Peter Straub, Sans portes ni fenêtres
Olivier Orban, 1992. Pocket.
La tonalité de ce recueil
1, le livre fermé, est sombre, et d'une certaine
manière le reflet du titre. Straub nous présente un
monde clos, où les parents sont défaillants, les
enfants mauvais, souvent sans le vouloir, l'enfance meurtrie, voire
souillée par les adultes, désemparée, sans autre
issue que la mort. Le métier d'écrivain n'est qu'un
moyen de se libérer d'images de jeunesse intolérable.
Dès la première nouvelle, on pénètre
ainsi dans une famille sordide, les Beevers : le père ivrogne;
la mère passant son temps à regretter une jeunesse que
son imagination se représente comme dorée et brillante,
et dont il ne lui reste que ses robes et quelques meubles; cinq
garçons, qui ne pensent qu'à fuir de la maison quand
ils ont l'âge, et qui ne s'entendent pas entre eux. Bref, le
climat tout à fait propice pour que, d'une manière
singulière, un aîné tue son cadet.
Blue
Rose2,
nouvelle écrite avant 1985,
date de sa première publication, a une importance
particulière dans l'oeuvre de Straub parce qu'elle deviendra
le titre d'une trilogie portant ce nom, et que Blue Rose reviendra comme le leitmotiv musical qui courra au fil
de plusieurs milliers de pages. Ces mots sont utilisés par
Harry au cours d'une séance d'hypnose improvisée.
Harry, 10 ans, passe son temps à tourmenter son jeune
frère de 8 ans, Eddie, frêle et fragile, dont il prend
les jouets, le menace de mille maux. Il en fait un être
terrorisé par son ombre, dont la grande peur est la
rentrée scolaire qu'il va faire avec une nouvelle institutrice
que son frère lui a présenté comme tuant les
enfants qui ne lui plaisent pas. Il accepte avec joie de suivre les
leçons d'hypnose que son frère improvise avec un livre
sur le sujet, L'Hypnose facile,
trouvé par hasard et qui utilise précisément
comme signal hypnotique d'endormissement les mots, Blue Rose.
L'hypnose permet à Harry de résoudre des questions
qu'il se pose: comment s'assurer une emprise totale sur quelqu'un,
prendre le contrôle de son esprit pour lui imposer sa
volonté? Il éprouve en effet des tendances sadiques :
"Harry voyait s'ouvrir sous
ses yeux des perspectives passionnantes. Parce qu'enfin, imaginez
quelqu'un que son travail amène à voyager aux quatre
coins du pays, un représentant, par exemple: un jour ici, un
jour ailleurs, c'est bien connu. Dans ces conditions, un
représentant pouvait très bien commettre un meurtre
dans chacune des villes où il faisait étape. Il
suffisait de procéder avec ordre et méthode. Les corps
n'étant découverts que bien après son
départ, qui irait suspecter un honnête
représentant?"
(41)
Son frère tombant facilement dans le sommeil hypnotique, Harry
en profite pour satisfaire ses penchants : il enfonce ses ongles dans
sa chair, le gifle, le pique avec une épingle. Puis
s'enhardissant, il la lui enfonce dans le corps dans le bras,
manipule l'aiguille : "L'esprit agréablement vide de toute
pensée, seules des sensations se présentaient à
lui. Il n'aurait su dire d'où venait le bourdonnement qui
faisait tourner la tête; une pellicule brumeuse semblait
s'être déposée sur ses yeux. Il respirait avec
difficulté. La longue épingle embrochée dans le
bras du petit Eddie avait quelque chose de repoussant, certes, mais
aussi de merveilleusement attirant. De la chair, du sang, du
métal." (45)
De plus en plus entreprenant,
Harry enfonce la longue épingle dans le ventre de son
frère : "D'un geste
vif, Harry retira l'épingle et la leva au-dessus de sa
tête; gainée d'une gangue pourpre, la longue tige
métallique semblait elle aussi briller de mille feux. Harry
posa l'épingle sur sa langue, referma les lèvres sur le
métal chaud et ferma les yeux, l'esprit envahi par une
image." (51)
Finalement, son frère ayant
causé des dégâts dans le grenier, Harry lui
ordonne de se rouler par terre et d'avaler sa langue. Ce que fait le
petit, qui en meurt.
Harry ne dit rien . Diagnostic médical : crise
d'épilepsie. Voilà, à onze ans, Harry meurtrier,
en utilisant des moyens détournés.
