HARMONIE
par
Claude Bolduc
Un commentaire de Claude Bolduc :
J'ai procédé à quelques retouches
pour enlever les mots trop québécois qui
pourraient rebuter le lecteur français. Il en reste,
mais peu. Le mot "main" , en italiques, désigne dans
le langage populaire la rue principale, c'est-à-dire
celle où on trouve lesbars et les clubs les plus en
vogue.
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Ce soir, il
était Dieu.
Sa tête
bouillonnait, elle était un kaléidoscope
d'idées, de pensées, de toutes sortes de choses
éclatantes qui ne cessaient d'apparaître et de
tourbillonner. C'était bien, c'était parfait,
c'était ainsi qu'il s'aimait et se sentait
véritablement lui-même.
Toute cette faune qui
évoluait autour de lui, c'est avec condescendance qu'il la
regardait. Mais sans mépris. Pourquoi aurait-il
méprisé ces gens? Il n'avait qu'à avancer
à travers eux sans se presser, tellement sûr de lui que
jamais l'idée de baisser la tête ne l'effleura. Le
flamboiement des néons de la main, le tonnerre de la musique qui
s'échappait des bars, l'aura de fébrilité
émanant de la foule; il contemplait tout ça, le
ressentait, et l'ensemble ne formait qu'une partie de l'hymne
grandiose qui célébrait sa propre euphorie. Même
les gens qui s'attardaient un instant à le dévisager -
il s'était pourtant procuré d'autres vêtements -
ne pouvaient altérer son bien-être.
Il s'arrêta devant Le Go-go pour regarder à travers l'immense vitrine, le
coeur battant. C'était l'endroit qu'il aimait le plus
observer. Quatre danseuses se trémoussaient dans des cages
transparentes, hot pants plastifiés, bottes rouges et luisantes, et
guère plus qu'un soutien-gorge pour dissimuler toute cette
belle chair en mouvement. Plus loin, sur une scène, des
musiciens aux cheveux sur les yeux se tortillaient tout autant,
drapés dans les hurlements de leurs instruments.
Rock, gogo, yéyé, folk-rock, blues, tout ça lui
rappelait sa jeunesse mais, en même temps, ne lui disait rien.
Cela lui était même étranger, d'une certaine
façon, puisqu'il ne s'était jamais tenu dans ces
endroits. Comment l'aurait-il pu? L'y aurait-on seulement
laissé entrer?
Pourquoi? Pourquoi n'en aurait-il pas eu le droit, comme tous les
autres?
D'un geste rageur, il frappa le trottoir du bout de sa semelle, qui
se détacha un peu plus du soulier, puis reprit sa route.
Il y avait trop de monde ici. Difficile de recruter...
Quelques minutes plus tard, passé les bars les plus bruyants,
la foule se fit moins dense, la musique plus discrète, les
couleurs moins nombreuses et éclatantes. Maintenant, il
pouvait commencer à chercher.
La semelle presque arrachée de son soulier gauche claquait
à chacun de ses pas. Il s'appliqua, pour atténuer ce
bruit disgracieux, à marcher le pied légèrement
renversé. La chaleur bienfaisante qui habitait sa tête
se fit plus intense encore. Oh! qu'il se sentait bien! Des
chaussures, oui, il lui fallait des chaussures, bien sûr. On le
regardait trop. On le remarquait. Choisir un homme?
Non. Pas ce soir.
- Hé, le crotté, qu'ess tu viens faire ici? Ben dis
donc, quelqu'un t'a donné du linge?
Il se tourna. Les trois filles qu'il venait de croiser,
adossées à un mur, semblaient s'amuser à le
regarder. Voyons... Shirley, Rosa et Loulou. Fidèles au poste.
Voilà. Comme tout était clair dans sa tête! Comme
il était heureux, ce soir!
Trois poulettes bien viandées. Une belle offrande en
vérité, mais ce n'était pas le genre de filles
dont il avait besoin. Elles faisaient trop partie du paysage.
- Je suis pas là pour vous, mes anges.
- Non mais, écoute-le donc! Tu voudrais peut-être qu'on
t'époussette la bite? Y'm'semble qu'elle doit pas servir
souvent!
- Va jouer ailleurs, Pinotte. Tu fais fuir les clients!
- J'voudrais pas que les gens pensent qu'on fait des affaires avec
toi.
