Delphine Lespinasse

D'UNE TÉNÈBRE À UNE AUTRE

 

Les âges de la vie, la fuite du temps et la mort

dans Pet Semetary et Bag of Bones de Stephen King.

 

Troisième partie.

LA MORT

FATALITÉ

La fatalité est une croyance au regard de laquelle tout événement est écrit, régi par une force unique et surnaturelle qui laisse l'homme impuissant. Il doit accepter que sa mort soit inscrite. Stephen King personnifie la fatalité : il en fait l'esprit du mal (le Wendigo) dans Simetière, et un fantôme qui a besoin d'assouvir sa vengeance dans sac d'os Ces deux monstres feront tout pour que leurs fins soient satisfaites. Les hommes seront considérés comme les marionnettes d'événements externes. Enfin, nous schématiserons la rencontre, le " crash ", entre les personnages et leur mort.

1. Les pressions externes.


Dans les deux ouvrages étudiés, les personnages pensent être maîtres de leurs décisions, mais en vérité, ils sont soumis à des influences surnaturelles extérieures. Lorsque Mike décide de partir à Sara Laughs après le décès de son épouse, il est certain qu'il est maître de son choix. En réalité, c'est le fantôme de cette chanteuse noire assassinée qui lui suggère de revenir.
Rachel agit également de façon impulsive lorsqu'elle décide de revenir chez elle afin de retrouver Louis, resté délibérément seul après la mort de Gage. Au volant de sa voiture, elle pense néanmoins que "
Quelque chose essaie de [l]'empêcher de rejoindre Louis. " (Simetière, 425). Elle est consciente d'une intervention externe, mais est incapable de nommer ce " [q]uelque chose ".
Le Wendigo avait tout planifié. C'est une bête vicieuse, et machiavélique : tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. L'endroit où les Creed ont emménagé a un pouvoir contre lequel personne n'est capable de lutter une fois la frontière dépassée. Louis n'a pas accepté que la nature soit supérieure à la science. Il a bafoué les lois en ramenant Church à la vie, et le prix à payer pour cette transgression sera d'offrir au cimetière Micmac des sacrifices animaux et humains : Gage paiera de sa vie et cela repoussera encore les limites de l'indicible. L'histoire de Mike est fort différente, mais l'idée qui fonde l'oeuvre est quasiment semblable. La force surnaturelle qui orchestre la destinée des personnages est Sara Laughs. Tous les enfants, et petits enfants de ses assassins, et des tueurs de son fils devront être marqués de son sceau. Mike tente de se remémorer toutes les choses étranges qu'il a vécues depuis le décès de Jo : "
J'essayais de dresser la liste de toutes les bizarreries qui avait précédé et à présent accompagnaient mon retour à Sara Laughs : les rêves à répétition, les tournesols, l'autocollant de la station de radio, les pleurs dans la nuit... Je suppose qu'on pouvait aussi considérer comme étrange la rencontre de Mattie et Kyra et le coup de fil de Mr Pixel Easel qui avait suivi, même si c'était une autre étrangeté que les sanglots d'un enfant qu'on entend dans l'obscurité. " (Sac d'os, 148). En littérature fantastique, les coïncidences sont, généralement, des indices qui permettent au lecteur d'être quasi-omniscient. En fait, ce que Mike qualifie d'étrange ne l'est pas dans l'acception todorovienne. " A la fin de l'histoire, le lecteur, sinon le personnage, prend [...] une décision, il opte pour l'une ou l'autre solution et par là même sort du fantastique. S'il décide que les lois de la réalité demeurent intactes et permettent d'expliquer les phénomènes décrits, nous disons que l'oeuvre relève d'un autre genre : l'étrange. Si, au contraire, il décide qu'on doit admettre de nouvelles lois de la nature, par lesquelles le phénomène peut-être expliqué, nous entrons dans le genre du merveilleux. " (Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, 41). La définition que donne Tzvétan Todorov du terme fantastique est très rigide car elle n'admettrait pas les ouvrages de Stephen King, qui s'achèvent en général par l'acceptation de nouvelles lois de la nature. Aux yeux de Mike, après ses nombreuses péripéties, l'existence de fantômes est indubitable.
Les protagonistes de
Simetière et de Sac d'os sont en proie à leur destin, " [c]ette menace perpétuelle et imprécise reflète bien la double nature du temps. Car l'homme vit dans l'incertitude, tout en se sachant promis à un devenir aussi illégitime qu'inévitable. " (Jacqueline de Romilly, Le temps dans la tragédie grecque, 1971, 45).La fatalité accroît l'impuissance de l'homme face à sa propre finitude. La nature et le monde animal semblent être plus réceptifs au danger, ils sont autant de préfigurations de l'imminence de la mort. Dans Sac d'os, l'assassinat de Mattie pouvait être ressenti bien avant que les hommes lui tirent dessus. Le tonnerre est un écho préfiguratif des coups de feu qui enlèveront la vie de cette jeune femme. Cependant, lorsque la fusillade commence," pas une seconde, [Mike] n'en [a] confondu le bruit avec le tonnerre. " (Sac d'os, 493.)

Quoi qu'il arrive, dans les deux oeuvres étudiées, l'homme est conduit à la mort par un destin monstrueux.