Car comme Harry, qui lit beaucoup - et avec quelle efficacité
- est appelé l'intellectuel, son frère
aîné célibataire lui offre des études
supérieures s'il va plus tard en fac. Ce qui lui permettra,
devenu Lieutenant au Vietnam, de poursuivre ultérieurement ses
exploits... Toujours sans états d'âme.
Le
genévrier.
Ce gamin sans prénom de 7 ans,
aux parents indifférents, va clandestinement au cinéma
au lieu d'aller à la garderie (Orpheum Oriental) et rencontre
un pédophile qui le corrompt : cette expérience aux
conséquences inévitables est reprise dans plusieurs
oeuvres de Straub. Elle débouche sur deux conduites
très différentes l'une de l'autre par leurs
conséquences, mais semblables dans leur causalité.
Certains deviendront des serial-killers, d'autres, comme dans cette
nouvelle, des écrivains.
Habitué au cinéma qu'il
fréquente toute la journée, l'enfant connaît par
coeur le lieu qui est devenu son univers. Il raconte, en les
mélangeant, les films qu'il voit et sa vie personnelle. Devenu
prisonnier du cinéma comme un "lion de sa cage"
(91), il le devient aussi de son corrupteur qui change
plusieurs fois de prénom, pour tromper les pistes. Seul Jimmy,
l'équivalent phallique de John Thomas, le sexe de l'Amant de
Lady Chatterley, est repéré par un nom par l'inconnu,
qui se livre sur l'enfant aux manoeuvres sexuelles que permettent son
âge et l'endroit. Complètement déboussolé,
l'enfant perd ses repères, et dans sa tête
réalité et cinéma se mélangent. Il en
tombe malade, ne va plus au cinéma et ne rencontre plus
l'autre. Plus tard, adolescent, il a des crises de somnambulisme. Il
compensera par l'écriture : il a des notes excellentes
à l'école, va à l'université,
écrit un roman, voit son livre accepté. Mais il se sent
différent des autres, "divisé en deux et recollé" (107), comme dans
l'histoire qui donne son titre au roman, d'un monde particulier
d'enfants coupés en morceaux, enterrés sous buissons
genévriers, et qui pouvaient ressusciter. Lui aussi a
été, d'une certaine façon mort, et
enterré sous les genévriers pour revivre par
l'écriture qui l'a sauvé.
Le Petit Guide à l'usage des
touristes
est un exercice de style à la
Borges sur la réalité qui n'est pas ce qu'elle est,
puisque quelque chose que l'on l'attend se trouve derrière les
apparences. Ici, celle d'une localité qui n'est pas
nommée, mais qui apparaît dans d'autres romans de
Straub, notamment La Gorge :
Millhaven.
Dans cette ville du Middle West, avec
ses quartiers différents nettement marqués par leur
population d'origine, un serial-killer sévit, toujours
près du viaduc. Les habitants sont casaniers, plutôt
soumis et enclins à se replier sur eux-mêmes
plutôt qu'à s'ouvrir à l'extérieur. La
ville vit de rumeurs, avec une nette propension au sensationnel, et
même à l'affabulation. Chaque quartier a sa physionomie,
et chacun est persuadé que le tueur n'est pas de leur clan.
Dans les quartiers populaires, la violence s'exerce en famille, pas
à l'extérieur. Cette violence est en filigrane dans
toute la nouvelle : "Personne
ne sort faire ses courses sans son parabellum, et la
fréquentation religieuse est très supérieure
à la moyenne nationale." (115) Les enfants ont ritualisé leur
violence sous là forme de tatouages, d'incursions et de raids
«spontanés» sur le territoire des bandes rivales.
Mais au cours de ces affrontements, les protagonistes ne s'infligent
que des blessures superficielles; et l'on ne pense pas que le tueur
du viaduc puisse être l'un d'eux.
