Les petites soeurs d'Elurie.
)LES VAMPIRES À LA ROSE.
"La rose rouge
sur son sein ressortait comme un blasphème." (39
Une première dans la
manière de piloter le projet kingien d'écrire la saga
de La Tour
Sombre que cette nouvelle,
Les Petites Soeurs
d'Elurie1. Ou plus exactement, première depuis que King
formulé clairement son intention de rédiger un cycle
d'une longueur indéterminée. Car chacun sait que le
premier volume a été composé en rassemblant cinq
courtes nouvelles, écrites à une époque
où King ne savait pas trop ce qu'elles deviendraient.
Après une longue interruption, trois livres se sont
succédé, publiés en 9 ans. Les deux premiers ne
lui avaient pas semblé devoir bénéficier d'une
priorité particulière, et ils n'étaient paru que
sur l'insistance de certains lecteurs. Il semble que la cadence de
production va maintenant s'accélérer...
.. du site ..
D'une bonne cinquantaine de pages,
cette nouvelle pèsera plus lourd que son nombre de feuilles.
Elle est d'abord contemporaine du nouveau dessein de son auteur, que
La Tour Sombre soit le carrefour d'une partie de son
oeuvre2. Des éléments venus d'ailleurs montrent
que le désir de l'auteur est en voie de réalisation. Le
récit est ensuite un prolongement du genre vampire, que King
avait si brillamment porté à un niveau exceptionnel
avec Salem, mais
qu'il n'a repris que dans trois autres nouvelles. Elle offre ensuite
une curiosité, avec les insectes/docteurs, qui peut-être
feront partie du monde de La
Tour Sombre. Elle
présente une image sensiblement différente de Roland de
Gilead, apparue dans Magie
et Cristal, dont la
rédaction semble avoir été simultanée
à cette nouvelle. Apparaissent encore de nouveaux
détails sur l'univers de La Tour Sombre.
Et surtout pour la première fois la nature du ka,
jusqu'à présent indéterminée, est
rattachée à la vieille pratique de King, au dieu
chrétien.
Vampires.
Salem
présentait une sorte de manuel du vampirisme traditionnel,
dans la lignée du Dracula de
Bram Stocker. Dans Elurie, le
thème du vampire traditionnel a fait l'objet de plusieurs
modifications en fonction des trouvailles précédemment
employées dans d'autres oeuvres.
Tradition: la peur du sacré.
Les six vampires femmes
d'Elurie sont
aussi bien diurnes que nocturnes, mais le jour elles ne font pas
d'ombre:"Elle s'éloigna
avec majesté, soulevant le devant de son habit à deux
mains. Roland avait entendu dire que ses pareilles ne pouvaient point
aller et venir en plein jour, mais cette partie des vieilles
légendes devait être sûrement mensongère.
Une autre partie, cependant, était presque vraie, semblait-il:
si une forme floue et amorphe se déplaçait de concert
avec elle. Courant le long de la rangée de lits
inoccupés à sa droite, elle ne projetait aucune ombre
véritable."(64)
Une partie de la nouvelle est structurée autour d'un
médaillon, que Roland a ramassé sur un
cadavre:"Alors qu'il
s'attendait au sigleu de l'homme-Jésus -qu'on appelait croix
ou crucifix- un petit rectangle était pendu à la
chaîne. L'objet avait l'air en or pur. On lisait ceci
gravé dessus:
James
Aimé de sa famille, Aimé de Dieu."(28) Roland s'apercevra vite que ce
médaillon rebute les vampires, mais ne sait pas à quoi
attribuer ce pouvoir: il semble que dans son monde certaines
connaissances -y compris religieuses- soient perdues. C'est aussi le
cas de son compagnon d'hôpital:"C'est elle qui vous a mis la médaille de Jimmy
autour du cou?
- Oui.
- L'en retirez pas, quoi que vous fassiez.
Il avait les traits tirés, la mine sévère.
- Je sais pas si c'est dû à l'or ou au Dieu, mais elles
aiment pas s'en approcher de trop près. Je crois que c'est
seulement à cause de ça que je suis encore
ici."(49)
Roland a été recueilli dans un hôpital où
il est soigné par des soeurs, qui craignent
l'objet:"Elle baissa les yeux
vers le médaillon, caché une fois de plus sous le
plastron de son vêtement de nuit."(11) Elles l'incitent à s'en
débarrasser:"Je veux
vous voir ôter cette infection en or quand vous aurez repris
quelque force - mettez-la dans le pissoir sous le lit. C'est
là sa juste place. D'en avoir été si proche me
donne la migraine et me serre la gorge."(55) Si bien que Roland se rend compte de son
pouvoir:"Roland agrippa le
médaillon et s'en para en le lui mettant sous les yeux. Elle
battit en retraite, sifflant et crachant de plus
belle."(67) Les vampires
n'osent pas le ramasser quand il est par terre:"Elle lui désigna le médaillon
qui gisait au loin dans la travée centrale, demeuré
là où Ralph l'avait projeté."(66)
Ce médaillon que Roland avait enlevé au mort pour le
mettre dans sa poche, c'est Jenna, une vampire amoureuse, devenue
traîtresse à son ordre, qui le lui a mis autour du
cou:"Encore une chose,
dit-elle, chuchotant presque et jetant un regard furtif à la
ronde. Le médaillon en or que vous portez... si vous le
portez, c'est que c'est le vôtre. (...) Si vous
disiez autre chose, vous causeriez à Jenna de graves
embarras."(45) Roland, qui
ignore le pouvoir qu'ont certains symboles religieux sur les
vampires, ne peut s'expliquer le phénomène que par la
nature de son métal, l'or:"Si Roland ne comprenait pas pourquoi Jenna avait
récupéré le médaillon du garçon
mort dam sa poche de pantalon pour le lui mettre au cou, il
soupçonnait que si elles découvraient ce qu'elle avait
fait, les Petites Soeurs d'Elurie pourraient bien la
tuer."(45)
De même les armes ne peuvent opérer que dans les
conditions classiques, comme l'indique une vampire, menacée
par le revolver de Roland:"A
moins qu'il ait été béni ou trempé dans
l'humidité sacrée -eau, sang ou semence- d'une secte,
il ne peut blesser mes pareilles, pistolero. Car je suis plus ombre
que substance... tout en restant l'égale de vos
semblables."(72)
Tradition: le goût du sang.
Roland ne découvre pas
immédiatement les goûts de ses soigneuses. Un de ses
deux voisins de lit lui raconte que des mutants ont attaqué
son groupe et pris leurs chariots:"Les mutés ont dû s'en emparer et de leur
contenu aussi, fit Norman. S'ils ne se soucient ni de Dieu ni d'or,
les Soeurs, elles, ne se soucient de marchandise d'aucune sorte.
Comme si elles avaient leurs propres victuailles, des choses
auxquelles j'aime mieux ne pas penser. Des trucs
dégoûtants..."(50) Il en a un aperçu à la manière
dont il est expertisé:"Elle se contenta de le regarder, se léchouillant
la lèvre à petits coups de langue, pouffa et s'en alla.
(...) Le regard inquisiteur de Michèle... sa
langue furtivement sortie. Il avait déjà vu des femmes
jauger de la sorte volailles quartiers de mouton devant la
rôtissoire, calculant quand ils seraient cuits à
point."(60)
Son voisin de lit est blessé au cou lorsd'une
agression:"Du sang gicla de la
gorge de l'infortuné garçon en un flot plus
noirâtre que rouge à la lueur des cierges; il poussa un
seul cri glougloutant. Les femmes crièrent elles aussi - mais
point d'horreur. Elles crièrent sous l'emprise d'une
excitation frénétique. Le Verdâtre était
oublié; Roland était oublié; tout était
oublié sauf le sang de la vie qui jaillissait de la gorge de
John Norman."(62)
Après chacun de leurs festins, Roland constate la
différence:"Elle non
plus n'avait pas mauvaise mine - nul chatoiement ne trahissait
l'antique wampir dissimulé en elle. Elle avait bien
soupé et son festin l'avait revigorée."(64): ou :"Ses joues étaient hautes en couleur. Elles
avaient toutes de belles couleurs aujourd'hui, telles des sangsues
gorgées de sang à en éclater."(66)
Nouveautés.
Il faut noter qu'on ne sait pas ce
que deviennent les cadavres et pas davantage dans quel état
ils sont . En tout cas, ils ne se transforment pas en morts-vivants,
vampires à leur tour.
Une originalité de la nouvelle est que ces femmes vampires
vivent en communauté. Le repas des vampires se prend dans un
rituel collectif, avec des victimes droguées. Les vampires
portent en procession"de
grands cierges dans des bougeoirs d'argent."(52)"Cinq des six Petites Soeurs d'Elurie faisaient bloc
autour du lit où dormait John Norman, leurs cierges
levés pour qu'il soit baigné de lumière.
Lumière qui éclairait aussi leurs visages, visages qui
auraient donné des cauchemars à l'homme le plus
aguerri."(62) Puis, cierges
éteints, elles opèrent:"Et soudain des bruits de succion. Dès qu'il les
entendit, Roland sut qu'il n'avait attendu que ça. Quelque
chose en lui avait su dès le début qui étaient
réellement les Petites Soeurs d'Elurie. (...) Les femmes grognaient et lapaient salement comme des
truies bâfrant la nourriture semi-liquide de leur mangeoire. Il
y eut même un rot sonore, qui fut suivi de nouvelles messes
basses agrémentées de gloussements (Soeur Marie y mit
fin d'un mot bref... Haïs!). On entendit aussi un cri
étouffé, gémissant du barbu, Roland en aurait
mis sa main au feu. S'il ne se trompait pas, ce fut son dernier de ce
côté-ci de la clairière.
En temps voulu, les bruits de leur festin allèrent en
s'amenuisant, cédant à nouveau la place au chant des
insectes... hésitant d'abord, il gagna en assurance.
