Clive Barker, Sacrements

traduction de Jean Pêcheux, éd. Rivages, collection Fantasy, 489 pages, 2001.

Ce roman est plus proche du Jeu de la Damnation, l'un des premiers romans de Barker, que des plus récents, bien que se passant dans un univers tout aussi dérangeant. L'histoire se déplace d'un village de l'Angleterre rurale où Will passe son enfance, à Boston, puis à San Francisco où, devenu adulte, il prend de l'âge, homosexuel observant d'un oeil désabusé l'épidémie de sida chez ses amis, jusqu'à ce qu'il rencontre son destin. Barker utilise les thèmes qui lui sont familiers, l'origine de la vie, la fascination de la mort, le rôle de l'homme dans le monde, le bien et le mal, dans un climat où l'imagination et l'horreur se mêlent pour nous plonger au coeur du monde fantastique de son monde fantastique.

Will est devenu photographe animalier réputé grâce à ses photos qui dévoilent le destin inexorable des espèces en voie de disparition. Il aime le risque et le pousse jusqu'à ses limites dans le but de se faire peur. Le lecteur comprendra qu'il montre l'extinction des espèces en danger en se servant de son objectif comme d'une barrière psychologique pour se protéger de sa crainte de la mort. Jusqu'à ce qu'il soit agressé par une ourse polaire. Plongé dans le coma pendant de longs mois, équivalent des états seconds qui permettent d'accéder à d'autres réalités, il retrouve les souvenirs d'une expérience traumatisante vécue lors de son adolescence enfouis au plus profond de sa conscience. Il y est plongé dans son enfance en Angleterre à l'époque où sa rencontre avec un couple d'assassins dotés de pouvoirs surnaturels et traversant les siècles provoque la naissance de sa pulsion voyeuriste pour les espèces en voie de disparition. À partir de ce moment, le sexe et la mort vont flirter avec le surnaturel et le merveilleux.

Comme les grands fantastiqueurs, Barker est habile à faire glisser son lecteur de la vie normale à une ultra-réalité dérangeante, qui le fait passer de la perception ordinaire à un univers parallèle porteur de tous les rêves comme de toutes les angoisses. Il rencontre un couple nomade singulier, Jacob Steep et Rosa McGee, deux êtres pluricentenaires qui séduisent son jeune esprit par des comportements étranges liés à des puissances mythiques. Ce couple étrange, qui a éliminé plusieurs hommes du hameau où vit Will, est porteur d'un message de mort. Jacob, au savoir sinistre et Rosa, à la passion déréglée, sont tous les deux animés de désirs violents conduisant à la mort des hommes et des animaux qu'ils croisent dans leurs quêtes mystiques de la vérité sur leur origine et l'univers. Malfaisantes créatures s'aimant ou se haïssant tour à tour. Elles nous apparaissent selon les moments attachantes ou effrayante et va donner à Will un terrifiant enseignement : le pouvoir de tuer une espèce en danger et changer ainsi le monde à jamais. Will subit, bouleversé, son initiation aux forces d'extinction de l'univers, à la cruauté, et la passion de la mort.

Trente ans plus tard, devenu médium et chamane après être sorti de son coma, capable de se métamorphoser occasionnellement en renard, il cherchera à rencontrer à nouveau Jacob et Rosa afin de régler ses comptes avec son passé en se confrontant à nouveau aux anciennes entités surnaturelles maléfiques à l'origine des transformations de sa conscience. Will entreprend alors un voyage qui le mènera dans des rues gay de San Francisco jusqu'au îles occidentales de l'Ecosse où il percera le mystère final de la Domus Mundi. Avec deux de ses amis d'enfance, il affrontera les forces surnaturelles aux lisières de notre monde pour s'interroger sur la nature de ces créatures, résoudre une ancienne injustice et aider le couple maudit à accéder à sa véritable identité. Le couple avait été, il y a longtemps, fractionné en un homme et une femme, transformés en personnages complexes hors des normes du bien et du mal.

Le héros de Barker n'a pas que des problèmes fantastiques à résoudre et le roman s'oriente vers des pistes plus tortueuses, avec une interrogation sur le sexe, l'homosexualité et la mort. Will a mis son existence en danger en photographiant des espèces en péril, des exclus en somme, parce que chaque «gay» en est un, une espèce toujours en danger, flirtant avec la mort, symbolisée ici par l'épidémie du sida et l'égoïsme des hommes. Barker ne nous a pas habitués à parler aussi nettement des thèmes de notre société moderne (presque le tiers du roman) et l'homosexualité est chez lui ordinairement latente. Ici il nous fait vivre dans une communauté gay, son mal de vivre, sa peur de la mort, décrivant avec aisance une sombre réalité familière.Le personnage assume son choix sexuel et Barker en fait un homosexuel conséquent et heureux même s'il a été rejeté de sa famille. Le «gay», affirme presque Barker, peut sentir des choses dans d'autres hommes que les personnes "normales" ne peuvent pas voir, capable ici d'établir des liens surprenants entre les divers protagonistes d'un roman, entre les espèces menacées, les homosexuels victimes du sida et une créature hors-nature, le "Nilotique", doté de pouvoirs surnaturels. Dans une interview, Barker a fait la remarque suivante sur son activité artistique : "
Permettre à notre imagination d'aller au-delà de nous-mêmes et explorer ce nouveau monde. Lorsque l'on regarde la manifestation du mal dans notre culture, il y a bien entendu de simples manifestations telles que la violence et le meurtre, mais il y a également des manifestations beaucoup plus subtiles qui sont davantage dues à la façon dont notre culture répresse l'imagination de l'esprit et de l'âme."