Et pourtant, dans cette ville
typiquement américaine, la violence, bien que ce ne soit
jamais dit, est un mode d'expression, une manière d'affirmer
son existence. "Renversées comme des-statues au pied des premiers
piliers, les victimes du tueur du viaduc, cet inconnu qui choque tous
nos concitoyens, qui glace les femmes d'épouvante contraint la
police à patrouiller le long du fleuve", sont toutes des femmes fauchées dans
la fleur de l'âge. Chaque matin, de plus en plus de monde vient
sur le viaduc. Qu'il pleuve ou qu'il vente, il y a toujours une foule
d'hommes (surtout des hommes), leur déjeuner dans un sac en
papier, sur le couloir pour piétons : "Presque sans en avoir conscience, sans se
concerter, chacun s'arrête,se penche par-dessus le parapet,
regarde en bas, balaie l'horizon des yeux, va s'établir trois
pas plus loin, puis, accoudé à la rambarde comme un
pêcheur, s'attarde quelques minutes avant d'aller
travailler." De la ville,
d'en bas, on peut les voir :
"la tête et les épaules des flâneurs
alignés sur le parapet, simples coups de pinceau tracés
dans l'air gris du matin. Il est clair, même vu d'aussi loin,
que tous semblent attendre quelque chose." (124)
Et pourtant, on trouve aussi des anges dans cette ville du Middle
West violente. Des enfants ont trouvé un jour un homme
ailé, blotti dans une grande caisse, un vieillard presque mort
de faim "qui parlait une
langue bizarre qu'aucun des enfants ne connaissait. En voyant ses
ailes sales et rognées, ses plumes aussi ternes et
dépenaillées que celles d'un vieux pigeon, ses pieds
gonflés et tout crottés, les enfants se sont
moqués de lui."
(115) Ils lui ont jeté des pierres et des boules de
neige. À Millhaven, qu'on ne s'y trompe, la place n'est pas
aux anges.
Le chasseur
de bisons.
Un être fragile, qui a un
père inexorablement réaliste et sans ouverture
d'esprit, ni vie imaginative, fuyant le contact, vit dans le virtuel
de son travail de bureau, comme dans sa vie : c'est le lecteur-type
qui se met littéralement dans la peau des personnages. Il
éprouver une sorte d'expérience mystique et de
régression infantile, perd son contrôle mental avec
perte de personnalité. Pour lui, il n'y a pas grande
différence entre ce qui est purement imaginaire et ce qui
ressort du réel. Réel ou inventé, un fait
était un toujours fait. Straub veut-il suggérer que la
littérature est ascèse et extase, sortie de soi dans un
autre monde, une attitude de sacrifice dans un monde quotidien
sordide, sorte de mort à l'existence devenue privée de
sens alors que seul l'imaginaire peut le faire vivre?
Bob Bunting, un névrotique
inquiet, est fatigué de ses parents, et cherche à les
voir le moins possible. Être médiocre, il
végète longtemps à New-York dans une chambre
avant de décrocher un emploi solide. Lui qui n'a pratiquement
pas connu les femmes, invente pour son entourage une vie de
rêve avec Veronica, tout en retournant au monde de la petite
enfance. Le déclenchement de ce changement s'est produit
à partir de la découverte de son biberon de
bébé, avec lequel maintenant il boit sa vodka tout en
lisant. Il s'offre des tétines pour son anniversaire et, peu
à peu, achète toujours davantage de biberons :
"Pourquoi ne pas destiner
chaque biberon à un usage bien spécifique?
N'auraient-ils pas fière allure, alignés sur le
comptoir de la cuisine, à côté de l'évier?
Un pour le café, un pour le thé, un pour la vodka
frappée, un autre pour le lait chaud, des biberons
spéciaux pour les boissons sans alcool et d'autres pour la
bière, un pour l'eau.minérale, enfin bref, tout un bar
de biberons Des biberons pour le matin, d'autres pour le soir, et
puis d'autres, encore pour plus tard." (145)
Il est obligé de feindre avec ses proches, qui voudraient
absolument la connaître, sa rupture avec Veronika. Acteur de
son propre drame, il doit s'imposer un nouveau rôle, pour
lequel il n'est pas préparé. Un collègue lui
impose un rendez-vous, qui rate, et le déboussole. Il quitte
son emploi. De plus en plus égaré dans ses lectures, il
se voit quelque temps héros de western chassant le bisons :
"Deux biberons étaient
passés, tétine en bas, dans les étuis
fixés à sa ceinture, et une carabine était
glissée dans le fourreau qui pendait à l'arçon
de sa selle." (161) Il
fuit la rue où, visages blêmes, hagards, les gens sont
des créatures d'une autre espèce, animale, instinctive,
trop brutale "des
créatures qui passaient sans le voir, bougeaient les
lèvres et montraient les dents." (169) Des ennemis. Il devient incapable de vivre
dans ce monde.