2. La dernière rencontre

Comme nous ne pouvons rendre compte de toutes les morts qui se produisent dans Simetière et Sac d'os, notre choix s'est porté sur celles où la mort faisait irruption dans le monde réel, et surtout où le destin jouait un rôle crucial.

"
Gage avait paru se rendre subitement compte que ce n'était plus du jeu, que vos parents ne hurlent pas comme ça lorsqu'il ne s'agit que de s'amuser, et il avait fait mine de vouloir freiner, mais déjà le bruit du camion était assourdissant, il remplissait l'univers entier d'un formidable grondement de tonnerre. Louis s'était lancé en avant dans un élan désespéré pour tenter un impossible plaquage au sol [...] il lui avait semblé que l'extrémité de ses doigts frôlait le dos du léger blouson de Gage, et là-dessus l'élan de Gage l'avait précipité sur la chaussée, il n'y avait plus que le tonnerre du camion, l'éblouissant reflet du soleil sur ses chromes, le barrissement perçant d'un gros avertisseur pneumatique, et tout cela s'était produit samedi [...] ". (Simetière, 269-270.)

Ce n'est que plus tard que Louis et Rachel prennent conscience qu'une force mystérieuse a poussé le chauffeur du camion à accélérer ainsi. Au moment de la mort de Gage, ils croient à un simple accident. Mais, nous pouvons faire remarquer à quel point l'irruption fantastique et la mort sont similaires lors de leur intrusion dans la banalité de la vie quotidienne.
L'accident cérébral de Jo est semblable à l'accident de Gage au regard des critères causatifs. L'omniscience de Sara Laughs lui confère un pouvoir inéluctable. Son fantôme sait que Jo est potentiellement sujette à une rupture d'anévrisme, Sara va donc faire se superposer tous les éléments nécessaires : chaleur, course, stress, etc., et attendra, bien évidemment, que Jo soit enceinte pour provoquer l'accident.

Stephen King utilise la même stratégie d'écriture dans
Simetière et Sac d'os. En effet, le lecteur sait que Gage et Jo sont morts avant que la cause de leur décès soit établie. Ce procédé accroît l'attention du lecteur qui veut comprendre comment des personnages jeunes (voire enfants) peuvent décéder si subitement. L'impuissance de l'entourage est ressentie de façon indubitable : culpabilité et regrets sont les maîtres mots qui règnent dans l'esprit de ceux qui les aimaient. Ici encore, les monstrueuses personnifications de la fatalité avaient conçu leur plan en fonction des sentiments propres à l'homme endeuillé. Ainsi, Louis, sachant qu'il possède le moyen de faire ressusciter son fils, satisfera le besoin de sacrifice du cimetière indien.


Les pressions, qu'elles soient internes ou externes, mènent les personnages à leur mort. La mort peut frapper à tout instant, et la vie peut être considérée comme un prêt que le temps est susceptible de reprendre tôt ou tard. Pourtant, sachant que tout être est destiné, par essence, à mourir, on peut se demander pourquoi la mort effraie tant ?

 

LA MORT

La mort est l'opposée de la vie ou plutôt sa conséquence inéluctable. Cependant, outre cette approche biologique, on peut l'appréhender comme commencement d'une autre existence (en religion), comme un plongeon dans l'inconnu (en philosophie), etc. La mort c'est la fin de toutes sensations, de tous sentiments, de toute pensée, c'est l'arrêt des horloges. Mais, avant d'être la série d'abstractions qui vient d'être mentionnée, c'est une réalité physique : un cadavre. Malgré tout ce qui a été dit, et tout ce qui est dit sur la mort, personne ne peut témoigner de la véridicité ou du caractère erroné de certains points de vue. Thanatos est un étranger, et le restera, son intrusion dans la vie est souvent considérée comme un pur scandale.

1. La mort, cette Inconnue

Thanatos est un compagnon fidèle. Toujours à nos côtés, il décide de nous faire embarquer pour rejoindre le royaume des morts quand il le désire. Il est imprévisible, comme en témoigne l'opinion spontanée d'Ellie à propos de la crise cardiaque de Norma, " [d]e toute façon, elle mourra, sûrement. Les gens qui ont des crises cardiaques finissent toujours par mourir. Même si ça ne les tue pas du premier coup ; ils ne tardent pas à faire une autre crise, puis une autre, et encore une autre jusqu'à ce que...crac ! " (Simetière, 128). Son point de vue sur la mort a beaucoup évolué depuis le début de l'histoire. En effet, après la visite du cimetière des animaux, elle avait pris conscience de la signification de la mort, et que ce " mal " pouvait frapper tout être vivant, même les animaux qu'une petite fille croit rendre immortels par un amour profond, mais également, exclusif et égoïste. Après une phase quasi-introspective, et après l'explication rationnelle de Louis, la prise de conscience d'Ellie se traduit par une crise de larmes purificatrices. " [C]e qui la faisait pleurer ainsi : c'était le caractère irréductible de la mort, qui ne se laisse fléchir par aucun argument, pas même par les larmes d'une fillette, et qui est cruellement imprévisible ; et c'était aussi cette prodigieuse et funeste faculté qu'ont tous les humains de tirer de purs symboles des conclusions pratiques qui sont quelquefois belles et nobles et d'autres fois d'une noirceur terrifiante. " (Simetière, 58.)