Chuchotements et rires étouffés reprirent de plus
belle. On ralluma les cierges."(53) Ces vampires femmes se ressentent du psychopathe
Norman dans Rose
Madder, qui aime aussi le
sang mais surtout mordre et déchirer les chairs. Elles sont
plutôt cannibales, s'attaquant au corps à plusieurs, et
la veine jugulaire ne paraît pas leur premier souci.
Ces vampires ne dédaignent pas un dessert
original:"Roland
découvrit alors que son corps n'était pas
complètement paralysé, loin s'en fallait. Une partie de
lui, en fait, s'était réveillée au son de leurs
voix et se tenait maintenant dressée. Une main se glissa sous
le vêtement de nuit qu'il portait, effleura ce membre roidi,
l'encercla, le caressa. Roland, empli d'une horreur muette, feignit
le sommeil tandis qu'une chaude humidité s'épanchait
presque aussitôt de lui. La main s'attarda un instant. le pouce
massant de haut en bas la tige en défaillance. Puis la
lâchant, elle remonta un peu. Dénicha la mare humide
sous son nombril. (...) Marie, la
main en soucoupe, la présentait aux Soeurs, l'une après
l'autre; chacune léchait dans sa paume, à la
lumière des cierges."(54)
Plus tard Roland revoit"Louise
à la lueur des cierges, le sang du roulier lui
dégoulinant sur le menton, ses yeux immémoriaux pleins
d'avidité alors qu'elle se penchait pour lécher sa
semence dans la paume de Soeur Marie."(56)
Leur
glam.
Le mythe du vampire subit un autre
traitement original quand King rattache la tradition aux apparitions
et aux métamorphoses: Ça et ses
avatars3, l'entité Ardelia du Policier des Bibliothèques, les transformations à vue du roi
pourpre dans Insomnie et
au monde de Tak, avec le langage de Désolation, le vol des enfants observé par les habitants de
l'île dans La
Tempête ou la
création démiurgique d'un lieu comme dans
Les
Régulateurs. Les
soeurs d'Elurie peuvent animer une petite ville du désert
comme Tak pouvait le faire d'une rue de Wentworth.
Ce récit de vampire baigne en effet dans une atmosphère
d'irréalité et d'illusion, et des notations viennent
sans cesse renforcer une impression générale
d'artifice, comme dans les dernières pages de
Magie et
Cristal, d'un monde
créé pour tromper les humains:"Elle était déjà loin,
paraissant flotter le long de l'allée centrale entre tous ces
lits vides, tenant sa robe d'une main. Le rose avait
déserté ses traits, laissant ses joues et son front
couleur de cendre. Il se rappela l'expression avide des autres soeurs
tandis qu'elles formaient autour de lui un cercle de plus en plus
resserré... et leurs visages miroitants, aussi.
Six femmes, cinq vieilles, une jeune."(45)
Sur son lit où il est sanglé, Roland, quand il se
réveille la première fois, présume de la
sorcellerie:"Autrefois,
à l'époque de sa rencontre et de son amour pour Susan
Delgado, il avait connu une sorcière nommée Rhéa
-la première authentique sorcière de
l'Entre-Deux-Mondes qu'il ait jamais vue. C'était elle qui
avait causé la mort de Susan, bien que Roland y ait eu sa
part. A présent, rouvrant les yeux et apercevant Rhéa
non pas à un seul exemplaire, mais à cinq, il songea:
Voici ce qui arrive quand on se replonge dans de très vieux
souvenirs. En évoquant l'image de Susan, j'ai
évoqué celle de Rhéa du Coos par la même
occasion. Celle de Rhéa et de ses soeurs.
Les cinq femmes étaient vêtues d'habits blancs qui
ondulaient comme les murs et les panneaux du plafond. Leurs visages
d'antiques commères en comparaison semblait aussi grise et
ravinée que de la terre desséchée. Pendant, tels
des phylactères, des bandeaux de soie qui emprisonnaient leurs
cheveux (si cheveux, elles avaient), des rangs de minuscules
clochettes tintaient dès qu'elles bougeaient ou
parlaient.(...)
Voyant cela, Roland se dit:
«Je ne rêve pas. Ces vieilles haridelles ne sont pas des
visions.»"(38)
Elles le rendent perplexe, avec des modifications à vue, comme
si elles ne savaient pas, comme Ardélia, maintenir longtemps
leur apparence. Elles semblent rajeunir et vieillir sans
cesse:"Elles voletaient comme
des moineaux. Celle du milieu fit un pas en avant et ce faisant, le
visage des autres parut chatoyer comme les murs de soie de la salle
de garde. Elles n'étaient pas vieilles après tout,
s'aperçut-il -d'âge médian, peut-être, pas
vraiment vieilles.
Si. Elles sont vieilles. Elles ont changé."(38)
Ou:"Une autre soeur surgit de l'obscurité: Tamara.
celle qui s'était vantée de n'avoir que vingt et un
ans. A l'instant où elle arriva à hauteur du lit de
Roland, son visage était celui d'une vieille
mégère aux quatre-vingts ans -si ce n'est
quatre-vingt-dix- bien sonnés. Puis se remettant à
miroiter, il présenta encore une fois les traits touffus et en
bonne santé d'une matrone d'une trentaine d'années. A
l'exception des yeux, à la cornée jaunâtre, aux
coins chassieux, mais néanmoins vigilants."(48)
Ces créatures puent:"Comme les Soeurs faisaient cercle autour de lui, le
pistolero sentit leur odeur. Peu agréable, vague, on aurait
dit celle de la viande avariée. Et qu'auraient-elles pu sentir
d'autre, étant ce qu'elles étaient ?"(53) Ce qu'elles sont, son voisin le lui avait
suggéré:"Sa voix
n'était maintenant plus qu'un murmure.
- Elles sont pas humaines...
- Non! (...) . Vous songez à des
«sages-femmes», ou à des sorcières. Mais
elles ne sont ni les unes ni les autres. Elles ne sont pas
humaines!"(49)
Roland comprend enfin qu'il s'agit d'un pouvoir d'illusion
particulier:"Sous cet
éclairage, Coquine pouvait tout à fait passer pour
jeune et jolie... mais c'était un effet de glam, Roland en
était sûr ; une sorte de maquillage de
sorcière."(46), qui
laisse percevoir une autre réalité:"Soeur Marie s'avança hors de l'ombre.
Son bel habit blanc à la rose rouge vif avait retrouvé
sa véritable apparence, celle d'un linceul.
Encapuchonné, pris dans ses replis crasseux, on voyait un
visage ridé et flasque, troué d'yeux noirs comme deux
dattes pourries. Plus bas, la chose souriait, exposant quatre grosses
incisives luisantes."(72) Ou
encore:"A présent, au
plus noir de la nuit, leur glam mis au rancart, elles
n'étaient plus que d'antiques cadavres
ambulants."(62)
Leur réalité est indescriptible, comme il s'en rend
compte en essayant de maîtriser l'une d'entre elles.
Il"se précipita sur
elle, les mains en avant. Soeur Marie poussa un cri de
complète surprise, mais il fut de courte durée: les
doigts de Roland l'agrippèrent à la gorge où ils
étouffèrent ce son dans l'oeuf.
Toucher sa peau était obscène - elle ne semblait pas
tant vivante, que variable sous la main, comme si elle tentait de lui
échapper par reptation. Il la sentait liquide, coulante, et
cette sensation, horrible, défiait toute description. Alors,
il serra plus fort, déterminé à lui ôter
la vie par strangulation.
Soudain il y eut un éclair bleu (pas dans l'air ambiant,
penserait-il plus tard); cet éclair se produisit dans sa
tête, une simple décharge quand elle lui
déclencha un bref mais puissant orage cérébral4 ) et
ses mains relâchèrent son cou. Un instant ébloui,
il aperçut de grands creux humides dans sa chair
grisâtre épousait la forme de ses mains. Projeté
en arrière, son dos alla heurter
l'éboulis."(72) Une
nature visqueuse, reptilienne lovecraftienne, avec un pouvoir
psychique incontrôlable. Qui, attaquée par le chein,
plus tard se décompose:"La créature ombreuse déchirait à
belles dents Soeur Marie, les pattes avant, plantées de part
et d'autre de sa tête, les pattes arrière,
enfoncées dans sa poitrine recouverte du suaire, à
hauteur de la rose. (...) Il avait
arraché la tête de soeur Marie à moitié.
La chair de cette dernière paraissait subir une
métamorphose - se décomposant, très probablement
- mais quoi qu'il en soit, Roland ne tenait pas à le
savoir."(73)
Leurs
aides: les docteurs.
Première question de Roland
quand il se réveille en mauvais état sur son lit
d'hôpital:"- Où
sommes-nous donc?
- Chez nous, répondit-elle avec simplicité. Dans la
maison des Petites Soeurs d'Elurie. Notre couvent, si vous
préférez.
- Mais ça n'a rien d'un couvent, dit Roland, regardant les
lits vides, derrière elle. C'est une infirmerie, n'est-ce
pas?
- Un hôpital, rectifia-elle sans cesser de lui caresser les
doigts. Nous assistons les docteurs... et ils nous
assistent."(41)
Mais Roland n'a pas vu de médecins:"- Si vous êtes des hospitalières... des
infirmières... où sont donc les docteurs?
Elle le regarda en se mordant la lèvre, prise de doute. Roland
trouva que l'indécision lui seyait, la rendait tout à
fait charmante. (...)
- Vous désirez vraiment le savoir?
- Oui, bien sûr, répondit-il, un peu surpris.
Un peu inquiet aussi. Il s'attendait à voir son visage
miroiter et se transformer comme ceux des autres soeurs. Mais rien ne
se passa. Elle ne dégageait pas non plus cette odeur de terre
et de mort.
- Je suppose qu'il le faut, dit-elle avec un soupir, qui fit tinter
les clochettes sur son front.