Vécu en partie dans le monde de l'enfance, ce roman, subi dans l'horreur et la fascination, décrit en somme un rite de passage que peu d'auteurs oseraient écrire : le rapport entre la marginalité et le fantastique qui fusionnent dans ce roman de manière logique. Barker ne se fait plus seulement l'apôtre de la différence sexuelle, mais l'assimile à la situation de personnages marginaux rejetés de la société pour leurs différences, surnaturelles celles-là, en les rejetant aux marges de notre réalité. Comme toujours l'écriture de Barker est remarquable dans ce pavé, riche d'images et en descriptions. Malgré la présence continuelle de la mort, ce roman de Barker se caractérise aussi par l'espoir en la vie et l'existence.
On se demande avec curiosité si Hollywood relèvera le défi de s'attaquer à un tel roman et comment il pourra restituer un tel roman de la façon dont Barker peut le concevoir.

La quatrième de couverture :

Photographe de grand renom, Will Rabjohns fait frissonner le monde entier avec ses clichés en dévoilant la nature sauvage sous ses aspects les plus cruels. Son oeil impitoyable traque les derniers instants des animaux en voie de disparition.
Quand l'attaque brutale d'une ourse polaire d'Alaska le plonge dans un coma profond, il revit une aventure inquiétante, enfouie au coeur de ses souvenirs d'enfance : sa rencontre nocturne avec un couple étrange, porteur d'une mission de mort.
Will se trouve alors face à une vérité qui le dépasse et l'entraîne des bars gays de San Francisco aux collines du Yorkshire, puis au large des côtes de l'Écosse, à la recherche de sa propre identité et de la source de toute vie.
Le sexe, l'écologie, le sida, la fascination de la mort, l'origine de la vie : une foule de thèmes forts que Clive Barker entrecroise avec brio dans ce roman-fleuve, véritable qui plonge dans les profondeurs troubles où l'horreur pure côtoie le merveilleux.
"Un livre saisissant qui vous ensorcelle et ne vous lâche plus jusqu'à la page finale. Du grand Barker." Peter Millar, The Times
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Né à Liverpool en 1952, londonien pendant de longues années, vivant aujourd'hui à Los Angeles, Clive Barker est le plus américain des grands écrivains anglais. Artiste complet, homme de théâtre et illustrateur de grand talent, scénariste et réalisateur de films-cultes tels que la série des Hellraiser, Cabal et Lord of Illusions, Barker est désormais un auteur de référence. Tandis que ses magnifiques recueils de nouvelles Livres de Sang continuent de lui amener de nouveaux lecteurs, ses grands romans comme Everville, Imajica ou Galilée ont imposé son talent extraordinaire. Ce visionnaire à l'imagination sans limites développe pour l'instant plusieurs projets de films, tout en préparant de nouveaux recueils de nouvelles et trois romans. Bibliographie.

Mes autres notes de lecture :

Le jeu de la damnation - Galilée - Abarat

Stephen King/Clive Barker : les Maîtres de la terreur

Roland Ernould © 2002

 

Bibliographie

Romans :

Le jeu de la damnation (1985, Damnation game) Albin Michel, Spécial Fantastique , 1988

Le royaume des devins (1987, Weaveworld) Albin Michel, 1989

Cabale (1988, Cabal : The nightbreed) Albin Michel, Blême, 1990

Secret Show (1989, The great and secret show) Pocket, Terreur n° 9089, 1993

Imajica (Vol. 1) (1991, Imajica) Rivages, Fantasy, 1996
Imajica (Vol. 2) (1991, Imajica) Rivages, Fantasy, 1996

Secret Show (1991, The great and secret show) Albin Michel, Blême, 1991

Le voleur d'éternité (1992, The thief of always) Pocket Junior n° J029, 1994

Everville (1994, Everville) Albin Michel, 1997

Sacrements (1996, Sacrament) Rivages, Fantasy, 2001

Galilée, 1 (1998, Galilee) Rivages, Fantasy, 2000
Galilée, 2 (1998, Galilee) Rivages, Fantasy, 2000

Recueils de nouvelles :

Livre de sang (Livres de sang, 1) (1984, Book of blood) Albin Michel, Spécial Fantastique, 1987

Une course d'enfer (Livres de sang, 2) (1984, Books of blood II) Albin Michel, Spécial Fantastique, 1988

Confessions d'un linceul (Livres de sang, 3) (1984, Books of blood III) Albin Michel, Blême, 1990

Apocalypses (Livres de sang, 4) (1985, Books of blood IV) Albin Michel, Blême , 1991

Prison de chair (Livres de sang, 5) (1985, Books of blood V) Albin Michel, Blême , 1991

La mort, sa vie, son oeuvre (Livres de sang, 6) (1986, Books of blood V) Albin Michel, 1992
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 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

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