L'homme est thanatophobique est cela est bien légitime en ce sens qu'il a peur de l'inconnu. La mort est "
un rendez-vous inéluctablement et éternellement manqué puisque sa présence signifie notre absence. " (Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, 1975, 220). La soudaineté de la mort de Gage montre combien la fin de la vie est imprévisible, et les morts violentes sont encore plus insoutenables car elles surprennent l'homme, voire l'enfant, dans sa course de la vie. En effet, " le pas-encore, sans transition est devenu un déjà-plus [...] dans l'instant brévissime d'un clin d'oeil. " (Jankélévitch Vladimir, La mort, 1966, 239). Cependant, le passage de la vie à la mort est sans doute moins effrayant que ne l'est ce qui se trouve après : une néantisation des plus totales. La vie peut être comparée à une journée entre deux nuits : les ténèbres précédant la naissance et celles suivant la mort.

La mort est l'Autre, cet étranger que nous ne rencontrerons jamais, mais après, dans le royaume d'outre-tombe, n'y a-t-il que le néant ?

2. La mort en face

Le sentiment ressenti à l'annonce de la mort d'un proche est totalement subjectif. Pour la famille, les amis, la vie s'arrête, mais ce qui est difficile à supporter c'est qu'aux yeux des autres, cette mort-ci ne convoque pas la tristesse. Cela est dénoncé implicitement dans Sac d'os. On apprend la mort d'un célèbre écrivain, Thad Beaumont, qui n'est autre que le protagoniste de La part des ténèbres. Cependant, le lecteur, n'étant plus dans le contexte de ce livre, ne peut être touché de la même façon que si Thad s'était suicidé lors de La part des ténèbres. Le suicide peut être considéré comme une " bonne mort ", car l'homme est maître de choisir quand il souhaite mourir. Les suicides sont souvent accompagnés du symbolisme de l'eau. Max Devory s'est suicidé, allongé dans une baignoire, en s'étouffant avec un sac plastique. Il est vrai que l'eau chaude, augmentant le rythme cardiaque, permet à la mort d'être plus soudaine. Cependant, une autre raison peut être mentionnée. En effet, le retour au monde intra-utérin dédramatise la mort : " le complexe de retour à la mère vient inverser et surdéterminer la valorisation de la mort elle-même ". (Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, 1992, 269.)

Le péché est lié de façon plus ou moins directe à la mort. Depuis le jardin d'Eden, l'homme est mortel. Mais, paradoxalement, la mort donne à la vie une valeur irremplaçable. Dès le jour de la naissance chaque instant qui passe rapproche l'homme de sa finitude. Sa constitution, le rythme biologiques, la transformation et l'usure des organes, etc., font de l'être vivant un être destiné à mourir.

Pourtant, malgré la nécessité de la mort, elle est, aux yeux de la plupart des hommes, un scandale. "
Admettre le principe d'une nécessité de la mort est une chose, adhérer joyeusement à cette nécessité en est une autre. La mort qui vient briser tous les liens et anéantir tous les projets, n'est en fait acceptée nulle par dans sa réalité crue. " (Vladimir Jankélévitch, 1966, 83.)

3. La mort, ce scandale qui effraie

Comment l'être cher peut-il mourir ? Comment peut-il quitter celui qui reste, et le laisser avec ce goût amer de mutilation et de solitude ? Comment accepter que celui qu'on aime puisse être sujet à la putréfaction ?

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! Telle vous serez, ô la reine de grâce,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses
Moisir parmi les ossements

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

(Charles Baudelaire, Une Charogne in Les fleurs du mal.)


Le décès de la personne aimée entraîne une partie de celui qui reste. Thanatos est plus fort qu'Eros. Aimer quelqu'un correspondrait à lui dire qu'il ne mourra pas. Mais en réalité, cela ne peut être vrai que sur le plan métaphorique. On ne parle pas de l'éternité de l'être cher, mais du sentiment d'amour que l'on souhaite éternel. La mort de Jo tue la créativité littéraire de Mike, mais le grand malheur est que rien ni personne n'est irremplaçable. Mattie atténuera la douleur de Mike, qui retrouvera ainsi la muse qu'est l'amour. Il la perdra également, mais on peut penser qu'une autre femme compensera le vide laissé par ces amours défuntes. Cependant, cela semble inconcevable au premier abord, car, "
le principe selon lequel ce qui est demeure, et ce qui n'est pas ne peut commencer à être émane d'une exigence essentielle de notre esprit ". (Ferdinand Alquié, Le désir d'éternité, 1966, 63.)

La société dans laquelle nous vivons est très matérialiste, et l'importance accordée à l'apparence extérieure est indubitable. La mort est encore plus effroyable dans un tel contexte car elle
« nous impose l'évidence d'une décomposition du corps organique, transformé d'abord en cadavre inerte, puis en ossements, sels minéraux, éléments chimiques [...] la mort [...] est une abolition métaphysique, et une incompréhensible nihilisation. » (Vladimir Jankélévitch, 1966, 349.)
Le procédé de putréfaction est entamé lorsque Louis exhume Gage, « instantanément, la puanteur assaillit Louis [...] la mousse recouvrait le visage de Gage[...] Ses yeux étaient si aplatis sous leurs paupières closes qu'on aurait pu croire que leurs globes s'étaient enfoncés à l'intérieur de son crâne [...] » (Simetière, 395-396). Ce n'est que plus tard que le cadavre ne laisse plus qu'un tas d'os, qu'un Sac d'os.

