LE
FANTASTIQUE CONTEMPORAIN
collectif sous la direction
de William Schnabel
Les Cahiers du Gerf-Iris, # 24, 2003,
430 pages.
L'Université Stendhal-Grenoble 3 se
caractérise par le vif intérêt qu'elle
prête aux diverses formes des littératures de
l'imaginaire, et son rayonnement est international. Elle
possède un Centre de recherche sur l'imaginaire (CRI),
dirigé par Philippe Walter
(note de lecture),
qui dirige la revue Iris publiée par le
Centre. Le CRI s'est associé au GERF (Groupe de recherche sur
le fantastique, dirigé par William Schnabel, de la même
université) pour la publication d'une importante revue commune
à raison d'un numéro par an. Le précédent
était consacré en 2002 à Religion et Imaginaire
(note de lecture),
le suivant sera en 2004 consacré au Fantastique
Français.
Ce numéro reproduit les interventions qui ont eu lieu lors de
la journée d'études du GERF de décembre 2001,
suivi par un important public intéressé par le
thème qui se proposait de mettre en perspective certains
aspects du genre fantastique et des genres apparentés comme la
science-fiction en littérature. Il en résulte une
grande variété d'articles (28 auteurs, trente
études) qui devrait permettre aux lecteurs d'y retrouver des
textes en relation avec leurs préoccupations. Le GERF a fait
un choix éditorial susceptible de toucher le grand public, pas
nécessairement universitaire, mais désireux de trouver
les bases théoriques que les publications plus populaires ne
donnent que rarement... ou jamais.
Dans son intéressante préface, William Schnabel explique que le Gerf
concentre de plus en plus ses recherches sur l'exploration des genres
voisins du fantastique, bonne manière de mieux comprendre
notre société. Les modes d'expression de la quasi
totalité de nos contemporains sont le cinéma, les
séries télévisées et la bande
dessinée, ou les modes de création picturale qui
sortent de plus en plus des expositions et des musée pour
occuper la rue. L'impact sociologique des grandes productions
cinématographiques ou de certaines séries
télévisées, les nombreux livres publiés
chaque année dans les collections spécialisées
du fantastique, de la féerie, ou de la science fiction est
considérable. La place du fantastique et de l'imaginaire se
fera de plus en plus sentir dans les établissements scolaires.
Le genre est en effet universel, riche en thèmes et symboles
qui sollicitent un approfondissement des investigations
réalisées dans les universités.
Il est certain que face à ce déferlement, le
développement de l'esprit critique qui permettrait d'en
limiter les effets nocifs est largement à la traîne. Des
centaines de millions de téléspectateurs consomment
chaque jour plusieurs heures de programmes, et la plupart croient en
ce qu'elle leur raconte. La télévision propose un grand
nombre de faits dramatisés, mais, liée à la
société de consommation qui la fait vivre, elle ne
fournit que très peu d'informations et ne fait pas grand chose
pour sortir du domaine affectif qui est pour elle le plus facile. Les
intérêts commerciaux s'en servent pour parvenir plus
facilement à leurs fins et accumuler des profits, comme les
hommes politiques l'utilisent pour gagner aux élections. On ne
s'étonnera donc pas de voir des études de ce
numéro, notamment celle d'Anne Besson, spécialiste des
paralittératures française et américaine, nous
faire état du succès des séries comme Buffy le
Vampire, Slayer ou Roswell et les extraterrestres. Les figures et
motifs du fantastique cherchent à concrétiser ou
incarner les peurs adolescentes. Les démons fonctionnent comme
des métaphores des difficultés qu'il faut vaincre,
aussi bien au lycée, qui est un enfer, et les autres des
étrangers, des aliens, que dans la vie de tous les jours :
"C'est ainsi que la série
télévisée fantastique devient le lieu où
le rêve ultime de la société occidentale
actuelle, ce mirage d'une adolescence éternisée,
toujours à nouveau accessible, est donné pur
réalisable."
Le fantastique et la science-fiction, qui ne sont
pas genres exclusivement anglo-saxons comme d'autres
littératures de l'imaginaire, se portent bien en France.
Schnabel fait un inventaire des magazines de l'imaginaire en France,
source d'informations, qui font beaucoup pour promouvoir ces genres,
et qui, ensemble, avec chacun leurs particularités, donnent
une idée fidèle de l'actualité fantastique en
France. Elles sont évidemment insuffisantes sur le plan
théorique, ces informations sont à compléter
avec d'autres sources, et le rôle des universitaires est
évidemment ce travail d'approfondissement.