Elles étaient d'une nuance plus sombre que celles
portées par les autres -non pas du même noir que ses
cheveux, mais carbonisées comme si on les avait passées
à la flamme d'un feu de camp. Néanmoins, elles
rendaient un son des plus argentins."(41)
Jenna a la possibilité de communiquer avec les docteurs par
ses clochettes particulières. Les autres soeurs portent aussi
des clochettes, mais celles de Jenna ont des caractéristiques
différentes:"Elles
étaient d'une nuance plus sombre que celles portées par
les autres -non pas du même noir que ses cheveux, mais
carbonisées comme si on les avait passées à la
flamme d'un feu de camp."(41)
Jenna est la seule des soeurs à pouvoir diriger les docteurs
par ses clochettes. Docteurs inattendus, comme le constate Roland en
regardant un blessé à côté de
lui."Ce qui se produisit
ensuite faillit lui arracher un cri; et il dut se mordre la
lèvre pour le retenir. Une fois encore, les jambes de l'homme
inconscient parurent remuer sans vraiment bouger... car
c'était ce qui les recouvrait qui s'agitait. Son
vêtement de nuit lui laissait ses mollets, chevilles et pieds
poilus à l'air. A présent une colonne d'insectes noirs
les dévalait; et leur chant avait l'âpreté de
celui d'un corps d'armée, marchant au pas.
Roland se souvint de la cicatrice sombre qui balafrait la joue et le
nez de cet homme... cicatrice qui avait disparu. Elle était de
même nature que ces bestioles, sans nul doute. Et il avait les
mêmes sur lui aussi bien. Ce qui expliquait cette sensation de
frisson alors qu'il ne frissonnait pas. Il en avait plein le dos. Se
repaissant de lui."(42)
Ces «docteurs» particuliers obéissent comme des
militaires:"Les insectes
coururent jusqu'à l'extrêmité des doigts de pied
de l'homme, pour mieux sauter de là par vagues, telles des
notonectes s'élançant depuis la berge dans un trou
d'eau pour s'y ébattre, Ils formèrent vite fait bien
fait un bataillon d'un pied de large sur le drap-housse d'un blanc
éclatant avant de gagner le plancher en ordre de marche.
Roland ne les distinguait pas très bien, étant trop
loin et la luminosité, trop faible, mais il évalua leur
taille à deux fois celle d'une fourmi mais moindre toutefois
que celle des grosses mouches à miel qui pullulaient sur les
massifs de fleurs, là-bas, chez lui.
Ils ne cessaient de chanter, ce faisant."(42)
Roland, d'abord dégoûté, se
raisonne:"Mais ce qu'il voyait
était-il réellement si horrible? A Gilead, on se
servait de sangsues pour traiter certains maux -tumeur au cerveau,
ganglions aux aisselles ou à l'aine, surtout. En ce qui
concernait le cerveau, l'application de sangsues, toutes
répugnantes qu'elles fussent, était à coup
sûr préférable à l'étape suivante,
à savoir la trépanation.
Il y avait cependant quelque chose de dégoûtant chez
ceux-là, dû peut-être au seul fait qu'il ne les
distinguait pas très bien, et aussi quelque chose d'affreux
à les imaginer lui tapissant le dos, tandis qu'il restait
suspendu là, réduit â l'impuissance. Ils ne
chantaient pas cependant. Pourquoi ? Parce qu'ils se nourrissaient?
Qu'ils dormaient? Ou les deux à la fois? (...)
Les insectes traversaient le plancher, se dirigeant vers l'un des
murs de soie qui ondulait légèrement. Roland les perdit
de vue dans les ombres.
"- Les docteurs? fit-il.
- Oui. Ils ont un très grand pouvoir, mais..."(43)
En fait, les «docteurs» ont une action limitée aux
contusions et aux plaies:"Je
crois qu'ils ne peuvent rien faire pour aider ce roulier. Ses jambes
vont un petit peu mieux et ses plaies au visage sont presque
guéries, mais il a certaines blessures hors d'atteinte des
docteurs.
Elle en suggéra la localisation sinon la nature en
traçant de la main une ligne imaginaire à hauteur de sa
taille. La jeune femme lui posa une main sur le front et
l'apaisa."(43) Roland, dans
son malheur, a plus de chances:"Vous étiez presque écorché à
vif dans le dos - rouge de la nuque à la taille. Vous en
garderez des cicatrices désormais, mais les docteurs ont fait
beaucoup pour votre guérison. Leur chant est une
splendeur."(44)
Ces insectes participent du
monde de La Tour
Sombre et certaines notations
indiquent qu'ils sont, comme les soeurs, voués au sang et
à la mort. Ce sont des guérisseurs par raccroc, en ce
qu'ils se contentent ordinairement des plaies saignantes ou des
chairs tuméfiées. Mais ils font partie d'un univers
mortifère, comme l'indique une des soeurs à
Roland:"Soeur Marie souriait,
mais sans la moindre trace d'humour, dénudant ses dents d'une
grosseur peu naturelle.
- Verser le sang est risqué par ici. Les docteurs n'aiment
point trop. Ça les émoustille.
Il n'y avait pas que les insectes que la vue du sang
émoustillait, Roland était bien placé pour le
savoir."(56) Les insectes se
taisent pendant que les soeurs se livrent à leur
cérémonie de vampirisation: solennité d'un
culte? Cependant ils suivent Jenny dans son action sacrilège
de tuer une soeur par leur moyen:"Ce qu'il voyait sortir de l'ombre maintenant,
c'était une véritable armée. (...) Le spectacle qu'ils offraient, arpentant le plancher de
la travée centrale, n'était pas ce dont Roland
garderait le souvenir à jamais ni ce qui allait hanter ses
rêves pendant plus d'une année ; mais bien la vague dont
ils recouvrirent les lits. Ils noircissaient deux par deux, de part
et d'autre de la travée, comme des paires de loupiotes
rectangulaires s'éteignant tour à tour.
(...) Les insectes continuaient leur progression,
assombrissant le plancher, occultant la blancheur des
lits."(...) Se retournant, il aperçut un monticule
sombre qui grouillait sur le sol en lieu et place de Soeur
Coquine."(69)
Elurie: un
carrefour.
Les
rapports avec l'oeuvre.
Les vampires d'Elurie mènent
une existence semblable à celle du diabolique Leland Gaunt,
dans Bazaar, qui
installe son commerce dans des petites villes. Il les quitte quand il
a pu y semer désolation et mort. Commerce qu'il pratique
depuis des temps lointains, étant passé du chariot
à la Tucker Talisman. Roland ignore la référence
Gaunt, mais a compris ce qui se passait:"Les Petites Soeurs d'Elurie, se surnommaient-elles. Et
dans un an d'ici, elles pourraient aussi bien être les Petites
Soeurs de Tejuas ou de Kambero ou d'une autre bourgade de
l'extrême Ouest. Elles y parviendraient avec leurs clochettes
et leurs insectes... venant d'où? Qui le
savait?5"(62)
Quand la supérieure Marie (nom ironiquement donné?)
succombe au chien et se métamorphose, Jenna donne quelques
détails supplémentaires:"Celles qui restent, Coquine, Louise, Tamara, vont plier
bagage et aller plus loin. Elles savent partir, le moment venu: c'est
pour ça que les Soeurs ont survécu aussi longtemps; que
nous avons survécu aussi longtemps. Nous sommes fortes sous
certains aspects, mais faibles sous bien plus encore. Soeur Marie l'a
oublié. C'est son arrogance autant que le chien-crucifix qui a
eu raison d'elle. Je crois."(75)
Au moment où il ne retrouve plus Jenna qui l'a suivi, Roland
comprend que les soeurs étaient"variables", non
pas une, mais multiple:"Si
leurs pareilles pouvaient bien ne jamais mourir... elles pouvaient se
métamorphoser."(77)
Comme la plupart des
êtres maléfiques de King, elles disparaissent, leurs
forfaits accomplis ou découverts, pour apparaître
ailleurs, le prototype de ces transformations étant
Flagg.
Cet ordre mystérieux, venu de
la nuit des temps en s'adaptant, comme Leland Gaunt, est lié
à un autre être lovecraftien, le Tak de
Désolation, et à son parler rocailleux, la langue de
l'informe:"Soeur Marie
prononça quelques mots brefs. Roland reconnut sa voix, sans
comprendre ce qu'elle disait - ce n'était ni du Haut Parler ni
du bas langage, mais un tout autre idiome. Une phrase se
détachait - can de lach, mi him en tow - mais il n'avait
aucune idée de ce qu'elle pouvait signifier.
Il s'aperçut qu'il ne percevait plus à présent
que le tintement des clochettes - les docteurs s'étaient
tus.
- Ras me! On! On! s'écria Soeur Marie d'une voix puissamment
stridente.
Les cierges s'éteignirent. La lueur qui filtrait des ailes de
leur guimpe quand elles s'étaient rassemblées autour du
lit du barbu disparut et, une nouvelle fois, tout ne fut plus que
ténèbres."(52)
King s'est amusé à traduire incidemment ces expressions
dans Désolation, où elles sont fréquemment
utilisées par Tak ou ses corps empruntés: si «mi
him en tow» est une expression incitant à l'action,
«can de lach» signifie explicitement «coeur de
l'informe», ce qui nous situe à nouveau dans un univers
lovecraftien (Dés.,
376). Le terme «can» est utilisé comme
préfixe de plusieurs êtres ou objets symboliques et
signifie dieu, lié au divin: les statuettes par exemple se
nomment des «can tahs» (petits dieux) (Dés, 410) alors que le «can tak» est"le grand
dieu, le gardien"(Dés,
429). On peut ainsi affirmer que les docteurs, que Jenna a
appelés les «can tam» (72) sont bien
rattachés à un ordre cosmique particulier, auquel
appartient Tak.
Des
vampires créateurs d'illusions.