Thanatos est un étranger avec lequel nous avons tous rendez-vous. Pourtant une fois qu'il sera là, nous n'y serons plus : nous ne serons plus. C'est cela qui accroît le sentiment scandaleux que laisse la mort. Cependant, l'homme ne peut lutter. Malgré les potentielles pistes de concrétisations offertes, pour l'instant, par la littérature futuriste, l'être humain n'a qu'une seule manière de ne pas, à sa mort, regretter ne n'avoir pas assez vécu : il doit profiter de la vie, de chaque instant comme s'il était le dernier. Ainsi, il évitera de penser : « Nous qui avons tant croupi, langui et somnolé dans le spleen, nous nous arrangerons pour être surpris par la mort, nous qui avons vécu dans l'impatience, bâclé une longue et belle durée, nous mendierons, déjà centenaires, une petite minute à Monsieur le bourreau. » (Vladimir Jankélévitch, 1966, 176.)
Le désir d'immortalité peut être compensé par la philosophie du « carpe diem ». Mais, cela ne peut s'appliquer aux esprits fantomatiques pour qui l'éternité est une punition des plus cruelles.

 

L'IMMORTALITE

 

Le scepticisme nous interdit de croire aux fantômes, pourtant, en littérature fantastique, ils sont récurrents. Nombreux sont ceux qui rêvent d'une vie éternelle, l'expérience de Faust ne peut dissuader tout le monde de la volonté d'être pour toujours. Nous pouvons, néanmoins, nous demander ce qui « vaut le mieux : une éphémère fleur fraîche dans un jardin, ou une éternelle leur séchée dans un herbier ? » (Vladimir Jankélévitch, 1966, 409). Nous tenterons de répondre à notre question grâce à cette approche de l'immortalité. Les fantômes peuvent être comparés à des dormeurs sans repos qui sont condamnés à l'errance pour diverses raisons. Après l'étude de leur apparence extérieure, nous verrons ce qu'ils véhiculent au-delà de la dénonciation du désir d'éternité.

1. Les raisons de leur existence


Certains morts ne peuvent reposer en paix tant leur trépas fut injuste et le besoin de revenir à des fins vengeresses persiste au-delà de la mort. Sara Laughs ne pouvait donc pas mourir sans laisser l'empreinte de son passage : elle jettera un sort à toute la descendance de ses assassins faisant ainsi perdurer l'injustice de son assassinat et de celui de son fils Kito. Pour d'autres, le sentiment d'inachèvement est la cause leur présence fantomatique. Johanna ne peut reposer en paix sachant Mike en danger.

La fluidité des mouvements est une caractéristique des fantômes. Ils sont décrits comme des somnambules, ressemblent à des serpents, etc.
Leur tenue vestimentaire est souvent décrite avec grande précision. Victor Pascow porte les habits qu'il avait au moment de sa mort. Il en est de même pour Johanna qui « était habillée de la blouse blanche et du pantalon bleu (sic.) qu'elle portait le jour de sa mort. » (Sac d'os, 560-561). Sara Laughs, quant à elle, porte les habits de Mattie, « c'était bien la robe d'été que Mattie avait portée pour notre pique-nique dans le parc ». (Sac d'os, 414). Nous aimerions ici montrer que la traduction ne rend pas le texte originel de façon fidèle. En effet, la « robe d'été », remplace « the white sliveless dress », et enlève, par conséquent la dimension préfigurative qui peut être perçue au travers de la précision de la couleur et de l'allitération en [s] qui témoigne d'une figure vengeresse et reptilienne. Outre ce fait, on peut rajouter que la couleur inspire celle d'un linceul. « Dress » et « death » se confondent et que cela soit dû à une coïncidence langagière ou volontaire de la part de Stephen King, un regard averti doit y être porté.

Le lecteur peut être omniscient, et croire en l'existence fantomatique avant même que le protagoniste en soit conscient. Une fois le lecteur et le héros convaincus de l'intrusion d'une dimension surnaturelle, un nouvel horizon herméneutique s'ouvre.

2. Ce que voilent les fantômes

Combien d'enfants refusent d'aller au lit ? Combien ne veulent pas que la lumière soit éteinte ? Le monde de la nuit rapproche l'homme de l'état de néantisation, et la lune donne une teinte particulièrement angoissante lorsque la propension imaginative de l'être humain est convoquée par d'autres sens que la vue. Au moment où Louis est réveillé par le fantôme de Victor Pascow, « la lune surgit de derrière un nuage, inondant la chambre d'une lumière blafarde, et il aperçut Pascow debout dans l'encadrement de la porte [...] » (Simetière, 95). L'illusion spectrale est renforcée par une lune mystérieuse qui accompagne les fantômes. Au-delà de la fiction et de l'irruption fantomatique, on peut voir ici une exploration des peurs primaires qui peuvent resurgir au moment où règne la pénombre.