Sa vie se réduit à ses
lectures et à ses biberons. Il change de personnage toujours
avec la même intensité, au point d'éprouver des
visions. Ainsi quand il est détective, il imagine des
scènes, voit du sang dans la douche : "Du sang avait giclé partout sur les
carreaux, les murs comme le sol; de la peinture rouge semblait avoir
été vaporisée sur le rideau de la
douche. (...)
Pataugeant dans le sang, il
s'avança jusqu'à la douche et tira le rideau.
Personne. Pas de cadavre, mais une épaisse couche de sang
s'écoulait lentement par le trou de la bonde." (182)
Il finit par trouver le Christ et s'y identifier : "Ce monde terne et anémié
était tout ce qui restait du Royaume de Son Père quand
il avait précipitamment regagné Son tombeau et
roulé la pierre pour en sceller
l'entrée."
(207) Il mange de moins en moins, se fait une couche de
biberons collés, tétines en haut, lit et dort dessus,
en pensant que "la peur et la
souffrance étaient choses sacrées." (225). Il finit par
mourir dans son lit qui a mystérieusement explosé, tous
les biberons sur les murs et partout éclatés (228)
retrouvé aplati contre le mur, comme le raconte le concierge :
"C'était ça, le
plus étrange, l'expression de son visage. Personne ne saura
jamais sans doute ce qui s'est passé, mais il avait l'air
heureux, comme si, juste au moment de mourir, il avait vu quelque
chose de merveilleux."
(229)
Le chasseur de bisons est ainsi un symbole de l'Homme, qui doit vivre
dans une maison où toutes les ouvertures ont été
bouchées, et qui n'a d'échappatoire que la
littérature. Pas facile de vivre dans ce monde-là,
où, à long terme, il est pratiquement impossible de
distinguer ce qui est "authentique" de
"ce qui n'avait jamais
existé ou n'avait jamais eu lieu." (156)
Où
l'on voit la mort, et aussi des flammes.
Le taxi magique de Bobo comporte son
mystère. Dans son spectacle de music-hall, Bobo arrive sur
scène dans son taxi, ne fait pratiquement rien, s'en va, en
remportant un grand succès. Numéro sur lequel pour
lui-même, il n'y a rien à dire et qui n'est jamais
renouvelé. Pourquoi? Mystère. Rien dans les
mécanismes du taxi ne permet d'expliquer ce qui se passe.
La magie de son taxi est de pouvoir faire passer les spectateurs par
trois stades psychologiques successifs, qui sont, d'une certaine
manière, le résumé de la mythologie
chrétienne. D'abord une phase de "Ténèbres",
ténèbres sur scène, mais aussi dans les
âmes. Pendant cette partie, très courte, le spectateur a
l'impression de traverser une espèce de brouillard, dans
lequel tout devient indistinct, sauf le Taxi et son chauffeur. Il
baigne dans une atmosphère crépusculaire,
séparé des autres, plongé dans ses propres
pensées, se rappelant ses péchés, ses bassesses
et ses lâchetés. Certains pleurent. Invariablement, Bobo
éclate en sanglots, ses larmes coulent à flots sur son
maquillage blanc. Torturé de souffrance, son masque de clown
se change alors en un masque si lunaire que chacun se sent
brusquement délivré de ses propres hantises,
débarrassé du poids du remords,en un mot arraché
à son triste sort par une vague d'amour irrésistible.
Bobo le bienheureux a pris sur lui tous nos péchés, le
deuxième acte peut commencer.
A cause des sensations physiques
induites, on appelle cette partie la Chute. Des trois actes le plus
onirique, il est conçu pour faire assister le spectateur au
déroulement d'un drame qui s'imprimerait directement sur son
cerveau. Ce drame diffère selon les personnes, mais il semble
qu'y figure toujours le père ou la mère, tels qu'ils
étaient avant la naissance de chacun. Il y est question de la
mort; de la mort et des flammes. Auréolé de
lumière, chacun est soudain transporté ailleurs,
retourne au pays de ses
arrière-arrière-arrière-grands-parents, et se
sent enfin chez lui. Le spectateur a enfin atteint le pays qu'il
cherchait confusément, où l'on peut s'acheter une
nouvelle conduite pour refaire son existence.
Dans la dernière partie du spectacle, tout disparaît.