William Schnabel montre ensuite (idées qui seront reprisent
dans l'article qui conclut ce recueil) que le fantastique a beaucoup
évolué depuis le siècle dernier, et que les
styles et les techniques d'écriture sont actuellement
très différents de ceux que l'on trouvait au
XIXe
siècle, une société disparue motivée par
d'autres préoccupations, d'autres valeurs et d'autres peurs.
Les motifs traditionnels du récit fantastique qui s'efforcent
de montrer l'existence du surnaturel avec le loup-garou, le vampire,
le fantôme, les monstres et autres motifs ont
évolué, comme les peurs. Un siècle
d'industrialisation, du développement des biotechnologies et
de la robotique a modifié les sensibilités :
"Les désastres climatiques, les
manipulations génétiques, le clonage, la domination de
l'homme par des machines et des intelligences artificielles, la
guerre des sexes, le dopage par les athlètes de haut niveau,
l'influence des sectes «sataniques» sur des personnes
impressionnables, les maladies sexuellement transmissibles, la
surveillance policière : voilà les peurs et les menaces
d'actualité qui nous donnent souvent l'embarras du
choix." De plus en plus, les histoires
fantastiques véhiculent ces motifs, avec des prévisions
de Cassandre nous rappelant que nous avons de bonnes raisons
d'être inquiets, "effaçant par
la même occasion une partie de notre distanciation
esthétique pour promouvoir une forme d'empathie, sinon pour
les personnages du moins pour leur courage d'affronter des situations
dangereuses." Le XXIe siècle sera le
«siècle biotech», comme l'appelle Jeremy
Rifkin. La
littérature fantastique évoque ainsi les menaces
inhérentes à notre temps, qu'ils opposent à la
valeur assignée à la vie humaine : "L'homme fait partie intégrante de la nature et toute
opposition est insensée puisqu'elle mènera à
notre perte, de la même façon qu'elle provoque tous les
jours la disparition de nombreuses espèces d'animaux et de
plantes et de forêts partout dans le monde. (...) Pourtant, l'esprit de
domination est un héritage de nos lointains ancêtres les
plus primitifs et les plus limités sur le plan intellectuel.
Notre devoir envers les générations futures est
d'écouter et de respecter la nature qui nous a
déjà donné de très sérieux
avertissements : réchauffement de la planète,
inondations, trous dans la couche d'ozone, icebergs géants qui
errent dans les eaux de l'Antarctique, eaux polluées, aliments
impropres à la consommation... La liste s'allonge et c'est le
triste bilan de notre «progrès» qui n'est souvent
qu'un prétexte à la cupidité." Les écrivains du fantastique imaginent cet avenir
avec des images de terreur sans équivoque. Pourtant, si on
refuse d'affronter ces problèmes actuels d'une manière
rationnelle et collective, ils deviendront insolubles pour notre
espèce : "Mais il y aura
peut-être pire encore. Nous pourrions devenir facilement, et
sans le savoir, des esclaves de nos biotechnologies. On peut imaginer
la suite..."
Roland Ernould © juin 2003
Pas de quatrième de couverture.
Table des matières :
Préface de William Schnabel
Anne Besson
(Université de Sorbonne Nouvelle-Paris 3), spécialiste
des paralittératures française et américaine
Les nouveaux immortels : le succès
des séries télévisées fantastiques
destinées au public adolescent
Daniela Soloviova-Horville (Université de Picardie-Jules Verne),
spécialiste de la culture slave
Anne Rice: le vampire entre modernisme et
tradition
Francis Berthelot (CNRS), lauréat de trois Grands Prix de
l'Imaginaire, a publié une dizaine de romans et plusieurs
nouvelles, articles et essais
Les fictions transgressives depuis
1990
Roger Bozzetto
(Université d'Aix-Marseille 1), professeur et critique
infatigable sur le fantastique et la science-fiction
Modernité de la hard
science-fiction
Jean Marigny
(Université Stendhal-Grenoble 3), fondateur du Gerf en 1984 et
vampirologue de renommée internationale
Les vampires au tournant du
XXIe
siècle
Simone Grossman
(Université Bar Ilan, Israël), professeur de
littérature française - spécialiste de Julien
Gracq - et québécoise. Elle va prochainement publier un
essai sur le visuel et la peinture dans le fantastique
québécois contemporain.
