La solitude du vampire

anthologie présentée par Barbara Sadoul

Librio imaginaire, 2003


Le vampire traditionnel, représenté par Dracula ou ses prédécesseurs est resté un motif rigide jusqu'à il y a un demi-siècle. Le vampire était alors un non-mort, sortant de son cercueil la nuit, cherchant dans les ténèbres le sang humain dont il a besoin afin de conserver son corps intact à travers les siècles. Il se servait de sa fascination sexuelle pour transformer à leur tour les humains en vampires. Ces légendes terrifiantes de morts qui boivent le sang des vivants se retrouvent dans le monde entier (les lamies et les striges antiques, les goules arabes, et bien d'autres). La figure du vampire renvoie sans doute aux peurs des premières communautés humaines à propos de la mort, de l'au-delà, de la persécution des vivants par les esprits des morts. Il touche au désir fou d'éternité, au refus de ce qui est pour l'être humain le scandale suprême : la mort. Ce sont les temps romantiques, puis la période victorienne, qui ont donné son statut littéraire à cette figure mythique du mort-vivant transmise par certaines traditions paysannes à l'écart des religions établies.

La solitude humaine du vampire, le thème de cette anthologie, n'est bien sûr pas celle du monstre qu'il a été pendant des siècles, réprouvé de par son statut satanique. Thème romantique, la solitude a pris un relief particulier avec le roman de Richard
Matheson, Je suis une légende (1954), dans lequel un seul être humain reste sur terre, alors que les autres sont devenus vampires à la suite d'une épidémie. Endossant à son tour la peau du monstre et vivant le rejet, il a hérité de leur statut solitaire alors que l'état de vampire est devenu la normalité. Le motif qui évoluait lentement devient soudain protéiforme. Le vampire demeure la figure mythique qui nous interpelle sur le sens de la vie, de l'amour et de la mort, mais les réponses et les interprétations possibles se sont considérablement modifiées, et le sujet paraît loin d'être épuisé. D'autre part la compréhension de la figure du vampire s'est longtemps résumée à décoder les traces du sexuel dans des formes renvoyant à la monstruosité, approche valable jadis. Mais nous vivons aujourd'hui dans une société qui n'est plus victorienne et refoulée. La sexualité étale ses signes et ses formes diverses partout. Le vampire, qui n'était souvent qu'une façon détournée de parler de l'indicible sexuel, aurait pu disparaître : mais il a su prendre une autre forme.

Barbara Sadoul pouvait classer ses textes différemment, historiquement plutôt que suivant une logique littéraire d'agrément. L'ordre chronologique sera repris ici, dans la mesure où il peut être intéressant de suivre l'évolution de la figure du vampire. Le plus ancien texte est celui de Henry
Kuttner, Dans ma solitude (1937), où est exploitée romantiquement l'idée du vampire immortel qui recherche à travers les siècles la femme qu'il a aimée. Humain devenu vampire, le chevalier Futaine a passionnément aimé une femme que sa malédiction a entraînée dans la mort. Il est d'autant plus inconsolable qu'elle a été ensuite réduite en poussière par un pieu planté dans son coeur, alors que lui est condamné à vivre éternellement. Quand au XXe siècle il rencontre une actrice, véritable sosie de la femme perdue, il ne peut malheureusement pas espérer que tout peut recommencer comme avant, l'amour n'étant qu'un rêve impossible pour un vampire.

Le sujet de
L'homme du second, de Ray Bradbury (1947) est la découverte par un enfant que le pensionnaire qu'héberge sa grand-mère est un vampire, et un vampire hors-normes dont le corps contient des choses géométriques bizarres. Il annonce les vampires de l'espace qui apparaîtront sous la plume des narrateurs par la suite. Les raisons qui font que l'enfant découvre la singularité de l'hôte sont particulièrement originales. À noter qu'à la même époque Bradbury avait décrit, dans plusieurs nouvelles, une famille de vampires qui avait le comportement exactement inverse des humains. Ces vampires se nourrissaient bien sûr de sang, mais dans des repas communs, et les enfants faisaient leurs prières au Diable comme d'autres à Dieu.