Elles éclatèrent de rire, apparemment fières de
leurs bons mots. Pendant une seconde ou deux, il regarda leurs seins
s'agiter dans leurs vêtements trop moulants. Ces femmes,
décidément, n'avaient pas grand-chose entre les
oreilles. Elles ne devaient pas connaître la douce griserie
d'avoir des idées, d'avoir des pensées. En tout cas,
pas comme celles qui bouillonnaient dans sa tête à
lui!
Si elles savaient! Si elles savaient comment il les dominait ce soir,
elles ramperaient sans doute à ses pieds. Ce mépris, un
jour, serait vengé. Pour l'instant, il se contenta de leur
offrir son plus beau sourire, puis de continuer son chemin sans autre
commentaire.
Les alentours de l'hôtel Dumoulin offraient de loin les
meilleures occasions. Parce qu'il se trouvait proche de la gare.
Parce qu'il était tout près des premiers bars de la
main.
Parce qu'on y
trouvait donc beaucoup d'étrangers. N'est-ce pas que cela
était merveilleux, de penser? Oh wow!
Il s'appuya au mur d'un casse-croûte libanais, où
quelques jeunes étaient trop occupés à compter
leur argent pour se formaliser de sa présence. Bien peu se
souciaient de lui - à part les putes qui le connaissaient trop
- depuis qu'il s'était procuré ces vêtements
(bien qu'il eût oublié les souliers). Camouflage!
Brillant! C'était ça, avoir de la suite dans les
idées. Il suffisait de recruter un homme de temps en temps.
Yeah!
C'était trop merveilleux! Il ne fallait surtout pas que
ça cesse! Merci, oh merci, Harmonie!
* * *
Une petite jeune
sortit de l'hôtel au bout de la rue. Comme il l'aurait
parié, elle n'hésita qu'une seconde avant de prendre la
direction des bars les plus bruyants, qui justement se situaient
au-delà du casse-croûte libanais. Eh! quand on a tout
prévu...
Elle observait avec attention la plupart de ceux qu'elle croisait.
Plus que probable qu'elle était à la recherche de
quelque chose. Que pouvait chercher une jolie fille de cet âge,
veste et jupe de cuir, collants noirs, crinière
ébouriffée, le soir sur la main?
Sans doute quelque chose que lui possédait. Quand on n'est pas
fou, on garde toujours ce qu'il y a dans les poches des personnes
recrutées (et ça, Harmonie n'avait pas eu besoin de le
lui dire).
Tout juste avant que la fille arrive à sa hauteur, il renifla
bruyamment à deux reprises (trois, c'était trop). Elle
se tourna immédiatement vers lui. Comme il avait appris
à le faire, il la fixa quelques secondes, pendant lesquelles
leurs regards s'échangèrent quantité
d'information muette.
- Je peux t'aider? dit-il enfin.
Elle renifla.
- Je m'demandais s'il allait neiger ce soir.
- Ah, la neige! Ça dépend. La météo n'en
annonce pas, mais des fois y se trompent.
- Qui c'est qui fait la météo, par ici?
- Des fois, c'est moi. Veux-tu que je te fasse une
prédiction?
- Vas-y donc.
Les yeux de la fille étaient ronds et luisaient sous les feux
de la main. Elle serrait souvent les mâchoires.
Ce serait elle.
- Suis-moi. Faut que je me concentre. C'est plein de monde, ici.
- T'as un problème de soulier, on dirait?
- J'ai rencontré un chien errant, tout à l'heure.
Lui donner, comme ça, une toute petite crainte des environs
les rapprocherait, c'était certain. Quelle bonne
idée!
Un petit signe du menton, puis il se mit en marche, dans la direction
opposée à l'hôtel. Il donnerait à la fille
son bonbon ce soir. Elle serait amadouée. Il apprendrait la
durée de son séjour en ville. La préviendrait
qu'il est toujours à sa disposition en cas de besoin. Ils se
reverraient demain. Et tout serait prêt.
Zip! Zip! Zip! Les pensées voyageaient à une vitesse
étourdissante dans sa tête. Oh non! il ne fallait plus
jamais que cela cesse!
Au moment de traverser la rue, il eut une distraction et buta contre
le trottoir.
- Blesse-toi pas tout de suite. Attends qu'on soit rendus!
Sa vue s'était momentanément brouillée, et il
mit une seconde à s'apercevoir que la fille souriait. Il
sourit à son tour:
- Inquiète-toi pas pour moi.