D'un point de vue quasi-allégorique, nous pouvons comprendre que derrière les visions fantomatiques se dessine le désir d'immortalité de l'homme. « Il est peu d'hommes qui n'accepteraient de grand cĻur de rester éternellement octogénaires (malgré le médiocre attrait d'une pareille vieillesse) si telle était la condition de l'immortalité. » (Vladimir Jankélévitch, L'irréversible et la nostalgie, 1974, 124). Le mythe de Faust n'est pas très éloigné de l'esprit de Mike lorsqu'il pense : « je vendrais volontiers mon âme immortelle pour être capable d'écrire à nouveau. » (Sac d'os, 61.)

Enfin, les fantômes sont comme une matérialisation de la question existentielle : qui a-t-il au-delà ? Ô combien inconcevable est l'idée d'une totale néantisation. Les fantômes peuvent être un moyen d'accepter la mort comme début d'une nouvelle forme d'existence. Ils participeraient ainsi de l'euphémisation de la mort. Cependant, pour permettre d'aller au-delà de cette conception, Stephen King tend à prouver qu'il faut accepter l'issue fatale sans tenter de détourner les lois de la nature. La récompense de l'errance fantomatique est de pouvoir reposer en paix, tout à fait l'inverse de ce à quoi aspire la plupart des hommes de leur vivant. Lorsque Jo a rempli le rôle qu'elle pensait avoir à jouer sur terre, elle quitte Mike et se laisse aller à la volupté du monde d'outre-tombe. Même s'il lui demande de rester : « "Jo ! Attends, Jo !' », elle lui répond : "Peux pas t'aider... Peux pas rester...'
Des mots qui [lui] parvenaient d'une autre galaxie, à peine entrevus sur des lèvres qui s'estompaient. Elle était maintenant réduite à deux yeux flottants dans la lumière sourde, deux yeux qui paraissaient émaner du lac, derrière.
"Pressée..." » (Sac d'os, 567.)

Après avoir vu les raisons qui poussent un mort à revenir sous forme fantomatique, nous avons souhaité montrer que sous couvert de faire peur au lecteur, les histoires de fantômes tendent à euphémiser la néantisation. Derrière elles se cachent aussi la volonté de dépeindre la réalité de façon surnaturelle. La foi et la crédulité ont été remplacées par une culture de non-croyance. Quel dommage ! Nous nous interdisons de croire aux fantômes, nous privant ainsi du droit de rêver, d'imaginer. Après la mort il n'y a que l'horizon du néant. Cette conception est si intolérable pour l'esprit humain que, pour éviter de sombrer dans la folie, nombre de personnes sont enclines à devenir violentes, ou à trouver refuge grâce aux vendeurs de rêves, qui sont, malheureusement, souvent des vendeurs de mensonges. Et si non seulement les fantômes existaient, mais également les morts pouvaient ressusciter ?

LA RESURRECTION

 

« La mort est un mystère, et la sépulture un secret. » (Simetière, 10). Au tabou de la mort peut être ajouté celui de la résurrection, dont les caractéristiques surnaturelles sont incontestables. Derrière la maison des Creed se trouve un chemin, il mène au cimetière des animaux et au-delà s'étendent des terres mystérieuses où les morts reviennent à la vie. Que se passe-t-il quand la science dépasse l'homme ? Pour explorer ce problème, nous dévoilerons la résurrection, avant de parler plus spécifiquement de l'initiation qui la précède.


1. Le retour de ceux qu'on pensait morts

La résurrection laisse des marques ineffaçables. Autant de stigmates témoins de ce qu'ont eu à affronter les morts. La résurrection de Gage est chargée de conséquences. Comment pouvait-on imaginer que les pouvoirs du cimetière des animaux étaient assez puissants pour transformer Gage en véritable monstre ? Malgré les mises en garde de Victor Pascow, et de Jud, Louis n'a pu résister à l'appel du cimetière Micmac. La description de Gage ressuscité relève du « gore » : « Gage Creed venait d'entrer dans la cuisine. Il portait le petit costume dans lequel on l'avait enterré. Une mousse d'un vert noirâtre avait poussé sur les épaules et les revers du veston, souillant sa chemise blanche. Une croûte de terre sèche recouvrait ses fins cheveux blonds. Il avait un oeil mort, dont le regard se perdait dans l'espace avec un air affreusement attentif ; l'autre était rivé sur Jud. » (Simetière, 442). Mais ce qu'il dit dépasse l'horreur provoquée par son physique, un exemple suffira à montrer la véridicité de cette affirmation. Gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un enfant de 2 ans et demi qui s'adresse à un vieil homme : « Norma est morte, dit Gage. Personne ne te pleurera plus. Ah, celle-là, quelle roulure c'était. Elle s'est fait troncher par tous tes copains, Jud [...] Maintenant, c'est moi qui vais te baiser, vieille loque ! gloussa la créature en lui soufflant son haleine méphitique dans la figure. » (Simetière, 442-443.)

L'animalité des hommes resurgit lors de leur retour d'outre-tombe. En fait, on peut penser que l'esprit malin du cimetière Micmac utilise la partie sombre de l'homme afin de la mettre à jour. De plus, il leur donne le pouvoir de lire dans l'esprit de ceux qu'ils vont tuer, afin d'assouvir le besoin de sacrifice humains dont se nourrit le cimetière indien pour puiser son pouvoir.

2. La résurrection


Tout d'abord, il nous semble nécessaire de dire que ceux qui ressuscitent du cimetière Micmac ne reviennent que temporairement à la vie. En effet, ils peuvent trouver la mort à nouveau, et ne sont en rien éternels.