Avant d'écrire
Je suis une légende, Richard Matheson avait utilisé le motif traditionnel dans La voix du sang, (1951), histoire d'un homme qui, dès son enfance jugée inquiétante et anormale par ses proches, rêve de sang et de succion, avant même de savoir ce qu'est un vampire. Il ne connaît le sujet que par les livres de la bibliothèque de l'école. Adulte, il réfrène ses pulsions jusqu'à ce qu'il se prenne d'affection pour une chauve-souris enfermée au zoo, dont il se persuade qu'elle est Dracula. Et son rêve se réalise quand, un soir qu'il est entré dans la cage, il reçoit la divine morsure de son Maître aux yeux rouges. Le statut de vampire est maintenant souhaité par l'individu quand il correspond à sa véritable nature de, alors que jusqu'à présent il était subi.

Jean-Louis Bouquet n'a pas eu, dans Laurine ou la clé d'argent (1951) le souci de renouveler le genre. Utilisant un style littérairement soutenu, un peu désuet, il se réfère à une thématique fantastique traditionnelle, exposant lentement une action réduite, dans un décor des temps passés.

Bien éloignée du vampire suranné et du décor noble présentés par Bouquet, La pauvre Sonia (1965) de Claude Seignolle propose une vampire inusitée. Sonia, une gamine malingre et livide, sort chaque nuit de sa tombe du cimetière du Père Lachaise pour aller chercher ses victimes dans le quartier des Halles où elle se prostitue. L'héroïne n'a rien du vampire superbe tel que Christopher Lee l'a immortalisé à l'écran. Personnage touchant, représentatif du vampire tragique moderne subissant malgré lui la malédiction d'être un prédateur, elle excite la pitié compréhensive du narrateur.

Leslie Roy Carter a adopté le pseudonyme de Niel Straum dans Espèce en voie de disparition (1970) qui associe fantastique et science-fiction. Les vampires traditionnels sont en fait des extraterrestres qui se sont installés sur notre Terre il y a des siècles, pour échapper à la destruction sur leur planète d'origine. Ils coexistent maintenant avec des des vampires mutants, des "vamps", qui n'ont plus les canines proéminentes mais utilisent des aiguilles ultra-fines ne laissant pas de marques. Ils souhaitent paraître humains pour s'intégrer parmi les hommes, et passer inaperçus dans les villes. Mais découverts, et menacés à nouveau d'extinction, ils doivent fuir avec leur fusée vers un autre monde qui pourra les abriter.

Connue par une trilogie rapportant les aventures d'une famille de vampires, les Scarabae, Tanith
Lee mêle, dans un tout autre esprit, horreur et moyen-âge dans Chimères (1976). Elle plonge dans un passé lointain et met en scène un succube dans l'univers de la fantasy, cher à son auteur.

Anne Duguël, sous son pseudonyme
Gudule, conte dans La petite fille qui mordait ses poupées (2003) l'éveil d'une petite fille au vampirisme, dans le même esprit que L'homme du second, de Ray Bradbury, lu plus haut. Anne Duguël/Gudule aime ce fantastique qui plonge ses racines dans les peurs et les angoisses de l'enfance, en même temps que dans les profondeurs d'un jeune être dans lequel s'établissent les déviances et les psychoses. Elle se souvient de son enfance, des émotions et des angoisses, comme des révoltes et des peurs dont se nourrit maintenant son inspiration. Ce texte inédit est la seule concession du recueil à l'actualité.