Comme ils passaient devant le Laser, trois personnes sortirent en riant. Son regard,
instinctivement, se porta vers le bas, mais il releva aussitôt
la tête pour sourire à l'adresse des fêtards, dont
l'attention, de toute façon, était ailleurs. La musique
jouait si fort dans la discothèque qu'une vibration parcourait
le trottoir jusque dans son coeur et, de là, dans sa
tête. Trouvant la sensation désagréable, il
accéléra le pas. Le malaise persista, une impression de
chute sans fin vers l'arrière, un déséquilibre,
un éloignement. Il allait ajouter une blague pour masquer son
trouble quand l'évidence s'imposa brutalement à son
esprit.
Quelque chose
ne va pas.
Non, pas
ça!
Pourquoi aussi vite, pourquoi tout de suite? Ça... ça
aurait dû durer deux jours encore! Encore... encore...
encore... encore quoi déjà... voilà que son
idée s'en allait... il venait de penser à... ça
va mal... beaucoup de choses à démêler en
même temps...
Mal? mal... mal... mais non, il n'a pas mal. Et pourquoi aurait-il
mal? Personne ne veut lui faire mal. Il y a même une dame avec
lui. Mais oui, une dame. Qu'est-ce qu'elle... il doit avoir besoin
d'elle. Oui, besoin d'elle. Parce que... parce qu'il l'aime, oui,
ça doit être ça, il l'aime. Pour quelle autre
raison serait-elle là? Il la regarde: elle sourit. Comme elle
doit être gentille! C'est comme dans les films qu'il y avait
à la tévé, chez le vieux Gérard. Elle est
là, donc elle l'aime.
Mais il a ici plein de gens qui connaissent Pinotte. Ils vont
sûrement se mettre à dire des choses, comme d'habitude.
Et si la dame est avec lui et qu'elle l'aime, ils diront des choses
à elle aussi. Des choses méchantes. Des choses,
peut-être, qui la feront pleurer elle aussi. Non! pas
ça! Ferme les yeux! Ferme les yeux!
Une main sur son épaule.
- C'est où qu'on va?
Pendant plusieurs secondes, les mots de la fille tournoyèrent
dans sa tête. Lentement, beaucoup trop lentement, ils se
replacèrent, puis il comprit.
- Pas loin, pas loin, dit-il. Chut! fais pas de bruit...
- OK, mais dis-moi où on va.
Concentration. Mains sur les tempes. Allait-elle se taire, qu'il
pense, qu'il trouve...
- Tiens, si t'es pressée, ou si t'as peur, allons juste
là, dit-il, quittant soudain la main au profit d'une ruelle.
- C'est pas ça, c'est juste que...
- Chut! fais pas de bruit...
- T'es donc ben nerveux! Tu penses pas que c'est moi qui devrais
m'inquiéter?
- Pas de bruit...
- Dis donc, qu'est-ce que t'as? Tu files pas? As-tu vu un
fantôme?
La fille, oui, la fille. Elle souriait toujours. Toujours...
toujours...
Il se frotta les yeux.
Ça allait très mal.
Vite! une solution!
Penser...penser...
- Qu'est-ce que t'as? T'es ben blême!
Cela n'avait aucun sens, mais il semblait bien que tout fût
déjà terminé. Il devait se rendre à la
décharge municipale sans tarder. Avec la fille. Comment?
Comment l'emmener...
- T'es sûr que ça va bien? Tu veux t'asseoir un peu?
T'en as trop pris ou quoi?
Réfléchir. Vite. Solution. SOLUTION. Comment...
- Voudrais-tu quelque chose à boire? On peut aller à
mon hôtel, si tu veux. On...
- OK, OK, ça va! Ta gueule! Tu m'empêches de penser! Par
ici.
Il agrippa la fille par le coude et l'entraîna dans une
allée entre deux maisons.
- Eh! Énerve-toi pas! Pourquoi ici? T'as changé
d'idée?
- Ta gueule! Ta gueule! Tu m'empêches de penser!
Sans plus réfléchir, il plaqua violemment la fille
contre une clôture et lui rabattit son poing sur le
crâne.
Elle s'écroula en silence.
Il la prit par les bras et la traîna vers l'arrière de
la maison, puis le long d'une remise délabrée, contre
laquelle il l'étendit sur un tas de planches. Ensuite, il se
frappa le front à quelques reprises contre le mur de bois,
avant de se laisser choir lui aussi sur les planches en attendant que
la ville s'endorme.