Leland Gaunt est capable de persuader
ses clients que les objets convoités existent et il les leur
vend, sans qu'ils s'aperçoivent de leur
irréalité. Le Tak des Régulateurs va plus loin, puisqu'il se sert du psychisme de Seth,
enfant surdoué, pour créer illusoirement une ville de
far-west qui ressemble à celle du feuilleton Bonanza, ainsi
que la faune et la flore correspondantes. De même les soeurs
sont capables de créer une réalité qui n'existe
pas. L'hôpital n'est que"la tente que nous avons tissée en rêve
autour de toi."(72) Le grand
alignement de quarante lits vu par Roland est factice, et se
réduit à quelques misérables
couches:"Ils ne
dépassèrent que trois lits de chaque côté
avant d'atteindre le rabat de la tente... car il vit qu'il s'agissait
d'une tente et non d'un vaste pavillon. Les parois et le plafond de
soie étaient en toile élimée, suffisamment mince
pour laisser filtrer la lumière d'une Lune des Baisers aux
trois quarts pleine. Et les lits n'en étaient pas vraiment,
rien qu'une double rangée de couchettes en mauvais
état."(69) Vu de
l'extérieur, ce qui paraissait être une vaste
construction n'est qu'une"vieille tente de campagne. Au clair de lune, elle
était d'un vert olive délavé, avec une croix
rouge sur le toit. Roland se demanda dans combien de villes les
Soeurs s'étaient rendues avec cette tente, si petite et si
moche au-dehors, si gigantesque et magistralement obscure au-dedans.
Dans combien de villes et depuis combien
d'années..."(70) Leur
couvent n'en est pas un:"Au-delà, il aperçut le bâtiment
où vivaient les Petites Soeurs - ce n'était pas un
couvent, mais une hacienda en ruines qui semblait vieille de mille
ans."(69) Même la ville
est en partie illusion, dans cette"vallée rocheuse et stérile où les
Petites Soeurs avaient exercé leur glam."(71)
Un
ordre où les vampires peuvent être
damnés.
Les vampires sont ordinairement
solitaires. Mais l'ordre auquel appartiennent les soeurs d'Elurie est
un ordre dans lequel on condamne et on damne. La mère de Jenna
a été jadis condamnée à partir de la
communauté6. Le cas de Jenna, qui se dresse contre ses consoeurs et
veut quitter l'ordre pour un mortel, est plus grave
encore:"Je pars avec lui.
Poussez-vous de côté.
Elles la regardèrent bouche bée, leurs rires
contrefaits, effacés par leur état de choc.
- Non ! chuchota Louise. As-tu perdu l'esprit? Tu sais bien ce qui
t'arrivera!
- Non. Ni vous non plus, fit Jenna. En outre, je m'en
moque."(70) Et elle appelle
les insectes pour l'aider:"A
présent, les docteurs fourmillaient à l'entrée,
qu'ils obstruaient comme une langue noire et luisante. Ils avaient
cessé de chanter. Leur silence en était d'autant plus
formidable.
- Écartez-vous ou je les lâche sur vous, fit Jenna.
- Tu n'oserais pas! souffla Michèle avec horreur.
- Si fait. Je les ai déjà lâchés sur Soeur
Coquine. Elle fait partie de leur médecine
dorénavant
Leur hoquet de surprise fut comme un vent froid soufflant entre les
branches d'un arbre mort. Mais leur effarement allait bien
au-delà de la préservation de leur précieuse
peau. Ce qu'avait fait Jenna dépassait de loin leur
entendement.
- Alors tu es damnée, fit Soeur Tamara.
- Voyez qui me parle de damnation! Écartez-vous.
Elles lui obéirent. Roland passa devant elles, qui se
rétractèrent pour ne point le toucher... et davantage
encore pour ne point la toucher, elle."(70)
Roland -et le lecteur- ne
sauront d'ailleurs pas en quoi consiste la sanction:"Expliquez-moi ce qu'elles ont voulu dire.
- Rien, peut-être. Ne me questionnez point, Roland - à
quoi bon? C'est fait, j'ai brûlé mes vaisseaux. Je ne
peux plus revenir en arrière. Même si je le voulais, je
ne le pourrais point. (...) J'ai
soupé avec elles. Certaines fois, je n'ai point pu m'en
empêcher. Pas plus- que vous n'avez pu vous empêcher de
boire leur maudite soupe, même si vous saviez ce qu'elles
avaient mis dedans. (...)
Je n'irai point plus avant
dans cette voie. Et si la damnation est au bout, qu'elle vienne de
mon fait, pas du leur. Ma mère pensait bien faire en me
ramenant chez elles, mais elle se trompait.
Elle le regardait craintivement, timidement... mais sans baisser les
yeux.
- Je marcherai à vos côtés, Roland de Gilead.
Tant que je le pourrai ou que vous voudrez de moi."(71)
Le Dieu sur
la croix.
Les romans du cycle de
La Tour Sombre sont, contrairement à la plupart des
autres, très discrets sur la vie religieuse du temps de
Roland, et notamment la place qu'y tient encore le christianisme. On
sait que l'histoire de Roland se passe dans un monde largement
postérieur au nôtre, après qu'il a
été, en dépit de son haut niveau de civilisation
technique, presque totalement détruit par un épisode
nucléaire7. Roland enfant connaît La Bible, et quelques allusions religieuses se trouvent ici et
là. Mais incidemment, et sans l'importance qui sera
donnée à divers dieux (dont certains d'inspiration
biblique ou dérivés) dans Elurie.
Jusqu'à présent, Roland était conduit par un
ka, sorte de destinée d'origine
indéterminée, et cela suffisait. Aucun de ses trois
compagnons de quête, Eddie, Detta et Jack ne montrent de
religiosité particulière.
Sous le
signe du Dieu biblique.
Il semblerait que le monde de Roland
soit tombé dans une sorte d'éclectisme religieux
semblable à celui de l'empire romain des premiers
siècles de notre ère, correspondant lui-même en
partie à celui qu'avaient connu le Moyen-Orient au moment de
la gestation de La
Bible:"Il distinguait également une jolie
petite bâtisse en bois aux solides fondations de pierre brute,
coiffée d'un modeste clocher et avec une croix dorée
peinte sur sa porte à double battant. La croix, comme celle du
portail d'entrée, indiquait un lieu de prières pour les
adeptes de l'homme-Jésus. Cette religion fort peu
répandue dans l'Entre-Deux-Mondes, était loin d'y
être inconnue: on aurait pu dire la même chose de la
plupart des cultes, en ce temps-là, y compris celui de Baal,
d'Asmodée et d'une bonne centaine
d'autres8. Ces jours, la
foi, comme le reste du monde, avait «changé». En ce
lui concernait Roland, le Dieu sur la Croix était celui d'une
religion parmi d'autres qui enseignait que l'amour et le meurtre
avaient partie liée -et qu'au bout du compte Dieu
n'était qu'un buveur de sang."(23) Ce passage a de l'importance, puisque c'est un
«chien-crucifix» qui mettra fin momentanément
à l'existence de la supérieure des vampires, sauvant
Roland des buveuses de sang et de la mort.
À cette évocation somme toute plausible d'une
humanité qui dérive déjà actuellement
vers les sectes se mêle une considération plus partisane
visant le catholicisme9:"Sur la place de
la bourgade, se dressait l'église. Elle était
bordée de gazon des deux côtés ; l'une de ces
bordures la séparait de la Salle Municipale, et l'autre, de la
maisonnette du prédicateur et de sa famille (s'il s'agissait
de l'une des sectes de Jésus qui autorisait ses chamans
à avoir femme et enfants; certaines autres, régies
manifestement par des fous furieux, exigeaient de leurs ministres le
célibat ou du moins d'en préserver
l'apparence)."(22)
Comme dans l'île
de La
Tempête, la
bourgade s'est placée sous le signe du Dieu biblique, comme en
témoigne le registre qui traîne sur le bureau du
Shérif:"Roland le
tourna vers lui et lut, gravé sur sa couverture rouge:
ÉLURIE
REGISTRE DES MÉFAITS & RÉPARATlONS
SOUS LE RÈGNE DE NOTRE SEIGNEUR"(25)
Le chien, qui essaie de tirer un cadavre de la fontaine,
apparaît d'abord incidemment:"Il avait le poitrail tacheté d'une touffe de
poils d'un blanc sale. Grossièrement esquissé en son
centre par du poil noir,on devinait un dessin cruciforme. Un
chien-Jésus, va savoir, en quête d'un brin de communion
en plein après-midi.
Son grondement n'avait rien de très religieux,
cependant."(27) On notera
l'ironie de la formule, l'objet de la communion du chien étant
apparemment la conquête d'un cadavre.
Du chien on passe au cadavre:"Autour de son cou brillait vaguement dans l'eau. qui
virait peu à peu au bouillon de chair humaine sous le soleil,
un médaillon en or."Roland enlève le
médaillon:"Alors qu'il
s'attendait au sigleu de l'homme-Jésus -qu'on appelait croix
ou crucifix- un petit rectangle était pendu à la
chaîne. L'objet avait l'air en or pur. On lisait ceci
gravé dessus:
James
Aimé de sa famille, Aimé de Dieu". (28) À cela s'ajoute une
décision qui semble venir du ka:"Il aurait dû tuer le chien. Il n'était plus
bon à rien: un chien qui avait goûté à la
chair humaine ne pouvait plus être utile à personne-
mais bizarrement, l'idée lui
déplaisait."(27)
Assommé par un mutant,
il sort de son inconscience:"Roland se persuada qu'il était encore en vie. Ce
fut le chant qui acheva de l'en convaincre. Ni celui des âmes
mortes ni celui de la cohorte céleste des anges que
décrivaient parfois les prédicateurs de
l'homme-Jésus."(32)
Dans le cycle de la tour, on n'avait jamais vu jusqu'ici Roland citer
autant de fois en quelques pages le nom de Jésus. C'est aussi
une des premières questions qu'il pose à sa
soignante:"- Nous sommes des
hospitalières... du moins, nous l'étions, avant que le
monde n'ait changé.
- Vous êtes pour l'homme-Jésus?
Elle parut surprise un instant, presque choquée, avant
d'éclater d'un rire joyeux.
- Oh non, pas nous!"(41) Le
lecteur ne comprendra que plus tard la signification de sa
réaction de surprise scandalisée.
Dog,
dog et gold.
