight est un recueil de
nouvelles, dont le titre est repris d'une chanson des Wallflowers,
à paraître chez Simon & Schuster en 2003. Il
comprendrait une douzaine de nouvelles, dont celles de
Six Stories
(recueil édité en tirage réduit en 1997), sauf
Blind Willie,
déjà parue dans Coeurs perdus
en Atlantide. Viendraient s'y ajouter
d'autres nouvelles comme Space Invaders,
Autopsy Room 4, L.T.'S Theory of Pets, Lucky Quarter, The Man in The Black
Suit. D'autres, parues isolément,
ont déjà été traduites en français
: Déjeuner au Gotham
Café, Les
petites soeurs d'Elurie, Le chat de l'enfer et
Tout est éventuel.
Le quatrième roman de La Tour Sombre, dont le titre provisoire
est The Crawling Shadow, devrait paraître chez Grant (?) en 2002. King a
récemment précisé que l'ensemble est
planifié et qu'il souhaiterait publier les trois derniers
tomes de la série consécutivement.
R. Ern.
double page 10/11
ANNÉES DE
JEUNESSE.
RAGE, le roman le plus lu par les
lycéens.
Nos lycéens raffolent de ce roman
où ils continuent à trouver, plus de trente ans
après King, le reflet de leurs inquiétudes. Deux
exemples.
Quand Steve découvre la
rage et l'amour.
En 1966, King, 18 ans, commence Rage (titre original :
Getting it on).
Il termine ses études au lycée. Son personnage,
Charlie, 17 ans, également élève en
dernière année, a, comme King, peur des filles et vit
replié sur lui-même. Il éprouve la "rage".
Révélateur des angoisses du jeune Steve, le titre joue
sur le double sens. Getting it on
est une chanson des T-Rex, dont la
traduction approximative est «faut y aller». Ce que demande
Charlie à ses condisciples, en les invitant à parler de
leurs frustrations et de leurs peurs , sous la menace de son
revolver. Mais en argot, Get it
on signifie : «en s'envoyant en
l'air», «en faisant l'amour». Ce double sens prend ici
un intérêt particulier. Car Charlie voudrait bien y
aller... Comme King...
Autre indice. King a raconté que quand il entend les Beach
Boys chanter Help me,
Rhonda, il revoit "l'extase de [s]on premier pelotage (et un simple calcul mental vous
permettra de constater que j'ai abordé cette activité
avec un certain retard."). Sorti en mai
1965, le disque fut un tube pendant les mois suivants. Or, Charlie
l'entend à la radio. On peut donc situer avec une exactitude
suffisante ce «pelotage» : Steve va avoir ou a 18
ans...
Pourquoi King a retiré
Rage de la vente.
Le massacre de personnes innocentes pour libérer une fureur
individuelle a longtemps fasciné King, comme tous les
extrêmes, d'autant plus que sa propre rage adolescente a
favorisé cette tentation. Dans Rage, Charlie tire sur des
professeurs. Dans Caïn, un étudiant se met à abattre des
étudiants sur le campus. Dans Un
Élève Doué, un autre
étudiant tire sur les automobilistes circulant sur une
autoroute.
King se réfère à des événements
qui se sont produits pendant les vacances scolaires avant son
entrée à l'Université. En juillet 1966, dans le
Texas, un étudiant, d'une tour de l'Université, ouvre
le feu sur le campus pendant plus d'une heure. Bilan : 15 morts et 33
blessés. Whitman, l'aassassin, apprécié de ses
professeurs et des étudiants, écrivait qu'il ressentait
"un sentiment de dépression et un
besoin de violence."
Cet événement préoccupe un jeune King
déstabilisé, qui se demande si lui-même n'est pas
à la merci d'un tel geste : "Peut-être êtes-vous bourré un mardi
après-midi. Vous pouvez développer une nette
agressivité en classe. Vous pouvez laisser tomber. Vous pouvez
aussi commencer à regarder la tour de Steven's Hall et vous
demander - juste vous demander - à quel point ce serait
agréable d'y grimper et d'abattre quelques
personnes."