* * *
Pinotte avait eu
peur. La fille dormait. Pas moyen de la réveiller. Il l'avait
transportée et avait failli se faire voir. Par des gens en
voiture. Ils auraient dit « Qu'est-ce que tu fais avec la fille?
Tu lui as fait mal? Pouilleux! Idiot! Stupide! Fou! ». Et alors
c'est eux qui auraient fait mal à Pinotte.
Mais il était arrivé. Ici, pas de gens, pas de mal.
Juste la fille, par terre. Dans la poussière blanche. Au bord
du trou sous les cochonneries. Harmonie était là, au fond. Pinotte le
sentait. Il attendait la fille. Fallait la
préparer.
À genoux dans le petit tas blanc fait par Harmonie - c'est
quand il avait fini avec les gens. Vite. Ôter les
vêtements de la fille. Sa veste de cuir, son chandail. Rien en
dessous. Elle avait de grosses boules. Pinotte les toucha, joua un
peu avec. Il rit. Mais Harmonie attendait. Pinotte retira la jupe de
la fille. Ses collants, ses petites culottes. Poussa la feuille de
contreplaqué qui cachait le trou. Roula la fille. Elle fit un
bruit mou en arrivant au fond.
Pinotte regarda dans le trou. Mais il ne voyait rien. Il n'y avait
rien à voir. Il se détourna. Coup de pied dans le sable
blanc. Quand Harmonie recevait une fille, il ne parlait jamais
à Pinotte.
Et pourquoi? Pourquoi? Une raison? Raison... raison... Oui, Harmonie
devait en avoir une. Ça ne regardait pas Pinotte.
Tout près, par terre, la veste de cuir de la fille. La veste
de cuir pourrait lui être utile. Il paraîtrait mieux.
Serait plus efficace. Il prit la veste mais elle était trop
petite. Il la jeta, puis s'assit sur la caisse de Pepsi en bois
noirci.
Ça va mieux, pensa-t-il en laissant son regard parcourir la
décharge, faiblement éclairée par la lune et par
l'unique lampe consentie aux lieux par la Ville.
Mais son coeur cognait fort dans sa poitrine. À cause de sa
pénible traversée de la ville avec la fille qui
dormait? À cause de l'excitation qui le gagnait à
l'idée que Harmonie lui fît à nouveau plaisir? Il
prit une profonde inspiration, sourit.
Oui, pas de doute, c'était commencé.
C'était comme émerger lentement d'un épais
brouillard, acquérir la vue, pénétrer en un lieu
dont on ne soupçonnait pas l'existence. Le petit
chatouillement était dans sa tête et ça lui
faisait tout drôle. C'était un objet quasi tangible,
quelque chose en lui qui se réveillait soudain. Il rit tout
seul dans la nuit. Non, pas tout seul. Il ne l'était plus,
maintenant. Harmonie, au fond du trou caché par les ordures et
les débris, était le seul être à s'occuper
vraiment de lui. Il fallait que ça continue.
Maintenant que ses pensées étaient plus claires, il put
réfléchir à ce qui s'était passé
ce soir. À la sensation abominable de sentir, au beau milieu
d'une foule, son esprit disparaître, ses pensées se
télescoper, se disperser, se dissoudre dans la brume, son
identité fondre jusqu'à ce qu'il ne reste plus
que...
Pourquoi cela était-il arrivé? L'effet durait
normalement plusieurs jours. Y avait-il perte d'efficacité
quelque part? Cela voudrait dire venir plus souvent ici, alors qu'il
préférait aller se promener parmi les gens, enfin
d'égal à égal. Non, pas égal. Mieux que
ça: quand c'était lui qui les dominait, quand son
intelligence les reléguait dans l'ombre. Ils ne pouvaient pas
penser autant que lui, cela semblait impossible. Des gens qui pensent
autant ne mènent pas ce genre de vie. Ils ont autre chose
à faire. Comme lui, ils doivent chercher à
améliorer leur sort, pas à s'y complaire.
Harmonie pouvait sûrement lui expliquer l'accident de ce soir
et lui apprendre comment éviter cette situation
dorénavant. Il pouvait tout aussi bien lui donner les moyens
de l'apprendre par lui-même. Savait-on jamais, avec
Harmonie?
Il se leva, marcha jusqu'au trou. Près du rebord gisait
maintenant une enveloppe vide, la forme blanche et poreuse de la
fille que Harmonie avait terminée, puis rejetée hors de
la fosse. Du bout du pied, il l'effleura. Une partie du corps tomba
en poussière. Bientôt, la fille s'ajouterait au petit
carré de sable blanc qui tranchait tant sur le reste du site
d'enfouissement.
