Peter Straub, Mr. X

réédition Fleuve Noir , 2003, 698 pages

 

Depuis la publication de Koko en 1988, Straub avait délaissé le genre fantastique pour se spécialiser dans les mystères macabres. Dans des petites villes, sur lesquelles, à la manière de King, il fournit de nombreux détails, Straub a mis en scène des crimes extraordinaires auxquels étaient mêlés des gens ordinaires qui se posaient des questions sur leur absence ou non de participation ou de responsabilité morale. Avec Mr. X, son quatorzième roman, Straub retrouve partiellement ses racines de l'horreur. Sur un surnaturel autre que celui de Julia ou de Ghost Story), il greffe habilement l'enquête policière à laquelle il nous avait depuis habitués.

Ned, trente-cinq ans, travaille dans une société de logiciels et retourne dans sa ville natale (Edgerton, en Illinois) où sa mère, Star, se meurt. Avant de mourir, sa mère lui révèle le nom de son père qu'il n'a jamais connu, et le prévient qu'il court un grave danger. Dans cette petite ville qui rappelle la Derry de Ça, avec ses égouts et son monstre, Ned côtoie aussi bien la bourgeoisie que les bas-fonds. Il se trouve l'objet de manipulations variées, au travers desquelles il doit retrouver sa vérité, qu'il peine à construire, chacun lui fournissant des éléments biaisés. La détermination de Ned d'en savoir le plus possible le conduit dans une quête incessante et dans un réseau de de traîtrises et de meurtres, qui lui font rencontrer de nombreuses fois la police, qui le trouve dans de multiples coups et partout où il se passe quelque chose. En proie à la haine d'un lieutenant, il s'en sort chaque fois grâce à un capitaine particulièrement intuitif. Ce policier subodore que Ned n'est certes pas aussi clair qu'il le prétend, qu'il se trouve sur un coup, sans qu'il puisse prévoir lequel, et sur lequel Ned possède des données qu'il n'a pas.

Effectivement, Ned n'est pas simple. Il a été différent des autres enfants. Pas seulement par le fait qu'il n'a pas de père, et qu'il le cherche avec obstination, maintenant qu'il a des informations à confirmer : le titre du roman vient en partie de la poursuite de son ascendance. Mais aussi, deuxième anomalie, parce que depuis qu'il est tout petit, il scrute "la chose absente", son double, qu'il ne peut pas encore nommer. Puis il le rencontre, frère de sang, né de la même mère lors du même accouchement, n'ayant pas de reflet, capable de passer les portes sans les ouvrir et de lancer d'autres défis aux lois de la nature. Ce frère finit par se faire connaître, s'associe à ses projets, tout en poursuivant ses desseins particuliers. Cette histoire sur le motif du double, de sa découverte à la difficile coexistence et à son acceptation, est une des plus riches et originales sur le motif que j'ai lues. Et enfin Ned consolide peu à peu un mystérieux pouvoir, celui de passer dans un autre temps, et de faire des voyages «ailleurs», y compris avec un passager comme dans Le Talisman...

Ned cherche aussi à résoudre le mystère des crises qui le torturent chaque année lors de son anniversaire, pendant lesquelles il «voit», depuis qu'il est petit garçon, des meurtres horribles commis par un personnage mystérieux qu'il rencontre ainsi régulièrement, un sadique qu'il décide d'appeler Mr. X. Une grande partie de l'histoire nous est racontée par Ned, et nous la vivons surtout de son point de vue. Mais une deuxième voix se fait aussi entendre dans le récit, celle de l'esprit perverti de Mr. X., un illuminé qui croit que les histoires racontées par Lovecraft sont véridiques. Dans sa folie, il s'imagine investi d'une mission sacrée par les Grands Anciens, confiée par le maître de Providence. Il a d'ailleurs commis un livre de nouvelles lovecraftiennes, De l'au-delà, qui va jouer son rôle dans le récit. Doué lui aussi de pouvoirs particuliers, capable de disparaître notamment d'un endroit pour réapparaître à un autre, il sait qu'un ennemi le menace, un fils; qu'il possède une ombre ou un double caché; que ses talents grandiront avec l'âge et qu'il doit être éliminé pour ne pas empêcher la venue des temps nouveaux. Jusqu'à présent, il ne peut entrer en contact avec lui que lors de ses anniversaires, mais jusqu'à présent sans succès. Le lien apparaît vite au lecteur entre cette possibilité du père démoniaque et les crises annuelles que subit Ned.