Plus tard, en 1983, réfléchissant sur cet
épisode, et les tentations qu'il a éveillées en
lui, il dira qu'il aurait pu libérer ses "démons comme un robot, avec un puissant fusil
à lunette... Mon écriture m'a sauvé de la
tour."
Quand en mai 1999, deux lycéens de
Littleton, Colorado, ont ouvert le feu sur des camarades de classe et
des professeurs, faisant une quinzaine de victimes, des journalistes
ont évoqué Rage. Stephen King a
manifesté des réactions très vives
: "C'est un coup qu'on m'a porté
personnellement. (...) C'est bien de la rage que je ressentais en écrivant
ce livre. C'était un moyen d'exorciser tout le désordre
émotionnel que l'on peut ressentir quand on est au
lycée."
Il prend immédiatement la
décision de retirer Rage de la vente aux USA.
R. Ern.
page 10.
IMPRESSIONS DE
JEUNESSE.
Un chapitre d'Anatomie
de l'Horreur est consacré à
narrer des épisodes de la vie de King qui ont pu jouer leur
rôle dans le choix de ce qu'il écrit. Parmi ces diverses
influences, on retiendra le rôle du cinéma et de la
bande dessinée.
Le cinéma.
L'Étrange Créature du lac
noir est le premier film que King se
souvient avoir vu à sept ans, dans un drive-in. Une
scène lui en est restée en mémoire, qui l'a
marqué profondément, celle où apparaît le
monstrueux batracien du marécage : "J'ai su à ce moment-là que la Créature
était devenue ma Créature. Elle était à
moi." Dès lors, pour King enfant,
le macabre et le monstre sont toujours présents. Il raconte
qu'il économisait son argent de poche pour voir des films
d'horreur, en «matinée», le samedi
après-midi. Il détaille longuement et avec
émotion dans Ça les séances de
cinéma de son enfance, la queue avec les copains pour retirer
son ticket à Godzilla, la dame "méchante" du guichet,
qui voulait voir d'abord leur argent, pour avoir droit
"à deux monstres pour vingt-cinq
cents et, avec un quarter de plus, à tout le pop-corn qu'on
était capable d'avaler." Avec le
chahut, les dessins animés et les actualités. Puis le
silence, les cris et les hurlements : les sauterelles géantes
arrivaient et détruisaient Chicago ou Londres. King adore
toujours ce cinéma : "Dans la
hiérarchie de ses goûts cinématographiques, il ne
connaissait rien de mieux que deux films d'horreur dans un
cinéma envahi par des jeunes criant à qui mieux mieux
aux passages les plus sanglants." Quand il
rentre à la maison, le jeune Steve écrit des histoires
fondées sur les films qu'il vient de voir. Il est toujours
aussi passionné pour ces films, qu'il revoit
fréquemment à la télévision, et en parle
avec érudition dans Anatomie de
l'Horreur.
Il faut citer aussi l'influence de la télévision,
surtout de Twilight Zone, célèbre série
télévisée créée par le
scénariste Rod Serling. 156 épisodes de la CBS, sont
consacrés au fantastique et à la science-fiction
d'octobre 1959 à l'été 1965,
précédés de l'annonce : Vous entrez dans la
Quatrième dimension. Comme le dit King : "Les téléspectateurs étaient
invités à pénétrer dans un étrange
univers infini... ce qu'ils firent sans problème."
Les Comics.
King a aussi découvert l'horreur grâce aux EC Comics :
Weird Science,
Tales From the Crypt, The Vault of
Horror : "Ces BD
des années 50 représentent toujours pour moi le comble
de l'horreur." Parues entre 1950 et 1955,
les bandes dessinées d'horreur s'étaient
multipliées aux États-Unis, remarquées par
l'aspect grand-guignolesque et morbide de leurs couvertures. Le
délire visuel de dessinateurs d'exception donna à la
bande dessinée quelques-unes des planches les plus
terrifiantes de son histoire, dont certaines illustraient des
nouvelles d'écrivains aussi prestigieux que Ray Bradbury. Leur
lecture a marqué au fer rouge nombre d'écrivains -
comme King - et metteurs en scène dans le fantastique ou
l'épouvante - comme Romero.