Il faut noter que ces récits ignorent la profonde transformation que les romans d'Anne Rice ont apportée à la figure du vampire. C'est elle qui lui a permis de quitter définitivement le ghetto d'où il commençait à sortir. Depuis la série des
Lestat le vampire, le comportement sexuel des vampires modernes est devenu multiple. Certains vampires, hommes ou femmes, sont homosexuels, d'autres bisexuels. Lestat et son compagnon Louis sont des homosexuels qui ne dédaignent pas les femmes et ont un penchant pour la pédophilie en entretenant des relations érotiques avec une fillette de six ans. Lestat va même avoir des relations incestueuses avec sa mère.... Mais les vampires actuels ne sont pas nécessairement des séducteurs ou des femmes fatales. On en trouve de tous âges, par exemple des femmes d'âge mûr ou de vieilles dames qui, ne pouvant plus séduire, parviennent à leurs fins en inspirant confiance à leurs victimes.
Mais surtout, dans des oeuvres parues ces dernières années, les vampires sont de plus en plus souvent marqués par des influences biologiques. Ils sont présentés comme de simples humains victimes d'une maladie incurable et contagieuse, qui fait d'eux des exclus ou ils souffrent d'une anomalie chromosomique qui les ont rendus ainsi. La fatalité change de sens. Les vampires ne sont plus des ennemis de l'humanité, mais des humains ordinaires, victimes de l'incompréhension de leurs semblables. Les vampires sont mis sur le même plan que les malades du sida et ils reprochent à la médecine d'ignorer leur maladie afin de ne pas alarmer l'opinion publique. D'autres auteurs suggèrent que des transfusions régulières de plasma sanguin permettraient aux vampires de sortir d'une existence clandestine. Ainsi, porteur d'une maladie génétique, le vampire n'est plus l'agresseur, mais une victime. À une époque où la victime suscite un intérêt plus grand que le malfaisant, les vampires deviennent recommandables et cherchent à attirer notre sympathie. Ces personnages actualisés sont loin d'être des monstres. Ils ont, comme tout humain, leurs qualités et leurs défauts. Le vampire était jadis «l'autre», l'Antéchrist. Il représentait la perversion sexuelle et le péché, symbolisant la rupture avec l'ordre établi. Il se manifeste maintenant comme un être rationnel et sensible qui tente de nous expliquer comment il est devenu ce qu'il est, et qui nous fait partager ses peurs, ses joies et ses émotions. Il apparaît comme un être proche de nous, que nous pouvons comprendre et auquel nous pouvons nous identifier. Bon ou méchant, le vampire perd son statut d'être surnaturel, devient plutôt une métaphore de nos craintes et de nos préjugés. Cela veut-il dire qu'il sortira de sa solitude, alors que tant d'humains s'y trouvent? Sans doute pas, mais elle aura changé de nature.

Roland Ernould © 2003

La quatrième de couverture :
Du drame romantique à la science-fiction, la figure du vampire a connu bien des métamorphoses. À l'instar des ermites, des bandits, des vagabonds et des prophètes, il est un exilé sur terre, condamné à la solitude d'une vie errante. C'est un hors-la-loi, un monstre, une âme perdue. Sa soif de sang et de puissance, sa propension à corrompre les âmes l'incitent pourtant à rechercher la compagnie des hommes : il se laisse apprivoiser le temps d'une étreinte, et sait parfois faire preuve de sentiments, voire de passion...
Dans cette anthologie, les vampires de Tanith Lee, de Richard Matheson, de Ray Bradbury, de Claude Seignolle, de Jean-Louis Bouquet, de Gudule, de Henry Kuttner et de Niel Straum sont des êtres déchirés, malmenés, amoureux et violents. Amateurs de sensations fortes ou lecteurs téméraires, laissez-vous séduire... à vos risques et périls!

Table des matières

Introduction
Richard Matheson, La voix du sang, 1951
Ray Bradbury, L'homme du second, 1947
Claude Seignolle, Pauvre Sonia, 1965
Jean-Louis Bouquet, Laurine ou la clé d'argent, 1951
Gudule, La petite fille qui mordait ses poupées, 2003
Henry Kuttner, Dans ma solitude, 1937
Niel Straum, Espèce en voie de disparition, 1970

Dans ses anthologies publiées chez Librio, Barbara Sadoul nous fait redécouvrir les maîtres de la littérature fantastique :
La dimension fantastique - 1, librio n°150
Les cent ans de Dracula, librio n°160
La dimension fantastique - 2, librio n° 234
La dimension fantastique - 3, librio n° 271
Un bouquet de fantômes,
librio n° 362
Gare au garou,
librio n°372
Fées, sorcières ou diablesses, librio n°544 .

 

 

 

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