Le canevas du récit ne présente pas d'originalité particulière : des faits étranges surviennent, inacceptables pour les personnages, contraints à reconnaître leur origine fantastique après les résistances d'usage qui permettent à l'auteur de distiller ses explications selon ses intentions. Le héros est un libraire, et, on le sait, les librairies, comme les bibliothèques que l'on fréquente aussi dans ce livre, sont des lieux traditionnels de la connaissance de mystères qui ne peuvent être éclairés que dans des livres cachés ou des manuscrits très anciens. Un savant érudit en histoire, professeur d'université, auquel ses fonctions et la chance ont permis d'accéder à des savoirs perdus, met ses ressources magiques au service d'une ambition sans scrupules. La belle séductrice, collaborant avec le savant tout en jouant sa propre partie, permet de pimenter le récit de scènes érotiques à l'efficacité éprouvée. Le tout dans les perspectives d'une enquête policière et l'ambiance d'un thriller. Bref, tous les ingrédients, bien connus d'un auteur qui affirme avoir lu des milliers de livres, ingrédients qui peuvent donner le meilleur ou le pire.

Dès qu'on progresse dans le récit, on s'aperçoit que Ward a les atouts dans son jeu qui lui permettent, pour ce deuxième roman, de gagner brillamment la partie. Il va susciter rapidement l'intérêt du lecteur en habillant des situations anciennes de vêtements nouveaux. D'abord le choix de l'optique politique dans laquelle se déroule l'action, un sujet d'actualité brûlant pour les médias, la lutte pour l'indépendance du peuple basque, mais dont les dessous ne sont généralement pas connus, la lutte interne entre les divers partisans des activistes de l'ETA, entre les partisans d'une négociation avec le pouvoir espagnol et les tenants d'une ligne dure rejetant toute solution qui ne conduit pas à l'autonomie. Ensuite leurs rivalités, leurs rapprochements et leurs éliminations se situent dans un cadre moderne, mais aussi dans un enracinement très ancien : une tradition remontant à la défaite infligée par les Basques à l'armée de Charlemagne par des moyens magiques, et la survivance, au cours des siècles, du choix de quatre élus particuliers, porteurs d'une aura spirituelle qui sert de référence aux responsables basques.

Les évocations historiques n'ont aucune lourdeur, et contribuent à donner un éclairage qui se précise au cours de l'action, le présent lu à la lumière du passé. Car les armes modernes sont inefficaces face à celles qui surgissent d'un fantastique profondément ancré dans le folklore basque, qui connaît les Etarras, ces créatures de légende, qui ne ressuscitent actuellement que sous une forme symbolique lors du Carnaval. Quand des indépendantistes pacifistes sont éliminés par des créatures qui ont gardé leur apparence carnavalesque mais n'ont plus rien de symbolique, leurs mitraillettes deviennent des jouets dérisoires. Car le savant historien, reprenant la stature folklorique du Chasseur Maudit, a trouvé le moyen de ressusciter, sous forme de Golem, des hommes ou des animaux meurtriers.

Si le lecteur intéressé veut savoir comment le libraire Bernard sera le premier à comprendre ce qui se passe, comment il entreprendra la lutte pour sauver la cause pacifiste en éliminant le Chasseur Maudit, contre la troublante métisse (tout contre à certains moments); connaître le pouvoir du cri traditionnel basque qui donne son titre au roman, je le renvoie au récit qui a reçu un bon accueil lors de sa sortie (prix Masterton et Ozone 2000), et qui a été salué comme le renouveau du folklore fantastique. Sur une trame classique, Ward a su, à partir de la mythologie basque, réaliser un équivalent du travail de Graham Masterton avec ses Manitou, en mâtinant son sujet de tradition juive. Le style est efficace, des phrases courtes, nerveuses. On a évoqué un fantastique rural à propos des romans de Ward, alors que les auteurs français se tournent plus volontiers vers des motifs généraux, inspirés bien souvent des anglo-saxons. L'intérêt du roman est de porter à nouveau le regard sur l'importance des traditions populaires, et la richesse d'un passé qui a fait la gloire de Claude Seignolle.

Roland Ernould © 2002

La quatrième de couverture :

L'Irrintzina : un cri venu du fond des âges. Chez les Basques l'effort, la lutte, la tension s'expriment par une explosion. Un cri terrifiant qui remplit le vide : l'Irrintzina. Il s'est transmis du fond de l'abîme des âges jusqu'à l'homme moderne et il constitue un des nombreux mystères de ce peuple.
Une série d'attentats meurtriers secoue l'Euzkadi, le Pays Basque. Un policier, un ancien homme politique, tous abattus en pleine rue.
Alors que l'organisation terroriste basque E.T.A. penche pour des négociations, un mystérieux Chasseur Maudit tente de les saboter.
Bernard, membre de l'E.T.A., est sur sa trace. Une cruelle course contre la montre commence.
Inspiré par une actualité explosive, Philippe Ward nous entraîne dans l'univers fantastique de l'Euzkadi et de ses démons.

L'auteur

Né à Bordeaux en 1958, Philippe Laguerre, qui a pris en littérature le pseudonyme de Philippe Ward, habite l'Ariège, en plein coeur des Pyrénées. Fanatique des littératures de l'imaginaire, il a dans sa bibliothèque plus de 10 000 ouvrages de Science-Fiction, Fantastique, Heroic-Fantasy et Policier. Il a d'abord écrit une importante bibliographie d'un de ses auteurs favoris : H.P. Lovecraft, où il a recensé tout ce qu'il écrit, ainsi que les études qui ont été consacrées. Il collabore à des revues de Science-Fiction ou de Fantastique et il a fait découvrir au public français des oeuvres d'auteurs américains comme Nancy Kilpatrick, Tina L. Jens, P.D. Cacek ou Don D'Ammassa. Son premier roman fantastique Artahé (1998) a été bien reçu par la critique, ainsi que son second Irrintzina (1999).Il vient de publier en 2001 Le Chant de Montségur, en collaboration avec Sylvie Miller.

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