Creepshow a
été le témoignage de la gratitude qu'un
écrivain alors connu de 35 ans rendra aux Comics des
années cinquante, qui ont modelé son imaginaire. Ce
recueil de bandes dessinées par Berni Wrighton
(adaptées des scénarios du film à sketches
écrits pour le film de George Romero) comporte cinq histoires,
à l'humour macabre, à mi-chemin entre l'absurde et le
gore.
Puis vient le choc du livre, quand, à douze ou treize ans, il
trouve une caisse de livres de son père dans le grenier d'une
tante, dont un recueil de Lovecraft...
R. Ern.
double page 12/13.
KING ET SES
MONSTRES.
IL Y A MONSTRE ET
MONSTRE.
L'évocation du monstre fait naître le malaise. Du
monstre fantastique aux monstres humains.
Le mot «monstre» fait
spontanément penser à ses motifs les plus courants, au
vampire, au mort-vivant, au loup-garou, aux animaux malfaisants et
vengeurs, aux parties du corps devenant autonomes, aux objets qui
s'animent, etc. Le point commun de ces motifs est l'appartenance des
monstres au surnaturel, à l'existence inexplicable d'un
monde-autre. King est perçu comme l'auteur qui «produit
des monstres». En fait le monstre, qui fait certes plaisir au
grand enfant qu'est resté Steve, n'est qu'un jouet
littéraire et un moyen de nous présenter sa conception
du mal. Enfant, il a vu une prodigieuse quantité de films
d'horreur et son analyse est claire : "Nous
avions des faux-monstres par douzaines : des hommes-soucoupes, des
sangsues géantes, des loups-garous, des
hommes-taupes (...) et bien d'autres encore. Mais [on] s'abstint de montrer quoi
que ce soit qui ressemblait à la véritable
horreur." La «véritable»
monstruosité se trouve donc ailleurs.
Elle est d'abord à rechercher dans l'être humain :
"Comme Peter Straub le fait remarquer, le
monstre, c'est nous-mêmes." King
décrit ainsi le monstre humain, les insuffisances, les
petitesses des hommes, l'incompréhension de la
société. Il dénonce certains parents, dont le
seul but paraît être de détruire leurs enfants.
King condamne le monstre social, le conformisme oppresseur,
l'injustice, l'exclusion et l'exploitation. Les intolérants,
les inciviques, les profiteurs, les pollueurs, les autorités
arbitraires ou dangereuses sont partout. De cette monstruosité
sociale King a peur, par crainte du désordre et du chaos, se
faisant ainsi une conception complexe, originale, du motif du
monstre, en appelant «monstre» tout ce qui s'attaque
à la vie quotidienne des hommes.
Les tendances criminelles suscitent chez King les mêmes
réactions que le monstre surnaturel. Les
aliénés, les psychopathes, les pervers, les maniaques
sexuels et les déséquilibrés homicides sont ses
monstres les mieux réussis. Le personnage de l'assassin qui
tue pour satisfaire une sexualité défaillante
réapparaît régulièrement, ce qui explique
les investigations de King dans la pathologie du sexe. Le sexe et la
mort le fascinent. King aime nous faire effectuer une plongée
dans le gouffre des pulsions humaines primitives, que les
sociétés se sont efforcées de canaliser, avec
des réussites diverses.
King y ajoute encore une extension : est monstrueux tout ce qui peut
atteindre un homme dans sa vie normale pour en rompre le cours. King
cite dans toutes ses interviews, le cancer, les tumeurs, les maladies
terminales, l'alcool, la drogue, les accidents de la circulation :
"Mon opinion est que les monstres vous
attaquent toujours à la fin. Le monstre peut être le
cancer. Le monstre peut être une attaque. Le monstre peut
être une crise cardiaque. Mais à la fin, les monstres
m'auront, et les monstres vous auront."
L'oeuvre de King va ainsi au-delà de l'aspect souvent
superficiel de ses monstres surnaturels. Bien sûr, la plus
grande partie de son public ne réagit qu'à ces
monstres. Mais, en fait, les monstres de King sont comme les
stigmates et les révélateurs d'une
société en folie qui peu à peu perd tous ses
repères humains, sociologiques, et métaphysiques. Et ce
King-là, meurtri par son temps, se révèle d'une
humanité si profonde qu'on en vient souvent à regretter
ce que son spectaculaire a d'inutilement excessif.