Chacun a d'abord l'impression de sombrer dans le sommeil, puis les
"Strates" apparaissent. Certains voient des bandes multicolores; pour
d'autres, ce sont des couches de terre, de cailloux, de grés
rouge. Un archéologue m'a confié un jour que dans cette
partie du spectacle, il voyait défiler des civilisations
entières. Pour sa part, il semble au narrateur qu'il retrouve
des scènes de sa propre vie, en train de jouer sous les
arbres, de faire des boules de neige, de réviser ses
leçons, d'acheter un livre : "Je crie de plaisir en me voyant, si petit, me-satisfaire
de plaisirs aussi dérisoires. Comme tout cela semble futile!
Puis la réalité quotidienne reprend ses droits; Bobo
agite la main avant de disparaître derrière le rideau,
et tout est fini." (240)
Cette courte nouvelle est un des tout
premiers récits de Straub. Qu'est au juste Bobo, sur lequel
des universitaires ont écrit des propos savants et
contradictoires? Sans doute un homme comme tout le monde. Avec son
taxi, il revit sa tragédie, qui est la tragédie humaine
: la perte du paradis de l'enfance pour tomber dans les flammes et la
mort, enfermé dans un monde sans issue. Comme le dit Straub
dans sa note en fin de recueil : "Profond mystère. Angoissant. Mais aussi
envoûtant."
(380)
Mme
Dieu.
Standish, un professeur, va faire un
séjour littéraire à Esswood,
propriété anglaise des Sénéchal, pour
préparer sa thèse sur Isabel, 1ère femme de son
grand-père. D'un caractère compliqué, il est
hanté par l'image de sa femme, qui l'a déjà
trompé, qui est enceinte, et qu'il a laissée aux USA
cependant sans regret. Vaste demeure, qui surprend d'emblée,
avec son décor palladien, son atmosphère gothique de
couloirs labyrinthiques, d'ombres évanescentes, de rires de
femme invisibles et lampes allumées derrière les
fenêtres. Comme Shorelands dans le Club d'Enfer, Esswood a servi jadis de lieu de rencontre à
des écrivains venus s'y ressourcer, et sa bibliothèque
est peuplée d'ombres célèbres. mais la
résidence a aussi son lot de fantômes et ses traces
d'enfants...
Standish découvre de
nombreuses similitudes de situations (et le lecteur d'autres) entre
ce qu'il vit personnellement (adultère, enfant), sa rencontre
avec un vagabond poète, trois tombes d'enfants, etc . Pour
ajouter à ce climat angoissant, de nombreuses anomalies
apparaissent, liées à Esswood. Dès le premier
jour, le propriétaire s'absente. Il semblerait, d'après
le pasteur du village, que plus personne ne réside à
Esswood depuis longtemps. Du personnel est engagé pour le
ménage, ce qui pourrait expliquer que tout est servi à
table, ainsi que les choses désirées, par un personnel
curieusement invisible. C'est toujours le même menu
préféré d'Isabel qui est servi aux repas avec un
cérémonial inchangé. On ne sert que d'excellents
vins des bonnes années, des grands crus, ce qui donne à
Straub l'occasion d'établir ses connaissances oenologiques des
vins français.
Au village, Standish a appris qu'un
Américain serait mort à Esswood l'an passé.
L'aubergiste du village a tué son épouse enceinte qui
le trompait. Isabel, morte en couches, qui avait trompé son
mari au château, est morte en accouchant. Standish, qui a
horreur de son enfant à naître, qu'il ne souhaite pas,
et dont il ne croit pas être le père, fait des
rêves différents, mais avec une constante : un
bébé dans chacun. Il boit énormément, a
des hallucinations, voit à divers endroits une femme à
la robe verte habillée comme du temps d'Isabel, une femme dans
sa chambre avec enfant sur les bras. Il se masturbe en principe dans
sa salle de bains, mais s'imagine près de la fontaine, avec
une femme, à côté du bassin. Il croit avoir
fantasmé, mais trouve des traces de pieds boueux dans sa
chambre et de la saleté sous ses pieds (341) Peu à
peu, comme Jack Torrance dans Shining, il
devient fou : "Standish quitta
la chambre aussi silencieusement qu'il y était entré,
laissant la porte ouverte, et tomba nez à nez avec, reflet
dans la fenêtre de la galerie, une créature à
demi humaine, les épaules voûtées, le corps
couvert de sang et une hache à la main. Un monstre contrefait,
constata-t-il avec une sorte de rire intérieur, qui
n'était autre que lui-même. Le vrai Standish, celui de
l'intérieur. Vingt-quatre heures plus tôt, il avait
brièvement aperçu ce Standish-là dans la glace
de la salle de bains, mais la bête ne connaissait- maintenant
plus aucun frein. Il avait l'impression d'avoir attendu cet instant
toute sa vie." (572)
Il tue, ressemblant davantage encore
avec l'utilisation de la hache comme arme au personnage
d'écrivain devenant fou de Shining :
"Standish avait l'impression
de se réveiller d'une longue transe; il était enfin
lui-même. Il avait suffi de quelques jours passés
à Esswood pour lui révéler sa nature profonde.