La situation de Gage peut être mise en parallèle avec la résurrection de Lazare qui est d'ailleurs explicitement citée dans Simetière.

LAZARE

GAGE

La soeur de Lazare à Jésus :

« Seigneur, lui dit-elle, si tu eusses été ici,

mon frère ne serait pas mort. »

(Simetière, 263.)

Si Louis avait été plus rapide,

Gage n'aurait pas trouvé la mort.

La soeur de Lazare à Jésus :

« Mais maintenant, je sais que

tout ce que tu demanderas à Dieu,

il te l'accordera. » (Simetière, 263.

La soeur de Gage à Louis :

« Je vais prier de toutes mes forces, [...]

Comme ça, il fera revenir Gage [...]

«Dieu peut revenir sur ce qu'Il a fait.

Il peut faire tout ce qu'Il veut. »

(Simetière, 290.)

« Jésus lui répondit :

«Ton frère ressuscitera »

(Simetière, 263.

« L'idée se cristallisa dans l'esprit de Louis avec une

telle facilité qu'il en conclut qu'elle devait être

tapie quelque part au fond de son crâne, à l'affût du

moment propice, depuis déjà un bon moment :

Quand est-ce que tu vas le faire ? Quand est-ce que

tu vas aller enterrer Gage dans l'annexe du

Simetière des animaux ?

Et la seconde d'après, il songea :

Lazare, sors ! » (Simetière, 293.)

 
Louis a transgressé les lois de la nature, et s'est substitué à Dieu. Sa profession joue un rôle important à maints égards. Les créatures du Dr.Creed n'ont guère à envier à celle de Dr. Frankenstein. On peut d'ailleurs relever un clin d'oeil à l'ouvrage de Mary Shelley lorsque Louis attribue à Church le surnom de « Frankencat ». Louis devient le maître de ce chat qu'il a ressuscité des morts, alors que Church appartenait à Ellie.

Louis a choisi sa damnation. Dans un sens, il était libre de refuser au moment où, parti avec Jud enterrer Church, il aurait pu ne pas franchir la barrière, et éviter ainsi d'être l'esclave du cimetière Micmac, qui tuera les personnes que Louis aiment le plus. Personne ne peut rendre réversible l'irréversible, et Louis à donner aux morts la possibilité d'« enjambe[r] à rebours le seuil de la mort, c'est-à-dire l'irréversible par excellence. » (Vladimir Jankélévich, 1974, 90.)
En fait, il existerait un miracle supérieur à celui de ramener les morts d'outre-tombe : celui qui serait capable d'effacer le fait que le mort ait appartenu au royaume de l'au-delà.
Elle sera à jamais inscrite, « la marque ineffaçable de cet avoir-été [...] Maudite soit la science de Lazare ! Et parmi tous ceux qui approchent le terrible ressuscité, aucun ne s'en retournera comme il était venu : là où il passe, le vide et le non-être font taire les chants et les rires ; [...] le temps se désagrège ; les cierges s'éteignent et les ténèbres envahissent l'univers. » (Vladimir Jankélévich, 1974, 92-93). La connaissance de ce qui se trouve après la mort les rends différents : eux savent. Timmy Batterman, « avait exactement cette allure-là [...] Celle d'un zombie de cinéma. Mais il n'était pas un zombie. Il avait quelque chose en plus. Il y a vait quelque chose dans son regard. [...] Mais, quelque chose passait dans ses yeux, Louis. Je n'irai pas jusqu'à appeler ça de la pensée. Je ne sais pas quel nom donner à ce... cette chose, mais en tout cas elle était bien là. » (Simetière, 309).
Ce qui se passe derrière ses yeux, c'est la connaissance de la mort. Timmy a vu Thanatos, il est revenu d'outre-tombe, témoin muet, de l'innommable, du non-visualisable.

Des rituels doivent être respectés afin de permettre aux morts de revenir à la vie.

3. L'initiation

L'initiation peut permettre au protagoniste de changer pour le meilleur et pour le pire. Mike se baigne dans l'eau fraîche du lac, et vit une résurrection métaphorique en ce sens qu'il se sent transformé et capable d'être confronté aux problèmes environnants.
Louis, quant à lui, change énormément au fur et à mesure de l'histoire. C'était un mari aimant, un père affectueux, un médecin responsable. Mais, il est envoûté par les pouvoirs du cimetière Micmac qui lui donnent l'occasion de dépasser les expériences d'un simple docteur, et d'outrepasser les lois de la nature. Le guide est très important, il est même crucial, pour que le disciple soit, à son tour, accepté par le cimetière Micmac. Avant de devenir le guide de Louis, Jud en a eu un pour lui montrer l'existence du cimetière Micmac. Lors du rituel d'initiation, les guides sont envoûtés, possédés par l'esprit du Wendigo. Nous pouvons donc penser qu'une fois accepté par le cimetière (après lui avoir offert un mort, cadavre animal ou humain), Louis deviendra, à son tour, guide.