R. Ern.
page 13.
QUELQUES MONSTRES
LIÉS À LA MORT : VAMPIRES ET MORTS-VIVANTS.
Nés des comics et des films de
catégorie B, les monstres de King sont
représentés par des figures connues de tous.
Littérairement, Dracula de Bram Stoker lui a
fourni un modèle.
Que trouve-t-on dans Dracula? Un monstre surprend des
victimes innocentes, trouve un allié humain, est vaincu par un
groupe d'hommes entreprenants. Ce schéma deviendra pour King
une trame littéraire obligée : identification du mal,
choix des camps et lutte problématique.
Vampires.
Dans Salem, King
reprend les caractéristiques du vampire saigneur de Stoker,
qui possède certains pouvoirs attribués par la
tradition au Diable. Deux nouvelles modernisent plus tard le mythe,
Popsy et
Le rapace nocturne. Récemment, les vampires s'introduisent de
manière insolite dans la fantasy de l'univers de la Tour
Sombre avec Les
Petites soeurs d'Elurie.
Moderne, le vampire psychique utilisant la vitalité des autres
a suscité une gamme étendue de formes. Dans
Insomnie, l'énergie humaine
est utilisée pour la bonne cause. Mais d'autres vampires sont
des prédateurs. Des revenants de Sac
d'Os puisent leur énergie chez les
vieux des environs. Dans Le Policier des
Bibliothèques, l'entité
Ardelia vit dans des corps humains et se nourrit de larmes. Tak
(Désolation, Les
Régulateurs) n'a d'autonomie qu'en
«pompant» l'énergie des autres. Situation plus
originale : dans Les
Tommyknockers, le vaisseau cosmique
fonctionne à l'énergie psychique animale.
Morts-vivants.
Influencé par George Romero, King raffole
des morts-vivants aux divers stades de la décomposition. Ceux
de Celui qui garde le ver sont traditionnels dans un décor gothique sans
surprise. Dans Christine, le premier propriétaire mort de la Fury la conduit
encore. Simetierre, roman thanatalogique, propose à la fois un chat,
un enfant et une femme qui reviennent du royaume des morts. Les
morts-vivants d'Accouchement à
domicile s'attaquent à
l'humanité entière.
Certains morts-vivants ont cependant gardé leur apparence
passée : des élèves dans Cours, Jimmy, cours et des
musiciens de rock dans Un groupe
d'enfer.
Il faudrait aussi évoquer fantômes et
revenants pour mesurer ce que l'attitude parfois jubilatoire devant
la mort que manifeste King satisfait son imaginaire marquée
par la tentation de la mort, obsession éprouvée durant
sa jeunesse (voir mon essai King et le
sexe, éditions
Naturellement)
Ce que dissimule le spectacle du monstre.
Les livres de King parlent de phénomènes monstrueux,
vampires, maisons hantées, objets meurtriers... , mais en
même temps ils parlent d'autre chose! Le vampirisme
représente symboliquement le comportement de tout être
qui ne parvient à s'épanouir qu'au détriment
d'autrui Le mort-vivant affiche la culpabilité ressentie
envers les morts. Les interprétations peuvent aller plus loin.
Dans Shining,
l'entité maléfique, le monstre Overlook, est le symbole
du capitalisme américain. C'est en «volant» les
esprits de certains de ses occupants que l'hôtel accumule
l'énergie qui lui permet d'augmenter sa force et son pouvoir.
Jack, écrivain raté et amer, perd son humanité
dans le désir de réussir dans la société
du monstre (soumission à l'économie capitaliste).
Danny, le résistant, est l'incarnation de l'opposant à
l'idéologie dominante. Enfin la famille Torrance est
représentative de la famille américaine prise dans
l'engrenage de la lutte pour la vie, et broyée dans un
système d'exploitation qui la dépasse.
Considérations que je développe dans King et le surnaturel, en
préparation.
R. Ern.
page 14.
L'HOMME KING
KING ET SON TEMPS.