Il scruta l'obscurité sous lui mais, comme il s'y attendait,
il n'y avait toujours rien à voir au fond du trou.
- Harmonie, souffla-t-il, écoute ton ami. Faut que je te
parle. À soir, il y a eu un problème...
Il ne mit qu'une seconde à ordonner les mots qui affluaient
dans sa tête.
- À soir, j'ai ben failli jamais pouvoir emporter de fille.
J'ai senti que... que t'arrêtais de me faire plaisir. De me
rendre intelligent. J'étais pus capable de me concentrer, je
savais pus comment faire pour emmener... mais tu dois le savoir. Car
toi aussi, t'as dû avoir un malaise. Sans ça, t'aurais
continué de m'aider, non? Tu vois:
j'réfléchis.
« Imagine si je m'étais senti mal juste avant: j'aurais
même pas pu adresser la parole à la fille.
« J'pense que tu faiblis, Harmonie. Que t'es malade. Que
t'aurais besoin de plus de filles pour retrouver la forme. C'est pas
mal dur, tu sais, de les trouver. Enfin, pas de les trouver, mais de
les... mais tu comprends ce que j'veux dire, hein? Parce que toi,
t'es comme moi: tu penses. On est futés, hein?
« Donc, plus de filles. Tu sais, ben sûr, que puisque
c'est moi qui les trouve, mon travail est plus compliqué. Plus
songé. Il faut que j'pense plus! C'est ça, la solution!
Quand je serai plus intelligent, je saurai comment me
débrouiller. J't'emmènerai tout plein de filles. Ou des
gars, si tu veux.
« Comme ça, t'auras tout ce qu'y te faut pour revenir
comme avant. Pis tu seras fort, pis tu vivras longtemps!
« J'ai tellement passé proche de pas pouvoir, à
soir... Ça pourrait arriver encore, tu sais? Pis comme t'as
beaucoup besoin de ces filles, ça serait terrible, non, si
t'en manquais? Si t'en avais pus du tout? Tu vois, tu dois m'aider
à t'aider. Me rendre plus intelligent. J'veux pus jamais
être stupide comme avant! C'est comme si on existait pas, c'est
même pire que ça! »
À court d'idées, il se tut. Il pensait bien avoir tout
dit ce qu'il fallait pour convaincre Harmonie.
La voix éclata comme un orage dans sa tête.
« On ne cherche pas à revenir en arrière quand
l'existence franchit une étape. C'est au contraire le moment
où il faut se laver de ce qui a précédé,
il faut consumer tout ce qu'on a été pour devenir autre
chose.
J'ai eu tout ce qu'il me fallait. Bientôt, je rejoindrai mes
ancêtres et descendants au terme du grand rituel de la
Consumation.
Bientôt, je serai consumé. »
D'abord, il ne comprit rien aux paroles d'Harmonie. Ce n'est pas
qu'il manquait d'intelligence, mais Harmonie parlait parfois de
choses tellement étranges!
Ce qu'il fallait en comprendre, c'était... oh! il ne savait
pas trop, parce qu'en fait, il avait autre chose en tête pour
l'instant, et qu'il ne pouvait tout de même pas penser à
deux choses en même temps! Donc, il pensait à...
Soudain, Pinotte s'aperçut qu'il ne savait plus à quoi
penser et que ses mains tremblaient. Il y avait quelque chose dans
lui, un souvenir qui cherchait à remonter. Un bruit bizarre
s'échappait du trou. Pinotte vit même un peu de
lumière. Mais elle était si faible que même
penché au-dessus du trou, il ne distinguait rien. Ah! une
tache blanche. Boucane blanche. Qui monte. Pinotte ferme les yeux, il
est étourdi, il tombe presque à la renverse.
Recule!
Mais
où... Ah! la décharge! Harmonie est là, juste
là. Pinotte veut lui parler, justement. Lui dire que... du
plaisir, oui, il veut qu'Harmonie lui donne plus de plaisir. Le
plaisir, c'est bon.
Lui donner un truc... truc... en ville, monde, méchant avec
Pinotte. Pinotte pas d'amis.
Pinotte pas en ville. À la décharge.
Pinotte tout seul.
Claude Bolduc
Claude Bolduc
Harmonie
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Main de gloire
|
ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
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saison # 16 -
été 2002.
.. général