La partie animale de l'homme semble encline à se révéler après que le procédé de résurrection a eu lieu. Il ne peut s'effectuer que si certains rituels sont respectés car le profane transgresse les interdits régis par le sacré. Ainsi, les protagonistes vendent leur âme au diable de façon plus ou moins consciente. Louis Creed, Docteur responsable qu'il était, passera par un état de quasi-possession avant de transgresser les lois suprêmes. Si l'homme avait le pouvoir de créer la vie, de ramener les morts, l'humanité courrait un grand danger. Néanmoins, il est aisé de juger Louis sur des critères éthiques. Mais posez-vous la question : que feriez-vous si la personne que vous aimez le plus venait à décéder, que vous auriez pu la sauver, et que vous avez les moyens de la ramener à la vie ?

SYMBOLISME

Le symbolisme peut convoquer une autre dimension de lecture. Néanmoins, il faut prendre garde à ne pas projeter nos propres fantasmes sur le texte et à ne pas extrapoler de façon infidèle. Nous verrons que le symbolisme peut être utile afin de voir qui sera tué, puis nous tenterons, pour finir, de classer, contextuellement, les différents symboles de mort.

1. Thanatos et ses proies


La numérologie peut jouer un rôle préfiguratif incontestable. La récurrence du sept et du neuf, aussi bien dans Simetière que dans Sac d'os, laisse entrevoir le passage du connu à l'inconnu, de la vie à la mort, et également un cycle infernal qui n'est pas très éloigné du mythe de l'éternel retour. Il est évident que la citation suivante est à remettre dans le contexte des ouvrages étudiés lorsque le sept contient une connotation négative. « Sept indique le sens d'un changement après le cycle accompli [...] Sept comporte [...] une anxiété par le fait qu'il indique le passage du connu à l'inconnu : un cycle s'est accompli, quel sera le suivant ? » (Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Le dictionnaire des symboles, 1996, 860-861).
Le symbolisme du neuf est également à rattacher à son contexte, mais en ce qui concerne Simetière, il est le témoin de la métamorphose de Louis, et de son passage du ciel à l'enfer. « Neuf jours et neuf nuits sont la mesure du temps qui sépare le ciel de la terre et celle-ci de l'enfer. »
Dans le film de Mary Lambert, Simetière, le camion qui tue Gage est un monstre apocalyptique métaphorique, comme en témoigne l'inscription que peut lire le spectateur sur la portière du conducteur : 666. Le chiffre de la bête de l'Apocalypse laisse entrevoir la chute infernale dans laquelle s'est engagé Louis.

Lorsque tout va encore pour le mieux, et que Louis s'amuse avec Gage à faire voler un cerf-volant, Stephen King joue sur l'interprétation du lecteur. En effet, l'animal dessiné sur le cerf-volant symbolise l'imminence de la mort qui risque de frapper Louis ou Gage, car c'est un vautour qui vole au dessus de leurs têtes : « au-dessus d'eux le Vautour s'élançait vers l'azur, toujours plus haut,[...] Les gros yeux ronds injectés de sang du Vautour voyaient tout [...] » (Simetière, 257).
Cet oiseau est un « mangeur d'entrailles [...] symbole de mort » (Chevalier et Gheerbrant, 994.), et nous en aurons la preuve grâce au parallélisme effectué lorsque Louis rate son fils qui court vers la route où il trouvera la mort. « Louis s'était lancé en avant dans un élan désespéré pour tenter un impossible plaquage au sol, il avait vu son ombre qui courait à toute allure sous lui, [...] comme celle du Vautour avait couru le long de l'herbe enrubannée de neige [...] » (Simetière, 270.)

Thanatos veille, et attend sa proie. Le symbolisme utilisé par Stephen King permet au lecteur d'atteindre une strate du texte qui l'aide à visionner le développement de l'ouvrage.

2. Le symbolisme récurrent


Le cadavre en putréfaction est une idée si inacceptable que d'autres symboles sont privilégiés pour convoquer l'imaginaire de la mort. Les os représentent la néantisation partielle qui précède l'issue ultime de la décomposition organique s'achevant à la poussière. Le titre Sac d'os, met explicitement l'accent sur l'importance véhiculée par ce symbole. A la fin de l'ouvrage, Mike découvre les restes de Sara Laughs, et de son fils Kito, dans un sac enterré non loin de l'endroit où a été perpétué leur assassinat. De leurs os émanent encore le désir d'assouvissement de vengeance et le pouvoir fantomatique dont est pourvu la chanteuse noire.

Les monstres sont souvent les matérialisations de la mort. Il la rendent, paradoxalement, plus humaine parce que plus concrète. On sait qui est le coupable : le Wendigo, le fantôme, etc., et cela a un effet cathartique pour le lecteur. Le serpent qui se mort la queue apparaît de façon implicite dans Simetière et Sac d'os, respectivement dans la forme circulaire du cimetière des animaux, et grâce au lac. L'Ouroboros « est la dialectique de la vie et de la mort, la mort qui sort de la vie et la vie qui sort de la mort [...] Comme une inversion sans fin de la matière de mort dans la matière de vie ». (Gilbert Durand, 1992, 364.)
La vie et la mort sont intrinsèquement liées.
Dans Simetière, deux monstres symbolisent la mort. Il s'agit de Oz, et du Wendigo. Zelda, la soeur de Rachel, est hantée par « Oz, le gwand, le tewwible Oz » (Simetière, 239). Cette petite fille avait une maladie incurable qui déformait son corps de façon horrible, et qui laissait les docteurs impuissants. Oz représente donc la mort qui vient la prendre, mais c'est une personnification subjective car Zelda est la seule à le voir. Contrairement au Wendigo qui est vu par différentes personnes. Il est possible que sa polymorphie témoigne de cela : il serait une matérialisation des angoisses, et des peurs de chacun, et se construirait par leurs bribes d'effroi. Cette sorte de Cerbère garde les portes d'un lieu interdit, c'est la raison pour laquelle son aspect doit être dissuasif (c'est un euphémisme !). « Ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites étaient incurvés comme ceux des figures de la peinture chinoise classique, et leurs prunelles d'un gris profond, diaprées de riches reflets jaunes jetaient des lueurs d'abjecte concupiscence. Un affreux rictus lui étirait la bouche et sa lèvre inférieure retroussée découvrait une rangée de chicots d'un brun noirâtre. Les oreilles impressionnèrent Louis par-dessus tout, car ce n'était pas des oreilles, mais des cornes recourbées - non des cornes de bouc, comme celles du diables, mais plutôt des cornes de bélier. » (Simetière, 418-419.)