La nouvelle est construite autour de
la découverte par Roland de plusieurs aspects successifs de la
réalité opérés à partir d'un
glissement sémantique auquel King s'est amusé entre les
termes gold («or»), God («Dieu») et maintenant
d'un anagramme, dog («chien» et «Dieu» à
l'envers). On a dans le passé trouvé ce glissement dans
Les Yeux du
dragon, quand la reine
Sasha montre à son jeune fils Peter qui déchiffre
péniblement ses lettres le peu de distance qu'il y a sur
l'ardoise entre deux mots écrits avec les mêmes lettres
et les réalités désignées en permutant
des lettres, le bien et le chien dans la traduction
française,"les deux
aspects de l'homme"(chap.
4)
Si, dans le récit, Roland ne comprend que tardivement que les
soeurs vampires ont peur du symbole de Dieu et non de la nature du
métal du médaillon, il faut une intervention
décisive du chien pour que Roland saisisse l'ensemble des
liens. Le chien a quitté la scène, après
l'épisode de la fontaine au début de la nouvelle. Mais
il est toujours dans la coulisse. À l'hôpital, Roland
perçoit sa présence invisible:"Faiblement, très loin de là,
Roland entendit les aboiements du chien-crucifix."(53) Quand lors de sa fuite avec Jenna, il est
mis en danger par la supérieure. Seule une intervention
miraculeuse peut le sauver:"Il
y eut un grondement au-dessus de leurs têtes. Il enfla, puis
éclata en aboiement furieux. (...) La chose se
précipita sur elle, rien d'autre qu'une forme noire se
découpant sur un fond étoilé, à qui ses
pattes tendues donnaient une vague ressemblance avec une
étrange chauve-souris". Il faut se rappeler que, près de la fontaine, le
chien a paru en mauvais état:"L'une de ses pattes de devant, tordue suite à une
vilaine cassure, s'était mal ressoudée en
guérissant. Se déplacer devait être une
véritable corvée pour le chien et sauter, hors de
question."(26) Une obligation
cosmique a fait disparaître le handicap physique.
Le chien plante ses crocs dans la gorge de la vampire avant que
celle-ci puisse le faire, et il l'égorge, au grand
étonnement de soeur Jenna:"Comment ça a pu l'attaquer? Nous avons du pouvoir
sur les bêtes, mais le sien à elle est -était- le
plus fort.
- Pas sur cette bête-là."(74) Et Roland démêle les fils de
l'écheveau:"Norman
n'avait pas su dire pourquoi les médaillons tenaient les
Soeurs à distance - si c'était dû à l'or
ou au Dieu. Roland connaissait la réponse à
présent.
- C'était un chien. Un simple chien de la ville.
(...) Je suppose que les autres animaux qui ont pu
s'enfuir l'ont fait. Sauf celui-là. Il n'avait rien à
craindre des Petites Soeurs d'Elurie, et peu importe comment, il le
savait. Il porte le signe de l'homme-Jésus sur le poitrail.
Poil noir sur poil blanc. Une tache de naissance, j'imagine. En tout
cas, c'en est fait d'elle à présent Je savais qu'il
rôdait alentour. Je l'ai entendu aboyer deux, trois fois.
- Mais pourquoi? murmura Jenna. Qu'est-ce qui l'a amené?
Qu'est-ce qui l'a fait rester ? Et pourquoi s'en prendre à
elle de la sorte?
Roland de Gilead répondit comme il l'avait toujours fait et le
ferait toujours quand on soulevait devant lui des questions inutiles
et déroutantes:
- Le ka."(74)
Il semble que le ka, dans
Elurie, a pris un aspect bien familier. Celui du
Dieu de Désolation, en guerre contre son rival Tak -ou celui qui
l'inspire- et ses créatures. David était devenu son
bras séculier. En serait-il de même pour Roland?
L'épisode du chien-crucifix le laisse penser.
La
Tour.
Les
mutants.
Des détails
intéressants sont donnés sur les mutants, qui
complètent les descriptions
antérieures:"Remontant
la rue vers la place, il compta une petite trentaine de
Verdâtres, mâles et femelles confondus. Ils ne formaient
plus un clan. mais bien une saleté de tribu. Au grand jour et
sous la canicule! Les lents mutants, d'après son
expérience, étaient des créatures qui prisaient
l'obscurité, des espèces de champignons
vénéneux dotés d'un cerveau; il n'en avait
jamais vu de semblables auparavant."Saleté de tribu: y aurait-il quelque racisme dans
l'esprit de Roland de Gilead?
"Leur peau était d'un
vert cireux. Des individus dotés d'un pareil épiderme
devaient briller dans le noir comme des spectres. Il était
difficile de déterminer leur sexe, mais en quoi cela
pouvait-il importer -à eux comme à
d'autres?"Roland note
cependant qu'une"chose au
gilet rouge était indéniablement femelle. Ses mamelles
nues ballottant sous le tissu rougeâtre de crasse."
"C'étaient des lents mutants, se déplaçant,
voûtés, avec la délibération de cadavres
ranimés par quelque arcane magique10 (...) Il entendait maintenant leurs trâinements de pieds
et leurs respirations chuintantes. Comme s'ils étaient tous
affligés d'un méchant rhume de poitrine.
Ces mutants viennent
probablement des gisements de radium exploités jadis, du temps
de l'ère industrielle. Ce qui expliquerait leur couleur de
peau, qui devait être sensible à la
lumière:"Étonnant que le soleil ne les décime pas.
C'est alors que celui en bout
de ligne -créature au visage de bougie fondue- mourut...
s'effondra tout au moins. Il (Roland était plus que certain
que l'individu était de sexe masculin) tomba à genoux
avec un glougloutement sourd, cherchant à s'agripper à
la main de la chose qui marchait à ses côtés
-machin au crâne chauve et bosselé avec un grouillement
d'ulcères rouges dans le cou. La créature ne
prêta aucune attention à la chute de son compagnon et,
gardant ses yeux faiblards rivés sur Roland, continua
d'avancer en titubant, son pas lourd en rythme avec celui de ses
congénères."Roland n'apercoit pas d'armes à
feu:"Ils étaient munis
de gourdins improvisés -pieds de chaise ou de table, en grande
majorité."
Pour stopper leur marche, Roland tire par terre:"Ils s'immobilisèrent, le
dévisageant toujours avec la même avidité morne.
Les habitants disparus d'Elurie avaient-ils fini leurs jours dans
l'estomac de ces créatures? Roland ne pouvait se
résoudre à le croire... même s'il n'ignorait pas
que le cannibalisme ne devait pas donner trop de scrupules à
de pareils êtres. (Encore ne s'agissait-il peut-être pas
de cannibalisme, stricto sensu; car, où était
l'humanité de telles choses, quelles qu'elles aient pu
être autrefois?) Elles étaient trop lentes, trop
stupides. Si elles avaient osé revenir en ville après
que le Shérif les en eut chassées, on les aurait
brûlées ou tuées à coups de pierre."
Avant qu'il ait achevé sa phrase, l'un d'eux... sorte de
troll à torse bombé, à gueule lippue de crapaud
boudeur, avec un semblant de branchies des deux côtés de
son cou à barbillons... se précipita en avant,
blablatant d'une voix aiguë et particulièrement glauque.
Son babil aurait pu passer pour une espèce de rire. Il
brandissait un truc qui ressemblait à un pied de
piano."
Roland tire sur un mutant:"Il
lâcha sa massue, roula sur le flanc et tenta de se relever
avant de retomber dans la poussière. Le soleil brutal
fusillait ses yeux grands ouverts, et Roland s'aperçut que des
vrilles de vapeur blanche s'élevaient de sa peau qui perdait
rapidement sa nuance verdâtre. Il entendit aussi une sorte de
grésillement, celui d'un jet de salive sur un poêle
chauffé à blanc."Puis Roland est assommé par un ce ces
mutants:"La chose
dissimulée sous le chariot était un monstre
bicéphale: si l'une de ses têtes avait les traits
flasques et résiduels d'une charogne, l'autre,
également verdâtre, avait l'air plus vivace. Les grosses
lèvres du monstre se fendirent d'un rictus de joie mauvaise
alors qu'il levait sa massue pour frapper encore."(29/31)
Plus tard, on devine que la population d'Elurie disparue a
été la proie des vampires, alors que la physiologie des
mutants leur a permis d'être épargnés. Quand les
soeurs font appel aux services d'un mutant, indifférent
à Dieu, pour enlever le médaillon du voisin de
Roland:"Il émettait une
sorte de gargarisme étranglé, le rire d'un homme en
train de mourir d'une maladie pernicieuse de la gorge et des poumons,
mais que Roland préférait de loin aux gloussements des
Soeurs.
- Sinon quoua, Soeur Marie, vous bouarez mon seing? Mon seing vous
tuerait sur place et vous ferait briller dins le
nouar!"(62)
La rose
et la tour.
Les soeurs d'Elurie portent toutes le
signe de la rose:"Sur le
plastron neigeux de leur habit était brodée une rose
rouge sang... le sigleu de la Tour Sombre."(38) Ce qui signifierait que, vampires
particulières, elles sont des créatures de la Tour.
Ainsi est renforcée l'idée que la Tour sombre est le
centre maléfique qui contrôle des créatures
diverses, semblable à Barad-Dûr, la fortification de la
Tour Noire11 de Sauron. À noter la description
particulière de Jenna, qui reniera son ordre pour fuir avec
Roland, après avoir utilisé les insectes contre ses
soeurs:"Celle-ci n'avait
peut-être pas plus de vingt et un ans: joues roses, peau lisse
et yeux noirs. Son habit blanc flottait comme en rêve. La rose
rouge sur son sein ressortait comme un
blasphème."(39) Comme
Jenna apparaîtra ultérieurement blasphématoire
aux yeux de son ordre, cette notation constitue un clin
d'oeil12 qui annonce l'évolution déjà
commencée de Jenna.
Un rêve prémonitoire comme en font souvent Roland et ses
compagnons précise une fois encore la place de ces roses dans
le monde de la tour:"Il
rêva du chien-crucifix, traversant de ses aboiements une vaste
étendue à ciel ouvert. Il le suivait, désireux
de découvrir la source de son agitation. Il la connut
bientôt. Aux confins de cette plaine, la Tour Sombre, sa pierre
d'un noir de fumée. La spirale de ses fenêtres
effrayantes, se découpaient sur l'orange d'un terne soleil
couchant. Le chien s'arrêta en la voyant et se mit à
hurler à la mort.