Le fantastique contemporain du
Québec
Stefano Lazzarin
(Université Jean Moulin, Saint-Étienne)
À l'attaque de la citadelle
Littérature. Les «jeunes cannibales» italiens des
années 90 et la découverte de 1'horreur
extrême
Mercedes Montoro-Araque (Université de Grenade, Espagne)
Le Fantastique contemporain. Léa
Silhol ou lorsque le fantastique se «tisse» dans le
mythe
Denis Bousch
(Université de Paris 12), spécialiste de la
littérature allemande
Les romans d'anticipation d'Andreas
Eschbach. Contes fantastiques et variations sur le temps et
l'histoire
Philippe Clermont (IUFM d'Alsace), auteur d'une thèse
intitulée Le Darwinisme dans la littérature de
science-fiction soutenue à l'Université de Nice
Aspects contemporains des
représentations et de l'écriture de science-fiction
(1995-2001)
Cécile Hayez-Melckenbeeck
(Université catholique de Louvain, Belgique), docteur en
philosophie et lettres (Francis Ponge) et chargée de
recherches au Fonds national de la recherche scientifique à
l'Université catholique de Louvain
H. Petits poèmes en prose de
Christophe Hanna
Regina E.G. Schymiczek (Ruhr-University Bochum, Allemagne), va soutenir sa
thèse sur les gargouilles
From Horrors to Heroes. Disney's Gargoyles
and their Medieval Ancestors
Christina Horvath (Université de Paris 3)
Le fantastique contemporain : un
fantastique au féminin
Cécile Migeon (Université de Paris 4 Sorbonne), prépare sa
thèse à la Sorbonne sur la ville dans la
littérature belge fantastique
Les nouvelles orientations du cinéma
fantastique anglo-saxon. Retour sur une «crise de la
représentation»
Gilbert Millet,
écrivain, auteur d'essais et de romans, rédacteur en
chef de la revue Hauteurs
La science-fiction contemporaine est-elle
minée par le fantastique
Robert Baudry
(Université du Katanga, Congo)
D'où vient le
fantastique?
Cécile Narjoux (Université de Paris 4), professeur en
littérature et stylistique de la Sorbonne
Marie Darrieussecq et
«l'entre-deux-mondes » ou le fantastique à
l'oeuvre
Isabelle Després (Université Stendhal-Grenoble 3), maître de
conférences en russe
La prose contemporaine russe et le
fantastique. L'exemple du Slynx de T. Tolstoï
William Schnabel
(Université Stendhal-Grenoble 3)
Idéologie et fantastique chez H.P.
Lovecraft
Laurent Bourdier
(Université de Limoges), auteur d'une thèse sur Stephen
King
Brian A. Hopkins, ou l'art d'insérer
la fiction dans la réalité
Fanfan Chen
(National Dong Hwa University, Taiwan)
Soul Moutain. An Aesthetic Pilgrimage into
the Fantastic
Frank Lafond
(Université Charles de Gaulle-Lille 3), spécialiste du
cinéma fantastique
Face au masque. Analyse de la physionomie
du tueur de Scream (1997)
Denis Labbé (Université de Valenciennes), écrivain,
chroniqueur et auteur d'un livre sur Claude Seignolle
De l'intertextualité dans la fantasy
française
Jérôme Elias (Université de Lille 3)
Les nouveaux vampires
Kaouther Ben Slama (Université Stendhal-Grenoble 3), doctorante
à l'Université Stendhal
Écart et fidélité
à la norme. Vision postmoderne du fantastique contemporain
dans l'oeuvre d'Anne Rice
Anne Baron-Carvais (Faculté de Droit, Université de Lille
3)
Les nouveaux super-héros : nouvel
ordre mondial?
Luc Joly,
peintre travaillant dans la région de Genève
Toi, le peintre, ton double et moi
cherchant la traduction graphique et picturale fantastiquement
réelle de la réalité
William Schnabel
(Université Stendhal-Grenoble 3)
American Grotesque. Tales by Joyce Carol
Oates
William Schnabel
-(Université Stendhal-Grenoble 3)
Le fantastique rattrape le
réel
Roland Ernould © 2003
|
Maître de Conférences à
l'Université Stendhal-Grenoble 3. Thèse sur
Les
Monstres familiers de H.P. Lovecraft : une analyse des
images tératologiques dans la vie et l'Ïuvre de H.P.
Lovecraft. Nombreux
textes dans des revues ou livres, avec sujets de
prédilection la gemellité, Lovecraft et
Seignolle. Directeur du Gerf (Groupe d'études et de
recherches sur le fantastique) et des Cahiers du Gerf.
Membre du CERLI (Centre de recherche sur la
littérature de l'imaginaire). et du CREL (Centre de
recherche sur l'Europe littéraire)
William.Schnabel@u-grenoble3.fr
|
Voir aussi : Gerf .... Religion et Imaginaire, Collectif, Cahiers du
Gerf-Iris, Centre de Recherches sur l'Imaginaire, Université
Grenoble 3, hiver 2001-2002.
..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général