King ne vit pas dans sa tour d'ivoire! Sa participation à la
vie collective est permanente. Deux aspects.
Le web.
L'année 2000 a été électronique : e-book,
cartable, éditeurs se spécialisant dans
l'édition sur le web. King a tenu une place importante dans le
brouhaha des informations.
Le 14 mars 2000, Simon et Schuster proposent ($ 2,50) son premier
e-book, une nouvelle intitulée Riding the Bullet (parue en
Livre de Poche sous le titre de : Un tour
sur le Bolid'). Les résultats
dépassent les espérances. En 24 heures, après
une longue attente, plus de 400 000 internautes chargent le livre, un
record de l'édition américaine. Pour la première
fois, un auteur renommé se lance avec succès dans
l'aventure de l'e-book. Les recettes des 48 premières heures
dépassent un million de $... Stephen King sera-t-il le premier
à lancer un secteur de l'édition qui jusqu'ici n'a pas
réussi à s'imposer?
En juillet, King reprend l'expérience avec
la publication d'un roman jadis abandonné, The Plant, à raison d'un
épisode par mois, contre le versement spontané d'un $
par chapitre. Le premier fut téléchargé par
152.000 lecteurs, dont 76% payèrent. King ne continuerait
à continuer la publication que si 3/4 des lecteurs
s'acquittaient de leur contribution. Or le % des payants chuta
régulièrement. En décembre, King mit fin
à l'expérience. Déçu? Lassé?
Officiellement, King a pris du retard dans la rédaction de
Black House (la
suite du Talisman, écrite en collaboration avec Peter Straub) qui
doit sortir en octobre.
King devrait renouveler l'expérience, avec
un chapitre de transition entre Le
Talisman et Black House.
Un auteur
subversif?
Les jeunes ne s'y trompent pas : à un âge où
subsiste encore quelque idéalisme, les critiques acerbes de
King contre sa société les réjouissent. Ils
n'ont pas encore admis la compromission et jugent
sévèrement la société qui les
entoure.
Politiquement, King s'est toujours posé en démocrate
(étudiant gauchiste, il a participé à la lutte
contre la guerre du Vietnam). Il critique les systèmes
politiques et décrit la montée possible d'un
régime fasciste dans l'Accident. Il nous fait
participer à la dificile mise en place de la démocratie
dans le monde ravagé du Fléau, seul roman
où il aurait pu créer l'utopie, sans oser s'y risquer.
De réaliste, King devient pessimiste dans ses romans
récents.
Dans Rose Madder, l'exploration des disfonctionnements sociaux se poursuit,
avec la narration de la propagation de la violence chez les hommes,
comme se répand la rage chez certains animaux. Parentale,
conjugale, venant des autorités, collective dans la rue, la
violence est étalée, indice d'une désadaptation
sociale. La Ligne verte est un plaidoyer contre la peine de mort,
dénonçant un système policier et judiciaire
expéditif qui envoie des innocents dans le couloir de la mort.
Quelques hommes de bonne volonté peuvent en entraîner
d'autres à leur suite. Mais King ne va pas au-delà. Ses
personnages ne deviennent pas le levain ou les catalyseurs d'actions
collectives. Ses héros, comme lui-même, limitent leurs
actions à la dénonciation des insuffisances ou à
des tentatives mineures pour y remédier. Ces hommes
d'exception restent des exceptions, ne suscitent pas d'adeptes et ne
peuvent renverser la tendance.
Luttant contre les exactions et la censure, distribuant
généreusement aides et subventions, les King, à
leur manière, participent positivement à la vie
collective. King a appelé à voter pour le
démocrate Gore aux présidentielles de novembre.
Obligé de constater que les problèmes individuels et
sociaux qu'il soulève sont sans solution, sa vision de la
société est noire : King et de ses personnages positifs
«font de leur mieux», en toutes circonstances. Le maximum
est fait, leçon à la fois de courage et de
modestie.
Roland Ernould ©
février 2001
ce texte a
été publié dans ma
Revue
trimestrielle
différentes saisons
# 13
automne 2001.
ontenu de ce site Stephen
King et littératures de l'imaginaire :
.. du site
Imaginaire
.. ... .
.. du
site Stephen King