Des clochettes -au timbre particulièrement strident et aussi
implacable que le destin- tintèrent alors. C'étaient
les Clochettes Noires, il le savait. Mais elles sonnaient comme du
vif-argent. A ce son, les ouvertures sombres de la Tour
brillèrent d'un éclat rouge meurtrier -le rouge de
roses vénéneuses. Un cri de souffrance insoutenable
s'éleva dans la nuit."(76)
Autres
compléments.
Le ka est souvent cité comme
dans le cycle de la Tour ou plus allusivement dans d'autres romans
comme Insomnie:"Vous irez mieux
s'il plaît à Dieu, sai, fit cette voix. Mais le temps
lui appartient, à vous, pas.
Non, aurait-il rectifié s'il avait été en mesure
de le faire. Le Temps appartient à la Tour."(34) Comme lui appartiennent les vies
humaines, dont celle de Roland qui n'a vu s'approcher les verts
mutants que parce que son cheval mourant s'abattait à ce
moment précis:"Le tapis
de poussière avait étouffé leurs pas. Le chien
chassé, ils auraient pu s'approcher jusqu'à une
distance propice à l'attaque si Topsy n'avait pas fait une
fleur à Roland en mourant aussi opportunément.
(...) À coup sûr, sa quête de la
Tour Sombre n'était pas censée s'achever dans la
Grand-Rue écrasée de soleil d'une petite ville de
l'extrême Ouest du nom d'Elurie, livrée aux mains d'une
demi-douzaine de lents mutants à l'épiderme
verdâtre ! À coup sûr, le ka ne pouvait pas se
montrer aussi cruel!"(31) Ou
:"Il songea qu'elle savait
déjà. Sa mère l'avait ramenée autrefois:
nulle mère ne la ramènerait maintenant. Et elle avait
soupé avec les autres, avait pris part à la communion
des Soeurs. Si le ka était une roue, c'était aussi un
filet aux mailles duquel rien ni personne n'échappait
jamais."(75) Ou
encore:"Peut-être ne
rencontrerait-il jamais l'un de ceux qui avaient aimé ce
garçon, mais il en savait assez long sur le ka pour penser que
c'était de l'ordre du possible."(28)
L'appellation ka-tet n'intervient qu'une fois, pour souligner que le
groupe des soeurs est un:"Vous
avez fait de l'une d'entre nous qui n'était déjà
que trop impudente, ne sachant point se tenir à sa place, une
rebelle avérée. Sa mère était pareille,
soit, et en est morte peu après avoir ramené Jenna au
bercail."On ne sait pas si ce
fait provient de la rupture avec l'ordre ou de la séparation
du ka-tet, ou des deux, mais Jenna ne peut pas être
libérée:"Nous et
nos pareilles ne pouvons point être libérées de
nos voeux ni être libres d'aller où bon nous semble. Sa
mère a essayé, elle est revenue. Elle était
mourante et la petite, très souffrante. Eh bien, c'est nous
qui avons soigné Jenna, lui rendant la santé alors que
sa mère n'était plus que poussière dans la
brise, soufflant vers le Monde Ultime. Combien peu reconnaissante
elle s'en montre! En outre, elle porte les Clochettes Noires, le
sigleu de notre sororité. De notre ka-tet."(55)
Une allusion à la filiation de Roland, qui le rattacherait aux
personnages de la Table Ronde:"Ses armes étaient tout ce qui importait. Les
armes de son père, et de son père avant lui. en
remontant jusqu'aux jours d'Arthur l'Aîné, quand songes
et dragons arpentaient encore la terre."(74) Une évocation de Delain, où se passe
l'histoire des Yeux du
dragon:"Une fois Norman complètement
réveillé, le pistolero et lui évoquèrent
brièvement le lieu d'origine du jeune éclaireur -
Delain, autrement dit. Que l'on appelait parfois par plaisanterie
l'Antre du Dragon ou encore le Paradis des Menteurs.
Billevesées et autres fariboles."(59) Et en double voix lui parle Cort, décrit
longuement dans Le
Pistolero, quand,
fatigué, Roland ne veut plus
réfléchir:"Mais
tu ferais mieux de l'être.
C'était la voix qui semblait toujours surgir de nulle part
quand il faisait mine de se relâcher, de bâcler la
tâche ou de choisir la facilité pour contourner un
obstacle. La voix était celle de Cort, son vieil instructeur.
Celui dont ils avaient tous redouté le bâton, quand ils
étaient de jeunes garçons. Cependant, ils n'avaient pas
tant craint son bâton que sa langue. Ses sarcasmes, quand ils
faisaient preuve de faiblesse, son mépris quand ils se
plaignaient ou se laissaient aller à geindre sur leur
sort.
Es-tu un pistolero, Roland? Si tel est le cas, tu ferais mieux de te
tenir prêt."(36)
Du
badinage au drame romantique.
King prendrait-il goût à
la romance?13 Après Magie et cristal, King consacre une grande place à une idylle
entre Roland et la plus jeune des soeurs, Jenna.
Tout commence par l'évocation de son seul amour de jeunesse,
quand, blessé, Roland est presque inconscient sur son lit et
entend une voix de jeune fille:"La première à laquelle pensa Roland fut
Susan, la damoiselle de Mejis, celle qui lui avait dit tu
d'emblée."(33) Il voit
Jenna pour la première fois lorsqu'il est harcelé par
une soeur qui lui demande son identité:"Une sixième soeur fit son apparition,
se frayant sans ménagement un passage entre Marie et Tamara.
Celle-ci n'avait peut-être pas plus de vingt et un ans: joues
roses, peau lisse et yeux noirs. Son habit blanc flottait comme en
rêve. La rose rouge sur son sein ressortait comme un
blasphème.
- Allez ! Laissez-le tranquille!
- Ooooh, ma chère! s'écria Soeur Louise d'un ton
où le rire le disputait à la colère. Mais voici
Jenna, notre bébé, ne se serait-elle point un peu
énamourée de lui?"(38)
Pendant son inconscience Roland n'a senti que sa main qui le
soignait:"Merci, fit Roland,
levant les yeux vers la détentrice de la main fraîche...
car il savait que c'était elle qui l'avait apaisé.
Elle lui saisit les doigts comme pour lui en apporter la preuve et
les caressa."(40) Roland sait
qu'elle lui est favorable et lui a passé autour du cou le
médaillon protecteur. Il est particulièrement
fasciné par une boucle brune sur son front
crémeux:"Il l'aurait
bien effleurée, s'il avait osé tendre la main. Ne
serait-ce que pour en définir la texture. Il la trouvait belle
car c'était le seul élément sombre dans tout ce
blanc. Blanc qui avait perdu tout charme à ses
yeux."(41) Et il prend
conscience"que, malade ou pas,
c'était la première fois qu'il considérait une
femme en tant que femme depuis la mort de Susan Delgado, et cela
remontait à fort longtemps. Le monde entier avait
changé."(41) Sa seule
histoire d'amour remonte à plus de vingt ans.
King pratique longuement un badinage inusité dans le cycle de
la tour avant Magie et
Cristal:"- Ça fait un bail que je n'ai pas
crié, ma jolie.
Elle prit carrément des couleurs à ce dernier mot, son
teint y gagna un rose plus naturel et vivace que celui de la fleur
sur sa poitrine.
- N'appelez point jolie celle que vous ne pouvez point voir comme il
sied, lui dit-elle.
- Repoussez alors la guimpe que vous portez.
S'il voyait parfaitement son visage, il désirait fortement
poser les yeux sur sa chevelure - en était presque
affamé. Un déluge de noir dans toute cette blancheur
onirique. Bien sûr, elle pouvait l'avoir taillée ras.
Celles de son ordre la portaient peut-être ainsi, mais quelque
chose lui soufflait que non.
- Non, ça ne m'est point permis.
- Par qui?
- Par la Grande Soeur.
- Celle qui s'appelle Marie?
- Si fait. c'est elle.
Elle fit mine de s'en aller, puis s'immobilisa et le regarda
par-dessus son épaule. Chez une autre fille de son âge,
aussi jolie qu'elle, ce regard en tapinois aurait été
la coquetterie même. Chez elle, il était la
gravité même."(42)
La réponse de la vampire, quelques instants plus tard, ouvre
de nouveaux horizons sur leur sexualité dans
Elurie. Une soeur déjà, Coquine,
essaie de paraître jeune et jolie (46), et plaisante avec
Roland."C'est un si bel
homme", dit la
supérieure d'un ton songeur et à voix basse. Jenna,
elle, est déjà entièrement
conquise:"Elle hésita,
se mordillant la lèvre à nouveau, puis d'un geste
soudain repoussa sa guimpe. Elle lui tomba sur la nuque dans un doux
carillon de clochettes. Libérée de sa prison, sa
chevelure balaya ses joues comme une ombre.
- Je suis jolie? Le suis-je? Dites-moi la vérité,
Roland de Gilead -et point de flatterie. Car la flatterie ne fait du
bien que le temps que met une chandelle à se consumer.
- Jolie comme une nuit d'été.
Ce qu'elle lut sur ses traits parut lui plaire davantage que ses
paroles, car elle eut un sourire radieux. Elle remit la guimpe en
place, rentrant prestement ses cheveux en dessous avec ses
doigts.
- Suis-je à nouveau décente?
- Aussi décente que belle, fit-il.
Il leva prudemment un bras et, montrant le front de Jenna, ajouta
:
- Une boucle dépasse encore... juste là.
- Si fait, elle me fait toujours enrager, celle-là.
- Avec une petite grimace du plus haut comique, elle la repoussa en
arrière. Roland songea combien il aimerait baiser ses joues
roses... et peut-être aussi ses lèvres roses, pour faire
bonne mesure.