Dans sa quête d'identité, Ned va découvrir les personnalités singulières, extravagantes, un peu inquiétantes, des membres de sa famille, concentré de passions et de haines ancestrales. Tribu bizarre, à la fois soudée et querelleuse, douée de pouvoirs paranormaux variés, qui rappelle le roman de Clive Barker Galilée. Cette famille parasite, à la morale élastique, mène une vie d'arrangements, volontiers prédatrice grâce à certains de ses membres habilement kleptomanes (pour eux, une simple technique de redistribution des biens). Cette galerie de portraits aux traits vraiment particuliers amène une note d'humour importante dans un récit lourd, à l'atmosphère dense. Ned essaie d'apprendre son histoire des uns et des autres, mais ne recueille que des bribes de vérités noyées dans des flots de fadaises. Chacun a sa version des événements, rendant Ned perplexe. Il finit par apprendre que sa mère Star, chanteuse, n'a pas eu une vie très rangée et qu'à dix-huit ans elle a mis au monde deux enfants... Et qu'elle a eu dans sa jeunesse un gourou lovecraftien... D'autres personnages non familiaux intriguent par leur originalité et leur complexité, étalant les noires dimensions de l'esprit humain.

Cette variation moderne sur L'abomination de Dunwich de Lovecraft, est remarquablement construite, pleine de recoupements, de scènes reprises avec un sens nouveau, de divers éclairages sur la même situation, avec des significations différentes. Elle joue de l'espace et du temps avec habileté, surprenant sans cesse aussi bien le héros du récit que le lecteur. Le texte évocateur, mélange indissociable de terreur pure et de badinerie bouffonne, de peur, de gore et d'humour noir, marque le retour triomphal du paranormal et du surnaturel dans les romans de Straub. Ce roman, dont la devise pourrait être l'épitaphe qu'un personnage fait graver sur sa tombe : "Fiez-vous à l'inattendu", ne cesse de dérouter son lecteur jusqu'à la dernière phrase, ultime pirouette, qui jette un doute sur l'identité du narrateur et oblige le lecteur dépité à reconsidérer le récit...

édition américaine, 1999

1ère éd. Plon éd. 2000

éd. Pocket terreur, 2002

La quatrième de couverture (éd. Fleuve Noir) :

Le grand retour de Straub au fantastique avec un hommage à Lovecraft que seul un écrivain de sa stature pouvait se permettre sans tomber dans l'imitation. Des personnages d'une réelle épaisseur que leur dimension irrationnelle ne rend que plus convaincants. Un tour de force.

La quatrième de couverture (éd. Plon) :

À chaque date anniversaire, Ned Dunstan est victime d'une transe où surgit un tueur sadique, M. X. Saisi d'une prémonition, il retourne à Edgerton, dans l'Illinois, la ville de son enfance, pour revoir sa mère qui est mourante. Avant de s'éteindre, elle lui révèle le nom d'un père qu'il ne connaît pas et l'avertit qu'il court un grave danger. Dans sa quête de ce père énigmatique, il va vivre quantité d'aventures extraordinaires, qui vont l'éclairer sur sa propre identité et lui dévoiler les membres d'une famille étrange, voire inquiétante. Il va ainsi découvrir l'existence d'un trouble frère jumeau doté de pouvoirs surnaturels, et sera soupçonné de trois meurtres avant d'être confronté avec le maléfique Mr. X.

La quatrième de couverture (Pocket Terreur) :

"Un ouvrage qui ne cesse de surprendre et de dérouter le lecteur, car il se révèle toujours plus complexe, toujours plus étrange qu'on ne s'y attend...

C'est une histoire semée de crimes plus ou moins horribles, qui joue, au passage de quelques ressources d'intrigues policières d'âges différents...

C'est encore une variation étourdissante sur le thème fantastique du double. Le tout brassé avec le doigté virtuose d'un artiste pervers du puzzle... On aura compris qu'il s'agit d'un très grand livre. "Jacques Baudou, Le Monde

 

 

l'auteur : Peter Straub est né à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2 mars 1943. Il est l'aîné d'une fratrie de 3 garçons. Son père était commerçant, sa mère infirmière. Le père voulait qu'il devienne un athlète, la mère un docteur ou un ministre Luthérien. Lui voulait était lire et apprendre, et il leur fit espérer un métier de professeur. Études à l'université de Wisconsin, Colombia University, et au University College de Dublin. A résidé pendant trois ans en Irlande, à Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre à Londres (1972-1979), puis aux USA dans le Connecticut, où sa femme Susan était née. Il habite aujourd'hui New York (3 enfants). Il a écrit à ce jour 14 romans, 2 recueils de nouvelles, des nouvelles et de la poésie. Nombreuses récompenses littéraires. En particulier, Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus littéraire des romanciers de terreur attire à la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels du polar . Le nouveau Talisman 2, écrit en collaboration avec Stephen King, Black House, est sorti en Octobre 2001. infos

Peter Straub

 

 Roland Ernould © 2002/3

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

..général

mes dossiers sur les auteurs

. . . .

. . . .
.