L'étude du symbolisme est toujours très enrichissante pour mieux comprendre les trames du texte. Notre voyage au-delà du sépulcre nous a permis d'approfondir cette lecture. L'angoisse des auteurs peut ainsi être mise à jour, mais le lecteur ne doit pas pour autant tenter de se transformer en psychanalyste. Le grand vainqueur est, de toute façon, Thanatos.

 

UNE APOCAPYPSE EN GUISE DE CONCLUSION :

 

Paradoxalement, nous avons mené cette étude à son terme grâce au temps que nous avons considéré comme un ennemi dans la plupart des cas.

Dans les ouvrages étudiés, l'enfance est apparue comme synonyme d'innocence, l'âge adulte peut être comparé à un pont reliant l'enfance à la vieillesse. Dans ce dernier âge de la vie, qu'ils soient bienveillants ou malintentionnés, les vieillards inspirent des pensées morbides.

Nous avons vu que le passage du temps pouvait augmenter l'impression de finitude de l'homme par rapport à la nature qui se régénère. Au regard de ce sentiment, l'être humain peut être enclin à lutter ou à être soumis au temps qui passe irrémédiablement. Les symboles sous lesquels transparaissent les visages du temps sont autant de témoins de l'appréhension qu'a l'homme de vieillir, et de mourir. La rencontre fatale entre le destin de l'homme et Thanatos, ne permet pas de connaître le Dieu de la mort car, une fois présent, il causera notre absence.
« L'oeuvre de King aurait moins de succès si elle n'était pas le révélateur ou la catalyseur des angoisses d'une société qui a voulu évacuer la crainte de la maladie et de la mort, mais ne les a pas tuées pour autant ainsi que celle du cancer, du SIDA, de la vieillesse, de la décrépitude. » (Christophe Kauffman, « De l'angoisse à la peur » in Les dossiers de Phénix, 1995, 142.)
Nous terminerons cette étude par un point de vue pessimiste, qui nous semble être fidèle aux ouvrages étudiés. Dans une société capable de conquérir l'espace, capable de faire des miracles en terme de médecine (pour le meilleur, mais aussi pour le pire), nous pouvons nous demander comment il est possible de rentrer dans le troisième millénaire sous l'ombre de guerres, et autres fléaux humains ? Le retour aux produits naturels, ne devrait-il pas être interprété comme un appel à l'aide de nombreuses personnes effrayées de ce que le futur leur réserve ? Un monde de clones, où les massacres seront le lot de tous les jours, créé par la plus intelligente des espèce, pour la plus cruelle : l'espèce humaine. Aussi malheureux que cela puisse paraître, la fuite du temps et la mort sont les meilleures sources d'inspiration de l'horreur.


Delphine Lespinasse est étudiante à Grenoble III. Elle a passé ce mémoire de maîtrise de maîtrise LLCE anglais (originellement écrit en anglais, et traduit  par la suite) sous la direction de Jean Marigny soutenu le 10 juin 1999 sous le titre : From Womb to Tomb" in Stephen King's Pet Sematary and Bag of Bones ( "We fall from womb to tomb, from one darkness and into another, remembering nothing of the one, and knowing nothing of the other." Trad. de Jean-Daniel Brèque : "D'une matrice à une autre, d'une ténèbre à une autre, ayant presque tout oublié de l'une et ignorant tout de l'autre.", Pages Noires, 216).

Elle travaille actuellement sur un DEA sous la direction d 'André Siganos ( Grenoble III. Stendhal) : Vers une thanatologie fantastique. Le cas de trois auteurs contemporains : Serge Brussolo, Valerio Evangelisti et Stephen King.

d.grepilloux@nomade.fr

 

autres textes de cet auteur :

D'UNE TÉNÈBRE À L'AUTRE :

1- LES AGES DE LA VIE dans Simetiere et Sac d'os.

2- LE PASSAGE DU TEMPS

3- LA MORT

 

DU FANTASTIQUE À LA «LITTÉRATURE DE L'INDICIBLE»

1 - Rapport entre le degré de littérarité et «l'effet-fantastique»

2 - Une «archaïcité moderne»

 3 -  Voyeurisme morbide ou réflexion cathartique ? saison automne 2002

4- L'engramme de l'orifice. saison hiver 2002

 

Considérations sur le mythe. saison printemps 2003

 .. du site Imaginaire

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