- Tout est parfait, dit-il."(44)
Le voisin de lit de Roland est conquis:"C'est vraiment quelqu'un d'à part, Jenna, ah
ça oui. EIle a tout d'une princesse, quelqu'un dont le lignage
impose la place, au contraire des autres Soeurs. J'ai beau rester
couché là à faire semblant de dormir -c'est
moins risqué, je pense-, je les ai entendues parler. Jenna
n'est revenue parmi elles que tout récemment et ces Clochettes
Noires ont une signification bien particulière.
(...) Je crois que les Clochettes Noires sont rien
que du décorum, comme ces anneaux que les anciens Barons se
transmettaient de père en fils."(49) Mais le voisin reste prudent:"Celles-là ne sont pas naturelles.
Même Soeur Jenna n'est pas naturelle. Gentille ne veut pas dire
naturelle.Elle deviendra comme elles à la toute fin.
Rappelez-vous bien ce que je dis."(50)
Roland garde cependant un espoir. Elle n'est peut-être pas une
vampire, puisqu'elle a pu prendre le
médaillon:"- Je l'ai
ramassé par terre.
Il ne savait pas ce qui le rendait le plus heureux -la vue du
médaillon ou le voir dans la main de Jenna. Ça
signifiait qu'elle n'était pas comme les autres.
Puis, comme pour dissiper cette idée avant qu'elle ne s'ancre
trop en lui, elle ajouta:
- Prenez-le-moi, Roland - je ne peux plus le tenir.
Et comme il lui obéissait, il aperçut sans pouvoir s'y
tromper des traces noirâtres sur ses doigts.
Il lui saisit la main et baisa chaque brûlure.
- Grand merci, sai, dit-elle et il vit qu'elle pleurait. Grand merci,
cher. Être baisée ainsi est charmant, ça vaut
toutes les peines du monde."(69)
Aux soeurs qui l'interrogent, Jenna répond en grande
sentimentale:"Parce qu'il a
baisé les brûlures sur mes doigts.(...) On ne m'avait jamais embrassée. Ça m'a
fait pleurer."(70) Et plus
tard, à Roland:"-
Aimerais-tu m'embrasser comme un homme embrasse une femme, Roland?
Sur la bouche?
- Si fait.
Et comme il avait songé à le faire, prisonnier alors de
la tente de soie de l'infirmerie, il lui baisa les lèvres.
Elle lui rendit son baiser avec la douceur malhabile de qui n'a
jamais encore embrassé personne, sauf peut-être en
rêve. Roland songea alors à lui faire l'amour -cela
faisait si longtemps et elle était si belle- mais au lieu de
cela, il s'endormit en l'embrassant."(76)
Le lendemain Jenna a disparu, métamorphosée comme
peuvent le faire ses semblables, ses vêtements
abandonnés, la chemise encore fourrée dans le pantalon.
Elle a aussi abandonné ses clochettes, que Roland agite sans
intention précise. Un surprenant effet littéraire
s'ensuit, qui justifie les nombreuses évocations de la boucle
rebelle14 de la coiffure de Jenna:"Les insectes tremblaient, leur nuage noir ombrait la
terre blanche et poudreuse. Un frisson les parcourut, puis ils se
mirent à dessiner une forme. Ils hésitaient, comme
s'ils n'étaient pas encore sûrs de savoir comment
poursuivre, se regroupaient, s'y remettaient. Ce qu'ils
tracèrent bientôt sur la blancheur de sable, entre les
plumetis soufflés de l'armoise couleur lilas, ce fut l'une des
grandes lettres, le C.
Sauf que ça n'avait rien d'une lettre, ce que distingua le
pistolero, et tout d'une boucle en accroche-coeur.
Ils se mirent à chanter et Roland eut l'impression qu'ils
chantaient son nom."(77) Puis
les insectes disparaissent.
La mise
en scène.
La construction du récit est
remarquable et fait comparativement penser à certaines
techniques de la musique répétitive américaine:
quelques éléments musicaux sont d'abord
utilisés. Puis, on supprime un élément musical,
on conserve les autres, et on en ajoute un nouveau. Et ainsi de
suite, des éléments disparaissant pour laisser la place
à d'autres, avec une partie centrale conservée dans son
développement. Je me limiterai aux premières pages.
Dès les premières lignes, alors que Roland arrive
à Elurie avec son cheval mourant, des notations incidentes
sont reprises plusieurs fois, de façon à intriguer le
lecteur tout en fournissant des éléments essentiels
dans le récit:"Les
seuls bruits perceptibles étaient la stridulation douce d'une
sorte d'insecte (proche du chant des grillons, mais en plus
harmonieux), un étrange toc-toc sur du bois et un très
faible tintement de clochettes, quasi irréel."(22) Le chant des insectes et le son des
clochettes seront le fond sonore, quasi permanent, repris avec des
variations de formulation renouvelés. Le toquement est un
bruit qui servira de transition.
S'y ajoutent simultanément les notations d'une ambiance
fantastique:"Le silence qui
régnait était passablement anormal" Aux portes de la ville:"Si la croix qui le chapeautait était un
brin inhabituelle..."15 (22)"On est a
des lieues de la normale par ici, songea le pistolero. Gaffe, Roland,
cet endroit dégage une odeur roussâtre."(23)
Suit une notation macabr, quand se mêlent le"tintement irréel des clochettes et
l'étrange toc-toc sur du bois, tel un poing cognant au battant
d'une porte. Ou sur le couvercle d'un cercueil."(23) Des bruits dans le
silence:"Holà ! cria
Roland. Nulle réponse hormis les clochettes, l'harmonie des
insectes et l'étrange toquement boisé. Pas la moindre
réponse, pas le moindre mouvement... Il y avait pourtant
quelqu'un par ici. Quelqu'un ou quelque chose. On l'épiait.
Les poils follets de sa nuque en étaient tout
hérissés."(24)
Certains événements inconnus"n'avaient pas eu lieu depuis fort longtemps. Une
semaine, peut-être. Deux, tout au plus, compte tenu de la
chaleur."(24)
Les premières explications viendront:"Le pistolero aperçut alors l'origine du
tintement. Au-dessus de la croix peinte sur la porte de
l'église, on avait tendu une cordelette qui formait un arc de
cercle légèrement ployant. Y pendillaient une vingtaine
de clochettes d'argent16. La brise
soufflait à peine aujourd'hui, suffisamment toutefois pour que
ces babioles ne restent pas en repos..."(24). Puis le tintement, un chien qui essaie de tirer un
cadavre d'une fontaine:"Il ne
cessait pas de lâcher la botte, de la reprendre et de la
secouer dans tous les sens. Le talon butait à intervalles
réguliers contre le bois de l'abreuvoir, qui rendait un son
creux. Le pistolero n'était donc pas tombé loin en
pensant au couvercle d'un cercueil."(26) Le chien, décrit comme chien-crucifix, sera
ensuite mis en coulisses, on entendra ses aboiements,et il
réapparaîtra lors des dernières
scènes.
Les quatre premières pages sont un modèle qui pourrait
servir de support dans un cours de création littéraire.
Tout y est, mais suggéré. La toile est tissée
avec une grande d'habileté. On a dit que King n'était
jamais si bon que dans ses nouvelles. Parmi les nouvelles
fantastiques, Les petites
soeurs d'Elurie figurera
comme l'une des meilleures.
Si on replace cette nouvelle dans le cycle de la Tour, il faut noter
une perspective tout à fait nouvelle de l'image de Roland de
Gilead. Adulte de quarante ans dans Le Pistolero, il a alors été perçu comme une
force brute agissant entièrement sous l'emprise du ka, avec un
remarquable sang-froid et une technique de tueur, acquise de son
instructeur dans son adolescence. Héros presque glacial, il
nous impressionnait par son sens pratique17, sa force et sa quasi-invincibilté. Dans les
romans qui ont suivi, il a été gravement atteint et
mutilé par l'attaque des homarstrosités dans
Les Trois
Cartes, s'est
humanisé sous l'influence des membres de son ka-tet. Mais dans
nos esprits, avant ces événements, il était un
homme dangereux pour ses adversaires, et inhumain avec ses amis
(l'épisode de Jake sacrifié à la tour en
était le plus insupportable témoignage). Avec
Magie et
Cristal, le spectacle
d'un Roland roucoulant surprenait, mais restait plausible: premier
amour d'un adolescent, il s'expliquait par la nouveauté de la
passion. Le cheminement de sa psychologie était
linéaire: adolescent dur au coeur tendre meurtri par la mort
de l'aimée, adulte dur au coeur devenu dur, il redevenait le
dur au coeur ouvert à l'affection de ses amis. Dans
Elurie, il a quarante ans et son nouveau
sentimentalisme surprend d'autant plus que ces
événements, se situant avant ceux du Pistolero, nous montrent un Roland tout différent de celui
que nous avons initialement connu.
Surtout il n'est plus invincible. Il se fait bêtement
surprendre par l'attaque des mutants et se fait assommer, puis tombe
impuissant entre les mains des vampires. Son image à nos yeux
se brouille. Il ne serait pas capable de se sortir de la situation de
futur dévoré s'il ne recevait l'aide active de Jenna,
sensible à sa prestance. C'est elle qui organise sa fuite,
à laquelle Roland ne prend guère part. Ses deux
interventions sont lamentables. Il sort son pistolet pour abattre une
vampire, mais l'arme est inefficace. Il se bat corps-à-corps
avec elle, mais est renversé par la force psychique de son
adversaire. C'est un élément extérieur, le
chien-crucifix qui va le sauver. Jenna disparaît sans qu'il
puisse rien faire. Les
petites soeurs d'Elurie
donnent une image différente d'un Roland faible et
vulnérable, difficile à accepter avec la quête du
pistolero et le formateur des membres de son ka-tet avec lesquels il
se montre aussi dur que Cort l'a été avec lui.
Remarquable nouvelle, à l'action bien menée, aux
contenus précieux et posant des interrogations multiples, qui
augurent bien du prochain tome annoncé, avant l'accident de
King, pour dans deux ans18.