Il n'était qu'un monstre cherchant qui pourfendre; pour la
première fois peut-être depuis son enfance, il
s'acceptait tel qu'il était." (573) Plus surprenant : "Tous ces gestes lui semblaient les fantômes
d'autres gestes, semblables, mais effectués dans une autre
vie." (575)
Sans portes ni
fenêtres possède,
comme, 8 ans plus tard, son second recueil Magie de la terreur, (2000), un registre étendu, qui
témoigne de l'évolution de Straub du
fantastique au suspense et au thriller, puis à un
mélange des genres, où l'étrange a sa place
insidieuse. Ces textes brillants, déroutants, certains aux
relations autobiographiques soupçonnables, écrits avec
un souci du style affirmé, ne laisseront pas
indifférents, et sont une excellente introduction pour ceux
qui souhaiteraiant disposer d'un échantillonnage de la palette
de Straub avant d'en entreprendre une lecture plus
méthodique. S'il fallait tirer de l'ensemble de ce livre la
synthèse de son contenu, on le trouverait dans cette citations
du Chasseur de
Bisons. Le monde des livres n'est
pas pour lui "un décor
factice, mais le monde sous son vrai jour, un monde dans lequel il
était vivant, en pleine possession de ses moyens et tout aussi
réel que ce qui l'entourait." (190) Si, comme Bobo, nous vivons dans un monde
où toutes les issues ont été fermées, il
ne reste alors qu'une seule issue : la création
littéraire.
La
quatrième de couverture :
Avant, il se
contentait de casser les jouets de son petit frère...
Maintenant, il a compris que le petit frère lui-même
peut aussi être un jouet. Harry Beevers est un sale gamin, une
brute, mais le voisin l'a surnommé l'intello", l'ayant surpris
un jour plongé dans un livre. "La lecture mène à
tout, avait-il ajouté. - Ca ne peut pas lui faire de mal!"
avait renchéri sa mère. Mais le livre qu'Harry a
trouvé dans le grenier n'est pas n'importe quel livre. C'est
L'Hypnose facile, guide pratique. Et tout ce qu'il raconte
paraît tellement incroyable... Harry a vraiment hâte
d'essayer, d'autant qu'il a trouvé le sujet idéal : son
petit frère.
1 (Houses Without Doors), 1990. Comprend : Blue
Rose (id) - Le genévrier (The Juniper Tree) - Petit Guide à l'usage des
touristes (A short guide to
the city) - Le chasseur de
bisons (The buffalo
hunter) - Où l'on voit
la mort, et aussi des flammes.
(Something about a death, something about a fire) - Mme Dieu (Mrs. God). Entre
les nouvelles, un bref interlude.
Les notes sont de
l'édition Pocket, # 9106.
2 US : San Francisco, CA, Columbia, PA, Underwood-Miller,
septembre 1985.
en 1990
|
l'auteur : Peter
Straub
est né à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2
mars 1943. Il est l'aîné d'une fratrie de 3
garçons. Son père était
commerçant, sa mère infirmière. Le
père voulait qu'il devienne un athlète, la
mère un docteur ou un ministre Luthérien. Lui
voulait était lire et apprendre, et il leur fit
espérer un métier de professeur. Études
à l'université de Wisconsin, Colombia
University, et au University College de Dublin. A
résidé pendant trois ans en Irlande, à
Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre à
Londres (1972-1979), puis aux USA dans le Connecticut,
où sa femme Susan était née. Il habite
aujourd'hui New York (3 enfants). Il a écrit à
ce jour 14 romans, 2 recueils de nouvelles, des nouvelles et
de la poésie. Nombreuses récompenses
littéraires. En particulier, Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus
littéraire des romanciers de terreur attire à
la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels
du polar . Le nouveau Talisman 2, écrit en collaboration avec Stephen
King, Black House, est sorti en Octobre 2001.
infos
|
Peter
Straub
Roland Ernould © 2001
..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
..général
.