"La
Tour Sombre met en scène Roland de Gilead, dernier pistolero
d'un monde à bout de souffle, qui a «changé»,
lancé au trousses d'un magicien à robe noire. Roland
poursuit le dénommé Walter depuis fort longtemps. Dans
le premier tome du cycle, il finit par le rattraper. L'histoire qui
suit se situe, néanmoins, pendant la période où
Roland en est encore à s'enquérir de la piste prise par
Walter. Une connaissance de tous les volumes de la série n'est
donc pas nécessaire à la bonne compréhension de
ce récit -et au plaisir de le lire,
espérons-le."
Stephen King.
Notes
:
1 The Little
sisters of Eluria, parue dans
le recueil de 11 récits inédits de fantasy
Légendes
(Legends, 1998), trad. fr. Éditions 84, avril
1999.
2 Dans la postface de Magie et Cristal, King annonçe un ambitieux projet: l'aventure de
la Tour Sombre avait pour lui une"étrangeté essentielle". Dans le"système solaire"de son imaginaire, l'histoire de Roland serait devenue
son"Jupiter""Je
commence à comprendre que le (ou les mondes plutôt) de
Roland contient (ou contiennent) l'ensemble de ceux [qu'il a] créés. Il me semble que ce soit là
que tous, tant qu'ils sont, finissent par atterrir."(667).
3 Depuis Ça, King
adore les avatars de ses personnages démoniaques, sans que
leur forme ultime suggérée soit jamais
révélée.
4 Cette puissance d'ordre énergétique est
posédée également par le Tak des Régulateurs.
5 Dans Bazaar, de
nombreux détails sont donnés sur Gaunt, sa philosophie
de marchand diabolique et ses errances. Il a commencé comme
colporteur à vendre des objets il y a très longtemps,
sur des routes lointaines (il connaît les plaines
lovecraftiennes de Leng), puis avec un chariot traîné
par un cheval blanc:"les temps
ont changé, les méthodes aussi."(540)
6 On ignore qui est le père de Jenna,
ramenée ensuite dans la communauté (et par là
même cet aspect de la sexualité de ces vampires et de
leur reproduction). On ignore également le châtiment
qu'elle a subi, mais les soeurs n'en parlent qu'avec
réprobation. D'après l'exemple de Jenna, la descendante
de vampire n'utilise pas le «glam» pour son compte quand
elle est jeune. Ce n'est que par la pratique du vampirisme qu'elle
devient comme les autres.
7 Dans le chapitre 1 du premier livre de Magie et Cristal, il est dit que l'irradiation de la ville de Candleton
eut lieu il y a"deux bons
siècles et demi."(32)
Mais on ne sait pas combien de temps avait duré encore la
civilisation industrielle que nous connaissons maintenant avant que
se produise cet événement. Quand Roland vient
«pêcher» Detta en 1977 et Eddie en 1987, il remonte
le temps -par rapport à lui- de plusieurs siècles. Mais
on sait aussi que le temps est malade dans le monde de la
Tour...
8 Baal, le dieu sanguinaire de la Phénicie et de
la Palestine, auquel on devait sacrifier son premier-né, a
été longtemps le rival de Yahvé (Dans Salambo,
Gustave Flaubert a donné des images impressionnantes de son
culte -enfants brûlés vifs dans la statue en
métal du dieu chauffée à blanc). Asmodée,
dieu persan avant de devenir un diable de la luxure.
9 King est protestant méthodiste, Tabitha
catholique.
10 Une puissance? Ce qui expliquerait cette intervention
de jour contraire à leur nature.
11 Dans Tolkien, des tours «bonnes» -comme les
tours blanches de d'Orthanc ou de Minas Ithil-, peuvent devenir
maléfiques quand elles tombent entre les mains de Saroumane ou
du roi-sorcier Sauron. Barad-Dûr, la tour noire de Sauron
à Mordor, Angband, la forteresse-prison de Morgoth, sont des
lieux maudits.
12 Le mot blasphème signifierait en premier sens
que la rose, devenue sigle maléfique ("vénéneuses"), n'est pas compatible avec le choix que fera
Jenna pour l'ordre de la lumière.
13 Dans la postface de Magie et Cristal, King fait état des dificultés qu'il a
rencontrées en écrivant la première histoire
d'amour de la jeunesse de Roland, qui tient une grande place dans le
livre. La raconter lui causait"une peur bleue. Si le suspense m'est relativement
facile, le roman d'amour me crée des
difficultés."(667)
14 Rebelle comme se montrera Jenna. La formation de la
lettre C, représentation de la boucle de Jenna a plusieurs
significations possibles: dernier adieu? (Mais pourquoi ne pas former
la lettre J?); hommage à l'amour, (pourtant
blasphématoire) puisque la représentation s'adresse
à Roland?; approbation implicite de la rébellion de
Jenna? On ne sait pas ce que les insectes deviennent. Par sa
poésie et son ambiguïté, la scène est
belle, et montre que, même dans un domaine où il n'est
pas à l'aise, King peut obtenir de jolies
réussites.
15 On ne sait pas pourquoi: mais on apprendra vite
qu'inhabituellement, l'église d'Elurie est une église
chrétienne, rare dans le monde de Roland. S'ensuivront
nécessairement le médaillon religieux, la
répulsion des vampires, etc.
16 La croix, et pour la barrer, les clochettes,
puisqu'elles se trouvent au-dessus de la croix et forment un arc
ployant. On pourrait tout déchiffer ainsi,
paragraphe par paragraphe, l'histoire lue.
17 Il en reste des traces dans Elurie:"Comme toujours,
moins le pistolero réfléchissait, mieux il
agissait."(67) Une notation
des Trois
Cartes montrait une
complexité plus grande: il"ne devait peut-être d'avoir survécu
qu'à la prééminence de son sens pratique et de
sa simplicité sur le ténébreux romantisme de sa
nature."(216)
18 Ce tome 5 du Cycle de La Tour Sombre
s'intitulerait (?) Thunderclap
(Coup de tonnerre), et ne sortirait pas avant 2001.
19 Dans la postface de Magie et Cristal, King annonçe un ambitieux projet: l'aventure de
la Tour Sombre avait pour lui une"étrangeté essentielle". Dans le"système solaire"de son imaginaire, l'histoire de Roland serait devenu
son"Jupiter""Je
commence à comprendre que le (ou les mondes plutôt) de
Roland contient (ou contiennent) l'ensemble de ceux [qu'il a] créés. Il me semble que ce soit là
que tous, tant qu'ils sont, finissent par atterrir."(667).
Roland Ernould ©
1999.
Armentières, le 25 juillet1999.
Ces opinions n'engagent que leur auteur, qui reçoit avec
reconnaissance toutes les remarques qui pourraient lui être
faites. 11.300 mots.
(roland.ernould@neuf.fr).
Site web Stephen King: http://rernould.perso.neuf.fr
Voir mes
études sur La Tour Sombre :
En marge d'Insomnie :
DES MYTHES RELIGIEUX
AUX PUISSANCES DE LA TOUR SOMBRE.
Un arbitre suprême
innommé régit l'équilibre entre les
puissances des Maîtres du Temps, entre
l'Aléatoire et l'Intentionnel. Pour résoudre
un problème qui menace la stabilité des
mondes, il utilise deux humains d'exception. par
l'intermédiaire de ses représentants
terrestres.
L'étude propose une lecture de ce roman, qui apparait
comme un complément du cycle de La Tour
Sombre à
partir des mythes anciens moyen-orientaux.
King et
Farmer: TOUR,
QUÊTE ET KA : LES
TOURS , 1ére partie.
De nombreux peuples anciens
ont intégré dans leur conception du monde
l'idée d'un axe cosmique qui unirait le ciel et la
terre, ou la terre et le monde souterrain. Ils pensaient que
les diverses régions du monde étaient ainsi en
rapport les unes avec les autres, et disposées autour
de ce centre cosmique.La tour est un symboles récents
apparu dans l'Antiquité, et elle est devenue le
symbole de la liaison entre le ciel et la terre: par voie de
conséquence, ils signifient l'ascension de
l'âme par rapport à la matière, et la
difficulté du développement spirituel humain.
Le ziggourrat babylonien remplit cette fonction, avec
l'étage supérieur réservé
à la divinité. La tour est restée dans
une symbolique , qu'apprécient les lecteurs de King,
avec la saga de la Tour Sombre et sa genèse,
poursuivie depuis près de quarante ans. Mais il n'est
pas le seul à utiliser le mythe. Un de ses
contemporains notamment, Philip José Farmer, a dans
le même temps utilisé la symbolique de la Tour,
comme King.
King et
Farmer: TOUR, QUÊTE ET KA : LA
QUÊTE, et autres notions 2ère partie.
Philip José Farmer ne
s'est pas limité, avant King, à utiliser la
symbolique de la Tour. On y trouve aussi curieusement de
nombreuses coïncidences qui valent la peine d'y
regarder de plus près: le thème de la
quête, des notions telles que le ka, les aura, l'image
de l'échiquier, l'utilisation des univers
parallèles, des rapprochements littéraires
fréquents avec Alice, le Magicien d'Oz, bref une
partie non négligeable de ce qui forme les notions
fondamentales du cycle de la Tour entrepris par King. Pour
les curieux de création littéraire, il peut
être intéressant d'analyser comment deux
auteurs contemporains utilisent et exploitent des
idées semblables dans des perspectives aussi
différentes que possible.
Deux
créateurs de cosmogonies: Stephen
KING et J.R.R.
TOLKIEN.
Avec son savoir biblique, sa
connaissance des mythes antiques
méditerranéens et orientaux, King aurait pu
faire aussi bien que son modèle nordique, dans un
registre différent. Son oeuvre est aussi pleine
d'échos empruntés à de multiples fonds
mythiques, de résonances suggérées par
un grand nombre d'héritages divers et complexes. Il
en est venu, comme Tolkien, à créer un monde autonome avec
ses êtres et ses lois. Mais alors que Tolkien donne
l'impression de construire son univers immense
-déroutant, mi-féerique, mi-inquiétant-
autour de nous naturellement, King etc...
|
ce texte a été publié dans
ma Revue trimestrielle
différentes saisons
# 5 : automne 1999
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